Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Nous demandons des efforts pour maîtriser nos comptes ; en contrepartie, nous devons tout mettre en œuvre pour lutter contre les fraudes. (M. Michel Canévet acquiesce.)
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. C’est un enjeu de cohésion sociale, c’est un enjeu de justice et de consentement à l’impôt.
Plusieurs mesures de ce projet de loi de finances nous permettront d’être beaucoup plus efficaces en la matière.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je pense tout d’abord au renforcement des effectifs dédiés à la lutte contre la fraude : avec 250 agents supplémentaires dès l’année prochaine, nous nous donnons les moyens de nos ambitions.
Je pense ensuite à l’arsenal législatif mis à disposition de ces services. Nous le renforçons, notamment en créant une sanction administrative générale pour lutter contre tous les types de fraudes aux aides publiques.
À l’Assemblée nationale, les débats ont permis d’enrichir largement ce texte. Au total, 515 amendements ont été repris, issus de la majorité comme des oppositions.
Derrière ce chiffre, supérieur à celui de l’année dernière, il y a une méthode et un engagement : le dialogue.
M. Victorin Lurel. Oh !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Les dialogues de Bercy nous ont permis de partager nos différents points de vue sur ce budget. Dans ce cadre, nous avons bien sûr exprimé nos divergences, mais nous avons également relevé des sujets de préoccupation communs, sur lesquels nous pouvons travailler ensemble.
La première lecture à l’Assemblée nationale a permis d’adopter des mesures très concrètes.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Mais il n’y a pas eu de lecture !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je reviendrai sur quelques-unes d’entre elles.
Sur l’initiative de vos collègues députés, nous avons ainsi accepté de prolonger en 2024 la contribution sur les rentes inframarginales. Ce faisant, nous pourrons continuer de capter les profits exceptionnels des énergéticiens.
De même, afin de donner de plus grandes marges de manœuvre et davantage d’autonomie fiscale aux collectivités territoriales, nous avons soutenu la décorrélation de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et de la taxe foncière sur les propriétés bâties.
M. Jean-Michel Arnaud. Enfin !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Cette mesure va dans le sens des nouvelles relations que nous souhaitons bâtir avec les collectivités territoriales. Elle répond, du reste, à une attente exprimée par de nombreux élus.
Nous avons également souhaité renforcer le soutien de l’État aux collectivités d’outre-mer. Au total, les crédits de la mission concernée augmentent de 90 millions d’euros. Entre autres mesures, nous avons soutenu une aide exceptionnelle pour le financement des infrastructures du quotidien, ainsi que des fonds dédiés à l’assistance technique qui permettra de réaliser ces projets.
Pour la collectivité de Mayotte, nous avons retenu un fonds dédié à l’eau. L’accès à une eau de qualité doit être garanti partout sur le territoire : c’est une priorité.
Je vous rappelle d’ailleurs qu’hier soir nous avons adopté définitivement le projet de loi de finances de fin de gestion, qui, sur l’initiative des élus du groupe RDPI, accorde 113 millions d’euros supplémentaires à la collectivité de Mayotte.
Lors de nos débats des prochains jours, c’est la même méthode que j’entends appliquer.
M. le président. Je vous invite à conclure, monsieur le ministre.
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Je conclus, monsieur le président.
Nous sommes et resterons ouverts aux propositions venant des sénateurs de tous les groupes,…
Mme Nathalie Goulet. Et des sénatrices !
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. … dans un esprit de dialogue.
Cela étant, nous ne saurions perdre de vue la nécessité absolue de redresser nos comptes publics. Aussi, nous ne renoncerons pas à la maîtrise de nos prélèvements obligatoires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai confiance dans le sérieux qui guide toujours vos travaux et qui nous permettra d’aboutir, j’en suis certain, à une version enrichie, mais équilibrée, du présent texte, qui ne dégrade pas notre trajectoire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le Sénat engage aujourd’hui l’examen du projet de loi de finances pour 2024, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale après une nouvelle utilisation de l’article 49, alinéa 3, de notre Constitution.
Avant tout, je tiens à formuler quelques observations de méthode, car, en la matière, les choix retenus par le Gouvernement sont problématiques à plusieurs égards.
Messieurs les ministres, personne ne conteste évidemment le 49.3 en tant que tel ; mais vous avez choisi d’en faire usage à l’Assemblée nationale, non pas pour clore une discussion parlementaire en proposant une solution de compromis, non pas après avoir écouté les uns et les autres et arbitré entre leurs propositions, mais avant même l’examen de tout amendement de la première partie du projet de loi de finances pour 2024.
