M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des outre-mer.
M. Philippe Vigier, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice Audrey Bélim, vous le savez, après l’appel de Fort-de-France le Gouvernement a exprimé sa volonté de bâtir un nouvel avenir pour les outre-mer.
Cet engagement a été décliné en 72 mesures retenues par le Comité interministériel des outre-mer (Ciom), dont le premier bilan d’étape sera dressé demain et après-demain, à Paris.
La première de ces 72 mesures, rédigées, non par moi, mais par les membres du Ciom, consiste précisément à réformer en profondeur l’octroi de mer, dont vous venez de rappeler le caractère injuste et inégalitaire. À l’origine, cette taxe visait les seuls produits venus de l’extérieur ; aujourd’hui, elle s’applique également aux produits locaux.
Avec Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, j’ai établi un dialogue et un calendrier pour mener la réforme de l’octroi de mer. Les élus locaux seront bien sûr associés à ce travail. Nous venons d’ailleurs d’écrire aux présidents de collectivités, ainsi qu’aux présidents des différentes associations des maires. De même, nous consulterons les parlementaires et les représentants du monde économique. Une première rencontre aura lieu avec ces derniers dès le mois de décembre prochain.
Si je me réfère au calendrier fixé par Mme la Première ministre, nous aurons toute l’année 2024 pour conduire cette réforme, car elle doit se traduire dans le budget pour 2025 et entrer pleinement en application en 2027.
Oui, nous garantirons les recettes des communes et, plus largement, des collectivités territoriales ultramarines. Oui, nous entendons lutter contre la vie chère en mettant fin aux applications abusives de l’octroi de mer, qui, aujourd’hui, frappe jusqu’aux denrées de première nécessité.
Madame la sénatrice, cette réforme est indispensable. C’est ensemble que nous la mènerons, sinon, elle n’aura tout simplement pas lieu. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
lutte contre les violences faites aux élus
M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Ma question s’adresse à Mme la Première ministre.
« Gestion de la commune », option « autodéfense » : tel est le nouveau module de formation proposé aux maires, dispensé notamment par les forces du Raid. Quelle est la prochaine étape ? Que les maires deviennent à leur tour des militaires de carrière ?
L’augmentation croissante des agressions d’élus, notamment des injures anonymes en ligne, et sa conséquence directe, à savoir les démissions en cascade de maires, sont devenues le marronnier de l’assemblée générale des maires de France. C’est aussi le symbole de l’échec de notre République.
L’origine de ce fléau ne fait aucun doute : c’est le délitement de l’autorité et la contestation quasi systématique des décisions prises par ces élus.
Malgré les discours de fermeté, les marques d’indignation et même les postures martiales du Gouvernement, la situation ne cesse de se dégrader. Les récentes annonces, dont la création d’un numéro vert pour les élus, dispositif que l’Association des maires de France (AMF) a d’ailleurs déjà mis en œuvre, ne suffiront pas.
Prenons le problème à bras-le-corps. Mettons fin à cette dérive, qui conduit à l’ensauvagement de la société.
La perte de l’autorité de l’État est le problème majeur de notre pays. Sans une extrême fermeté envers ceux qui font désormais de la violence un mode d’expression comme un autre, nous n’y arriverons pas.
Pour ma part, je suis fière d’appartenir au groupe Les Républicains du Sénat, qui, le premier, a su tirer la sonnette d’alarme et, face à ce fléau, émettre des propositions fortes, adoptées ici même le mois dernier.
Madame la Première ministre, la situation est intenable. La République va mal. Nos édiles sont inquiets. Vos annonces, nous les connaissons, mais rassurez-nous : de nouvelles mesures sont-elles prévues pour que nos maires puissent, enfin, exercer leur mandat sans l’angoisse d’être agressés ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la citoyenneté et de la ville.
