M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 60 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Pour l’adoption | 119 |
Contre | 203 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 4
I. – Il est institué auprès du Premier ministre une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982. Cette commission est chargée de statuer sur les demandes présentées sur le fondement de l’article 3.
II. – La commission mentionnée au I comprend :
1° Deux députés et deux sénateurs ;
2° Un membre du Conseil d’État et un magistrat de la Cour de cassation ;
3° Trois représentants de l’État, désignés par le Premier ministre ;
4° Trois personnalités qualifiées, issues du monde universitaire et associatif, désignées par le Premier ministre en raison de leurs connaissances dans le domaine de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ou de leurs engagements dans la lutte contre les discriminations subies en raison de l’orientation sexuelle.
III. – Un décret précise le fonctionnement de la commission mentionnée au I, ses attributions, les conditions de son indépendance dans l’exercice de ses missions, les modalités de présentation et d’instruction des demandes de réparation ainsi que les conditions dans lesquelles les personnes concernées peuvent être entendues.
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
Je rappelle pour la bonne information du Sénat que, si cet article n’était pas adopté, l’article 5, qui constitue le gage des articles 3 et 4, deviendrait sans objet.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 61 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l’adoption | 119 |
Contre | 206 |
Le Sénat n’a pas adopté.
En conséquence, l’article 5 n’a plus d’objet.
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par M. Szpiner, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Remplacer la date :
1942
par la date :
1945
La parole est à M. le rapporteur.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Nous touchons à la fin d’un débat qui aurait pu être plus consensuel. Le texte présenté par M. Hussein Bourgi avait une cohérence : reconnaissance, donc réparation. Il fallait selon nous la conserver.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Le texte de la commission est cohérent aussi !
M. Patrick Kanner. J’ai entendu les explications du rapporteur. Toutefois, la logique qui nous inspire est également d’ordre symbolique. Il eût été utile pour le Sénat d’adopter une approche qu’auraient pu saluer toutes les victimes encore vivantes de ces lois indignes de 1942, lesquelles, comme nous l’avons rappelé à plusieurs reprises, n’ont pas été abrogées par la IVe République.
J’aurais donc une suggestion à vous faire, monsieur le garde des sceaux. Le texte de M. Bourgi, défendu par notre cheffe de file, Audrey Linkenheld, et par les autres sénateurs et sénatrices du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, a été déconstruit ; monsieur le garde des sceaux, permettez-nous d’en assurer la continuité ! En dépit des conditions dégradées de son examen, résultat des scrutins publics souhaités par la majorité sénatoriale, nous voterons ce texte, car nous souhaitons qu’il puisse prospérer grâce à son examen, que j’espère plus tranquille, par l’Assemblée nationale.
Certes, nous nous tournerons d’abord vers nos partenaires de gauche au sein de l’autre chambre, mais, monsieur le garde des sceaux, puisque vous en avez reconnu la pertinence politique, peut-être pourrez-vous réserver du temps parlementaire pour l’examen du texte de M. Bourgi. Ainsi, nous progresserions : cette proposition de loi serait denouveau enrichie par des amendements, afin que l’on puisse aller jusqu’au bout de la logique initialement prévue par l’auteur de ce texte.
Quoi qu’il en soit, je le redis, nous voterons ce texte, même dans les conditions qui nous ont été imposées. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 62 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 243 |
Contre | 98 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 63 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 343 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Lors du scrutin n° 62 sur l’amendement n° 2 tendant à modifier l’intitulé de la proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982, à la suite d’une erreur malencontreuse, les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ont été notés comme votant pour, alors qu’ils voulaient voter contre.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.
7
Référendum d’initiative partagée
Rejet d’une proposition de loi constitutionnelle
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi constitutionnelle visant à faciliter le déclenchement du référendum d’initiative partagée, présentée par M. Yan Chantrel et plusieurs de ses collègues (proposition n° 571 [2022-2023], résultat des travaux de la commission n° 100, rapport n° 99).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Yan Chantrel, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
M. Yan Chantrel, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre pays traverse une crise démocratique.
Au second tour de l’élection présidentielle de 2022, l’abstention a atteint 28 %, un record depuis 1969. Comme en 2017, plus d’un Français sur deux ne s’est pas déplacé pour voter aux dernières élections législatives. Aux élections régionales de 2021, ce sont deux Français sur trois qui se sont désintéressés du scrutin. Même les élections municipales de 2020 ont connu, pour la première fois de notre histoire, une abstention supérieure à 50 %.