J’y insiste : aucun amendement sur la première partie n’a été discuté en séance publique par nos collègues députés. Quant au débat sur la seconde partie, il a été tout simplement tronqué.
On aurait pu croire que, dans ces conditions, c’est le texte de 60 articles que vous aviez déposé à l’Assemblée nationale qui serait soumis au Sénat : pas du tout ! Votre copie est passée de 60 à 235 articles : le projet de loi de finances a quadruplé de volume sans aucun débat devant nos collègues députés. C’est la grande inflation ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ce sont donc 175 articles nouveaux qui arrivent au Sénat sans avoir jamais été examinés par le Conseil d’État, sans avoir fait l’objet de la moindre étude d’impact, pour lesquels nous ne disposons d’aucune évaluation préalable…
M. Albéric de Montgolfier. Eh oui !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. … et qui n’ont même pas été discutés en séance publique à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Vous ne pouvez pas faire n’importe quoi en vous abritant derrière le 49.3. Les rencontres baptisées « dialogues de Bercy » ne sauraient remplacer le débat parlementaire, que vous prenez soin d’éviter. Vous organisez la démocratie à l’envers et je le regrette. (Applaudissements sur les mêmes travées. – M. Thomas Dossus applaudit également.)
Messieurs les ministres, vous êtes ici au Sénat et, pour notre part, nous vous proposons de débattre. D’ailleurs, ici, il n’y a pas de 49.3 ! Je vous invite aussi à bien vous saisir de nos propositions et à mieux en tenir compte que l’an dernier.
Venons-en au budget prévu pour l’année 2024. J’ai repris mes notes de l’an passé et, je vous l’assure, je pourrais vous dire la même chose aujourd’hui au mot près : on a l’impression que le temps s’est figé. (M. le président de la commission des finances sourit.)
Je déclarais alors : « Le budget de l’État présente des niveaux de dépenses et de déficit que le Gouvernement ne parvient plus, voire ne cherche même plus à faire redescendre des sommets atteints depuis 2020. » J’ajoutais : « Des mesures d’économies devraient être engagées dès 2023 », ou encore : « La trajectoire des dépenses n’annonce ainsi aucune inflexion pour les années à venir » : bis repetita.
Vous n’agissez pas. Est-ce par manque de courage ? Par manque d’audace ? Êtes-vous en panne d’idées, en manque de solutions ? Vous nous le direz peut-être…
Nous arrivons en 2024 et que s’est-il passé depuis un an ? Rien ! Les mêmes constats s’imposent.
L’année prochaine, si j’en crois les chiffres fournis par le Gouvernement lui-même, le déficit public devrait atteindre 4,4 % du PIB. Encore s’agit-il – j’y reviendrai – d’une estimation optimiste : si la croissance est plus faible que prévu, les recettes publiques le seront évidemment aussi.
Selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI), la France affichera en 2024 le deuxième déficit public le plus élevé de la zone euro.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Alors que les autres pays profitent de la sortie de crise pour se désendetter, vous laissez dériver encore et toujours la dette française : ces mauvais résultats, ce sont les vôtres.
L’endettement public se maintiendrait autour de 110 % du PIB, en hausse de près de 12 points par rapport à 2017. Là encore, la France devrait désormais figurer sur le podium des pays les plus endettés de la zone euro en 2024, derrière la Grèce et l’Italie. Une telle position est peu enviable, reconnaissez-le.
La France n’a pourtant pas été soumise à des chocs économiques plus violents que ses partenaires européens.
Et, de grâce, ne nous faites pas le coup des collectivités territoriales,…
M. Albéric de Montgolfier. On y a déjà eu droit !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. … en prétendant que ces dernières seraient responsables des déficits.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. On nous l’a souvent dit !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. En effet, on nous l’a souvent dit !
Je rappelle que les budgets de nos collectivités territoriales sont presque tous à l’équilibre : ils ne présentent qu’un léger déficit, limité à 0,3 % du PIB, soit quinze fois moins que celui de l’État. Vous nous épargnerez donc ces considérations.
Le déficit budgétaire de l’État devrait s’élever à 144,5 milliards d’euros en 2024, soit 45,7 % des ressources nettes sur le périmètre du budget général.
Vous connaissez ce triste constat : en 2024, la France entrera dans sa cinquantième année de déficit budgétaire consécutive. Mais je note que, depuis cinq ans, nous avons changé d’ère : nous vivons désormais une époque de déficits extrêmes, comparables à ces froids extrêmes qui paralysent l’économie autant que les organismes.
