Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 5.
Je suis saisie d’un amendement et d’un sous-amendement faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 128, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 226-8 du code pénal, il est inséré un article 226-8-1 ainsi rédigé :
« Art. 226-8-1. – Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende le fait de publier, sans son consentement, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne, et présentant un caractère sexuel. Est assimilé à l’infraction mentionnée au présent alinéa et puni des mêmes peines le fait de publier par quelque voie que ce soit, un contenu visuel ou sonore généré par un traitement algorithmique et reproduisant l’image ou les paroles d’une personne, sans son consentement, et présentant un caractère sexuel. »
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez précédemment adopté un amendement qui vise à intégrer les hypertrucages ou deepfakes dans le dispositif de l’article 226-8 du code pénal.
Or l’amendement n° 128 et le sous-amendement n° 129 rectifié bis ont pour objet les hypertrucages pornographiques, qui représentent l’immense majorité des hypertrucages. Mais je vais laisser Mme Borchio Fontimp présenter le dispositif qu’elle a conçu et que nous avons concrétisé tous deux au travers de cet amendement et de ce sous-amendement.
Mme le président. Le sous-amendement n° 129 rectifié bis, présenté par Mme Borchio Fontimp, MM. H. Leroy, Tabarot et Bascher, Mme V. Boyer, M. Genet, Mme Pluchet, MM. Anglars et Bacci, Mmes Bellurot, Belrhiti et Berthet, MM. Bouchet, Bouloux, Calvet et Cambon, Mmes L. Darcos, Del Fabro, Di Folco, Garriaud-Maylam et F. Gerbaud, M. Houpert, Mmes Imbert et Joseph, M. Klinger, Mme Lassarade, M. Lefèvre, Mmes M. Mercier et Noël et MM. Pellevat, Perrin, Piednoir, Rapin, Reichardt, Rietmann et Saury, est ainsi libellé :
Amendement n° 128
Compléter cet amendement par deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque le délit prévu au premier alinéa est commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.
« Ces peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende lorsque la publication du montage ou du contenu généré par un traitement algorithmique a été réalisé en utilisant un service de communication au public en ligne. »
La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp.
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Le deepfake est le nom de cet hypertrucage qui consiste à publier, sans le consentement d’une personne, un montage réalisé avec les paroles ou l’image de cette dernière, ayant un caractère pornographique et réalisable à l’aide de l’intelligence artificielle.
Ce nouveau fléau concerne, dans 99 % des cas, des femmes. Le Gouvernement s’est saisi de cet enjeu, mais des précisions sont nécessaires.
Ce sous-amendement vise à en apporter deux : d’une part, il tend à faciliter l’utilisation des moyens légaux pour déterminer les personnes responsables d’un tel acte ; d’autre part, il a pour objet de prévoir une sanction en conséquence, c’est-à-dire trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, lorsque cet hypertrucage est publié via un service de communication au public en ligne.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. En ce qui concerne l’amendement n° 128, j’approuve, comme pour l’amendement n° 127, l’objectif du Gouvernement. Les montages ou les deepfakes à caractère sexuel, qui ont pour but d’humilier une personne ou d’exercer sur elle un chantage, pullulent sur certains sites : c’est inacceptable.
Le Gouvernement propose, pour mieux protéger les victimes, de créer une nouvelle infraction qui serait pénalisée à la même hauteur que le revenge porn. Je trouve ce choix judicieux et j’y adhère sans réserve.
Nous aurons peut-être une question à régler dans la suite de la navette sur le régime des montages ou des deepfakes à caractère sexuel qui affichent leur propre nature, c’est-à-dire ceux qui sont clairement et explicitement présentés comme des faux. Dans ces cas, les montages pourraient d’une certaine manière relever du droit à la caricature ou constituer des illustrations n’ayant pas pour objet de porter tort à la personne visée.
En effet, l’article 226-8 du code pénal établit une différence entre les montages qui se font passer pour des vrais et ceux qui sont affichés comme fictifs. Cela me semble effectivement une garantie non négligeable quant au respect de la liberté d’expression, même si j’ai du mal à imaginer un contexte dans lequel un montage ou un deepfake pornographique serait l’expression d’une liberté… Il est vrai que certaines images peuvent être à cheval entre différents types de graphisme, si je puis dire.
Néanmoins, j’ai quelques doutes juridiques et je ne voudrais pas que, sur un enjeu aussi important, nous prenions le risque d’une censure constitutionnelle – c’est quasiment devenu une obsession pour moi ! (Sourires.)
