M. le président. L’amendement n° 8, présenté par Mmes M. Vogel et Poncet Monge, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article L. 3121-5 du code de travail, après le mot : « handicap », sont insérés les mots : « ou pour le salarié exerçant la responsabilité parentale d’un enfant atteint d’une maladie, d’un handicap ou victime d’un accident d’une particulière gravité ».
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement est très simple. Vous le savez, pour tenir compte du fait que le trajet pour aller au travail peut être plus long quand on a besoin d’une assistance particulière, car nos trottoirs et nos transports en commun sont encore largement inadaptés, les salariés atteints d’un handicap peuvent demander une compensation sous forme de repos, pour pallier le fait que le trajet entre le domicile et le travail peut être plus long que pour des personnes qui ne sont pas atteintes d’un handicap.
Nous proposons tout simplement d’élargir cette mesure aux salariés qui s’occupent d’un enfant atteint d’un handicap ou d’une maladie ou qui a été victime d’un accident grave. En effet, lorsque l’on accompagne quelqu’un qui est handicapé, le temps supplémentaire nécessaire pour se déplacer est identique à celui qui aurait été requis si l’on était soi-même en situation de handicap.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. Dans son objet, cet amendement précise que le repos compensateur serait accordé consécutivement à l’allongement du trajet du fait de l’accompagnement de l’enfant avant d’aller au travail, par exemple pour l’emmener à un centre spécialisé, à l’hôpital ou à l’école.
Toutefois, le dispositif ne mentionne aucunement ces raisons. Dès lors, la commission a estimé que, en dépit d’intentions louables, celui-ci était trop imprécis pour être pleinement fonctionnel.
Par conséquent, elle a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Christophe Combe, ministre. Madame la sénatrice, vous souhaitez étendre les dispositions qui s’appliquent pour les salariés handicapés aux parents d’enfants malades.
Si l’intention est louable, l’extension de cette disposition n’apparaît pas pertinente. En effet, cette mesure vise à prendre en compte le fait que le salarié atteint d’un handicap, avec un statut spécifique associé, puisse avoir des temps de trajet rallongés.
Si je ne nie pas que certains parents ayant des enfants atteints d’une maladie, d’un handicap ou victimes d’un accident grave puissent rencontrer des contraintes particulièrement lourdes dans l’organisation de leur vie personnelle, la modification des règles applicables aux trajets entre le domicile et le travail n’est pas adéquate.
D’autres dispositifs existent et permettent d’aider les parents d’enfants malades. Ainsi, l’article L. 3121-49 du code du travail prévoit que les aidants familiaux et les proches d’une personne handicapée bénéficient d’un aménagement du temps de travail sous forme d’horaires individualisés propres à faciliter l’accompagnement de cette personne.
Pour ces raisons, je suis défavorable à votre amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 8.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 3
(Non modifié)
I. – L’article L. 544-3 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’allocation peut faire l’objet d’une avance dans l’attente de l’avis mentionné à la dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 544-2. » ;
2° Au deuxième alinéa, le mot : « explicite » est supprimé.
II. – Le dernier alinéa de l’article L. 1225-62 du code du travail est ainsi modifié :
1° Le mot : « attestant » est remplacé par le mot : « atteste » ;
2° Les mots : « est confirmé par un accord explicite du service du contrôle médical prévu à l’article L. 315-1 du code de la sécurité sociale ou du régime spécial de sécurité sociale » sont supprimés.
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par Mmes M. Vogel et Poncet Monge, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Le troisième alinéa de l’article L. 3142-19 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans ce cas, l’allocation journalière du proche aidant mentionnée à l’article L. 168-8 du code de la sécurité sociale peut faire l’objet d’une avance. »
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement tend à permettre le versement d’une avance non seulement pour l’allocation de présence parentale, mais également pour l’allocation journalière de proche aidant.
Cette mesure vise à répondre aux délais de traitement qui peuvent malheureusement atteindre plusieurs mois. Or, quand on a besoin de ce versement, une telle attente peut poser de grands problèmes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. Cet amendement vise à permettre une avance sur le versement de l’AJPA en cas de dégradation soudaine de l’état de santé de la personne aidée ou de situation urgente.
Dans cette situation, le salarié peut demander le congé de proche aidant sans délai, mais l’AJPA ne lui sera pas nécessairement versée, même si les délais sont plus courts que pour l’AJPP.
L’article 3 vise à créer une possibilité d’avancer l’AJPP afin d’éviter les ruptures de ressources des familles en situation d’urgence.