On a beaucoup disserté sur les causes de ce désamour. On le présente parfois comme une « fracture démocratique » affectant certaines catégories d’électeurs et électrices : les jeunes, les plus précaires, ou encore les non-diplômés. On s’attache donc à chercher des solutions ciblées pour combler cette fracture.
La vérité, c’est que cette désaffection touche désormais toutes les catégories de Françaises et de Français. Il y a quelques jours, le politiste Rémi Lefebvre signait une tribune dans L’Obs où il s’alarmait que « la politique n’intéresse plus personne ».
Ce désintérêt grandissant est renforcé depuis sept ans par une pratique verticale, autoritaire, brutale et solitaire du pouvoir, qui transforme parfois ce désintérêt en dégoût.
L’application de l’article 47-1 de la Constitution, celle des alinéas 2 et 3 de l’article 44 et celle de l’alinéa 3 de l’article 49 – le fameux 49.3 – sont autant de coups de boutoir constitutionnels qui ont rythmé les débats autour d’une réforme des retraites rejetée par sept Français sur dix, ce qui a poussé jusqu’à ses limites la logique de la Ve République, qui concentre les pouvoirs aux mains de l’exécutif.
Le déséquilibre de nos institutions, marqué par la faiblesse des contre-pouvoirs organiques et par le caractère quasi monarchique de l’exécutif, n’a eu de cesse de saper la confiance des Françaises et des Français dans nos institutions et le personnel politique.
Selon la dernière vague du baromètre de la confiance politique, 64 % de nos compatriotes estiment que la démocratie ne fonctionne pas bien en France, soit 7 points de plus qu’en 2022 et 12 points de plus que la moyenne européenne.
C’est bien la pratique actuelle du pouvoir, sous lequel au déséquilibre institutionnel s’ajoute un mépris inédit pour le Parlement, pour les corps intermédiaires et pour la conscience civique de nos compatriotes, qui les écœure.
L’historien Patrick Boucheron le dit en des termes définitifs : « Je n’ai pas l’expérience d’un gouvernement qui ait à ce point méprisé les sciences sociales, l’université, l’exercice collectif de l’intelligence, le mouvement social : tant de suffisance pour tant d’insuffisances. »
L’exercice collectif de l’intelligence, voilà ce que je souhaite remettre à l’honneur par le biais de cette proposition de loi constitutionnelle.
Alors qu’ils n’aspirent qu’à participer davantage à la vie démocratique de notre pays, les Françaises et les Français se sentent dessaisis du processus de décision publique. La démocratie leur paraît confisquée, comme en attestent aussi la colère et, parfois, la violence qui s’expriment dans la rue à chaque nouveau passage en force.
Pour renouer ce lien de confiance, il est indispensable de remettre les citoyennes et les citoyens au cœur du processus de légitimité de la décision politique.
Il s’agit de passer d’une « démocratie gouvernée », qui infantilise trop les Françaises et les Français, à une « démocratie gouvernante », qui leur redonne voix au chapitre.
La modernité d’une démocratie se mesure au degré de participation des citoyennes et citoyens. Sur ce point, notre pays est très en retard. Il nous faut inventer une démocratie moins intermittente, plus continue, pour qu’entre chaque élection perdurent la concertation, le dialogue, la délibération permanente entre les gouvernés et les gouvernants.
C’est d’autant plus urgent que la défiance de nos compatriotes envers le Gouvernement pourrait, un jour, les pousser à confier nos institutions déséquilibrées à des forces politiques qui y trouveraient tous les moyens de faire avancer un agenda illibéral, antisocial et antidémocratique.
Notre République a besoin d’un nouveau souffle !
