M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la citoyenneté et de la ville.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté, et auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ville. Madame la sénatrice Martin, je vous remercie de votre question.

Vous interpellez ma collègue Dominique Faure sur la question du site de l’association Vie et Lumière à Nevoy, dans le Loiret, et sur les modalités d’organisation du rassemblement annuel organisé sur place par cette association, qui réunit habituellement 40 000 personnes.

Vous avez fait mention des mesures d’accompagnement que nous avons prises récemment, au bénéfice des communes qui ont accueilli le rassemblement de Grostenquin.

Comme vous le savez, l’État a dû trouver la solution la plus adaptée pour accueillir ce rassemblement dans les meilleures conditions possible. Celui-ci s’est finalement tenu sur le site de la base aérienne, appartenant à l’État et habituellement affecté à des activités opérationnelles.

Concernant ce rassemblement en particulier, l’État a tenu à compenser les collectivités territoriales affectées par les dégradations liées à la tenue de cet événement, dans la mesure où il a choisi lui-même ce terrain dévolu.

Pour autant, le terrain privé appartenant à une association dans le Loiret ne saurait être l’objet d’un accompagnement financier identique, vous le comprendrez sans doute.

Ces deux situations sont différentes, même si j’entends bien que les communes de Nevoy et des alentours demandent un accompagnement dédié. Celui-ci existe, mais il n’est pas de même nature qu’à Grostenquin : à Nevoy, l’État est présent pour accompagner et sécuriser le rassemblement.

Comme chaque année, la préfecture du Loiret mettra en œuvre tous les moyens nécessaires pour que l’organisation de cet événement ne perturbe pas la vie du territoire et ne donne pas lieu à des dégradations locales. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Hugues Saury. C’est faux!

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État. Dans tous les cas, l’État serait à vos côtés si des dégâts étaient commis, pour mettre l’association concernée devant ses responsabilités et lui présenter les factures afférentes. Nous travaillons déjà avec elle, afin de lui soumettre une convention financière qui permettra de mieux anticiper et de mieux répondre à vos questions, lesquelles sont absolument légitimes.

M. le président. La parole est à Mme Pauline Martin, pour la réplique.

Mme Pauline Martin. Une fois de plus, nous constatons l’immobilisme de l’État devant le sentiment de déshérence des maires face aux gens du voyage. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire dÉtat. Je vous ai pourtant indiqué que l’État vous aiderait !

orientations de la politique agricole

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Antoine, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Jocelyne Antoine. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Monsieur le ministre, il n’a pu vous échapper que, depuis le début de la semaine, de nombreux panneaux d’entrée de nos communes ont été placés à l’envers ou échangés. Le message est clair : on marche sur la tête ! Ce sont les jeunes agriculteurs de nos départements qui nous le disent. Leur action est peut-être anecdotique, mais leur combat l’est moins.

Dans leurs exploitations, ils ont engagé une transition pour le renouvellement des générations, une transition énergétique, une transition environnementale. Pourtant, la pression sur leurs prix continue.

Or nos agriculteurs ne veulent pas de cette pression : ils demandent une vision, et la vôtre manque clairement d’ambition.

La politique agricole du Gouvernement est incohérente : vous imposez le respect des normes aux agriculteurs, alors même que la plupart des produits importés n’y répondent pas.

La coupe est pleine ; le monde agricole exprime son exaspération. Et notons que c’est encore par des actions syndicales respectueuses des biens et des personnes que les agriculteurs nous alertent cette semaine.

Aussi, monsieur le ministre, ma question est simple : quelles mesures durables et connectées à la réalité de terrain allez-vous prendre pour redonner du souffle, de la compétitivité et de l’espoir à nos agriculteurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice Antoine, il ne s’agit pas d’une action anecdotique ; il s’agit d’interpeller le Gouvernement, et nous tous, quant à la trajectoire que nous souhaitons adopter.

Vous demandez une réponse sur nos choix à ce propos, ainsi que sur nos objectifs. Dans l’hypothèse où vous n’auriez pas discerné ces derniers, les voici.

Notre premier objectif concerne les rémunérations. Celles-ci font l’objet des trois lois Égalim, respectivement la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, la loi du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs et la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.

