Mme Dominique Vérien. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jérôme Darras, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a souligné mon corapporteur, ce budget de la gendarmerie, qui est en augmentation notable, respecte l’engagement pris dans le cadre de la loi de programmation.
Toutefois, cette hausse des crédits, certes, bienvenue trouve une part de son origine dans des mesures principalement interministérielles, en quelque sorte extérieures à la construction du budget, qui, ajoutées à l’inflation, pèsent près de 400 millions d’euros.
Si la progression des effectifs est bien financée, elle se paie sur d’autres postes budgétaires.
Au même titre que l’investissement immobilier, le renouvellement de la flotte de véhicules légers est en panne, avec seulement 500 véhicules acquis, alors que 3 700 seraient nécessaires pour rajeunir le parc. Après les années favorables de 2020 à 2022, nous sommes clairement revenus à une tendance baissière qui ne pourra pas perdurer.
Il y a cependant une bonne nouvelle : l’arrivée des cinquante-huit derniers blindés Centaure, qui remplacent progressivement les vieux véhicules à roues de la gendarmerie, mis en service en 1974.
Les dépenses de fonctionnement demeurent stables, ce qui, compte tenu de l’inflation, constitue une baisse en valeur. Le fonctionnement courant lié à l’agent est ainsi en diminution de 19,4 %. Presque tous les postes sont affectés : la baisse des dépenses de formation, à –35 %, n’envoie pas un bon signal alors que la gendarmerie a l’ambition de recruter massivement et que ses missions évoluent.
De même, les dépenses de fonctionnement liées aux moyens mobiles sont particulièrement touchées, alors que les effectifs s’accroissent, en contradiction avec la doctrine de « l’aller vers ».
Avec ces coups de rabot, nous sommes loin de la logique vertueuse de programmation pluriannuelle, comme l’a souligné la Cour des comptes.
Je terminerai mon propos en évoquant l’emploi de la réserve opérationnelle. L’appui de la réserve sera indispensable au cours de l’année 2024, lors de laquelle 12 000 à 14 000 gendarmes devraient être mobilisés sur une courte période à l’occasion des jeux Olympiques. Mais dans quelles conditions les renforts seront-ils mobilisés et les réserves employées ?
La perspective risque d’être peu motivante, au vu des difficultés de logement caractéristiques de la région parisienne, qui seront amplifiées par l’événement. L’audition du directeur général de la gendarmerie nationale par notre commission n’a pas permis de lever toutes les incertitudes.
Cette question dépasse les échéances de court terme. Entre les événements exceptionnels, les catastrophes naturelles qui se multiplient et des formes de contestation de plus en plus difficiles à maîtriser, les gendarmes ont parfois le sentiment de ne plus pouvoir assumer leurs missions du quotidien.
À l’heure où tous les corps militaires sont confrontés à des difficultés de recrutement et de fidélisation, il est indispensable de s’assurer que les jeunes gendarmes comprennent le sens de leur mission et ne doutent pas de disposer des moyens de la remplir pleinement.
Je formulerai, à l’instar de mon corapporteur et de notre commission, un avis favorable sur l’adoption des crédits de ce programme : ne pas voter des crédits en augmentation marquerait un manque de soutien à notre gendarmerie. Mais la soutenir, c’est aussi lui donner à l’avenir tous les moyens d’exercer pleinement l’ensemble de ses missions. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis, en remplacement de M. Henri Leroy, rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Dominique Vérien et M. Olivier Bitz applaudissent également.)
Mme Françoise Dumont, en remplacement de M. Henri Leroy, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des lois a émis un avis favorable sur l’adoption des crédits de la mission « Sécurités ». Il me revient de vous les présenter au nom de notre collègue Henri Leroy.
Ce projet de loi de finances est en effet globalement conforme à la programmation adoptée par le Parlement dans le cadre de la Lopmi. IL va donc dans le bon sens, car il permet de mettre en œuvre pour la deuxième année une programmation conforme aux besoins et aux attentes tant des forces de l’ordre que de nos concitoyens en matière de sécurité.
La commission a toutefois assorti de quatre principales réserves son avis favorable sur l’adoption des crédits.
La première est due, dans l’exécution des budgets 2023 et 2024, aux effets de l’inflation. La Lopmi a été élaborée avant la survenue de ce phénomène, qui n’a pas conduit à revaloriser les budgets décidés. La police et la gendarmerie nationales vont donc devoir participer à l’effort national de rationalisation des dépenses, mais cela ne devra pas porter préjudice à la capacité des forces à faire face aux échéances de 2023 et 2024.