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté, et auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de la ville. Madame la sénatrice Borchio Fontimp, la protection des élus est une priorité – vous avez raison de le souligner. Elle concourt à la protection de la République dans son entièreté.
M. François Bonhomme. Ça commence bien…
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État. Or, comme vous le relevez, nous faisons face depuis un an à une recrudescence des violences envers nos élus, lesquels ont été victimes d’agressions particulièrement abjectes.
Les élus locaux, notamment les maires, sont les premiers touchés : si le nombre de violences physiques n’augmente pas, les menaces et les outrages se multiplient.
Le Gouvernement s’est engagé pour mieux mesurer ce phénomène, mieux prévenir les atteintes infligées aux élus et mieux sanctionner ceux qui les attaquent. Il a décrété la mobilisation générale, afin de provoquer un véritable choc civique.
Concrètement, nous avons créé un « pack sécurité » destiné aux élus et lancé un plan national de lutte contre les violences faites à ces derniers. Ces initiatives seront financées à hauteur de 5 millions d’euros pour 2024. J’ajoute que 3 400 référents élus, policiers et gendarmes sont d’ores et déjà dédiés à cette politique.
Dans chaque arrondissement, préfets et procureurs ont réuni les élus. Bientôt, des boutons d’alarme seront mis en service et des systèmes de vidéoprotection dédiés installés. (M. Philippe Bas s’exclame.)
Le centre d’analyse et de lutte contre les atteintes aux élus (Calae) a pour mission de suivre ce phénomène et de coordonner la mise en œuvre de ces mesures. Il assure le suivi individuel quasi quotidien d’une cinquantaine de cas.
M. le ministre de l’intérieur et M. le garde des sceaux sont au travail. Lundi dernier, un numéro d’assistance psychologique destiné aux élus et à leur famille a été activé, en lien avec France victimes.
M. Rémy Pointereau. Où est la protection ?
Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État. Cette semaine, un premier point d’étape sera effectué par Mme Dominique Faure lors du congrès des maires. Ma collègue chargée des collectivités territoriales rencontrera les maires en compagnie de magistrats, de gendarmes et de policiers.
Le diagnostic est désormais clair, les moyens sont déployés (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.) et nous nous assurerons que les résultats sont à la hauteur de la mobilisation. J’espère que vous le ferez avec nous. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp, pour la réplique.
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Madame la secrétaire d’État, comme nous nous y attendions, vous avez énuméré les mesures déjà annoncées par votre gouvernement sans proposer de traiter les causes de ce fléau ou détailler de nouvelles initiatives…
Or il est grand temps d’agir réellement pour mettre fin à cette crise civique majeure, dont les violences envers les élus sont le triste reflet, et de mobiliser des moyens en conséquence.
Au lieu d’enseigner la théorie du genre à nos enfants (Protestations sur des travées des groupes SER et GEST.), peut-être faudrait-il leur apprendre en classe à respecter nos élus, nos institutions et les valeurs de la République ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Duffourg et Mme Christine Herzog applaudissent également.)
mise en œuvre de la loi créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Madame la ministre, je commencerai par un chiffre : 244 300, c’est – vous le savez – le nombre de victimes de violences conjugales recensées en 2022.
Pour sortir du cycle de la violence, ces victimes, qui sont principalement des femmes, doivent accomplir un véritable parcours du combattant.
Parfois la victime ne travaille pas. C’est d’ailleurs un moyen pour le conjoint violent de la contrôler. Et quand elle travaille, il n’est pas rare que ce dernier lui confisque ses ressources. Or l’autonomie financière est un préalable indispensable à la rupture.
Face à ce constat, notre ancienne collègue Valérie Létard a fait adopter en février dernier, à l’unanimité du Parlement, une proposition de loi dont Jocelyne Guidez était la rapporteure au Sénat.
