M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice, votre question fait écho à celle de la sénatrice Cécile Cukierman.

Oui, il faut changer le statut du chien patou. Le nouveau plan Loup en tient d’ailleurs compte. Le patou serait ainsi regardé comme un chien de travail et non comme un chien domestique. De plus, il ne pourrait plus être considéré comme divaguant quand il protège un troupeau. En effet, c’est bien là le sujet : le chien patou protège un troupeau et c’est dans ce cadre qu’il peut voir un randonneur comme une menace et le mordre. Nous devons travailler sur cette question pour mettre un terme à des procédures qui ne relèvent en réalité pas du droit pénal.

En ce qui concerne le calendrier, je crois que nous devons aller vite. Nous devons travailler à l’élaboration d’un texte – on ne peut du reste pas exclure que des initiatives parlementaires voient le jour sur un tel sujet. En tout cas, il faut que j’en parle avec la ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement. Il me semble, mais je préfère être prudent par les temps qui courent, que le sujet du statut des chiens patous fait consensus. (M. Bernard Buis marque son approbation.)

M. Guillaume Gontard. On en parle depuis quinze ans !

M. Marc Fesneau, ministre. Il s’agit de rappeler qu’ils servent à protéger les troupeaux. On ne peut pas faire grief aux éleveurs à la fois de ne pas protéger leur élevage et d’avoir des chiens qui ont parfois un comportement agressif. Les chiens ne distinguent pas nécessairement très bien ce qui peut constituer une menace pour le troupeau – il y a peut-être une sélection génétique à opérer.

Dans la mesure où le début du printemps est maintenant proche, nous devons avancer rapidement sur la question du statut du chien patou. Sans compter qu’on m’a informé aujourd’hui même d’une situation problématique survenue en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à cet instant du débat, je veux rendre hommage à Dolly. Dolly ? C’était un poney âgé de 30 ans, tué par un loup en Basse-Saxe, dans la nuit du 6 au 7 septembre 2022. C’était surtout le poney de la présidente de la Commission européenne.

Nous pouvons lui rendre hommage, car sa mort a permis à la Commission de comprendre subitement que la prolifération du loup posait un réel problème et qu’il était temps de proposer d’adapter son statut au titre de la convention de Berne.

C’est ce qu’elle a fait le 20 décembre dernier en déposant une proposition de décision du Conseil visant à considérer le loup non plus comme une espèce de faune « strictement protégée », relevant de l’annexe II de la convention de Berne, mais comme une espèce de faune « protégée », relevant de son annexe III.

Cette modification est absolument nécessaire pour faire face à la très rapide expansion des loups et prendre les mesures de régulation qui s’imposent, afin de préserver le pastoralisme qui contribue à l’essence de nos territoires de montagne.

Pourtant, lorsque je l’avais réclamée en juillet 2020 au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, la Commission européenne m’avait répondu qu’il n’en était alors pas question, aucune étude scientifique ne le justifiant, même si elle reconnaissait que « le pastoralisme est menacé en raison d’un large éventail de facteurs socio-économiques et que le retour des grands prédateurs dans les zones où ils avaient disparu peut exercer une pression supplémentaire si aucune mesure de protection adéquate n’est mise en place ».

Si je regrette la mort du poney Dolly, je me félicite que la présidente de la Commission européenne ait fait changer d’orientation ses services dans l’intérêt du pastoralisme.

Monsieur le ministre, pouvez-vous m’assurer que vous soutiendrez le déclassement du régime de protection du loup au Conseil des ministres de l’Union européenne ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Pellevat, je vous remercie de cette question.

D’abord, j’accepte tous les convertis à la cause, quelles que soient les motivations de leur conversion, y compris personnelles, et fût-elle tardive ! (Rires sur des travées du groupe Les Républicains.) En tout cas, c’est une bonne chose que la présidente von der Leyen ait mis ce sujet sur la table.

Je crois surtout que les circonstances ont changé. Quand je suis arrivé au ministère de l’agriculture en 2022, la France exerçait la présidence du Conseil de l’Union européenne. Le premier débat que j’ai présidé à ce titre concernait justement le loup. Je crois pouvoir dire que, sur les vingt-sept États membres, vingt-six étaient sur la ligne que défendaient notamment la France, l’Italie ou encore l’Autriche. Il y a donc un relatif consensus au niveau européen sur le fait que les loups sont désormais très nombreux et que cette situation pose un certain nombre de questions, qui sont certes diverses selon les pays.