Ces textes ont été votés par les deux assemblées et ont permis de travailler sur ce sujet, même s’il reste des progrès à faire. Vous ne croiserez pas un agriculteur souhaitant les abroger, même s’il faut aller plus loin. Concernant certains produits, nous savons combien la question de la rémunération est importante.

Le deuxième sujet concerne les assurances, pour vous donner des éléments concrets, tant j’ai le sentiment que vous en manquez. (Exclamations sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)

Mme Émilienne Poumirol. Tout de même !

M. Marc Fesneau, ministre. Vous avez voté, à l’Assemblée nationale et au Sénat, un texte qui modifie profondément le système assurantiel et garantit sa résilience.

Ensuite, nous devons fixer un cap. Pour ce qui nous concerne, c’est la souveraineté et la transition, parce que l’une n’ira pas sans l’autre. Pour atteindre la souveraineté, nous avons besoin d’assumer des transitions, en particulier celles qui sont liées au dérèglement climatique.

À cette fin, nous disposons d’un outil élaboré avec les professionnels agricoles : la planification. Celle-ci permet de déterminer si les injonctions que nous émettons en matière d’augmentation de la production de biomasse ou de souveraineté alimentaire permettent de répondre à celles qui concernent l’eau ou les produits phytosanitaires.

Enfin, pour être crédibles, nous avons besoin de moyens, lesquels relèvent du budget que vous examinerez prochainement. Pour l’année 2024, celui-ci atteint plus de 1,3 milliard d’euros. Ce montant, comme son augmentation, est sans précédent.

Nous disposons donc d’une trajectoire, d’une planification et de moyens financiers.

Par ailleurs, vous avez évoqué la question du pacte et de la loi d’orientation et d’avenir agricoles. Ces dispositifs serviront de cadre pour combiner ces éléments et les mettre en cohérence. Ils permettront ainsi d’illustrer la logique de notre action, que la Première ministre aura l’occasion d’évoquer dans les prochaines semaines. (MM. Thani Mohamed Soilihi et François Patriat applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Antoine, pour la réplique.

Mme Jocelyne Antoine. Monsieur le ministre, j’ai entendu vos explications. Pour autant, l’ensemble des mesures que vous évoquez ne répond pas entièrement à l’enjeu des prix, du partage de la valeur et de la valeur ajoutée. Nos paysans souffrent dans les campagnes ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 29 novembre 2023, à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Mathieu Darnaud.)

PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982
Discussion générale (suite)

Personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982

Adoption d’une proposition de loi modifiée

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982, présentée par M. Hussein Bourgi et plusieurs de ses collègues (proposition n° 864 [2021-2022], résultats des travaux de la commission n° 104, rapport n° 103). (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Dans la discussion générale, la parole est à M. Hussein Bourgi, auteur de la proposition de loi.

M. Hussein Bourgi, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai l’honneur de soumettre au débat et à vos votes cette proposition de loi portant reconnaissance et réparation des personnes condamnées pour homosexualité en France entre 1942 et 1982.

Je remercie mes 102 collègues sénatrices et sénateurs qui ont cosigné cette proposition de loi, ainsi que les collègues élus à la fin du mois de septembre dernier qui ont manifesté leur soutien à cette initiative parlementaire.

La diversité politique des cosignataires montre que nous nous apprêtons à débattre dans un climat apaisé d’un sujet qui peut et qui doit faire consensus.

Cette proposition de loi s’appuie sur deux idées simples : la quête de la vérité et la recherche de la justice. Telles sont les valeurs qui m’ont servi de boussole dans le cheminement m’ayant conduit à la rédaction et au dépôt de ce texte.

Les lois mémorielles se donnent bien souvent pour mission de réconcilier un pays avec son histoire, tant il est vrai que le passé de chaque État est fait de parts de lumières, dont il convient de tirer une légitime fierté, et de parts d’ombre, dont on gagne à reconnaître l’existence. L’histoire de notre pays, la France, n’échappe pas à cette règle.

