compte rendu intégral
Présidence de Mme Pascale Gruny
vice-président
Secrétaires :
M. Pierre Cuypers,
Mme Victoire Jasmin.
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Procès-verbal
Mme le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – Ouverture, modernisation et responsabilité du corps judiciaire
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission modifiés
Mme le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutins publics solennels sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (projet n° 569, texte de la commission n° 661, rapport n° 660) et sur le projet de loi organique relatif à l’ouverture, la modernisation et la responsabilité du corps judiciaire (projet n° 570, texte de la commission n° 662, rapport n° 660).
La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.
Mes chers collègues, je vous rappelle que ces scrutins s’effectueront depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. Vous pourrez vous rapprocher des huissiers pour toute difficulté.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
Vote sur l’ensemble
Mme le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe INDEP. – Mme Valérie Létard et M. Martin Lévrier applaudissent également.)
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen de ces textes avec quelques perspectives réjouissantes, dont l’augmentation du budget de la justice et la réécriture du code de procédure pénale. Ces deux sujets majeurs répondent à une même problématique : la dégradation d’un service public essentiel dans un État de droit.
Je ferai miennes certaines des remarques formulées par mon collègue Jean-Yves Roux lors de la discussion générale. La liste des lieux communs sur la détérioration du service public de la justice est vite dressée : manque de matériel, locaux inadaptés, souffrance du personnel et incompréhension des justiciables. J’ajouterai la lenteur et la complexité des procédures.
Nos juridictions sont épuisées. Nous ne pourrons compter éternellement sur l’engagement, le courage et l’abnégation des magistrats et des agents qui les secondent au quotidien – je veux les remercier et leur faire part de notre reconnaissance.
Nous devons réagir. Tel est le cas depuis plusieurs exercices budgétaires. Je me souviens des qualificatifs employés à l’occasion de l’examen de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2021 : budget « exceptionnel » et « historique », moyens « inégalés » ! La programmation annoncée permettra de poursuivre ce mouvement ; c’est encourageant et nous ne pouvons que nous en réjouir.
Le rapport annexé analyse bien les causes de la crise et se fixe des objectifs justes. Je pense notamment à la clarification du rôle de la justice au sein de la société, au renforcement de la première instance, à l’augmentation drastique des effectifs et à l’ouverture de la justice sur la société civile.
La médiation en matière civile et plus largement les modes alternatifs de règlement des conflits intéressent notre groupe, tout particulièrement Nathalie Delattre qui a déposé le 13 septembre 2021 une proposition de loi visant à développer le recours à la médiation dans le cadre de la procédure civile. Je me réjouis donc que la nécessaire réorganisation des dispositions relatives aux modes alternatifs de règlement des conflits au sein du code de procédure civile soit mentionnée dans le rapport annexé.
Notre groupe se réjouit également que les dispositions de la proposition de loi visant à compléter les dispositions relatives aux modalités d’incarcération ou de libération à la suite d’une décision de cour d’assises, déposée par Jean-Claude Requier et adoptée par le Sénat en novembre dernier, entrent prochainement en vigueur grâce à l’adoption d’un amendement devenu article 2 bis du présent projet de loi ordinaire.
Souvenez-vous : il s’agissait d’un texte particulièrement technique sur le fond, mais particulièrement évocateur dans notre contexte législatif, car il corrigeait un oubli de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire dans sa réécriture du code de procédure pénale – un clin d’œil ironique aux travaux de simplification et de réécriture de ce même code, qui devraient commencer dans les prochains mois.
Ces dernières années, les lois sur la justice se sont succédé, avec un examen trop rapide et trop peu approfondi. Nous espérons que les présents textes ne seront pas suivis d’une cascade d’autres, porteurs d’ajustements successifs.
L’ordonnance prévue à l’article 2 pour réécrire et simplifier le code de procédure pénale devra être à la hauteur des attentes, même si nous savons qu’en simplifiant à droit constant elle ne sera que partiellement satisfaisante.
L’article 3 a suscité d’importants débats, notamment à propos de l’activation à distance de la caméra et du micro des appareils électroniques dans les affaires de terrorisme et de criminalité organisée. Conscient des inquiétudes, notre groupe entend également l’intérêt qu’un tel dispositif présente pour les enquêteurs compte tenu de la gravité des affaires visées. Certains membres du groupe RDSE sont donc plutôt favorables à son adoption.
Il n’en va pas de même en matière d’extension de la télécommunication, qui semble devenir systématique en matière d’interprétariat ou de consultation médicale. Nous ne souhaitons pas accompagner ce mouvement, ainsi que nous l’avions indiqué lors de l’examen avorté du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration : le recours à la visio doit rester consenti et exceptionnel.
L’expérimentation d’un tribunal des activités économiques est une bonne piste. Les ajustements adoptés par la commission des lois vont dans la bonne direction, en ne dénaturant pas la justice commerciale.
