M. le président. Nous passons à la discussion de la motion n° I-1666 tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d’une motion n° I-1666.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2024 (n° 127, 2023-2024).
La parole est à M. Éric Bocquet, pour la motion.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous entamons donc le débat sur le projet de budget pour l’année 2024. Alors que nous allons beaucoup parler de chiffres au cours des prochaines semaines – cela paraît logique –, nous faisons pour notre part le choix aujourd’hui de consacrer le temps de parole qui nous est alloué pour défendre cette motion à la vie des gens, au quotidien de nos concitoyens, à qui ce budget devrait apporter des réponses concrètes et efficaces.
Le mardi 14 novembre, le Secours catholique a publié son rapport annuel sur l’état de la pauvreté en France, dont les données sont absolument saisissantes : après la crise du covid, plus de 550 000 personnes ont basculé dans la pauvreté ; depuis, l’inflation galopante et la hausse des prix des denrées alimentaires ont encore aggravé la situation. Le taux de pauvreté atteint désormais 14,5 %, en progression de 0,9 point.
À ce moment du débat, nous souhaitons évoquer le cas concret de Chantal, dont l’histoire est relatée dans un article du journal Le Monde daté du jeudi 16 novembre dernier.
Âgée de 60 ans, Chantal raconte son existence. Elle fait partie des millions de personnes aidées chaque jour par les bénévoles du Secours catholique, du Secours populaire, des banques alimentaires, des Restos du cœur ou encore des épiceries solidaires.
Il s’agit pour nous non pas de sombrer dans le populisme ou dans la démagogie, mais bien de rendre compte de la réalité quotidienne de millions de nos concitoyens.
Quand Chantal a payé ses frais fixes, il lui reste 17 euros par jour pour vivre. Elle ne se plaint pas : « Je me dis toujours qu’il y a pire que moi », confie-t-elle. Comme 95 % des personnes aidées par le Secours catholique, elle se situe en dessous du seuil de pauvreté, fixé à 60 % du revenu médian, soit à environ 1 210 euros par mois.
Son parcours de vie est un peu chaotique : séparation d’avec son mari, cancer du sein. Après un licenciement et plusieurs années d’incapacité, elle a pu reprendre un emploi, à la condition de faire peu d’heures. Elle s’accorde quinze jours de congé par an, car cela signifie perdre une partie de ses 1 200 euros mensuels obtenus en cumulant pension d’invalidité, salaire, indemnité au titre de son assurance prévoyance et aide personnalisée au logement.
Chantal, qui n’a pas souhaité donner son nom de famille, reconnaît effectuer quelques heures de travail au black : « si je les déclarais, ma pension diminuerait », indique-t-elle. Son avenir l’inquiète aussi. Si elle prend sa retraite à 62 ans, sa pension ne dépassera pas 826 euros par mois : « Tant que je peux, je travaille. » Chaque sortie et chaque rentrée d’argent sont notées dans un carnet.
Examinons dans le détail les chiffres d’une vie précaire.
Chantal doit assumer 682 euros de frais fixes chaque mois : 242 euros de loyer pour son logement social, une fois déduite l’aide personnalisée au logement, 109 euros d’électricité, 77 euros de mutuelle, 52 euros d’assurance de sa voiture, 30 euros d’internet… Il lui reste 17 euros par jour pour assumer toutes les autres dépenses.
Elle attend les promotions, fait durer ses dix steaks hachés surgelés tout le mois ; elle a renoncé au poisson et aux fruits. Avec les quelques dizaines d’euros gagnés au noir, elle s’offre du tabac à rouler et des parties de loto le dimanche – l’on s’étonne parfois, mes chers collègues, de la fréquentation en hausse des lotos organisés par les associations dans nos communes.
Elle continue de verser les 21 euros mensuels de son assurance décès : « Comme ça, mes enfants ne paieront pas », dit-elle. En revanche, elle n’a pas les moyens de se payer un dentier, alors que les treize dents qui lui restent – conséquence de la chimiothérapie – la font atrocement souffrir. Elle se bourre de Doliprane bien au-delà des doses autorisées, mais Chantal est résiliente et force l’admiration. « Je ne suis pas à plaindre quand même : j’ai un toit et je suis entourée. »
Il y a quelque temps, sa voiturette sans permis est tombée en panne ; l’association l’a aidée à payer les réparations, d’autant qu’elle a perdu deux semaines de salaire, faute de pouvoir se rendre chez son employeur.