La deuxième tient au fait que l’exercice 2024 sera particulier pour les forces de sécurité intérieure, compte tenu des importants défis organisationnels et sécuritaires qui devront être relevés, s’agissant en particulier de l’organisation et de la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques à Paris et sur trente-sept autres sites.
Toutefois, nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure d’estimer le coût de sécurisation de ces jeux, ce qui, compte tenu des difficultés de pilotage des dépenses, constitue inéluctablement un facteur de tension sur les crédits alloués aux deux forces, particulièrement en fin de gestion.
La troisième réserve porte sur la nécessaire diminution de la part des dépenses de personnel dans les dépenses totales de ces deux programmes. Une telle dépendance à la sous-consommation des crédits de personnels n’est pas souhaitable. Une évolution structurelle est nécessaire, et la commission des lois s’y montrera attentive.
Enfin, notre dernière réserve porte sur l’évolution divergente des crédits hors titre 2 entre les deux forces, qui sont pourtant confrontées à des difficultés similaires et à une surcharge d’activité du même ordre. Un tel décrochage ne peut être que temporaire et doit faire l’objet de mesures de rééquilibrage dès l’année prochaine au profit de la gendarmerie nationale ; nous y serons vigilants. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des lois a donné un avis favorable sur l’adoption du programme 161, relatif aux moyens nationaux de la sécurité civile.
Nous saluons la continuation des efforts engagés depuis l’année dernière, afin de soutenir les services d’incendie et de secours et de procéder au renforcement de la flotte aérienne de la sécurité civile. Les terribles incendies de l’année 2022 auront au moins permis une salutaire prise de conscience quant à la nécessité d’adapter nos moyens de lutte contre les incendies de forêt aux défis qu’engendre le changement climatique.
Cette année encore, malgré un été pluvieux sur une large partie du territoire – cela a permis de contenir le nombre d’hectares brûlés dans la moyenne des vingt dernières années –, nous avons observé une extension de la période des feux, qui apparaît moins cantonnée aux seuls mois de juillet et d’août.
Nous assistons donc depuis plusieurs années à une transformation des risques, qui exige des réponses. Je souhaite rappeler à ce titre que le Sénat est particulièrement mobilisé pour accompagner tous les acteurs de la prévention et de la lutte contre l’incendie, comme l’illustre notamment la promulgation récente de la loi, d’initiative sénatoriale, du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie.
C’est avec le même esprit de vigilance constructive que la commission des lois a abordé les crédits du programme 161 pour l’année 2024, qui affichent un maintien des autorisations d’engagement à un niveau élevé et une hausse significative des crédits de paiement. Nous nous réjouissons de la bonne avancée du renouvellement et de l’extension de la flotte d’hélicoptères H145, de l’accélération du programme NexSIS 18-112, qui va être déployé dans vingt départements l’année prochaine, ou encore de l’engagement de nouveaux crédits de paiement consacrés aux pactes capacitaires, qui permettront de soutenir les services d’incendie et de secours, afin de renforcer leur flotte de camions-citernes.
Cette satisfaction est néanmoins obérée par plusieurs vives préoccupations. En témoignent les deux amendements que nous avons déposés, concernant, l’un, l’engagement présidentiel de doter la France de deux hélicoptères lourds, l’autre, le calendrier de consommation des crédits dédiés aux pactes capacitaires. J’y reviendrai lors de la discussion des amendements.
Outre ces deux points, nous regrettons en particulier l’opacité qui caractérise la commande des seize nouveaux canadairs. Nous comprenons qu’il existe des difficultés de production liées à la situation monopolistique du constructeur. Il convient cependant que la parole publique, en particulier celle du Président de la République, soit suivie d’effets et que les éventuelles difficultés soient recensées avec transparence.
À ce titre, nous appelons à la mise en œuvre intégrale des annonces du Président de la République du 28 octobre 2022, incluant aussi bien le plan d’extension de la flotte que le plan de renouvellement des douze appareils actuels. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Dominique Vérien applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Louis Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Louis Vogel. Madame la ministre, qu’il me soit permis de le demander d’emblée : qui souhaiterait actuellement être à votre place ? Les enjeux et les attentes liés aux sécurités n’ont jamais été aussi importants.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. C’est vrai !