La culture civique et les nouvelles solidarités dont nous aurions besoin pour construire une société apaisée et rassemblée sont en contradiction radicale avec la gestion paternaliste et la passivité populaire que produit notre Constitution.
Conventions citoyennes, budgets participatifs, tirage au sort, jurys citoyens, droit de pétition, consultations locales, droit d’initiative citoyenne : les Françaises et les Français doivent être plus souvent associés aux décisions qui les concernent.
C’est d’ailleurs ce qu’ils réclament. En effet, 68 % d’entre eux pensent que « la démocratie fonctionnerait mieux en France si les citoyens étaient associés de manière directe à toutes les grandes décisions politiques ».
Alors que nos concitoyens sont plus éclairés, plus informés que jamais, l’heure est venue de faire confiance au peuple et de nous montrer fidèles à l’article 3 de notre Constitution, qui dispose en son premier alinéa que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »
C’est en partie pour répondre à cette aspiration que, lors de la révision constitutionnelle de 2008, nous avions introduit à l’article 11, alinéa 3, de notre Constitution, un référendum dit « d’initiative partagée », le RIP.
Et pourtant ! Presque dix ans, jour pour jour, après la promulgation des lois ordinaire et organique du 6 décembre 2013 portant application de l’article 11 de la Constitution, aucun RIP n’a pu être mis en œuvre.
Aucune des cinq propositions de RIP enregistrées depuis 2019 n’a pu surmonter le parcours semé d’embûches censé mener au référendum : 185 signatures de parlementaires, 4,8 millions de signatures de citoyens inscrits sur les listes électorales, les fourches caudines du Conseil constitutionnel et, dans une ultime étape, la bienveillance du Parlement !
Tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître que les concepteurs du RIP ont tout fait pour qu’il soit inapplicable. Je me réjouis d’ailleurs de lire que le rapporteur « admet que les garde-fous posés pour encadrer le recours à la procédure du référendum d’initiative partagée se sont révélés, à la lumière des tentatives passées, de véritables “herses juridiques” », et qu’il « partage le constat de la nécessaire clarification et de la simplification de la procédure du référendum d’initiative partagée ».
L’ambition du présent texte ne va justement pas au-delà. Sa méthode est simple : il s’appuie sur l’expérience de ces dix dernières années, ainsi que sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, pour lever les verrous qui empêchent l’expression directe du peuple.
Pour ce faire, il procède à un léger élargissement du champ d’application du référendum, à un abaissement à 93 signatures du seuil de signatures de parlementaires et à un abaissement du seuil de signatures citoyennes à 1 million ; en outre, les citoyens eux-mêmes pourront prendre l’initiative de la démarche et le veto que le Parlement peut mettre à la tenue du référendum devra être explicite.
Je sais bien qu’il est difficile, pour les parlementaires que nous sommes, de partager le peu de pouvoir que nous accorde la Constitution de la Ve République.
Mais il n’y a pas d’opposition entre, d’un côté, le référendum, qui serait suspect par nature, et, de l’autre, le Parlement, qui serait par nature irréprochable. Les deux ont des vertus et cette opposition, idéologique, ne correspond pas à l’esprit de la Constitution, tel qu’il s’exprime dans son article 3 comme dans son article 11.
En démocratie, le peuple est souverain. N’oublions jamais que nous en sommes ici de modestes représentantes et représentants. À ce titre, notre rôle est de tout faire pour faciliter son expression. Le propre de la démocratie, c’est qu’elle ne cesse jamais de s’approfondir ; sinon, elle meurt !
Alors, mes chers collègues, n’ayez pas peur ! Faites confiance aux Françaises et aux Français et montrez-leur, en retour, qu’ils peuvent de nouveau avoir confiance dans les institutions de leur République ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie M. Chantrel et le groupe socialiste de nous donner l’occasion d’un débat sur le référendum d’initiative partagée.
C’est un sujet qui fait l’objet de nombreux travaux ; certains d’entre eux sont en cours autour du président du Sénat. Le Président de la République a lui-même annoncé des initiatives sur ce sujet. Il n’est pas anormal, huit ans après l’entrée en vigueur, grâce à l’adoption d’une loi organique, de ce dispositif issu de la révision constitutionnelle de 2008, d’essayer d’en faire une évaluation.