Sous réserve de l’engagement du Gouvernement de retravailler ce sujet avec nos collègues de l’Assemblée nationale, j’émets donc un avis favorable sur l’amendement.
De même, je suis bien sûr favorable, madame Borchio Fontimp, à votre sous-amendement qui tend à apporter une précision tout à fait bienvenue, dans le cadre d’un travail de coconstruction intelligente auquel je souscris.
Mme le président. Monsieur le ministre, confirmez-vous l’avis favorable du Gouvernement sur le sous-amendement n° 129 rectifié bis ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. Tout à fait, madame la présidente.
Par ailleurs, monsieur le rapporteur, je m’engage à sécuriser le dispositif dans le cadre de la navette.
Mme le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 129 rectifié bis.
(Le sous-amendement est adopté.)
Mme le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 5.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 9 rectifié bis, présenté par Mmes Rossignol et Blatrix Contat, MM. Kanner, Cardon, Durain, Féraud et Redon-Sarrazy, Mme S. Robert et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 3° bis de l’article 138 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Ne pas être inscrit et ne pas se rendre sur certaines applications ou certains sites internet, déterminés par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention ; ».
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Cet amendement vise l’article 138 du code de procédure pénale, qui est consacré au périmètre du contrôle judiciaire.
Cet article, qui a été élaboré avant l’intrusion d’internet dans nos vies et dans l’activité judiciaire, permet au juge des libertés et de la détention (JLD) ou au juge d’instruction de restreindre un certain nombre de libertés, notamment celle d’aller et venir, en interdisant l’accès à certains lieux. Mais il ne prévoit rien sur la fréquentation des sites internet ou des applications.
Aussi, l’amendement n° 9 rectifié bis tend à insérer un alinéa après le 3° bis de l’article 138 du code de procédure pénale pour permettre au juge d’instruction ou au JLD d’interdire l’accès à des sites.
Certains auront reconnu à quelle situation judiciaire vise à répondre mon amendement : il s’agit de l’affaire dite du violeur de Tinder. L’instruction de cette affaire a commencé en 2015 et elle n’est, me semble-t-il, toujours pas close. Cet homme a été écroué et mis en détention provisoire pendant un temps, avant d’être relâché. Il fait aujourd’hui l’objet d’un contrôle judiciaire, mais, depuis sa libération, il a continué à utiliser la même application de rencontres, ainsi que d’autres, et il a déjà fait deux ou trois nouvelles victimes.
Il a été reproché à la justice de ne pas lui avoir interdit de consulter les sites de rencontres sur lesquels il recrutait ses victimes. Mais le juge n’en a pas la possibilité. L’objet de cet amendement est donc d’étendre ses pouvoirs.
Mme le président. L’amendement n° 44, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 3° bis de l’article 138 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Lorsque l’infraction a été commise en recourant à un service en ligne, y compris si celui-ci n’a pas été le moyen unique ou principal de cette commission, ne pas accéder à certains services désignés par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention ; les dispositions du présent alinéa sont applicables aux services de plateforme en ligne tels que définis au 4° du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique, aux services de réseaux sociaux en ligne et aux services de plateformes de partage de vidéo au sens du règlement 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 ; »
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Dans le même esprit, cet amendement vise à faire en sorte que le bannissement des réseaux sociaux puisse être ordonné en tant que mesure de contrôle judiciaire.
Le texte que nous examinons prévoit une peine complémentaire de suspension du ou des comptes ayant servi à commettre le délit en cas de condamnation pour cyberharcèlement, haine en ligne et plusieurs autres délits en ligne. C’est une bonne chose, mais, malheureusement, les condamnations sont encore trop rares pour que cette mesure soit réellement efficace.
En complément de ce dispositif, nous proposons que la suspension des comptes puisse également être une mesure de contrôle judiciaire. Le juge d’instruction ou le JLD pourra demander la suspension du compte pendant le temps de l’instruction.
Cette proposition fait sens, puisque les mesures de contrôle judiciaire permettent précisément d’empêcher la récidive. Je précise que cet amendement a été rédigé en concertation avec l’association StopFisha.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. L’amendement de Mme Rossignol n’est pas tout à fait analogue à celui de M. Dossus, puisqu’il vise à permettre aux juges de prononcer un bannissement dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Nous avons déjà évoqué cette question, qui m’interpelle véritablement.