Il est regrettable que Valérie Létard n’ait pas été associée à l’élaboration des décrets d’application de sa loi, instaurant une aide universelle d’urgence. D’ailleurs, nous attendons encore ces textes et, vous le savez sans doute, depuis le « zéro artificialisation nette » (ZAN), le Sénat est particulièrement sensible en la matière.
Madame la ministre, mes questions sont les suivantes.
Premièrement, quand les décrets d’application seront-ils publiés ?
Deuxièmement, cette loi instaure un soutien financier versé par la caisse d’allocations familiales (CAF) : quel budget y consacrera-t-on et selon quelles modalités ? Le décret le précise-t-il ?
Troisièmement, et enfin, ce texte prévoit une loi de programmation pluriannuelle de lutte contre les violences faites aux femmes : à quand cette loi ? (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Madame la sénatrice Vérien, vous l’avez rappelé en préambule : au total, plus de 244 000 victimes de violences conjugales ont été signalées aux forces de l’ordre au cours de l’année 2022.
On doit en déduire, non que ces victimes sont de plus en plus nombreuses, mais que les femmes parlent davantage. Pour mémoire, elles n’étaient que 120 000 en 2017. À l’évidence, un profond changement s’opère dans notre société.
Depuis six ans maintenant, nous luttons sans relâche contre les violences faites aux femmes, en actionnant tous les leviers à notre disposition. Nous commençons par recueillir la parole des femmes victimes. Puis, nous nous efforçons bien sûr d’assurer leur protection et de sanctionner les auteurs des faits.
L’aide universelle d’urgence, que vous avez évoquée, viendra compléter le pack nouveau départ. Elle est en effet le fruit d’un travail mené par votre ancienne collègue Valérie Létard, dont la proposition de loi a été votée à l’unanimité, notamment au Sénat.
À ce titre, je tiens à saluer l’action de la Haute Assemblée. Une telle aide est essentielle, car elle permettra d’accompagner financièrement ces femmes. Elle sera octroyée par la CAF sous trois à cinq jours ouvrés. J’ajoute que, à la demande de Mme la Première ministre, elle sera disponible dès le 1er décembre prochain.
Cette aide financière ne devait être effective qu’au début du mois de janvier 2024. Si nous avons avancé sa mise en œuvre, c’est parce que nous savons combien elle sera bénéfique pour les femmes qui ont besoin de partir.
L’aide universelle d’urgence ira de 243 euros à plus de 1 300 euros ; pour une femme avec trois enfants et travaillant au Smic, elle s’élèvera ainsi à 1 377 euros. Cette somme permettra de subvenir aux premières dépenses, qui, vous le savez, peuvent être nombreuses quand on quitte le domicile conjugal précipitamment. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour la réplique.
Mme Dominique Vérien. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse et je salue votre engagement.
Un versement sous trois à cinq jours est en effet rapide. Mais, dans bien des départements, il faut attendre quinze jours avant d’obtenir un premier rendez-vous à la CAF : les services dont il s’agit sont souvent engorgés, ce qui complique bon nombre de situations.
Le département du Nord, qui a expérimenté l’aide universelle d’urgence, a ainsi conçu des dispositifs permettant une demande immédiate par les services sociaux du conseil départemental, voire par un commissariat. On évite ainsi les délais d’obtention d’un rendez-vous à la CAF. De grâce, assurez-vous que ces possibilités figureront dans le décret ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
mission sur la clarification de l’action publique et les nouvelles pistes de décentralisation
M. le président. La parole est à M. Jean-Gérard Paumier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Gérard Paumier. Madame la Première ministre, après la première rencontre de Saint-Denis, vous avez lancé « une mission temporaire ayant pour objet la clarification de l’action publique territoriale et l’identification de nouvelles pistes de décentralisation ».
Or les maires et les élus locaux demandent plutôt une clarification de l’action publique nationale et de leurs moyens d’agir, en lien avec les services déconcentrés de l’État.