Ils s’appelaient Henri de Montherlant, Roger Peyrefitte, Michel Chomarat ou Bernard Bousset. Certains étaient célèbres et, la plupart, anonymes. Ils aimaient la France. Ils la servaient. Ils la célébraient. Certains, comme Jean Desbordes, s’étaient engagés dans la Résistance. Ils chantaient la France, comme Charles Trenet.

Or, avec eux, comme avec des dizaines de milliers d’hommes et des centaines de femmes, la France ne fut pas douce. Elle fut au contraire cruelle.

La France a dépénalisé l’homosexualité en 1791 dans le code napoléonien, au lendemain de la Révolution française, devenant l’un des pays les plus progressistes en la matière. Nous le devons au juriste montpelliérain Jean-Jacques-Régis de Cambacérès.

Hélas, sous la IIIe République, de grands commis de l’État pressèrent le gouvernement de sévir contre l’homosexualité, si bien que cette parenthèse libérale fut de courte durée. Quelques années plus tard, en août 1942, ces grands commis de l’État virent en effet leurs vœux exaucés par le maréchal Pétain.

L’air du temps n’explique pas ce retour en arrière. À la même période, en Europe, la Suède, la Suisse ou encore la Pologne décriminalisaient les relations entre personnes de même sexe.

À rebours de son histoire, la France instaurait une majorité sexuelle de 21 ans pour les homosexuels, contre 13 ans pour les hétérosexuels.

D’apparence anodine, cette discrimination légitima jusqu’à la fin de la guerre la persécution, l’arrestation et la condamnation de dizaines de milliers d’hommes dans notre pays. Quelques centaines d’entre eux furent, hélas, déportés depuis la France vers les camps de rééducation et de concentration.

Longtemps éclipsés dans la mémoire collective, ceux qui étaient obligés de porter le triangle rose ont été progressivement réhabilités. Nous le devons aux travaux des historiens Florence Tamagne, Régis Schlagdenhauffen et Mickaël Bertrand, auxquels je tiens à rendre hommage.

À la Libération, alors que la plupart des textes de Pétain furent abrogés, le ministre de la justice de l’époque, François de Menthon, fit le choix de conserver cette loi réprimant l’homosexualité, tout en la défendant et en la justifiant dans l’ordonnance du 8 février 1945.

En 1960, la législation prohibant les relations homosexuelles fut même renforcée par l’adoption d’un amendement du député de Moselle Paul Mirguet, tendant à insérer ce qui est devenu l’alinéa 2 de l’article 330 du code pénal. Considérant l’homosexualité comme un fléau social qu’il convenait de combattre, Paul Mirguet réussit à convaincre une majorité de députés de doubler la peine pour outrage à la pudeur lorsqu’il s’agissait de rapports homosexuels, créant de fait une circonstance aggravante.

Cette nouvelle législation répressive entraîna une persécution des personnes homosexuelles, traquées dans les lieux de rencontre et parfois jusque dans l’intimité de leur logis à la suite d’une dénonciation. Elle permit également la constitution de fichiers d’invertis par la police nationale et fit l’objet d’une application zélée par les juges, puisque, jusqu’en 1978, quelque 93 % des condamnations liées à ces infractions se soldèrent par des peines d’emprisonnement.

En 1977, à l’occasion du médiatique procès du Manhattan et de la mobilisation d’intellectuels tels que Michel Foucault et Marguerite Duras qui s’ensuivit, le législateur envisagea enfin de remettre en cause ces dispositions iniques de l’arsenal pénal de l’époque.

Je salue le courage et la ténacité de l’une des victimes de cette triste affaire, le lyonnais Michel Chomarat, aujourd’hui âgé de 75 ans, qui, depuis des années, témoigne inlassablement pour lui et pour ses compagnons d’infortune.

En 1978, le Sénat, sur l’initiative de notre regretté collègue Henri Caillavet, sénateur du Lot-et-Garonne, proposa l’abrogation des deux infractions liées à l’homosexualité.

Convaincue par les arguments du sénateur Caillavet, qui souligna la nécessité de tenir compte de l’évolution des mœurs et des esprits, la Haute Assemblée de l’époque le suivit et vota sa proposition de loi.