Cependant, sa rédaction pose problème, car elle n’est pas harmonisée avec celle qui a été retenue en commission spéciale à l’article 5 pour les alternatives aux poursuites et l’exécution des peines. Les infractions pénales respectent le principe de légalité, et le terme « certaines applications ou certains sites internet » est bien trop large à cet égard.
Au surplus, il faudrait exiger un lien entre l’infraction et cette modalité de contrôle judiciaire, donc limiter le bannissement aux contrôles judiciaires qui ont lieu dans le cadre d’une enquête sur une infraction commise en ligne ; à défaut, on ne voit pas pourquoi et comment cette interdiction pourra s’appliquer.
Je demande donc le retrait de cet amendement, au profit de l’amendement de M. Dossus visant à intégrer la possibilité pour le juge de prononcer un bannissement dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Cette disposition reprend les grandes lignes établies par la commission spéciale s’agissant des alternatives aux poursuites et de l’exécution des peines, et j’en remercie M. Dossus et ses collègues.
Toutefois, nous sommes dans un cadre différent, puisque, contrairement aux personnes ciblées par l’article 5, tel qu’il a été adopté par la commission spéciale, et qui soit sont condamnées, soit ont reconnu leur culpabilité, les personnes soumises à un contrôle judiciaire sont seulement mises en cause dans une enquête judiciaire et n’ont pas encore été jugées.
Il faut trouver un équilibre entre ce grand principe du droit qu’est la présomption d’innocence – il irrigue l’intégralité du code pénal et nous devons l’avoir toujours en tête quand nous légiférons en matière pénale – et la protection des victimes, avec l’élimination la plus large possible du risque de récidive, en particulier dans le cadre du contrôle judiciaire évoqué par Laurence Rossignol, grâce aux mesures prises par le juge, comme l’interdiction d’entrer en contact avec certaines telle ou l’interdiction de la fréquentation de tel ou tel lieu.
C’est la raison pour laquelle je souhaiterais obtenir l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 44.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. L’amendement n° 9 rectifié bis a pour objet la création d’un tout nouveau dispositif, visant non pas la suspension du compte d’accès aux services de plateformes en ligne, mais l’interdiction de toute utilisation, y compris à des fins d’information, d’un ou de plusieurs services de plateformes en ligne.
Je comprends l’intention, mais cette proposition me semble disproportionnée, et cela à plusieurs titres : quant à son champ d’application, puisque la mesure est susceptible de s’appliquer à toute infraction punie d’une peine d’emprisonnement ; quant à sa durée, puisqu’elle pourrait trouver à s’appliquer durant tout le temps du contrôle judiciaire ; enfin, quant à ses effets, puisqu’il paraît excessif d’interdire tout accès à un service de plateforme en ligne, y compris ceux qui sont accessibles sans compte d’accès à des fins d’information d’ordre général.
Comme je le disais précédemment, nous avons essayé de veiller, lors de la rédaction initiale du projet de loi et pendant les échanges que nous avons eus avec le rapporteur de la commission spéciale sur les trois dispositifs nouveaux créés, à circonscrire la durée et les infractions visées et à encadrer les types de comptes bannis et de plateformes concernées.
En visant le contrôle judiciaire, les deux amendements visent un champ bien trop ouvert, qui entraîne une insécurité juridique très forte, me semble-t-il.
Le Gouvernement demande donc le retrait de ces amendements, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Je n’ai pas la même lecture que vous de mon amendement, monsieur le ministre. Je ne crois pas qu’il tende à poser une interdiction générale, y compris pour des sites d’information, en visant « certaines applications ou certains sites internet ».
Voilà quelques années que je dépose des amendements, notamment pour modifier le code pénal. Or, à chaque fois, le garde des sceaux – c’est souvent lui qui se trouve au banc du Gouvernement – me répond qu’il faut faire confiance au juge, en particulier au JLD.
Aujourd’hui, on me dit : « Oh là là, votre amendement est liberticide, son adoption peut donner lieu à de nombreuses dérives. » Mais non ! Ce n’est pas possible. Cette disposition permettrait simplement que des mesures de contrôle judiciaire soient prises par le juge d’instruction ou le JLD, à qui je fais – comme on me le dit depuis dix ans – une totale confiance, puisque j’ai fini par être convaincue par le garde des sceaux. (Sourires.) Faisons donc confiance aux juges !
Mme le président. Monsieur le rapporteur, la commission spéciale s’en remet-elle à l’avis défavorable du Gouvernement sur l’amendement n° 44 ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Tout à fait, madame la présidente.