Chantal sait qu’elle n’a pas droit à l’erreur : « Une fois, j’ai fait ma déclaration pour la pension d’invalidité deux jours trop tard. Je n’ai rien touché pendant trois mois. » Aujourd’hui, elle a rejoint les bénévoles de la permanence alimentaire.
Je veux saluer la journaliste du Monde qui a écrit ce récit : Mme Claire Ané. Cette histoire singulière évoque d’autres cas, ils sont nombreux et nous en connaissons tous ; elle illustre parfaitement ce qu’est dans notre société une vie précaire.
Le pacte des solidarités présenté par le Gouvernement a fait réagir les associations de lutte contre la pauvreté : celles-ci dénoncent un manque d’ambition et déplorent l’absence de dispositions fortes pour lutter efficacement contre la pauvreté. Elles y voient un simple catalogue de mesures, dont beaucoup étaient déjà connues, assorties d’une petite rallonge budgétaire – heureusement ! – pour couvrir les besoins des associations alimentaires.
Malgré ce contexte de difficultés aggravées pour une très grande partie de la population, vous confirmez votre volonté de réduire la dépense publique à tout prix et vous persistez dans vos choix dogmatiques en refusant d’agir sur la fiscalité des plus aisés de notre pays, alors que les dividendes explosent. Ces options réduisent les capacités de l’État à agir pour répondre aux grands défis de notre temps.
À l’autre pôle de notre société, le paysage est très différent : quand notre témoin, Chantal, totalise 682 euros de frais fixes par mois, l’homme le plus riche du monde, notre compatriote Bernard Arnault, consomme 657 litres de gasoil par heure avec son mégayacht, lequel bénéficie, fort heureusement, d’une TVA à 0 % grâce aux contrats de transport internationaux.
Votre prédécesseur, monsieur le ministre, répétait à l’envi que la France n’était pas un paradis fiscal pour les plus riches. Même le magazine Challenges contestait cette affirmation dans son numéro annuel de juillet établissant le classement des 500 premières fortunes professionnelles de notre pays.
Pour la quasi-totalité de la population, le système fiscal français est progressif : le taux d’imposition augmente avec les revenus. En revanche, pour le sommet de la pyramide, à partir des 0,1 % les plus riches, il devient dégressif, chutant à 26 % pour les 0,000 2 % les plus fortunés, soit les 75 milliardaires identifiés.
L’essentiel des revenus de ces derniers provient des profits de leurs entreprises, taxés à un taux plus faible que celui de l’impôt sur le revenu. S’ils avaient été taxés à ce dernier taux, ces 75 milliardaires auraient payé 59 % d’impôt.
M. Jean Pisani-Ferry, inspirateur du programme économique du candidat Emmanuel Macron en 2017, prône la taxation du patrimoine des plus aisés pour financer notamment la lutte contre le changement climatique.
Monsieur Le Maire, vous semblez avoir enfin compris ce que sont les superprofits ; nous vous encourageons à progresser encore en décidant enfin de les taxer à la bonne hauteur.
Cette motion visant à opposer la question préalable doit également être entendue comme un appel à mener un combat résolu et déterminé à la recherche de recettes nouvelles, alors que vous ne vous intéressez qu’aux économies dans la dépense publique.
Deux rapports récents soulignent le manque de volonté politique pour lutter contre l’évasion fiscale.
Le premier, issu de l’Assemblée nationale, revient notamment sur les moyens humains nécessaires et relève la suppression de 2 500 emplois dans le contrôle fiscal entre 2013 et 2021.
Demandez aussi des comptes à nos partenaires européens, au Luxembourg, notamment, qui héberge 55 000 sociétés offshore, ou encore à Chypre, qui accueille volontiers, au sein de l’Union européenne, l’argent sale des oligarques russes en leur offrant avantages fiscaux, tolérance judiciaire et visas dorés.
Dans le second rapport, la Cour des comptes s’interroge sur l’efficacité de l’action de plus en plus importante de l’intelligence artificielle. Elle livre également une charge contre les indicateurs censés mesurer l’efficacité du contrôle fiscal, mais qui présentent « l’inconvénient de ne pas faire de lien entre modalités de ciblage, motifs de programmation et résultats ».
