compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio,
M. Loïc Hervé.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Programmation militaire pour les années 2024 à 2030
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (projet n° 712, texte de la commission n° 740, rapport n° 739, avis nos 730 et 726).
Demande de réserve
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. En application de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées demande la réserve de l’examen de l’article 2, qui inclut les amendements déposés sur le rapport annexé, afin qu’il soit examiné à la fin du texte.
M. le président. Je suis saisi d’une demande de la commission tendant à réserver l’examen de l’article 2, qui inclut les amendements déposés sur le rapport annexé, afin qu’il soit examiné à la fin du texte.
Selon l’article 44, alinéa 6, de notre règlement, la réserve est de droit quand elle est demandée par la commission saisie au fond, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Alain Cazabonne applaudit également.)
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter cet après-midi un projet de loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2024-2030, le quinzième depuis le début de la Ve République et depuis que ces lois de programme en matière de défense nationale – une spécificité bien française – existent.
Ce texte, sur lequel nos armées et les directions et services du ministère travaillent depuis un an, a été préparé sous l’autorité du Président de la République, chef des armées, en lien étroit et très en amont avec le Parlement et les acteurs du monde de la défense. Il vise à traduire une conviction simple, la seule qui vaille : les menaces qui pèsent sur la nation française n’ont jamais été aussi diverses et protéiformes que depuis la fin de la guerre froide. À bien des égards, ces menaces nous placent face à un défi aussi important que celui qu’ont dû relever les gouvernements de la fin de la IVe République et plus encore les gaullistes dans les années 1960.
Cette programmation prend en effet acte du retour d’une compétition plus dure entre grandes puissances, sur fond de prolifération nucléaire, de permanence d’un risque terroriste, qui n’a pas disparu et dont malheureusement on ne parle plus assez – cela me donne l’occasion de remercier le Sénat pour le débat que nous avons eu il y a quelques semaines sur l’Afrique –, mais aussi d’émergence de nouveaux espaces de conflictualité, qui découlent ou sont le reflet de sauts technologiques, rapides et brutaux, comme en témoigne la militarisation du cyber, de l’espace ou des fonds marins.
Ces menaces s’entendent dans leur approche classique, mais aussi, et surtout, pour une puissance nucléaire comme la nôtre, dans une « hybridité » qui nous invite à penser nécessairement de manière différente. C’est là que la dimension de transformation – ce qui ne signifie pas rupture – de cette LPM prend tout son sens.
Ces menaces, nouvelles ou anciennes, se cumulent désormais plus qu’elles ne se succèdent. Cette programmation militaire a été construite en les analysant froidement et en y intégrant les spécificités françaises : avec nos forces, mais aussi – il faut le reconnaître – avec nos vulnérabilités. Elle n’a pas pour but de tirer les conclusions, comme certains commentateurs ou pseudo-experts nous y ont souvent incités, de conflits qui ne sont pas les nôtres et qui, structurellement, ne pourront jamais l’être.
La France a un modèle de défense singulier, qui lui est propre, fruit d’une construction historique gaullienne reposant sur une autonomie stratégique française, laquelle va bien au-delà de la seule dissuasion nucléaire et puise sa force dans le sentiment profond que la France n’aurait jamais dû perdre la drôle de guerre de 1940, connaître les difficultés de l’expédition de Suez ou vivre les guerres d’Indochine et d’Algérie.
Cette programmation militaire doit permettre non seulement de poursuivre la réparation d’un outil de défense, hélas ! abîmé dans le passé par des politiques parfois court-termistes et une forme de déni de la réalité du monde, mais aussi de transformer nos forces sur des fonctions militaires concrètes, avec des objectifs opérationnels précis.
Elle ne prévoit pas de rupture fondamentale avec notre modèle historique. Au contraire, elle tend, à sa manière, à y revenir, dans sa force conceptuelle initiale, c’est-à-dire dans sa capacité à s’adapter vite, en prenant en compte les défis du monde d’aujourd’hui – donc les menaces sécuritaires actuelles –, ainsi que les sauts technologiques qui emportent inévitablement avec eux des sauts stratégiques ou tactiques, notamment le champ de l’hybridité.