Pour ces raisons, la commission a émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Christophe Combe, ministre. Une fois n’est pas coutume, je ne partage pas l’avis de la commission.
Cet amendement vise à répliquer pour l’AJPA les dispositions adoptées à l’Assemblée nationale sur le versement d’une avance au titre de l’AJPP.
L’AJPA étant conditionnée à la prise d’un congé de proche aidant pour les salariés et agents publics, l’objet de votre amendement, à savoir permettre le versement rapide de l’AJPA, est satisfait.
Par ailleurs, la mesure qui a été adoptée à l’Assemblée nationale concernant l’AJPP l’a été puisque l’allongement de la durée de versement était dû au fait que l’avis du service médical était nécessaire pour bénéficier de celle-ci, ce qui n’est pas le cas pour l’AJPA.
Je suis donc défavorable à cet amendement puisque, par définition, le versement n’est pas retardé par la procédure, comme c’est le cas avec l’AJPP.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4
I. – L’article 54 de la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022 est ainsi modifié :
1° Le b du 1° du I est abrogé ;
2° Après l’année : « 2023 », la fin du VI est supprimée.
II (nouveau). – La seconde phrase du premier alinéa des articles L. 168-9 et L. 544-6 du code de la sécurité sociale est supprimée. – (Adopté.)
Article 4 bis
(Non modifié)
L’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 est ainsi modifié :
1° Le IV devient le V ;
2° Le IV est ainsi rétabli :
« IV. – Le bailleur ne peut s’opposer au renouvellement du contrat en donnant congé dans les conditions définies au I du présent article à l’égard de tout bénéficiaire de l’allocation mentionnée à l’article L. 544-1 du code de la sécurité sociale dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l’attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du logement, sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée. »
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par Mmes M. Vogel et Poncet Monge, MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé, Parigi et Salmon, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
de l’allocation mentionnée à l’article L. 544-1
par les mots :
des allocations mentionnées aux articles L. 168-8 ou L. 544-1
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement est retiré.
M. le président. L’amendement n° 10 est retiré.
Je mets aux voix l’article 4 bis.
(L’article 4 bis est adopté.)
Article 5
(Non modifié)
I. – Pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, à titre expérimental, dans, au plus, dix départements, y compris ultramarins, les organismes débiteurs des prestations familiales identifient et mettent en place des dispositifs visant à améliorer l’accompagnement des familles bénéficiaires de l’allocation mentionnée à l’article L. 544-1 du code de la sécurité sociale, notamment pour les prémunir de difficultés financières et simplifier leur parcours.
II. – L’expérimentation donne lieu, avant son terme, à un rapport d’évaluation remis au Parlement par le Gouvernement.
III. – (Supprimé) – (Adopté.)
Article 6
(Suppression maintenue)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à renforcer la protection des familles d’enfants atteints d’une maladie ou d’un handicap ou victimes d’un accident d’une particulière gravité.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)
M. Xavier Iacovelli. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, je me félicite de l’adoption de ce texte.
Nous espérons que la commission mixte paritaire sera conclusive et qu’elle retiendra les modifications du Sénat, qui a permis d’améliorer le texte, d’où l’intérêt de ces navettes.
Je remercie Paul Christophe, toujours fidèle à son engagement pour accompagner les familles, d’avoir présenté cette proposition de loi.
Je salue également la qualité du travail de Marie-Pierre Richer. Je remercie également Brigitte Micouleau, ainsi que le ministre des solidarités. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI. – M. Bernard Jomier applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures vingt-deux.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Sécurisation et régulation de l’espace numérique
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (projet n° 593, texte de la commission n° 778, rapport n° 777).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Organisation des travaux
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la bonne organisation de nos travaux, je vous rappelle que nous suspendrons ceux-ci vers dix-neuf heures quinze pour les reprendre à vingt et une heures trente.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications. Monsieur le président, madame la présidente de la commission spéciale, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, l’insécurité que nos concitoyens rencontrent au quotidien sur internet sape leur confiance dans la transition numérique.
Tous les Français sont concernés, tous constatent les désordres qui s’accumulent dans l’espace numérique, en particulier les Français les plus vulnérables.
Nos concitoyens les plus modestes, les plus âgés, sont les victimes privilégiées des cybercriminels. Nos enfants sont exposés de manière très précoce à des contenus inappropriés. Nos entreprises, que la loi du plus fort place sous le joug et la dépendance des géants du numérique, sont également concernées. Notre démocratie est soumise aux coups de boutoir incessants des professionnels de la désinformation.