Nous soutenons la création, à l’article 11, du métier d’attaché de justice : c’est une bonne initiative.
Nous sommes également favorables à la déjudiciarisation de la procédure de saisie des rémunérations prévue à l’article 17. C’est un sujet difficile, souvent marqué par des a priori. L’assouplissement prévu, qui maintient le contrôle du juge de l’exécution, constitue un bon équilibre. Cela permettra de simplifier la procédure et d’en accélérer le cours, sans remettre en cause les droits du débiteur.
Nous sommes globalement favorables au projet de loi organique, bien que notre groupe ait souhaité relayer certaines préoccupations de la magistrature.
Nous saluons également les apports de la commission, par exemple sur l’accès des docteurs en droit au corps judiciaire. Notre pays ne peut pas s’offrir le luxe de délaisser toute une catégorie de juristes aguerris et hautement diplômés.
Ma conclusion ne vous surprendra pas : conformément au principe de liberté qui le régit, notre groupe se partagera entre le vote pour et l’abstention. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François-Noël Buffet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la justice est notre bien commun. Au sein de l’État, le ministère de la justice est probablement celui qui contribue le plus à notre vivre-ensemble.
Il s’agit d’une administration importante, mise en œuvre par des hommes et des femmes dans des lieux de justice où les conflits se règlent de manière pacifique. Ces conflits peuvent être de nature civile ou pénale, mais n’oublions pas qu’il se traite trois fois plus d’affaires civiles que d’affaires pénales : la télévision reflète mal l’activité de nos tribunaux… (M. le garde des sceaux le confirme.)
Depuis de nombreuses années, ce grand ministère, qui assure une fonction majeure de l’État, est en difficulté. Combien de fois n’avons-nous pas entendu, dans nos circonscriptions, « j’attends un jugement depuis trop longtemps », « la peine prononcée par le tribunal n’a pas été exécutée », « j’ai des difficultés à joindre le juge », « mon avocat tarde à me transmettre les pièces », « avec l’appel, je n’obtiendrai une décision que dans dix-huit mois » ?
Combien de fois les juges ne nous ont-ils pas dit qu’ils avaient trop de travail, trop de textes législatifs à appliquer, qu’ils étaient dans l’incapacité de faire, faute de moyens matériels et humains suffisants ? Il en est de même pour les greffiers.
La commission des lois s’intéresse à ce sujet depuis longtemps. En 2017, elle a publié un rapport d’information qui établissait des constats : il était déjà évident que nous manquions des magistrats ; l’équipe autour des magistrats devait être renforcée ; les greffiers rencontraient d’importantes difficultés ; certains lieux de justice devaient manifestement être améliorés ; la numérisation de ce grand ministère avait été, en quelque sorte, abandonnée, d’où d’incroyables difficultés, alors que d’autres ministères avançaient à grands pas.
En 2018, nous avions fondé beaucoup d’espoirs dans le texte qui est devenu la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, mais nous n’avons pas obtenu tout ce que nous souhaitions.
La commission a poursuivi ses travaux, que ce soit sur les procédures collectives, les tribunaux de commerce – les futurs tribunaux des activités économiques –, les conseils de prud’hommes et bien d’autres sujets encore.
En septembre 2021, nous avons organisé, avec le président du Sénat, une Agora de la justice, pour entendre les magistrats – ceux que l’on n’entend jamais. Les constats de 2017 ont été confirmés, la situation s’étant même aggravée sur différents points.
Et puis, il y a eu cette tribune inédite, signée par sept mille magistrats à la suite du suicide de l’un de leurs collègues et affirmant que l’on ne pouvait plus continuer ainsi.
Les États généraux de la justice, présidés par Jean-Marc Sauvé, ont débouché en 2022 sur un important rapport, qui ne se retrouve pas complètement dans les deux textes qui nous sont présentés. N’y voyez aucune critique : compte tenu de l’ampleur de la tâche, on ne pouvait probablement pas tout faire en un seul soir. D’ailleurs, je me méfie des grands soirs ; je préfère les avancées concrètes.
Monsieur le garde des sceaux, vous nous avez présenté deux textes importants.
L’article 1er du projet de loi d’orientation et de programmation, qui regroupe le rapport annexé et les perspectives budgétaires, ne pose pas de difficulté. Le rapport présente votre politique générale en matière de justice. Le budget prévu pour 2023-2027, dans la lignée des deux précédents budgets, constitue un progrès utile – il serait injuste d’affirmer le contraire. Il s’agira d’un outil de contrôle parlementaire extrêmement important.