M. Patrick Kanner. Pour le moment, ce n’est pas terrible !
M. Philippe Bas, rapporteur. J’ai abordé cette question, du moins veux-je le croire, avec un esprit d’ouverture. J’ai eu avec M. Chantrel deux longs entretiens empreints de confiance, qui nous ont permis d’aller au fond des choses.
J’en ai tiré la conclusion que le sujet était sans doute trop important pour qu’on puisse le traiter de manière approfondie dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, puisque le temps qui nous est imparti est à l’évidence très court et que le nombre et la complexité des amendements qui seraient nécessaires pour trouver un terrain d’entente entre nous rendent difficile l’aboutissement de cette démarche dans ce cadre.
Je ne vois pas d’objection de principe à l’extension du champ du référendum. La Constitution a déjà été modifiée, en 1995 et en 2008, pour ce faire. C’est un sujet de réflexion que nous devons avoir entre nous. La vertu du travail parlementaire, c’est précisément qu’il permet de rechercher des terrains d’entente et de trouver une conciliation entre des points de vue au départ différents.
Si j’ai estimé – et la commission des lois a bien voulu s’en convaincre – que nous ne pouvions pas aboutir maintenant sur ce sujet, c’est en raison d’un certain nombre de problèmes technico-juridico-politiques qui méritent d’être regardés à la loupe.
Premièrement, ce texte ne se borne pas à modifier les modalités du référendum d’initiative partagée, mais traite plus généralement des référendums prévus à l’article 11 de la Constitution, c’est-à-dire d’un pouvoir présidentiel dispensé de contreseing, d’une arme qui a été confiée par la Constitution au Président de la République pour qu’il puisse, sur des sujets d’une importance capitale pour le pays, donner la parole aux Français afin que leur décision soit irrévocable.
La banalisation du référendum est d’ailleurs incompatible avec cet apport de la Constitution de 1958, en rupture sur ce point avec la tradition républicaine antérieure, car elle a permis de réacclimater le référendum à la pratique de notre République alors qu’il en avait été proscrit pendant près d’un siècle à cause des abus auxquels il avait donné lieu.
À ce propos, il est tout de même surprenant que ce soit à l’article 11 de la Constitution, parmi les pouvoirs présidentiels dispensés de contreseing, que l’on ait logé le référendum d’initiative partagée, qui mériterait d’être placé ailleurs, et ce tout particulièrement dans un régime dont on critique volontiers la verticalité, laquelle n’a cessé de s’aggraver dans la période récente.
Vous proposez, mes chers collègues, d’élargir le champ du référendum en retirant le barrage que constitue l’exigence de le faire porter sur une réforme et en permettant que des mesures fiscales soient soumises au pays par référendum. Ces points me paraissent mériter discussion.
Vous estimez en effet que le texte de la Constitution issu de la révision de 2008 a empêché d’organiser des référendums qui auraient été utiles pour les Français. Or, en examinant les référendums qui auraient ainsi été empêchés, je me demande s’il eût été bon d’exposer ce référendum à un taux d’abstention considérable, compte tenu du peu d’intérêt que les Français auraient eu pour la question posée. Faut-il privatiser Aéroports de Paris, ou bien le maintenir public ? Vous avez souhaité poser la question aux Français. Mais êtes-vous sûr que vous auriez eu plus de 10 % ou de 15 % de participation ?
La banalisation du référendum dans le cadre du référendum d’initiative partagée est le meilleur moyen de tuer le référendum d’initiative partagée !
C’est la raison pour laquelle j’ai été très circonspect à l’égard de votre proposition, non seulement parce que vous élargissez les pouvoirs du Président de la République – en ce qui me concerne, mais ce n’est peut-être pas votre avis, j’estime qu’il en a déjà bien assez ! –, mais aussi parce que vous risquez de conduire à l’échec le dispositif du référendum d’initiative partagée qui est encore tout jeune. En effet, le fait qu’il n’ait pas fonctionné pendant ses huit premières années de vie n’est tout de même pas une raison pour considérer qu’il ne fonctionnera jamais.