M. Louis Vogel. Vous connaissez le conseil d’Alexandre Dumas : « Si tu es ministre, souviens-toi qu’on se tire de tout avec ces deux mots : savoir agir. »
Savoir agir, madame la ministre, cela signifie faire face aux défis, prioriser les actions, penser l’avenir.
M. Louis Vogel. Quels sont les défis ? Tant de violences ont émaillé l’année qui s’achève, pendant laquelle nos forces de sécurité ont été mises à rude épreuve.
En plus d’assurer la sécurité au quotidien, les forces de l’ordre doivent protéger nos concitoyens contre la menace djihadiste toujours active, qui rend particulièrement délicate la sécurisation des grands événements ; le rapporteur spécial y a fait allusion.
À cela s’ajoute le fait que la France, comme tous ses partenaires européens, fait face à une augmentation des flux migratoires, notamment irréguliers. Surveiller les frontières et éloigner les étrangers qui doivent quitter notre territoire sont deux missions qui requièrent de plus en plus de personnel.
Face à ces défis, quelles sont les actions du Gouvernement ?
D’abord, il propose un budget du ministère de l’intérieur qui augmente de 22 %. Le groupe Les Indépendants se réjouit de cette hausse importante.
Ensuite, il renforce la présence policière sur le terrain, ce qui est fondamental pour nos concitoyens.
La Lopmi prévoit ainsi la création de 200 brigades de gendarmerie et de onze unités de force mobile, et nous visons toujours l’objectif de création de 8 500 postes de policiers et gendarmes d’ici à 2027.
L’emploi de la réserve opérationnelle implique aussi que celle-ci dispose de locaux et de matériels. Il faut que l’intendance suive. Ce budget le prévoit.
Enfin, le développement technologique rend essentiel l’achèvement du déploiement du numérique au sein de nos forces. Ce budget l’acte.
À ces questions classiques s’ajoutent deux préoccupations plus récentes : la lutte pour la sécurité routière et la lutte contre les conséquences du dérèglement climatique.
D’abord, je rappellerai que nos concitoyens victimes d’accidents de la route sont chaque année trois fois plus nombreux que les victimes d’homicides. Il faut que cela cesse. Notre pays avait réussi à réduire significativement ce tribut annuel au cours des dernières décennies. Nous ne pouvons pas nous satisfaire que ce chiffre stagne voire reparte à la hausse. De ce point de vue, nous nous réjouissons que des efforts soient consentis en matière d’éducation à la sécurité routière.
Ensuite, les crédits que nous examinons doivent nous permettre de lutter contre les conséquences les plus immédiates du dérèglement climatique. Les départements du nord de la France sont confrontés à des inondations d’ampleur depuis de longues semaines. Chaque année, les feux de forêt font partir des centaines d’hectares en fumée. La réduction des surfaces brûlées, qu’il faut souligner, montre l’efficacité de nos services, mais l’accroissement du nombre de départs de feux rend leur mission de plus en plus difficile ; il faut en tenir compte.
Conscient de ces enjeux, le Gouvernement a accru les fonds consacrés à la protection de nos concitoyens, qui sont en progression cette année.
Parce qu’il faut savoir agir, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de l’adoption de ces crédits. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – M. Michel Masset applaudit également.)
M. Bruno Belin, rapporteur spécial. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, ce budget pour 2024 s’inscrit dans la lignée de la Lopmi, avec une hausse des crédits.
C’est une nouvelle à saluer. Reste à savoir si cela sera suffisant au regard des forts enjeux sécuritaires de 2024 ; je pense évidemment aux jeux Olympiques, mais également au contexte inflationniste, que nous connaissons tous.
Ce budget prévoit le renforcement des effectifs des réserves opérationnelles des deux forces, la création de 8 500 postes et, enfin, l’instauration de 200 nouvelles brigades de gendarmerie et de 11 nouvelles unités de force mobile.
Madame la ministre, sur ce dernier point, j’ai fait mes devoirs. Je suis allée voir comment cela se traduisait sur le terrain, dans mon département. Je ne vous cache pas ma déception !