À cela s’ajoute la nécessité d’articuler ces nouveaux domaines de lutte avec notre dissuasion nucléaire et nos capacités expéditionnaires.
Permettez-moi de former le vœu que l’on ne perde jamais de vue, lors du débat parlementaire, notre modèle global de défense dans la discussion de nombreux détails techniques, sémantiques ou budgétaires, lesquels peuvent toujours avoir leur intérêt, mais ne doivent pas nous écarter de l’essentiel : c’est-à-dire l’exigence de cohérence et l’efficacité opérationnelle de notre modèle d’armée, qui reste, et doit rester, une armée d’emploi. C’est là l’enjeu, et c’est aussi l’héritage que nous avons reçu de nos anciens et que nous devons protéger et laisser aux générations futures.
Ce que nous avons souhaité faire primer dans ce projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, c’est notamment un impératif de cohérence, sur lequel je suis revenu longuement ici lors des travaux de la commission comme à l’Assemblée nationale, entre les livraisons capacitaires, les stocks de munitions ou de pièces détachées, le renforcement des soutiens, le maintien en condition opérationnelle et la formation – autant d’éléments qui accompagnent nos soldats sur le terrain.
Certains ont parfois le goût de la masse, de cibles capacitaires généreuses. La tentation d’acheter en grand nombre des équipements sans y intégrer leur vie opérationnelle est un piège dans lequel beaucoup de pays voisins sont hélas, et encore récemment, tombés. Nous avons nous-mêmes parfois privilégié dans le passé, pour des raisons d’affichage ou industrielles, un nombre d’hélicoptères livrés aux armées, alors qu’il aurait été préférable pour elles de fixer le nombre d’hélicoptères en capacité réelle de voler… Nous devons collectivement apprendre de nos erreurs passées, même si je note parfois chez les uns ou les autres une forme de facilité, en tout cas un refus d’obstacle intellectuel, à considérer cette question dans son ensemble.
Une loi de programme n’est pas qu’un tableau capacitaire. C’est un tout logique et efficace qui s’appuie d’abord sur le tableau des contrats opérationnels. La vraie transformation est à chercher dans ces contrats, ou missions, détaillés dans le rapport annexé : c’est notre capacité, demain, à concevoir et à dérouler des opérations – terre, air, mer, cyber, espace, monde informationnel, cohésion nationale – de manière combinée. Je remercie les parlementaires, notamment le président Cambon, qui ont pris le temps d’intégrer cette dimension nouvelle de transformation, visible en particulier avec l’exercice Orion, lequel nous a permis de faire œuvre de pédagogie à bien des égards.
C’est cela, je le crois, la véritable leçon de la guerre en Ukraine à tirer pour nous-mêmes. Si nous devons donner de la visibilité à notre base industrielle et technologique de défense (BITD), si nous devons la protéger et la promouvoir – nous y reviendrons –, la LPM doit être l’occasion pour le Parlement de se pencher sur l’effectivité opérationnelle. Cela a – hélas ! – été trop souvent négligé dans le passé et a pu placer nos forces en situation de vulnérabilité face aux menaces. En effet, précisément, et je sais que ce constat est partagé, nous ne tenons pas ces menaces pour illusoires.
Les choix pour notre modèle de défense nationale répondent à la volonté du Président de la République exprimée lors de sa première élection en 2017, mais aussi aux besoins exprimés par nos armées depuis lors, après un long travail d’introspection demandé aux états-majors et à la direction générale de l’armement (DGA). Cet exercice, assez inédit, n’a pas été sans difficulté et je tiens à remercier les chefs d’état-major, le directeur général de la sécurité extérieure, le secrétaire général pour l’administration et le délégué général pour l’armement de s’être livrés à cet exercice délicat. Tout cela a abouti au projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter, mesdames, messieurs les sénateurs, et sur lequel vous aurez à vous prononcer en responsabilité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Parlement a un rôle majeur à jouer dans les choix stratégiques qui assureront notre défense nationale au cours des sept prochaines années. Ce rôle a d’ailleurs été largement renforcé par l’Assemblée nationale en lien étroit et en amont avec votre rapporteur, ainsi que par des amendements adoptés par votre commission.