Mme le président. L’amendement n° 43, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :
1° À la première phrase du premier alinéa, après les mots : « même code », sont insérés les mots : « ou contre la diffusion de paroles ou d’images présentant un caractère sexuel en l’absence d’accord de la personne relevant de l’article 226-2-1 dudit code » et les mots : « et 227-23 » sont remplacés par les mots : « , 227-23 et 226-2-1 » ;
2° À la première phrase du deuxième alinéa, les mots : « et 227-23 » sont remplacés par les mots : « , 227-23 et 226-2-1 » ;
3° À la première phrase du quatrième alinéa, les mots : « et 227-23 » sont remplacés par les mots : « , 227-23 et 226-2-1 ».
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Cet amendement vise à renforcer les moyens de la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos) pour retirer les contenus de pornodivulgation. En effet, la divulgation non consentie de photos intimes en ligne est un problème massif, qui touche principalement les femmes et les jeunes filles.
D’après une enquête du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes parue en 2022, plus de 19 % des jeunes femmes entre 17 et 19 ans ont déjà reçu des messages relevant de la pornodivulgation, c’est-à-dire une photo ou une vidéo à caractère sexuel montrant une personne qu’elles connaissent et envoyée sans l’accord de cette dernière.
Par ailleurs, 11 % d’entre elles ont déjà reçu des menaces de publication de photos ou vidéos intimes d’elles sur les réseaux sociaux.
Pourtant, aujourd’hui, lorsque les contenus sont signalés, ils peinent à être déréférencés par les plateformes. Bien que la pornodivulgation soit punie par la loi, le nombre d’infractions relevées et sanctionnées reste très faible.
Pour pallier ces problèmes, nous proposons de renforcer les pouvoirs de police administrative de Pharos prévus à l’article 6-1 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, en intégrant un nouveau critère relatif à la lutte contre la diffusion de contenus à caractère sexuel sans le consentement de la personne.
Cet amendement a été rédigé en concertation avec l’association StopFisha.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Les auteurs de cet amendement veulent accentuer la lutte contre la diffusion au public sur internet de photos et vidéos intimes sans l’accord de la personne filmée. Ces contenus constituent une infraction et peuvent à ce titre être signalés aux hébergeurs pour qu’ils les retirent et à Pharos pour déclencher des enquêtes.
M. Dossus veut aller plus loin, en les assimilant aux contenus pédopornographiques et terroristes, pour lesquels Pharos dispose d’un pouvoir renforcé de demande de retrait et de blocage vis-à-vis des fournisseurs d’accès à internet et aux moteurs de recherche.
On l’a dit, mais il faut le réaffirmer à l’occasion de l’examen de cet amendement, il ne nous semble pas opportun de trop élargir le champ d’action de Pharos, qui, pour cette mission très spécifique, est concentré sur le « haut du spectre » des infractions – cela semble la terminologie la mieux adaptée, puisqu’il faut établir une hiérarchie des différentes finalités de la plateforme ! –, en cohérence avec la législation européenne.
En effet, cette législation a prévu des dispositifs dérogatoires pour les contenus terroristes – c’est le règlement européen relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne, dit TCO, adopté en avril 2021 – et les abus sexuels sur mineurs – c’est le règlement dit CSAM, qui est en cours de discussion.
Je le redis, nous essayons de garder la même ligne et de concentrer Pharos sur ses missions centrales de lutte contre les contenus pédocriminels et contre les contenus terroristes.
La commission spéciale émet donc un avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Ma curiosité pour les cavernes de cette maison dans lesquelles sont appliqués les articles 40 et 45 de la Constitution est sans limites ! J’ai déposé des amendements quasiment identiques à celui de M. Dossus pour élargir les pouvoirs de Pharos qui ont été déclarés irrecevables sur le fondement de l’article 40.
Je ne suis ni de nature jalouse ni du genre à dénoncer mes petits camarades (Sourires.), mais pourquoi les miens ont-ils été déclarés irrecevables et pas le sien ? Un jour, peut-être, je comprendrai…
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Hervé, rapporteur. Madame Rossignol, vous êtes plus expérimentée que moi dans cette maison ! Vous connaissez bien la procédure de l’article 40 de la Constitution et la structure spécifique qui, au sein de la commission des finances, est chargée de son application.
On peut évidemment se demander pour quelles raisons l’amendement de M. Dossus n’est pas tombé sous le coup de cet article, contrairement aux vôtres.