Dans l’Yonne, c’est simple : il y aura, en tout et pour tout, quatre gendarmes de plus. En effet, nous étions censés accueillir trois brigades nouvelles. Or, en réalité, l’une d’entre elles est juste renommée, soit six gendarmes et aucun en plus ; une autre, fixe, devient mobile, passant ainsi de huit à six, soit deux de moins ; une seule est effectivement créée, soit six gendarmes de plus. Mais, six gendarmes de plus et deux gendarmes de moins, cela fait quatre gendarmes de plus seulement, et non pas dix-huit, comme on aurait pu l’imaginer au départ !
Madame la ministre, c’est un joli coup de communication, mais sur le terrain, cela ne va pas tant nous aider que cela !
J’espère me tromper, tant l’actualité récente nous rappelle la nécessité de renforcer les effectifs de forces de sécurité intérieure, dans la rue comme pour mener des enquêtes, y compris dans les zones rurales.
Ensuite – vous connaissez mon penchant pour le sujet –, j’espère que ce budget sera également l’occasion d’une poursuite des efforts dans le traitement des violences intrafamiliales (VIF).
En l’occurrence, nos policiers et nos gendarmes sont en première ligne.
Un dépôt de plainte n’est jamais un moment agréable, quel qu’en soit le motif, mais pour une victime de violences conjugales, c’est un moment particulier, un instant de bascule, souvent le fruit d’une longue réflexion, avec énormément de doutes et d’hésitations.
Il suffit que l’accueil en gendarmerie ou en commissariat ne soit pas à la hauteur pour que la victime renonce et se retrouve dans une situation potentiellement dangereuse pour elle.
Certes, madame la ministre, je reconnais bien volontiers les efforts de ces dernières années. Mais ils sont inégalement répartis sur le territoire et une victime joue à la roulette russe : tout peut très bien se passer si elle tombe sur un policier formé, mais elle peut être renvoyée à sa triste condition avec un policier qui ne l’est pas. Les formations doivent donc se poursuivre.
Je souhaite également insister sur le besoin de généraliser le recours aux intervenants sociaux en gendarmerie et en commissariat. Il s’agit d’une aide précieuse. Ces personnels participent à l’accompagnement des victimes, mais ils les orientent aussi vers la plainte et aident ainsi les forces de sécurité intérieure dans leur travail.
Malheureusement, leur financement est difficile à mettre en place, très variable d’un département à l’autre, et cela demande une énergie folle de le trouver !
À ce sujet, je vous rappelle que l’une des préconisations du plan rouge VIF est d’établir un cofinancement de l’État et du département à hauteur de 50 %.
Comme présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, j’insisterai sur un autre sujet : dans la perspective des jeux Olympiques de 2024, on voit apparaître des offres packages proposant aux clients le voyage à Paris et une prostituée pour les accompagner.
La France est un pays abolitionniste, ce qui n’est pas le cas de tous. Ceux qui organisent ces voyages ne sont pas tous Français. Et même quand ils le sont, ils ignorent la loi de 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées. Aussi, nous avons un important travail à mener pour que ces dispositions soient appliquées, d’autant plus qu’elles ont déjà du mal à être respectées sur l’ensemble du territoire national. Il y a un véritable risque de dérive.
M. Jérôme Durain. Très bien !
Mme Dominique Vérien. Cela étant, le groupe Union Centriste votera ces crédits.
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je suis très heureuse que les trois sénateurs Vogel s’expriment ce soir à la tribune : ce n’était encore jamais arrivé ! (Sourires.)
M. André Reichardt. Des oiseaux en escadrille ! (Nouveaux sourires.)
Mme Mélanie Vogel. Pour mon groupe, Écologiste – Solidarité et Territoires, le budget de la mission « Sécurités », que nous examinons ce soir est peu satisfaisant, car il ne permet pas d’engager les changements structurants dont nous aurions pourtant si urgemment besoin.
Certes les crédits finançant la sécurité routière, la sécurité civile, la gendarmerie nationale et la police nationale seraient augmentés de 1,2 milliard d’euros. Mais cette hausse est mal ciblée, témoignant d’un manque de vision d’ensemble.
Je commencerai par le programme 161 « Sécurité civile ». Si l’on tient compte de l’inflation et d’une modification du périmètre de la mission, les moyens pour la sécurité civile diminuent.
L’adoption d’un amendement du Gouvernement, déposé in extremis à l’Assemblée nationale, permet tout juste de financer l’achat de nouveaux camions-citernes, de renouveler la flotte des hélicoptères et de créer une nouvelle unité d’intervention et d’instruction.