Ces dispositions, relativement inédites dans l’histoire de la Ve République, viendront renforcer le contrôle du Parlement sur l’exécution et l’actualisation de la programmation, notamment chaque année en amont de l’examen des projets de loi de finances, qui restent, on le sait, les véritables actes parlementaires pour engager concrètement les moyens.
Dans le respect des grands principes de la Ve République, il est évident que le moment dans lequel nous sommes doit être celui du Parlement. Depuis un an que je suis ministre des armées, à votre contact lors des nombreuses auditions auxquelles j’ai pu participer, ma conviction sur l’importance du rôle des deux chambres n’a cessé de croître. C’est pourquoi je ne proposerai pas de revenir sur les enrichissements de la copie que vous avez décidé d’intégrer en commission.
Je pense notamment aux nouvelles dispositions introduites pour densifier le bilan annuel de l’exécution de la LPM, que ce soit sur l’inflation, sur les stocks de munitions, sur les commandes capacitaires, sur la réalisation des objectifs de préparation opérationnelle ou sur les moyens pour parvenir à nos objectifs en matière d’accroissement des réserves.
Je pense aussi aux nouvelles dispositions qui permettront à la délégation parlementaire au renseignement (DPR) de mieux contrôler les politiques publiques de renseignement : c’est tout à l’honneur de Sénat que de montrer que la France est une grande démocratie. J’ai essayé, à ma manière et lors d’une récente audition devant la DPR, d’accorder plus de visibilité, en confiance et dans le respect du secret-défense, aux « politiques », mais aussi aux « sujets » de renseignement – nous avançons donc, je le crois, dans le bon sens.
Par ailleurs, comme je m’y suis engagé en commission, devant son président et les rapporteurs des différents programmes budgétaires, nous ferons preuve d’une plus grande transparence envers le Parlement, en communiquant aux présidents des commissions chargées de la défense des deux chambres la disponibilité technique des matériels, et ce dès le prochain exercice budgétaire. Je viens de l’écrire aux deux présidents : il s’agit là d’une avancée majeure et je me savais attendu sur le sujet. La communication de ces chiffres permettra de mieux suivre les efforts consentis par la Nation et illustrera l’équation subtile à trouver entre cohérence et masse.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les débats que nous nous apprêtons à avoir dans cet hémicycle seront sans doute moins un moment de vérité politique, au sens noble du terme, qu’ils le furent à l’Assemblée nationale où, au fond, on a assisté à un véritable choc : modèle contre modèle, chaque sensibilité ayant tenté de décliner les choix qu’elle proposait pour nos armées en fonction de son analyse de la situation du monde. Vous le savez, ce débat a eu lieu, pour la première fois, avec des sensibilités politiques qui ne sont pas représentées ici au Sénat – il n’est pas besoin de les citer.
Le débat a été sain, et il n’a rien eu de médiocre. L’adoption par scrutin public du texte à l’Assemblée nationale a été claire, mais ce vote n’occulte pas des visions du monde, donc de notre défense, qui sont irrémédiablement – je le crois – divergentes et peut-être même irréconciliables.
Néanmoins, le débat, avec ses 2 500 amendements et ses 90 heures d’examen, a contribué à renforcer le modèle français, car il a permis une nouvelle fois au plus grand nombre de s’approprier celui-ci. Il serait faux de soutenir qu’il y a toujours eu dans notre histoire un consensus sur tout – cela n’a jamais été le cas depuis 1960.
Je m’engage naturellement à la même disponibilité et ouverture d’esprit pour les débats au Sénat, qui permettront d’enrichir encore ce projet de loi.
Dans cet exercice, l’examen du texte par le Parlement depuis plusieurs mois, jusqu’à présent essentiellement à l’Assemblée nationale, m’a permis de tirer quelques premiers constats que je me partagerai ici, tant ils me semblent importants pour notre défense nationale, mais aussi pour le débat démocratique.