Comment les choses se dérouleront-elles ? Le Conseil des ministres de l’environnement de l’Union européenne – le Conseil Environnement – se prononcera à la majorité simple à la fin du mois de janvier. Si une telle majorité se dégage, l’Union européenne défendra cette position devant les parties de la convention de Berne ; là, une majorité des deux tiers sera nécessaire pour réviser le statut de protection du loup. Il reviendra ensuite au Conseil Environnement de réviser la directive Habitats et, pour cela, l’unanimité sera requise.

La procédure pourra donc être enclenchée dès le mois de janvier et nous pourrions peut-être aboutir à une révision de ce statut d’ici au mois de juin. Je crois en tout cas que nous devons avancer assez vite sur cette question. J’ai entendu l’expression des États membres, et il me semble que c’est possible.

J’ajoute que, si la Commission européenne a proposé cette évolution – et nous savons qu’elle est particulièrement rigoureuse sur ce type de sujet –, c’est qu’elle dispose de données scientifiques qui vont dans ce sens.

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.

M. Cyril Pellevat. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ces éléments. Nous attendons évidemment que la France défende cette position. Vous êtes venu en Haute-Savoie et avez bien vu l’impact de la prédation.

Dans les précédents plans Loup, le seuil de viabilité était estimé à 500 bêtes. Aujourd’hui, le nombre de loups, même s’il faut faire attention à la manière de les compter, est au moins le double !

Il est extrêmement important d’envoyer un signal positif à l’agropastoralisme et à nos agriculteurs qui, aujourd’hui, souffrent beaucoup sur le terrain.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars.

M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord saluer l’initiative de Dominique Estrosi Sassone. Comme je suis le dernier intervenant et que beaucoup de choses ont été dites, je ne reprendrai que quelques éléments et ne poserai que deux questions.

Le nombre de loups présents en France s’élève à 1 104, alors que le seuil de viabilité démographique est fixé à 500. Le plan Loup 2018-2023 a donc atteint ses objectifs de protection de l’espèce : la population s’est accrue et son aire de présence s’est étendue.

Le loup n’est donc plus menacé de disparition. Cinquante-cinq départements ont été touchés par des prédations et, chaque année, on recense davantage d’attaques et davantage de victimes du loup.

Le plan Loup qui vient de s’achever présente donc un bilan défavorable pour ce qui concerne les activités d’élevage, mais aussi la santé physique et psychologique des éleveurs, soumis au stress induit par la présence du loup.

Les effets néfastes liés à la présence du loup – abandon des pâturages et moindre reprise des exploitations – commencent à se manifester. C’est le cas en Aveyron, où deux zones de présence permanente sont référencées : le plateau de l’Aubrac et le plateau du Larzac. Je rappelle qu’il y a 220 000 vaches et 1 million de brebis en Aveyron.

Je salue à cet égard le travail réalisé conjointement, dans mon département, entre les éleveurs, les organisations professionnelles, le préfet de l’époque, les services du ministère de l’agriculture et l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) pour imaginer un plan de lutte. Je salue aussi l’installation d’une brigade « grands prédateurs » à Rodez.

Cela étant, il est nécessaire de prendre un certain nombre de mesures : maintenir et étendre les zones difficilement protégeables ; autoriser les éleveurs formés à utiliser des armes dotées de lunettes à visée nocturne ; permettre le prélèvement de meutes entières sur les zones de reproduction du loup ; revoir le statut des lieutenants de louveterie – pour ce faire, nous pouvons nous appuyer sur l’exemple des sapeurs-pompiers volontaires.

Monsieur le ministre, vous avez en outre rappelé un autre élément essentiel : la modification du statut de protection du loup au titre de la convention de Berne.

L’Aveyron a été actif sur cette question du loup. Que pensez-vous, monsieur le ministre, de cette expérience particulière dans mon département ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. S’agissant de ma dernière intervention, je veux d’abord remercier Mme Estrosi Sassone d’avoir pris l’initiative de ce débat.