Messieurs les ministres, en matière de lutte contre l’évasion fiscale, il est grand temps de chausser les bottes de sept lieues !
Sur le sujet des recettes, la Cour des comptes a rendu un autre rapport fort intéressant en juillet dernier sur le pilotage et l’évaluation des dépenses fiscales, plus communément appelées niches fiscales.
On dénombre dans notre pays pas moins de 465 dispositifs fiscaux visant à réduire l’impôt, dont le coût total dépasse les 94 milliards d’euros. La Cour des comptes indique : « Leur concentration sur l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés et la TVA (90 % du montant des dépenses fiscales) affecte fortement le rendement de ces derniers, contribue à l’érosion des bases fiscales et fragilise la trajectoire de consolidation des finances publiques. »
En conclusion, la Cour indique : « Les programmes d’évaluation fixés par les dernières lois de programmation des finances publiques n’ont pas été respectés. Ainsi, aucune évaluation sur les onze prévues dans le programme de travail pour 2022 n’a été réalisée. Certains dispositifs, y compris à fort enjeu, n’ont en outre pas fait l’objet d’évaluation depuis dix ans. » On pourrait probablement inclure dans ces dispositifs le pacte Dutreil.
Certaines niches ont sans doute leur utilité, pour d’autres, il y a matière à investigation. Messieurs les ministres, quelles suites le Gouvernement entend-il donner à ce rapport, riche en propositions de recettes nouvelles ?
Notre motion tendant à opposer la question préalable vise à faire surgir dans nos débats l’état réel de notre société. Elle est aussi un appel à explorer des pistes nouvelles de recettes fiscales, qui pourraient nous éviter un recours massif à l’aggravation de la dette publique.
Le PLF 2024 doit, selon les mots de Bruno Le Maire, dégager 16 milliards d’euros d’économies « afin de permettre à la France d’entamer le processus de désendettement ».
Monsieur le ministre, qui peut sérieusement croire à cette fable, alors que vous avez d’ores et déjà décidé d’emprunter 285 milliards d’euros l’an prochain et que le total de notre dette a dépassé les 3 000 milliards d’euros ?
Non, décidément, ce projet de budget ne s’attaque pas radicalement aux grands maux de notre société. (M. Pascal Savoldelli et Mme Nathalie Goulet applaudissent.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Cher collègue, une bonne partie des dix minutes de votre intervention, soit une bonne moitié, a été l’occasion d’évoquer la « vraie vie » de certains de nos concitoyens. Vous avez à juste titre indiqué que chacun d’entre nous pourrait évoquer des situations similaires. Dans un second temps, vous avez replacé cet exemple dans une perspective plus large et ainsi contribué à notre débat.
Après vous avoir entendu, toutefois, je me réjouis que le Sénat ait choisi de débattre. Si votre motion était adoptée, le débat serait clos et ce projet de loi de finances ne ferait l’objet d’aucune discussion au Parlement. Nous ne pouvons nous permettre de prendre un tel risque pour notre démocratie.
Messieurs les ministres, ici, nous aimons travailler et nous travaillons sérieusement, même si nous ne partageons pas toutes vos positions – c’est le propre du débat public. Aussi, nous vous demandons de retenir plus de propositions du Sénat que cela ne fut le cas l’année dernière ; à défaut, la démocratie en sortirait diminuée et nous serions tous perdants. Le pouvoir exécutif national serait affaibli et la voix du Parlement ne serait pas entendue. Nous ne pouvons pas, je le répète, nous permettre de prendre un tel risque.
Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur la motion du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je comprends l’argument du rapporteur général : si nous votions cette motion de procédure, il n’y aurait aucun débat sur le projet de loi de finances.
Cependant, de quel débat parlons-nous ? Nous faisons face à un niveau d’endettement record de 285 milliards d’euros et à un déficit de 145 milliards d’euros. Nous acceptons cet état de fait, mais nous allons débattre d’un projet de loi de finances auquel 175 articles ont été ajoutés, sans véritable discussion, le texte ayant été adopté après recours au 49.3.
Il est, certes, de tradition au Sénat de respecter le travail de l’Assemblée nationale, mais quoi que nous décidions ici, le texte sera finalement adopté à l’Assemblée nationale, avec 175 articles supplémentaires, sans débat, grâce à l’article 49.3. Notre motion n’est donc pas un mouvement d’humeur ou une opposition de principe : simplement, les dés sont pipés.