Reprise par le député-maire Michel Crépeau à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi se heurta à l’hostilité de la majorité des députés. Il fallut attendre 1980 et l’action volontariste de Monique Pelletier, secrétaire d’État dans le gouvernement de Raymond Barre, pour que fut abrogée la circonstance aggravante d’homosexualité dans le cadre d’un outrage public à la pudeur.

Arrivée au pouvoir, la gauche amnistia dès 1981 les personnes condamnées pour homosexualité.

Enfin, le 4 août 1982, sur l’initiative du garde des sceaux Robert Badinter, du député du Territoire de Belfort Raymond Forni et de la rapporteure Gisèle Halimi, et avec le concours de notre ancien collègue sénateur de Haute-Saône Jean-Pierre Michel, la majorité sexuelle discriminante héritée de Vichy fut abrogée.

Le sociologue Régis Schlagdenhauffen estime que 10 000 à 50 000 personnes ont été condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982. Ses travaux sont corroborés par de nombreux universitaires, parmi lesquels Antoine Idier, Sébastien Landrieux, Romain Jaouen, Sherine Berzig ou Marc Boninchi.

Peu de ces condamnés – quelques centaines au mieux – sont encore en vie à l’heure où je vous parle, mes chers collègues.

Pour toutes les personnes condamnées, le prix à payer fut lourd. Les condamnations, qu’elles soient assorties d’amendes ou de courtes peines de prison, constituaient des taches indélébiles, y compris pour les plus légères. Ces sanctions pénales allaient en effet de pair avec l’opprobre social, l’ostracisme et le rejet des prévenus par leur famille. Elles entraînèrent également bien souvent le licenciement ou la ruine de la carrière professionnelle de ces personnes.

Ces pertes sociales, morales et financières ne sauraient être évaluées. Ces peines infamantes ont marqué à vie des existences. Elles firent voler en éclat des vies et des familles. « Car le plus lourd fardeau, c’est d’exister sans vivre », disait Victor Hugo. Nombre de ces hommes continuèrent à exister en ayant perdu le goût de la vie.

Ces condamnations poussèrent au suicide certains malheureux, acculés à la mort par une presse peu scrupuleuse qui étalait leur identité ou publiait les photos des devantures des commerces dans lesquels ils travaillaient. Aucune loi ne sera certes en mesure de réparer ce préjudice, mais nous pouvons tâcher de nous y employer, mes chers collègues.

Tel est l’objet de cette proposition de loi, qui, dans son article 1er, reconnaît la responsabilité de la France dans les répressions subies. Si le rapporteur semble souscrire à l’objectif de cet article, il souhaite faire commencer la reconnaissance en 1945, estimant que la République française ne peut être tenue pour comptable des agissements du régime de Vichy.

Nous peinons à partager le raisonnement juridique du rapporteur, puisque la République a, hélas, repris à son compte et conservé la loi adoptée sous le régime de Pétain.

Nous peinons également à partager son raisonnement politique, puisque le jour de la libération de Paris, le 25 août 1944, à l’Hôtel de Ville, pressé par Georges Bidault de proclamer la République, le général de Gaulle lui répondit qu’elle n’avait jamais cessé d’exister.

Plus récemment, le 16 juillet 1995, abandonnant toutes les circonvolutions de ses prédécesseurs à l’Élysée et même de certains de ses compagnons du Rassemblement pour la République (RPR), le regretté Jacques Chirac, Président de la République, prononça un discours historique fondateur, reconnaissant la responsabilité de la France dans la persécution des juifs pendant l’Occupation.

L’article 2 de la proposition de loi prévoit la répression de la négation et de la contestation de la déportation pour motif d’homosexualité.

L’article 3 instaure un dédommagement pour les victimes condamnées, dont je précise qu’il ne concernerait que quelques centaines de personnes.

Mes chers collègues, je forme le vœu que, sur un tel sujet, l’esprit de concorde guide vos votes.

Il est des lois qui ne souffrent ni la controverse ni la polémique. J’ai le sentiment que celle-ci en fait partie. Plus qu’un symbole, son adoption permettra peut-être de refermer les plaies des personnes condamnées, non pas pour ce qu’elles faisaient, mais pour ce qu’elles étaient.