Nous devrons être vigilants et faire en sorte que le plan Loup 2024-2029, en particulier dans ses actions de simplification, se déroule dans les conditions prévues.

Je compte aussi sur vous pour nous aider à résorber toute une série de contraintes qui viennent s’ajouter aux difficultés et qui nous empêchent parfois de tenir nos promesses et engagements.

Monsieur le sénateur Anglars, vous avez raison, des zones comme l’Aveyron sont des fronts de colonisation, même si le loup y est présent depuis un certain temps. C’est notamment dans ce type de zones que les filières, qui étaient très bien organisées avant le développement des prédations, peuvent être déstabilisées.

Je n’entre pas dans le détail, mais tout ce que vous avez évoqué procède clairement de la question du statut de l’espèce : les contraintes ne sont pas les mêmes selon le statut qui est retenu.

Ensuite, pour protéger les éleveurs, nous devons développer la formation. D’ailleurs, rien n’empêche certains d’entre eux de devenir lieutenants de louveterie – il y en a dans mon département –, même si le prélèvement d’une espèce strictement protégée ou simplement, si je puis dire, protégée reste un exercice particulier.

Permettez-moi enfin d’évoquer le travail que nous menons avec les éleveurs, les organisations professionnelles et les services de l’État dans toute leur diversité – les directions départementales des territoires, l’OFB, etc.

Cette question est très compliquée à traiter, et chacun essaie d’y mettre du sien, même si cela est parfois source de conflits. Je tiens d’ailleurs à saluer toutes celles et tous ceux qui travaillent au quotidien auprès des éleveurs et s’efforcent d’atténuer – cela a été dit – leur détresse psychologique. Ce que font les agents de l’OFB, notamment lorsqu’ils s’efforcent d’expliquer la méthode utilisée pour compter les loups, est remarquable de ce point de vue.

Ces agents ont pour rôle de faire respecter les règles que nous avons définies dans le cadre des différents plans Loup. Ce n’est donc pas eux qu’il convient de vilipender : c’est au Gouvernement qu’il faut s’adresser si l’on estime que l’on n’a pas agi comme il le faudrait.

Nous voyons le chemin qui reste désormais à parcourir : révision du statut, déploiement du plan Loup et simplification dans un certain nombre de domaines, tout cela pour rétablir la confiance des éleveurs dans les zones concernées – c’est au fond le plus important.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Jean Bacci, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bacci, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, assurer l’avenir du pastoralisme, c’est rappeler qu’il est un vecteur de développement économique contribuant à notre objectif de souveraineté alimentaire et à la valorisation de nos territoires.

Face à la prédation du loup, les appellations d’origine contrôlée (AOC) sont particulièrement concernées, qu’il s’agisse de l’agneau de Sisteron ou des filières laitières savoyardes.

À ce titre, le plan national d’actions sur le loup et les activités d’élevage prévoit la possibilité, dans les territoires de forte prédation, d’autoriser des tirs dérogatoires sans attaque préalable et sans mise en œuvre de moyens de protection, mais aussi de faciliter le recours aux tirs de défense simple. Je salue cette position politique, d’autant qu’elle est courageuse à l’épreuve d’un certain nombre de procédures judiciarisées.

Terres d’estives, de transhumances, nos territoires doivent acquérir un statut de zones pastorales, qu’il faut inscrire dans nos documents d’urbanisme.

Le sylvopastoralisme contribue, face au risque d’incendie, à protéger la forêt en diminuant la biomasse, réserve de combustible et, dans une période de changement climatique, à réduire la proportion des jeunes pousses confrontées à la concurrence issue du stress hydrique. Quel paradoxe de constater que nos éleveurs ont besoin d’espaces de pâturage et qu’ils doivent, dans le même temps, abandonner des zones où le risque de prédation est trop important !

Est-il nécessaire de rappeler la problématique du conflit des usages consécutif à la pratique des activités de plein air en présence de chiens de protection des troupeaux ?

Cette situation contraindrait l’accès aux estives si nous n’engagions pas une campagne d’information digne de ce nom, à des heures de grande écoute, relayée par la présence de médiateurs à proximité des zones de pâturage dans les périodes de forte affluence touristique.