Face à ces désordres, la France agit résolument depuis cinq ans, à tous les niveaux.
Nous agissons au niveau national, grâce à des initiatives parlementaires qui nous ont permis de progresser, notamment en matière de lutte contre la désinformation ou de protection de l’enfance en ligne – je pense au cyberharcèlement.
Nous agissons aussi au niveau européen, avec deux règlements majeurs adoptés l’année dernière durant la présidence française de l’Union européenne.
Nous agissons ensuite au niveau international, avec des initiatives multipartites prises par le Président de la République, et qui ont contribué à éveiller la conscience mondiale sur ce problème de notre siècle.
Le projet de loi que vous allez examiner aujourd’hui a le même objectif, celui d’instaurer un ordre public numérique et de créer des protections nouvelles pour nos concitoyens, nos enfants, nos entreprises, nos collectivités et notre démocratie.
Ce texte s’est formé à partir de trois affluents.
Le premier de ces affluents, ce sont les deux règlements européens adoptés l’année dernière sous la présidence française de l’Union européenne, qui sont d’application directe, mais qui nécessitent que nous modifiions notre droit pour qu’ils puissent correctement s’appliquer dans notre pays.
Le premier règlement, le règlement sur les services numériques, le Digital Services Act (DSA), fait entrer les grandes plateformes des réseaux sociaux dans l’ère de la responsabilité. Il leur impose des obligations de modération. Il les contraint à analyser et à corriger le risque systémique qu’elles font peser sur la santé de leurs utilisateurs, mais aussi sur la sécurité publique. Les événements récents ont confirmé à quel point il était nécessaire et urgent qu’un tel règlement puisse intervenir. Enfin, ce règlement impose des interdictions nouvelles, par exemple la publicité ciblée sur les mineurs.
Le deuxième règlement, le règlement sur les marchés numériques, le Digital Markets Act (DMA), a pour objet de rétablir l’équité commerciale et de mettre fin à un certain nombre d’abus de position dominante dans l’économie numérique. Il définit vingt-six pratiques anticoncurrentielles, qui seront désormais interdites dans l’Union européenne : autopréférence, utilisation par un service d’une entreprise de données personnelles collectées sur un autre de ses services, interopérabilité entre les messageries, etc.
Le deuxième affluent, ce sont vos travaux parlementaires, mesdames, messieurs les sénateurs, notamment ceux qui ont porté sur l’exposition de mineurs aux contenus pornographiques. Je pense au rapport d’information de Laurence Rossignol, de Laurence Cohen, d’Annick Billon et d’Alexandra Borchio Fontimp. Je pense également au rapport d’information qui a été rendu par Amel Gacquerre, Franck Montaugé et Sophie Primas sur la souveraineté numérique. Je pense, enfin, aux récents travaux de Catherine Morin-Desailly, de Florence Blatrix Contat et d’André Gattolin sur la proposition de règlement sur les données.
Nous n’avons fait que reprendre ni plus ni moins, mesdames, messieurs les sénateurs, certaines des propositions figurant dans ces rapports et qu’il me paraissait important de mettre en œuvre le plus vite possible.
Le troisième affluent, ce sont les consultations citoyennes qui ont été menées sous l’égide du Conseil national de la refondation, et qui ont inspiré certaines des mesures de ce projet de loi, notamment en ce qui concerne la lutte contre le cyberharcèlement.
En définitive, ce projet de loi vise à instaurer des protections nouvelles que je décrirai brièvement, en soulignant les apports décisifs des travaux de la commission spéciale, qui s’est réunie la semaine dernière pour examiner le texte.
Au chapitre de la protection de nos concitoyens, on recense trois mesures fortes.
La première mesure vise à donner une base légale au filtre anti-arnaque, qui servira de rempart contre les campagnes de SMS et de mails frauduleux. Nous avons tous déjà reçu un SMS ou un mail du compte personnel de formation ou de la sécurité sociale, nous invitant à suivre un lien malveillant, et nous avons tous hésité à cliquer. C’est ainsi que 18 millions de Français ont été victimes de la cybercriminalité l’année dernière, dont la moitié a perdu de l’argent.