La crise sanitaire semble avoir établi un nouveau socle de déficit, de l’ordre de 150 milliards d’euros par an. Il y a cinq ans, c’est-à-dire avant l’épidémie de covid-19, le déficit s’élevait à 90 milliards d’euros et il nous préoccupait déjà.
Vous ne cessez d’annoncer la sortie du « quoi qu’il en coûte » ; mais ce sont autant d’annonces sans lendemain, qui ont abouti à l’accumulation d’un surcroît de déficit de 400 milliards d’euros en cinq ans. Telle est la triste réalité des chiffres.
Cette accumulation de déficits a une conséquence simple et directe lorsqu’on ne dispose pas de recettes exceptionnelles : l’accroissement de la dette et de sa charge.
Selon vos propres chiffres, la charge de la dette bondirait ainsi de 48 milliards d’euros en 2023 à 84 milliards d’euros en 2027, ce qui représente très exactement une augmentation de 75 %. Cette hausse considérable est particulièrement préoccupante.
Ainsi, en 2027, nous devrons trouver 36 milliards d’euros de plus qu’en 2024 ; et, dès 2026, les engagements financiers seront de loin le premier poste de dépenses de l’État, pour un montant égal aux budgets cumulés des armées et des forces de sécurité – c’est dire.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Dans ce contexte, comment trouver les recettes nécessaires pour relever les défis qui nous attendent ? Comment financer la transition écologique quand nos ressources sont à ce point amputées par les remboursements ?
Ce constat, messieurs les ministres, et sa répétition depuis cinq ans témoignent de votre impuissance coupable, de votre incapacité à agir.
Vous avez beau multiplier les déclarations optimistes, comme autant de paravents censés masquer vos faiblesses, vos paroles sont contredites par vos propres chiffres.
Vos comptes ne sont pas tenus et cette situation est évidemment dommageable pour la France.
Bien sûr, vous enchaînez les belles formules. J’en ai encore entendu un certain nombre à l’instant : « revues de dépenses », « 16 milliards d’euros d’économies », « prélèvements dans la trésorerie des opérateurs », « stabilisation de l’emploi public », « poursuite du désendettement du pays », etc. Vous parlez beaucoup, mais vous faites si peu !
À ce stade, les revues de dépenses n’ont accouché d’aucune économie dans le présent texte. Vous ne cessez d’en parler, mais elles sont invisibles.
Vous avez annoncé 16 milliards d’euros d’économies : on ne les voit nulle part. La seule chose qui baisse, ce sont des dépenses de crise : la crise étant passée, par définition, elles disparaissent…
Vous avez annoncé au moins 1 milliard d’euros de prélèvements sur les 2,5 milliards d’euros de trésorerie excédentaire des opérateurs. Où sont-ils ? Quels sont ces opérateurs ? Vous n’avez pas su nous répondre.
Vous avez annoncé et même fait adopter par le 49.3, dans votre loi de programmation des finances publiques, la stabilité des emplois de l’État. J’ai vérifié les chiffres : en 2024, vous créerez encore 8 273 équivalents temps plein (ETP). Depuis 2017, la masse salariale de l’État a progressé de 10 % en volume.
Je le dis et je le répète : vous parlez beaucoup, mais faites bien peu. Or, faute de vouloir regarder la vérité en face, vous vous interdisez de trouver les solutions aux problèmes de notre pays.
Je pense, par exemple, à la situation dramatique du logement : vous l’avez évoquée vous aussi, mais nous ne formulons pas le même diagnostic.
Dans ce secteur, tous les indicateurs sont aujourd’hui au rouge, et c’est d’autant plus grave que les problèmes sont d’ordre structurel. Chacun en convient : les dispositions du projet de loi de finances que vous présentez ne sont pas à la hauteur de la crise que connaît le logement, secteur pourtant très important, et même décisif, pour notre économie.
Certes, les prévisions économiques sur lesquelles vous vous fondez vous aident à vous voiler la face. Vous prévoyez ainsi une croissance de 1,4 % en 2024, quand le consensus des économistes converge plutôt vers 0,8 %. L’hypothèse que vous retenez est vraiment très optimiste et ce constat ne peut que renforcer nos doutes.
À l’évidence, vous sous-estimez les effets de la politique monétaire. Je rappelle que la Banque centrale européenne (BCE) a procédé, en quatorze mois, à une augmentation de 450 points de base de ses taux d’intérêt directeurs. C’est le plus sévère durcissement de sa politique jamais observé dans l’histoire.