Certaines sensibilités politiques qui ne sont pas représentées ici me semblent tout d’abord avancer dans une forme de flou. Je ne veux pas dire qu’elles avancent masquées, en tout cas elles n’ont pas encore formalisé clairement leur schéma d’alliances, leur position sur la dissuasion nucléaire et in fine le modèle qu’elles souhaitent pour nos armées. Les deux semaines de débat à l’Assemblée nationale nous ont parfois permis, mais pas toujours, de mieux comprendre en quoi elles s’opposaient au modèle français actuel, sans qu’émerge pour autant une contre-proposition crédible militairement et encore moins budgétairement.
D’autres courants demeurent, quant à eux, fidèles à leurs positions historiques depuis la première loi de programmation militaire en 1960 – il faut reconnaître cette clarté et cette cohérence au parti communiste français. Il n’en demeure pas moins que le modèle d’armée proposé nous exposerait immédiatement à des risques imminents. Si je ne les partage pas, je tiens néanmoins à saluer les explications en séance du député Fabien Roussel sur la dissuasion nucléaire.
D’autres encore ne voudraient regarder ces débats que sous l’angle budgétaire, sans toujours en définir leur finalité militaire, bien que, directement ou indirectement, ils aient parfois réduit jadis les budgets de nos armées quand ils étaient aux responsabilités. Je n’y reviendrai pas, mais tenons cette approche comme un avertissement pour l’avenir : nos dépenses militaires doivent rester soutenables pour nos finances publiques et être connectées à nos besoins militaires d’abord et industriels ensuite – dans cet ordre, j’y insiste. C’est la condition de la performance opérationnelle dans la durée.
D’autres enfin estiment que nous dépensons trop, sans pour autant expliquer comment répondre aux menaces, à moins qu’ils ne croient pas en la réalité de celles-ci, ce qui me semble dangereux et naïf.
Quoi qu’il en soit, je respecte la position de chacun et je m’efforcerai de défendre ce projet de loi de programmation et les convictions dont il rend compte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, si des sujets créent le débat, je me réjouis que les discussions à l’Assemblée nationale et au sein de la Haute Assemblée dessinent des consensus fermes, d’abord sur quelques points précis du texte qu’il faut mentionner.
C’est notamment le cas du renforcement du lien entre la nation, ses armées et leur histoire, que nous réaffirmons à l’article 11, avec la pérennisation de l’activité de l’Ordre de la Libération.
C’est aussi le cas des efforts que nous proposons pour l’accompagnement de nos soldats et de leurs familles au travers de l’augmentation des moyens consacrés au plan Famille II : ils entraînent une forme de consensus, tout comme les objectifs de politique salariale qui renforcent la progression par les grilles indiciaires, notamment pour les militaires du rang et les premiers grades des sous-officiers, dès la fin de l’année 2023.
Enfin, l’importance de l’inscription des conséquences liées au réchauffement climatique dans les missions que nous confions à nos armées est partagée par tous. La programmation militaire actera donc que notre modèle d’armée devra intégrer dans ses missions les effets du changement climatique, tout comme l’effort de sobriété énergétique dans lequel il nous faut collectivement nous engager. Nous y reviendrons, mais cet aspect n’a rien de neutre, notamment pour nos différents territoires d’outre-mer dont je salue les représentants ici présents.
Il me semble que la convergence, à la lecture des travaux menés par la commission – et je remercie une nouvelle fois le président Cambon de leur qualité –, va bien au-delà des points que je viens d’énumérer. Nous pouvons collectivement tracer un constat : dans la majorité des groupes ici représentés, personne ne remet en cause le modèle d’armée prévu dans cette programmation qui s’inscrit dans une continuité historique.
La discussion doit maintenant nous permettre de nous accorder sur les voies et moyens, ce qui est une finalité tout autre que celle qui fut la mienne lors des débats à l’Assemblée nationale, afin d’atteindre les objectifs militaires que – je le crois – nous partageons majoritairement.
Je ne reviendrai pas en détail sur l’ensemble des sujets, l’examen du texte en séance publique nous permettant d’avoir des discussions approfondies. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé une cinquantaine d’amendements au nom du Gouvernement afin que nous puissions revenir en détail et débattre utilement sur les thématiques qui méritent une attention particulière.
Je souhaite maintenant revenir quelques instants sur les questions pour lesquelles les débats devront nous permettre de dégager des compromis et des accords.