Le rapporteur général a évoqué à juste titre l’examen au Sénat des précédents projets de loi de finances. À la fin, il n’est pas resté grand-chose de nos débats et des amendements que nous avions adoptés.
C’est parce que nous ne disposons pas au Sénat des moyens de censure de l’Assemblée nationale que nous avons déposé cette motion, afin de marquer un coup d’arrêt.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° I-1666, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances pour 2024.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 66 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 260 |
Pour l’adoption | 18 |
Contre | 242 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les jeux Olympiques et les jeux Paralympiques ont leurs épreuves de marathon ; au Sénat, nous avons le nôtre : le marathon budgétaire. Cette année, les sentiers s’annoncent escarpés et le parcours quelque peu rallongé.
Dans un contexte d’inflation, pas uniquement législative, alors que le taux de croissance pour 2024 est estimé à 1,4 %, les recettes de l’État pourraient connaître une hausse de 14 milliards d’euros par rapport à 2023. Cela témoigne d’un certain dynamisme et d’une bonne résistance de l’économie française face aux crises. Cette situation est non pas le fruit du hasard, mais bien la conséquence de décisions politiques prises depuis plus de cinq ans.
Ce dynamisme se poursuivra en 2024.
Avec une économie en essor, l’imposition minimale à l’impôt sur les sociétés rapportera 1,5 milliard d’euros par an à partir de 2026 et permettra de limiter la concurrence fiscale internationale. Il s’agit d’une victoire décisive pour la réindustrialisation de la France, grâce à l’engagement du Gouvernement.
Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé ce matin à la radio : ce budget représente la fin d’une époque, celle du « quoi qu’il en coûte ». S’il marque indéniablement une étape décisive dans la réduction du déficit, il n’en demeure pas moins que ses dépenses en font un projet résolument engagé pour le financement des services publics prioritaires, pour la transition écologique et, surtout, pour nos collectivités.
Nous le constatons tous : nos concitoyens ont des attentes fortes en matière de services publics.
Ce projet de loi de finances prévoit 3,3 milliards d’euros de plus pour l’armée, une augmentation de 5 % du budget de la justice et le recrutement de plus de 7 000 agents publics supplémentaires, dont 3 000 pour accompagner les élèves en situation de handicap, 1 900 dans les tribunaux et 2 600 dans la police.
Ce texte prévoit surtout 3,9 milliards d’euros en plus pour un secteur qui me tient à cœur en tant que fils d’instituteur : l’éducation nationale.
Face aux multiples difficultés, à commencer par le problème d’attractivité du métier d’enseignant, le projet de loi de finances pour 2024 permet de concrétiser la revalorisation historique de la rémunération des enseignants, mise en œuvre dès la rentrée scolaire 2023.
Cet effort inédit et sans condition se traduit par une augmentation de 100 euros net mensuels pour tous les enseignants, par une rémunération minimale de 2 100 euros en début de carrière, par la réforme du lycée professionnel ou encore par la hausse de la valeur du point d’indice de la fonction publique décidée par le Gouvernement en juillet dernier, dont les effets se feront ressentir en 2024.
L’année prochaine marquera donc une hausse historique de ce budget de 3,9 milliards d’euros, soit 6,5 % de plus par rapport à cette année, au service de la jeunesse de notre pays.
Mes chers collègues, Antoine de Saint-Exupéry l’écrivait avec sa limpidité singulière : « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants. » Face à l’urgence du dérèglement climatique, notre pays doit montrer l’exemple en agissant davantage, ce qui nécessite des moyens financiers supplémentaires.
En cohérence avec Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, qui estiment les besoins d’investissements à 60 milliards d’euros d’ici à 2030 dans leur rapport intitulé Les incidences économiques de l’action pour le climat, le Gouvernement fait sa part en consacrant un effort inédit de 7 milliards d’euros supplémentaires à la planification écologique, pour la seule année 2024.
Ces crédits supplémentaires permettront de financer, entre autres, la rénovation des logements et des bâtiments de l’État, des investissements dans le réseau ferroviaire, le développement de haies, les moyens dédiés au renouvellement forestier, le fonds vert, dont une partie sera consacrée au recyclage des friches.