Mme Laurence Rossignol. Les miens coûtaient trop cher !
M. Loïc Hervé, rapporteur. Peut-être que les moyens nécessaires étaient-ils plus explicites dans vos amendements ? En effet, il faut prévoir des moyens supplémentaires lorsque l’on confie de nouvelles missions à un organisme.
En tout cas, à moyens constants, un élargissement excessif des missions de Pharos entraînerait d’immenses difficultés matérielles, qui éloigneraient cette plateforme de ses objectifs, qu’elle a déjà du mal à atteindre.
L’examen de cet amendement me donne l’occasion de parler des fonctionnaires de police qui forment les effectifs de Pharos : ils font un métier éprouvant, puisqu’ils passent leur temps à visionner des contenus atroces – des viols d’enfants ou des décapitations –, sous la supervision de psychologues, car il est difficile de rentrer chez soi et de retrouver ses enfants et ses proches après une telle journée, tout être humain normalement constitué ayant ses limites.
Il faut que l’on sache que, dans notre pays, des personnes exercent ce métier, et j’aimerais que nous ayons une pensée pour eux, ainsi que pour les missions extraordinaires et, par définition, peu connues qu’ils assurent.
Mme le président. L’amendement n° 39, présenté par MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Afin de favoriser le développement et l’accès aux plateformes qui protègent efficacement les victimes des contenus haineux, les opérateurs de plateforme en ligne au sens du I de l’article L. 111-7 du code de la consommation, permettent à leurs utilisateurs de migrer vers des plateformes tierces tout en continuant à communiquer avec les personnes restées sur leur propre plateforme. Ils implémentent des standards techniques d’interopérabilité entre services de communication au public en ligne, conformes à l’état de l’art, documentés, stables et qui ne peuvent être modifiés de façon unilatérale.
La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Cet amendement, qui a pour objet l’interopérabilité des réseaux sociaux, est proposé de manière récurrente chaque fois que l’on examine des textes relatifs au numérique.
Il s’agit de permettre aux utilisateurs d’une plateforme de réseau social de dialoguer via leur messagerie avec les utilisateurs d’une autre plateforme. Cela n’a rien d’extravagant, et nous utilisons d’ailleurs chaque jour un outil reposant sur ce principe : l’e-mail. Quel que soit votre fournisseur de boîte mail, vous pouvez dialoguer avec d’autres boîtes mail, fournies par des entreprises différentes, sans aucun problème.
Nous souhaitons faire de même avec les réseaux sociaux. En effet, de nombreuses personnes harcelées, insultées et menacées sur les plateformes ne souhaitent pas forcément quitter ces dernières, pour ne pas perdre le lien avec leurs contacts, accumulés parfois depuis des années sur ces réseaux.
L’obligation d’interopérabilité protégerait plus efficacement ces personnes. Elle forcerait les plateformes à agir de manière plus résolue contre la haine en ligne en tapant là où cela fait mal, donc là où c’est efficace, c’est-à-dire au portefeuille.
Avec l’interopérabilité, les utilisateurs seraient moins captifs, et leur départ d’un réseau social qui se montrerait trop bienveillant avec les harceleurs ou les trolls racistes, par exemple, aurait un impact financier dissuasif, ce qui inciterait fortement ces entreprises à réagir.
Enfin, cette mesure permettrait aussi de réguler un peu mieux les situations de quasi-monopole acquises par certaines plateformes, en facilitant l’émergence de nouvelles structures, ce qui aurait un impact tout à fait positif pour l’économie du secteur.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Lors des auditions, j’ai reçu des représentants de l’association La Quadrature du Net, que je connais bien et avec lesquels j’ai souvent eu l’occasion d’échanger.
Nous connaissons les positions qui sont celles de cette association, et nous ne pouvons lui faire grief de son incohérence : elle garde la même position sur un certain nombre de grands principes et alimente à cet égard le débat, qui est sain, sur internet et son avenir.
J’imagine, mon cher collègue, que vous avez également eu des échanges avec cette association pour imaginer votre amendement. Or, elle le reconnaît elle-même, la piste qu’elle a portée auprès des instances européennes au moment de l’élaboration du règlement sur les services numériques, dit DSA, est contraire à la rédaction actuelle de ce texte. Il n’est donc pas possible d’adopter votre proposition amendement sans être orthogonalement contraire au DSA.
C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi j’y serais défavorable. Mais je sais que ce débat est important et qu’il se poursuivra sans doute dans d’autres instances.