Évidemment, ce sont nos concitoyens les plus fragiles, les plus éloignés du numérique, qui sont les plus susceptibles de se faire ainsi entraîner dans la spirale infernale de l’usurpation d’identité dont ils mettent parfois plus d’une décennie à sortir. Il faut donc, grâce à ce filtre anti-arnaque, couper le mal à la racine et dévitaliser le commerce de ces pirates, qui font de nos tablettes et de nos smartphones l’instrument de leur racket.
La deuxième mesure est une peine complémentaire de bannissement des réseaux sociaux pour une période de six mois, portée à un an en cas de récidive, pour les personnes reconnues coupables de cyberharcèlement ainsi que d’autres faits de violences en ligne. Le cyberharcèlement se propage comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Les responsables sont une minorité d’internautes se comportant parfois comme des chefs de meute, qui désignent les victimes à la vindicte de leur communauté et qui déclenchent sur celles-ci des raids de violence et de haine.
Grâce à cette disposition, qui est inspirée de la peine complémentaire d’interdiction de stade, nous voulons une fois de plus couper le mal à la racine en privant ces chefs de meute de leur caisse de résonance, en confisquant leur notoriété et en rendant impossible la récidive.
À cet égard, je salue les travaux du rapporteur Loïc Hervé, qui a permis d’étendre cette peine complémentaire dans un certain nombre de dimensions afin que le juge qui décidera de s’en saisir puisse dûment traiter cette question de la récidive sur les réseaux sociaux.
La troisième mesure de protection de nos concitoyens est l’encadrement des nouveaux types de jeux en ligne. Nous définirons un régime pionnier et protecteur des utilisateurs pour encadrer les jeux numériques fondés sur les technologies du Web 3.0. Il s’agit là de créer les conditions pour que ces activités puissent se développer en France, tout en assurant le plus haut niveau de protection aux mineurs et en garantissant la lutte effective contre le blanchiment et le terrorisme.
Je remercie le rapporteur Patrick Chaize d’avoir su préciser la définition de l’expérimentation, pendant une durée de trois ans, au cours de laquelle ces activités vont pouvoir se déployer, entourées d’un certain nombre de garanties. Il faut bien le confesser, la copie initiale du Gouvernement consistait en une simple habilitation à légiférer par ordonnance. Je salue donc les efforts du Sénat en ce sens.
Au chapitre de la protection des mineurs, notons deux mesures fortes.
La première mesure consiste à donner à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) le pouvoir d’ordonner le blocage, le déréférencement et des amendes dissuasives à l’encontre des sites pornographiques qui ne vérifieront pas l’âge des utilisateurs.
Grâce à la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, l’obligation est faite aux sites pornographiques de vérifier l’âge de leurs utilisateurs. Cette obligation n’est toujours pas respectée à l’heure actuelle. Une procédure est en cours devant le tribunal judiciaire de Paris, qui rendra son verdict vendredi prochain.
Constatant les délais de cette procédure, le rapport de Mmes Billon, Borchio Fontimp, Cohen et Rossignol a ouvert un certain nombre de pistes supplémentaires, dont cette faculté donnée à l’Arcom d’ordonner en quelques semaines le blocage des sites pornographiques pour les affaires à venir. Bientôt, cette disposition nous permettra d’agir plus vite et plus fort.
La deuxième mesure de protection des enfants est la création d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende pour les hébergeurs qui ne retireront pas les contenus pédopornographiques qui leur sont signalés par la police et la gendarmerie en moins de vingt-quatre heures, sur le modèle de la sanction qui s’applique au non-retrait des contenus terroristes.
L’année dernière, 74 000 demandes de retrait de tels contenus ont été adressées aux hébergeurs. Il fallait donc assortir cette obligation de retrait d’une sanction, ainsi que le prévoit fort opportunément ce texte.
Au chapitre de la protection de nos entreprises et de nos collectivités, on retrouve deux mesures.
Pour nos entreprises, il s’agit d’encadrer les avoirs commerciaux, de prévoir des règles d’interopérabilité et d’interdire les frais de transfert sur le marché de l’infonuagique, c’est-à-dire du cloud. Ce marché est en effet extrêmement concentré entre les mains d’une poignée d’acteurs, qui tiennent nos entreprises dans une situation de dépendance et d’assujettissement. Là aussi, il faut en finir avec la loi du plus fort.
Le Sénat a formulé des propositions dans un certain nombre de rapports. Nous y avons été très sensibles avec Bruno Le Maire, car la souveraineté en matière de numérique et de cloud est pour nous une priorité. Vous trouverez donc dans ce projet de loi, affinées par les travaux de la commission spéciale, des mesures qui nous permettront de rendre leur liberté aux entreprises de notre pays et de leur donner un peu d’air.