L’article 2 a posé plus de difficultés. Il s’agissait d’autoriser la révision à droit constant du code de procédure pénale par voie d’ordonnance. À chaque fois qu’il entend « ordonnance » ou « habilitation », le Sénat se crispe, surtout en matière pénale ! Comme le travail est colossal et que la notion de droit constant est délicate, les rapporteures de la commission des lois ont souhaité encadrer la procédure prévue à cet article. Nous espérons que l’Assemblée nationale conservera cette modification afin de garantir le contrôle parlementaire une fois l’ordonnance rédigée.
Le rapport annexé nous annonce par ailleurs une simplification de la procédure pénale. (M. le garde des sceaux le confirme.) Ce travail de fond devra démarrer en même temps que la recodification que je viens d’évoquer et les parlementaires devront suivre les travaux du comité scientifique.
L’article 3, qui comporte des mesures éclectiques, a été amélioré grâce au groupe Les Républicains, notamment en ce qui concerne les techniques spéciales d’enquête. Celles-ci seront limitées aux infractions pour lesquelles la peine encourue est supérieure à dix ans – et non à cinq ans comme dans la rédaction initiale.
En ce qui concerne les tribunaux des activités économiques, la question du seuil de la contribution financière a été posée par certains de nos collègues, dont Serge Babary : la commission mixte paritaire devra être mise à profit pour avancer.
Les principes du projet de loi organique sont conformes à ce que nous souhaitons : ouverture de la magistrature, déconcentration du fonctionnement de la justice, évaluation et responsabilité des magistrats. Nous devons continuer à avancer sur ces sujets.
En ce qui concerne la formation, la commission a adopté un certain nombre d’avancées, qui mériteront d’être précisées d’ici à la commission mixte paritaire.
Déjà citée dans le rapport d’information de 2017 de la commission des lois, l’évaluation des magistrats, notamment celle à 360 degrés, est un outil essentiel d’adaptation pour eux.
Enfin, il conviendra d’examiner précisément l’amendement de notre groupe sur la charte de déontologie des magistrats : c’est une bonne chose qu’il conviendra de continuer à travailler d’ici à la commission mixte paritaire.
Nous devons donner aux tribunaux et aux cours les moyens de réaliser leur travail quotidien, sans oublier la pénitentiaire et la police – nous parlons bien d’une chaîne.
Mme le président. Il faut conclure.
M. François-Noël Buffet. Ce qui compte, c’est l’efficacité du dispositif : une procédure civile efficace et une peine pénale prononcée et exécutée rapidement. Nous n’en sommes qu’au début, il faudra poursuivre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après des décennies de disette et même de paupérisation, la justice de notre pays commence à retrouver des couleurs, avec un budget qui va passer de 8 milliards d’euros à près de 11 milliards. C’est une très bonne nouvelle pour les professionnels concernés, mais aussi pour l’ensemble de nos concitoyens.
La programmation que nous nous apprêtons à voter inscrit dans la durée une tendance que vous avez amorcée, monsieur le garde des sceaux. Le groupe Les Indépendants salue votre détermination et votre constance. Grâce à vous, le budget de la justice augmente fortement.
Trop longtemps, les gouvernements successifs ont négligé l’institution judiciaire. Sa mission est pourtant essentielle à notre État de droit et à notre démocratie qui ont besoin, pour fonctionner correctement, d’une justice efficace. Le manque de moyens, notamment humains, a « embolisé » bon nombre de nos juridictions, allongeant dramatiquement les délais de jugement.
Le projet de loi ordinaire prévoit près de 10 000 recrutements, dont 1 500 magistrats : c’est un progrès certain qui devra être poursuivi – nous y veillerons. En effet, la France comptait encore, en 2022, un nombre de juges par habitant inférieur de moitié à la moyenne des pays du Conseil de l’Europe : il est urgent d’y remédier.
Le manque de personnel dont souffrent nos juridictions ne concerne pas, hélas, que les magistrats : c’est l’ensemble de l’équipe qui doit être renforcé.
Le projet de loi prévoit ainsi que 1 800 greffiers et 600 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) supplémentaires rejoindront les juridictions dans les prochaines années. De surcroît, des attachés de justice allégeront la tâche des magistrats, leur permettant de dégager un temps précieux.
Le manque d’investissement se fait également sentir en matière de places de prison. Un taux d’occupation de 120 % n’est pas acceptable. Non seulement nous avons besoin d’exécuter l’ensemble des peines qui sont prononcées, mais nous devons le faire dans le respect de la dignité humaine et de nos engagements.
L’augmentation du budget permettra la construction de milliers de places supplémentaires. Monsieur le garde des sceaux, vous savez que les Angevins attendent avec impatience la création d’un nouveau centre pénitentiaire, compte tenu de l’indignité de notre actuelle maison d’arrêt ! (M. le garde des sceaux le confirme. – M. Marc-Philippe Daubresse s’exclame.)
M. Bruno Retailleau. Les Vendéens aussi !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Comme tout le monde ! (Sourires.)