Imaginer qu’il faudrait absolument mobiliser 48 millions d’électeurs parce qu’un million d’entre eux aura décidé qu’un sujet doit être soumis au vote des Français, c’est tout de même une démarche qui me pose problème. Je considère que nous prendrions un grand risque si nous utilisions l’instrument du référendum dans de telles conditions, d’autant que, pour recueillir un million de signatures, il suffit qu’un groupe de pression armé de militants, voire d’activistes, se mobilise. Faisons très attention, mes chers collègues !
Je laisse donc de côté la question du pouvoir présidentiel, qu’il ne me paraît pas forcément opportun d’étendre, pour me prononcer à présent sur les modifications que vous voulez apporter aux dispositions relatives au référendum d’initiative partagée.
Un million de signataires, selon moi, ce n’est sans doute pas assez. Selon vous, 4,85 millions, c’est trop. Nous n’avons pas eu le temps de discuter pour trouver le bon chiffre. Nous pourrions certainement évoluer, les uns et les autres, sur ce point et trouver un compromis.
M. Patrick Kanner. Il fallait amender le texte !
M. Philippe Bas, rapporteur. Quant au nombre de parlementaires requis, il me semble qu’il n’a jamais été un obstacle jusqu’à présent. En effet, je ne connais pas un seul cas où le nombre de signatures de parlementaires nécessaires pour déclencher la procédure n’ait pas été atteint. Il n’y a pas eu d’échec causé par un nombre insuffisant de signatures de parlementaires ! Pourquoi alors changer ce nombre ?
Vous voulez aussi, dans un souci d’exhaustivité, créer une procédure inverse de celle qui a été instituée en 2008 : on commencerait par les signatures des citoyens et on terminerait par les signatures des parlementaires.
M. Yan Chantrel. Ce serait l’un ou l’autre !
M. Philippe Bas, rapporteur. Mes chers collègues, pour vérifier qu’une telle démarche est conforme à nos libertés fondamentales, il faut prévoir un moment où l’examen de constitutionnalité pourra se faire. S’il se fait dès avant la seconde signature, on considérera que l’on ne donne pas sa chance à la nouvelle procédure. S’il se fait après que l’on a recueilli x millions de signatures, et que le Conseil constitutionnel considère alors que la disposition en question porte gravement atteinte à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, on ne pourra pas organiser ce référendum, mais il sera très gênant, pour le Conseil constitutionnel, de dire « non » au référendum. Cela le mettra dans l’embarras. Certes, c’est une institution très noble, qui pourra surmonter cet embarras. Mais veillons tout de même à ce que nos institutions ne soient pas mises dans une situation qui ferait d’elles un objet de contestation.
Enfin, vous proposez que le référendum, une fois franchies toutes les étapes de la procédure, soit obligatoire, sauf dans le cas où le texte de la proposition de loi serait rejeté par le Parlement.
Vous avez raison : on ne va tout de même pas soumettre aux Français un texte qui aurait été rejeté par le Parlement ! Sinon, nous courrions le risque de mettre le Parlement en contradiction avec les Français, ce qui serait évidemment toxique pour la démocratie représentative.
Toutefois, vous n’avez pas envisagé le cas tout simple où, après l’avoir amendée, le Parlement adopterait la proposition de loi. Voulez-vous donc qu’un texte dont les citoyens auraient pris l’initiative dans le cadre de cette procédure, une fois adopté par le Parlement, puisse ensuite être rejeté par le pays ?
Je crois que ce travail mérite d’être achevé. C’est la raison pour laquelle, sans vous opposer une fin de non-recevoir, la commission des lois n’a pas approuvé votre proposition. Je souhaite que nous puissions en rediscuter ensemble dans les mois qui viennent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. » C’est en ces termes, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 a tranché ou, plus exactement, surmonté le débat qui opposait les partisans de la souveraineté nationale à ceux de la souveraineté populaire.