Pour les collectivités, il s’agit de créer une base de données unique afin qu’elles puissent mieux réguler l’activité des meublés de tourisme. Une expérimentation a eu lieu ces dernières années, associant cinq collectivités et cinq plateformes de location : nous proposons de la pérenniser. Il est nécessaire que les collectivités, pour vérifier la bonne application du droit, en particulier la limite de cent vingt nuitées par an, puissent se tourner vers un interlocuteur unique de manière à s’assurer que toutes les règles sont bien respectées sur leur territoire.
Enfin, je tiens à souligner une mesure de protection de notre démocratie, avec le pouvoir donné à l’Arcom de mettre en demeure et d’ordonner le blocage des sites qui diffuseront des médias frappés par les sanctions internationales comme celles que l’Union européenne a prises à l’encontre de RT France et de Sputnik.
La désinformation sur internet est l’une des menaces les plus lourdes qui pèsent sur nos démocraties. Nos ennemis dévoient la liberté d’expression pour instiller le mensonge dans le débat public. Cette mesure complétera notre arsenal pour nous permettre de lutter contre la désinformation.
Ce projet de loi, je l’ai souligné devant la commission spéciale, a vocation à être enrichi et renforcé par le Parlement, singulièrement par le Sénat.
Je serai, pour ma part, attentif à ce que nous veillions collectivement à ne pas franchir deux lignes rouges.
La première de ces lignes rouges est de veiller à ce que les compromis que la France a portés au niveau européen, et qui ont donné lieu aux règlements sur les services numériques et sur les marchés numériques, soient respectés. Il s’agit bien évidemment de compromis : la France n’a pas pu obtenir tout ce qu’elle aurait voulu, mais le fait qu’il s’agisse de compromis européens leur donne toute leur force. C’est en faisant levier grâce au marché unique européen que nous avons ainsi pu obtenir un certain nombre de concessions, et que les sanctions associées au non-respect de ces règlements seront d’une sévérité suffisamment dissuasive pour que les géants du numérique modifient une bonne fois pour toutes leur comportement.
La deuxième ligne rouge est de ne pas enfreindre – car cela pourrait constituer une tentation pour mettre fin à tous les désordres que nous constatons au quotidien dans l’espace numérique – certaines des libertés fondamentales sur lesquelles repose notre fonctionnement démocratique : la liberté d’expression, la liberté d’information et la liberté de communication.
Il nous faudra faire preuve de discernement durant nos débats afin que vos propositions et les nôtres se tiennent bien entre ces deux lignes rouges : le respect des compromis obtenus par la France au niveau européen et le respect des libertés fondamentales sur lesquelles repose notre démocratie.
Je compte évidemment sur le Sénat pour enrichir et renforcer ce texte, qui suivra ensuite son chemin vers l’Assemblée nationale. Je vous remercie par avance de la qualité de nos échanges. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Bruno Belin applaudit également.)
M. le président. Monsieur le ministre, je salue la présence à vos côtés de Mme Charlotte Caubel, secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargée de l’enfance.
La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais commencer par un constat qui, je le crois, est partagé sur toutes les travées de cette assemblée et, au-delà, par tous les Français : il n’est plus possible d’imaginer une vie sans internet.
Le numérique n’est pas un simple outil technique : il a changé, sans retour possible, nos manières de communiquer, de consommer, d’agir, et même, dans une certaine mesure, de penser et de concevoir le monde.
Si internet est un formidable vecteur de créativité, d’échanges et de transparence, il comporte, comme le monde réel, sa part de violence et de laideur. L’actualité se fait l’écho, hélas ! de l’avancée de la cybercriminalité, du cyberharcèlement, des cyberarnaques, bref, de l’irruption de comportements qui, illicites dans notre vie de tous les jours, trouvent dans l’espace numérique un nouveau champ d’action.
Tel est l’enjeu de ce texte, du moins pour les articles dont j’ai la charge en tant que rapporteur : faire du continent internet un lieu plus sûr pour mieux protéger ses utilisateurs, en priorité les plus vulnérables.
Sécuriser l’espace numérique, ce n’est ni plus ni moins qu’y garantir le respect des règles qui s’appliquent au quotidien.