Nous subissons un traitement déséquilibré de l’information dans les médias : quand le loup attaque un troupeau et tue des dizaines de bêtes, nous tournons la tête pour éviter de voir les images insoutenables des carnages.

La problématique de la prédation est bipolarisée, coincée entre des positions partisanes, car idéologiques, et des enjeux qui ne sont plus à démontrer. La position de l’État ne doit souffrir d’aucune ambiguïté : elle ne peut plus être consensuelle par peur du procès. Elle doit être le reflet d’une réalité des territoires éprouvée par les hommes qui y vivent ; je pense plus particulièrement aux cinquante-cinq départements colonisés.

Trop souvent prévaut le sentiment d’un déficit de confiance à l’endroit de notre administration. Un établissement public doit adopter une position ne laissant aucune place aux postures militantes, qui compromettent les principes de neutralité, d’objectivité ou d’impartialité indispensables à l’exercice des missions de police.

Le plan Loup nous offre pour la première fois l’occasion d’aborder la question de la maîtrise de la population des loups. Qu’il s’agisse du comptage, du recensement des attaques, du traitement des indices collectés ou du délai nécessaire à l’autorisation des tirs, la question se pose véritablement de la crédibilité des opérateurs et de la fiabilité des indications. D’ailleurs, peut-être faudra-t-il un jour mener toutes les études d’impact nécessaires à l’analyse des conséquences de la présence du loup sur la biodiversité ?

La modification du statut du loup est engagée, et je ne peux que soutenir votre volonté, monsieur le ministre, de porter le débat au sein de la Commission européenne, afin que soient modifiés le texte de la convention de Berne et celui de la directive Habitats.

Le chemin est long et l’issue incertaine, mais, en droit, les États fixent souverainement le taux de prélèvement sur le fondement de la démonstration objectivée de la conservation de l’espèce.

En conclusion, je ferai référence aux propos tenus par mon collègue Laurent Duplomb le 20 décembre dernier. Dans cette « chronique d’une histoire annoncée », il avait cité la présidente de la Commission européenne, laquelle avait affirmé : « La concentration de meutes de loups dans certaines régions d’Europe est devenue un véritable danger pour le bétail et, potentiellement, pour l’homme. »

J’illustrerai cette phrase en vous narrant deux faits divers varois qui ont eu lieu au cours des quinze derniers jours.

Je vais vous parler de Marc, chasseur varois que j’ai rencontré la semaine dernière, aux côtés de son maire, et qui a eu le malheur de croiser le chemin d’un loup, qui l’a attaqué. Les larmes lui sont venues aux yeux et sa voix a tremblé lorsqu’il a évoqué cette odeur de fauve qu’il ne parvient pas à oublier. Il m’a expliqué que, terrifié, il n’a eu que le réflexe de tirer en l’air, avec du petit plomb, pour le faire fuir et se protéger. La veille, dans le même secteur, le loup avait attaqué un troupeau et dévoré le patou qui le gardait, ce que l’OFB, bizarrement, semble vouloir oublier…

Conscient d’avoir évité le pire, Marc a décidé de prévenir la gendarmerie, car il s’inquiétait à la perspective que l’animal croise une famille en train de se promener. Et la machine administrative et judiciaire s’est emballée, folle d’absurdité. On lui fit peur, on l’intimida, on le traita d’affabulateur : le pire serait qu’il ait tué le loup !

Il m’a appris, dimanche matin, qu’il était convoqué par l’OFB pour tentative de destruction d’une espèce protégée. Il m’a également expliqué que, sur les caméras installées par le berger dont le troupeau avait été attaqué, on voit – comble de l’ironie ! – des loups tranquillement assis devant la clôture électrifiée, en train de choisir les bêtes dont ils allaient se délecter.

Second exemple, jeudi dernier, les loups ont attaqué un troupeau à 250 mètres du lycée agricole d’Hyères – quatrième ville du Var –, fréquenté par 1 700 étudiants. Imaginez l’émoi des parents dont les enfants étudient dans cet établissement !

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collège.

M. Jean Bacci. Il est grand temps de faire évoluer nos positions avant que ne se produise l’inéluctable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. Laurent Duplomb. Très bien !