Or, en règle générale, les politiques monétaires produisent un effet retard de l’ordre d’une année. Le plein effet de ces restrictions monétaires risque donc se faire sentir d’ici à la fin de l’année 2024, alors que vous feignez de croire qu’il est déjà majoritairement derrière nous. Je voudrais bien qu’il en soit ainsi, mais cela ne me semble pas très crédible.
Vous anticipez également des créations d’emplois en 2024, quand d’autres, comme la Banque de France, que l’on ne saurait suspecter d’être excessivement pessimiste ou optimiste, prévoient des destructions d’emplois, voire une remontée du chômage. Conjuguée à la hausse des taux, cette perspective rend de fait peu probables vos hypothèses relatives à l’investissement et à la consommation des ménages.
Lors de son audition au Sénat, le président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) l’a lui-même reconnu : les hypothèses sur lesquelles se fonde la prévision du Gouvernement sont absolument toutes favorables, sans exception.
Monsieur le ministre de l’économie, un tel choix ne me paraît guère raisonnable. J’ai d’ailleurs relevé les bémols que vous venez d’ajouter, en insistant notamment sur l’instabilité du contexte international.
Si ces hypothèses de croissance vous aident à embellir la réalité, les chiffres sont et restent têtus.
Votre problème majeur, c’est la dépense publique, dont la dérive donne aujourd’hui le vertige.
À rebours de vos discours, les dépenses de l’État continueront d’augmenter, en 2024, de près de 6 milliards d’euros, hors mesures de crise. C’est proprement irresponsable.
En 2024, la plupart des missions du budget général voient leurs crédits augmenter ; sept d’entre elles grossissent même de plus de 1 milliard d’euros chacune. À cet égard, la Commission européenne a lancé un signal d’alerte il y a quelques jours. De telles mises en garde ne nous honorent pas.
Messieurs les ministres, si vous voulez que la France retrouve les premières places, il va falloir faire beaucoup d’efforts. Il va falloir travailler pour redresser nos comptes publics.
Travailler, c’est précisément ce que nous avons fait, ici, au Sénat. Nous ne nous sommes pas contentés de déplorer une situation inquiétante et de formuler des critiques : nous avançons des propositions.
Vous parlez de faire des économies ? Nous vous prenons au mot et nous vous proposons un certain nombre de mesures.
Notre commission des finances a voté plus de 5 milliards d’euros d’économies sur de nombreuses politiques publiques : réduction des effectifs des opérateurs, meilleur ciblage de l’apprentissage, fin des surbudgétisations qui font croire aux gestionnaires publics que l’argent continue de couler à flots, réforme de l’aide médicale de l’État (AME), réforme de l’audiovisuel public, révision du bouclier électricité, etc.
Certaines de ces pistes sont sans cesse évoquées par votre majorité, qui, malheureusement, laisse tout en plan. Nous, nous vous proposons d’agir.
Voilà désormais trois ans que vous parlez de la fin du « quoi qu’il en coûte » et, « en même temps », vous proposez encore à la représentation nationale, dans ce projet de loi de finances, une baisse d’impôts non ciblée de 10 milliards d’euros sur les tarifs de l’électricité. Une telle mesure est insoutenable pour les finances publiques, d’autant qu’elle est indifférenciée, quel que soit le revenu des ménages. Nous vous demandons de cibler cette aide pour la réserver aux foyers à bas revenus et aux classes moyennes.
Vous parlez de bien gérer l’argent public et, « en même temps », vous proposez dans votre texte – écoutez bien, mes chers collègues – d’exonérer les fédérations sportives olympiques de tous les impôts : leurs salariés seraient même exonérés d’impôt sur le revenu pendant cinq ans. Comment pouvez-vous parler de bonne gestion de l’argent public en assumant une telle mesure devant les Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Thomas Dossus applaudit également.)
Nous proposerons de supprimer cette disposition. Si j’en crois les quelques échanges auxquels elle a donné lieu en commission des finances, je crains que vos oreilles ne sifflent… (M. le ministre délégué sourit.)
Enfin, le Président de la République annonce qu’il financera le Centre national de la musique (CNM), mais, « en même temps », le Gouvernement ne fait rien ; il ne propose rien. Nous, nous proposons un financement et un avenir pour le CNM.