Ils demandent la clarification des décisions de l’État en matière de finances locales et de compétences transférées ; la clarification du rôle des innombrables et coûteuses agences nationales qui diluent les responsabilités, créent de la norme supplémentaire et compliquent l’action des collectivités.
De même, la clarification des appels à projets s’impose. Ceux-ci se multiplient à l’envi, assortis de calendriers souvent très courts défavorisant les petites collectivités dépourvues d’ingénierie, pour des montants justifiant plutôt un pilotage préfectoral déconcentré qu’un pilotage ministériel.
La clarification, encore, de la succession des programmes d’État, qui donnent le tournis aux communes et sont rarement évalués est nécessaire : Action cœur de ville, contrats de ruralité, opérations de revitalisation de territoire, Territoires d’industrie, Territoires à énergie positive pour la croissance verte, Territoires pilotes de sobriété foncière, contrats de relance et de transition écologique (CRTE), Petites villes de demain, Villages d’avenir, etc.
Enfin, nous avons besoin d’une clarification des règles d’attribution des dotations déconcentrées, dont les périmètres et les critères ne facilitent pas la tâche des maires qui remplissent les dossiers : dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), fonds vert.
Après la seconde rencontre de Saint-Denis, et durant le déroulé de la mission Woerth, le Gouvernement envisage-t-il de lancer une mission temporaire, afin de clarifier l’action publique nationale et les moyens d’agir des maires dans un cadre déconcentré ? Si tel devait être le cas, pourquoi ne pas la confier à un membre de la Haute Assemblée, chambre des territoires ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Mickaël Vallet applaudit également.)
Mme Sophie Primas. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Paumier, tout d’abord, aux alentours de midi trente, un son très doux a sans doute tinté aux oreilles de certains sénateurs – Louis-Jean de Nicolaÿ, Françoise Gatel ou encore Bruno Retailleau, parmi d’autres –, en raison du compliment que j’adressais alors à la Haute Assemblée (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.), à l’occasion du congrès des maires.
En effet, j’y ai officialisé une charte entre les agences, grâce à laquelle ce que vous avez dénoncé comme une « agenciarisation » rampante d’une partie de l’État se traduit par une simplification des accès, avant d’imaginer un quelconque big-bang.
Aides-territoires permet ainsi à un maire de ne pas s’interroger sur le bon opérateur ou sur la porte d’entrée pertinente, mais de savoir que, en connaissant l’adresse de sa préfecture et en disposant, potentiellement, d’un lien internet, il peut bénéficier du soutien de l’État. Je tenais à le dire, parce qu’il s’agit d’un élément de réponse.
Ensuite, vous m’interrogez indirectement sur la mission Woerth et vous vous demandez s’il ne serait pas opportun d’en lancer une autre en parallèle.
Je reprends volontiers à mon compte le début de votre plaidoyer, monsieur le sénateur Paumier : il est en effet nécessaire d’introduire de la clarté là où l’on donne parfois le sentiment d’une superposition. De ce fait, il ne me semble pas qu’une superposition de missions dans le même laps de temps serait de nature à renforcer ladite clarté.
Nous avons confié une mission à Éric Woerth, qui consiste à examiner les perspectives de déconcentration et de décentralisation, ainsi que la question des moyens et celle du statut des élus. Pour cela, il s’appuiera sur des travaux existants et sur des rencontres avec des élus, dont il réalisera une synthèse, de manière à avancer une proposition globale.
C’est alors – les délais étant courts, ce sera dans quelques mois – qu’il conviendra de déterminer, avec le Parlement, les directions dans lesquelles nous avancerons. Il est préférable de procéder ainsi, plutôt que d’engager plusieurs démarches en parallèle, au risque de perdre un peu tout le monde.
Souhaitons-nous de la simplification ? Oui. Souhaitons-nous de la décentralisation ? Oui. Souhaitons-nous diminuer les appels à projets ? Oui.