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Face à la prédation du loup, comment assurer l’avenir du pastoralisme ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

7

Réforme du marché de l’électricité

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle qu’il nous faudra suspendre nos travaux au plus tard à dix-neuf heures quinze, afin de permettre à chacun de se rendre à la cérémonie des vœux de M. le président du Sénat. Je vous invite donc à respecter le temps de parole qui vous est imparti.

L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème « La réforme du marché de l’électricité ».

Dans le débat, la parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de vous adresser tous mes vœux, notamment de santé, et de vous souhaiter – pourquoi pas ? – une bonne année énergétique.

Depuis cinq ans, le prix de l’électricité n’a cessé d’augmenter en Europe. Cette hausse est due à plusieurs facteurs : la reprise de l’économie mondiale au sortir de la crise de la covid-19, la guerre lancée par la Russie contre l’Ukraine et les indisponibilités du parc électrique, nucléaire et renouvelable. J’en veux pour preuve qu’entre 2019 et 2023, le prix moyen du kilowattheure (kWh) est passé de 21 à 29 centimes, en hausse de 40 %, selon Eurostat.

Pour endiguer cette hausse, la Commission européenne a dévoilé, le 8 mars 2022, le plan REPowerEU, qui vise à rendre l’Europe indépendante des hydrocarbures russes avant 2030, et qui prévoit de ce fait d’optimiser l’organisation du marché de l’électricité.

Dans ce contexte, la Commission européenne a présenté, le 14 mars 2023, un paquet législatif comportant trois actes juridiques : un règlement améliorant l’organisation du marché de l’électricité, un règlement protégeant contre la manipulation du marché de gros de l’énergie, une recommandation sur le stockage de l’énergie. Cette réforme a fait l’objet d’un accord en trilogue le 14 décembre dernier.

Le 19 juin dernier, avec mon collègue Claude Kern, nous avons fait adopter une résolution commune à la commission des affaires européennes et à celle des affaires économiques. Le Sénat s’est donc positionné très clairement sur l’intérêt, mais aussi sur les limites de ce paquet.

Premièrement, la réforme du marché européen de l’électricité doit respecter le principe de complétude. Si elle permet le développement utile d’un marché de long terme, elle n’aura pas d’impact immédiat sur le marché de court terme ; en effet, elle ne remet pas en cause le principe du coût marginal, qui lie dans les faits le prix de l’électricité à celui du gaz. Il faut donc aller plus loin.

Deuxièmement, cette réforme doit atteindre l’objectif de neutralité technologique. Les contrats pour différence doivent couvrir toutes les facettes des projets nucléaires, de la construction des nouveaux réacteurs au fonctionnement de ceux qui existent. Il faut aussi qu’ils englobent toutes les sources d’énergies renouvelables, parmi lesquelles les concessions hydroélectriques.

Quant aux contrats d’achat d’électricité, ils doivent bénéficier aux énergies renouvelables comme au nucléaire. C’est essentiel pour respecter l’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui consacre le droit de tout État membre de définir son mix énergétique. À cet égard, je salue l’accord conclu lors du trilogue, qui est en cohérence avec les positions adoptées par le Sénat dans sa résolution européenne.

Troisièmement, la réforme doit viser la protection des consommateurs. Les États membres doivent bénéficier de toute latitude pour intervenir, bien au-delà des seules situations de crise. Il faut aussi contrôler les fournisseurs, en leur appliquant des obligations prudentielles, pour prévenir tout risque de défaillance. Les consommateurs doivent bien sûr être protégés : il faut étendre les tarifs réglementés de vente, mais aussi préférer les contrats à prix fixe à ceux à tarification dynamique, et les diminutions de puissance aux interruptions de fourniture.

Quatrièmement, la réforme du marché de l’électricité ne doit pas revenir sur la répartition des compétences et respecter celles qui sont dévolues aux autorités nationales. Les principes de subsidiarité, d’indépendance et d’impartialité doivent s’appliquer. Il est donc malvenu que certains de leurs pouvoirs de régulation, mais aussi d’enquête et de sanction, puissent être transférés à une autorité européenne.