Messiers les ministres, il est quinze heures passées : l’heure du réveil a sonné ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le « quoi qu’il en coûte » vous a anesthésiés. Il est devenu un fardeau dont vous n’arrivez pas à vous défaire.
Le « quoi qu’il en coûte » signe, en réalité, votre incapacité à tenir certaines de vos promesses, comme la suppression de la CVAE.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Le « quoi qu’il en coûte » met en cause votre crédibilité politique, faisant craindre aux ménages et aux chefs d’entreprise des hausses d’impôt prochaines, lesquelles semblent déjà se dessiner en filigrane.
Mes chers collègues, la commission des finances vous proposera un certain nombre de mesures pour mener à bien le redressement de notre pays en rétablissant les comptes publics. La France et les Français en ont grand besoin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous engageons aujourd’hui l’examen en séance publique du projet de loi de finances pour 2024.
En ma qualité de président de la commission des finances, je rappelle que, depuis plus d’un mois déjà, M. le rapporteur général et l’ensemble des rapporteurs spéciaux procèdent à l’analyse de ce nouveau budget, recettes et dépenses confondues.
Je remercie d’ailleurs tous les membres de la commission de leurs travaux riches et approfondis ; ils ont permis de dresser des constats, de formuler des propositions et d’établir des avis sur l’ensemble des missions, budgets annexes et comptes spéciaux qui composent le budget de l’État. Nous avons ainsi passé ensemble trente-sept heures en commission depuis le début d’octobre dernier !
À l’instar des commissions saisies pour avis et de leurs rapporteurs, que je salue, nous avons conduit un nombre considérable d’auditions.
Dès lors, messieurs les ministres, à l’heure où s’ouvre l’examen du projet de loi de finances en séance publique, nous sommes en mesure de vous dire clairement ce que nous inspire votre texte.
Comme l’an dernier, nos débats viennent après une séquence un peu particulière : compte tenu de l’utilisation du 49.3 à l’Assemblée nationale, très peu de dispositions du projet de loi de finances ont été débattues. Mme la Première ministre a même déclenché cette procédure avant l’examen du premier article de la première partie…
Cette situation ne vous a pas pour autant empêchés – peut-être vous a-t-elle même facilité la tâche – d’insérer 115 articles additionnels en première partie, puis 60 autres en seconde partie. M. le rapporteur général l’a déjà souligné : le nombre d’articles a quadruplé, passant de 60 à 235.
Nous aurons l’occasion de revenir sur tous les dispositifs prévus dans ce projet de loi de finances et de les discuter. Aussi, je saisirai l’occasion de cette discussion générale pour développer certaines idées qui me tiennent à cœur et qui, à mon sens, méritent d’être rappelées.
Une fois n’est pas coutume, je parlerai d’abord de dépenses publiques.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Ah !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. En effet, la dépense publique, monsieur le rapporteur général, n’est pas un gros mot. À cet égard, je m’efforcerai de combattre certaines facilités un peu lassantes, comme celle qui consiste à retenir systématiquement l’indicateur de la dépense publique rapportée au PIB.
Après avoir atteint 61,4 % du PIB en 2020, en raison de la crise sanitaire, la dépense publique représenterait 55,8 % du PIB en 2023 et 55,4 % du PIB en 2024. Ainsi exprimée, elle paraît très élevée et la diminution de ce ratio est systématiquement interprétée comme une bonne nouvelle.
Monsieur le ministre, vous le disiez vous-même en ouvrant cette discussion générale : « Ne soyons pas hypocrites. » Cette observation vaut pour tous.
Ces chiffres ne signifient en aucun cas, comme on nous l’explique pourtant sans arrêt, que le public capterait 55 % du PIB. Certains éléments de cet indicateur, comme la consommation et l’investissement public, sont effectivement des parts du PIB, mais d’autres non ; les divers transferts sociaux sont ainsi d’une tout autre nature.
Prendre le PIB, qui est une somme de valeurs ajoutées, comme point de comparaison avec des montants qui n’ont rien à voir avec ces dernières, c’est semer la plus grande confusion dans les esprits. Si l’on créait un tel indicateur pour les dépenses privées, ces dernières dépasseraient 200 % du PIB !
Que nous dit le chiffre élevé obtenu par ce mode de calcul très imparfait ? Tout simplement que nous avons collectivement choisi, et ce depuis longtemps, de socialiser une grande partie des dépenses des ménages.