Je veux d’abord aborder les sujets pour lesquels la version du texte telle qu’elle ressort des travaux de la commission est potentiellement incompatible avec le texte issu de l’Assemblée nationale.
J’espère que nos discussions en séance nous permettront de retravailler le texte pour répondre à la volonté du Sénat, tout en nous assurant de la cohérence, que vous souhaitez autant que moi, du texte final.
Commençons par évoquer l’éléphant dans la pièce : le sujet budgétaire, qui est naturellement structurant.
Avec ce texte, le Gouvernement avait l’ambition de proposer une trajectoire budgétaire au service d’une ambition militaire documentée et crédible, c’est-à-dire le fait de financer des capacités concrètes d’agir, en cohérence avec les menaces et la défense de nos intérêts. Évidemment, à cela s’ajoute notre pratique d’exécution à l’euro près – et même, à vrai dire, de surexécution sur la fin de période de la LPM actuelle, un sujet que j’ai déjà longuement évoqué – qui doit nous conduire à nous assurer de la soutenabilité de la trajectoire et de l’enveloppe globale pour nos finances publiques dans la durée.
J’entends dire que nous reportons l’essentiel de l’effort après l’élection présidentielle de 2027. Je rappelle qu’en 2017 le budget des armées était de 32,3 milliards d’euros ; qu’en 2023, vous avez voté, sur proposition du Gouvernement, un budget de 43,9 milliards d’euros ; qu’en 2027, à la fin du second quinquennat d’Emmanuel Macron, en l’état actuel du texte, le budget des armées sera de 56 milliards d’euros, soit une marche d’augmentation de 23,7 milliards par rapport à 2017 ; pour finalement aboutir à 68,9 milliards d’euros, ce qui aura permis de plus que doubler le budget de nos armées en deux LPM. C’est cela la réalité de l’effort consenti par la Nation pour ses armées, sous l’impulsion du chef de l’État.
Avec l’appui du chef d’état-major des armées, nous avons pris le parti de privilégier la cohérence sur la seule masse. C’est au fond l’exigence de regarder dans le rapport annexé autant le tableau des contrats opérationnels que celui des équipements capacitaires – le dernier n’étant au service que du premier, je le rappelle.
La même logique s’applique pour nos soutiens, comme le service de santé des armées ou le commissariat. Il en va de même pour notre politique d’innovation, qui nous permettra d’être au rendez-vous des sauts technologiques de demain : je pense notamment au spatial, au cyber, à l’intelligence artificielle, à l’application du quantique dans le domaine militaire et, bien sûr, monsieur le sénateur Perrin, aux drones.
Le Sénat propose, au-delà même de la seule trajectoire, une enveloppe globale financière différente – nous y reviendrons tout à l’heure, en abordant les détails techniques –, passant l’effort global de 413 milliards à 420 milliards d’euros. Comme je le disais, je suis ouvert au débat, et je tiens à le répéter solennellement ici, à la tribune. Je serai donc heureux que nous puissions avoir une discussion nourrie, précise et cohérente sur ces 7 milliards d’euros supplémentaires votés en commission. Mais j’y insiste : à ce stade de la rédaction du texte, je m’interroge sur la soutenabilité de cette mesure pour nos finances publiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, un autre point me tient à cœur, qui ne sera une découverte pour personne ici, puisque je l’évoque chaque fois que l’occasion m’en est donnée depuis plus d’un an. La LPM ne doit pas être un carcan qui contraint nos armées, et je sais que vous en conviendrez, puisque vous défendez, par ailleurs, plus de libertés pour nos collectivités locales.
Comparaison n’est pas raison, mais certaines modifications adoptées en commission apportent une forme de rigidité au texte, là où une loi de programmation militaire, au sens gaulliste du terme, doit non pas être une loi de prescription technique, mais au contraire prendre de la hauteur et assigner des objectifs stratégiques.
Ces prescriptions peuvent créer un cadre trop strict pour nos états-majors et surtout ne pas être adaptées à la réalité de la vie des armées. Or je leur fais personnellement toute confiance – et je ne doute pas un seul instant que vous aussi – pour réaliser les objectifs assignés. Je pense particulièrement à la trajectoire de montée en puissance des réserves ou à la chronique annuelle pour le maintien en condition opérationnelle (MCO) et pour l’innovation. De mon point de vue, ce n’est pas le rôle d’une LPM que de fixer ce niveau de détails.