Inquiéter et condamner quelqu’un pour son intimité, pour son identité, c’est porter atteinte à sa dignité. Réparer ces injustices, panser ces blessures, apaiser la mémoire de ceux qui en ont pâti et qui sont morts, c’est faire preuve d’humanité.

« Je suis de la couleur de ceux qu’on persécute », disait Alphonse de Lamartine.

Comme Lamartine, soyons tous et toutes de la couleur de ceux qu’on persécute, mes chers collègues.

Comme Lamartine, soyons tous et toutes de la religion de ceux qu’on opprime.

Comme Lamartine, soyons tous et toutes de l’orientation sexuelle de ceux que la France a condamnés ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Jean-Michel Arnaud, Mme Évelyne Perrot et Jean-Gérard Paumier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat examine une proposition de loi qui, dans son fondement, ne peut que recueillir l’assentiment de toute cette assemblée.

Toutefois, le Sénat est tenu de voter des lois, lesquelles s’appuient sur le droit. À cet égard, la proposition qui vous est faite pèche pour plusieurs raisons, mes chers collègues.

La première raison a trait à la période visée. Si je me réjouis que Jacques Chirac, en particulier depuis sa mort, soit devenu si populaire qu’il est constamment cité par mes collègues des travées de gauche (Sourires sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Exclamations sur les travées du groupe SER.), je vous ferai observer, mon cher collègue Bourgi, que les historiens eux-mêmes distinguent les périodes 1942-1945 et 1945-1982.

Vous les distinguez aussi, mon cher collègue, puisque le nouveau délit de « négationnisme » que vous proposez de créer ne s’appliquerait logiquement pas aux faits commis entre 1945 et 1982.

Pour des raisons de morale politique, la République ne peut endosser la responsabilité des crimes de Vichy, d’autant que, au-delà de son cadre institutionnel particulier, la période 1942-1945 est marquée par la répression politique systématique de l’homosexualité, pour des raisons idéologiques.

Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des lois souhaite recentrer le dispositif de l’article 1er sur la période 1945-1982.

La deuxième raison est liée à la réparation financière. Lors de son audition devant la commission, Ariane Chemin a évoqué les nombreux drames qui sont nés de cette législation. Mais, comme vous l’avez dit, mon cher collègue, ce n’est pas tant l’application de la loi que le regard de la société qui a causé tous ces dommages. Ces derniers sont le produit, non pas des condamnations prononcées par les juges, mais de l’homophobie qui, à l’époque, caractérisait la société française tout entière.

Il y a cinquante ans, de nombreux psychiatres expliquaient que l’homosexualité faisait partie des maladies mentales. Je me souviens – c’est le privilège de l’âge ! – d’un épisode de l’émission Les Dossiers de lécran qui présentait l’homosexualité comme une maladie mentale.

L’on peut certes, après-coup, estimer que le regard posé par la société sur les homosexuels il y a cinquante ans était répréhensible, mais la loi ne peut pas pour autant être tenue pour responsable des préjudices, par ailleurs bien réels, subis par les personnes condamnées.

Si ces personnes ont effectivement été exclues, au point que certaines ont été contraintes de changer de métier ou de déménager, si ces situations terribles ont causé des suicides, ces drames ne sont pas arrivés par la faute de la République, mon cher collègue. La responsabilité, collective, en revient à toute la société et aux préjugés qui étaient les siens il y a cinquante ans.

Or le Sénat n’a pas pour rôle de juger la société. Nous devons nous en tenir au droit, c’est-à-dire au caractère discriminatoire de la loi de la République, puisque ce qui était toléré entre personnes hétérosexuelles était considéré comme un délit entre personnes homosexuelles. La même situation ne produisant pas les mêmes effets juridiques, il s’agit indiscutablement de discrimination. À ce titre, la faute commise par la République est patente.

La réparation des personnes condamnées se heurte par ailleurs, d’une part, à l’effacement des condamnations prononcées par l’amnistie de 1981, et, d’autre part, aux règles de droit commun en matière de prescription. En donnant réparation à des personnes pour un préjudice qu’elles ont subi il y a plus de quarante ans, vous créeriez un dangereux précédent, mon cher collègue, car cela signifierait que les règles encadrant la prescription ne prévalent pas en la matière.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela ne tient pas !