Tel est le sens de l’action que je mène depuis cinq cents jours sous l’autorité d’Élisabeth Borne, et qui va se poursuivre. (MM. Thani Mohamed Soilihi et François Patriat applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Gérard Paumier, pour la réplique.
M. Jean-Gérard Paumier. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre non-réponse à la question posée.
Puissent vos décisions concrètes en la matière donner tort à Jean de La Fontaine, qui écrivait :
« Ne faut-il que délibérer,
« La cour en conseillers foisonne ;
« Est-il besoin d’exécuter,
« L’on ne rencontre plus personne. »
(Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
difficultés des maires dans l’exercice de leur mandat
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Vayssouze-Faure, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Monsieur le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, la dernière enquête de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) et du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) confirme le malaise des élus locaux, confrontés à l’affaiblissement de leur pouvoir d’agir.
La diminution de la dotation globale de fonctionnement (DGF) en euros constants, les compétences, que l’État ne transfère plus, mais abandonne aux collectivités sans leur attribuer les moyens adaptés, l’amenuisement des leviers fiscaux, telles sont les difficultés qui freinent l’engagement des élus locaux.
S’y ajoute l’urgence à apporter une réponse aux communes qui font face à la complexification de l’accès aux assurances, dans un contexte de crises à répétition.
Depuis le début de leur mandat, 1 300 maires ont déjà démissionné. Parmi les raisons avancées à ce chiffre dans les résultats de l’enquête, les élus placent en deuxième position les relations de plus en plus complexes avec l’État. Pour autant, sur ce sujet, c’est non pas à eux de faire des efforts, mais bien à l’État.
Ce qui décourage les élus, c’est la multiplication des appels à projets et la mise en place d’une réglementation technocratique excessive pour des sujets pourtant essentiels, comme la transition écologique. La mise en application du « zéro artificialisation nette » (ZAN) en est un parfait exemple. En réalité, le choc de simplification tant attendu s’est transformé en choc de suradministration.
Monsieur le ministre, que compte faire le Gouvernement pour lutter concrètement contre ces obstacles, qui découragent les 500 000 élus de notre pays et qui portent atteinte à notre démocratie locale ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. (Encore ! sur diverses travées.)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Vayssouze-Faure, il y a peu de temps encore, vous étiez maire de Cahors.
Vous avez sans doute perçu, entre vos deux mandats, combien, depuis quelques années, les attentes de la population et la manière dont s’expriment parfois ses revendications n’évoluent pas dans le sens de la modération.
La période du covid-19 a sans doute été pour quelque chose dans le maintien de gestes barrières inconscients envers une partie de nos concitoyens et de nos voisins ; un degré d’agressivité supplémentaire s’est invité dans le débat public. Je l’ai vécu comme maire ; je ne doute pas que cela ait été aussi le cas de beaucoup d’entre vous.
Dans le même temps, il serait juste de reconnaître que ce chiffre, s’il est effrayant, n’est supérieur que de 10 % à celui du mandat précédent, alors que les difficultés que vous décrivez n’étaient pas les mêmes.
Oui, l’État doit prendre sa part de responsabilité, parce qu’il organise les règles du jeu et parce que, parfois, il les définit. Il doit entendre que les plus petites communes, en particulier, ne souffrent pas seulement des normes, mais aussi de la réunionite.
Ainsi, des maires m’expliquent combien, entre les périmètres des schémas de cohérence territoriale (Scot), les pays, là où ils existent, les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) et les intercommunalités, le peu de temps qu’ils passent chez eux finit par peser sur d’autres liens et sur d’autres équilibres, qui ne sont ni municipaux ni budgétaires.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est vrai !
M. Christophe Béchu, ministre. J’entends, de plus, qu’est posée la question du statut.
Certes, dans l’enquête du Cevipof que vous citez, les maires ne demandent pas d’abord à être mieux payés et davantage aidés. Pour autant, on ne saurait gérer autant de contraintes sous autant de pression sans bénéficier de cette forme de reconnaissance qui, malheureusement, ne se décrète pas par la loi et qui a disparu du regard d’une partie de nos concitoyens, remplacée par des insultes et de la violence.