Mais ce n’est rien qu’une goutte d’eau dans l’océan, car les besoins d’investissement sont énormes. En effet, le matériel de la sécurité civile est vieillissant, comme la flotte des canadairs, vieille de 25 ans. Ne serait-ce que pour garantir un niveau de protection constant, il est indispensable de renouveler le matériel.
Or nous ne pouvons pas nous borner au seul renouvellement du matériel existant. Vous le savez, les sollicitations de la protection civile montent en flèche sous l’effet de la crise climatique. Comme l’on n’est pas franchement en train d’agir contre la crise climatique, l’ampleur des catastrophes ne va pas diminuer à court terme.
Aussi, nous devons concevoir une stratégie holistique pour anticiper et minimiser ainsi les conséquences du changement climatique.
Par exemple, dans les Hauts-de-France, qui ont été touchés par des inondations extrêmement fortes amplifiées par la tempête Ciaran, cette stratégie devrait être double. D’une part, il faudrait adapter les infrastructures en élargissant les digues ou en renouvelant les wateringues, qui servent à évacuer l’eau plus rapidement vers la mer. D’autre part, il faudrait aussi recruter et investir dans les moyens techniques de la protection civile, par exemple pour acheter des engins de pompage.
L’adaptation au changement climatique a besoin d’argent, argent que nous cherchons en vain dans le présent projet de loi de finances.
J’en viens aux programmes 176 « Police nationale » et 152 « Gendarmerie nationale ». La hausse des budgets, environ 5 %, serait presque entièrement consommée par les salaires des 2 184 agents supplémentaires que le Gouvernement souhaite recruter, tandis que les dépenses d’investissement baisseraient de 11,7 %.
On le voit bien, l’équation est insoluble : un recrutement entraîne mécaniquement une hausse des frais de fonctionnement, mais il doit aussi aller de pair avec l’élargissement de l’offre de formation. S’il y a plus d’agents, il faut plus de formation.
Cet été, la Cour des comptes a rappelé les capacités limitées des écoles de police et a alerté précisément sur le fait que même des recrutements massifs ne permettent pas de résoudre des « difficultés structurelles ».
En réalité, il est proposé d’économiser sur la formation des forces de l’ordre ! Or, madame la ministre, si vous recrutez sans former, vous aurez, certes, plus de forces de l’ordre présentes dans les rues, mais il s’agira d’agents mal préparés, ce qui est extrêmement dangereux ! Économiser sur la formation est une erreur ; il faut au contraire la renforcer !
L’un des autres problèmes est que nous avons la police et la gendarmerie les plus meurtrières d’Europe en moyenne. (M. Olivier Bitz le conteste.) En Allemagne, il y a eu un mort en dix ans pour refus d’obtempérer contre un par mois en France depuis deux ans.
Notre police tue, par tir, 377 % de plus qu’au Royaume-Uni. On peut dire ce que l’on veut, mais il faut régler ce problème. Cela doit passer par davantage de formation et par la mise en place d’une nouvelle doctrine de maintien de l’ordre, qui doit être fondée sur la désescalade et la prévention.
Ce n’est pas un hasard si, dans certains pays, il y a un mort tous les dix ans contre un tous les mois en moyenne en France. Aussi longtemps qu’aucune stratégie globale d’apaisement, visant à recentrer l’attention sur les victimes, ne sera pas déployée, les initiatives ponctuelles – elles peuvent être très positives – et les dispositifs spécifiques qui existent déjà, ici ou là, ne pourront guère porter leurs fruits.
Je salue les 260 intervenantes et intervenants sociaux dans les commissariats ou les 99 nouvelles maisons de protection des familles pour aider les victimes de violences intrafamiliales. Mais aussi longtemps que ces initiatives resteront isolées, leur mise en œuvre restera laborieuse.
Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Ian Brossat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, entendons-nous bien : examiner les crédits de la mission « Sécurités » est bien plus qu’un simple exercice comptable.
Le droit de vivre en sécurité et en tranquillité est un droit absolument fondamental ; c’est une conviction forte du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. D’ailleurs, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen affirme dans son article XII que ce droit est garanti par l’existence d’une force publique « instituée pour l’avantage de tous » ; celle-ci doit être correctement financée.
Ainsi, et notre groupe en est convaincu, l’aspiration à la sécurité doit être une priorité, au même titre que le combat pour la santé, pour le logement ou pour les transports. Et l’action des fonctionnaires qui les font vivre au quotidien doit être saluée.