Je proposerai donc, par voie d’amendement, que nous revenions à une épure plus traditionnelle de ce que doit être à mon sens une loi de programmation. Un certain nombre d’entre vous m’ont fait savoir que leurs propositions sont des amendements d’appel pour que le Gouvernement prenne des engagements. Je serai à votre disposition, mesdames, messieurs les sénateurs, pour nourrir les débats, et les amendements du Gouvernement me serviront aussi de support à cette fin.
Si je milite pour que le Parlement prenne une place plus importante en matière de défense, je souhaite comme corollaire que la loi reste crédible dans son exécution, et plus encore dans sa pratique quotidienne par le ministère.
Si nous devons retravailler certains points, je veux tout de même affirmer que le Gouvernement soutiendra de nombreuses mesures adoptées par le Sénat, qui à mon sens enrichissent profondément le texte et renforcent de manière bienvenue notre défense nationale et notre modèle d’armée.
C’est en premier lieu le cas de la mesure qui intègre les objectifs de la politique de défense dans la loi, dans le nouvel article 1er bis. C’est important de s’y référer, car c’est sur cela que l’on s’appuie en partie pour construire le reste.
Les mesures qui viennent sécuriser la trajectoire financière, comme les chroniques sur les recettes extrabudgétaires ou encore le mécanisme pour les carburants opérationnels que le Sénat souhaite renforcer, vont dans le bon sens, même si la copie initiale était, de mon point de vue, solide. Grâce aux amendements de la commission, les doutes sont complètement dissipés.
En ce qui concerne le service national universel (SNU), même s’il nous faudra renforcer la cohérence de la légistique sur l’ensemble du texte au fur et à mesure de l’examen des amendements, vous avez souhaité mettre au clair qu’il ne figurait pas dans la LPM : c’est ce que je dis depuis le début des discussions, je le partage donc complètement. Ces modifications sont bienvenues.
Je partage également la volonté des sénateurs, notamment du président Cambon, de développer des mécanismes pour mieux financer les entreprises, en particulier les PME, de notre BITD. Cette LPM ne clôture pas ce chantier, mais les réflexions permettront – j’en suis certain – de trouver des solutions adaptées pour ces entreprises qui font partie de notre modèle de défense. On ne peut pas balayer d’un revers de main ce sujet d’actualité. Je suis à votre disposition pour améliorer le texte.
Vous avez enfin tenu à développer le « patch » sur la souveraineté dans nos outre-mer, vous savez que c’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur, ainsi qu’au président du Sénat – nous avons échangé sur ce point encore récemment. J’ai pris la plupart des engagements oralement au gré des différents débats. Votre version enrichit le rapport annexé, elle est donc la bienvenue, j’y souscris là aussi pleinement. C’est un signal stratégique particulièrement fort qu’envoie le Sénat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour conclure, je pense sincèrement que nous sommes d’accord sur l’essentiel, c’est-à-dire sur ce qui est bon pour nos armées. Les débats que nous ne manquerons pas d’avoir ces prochains jours nous donneront l’occasion de combler les écarts entre nos positions – peut-être tout simplement en les explicitant, ce qui nous permettra de les comprendre –, écarts qui concernent non pas tant les objectifs que les voies et moyens pour y parvenir.
Si l’on considère que le principe de réalité s’applique à chacun, ce que je crois, je ne vois rien d’insurmontable et je sais que la qualité du travail de votre assemblée confirmera nos convictions communes et l’indispensable cohérence que nous devons préserver entre les objectifs que nous assignons à nos armées pour la protection de la Nation et les moyens que nous leur attribuons pour les sept prochaines années.
Nous le faisons pour nos soldats, en ayant une pensée pour les tués et les blessés. Nous le faisons aussi pour notre nation, car ce projet de loi de programmation militaire doit garantir notre sécurité en assurant, pour les sept prochaines années et plus longtemps encore, le succès des armes de la France. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)