N’oublions pas l’une des mesures fiscales les plus importantes de la première partie de ce PLF : la création du crédit d’impôt au titre des investissements en faveur de l’industrie verte. Cet outil, qui est attendu depuis l’examen de la loi relative à l’industrie verte, devrait permettre environ 23 milliards d’euros d’investissements et créer plus de 40 000 emplois directs sur le territoire national d’ici à 2030.
La planification écologique est en cours. Affirmer que rien n’est fait en ce sens relève, dans le meilleur des cas, de la mauvaise foi, dans le pire, d’un inquiétant déni de réalité.
Alors que notre institution est souvent surnommée la chambre des territoires et que le congrès des maires de France touche à sa fin, je dirai à présent un mot sur la situation financière des collectivités territoriales.
Si ce projet de budget marque la fin du « quoi qu’il en coûte », il ne signifie pas pour autant la fin de l’accompagnement de nos collectivités. Après avoir connu en 2023 sa première hausse depuis douze ans, la dotation globale de fonctionnement augmentera de nouveau de 220 millions d’euros.
L’assiette du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée a été élargie aux dépenses d’aménagement de terrains des collectivités territoriales. Le Gouvernement répond ainsi favorablement à une demande forte des élus locaux en consentant un effort supplémentaire bienvenu de 250 millions d’euros.
Enfin, mes chers collègues, la France doit avoir un budget, mais le Sénat peut l’affiner. C’est pourquoi, au nom du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, je défendrai plusieurs amendements concernant des sujets essentiels, notamment le dispositif de soutien à l’aide alimentaire.
Nous élargirons le dispositif de soutien aux éleveurs bovins. Nous proposerons d’abaisser le prélèvement sur les fonds de roulement des chambres de commerce et d’industrie (CCI) pour préserver leurs ressources ; de renforcer le dispositif d’aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales ; d’élargir le taux réduit de TVA et la créance d’impôt sur les sociétés pour le logement locatif intermédiaire ; de réduire, enfin, le taux de TVA à 5,5 % sur les préservatifs masculins et féminins.
Mes chers collègues, nous sommes prêts pour un débat enrichissant, respectueux et sans langue de bois. À ce sujet, j’ai en particulier à l’esprit la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises : on ne saurait à la fois regretter devant les chefs d’entreprise que celle-ci soit trop lente, et, devant les élus locaux, la déplorer ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour l’examen du deuxième projet de loi de finances de cette législature, sans que plane au-dessus de nous la menace de débats avortés par le recours au 49.3, ce dont je me félicite.
Ce projet de budget constitue un exercice vertigineux d’équilibriste, tant il mêle de problématiques presque antagonistes. Sa construction fait ressortir un « trilemme » entre transition écologique, cohésion sociale et austérité budgétaire.
Ce triangle d’incompatibilités démontre trois choses, tout d’abord que votre volonté chronique de baisser les impôts entre en collision avec celle de réduire le déficit public ; ensuite, que les investissements verts proposés sont loin de répondre aux objectifs de décarbonation ; enfin, que les baisses de dépenses publiques, à travers plusieurs pistes d’économies, fragilisent notre modèle social, en particulier pour les classes populaires.
Ce budget est aussi celui de tous les renoncements. L’année 2023 a été marquée par des débats de fonds structurels dans notre société : quelle place donner à l’héritage dans la lutte contre les inégalités de patrimoine ? Comment taxer de manière plus équitable les multinationales ? Comment lutter de manière plus efficiente contre la fraude fiscale ?
À nos questions hebdomadaires au Gouvernement, une même phrase nous a sempiternellement été répondue : « Nous traiterons ces sujets dans le prochain budget à l’automne. » Nous y sommes, et la déception est à la hauteur de l’espérance que vos plans de communication avaient suscitée !
Il est des renoncements qui sonnent comme des aveux, et que nous partageons avec vous : il en va ainsi de la suppression totale prévue dès cette année de la CVAE, finalement décalée à la fin du quinquennat, en 2027. Ce renoncement est la preuve que votre obstination dogmatique à baisser les impôts de production s’arrête net face au mur des réalités budgétaires ; il est symptomatique de la contradiction qui vous anime en la matière.