Enfin, plus largement, se pose la question des moyens, concernant à la fois les collectivités territoriales et les communes qui les composent.
Sur ce point, entre votre interpellation, l’enquête du Cevipof et le rapport d’information Avis de tempête sur la démocratie locale : soignons le mal des maires de M. Darnaud,…
M. Michel Savin. L’excellent rapport ! (Sourires.)
M. Christophe Béchu, ministre. … nous disposons d’éléments pour avancer, en attendant les conclusions de la mission Woerth. (MM. Thani Mohamed Soilihi et François Patriat applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Vayssouze-Faure, pour la réplique.
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Monsieur le ministre, j’ai bien entendu les mesures sur lesquelles vous êtes prêt à avancer, mais nous avons besoin d’une action d’ampleur sur ce sujet. Nous ne nous contenterons pas d’un numéro vert, d’une énième mission sur la décentralisation ou d’un florilège de plans, qui se résument souvent à de simples opérations de communication.
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. Dans mon département comme ailleurs, les agriculteurs ont inversé les panneaux à l’entrée de nos communes, pour exprimer leur mécontentement face au retard du versement de leurs aides. Ils sont les victimes d’un transfert de compétence vers les régions qui a été opéré sans être accompagné de la compensation financière et humaine nécessaire.
Comme les élus locaux, ils font face à un étau administratif qui se resserre.
Monsieur le ministre, ne nous obligez pas à prendre le relais de ce mouvement. À force de chercher à bouleverser notre échelon de proximité, vous allez finir par nous faire, nous aussi, marcher sur la tête ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Philippe Grosvalet applaudit également.)
compensation financière des communes pour l’accueil des gens du voyage
M. le président. La parole est à Mme Pauline Martin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pauline Martin. Ma question s’adressait à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, mais celle-ci est remplacée par Mme la secrétaire d’État chargée de la citoyenneté et de la ville.
Madame la secrétaire d’État, en mai dernier, mon collègue sénateur Hugues Saury vous interpellait à propos de l’intolérable abandon de nos collectivités à l’occasion de l’organisation d’événements de grande ampleur concernant les gens du voyage.
Il vous rappelait ainsi toutes les difficultés rencontrées par la commune de Nevoy, dans le Loiret, et par l’ensemble du bassin de vie du Giennois, face à l’afflux de 40 000 pèlerins de l’association Vie et Lumière.
Grâce à la mobilisation de tous, un second rassemblement, prévu pour août dernier, a finalement été déplacé sur l’ancienne base aérienne de Grostenquin, en Moselle. Nous vous en remercions très sincèrement, ce qui n’est peut-être pas le cas de nos collègues de Moselle !
M. Khalifé Khalifé. En effet !
Mme Pauline Martin. Tout comme Nevoy et ses alentours, les communes voisines de cette base aérienne ont dû subir durant deux semaines les inévitables nuisances que provoque un rassemblement d’une telle ampleur dans un territoire non dimensionné pour le recevoir.
L’État, prenant ses responsabilités, a annoncé le jeudi 19 octobre dernier que les communes de Moselle ayant subi ce rassemblement percevraient 1,5 million d’euros de compensation. Je salue cette décision, qui me paraissait indispensable.
Vous comprendrez dès lors le sens de ma triple question.
Tout d’abord, de quelle façon l’État envisage-t-il d’accompagner le prochain rassemblement à Nevoy, en le limitant à 20 000 pèlerins, du 28 avril au 5 mai prochain ?
Ensuite, est-il prévu un soutien financier pour les communes du Loiret ?
Enfin, quelle anticipation envisagez-vous pour le second rassemblement du mois d’août 2024 ? Surtout, où nos voyageurs seront-ils accueillis ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)