M. Francis Szpiner, rapporteur. Puisque vous êtes une brillante juriste, je ne doute pas que vous démontrerez le contraire, madame de La Gontrie.

M. Francis Szpiner, rapporteur. Je vous invite toutefois à relire le texte de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie, à laquelle vous songez peut-être : si les règles de prescription quadriennales ne s’appliquent pas, la réparation accordée est liée aux effets d’une politique assumée de l’État, notamment aux conditions de vie indignes qu’elle a emportées pour les harkis. Cela n’a rien à voir avec le sujet qui nous préoccupe.

Telles sont les raisons pour lesquelles la commission estime qu’il convient de ne pas retenir le principe des réparations.

La troisième faiblesse de cette proposition de loi a trait au problème du négationnisme. La commission ne peut pas vous suivre pour deux raisons, mon cher collègue.

Tout d’abord, le statut du tribunal militaire appelé à juger les crimes commis par les nazis, dit tribunal de Nuremberg, cite expressément la déportation dans son ensemble, que celle-ci ait concerné les juifs, les communistes, les résistants, les Tziganes ou les homosexuels, comme constitutive d’un crime contre l’humanité. La négation de la déportation entre de ce fait dans le cadre de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Il n’y a donc pas lieu de créer une nouvelle infraction. Ce ne serait légitime ni sur le plan philosophique, au regard de l’indivisibilité et de l’universalité des droits de l’homme, ni sur le plan juridique, compte tenu de ce que prévoit déjà le statut de Nuremberg.

Ensuite, un certain nombre d’associations luttant contre l’homophobie ont engagé des procédures sur le fondement de la loi de 1881. L’adoption du texte que vous proposez pourrait donc entraîner la relaxe des personnes que ces associations poursuivent, mon cher collègue. Il ne s’agit pas de leur faire plaisir : je m’en tiens à examiner le droit.

Telles sont les raisons pour lesquelles je suis favorable au vote d’un article unique portant reconnaissance de la politique discriminatoire pratiquée par la République de 1945 à 1982. Nous sommes dans le symbole, mes chers collègues, mais celui-ci a toute son importance, car, aujourd’hui encore, des gamins de 18 ans sont chassés de chez eux lorsque leurs parents découvrent leur homosexualité.

Il importe donc que le Sénat affirme – nous en sommes d’accord, mon cher collègue – que les lois discriminatoires contre les homosexuels sont contraires à l’idée que nous nous faisons de la République, de la fraternité et de la condition humaine.

Le Sénat ne peut toutefois en faire davantage, en se substituant au travail d’éducation de toute la société, ainsi qu’à celui des familles et de chacun. La loi ne peut malheureusement pas régler toutes les difficultés liées à l’homophobie.

J’estime toutefois que, en affirmant symboliquement que la République s’est mal conduite en instaurant une discrimination, nous apportons notre aide à ceux qui mènent ce combat légitime. Telle est la raison pour laquelle j’aurais souhaité que nous parvenions à un consensus, mes chers collègues.

J’ai enfin été très choqué de lire que nous aurions refusé un certain nombre d’auditions, et j’espère que l’auteur de la proposition de loi aura l’honnêteté de reconnaître que ce n’est pas exact. Ne disposant que de très peu de temps, ce qui n’était du fait ni de la commission ni de votre rapporteur, nous avons demandé des contributions écrites, que nous avons obtenues, à toutes les personnalités que nous n’avons pas pu entendre.

Il est scandaleux de prétendre que nous aurions bâclé le travail, et je suis certain que vous aurez à cœur de rectifier ces propos, mon cher collègue Bourgi.

Ces critiques sont toutefois intéressantes, car elles montrent que le travail reste à faire. Le problème que vous soulevez recouvrant des périodes et des situations différentes, mon cher collègue, il serait souhaitable que l’autorité publique missionne et accompagne des universitaires pour établir les faits.

En effet, la direction des affaires criminelles et des grâces, que nous avons interrogée, n’a pas été en mesure de nous aider beaucoup, car la Chancellerie – c’est heureux – ne tient pas de fichier des personnes condamnées pour homosexualité.