Enfin, cette réforme doit promouvoir le stockage de l’électricité, au-delà de sa production. Pour pallier l’intermittence croissante du système électrique, induite par l’essor des énergies renouvelables, et faire face à l’électrification massive des usages, nous aurons besoin de toutes les formes de stockage, de l’hydrogène aux batteries. C’est pourquoi il faut offrir un soutien approprié à ces projets.

Ainsi complétée, la réforme du marché européen de l’électricité est indispensable pour protéger les consommateurs contre la volatilité des prix des énergies, renforcer la compétitivité des entreprises européennes face à la concurrence internationale et financer les investissements dans la transition énergétique. Elle doit contribuer à atteindre les objectifs énergétiques et climatiques de l’Union européenne, notamment l’objectif de réduction de 55 % de ses émissions de CO2 d’ici à 2030 et la neutralité carbone d’ici à 2050.

Monsieur le ministre, le Gouvernement s’engage-t-il à défendre ces points d’ici à la fin de l’examen de ces textes ? Quand seront-ils introduits dans notre droit ?

Pour appliquer cette réforme du marché européen de l’électricité à notre pays, le Gouvernement a annoncé l’examen par le Parlement, dans les prochains mois, d’un projet de loi relatif à la souveraineté énergétique. Nous confirmez-vous le futur examen de ce texte dans le contexte très incertain du remaniement ? Il est attendu pour fixer notre cap énergétique.

Monsieur le ministre, je ne vous cache pas mon intérêt, mais aussi ma déception à la lecture de l’avant-projet : il ne comporte que deux articles programmatiques sur un total de seize articles. Or, lors de l’examen de la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, la commission des affaires économiques du Sénat a fixé le principe d’une loi quinquennale sur l’énergie. Ce faisant, nous avons souhaité, dans un secteur aussi stratégique que celui de l’énergie, consacrer la préséance du Parlement par rapport au Gouvernement, de la politique par rapport à la technique.

Aussi déplorons-nous les retards constatés dans l’examen du texte, car la loi quinquennale aurait dû être adoptée avant le 1er juillet 2023.

Nous regrettons également les lacunes du texte, car la loi quinquennale doit permettre de couvrir l’ensemble des objectifs requis, du mix énergétique à la rénovation énergétique. Les objectifs doivent courir jusqu’en 2033 pour l’énergie et 2038 pour le carbone.

En somme, le Gouvernement se contente d’actualiser les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de diminution de la consommation, renvoyant pour le reste au règlement. Pire, il prévoit l’abrogation pure et simple d’une dizaine d’objectifs, adoptés sur l’initiative de notre commission, en matière d’énergies renouvelables, d’hydroélectricité, d’hydrogène, d’agrivoltaïsme ou d’éolien en mer.

Pourquoi faire ainsi l’impasse sur les énergies renouvelables ? C’est incompréhensible au regard de nos engagements européens.

En ce qui concerne l’énergie nucléaire, si la construction de nouveaux réacteurs équivalant à six EPR 2 (Evolutionary Power Reactor) est envisagée d’ici à 2026, le reste est encore bien flou. Les délais, les technologies ou les financements ne sont pas détaillés. Que d’incertitudes, que d’insuffisances, à l’heure de la relance du nucléaire !

S’agissant de l’article substituant un versement nucléaire universel à l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique, il est indispensable de disposer, avant de légiférer, d’une étude d’impact étoffée, afin d’en mesurer les conséquences sur les prix pour les consommateurs, particuliers comme professionnels, et les recettes du groupe EDF.

Pour ce qui est de l’article autorisant le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur les concessions hydroélectriques, il est crucial de connaître l’intention du Gouvernement. La Commission européenne est-elle prête à passer d’un régime de concession à un régime d’autorisation, pour mettre fin au contentieux impliquant le groupe EDF ?

Et pourquoi déstabiliser, à travers cet article, la concession de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), qui a été prorogée de vingt ans par la loi du 28 février 2022 relative à l’aménagement du Rhône, sous l’égide de notre commission ?

Pouvez-vous nous apporter les précisions qui s’imposent ? Entendez-vous corriger le tir avant le dépôt du texte ? À défaut, nous y veillerons. La décarbonation de notre économie suppose en effet, pour réussir, la définition d’objectifs clairs et des moyens suffisants. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)