À l’époque, deux conceptions radicalement opposées de la démocratie s’affrontaient : Rousseau affirmait que « toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle » ; Sieyès déclarait, en parfait contrepoint, que « le peuple ne peut parler, ne peut agir, que par ses représentants ».
La Constitution de 1958, dont nous venons de fêter le soixante-cinquième anniversaire, a choisi une voie médiane : son article 3 dispose en effet que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
Mais c’est son article 11 qui précise les conditions d’utilisation du référendum. Cet article permettait en effet au Président de la République, dans sa rédaction première, de « soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».
La révision constitutionnelle du 4 août 1995 a étendu ce « champ référendaire » aux projets de loi portant « sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent ».
Issue des travaux du comité Balladur, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a quant à elle élargi ce champ référendaire aux questions de politique environnementale.
Surtout, elle a créé le référendum d’initiative partagée.
Ce dernier dispositif constitue, au regard de notre histoire politique, une véritable audace. Il a, de manière inédite, mis entre les mains des citoyens un outil destiné à les faire participer activement au processus d’élaboration des lois. Cet outil, on l’a vu ces derniers mois, a fait naître de fortes attentes, mais aussi, il faut le dire, quelques frustrations.
Quinze ans plus tard, il est temps de dresser un premier bilan de ce référendum d’initiative partagée.
S’il s’agit avant tout d’une innovation majeure dans notre histoire constitutionnelle, des pistes d’amélioration du dispositif apparaissent clairement au regard de l’expérience des dernières années.
En 2008, le constituant avait, de manière prudente, érigé de solides garde-fous destinés à empêcher que la procédure du référendum d’initiative partagée vienne remettre en cause la stabilité de nos institutions ou qu’elle soit dévoyée à des fins démagogiques.
Plusieurs initiatives ont vu le jour depuis l’entrée en vigueur de cet outil de respiration démocratique, ce qui démontre que les citoyens comme les parlementaires lui portent un réel intérêt.
Mais aucune de ces initiatives n’a pu aboutir. Dès lors, certains se demandent légitimement si les garde-fous dressés en 2008 ne constituent pas, en réalité, des herses infranchissables.
La première question que pose la présente proposition de loi est celle, essentielle, du nombre de soutiens, citoyens et parlementaires, exigés pour que la procédure puisse être enclenchée.
En 2008, le constituant a retenu le seuil d’un cinquième des membres du Parlement et celui d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales.
L’expérience l’a montré : si le premier seuil est atteignable, il est permis de douter qu’il en soit de même du second.
À ce jour, l’initiative la plus avancée n’a pu recueillir qu’un peu plus de 1 million de soutiens, sur les 4,7 millions requis.
La deuxième question porte évidemment sur le champ du référendum, qui résulte du premier alinéa de l’article 11 tel qu’interprété par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Par certains aspects, ce champ mériterait sans doute d’être clarifié.
Il convient aussi de s’interroger sur l’articulation entre l’initiative citoyenne et le travail parlementaire. La possibilité conférée aux assemblées de mettre un terme au processus référendaire par l’examen de la proposition de loi a soulevé quelques critiques.
Pour certains, le dispositif mériterait d’être plus contraignant pour le Parlement. Nous devons cependant être très attentifs à ne pas déposséder ce dernier de ses prérogatives, qui sont à la fois naturelles et légitimes.
C’est donc sur ces questions et sur ce bilan, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il nous faut, collectivement, nous pencher en répondant, en somme, à une question fort simple : le dispositif du référendum d’initiative partagée est-il à la hauteur de l’ambition que nous portons pour notre démocratie ?
Du point de vue du Gouvernement, le constat qu’appelle un tel bilan est clair : ce dispositif mérite d’être amélioré.
En ce sens, la proposition de loi constitutionnelle de M. Chantrel trace des pistes intéressantes.
Tout d’abord, l’abaissement du seuil de soutiens citoyens semble nécessaire, afin de rendre la procédure plus effective. La nécessité d’abaisser le seuil de soutiens parlementaires est, quant à elle, moins évidente.
Sont retenus dans le présent texte les seuils d’un million de citoyens et d’un cinquième des membres du Parlement. Voilà qui me semble une cible un peu ambitieuse ; elle a tout au moins le mérite d’ouvrir la réflexion.