La liberté ne peut plus servir de prétexte à celles et à ceux qui vont sur internet pour harceler ou humilier, ou pour répandre un discours de haine et d’infamie. Elle ne peut pas, non plus, servir d’excuse pour accepter que les plus jeunes soient exposés à des contenus choquants ou violents qui les empêchent de se construire sereinement.
Le règlement sur les services numériques permettra, en la matière, de grandes avancées. Le Gouvernement a voulu aller plus loin en y intégrant des mesures complémentaires, par exemple sur la lutte contre les contenus illicites ou sur l’interdiction d’accès des mineurs aux sites pornographiques.
Monsieur le ministre, soyez assuré que le Sénat soutient votre choix, à tel point que nous avons souhaité, nous aussi, apporter notre pierre à l’édifice.
Nous l’avons fait en commission spéciale puisque nous avons enrichi et remanié votre texte, en bonne intelligence avec les acteurs du numérique et avec les services publics concernés, que nous avons reçus en dépit du trop bref délai qui nous était imparti.
Nous avons pleinement souscrit au changement de méthode que vous suggérez pour réguler les sites pornographiques, défendu dans les articles 1er et 2, à travers l’établissement, par l’Arcom, d’un référentiel obligatoire pour les systèmes de vérification d’âge.
Nous avons également approuvé l’octroi, toujours à l’Arcom, d’un pouvoir de mise en demeure et de sanction afin que cette vérification d’âge soit effective ou, à défaut, que les sites récalcitrants soient bloqués.
Ces mesures, directement inspirées du rapport d’information de la délégation aux droits des femmes du Sénat sur les pratiques de l’industrie pornographique, devraient permettre de « massifier » notre réponse face à la prolifération de contenus pornographiques en accès libre sur internet, et ainsi de protéger davantage les mineurs, qu’il s’agisse des enfants ou des jeunes adolescents.
Pour renforcer la solidité du dispositif, nous avons cependant fusionné les deux procédures de mise en demeure et de sanction prévues à l’encontre de l’éditeur, notamment parce qu’elles empiétaient sur une éventuelle procédure pénale.
Le système que nous avons imaginé est plus simple : il y aurait une mise en demeure de l’éditeur de se conformer au référentiel avec une sanction pécuniaire plus ou moins importante à la clé selon que l’éditeur n’a mis en place aucun contrôle d’âge ou qu’il a mis en place un dispositif non conforme au référentiel.
Après cette mise en demeure à l’éditeur, et si l’Arcom constate que le site est accessible aux mineurs, alors elle pourrait demander des mesures de blocage et de déréférencement directement aux fournisseurs d’accès à internet et aux moteurs de recherche.
Nous nous sommes aussi intéressés au volet pénal de votre texte. Vous proposez de créer une nouvelle peine complémentaire de « bannissement ». Nous en avons étendu le champ, notamment pour que le juge puisse priver ceux qui prétendent intimider les élus en ligne du droit d’accéder aux plateformes numériques. Ce faisant, nous sommes dans notre rôle de défenseurs des collectivités territoriales et de la démocratie locale.
Néanmoins, la mission du Sénat ne se limite pas qu’à cela, et je vous proposerai aujourd’hui d’aller plus loin en créant, pour celles et ceux qui tiennent en ligne des propos offensants ou injurieux, un délit d’outrage en ligne passible d’une sanction immédiate prenant la forme d’une amende forfaitaire délictuelle.
J’émets le souhait, monsieur le ministre, que nous puissions avancer sur le recours aux plaintes en ligne pour ce nouveau délit : il faut que les victimes puissent facilement faire appel aux forces de l’ordre pour qu’il soit mis fin au harcèlement, aux menaces et aux insultes.
Nous enverrons ainsi un message clair à celles et à ceux qui pensent, à tort, que l’écran de leur ordinateur les protège de la loi : tout ce qui est interdit dans le monde réel l’est aussi en ligne, et ceux qui ne l’ont pas encore compris doivent en subir les conséquences.
Nous aurons également, à la faveur de ce texte, un débat important sur les émeutes qui ont marqué notre pays depuis la mort du jeune Nahel. Dans un climat propice aux violences les plus abjectes, des élus locaux ont été lâchement insultés, intimidés ou attaqués. Pendant les jours et les nuits que nous venons de traverser, les réseaux sociaux ont joué un rôle indéniable dans la propagation des pillages et des violences.
Je ne doute pas que nous aurons l’occasion d’en débattre durant l’examen de ce texte, sans tabou, mais sans s’éloigner non plus des principes qui fondent l’État de droit dans notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)