C’est pourquoi nous pensons que les moyens alloués à la police et à la gendarmerie nationales dans ce projet de loi de finances ne sont malheureusement pas à la hauteur des attentes des citoyens en matière de liberté et de tranquillité.
Regardons la réalité en face. Les promesses de la Lopmi, adoptée à la fin de l’année 2022, étaient grandes, puisque des moyens techniques renforcés et une pluie d’embauches ont été annoncés !
Aujourd’hui, force est de constater que le compte n’y est pas. Les programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » font, certes, état d’une hausse des crédits qui se traduira par la création de plus de 2 000 postes supplémentaires, mais le diable se cache dans les détails.
Nous avons tous en tête la note publiée au mois de juillet dernier par la Cour des comptes, selon laquelle la progression des crédits prévue dans la Lopmi « ne règle pas les difficultés structurelles des forces de sécurité intérieure ». Ces dernières rencontrent des difficultés croissantes de recrutement et une nette augmentation des départs et des démissions. En 2022, on a déploré 10 000 départs de policiers et 15 000 départs de gendarmes. En outre, la Cour des comptes met en évidence que les fortes ambitions affichées sur l’équipement et l’investissement ne trouvent pas de traduction suffisante dans la programmation.
J’ajoute, à l’instar de ma collègue Mélanie Vogel, que les lacunes en matière de formation sont persistantes. Le nombre d’heures de formation est annoncé comme étant « en hausse », mais le tableau présentant les éléments de synthèse du programme affiche des zéros dans la colonne des dépenses de personnel. Autrement dit, les promesses d’une meilleure formation pour nos policiers, dont le nombre augmente, ne se traduisent par aucun investissement concret.
Pourtant, les agents sont unanimes à demander des formations, notamment en matière de tir, et c’est positif.
En outre, les crédits alloués au fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR) n’augmenteront que de 3 %, à un moment où nous devrions y consacrer tous les moyens nécessaires, car – nous en sommes persuadés –, il vaut mieux essayer de prévenir que de réagir trop tard.
Nous déplorons par ailleurs que l’essentiel de ces crédits soit consacré à la vidéosurveillance. Nous croyons qu’il est primordial de s’attaquer aux causes et non aux seules conséquences, en privilégiant la prévention et la dissuasion.
Ce qui nous préoccupe le plus, c’est la persistance d’une grande souffrance au travail, qui nous presse d’améliorer significativement les conditions de travail des policiers et des gendarmes.
Depuis vingt ans, nous comptons plus de mille suicides parmi nos policiers. Chaque fois que l’on renonce à lutter contre ces suicides, chaque fois que l’on ne consacre pas de moyens à l’aide psychologique des agents qui en font la demande, c’est la démocratie qu’on abîme, c’est tout notre système qu’on empêche de fonctionner correctement.
Les crédits du programme 161 « Sécurité civile » n’augmentent que de 2,87 %, alors que le dérèglement climatique est à l’origine de catastrophes majeures. Cette augmentation nous paraît insuffisante. Il y a quelques jours, notre pays a connu des tempêtes équivalentes à celles de 1999. C’est pourquoi il nous semble crucial d’augmenter sensiblement les crédits accordés à Météo-France ; la période actuelle nous rappelle le rôle indispensable que cet établissement public joue.
Bien que le programme représente – nous le savons – une faible proportion de l’ensemble des crédits effectivement consacrés à la sécurité civile, je voudrais évoquer les Sdis.
Les incendies de l’an dernier ont mis en évidence le manque structurel d’effectifs de sapeurs-pompiers. Les sapeurs-pompiers et les présidents de département n’ont plus les moyens de faire face à la progression du nombre d’interventions.
À Paris, la brigade de sapeurs-pompiers, à laquelle je voudrais rendre hommage à cette tribune, connaît une hausse très importante du nombre de ses interventions.
À l’Assemblée nationale, le rapporteur spécial a alerté sur les crédits insuffisants du financement par l’État de la brigade. Nous avons d’ailleurs déposé un amendement en ce sens.
Vous l’aurez compris, c’est peu dire que nous ne partageons pas l’autosatisfaction du Gouvernement.
Par conséquent, notre groupe ne votera pas les crédits de cette mission, qui, malgré leur augmentation, ne sont pas suffisants. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)