Ensuite, ouvrir la possibilité d’une initiative citoyenne soutenue par des parlementaires, plutôt que seulement l’inverse, est tout à fait intéressant. Dès 2019, le Gouvernement avait proposé d’aller jusqu’au bout d’une telle démarche en envisageant que les citoyens puissent engager eux-mêmes la procédure.
Je suis toutefois moins convaincu, à vrai dire, par d’autres aspects de cette proposition de loi constitutionnelle.
Ainsi, l’extension du champ du référendum à la politique fiscale ne m’apparaît pas souhaitable.
Dans notre tradition constitutionnelle, la politique fiscale est une des prérogatives essentielles du Parlement. Les travaux préparatoires de l’article 11 de la Constitution indiquent explicitement que le constituant a souhaité soustraire les lois de finances au champ du référendum. Je ne juge pas opportun de revenir sur ce choix : lever l’impôt, je l’ai dit, est une des prérogatives historiques et essentielles du Parlement, qui doit la conserver.
Par ailleurs, les modifications que le présent texte apporte aux modalités du contrôle exercé par le Parlement sur la proposition de loi référendaire présentent des incertitudes. On remplacerait le terme : « examinée » par le terme : « rejetée » ; néanmoins, le texte ne prévoit pas ce qu’il adviendrait si la proposition de loi était adoptée par les deux assemblées, ou même par une seule d’entre elles.
Je crois donc que, sur ce point comme sur d’autres, la réflexion mérite d’être poursuivie.
Monsieur le sénateur Chantrel, le Gouvernement partage votre objectif : rendre plus accessible et plus effectif le référendum d’initiative partagée.
À cet égard, je salue votre initiative.
Elle rejoint les objectifs énoncés par le Président de la République dans le discours qu’il a prononcé, le 4 octobre 2023, à l’occasion du soixante-cinquième anniversaire de notre Constitution. Dans ce discours, le Président de la République a en effet indiqué vouloir que les citoyens soient « davantage sollicités et mieux associés », notamment par une réforme du référendum d’initiative partagée.
Le Gouvernement entend mettre en œuvre une telle réforme. Au cœur de ce projet, il y aura la question des seuils, sur laquelle nous devons encore travailler.
Mais la réflexion mérite également d’être poursuivie en ce qui concerne le champ référendaire. J’observe d’ailleurs, monsieur le sénateur Chantrel, que vous n’avez pas souhaité y intégrer les « questions de société », au contraire de ce qu’avait fait le Gouvernement dans un précédent projet.
Telle n’est sans doute pas la seule option envisageable, mais cette question devra être abordée.
Il nous faudra aussi réfléchir, collectivement, à des mécanismes efficaces pour éviter toute situation de concurrence des légitimités : il n’est pas question de permettre à des initiatives citoyennes de revenir sur un travail tout juste accompli par le Parlement, tout comme il n’est pas question de permettre au Parlement de revenir sur une loi référendaire tout juste adoptée.
Il faudra peut-être examiner d’autres questions afin d’éviter que le référendum d’initiative partagée n’oppose les citoyens aux parlementaires, au lieu de les associer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, sur tous ces sujets qui, d’évidence, ne sont pas tranchés, il nous faudra dégager des lignes de consensus ; je suis convaincu que nous y parviendrons.
Cependant, à ce stade de nos réflexions collectives, je ne saurais être favorable à cette proposition de loi constitutionnelle, car les travaux relatifs à la future révision constitutionnelle sont toujours en cours. La réflexion menée autour de l’article 11 mérite en effet d’être prolongée et précisée. Je sais du reste que le Sénat y prend toute sa part, sous l’égide du président Larcher.
La proposition de loi constitutionnelle dont nous débattons aujourd’hui sur l’initiative du groupe socialiste, ainsi que celle que vous avez examinée le mois dernier à la demande du groupe communiste, démontrent d’ailleurs l’engagement sur ces sujets de la chambre haute, sans laquelle, je le rappelle, il ne peut être touché à notre texte fondateur.