Disons-le franchement : soit l’on considère que cette suppression est nécessaire, car il s’agit d’un outil de relance économique, comme vous nous le répétez depuis six ans, et, dans ce cas, il ne faut pas perdre de temps.
M. Didier Rambaud. Mauvaise idée !
M. Thierry Cozic. Soit cette suppression est inutile et inefficace, et l’on peut donc attendre quatre années de plus.
Force est de constater que le choix qui est le vôtre fait office d’aveu, monsieur le ministre, car si, avec cette suppression, vous commencez à esquisser un début de prise de conscience de l’inanité de votre politique de l’offre, d’autres, rapport après rapport, se chargent de vous l’indiquer frontalement.
De France Stratégie à la Cour des comptes, tous aboutissent aux mêmes conclusions : maintenir l’impôt sur la fortune (ISF) aurait rapporté 6,3 milliards d’euros en 2022.
Si nous ne contestons pas que les entreprises sont là pour créer de la richesse, nous sommes au regret de vous rappeler que l’État est là pour créer de la justice, monsieur le ministre.
Cet argent pourrait financer de grands chantiers, car il n’en manque pas ! Nous estimons par exemple que la bifurcation écologique pour atteindre l’objectif de neutralité carbone devrait être au cœur du budget.
Les économistes Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, que le Président de la République a lui-même nommés, estiment qu’un investissement public à hauteur de 34 milliards d’euros est nécessaire. Au regard d’un tel montant, les 7 milliards d’euros supplémentaires que vous proposez d’allouer à la transition écologique dans ce budget semblent bien dérisoires.
Pour notre part, nous souhaitons contribuer à la recherche de financements. Nous vous proposerons donc d’émettre un avis favorable sur notre amendement visant à instaurer un ISF vert, comme le préconise d’ailleurs le rapport que je viens d’évoquer.
Votre incapacité à résoudre ce triangle d’incompatibilités vous pousse à l’improvisation constante. Vous aviez prévu 16 milliards d’euros d’économies, mais, au dernier moment, vous avez demandé aux oppositions et à votre majorité parlementaire relative de trouver 1 milliard d’euros d’économies supplémentaires.
Improvisation toujours, quand, à la défaveur d’une hausse des prix des carburants, la Première ministre a annoncé, sans avoir mené la moindre concertation, que les distributeurs vendraient le carburant à perte. Les enseignes ont beau se livrer à une virulente guerre des prix, leurs patrons ont opposé une fin de non-recevoir à la Première ministre. (Marques d’approbation.)
Le besoin en financement est colossal, et nous devons nous donner les moyens de trouver des recettes supplémentaires.
À cet égard, qu’en est-il de la lutte contre l’évasion fiscale ? Malgré un vaste plan antifraude annoncé en grande pompe avant l’été, les mesures sont loin d’être à la hauteur des enjeux. Cette cause devrait être prioritaire et donc massivement dotée de moyens humains, matériels et financiers, car elle recèle de colossales recettes potentielles.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Thierry Cozic. Nous défendrons des amendements en ce sens, car la politique fiscale visant à faire contribuer tout le monde à la hauteur de ses facultés contributives n’est pas votre mantra, monsieur le ministre.
L’exemple quasi caricatural en est votre volonté d’exonérer d’impôts les fédérations sportives. Alors que la Fédération internationale de football association (Fifa) a réalisé un chiffre d’affaires record de 7,6 milliards de dollars et qu’elle dispose de moyens substantiels, il ne paraît pas justifié qu’elle bénéficie d’une telle exemption.
Le Gouvernement ayant souhaité « responsabiliser les oppositions dans la construction du budget » en leur demandant de trouver 1 milliard d’euros d’économies, le groupe socialiste du Sénat tient à vous aider, monsieur le ministre, à trouver, non pas des économies, mais des recettes supplémentaires. Pour ce faire, nous avons besoin de vous.
Nous vous invitons donc à émettre des avis favorables sur les amendements de notre groupe visant à instaurer un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 40 %, un ISF vert, une taxation des superprofits… La liste est si longue que je ne peux pas être exhaustif.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’opposera à ce projet de budget, que nous jugeons inique, car il fait peser les efforts exclusivement sur les classes moyennes tout en favorisant les plus aisés de notre pays.
Seul un budget empreint de justice fiscale et sociale pourrait emporter notre vote. En l’état, nous en sommes très loin. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)