Les Américains n’ont pas fait le même choix : leur dépense publique représente l’équivalent de 45 % du PIB ; mais – vous le savez – l’essentiel de leurs dépenses de santé sont privées. Elles ne sont donc pas incluses dans cet indicateur, alors qu’elles représentent 18 % du PIB aux États-Unis, contre 12 % en France. (M. Bernard Jomier acquiesce.) Si notre pays désocialisait les dépenses de santé, il rejoindrait le niveau américain ; mais, sauf erreur de ma part, personne ici n’exprime un tel souhait. (M. Vincent Éblé le confirme.)
De même, si l’on compare la France à l’Allemagne, dont le niveau de dépenses publiques approche les 50 % du PIB, on constate que l’écart tient essentiellement à des dépenses plus élevées en France pour la protection sociale. En 2021, ce poste représentait 34 points de PIB en France contre 29,5 en Allemagne.
Au total, la France est une économie de marché où la puissance publique assume une redistribution élargie permettant de réduire fortement les différences de revenus entre ménages pauvres et aisés. L’Insee nous le rappelle dans une note récente : cette politique générale de redistribution resserre l’écart de dix-huit à trois ; et c’est bien elle qui tient la société française aujourd’hui.
M. Vincent Éblé. Bien sûr !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Certains le déplorent ; pour ma part, je m’en réjouis. Il me paraît essentiel de préserver ce système, tout en essayant bien sûr de faire toujours mieux.
M. Victorin Lurel. Très bien !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Cependant, je ne méconnais évidemment pas la nécessité d’assurer un meilleur équilibre de nos finances publiques.
La charge de la dette progresse, sous l’effet notamment de la hausse des taux : personne ne peut le nier. On ne saurait encore moins s’en réjouir.
Or, messieurs les ministres, je ne parviens décidément pas à comprendre votre entêtement à réduire les recettes de l’État en période de crise.
FMI, Haut Conseil des finances publiques, Cour des comptes ou encore Banque de France : tous vous disent et vous répètent que l’heure n’est pas à la réduction des prélèvements obligatoires.
J’étais certes, comme vous, convaincu de la nécessité de réduire l’impôt sur les sociétés, dont le taux a été abaissé de 33 % à 25 % ; mais je ne vous suis plus depuis longtemps.
Au fil des années, vous avez supprimé non seulement l’impôt sur la fortune, mais aussi la taxe d’habitation, y compris pour les plus riches, la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises et même la contribution à l’audiovisuel public.
Une cinquantaine de milliards d’euros se sont évaporés chaque année depuis 2017, ceux-là mêmes que vous recherchez désespérément aujourd’hui afin de ramener notre déficit en dessous des 3 % du PIB en 2027.
Messieurs les ministres, je vous rappelle que, en 2018 – vous vous en souvenez, monsieur Le Maire, vous étiez alors ministre –, grâce à la politique menée par vos prédécesseurs, la France n’était plus soumise à une procédure pour déficit excessif, car nous vous avions laissé un déficit de 3 % en 2017. Malheureusement, si l’on en croit les services de la Commission, la France est de nouveau sous la menace d’une telle procédure en 2024. Très belle réussite !
Tout cela pour quel résultat ? Une hausse de l’épargne des ménages les plus aisés, quand vous aimeriez que la consommation redémarre, et une augmentation des résultats des entreprises, que ces dernières utilisent malheureusement davantage pour racheter des actions que pour investir dans leur outil productif.
N’aurait-il pas été plus utile que l’État conserve ces moyens pour soutenir les Français et les entreprises, comme vous l’avez fait durant la pandémie, en limitant l’appel à l’endettement ? Je crains que la réponse ne soit dans la question.
Le projet de loi de finances pour 2024 est à peu près en ligne avec la loi de programmation et le programme de stabilité ; en 2025, nous savons que l’exercice sera bien plus compliqué : il ne reste quasiment plus de reliquat du plan de relance et la revue de dépenses n’a produit que des résultats décevants. Je rappelle que le groupe de députés chargé de trouver des solutions n’est même pas parvenu à identifier 1 milliard d’euros d’économie.
J’ai bien peur que, malgré vos propos, il ne faille rapidement trouver des recettes nouvelles et remettre en cause les nombreuses lois de programmation que le Gouvernement nous a soumises. Je ne vois pas bien comment on pourrait résoudre autrement l’équation alors que ces textes visent à augmenter les dépenses.
Le retour sur terre ne fait que commencer, messieurs les ministres. Pour conclure, permettez-moi de vous donner un conseil amical : attachez bien vos ceintures ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – MM. Bruno Belin et Marc Laménie applaudissent également.)