M. Emmanuel Capus. La réflexion sur les alternatives à la détention – plus favorables à la réinsertion – va être relancée. Focalisés sur l’enfermement, n’oublions pas que nos concitoyens attendent aussi des résultats en matière de lutte contre la récidive.
Le texte prévoit également d’améliorer l’efficacité de nos services grâce au déploiement de nouvelles techniques d’enquête. Nous avons su encadrer ces mesures particulièrement intrusives : leur impact sur les libertés individuelles sera le plus limité possible. Lors de nos débats en séance, nous avons ainsi renforcé les conditions pour procéder de nuit à des perquisitions, à des visites domiciliaires et à des saisies de pièces à conviction.
Toujours en matière pénale, nous avons amélioré les droits du témoin assisté, notamment dans le cadre de l’expertise.
Toutes ces dispositions étaient nécessaires pour permettre à nos forces de l’ordre de mieux lutter contre une criminalité en constante évolution, tout en préservant nos libertés.
Ces mesures viennent compléter un code de procédure pénale déjà obèse. L’inflation normative est un véritable cancer qui touche toutes nos réglementations. Fréquemment dénoncée, elle ne cesse pourtant de croître d’année en année et nous en sommes en grande partie responsables.
Le code de procédure pénale est l’un des symboles de cette inflation normative. La solution proposée par la commission et retenue par le Sénat est pertinente, car il faut clarifier et simplifier tout à la fois. Nous devrons veiller à ce que ce travail titanesque aboutisse.
La justice pénale n’est, hélas, pas la seule à être en souffrance. Il n’est pas rare que le délai de jugement en matière civile soit supérieur à douze mois ; c’est même plus que fréquent et cela concerne la majorité des contentieux, ainsi que l’a rappelé François-Noël Buffet.
Nous nous réjouissons qu’une expérimentation issue des travaux du Sénat voie prochainement le jour. Le tribunal des activités économiques a le mérite de la lisibilité et de la cohérence. Il libérera du temps de magistrat, en confiant aux juges consulaires des contentieux qu’ils sont d’ores et déjà en mesure de traiter.
Afin d’alléger des greffes surchargés, nous avons également voté le transfert aux commissaires de justice des procédures de saisie sur rémunération. Cette procédure rejoint donc les autres saisies réalisées, sous le contrôle du juge de l’exécution, par nos 3 700 commissaires de justice.
Des délais de paiement seront bien évidemment possibles si la situation du débiteur l’exige, mais les créanciers devraient bénéficier d’une exécution plus rapide.
L’autre texte que nous avons examiné vise à ouvrir le corps judiciaire et à simplifier son fonctionnement. En clarifiant les voies d’accès aux professions judiciaires, nous en améliorons l’attractivité – c’est nécessaire ! Le projet de loi organique renforce également la responsabilité des magistrats et étend la protection dont ils bénéficient à leur famille. Bien entendu, nous y sommes favorables.
Championne des prélèvements obligatoires, la France ne dispose pas pour autant des meilleurs services publics. Pour assainir nos finances publiques et améliorer la qualité du service offert à nos concitoyens, nous devons concentrer nos moyens sur les missions régaliennes de l’État, notamment la justice, car c’est d’elles que dépend le bon fonctionnement de notre démocratie et de notre société.
Le groupe Les Indépendants votera ces deux projets de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nos échanges de la semaine dernière ont été respectueux et de qualité. (M. le garde des sceaux le confirme.) Nous avions des interrogations sur la vision du Gouvernement sur la justice pour les prochaines années, et nous les avons exposées.
Le constat est partagé : magistrats épuisés, greffiers en sous-effectif permanent, délais trop importants ou incompréhensibles, avec pour corollaire des détentions provisoires bien trop longues. L’urgence est bien là et le ministère agit.
Le budget est en hausse et nous soutiendrons cette ambition nouvelle lors de l’examen du prochain projet de loi de finances. Mais nous nous interrogeons sur sa répartition et sur son affectation. Nous regrettons l’absence de volonté pour organiser différemment les choses et tout particulièrement la trajectoire annoncée – et amplifiée par le Sénat – du « tout carcéral ».
Pour les rapporteures, « la solution passe par la construction de places et il faut aller vite. Nous sommes donc favorables à ce que les peines soient exécutées dans de bonnes conditions, grâce à un nombre suffisant de places. » Cela concerne donc toutes les peines, pour des durées de plus en plus longues.
Et le garde des sceaux d’ajouter : « Le seul levier dont nous disposons aujourd’hui, selon moi, pour faire cesser la surpopulation carcérale, consiste à construire de nouveaux établissements pénitentiaires. »
Nous sommes en désaccord profond avec cette manière de gérer la surpopulation carcérale. Construire des prisons ne peut pas être l’unique solution au problème de la surpopulation et des conditions de détention indignes, pour lesquelles notre pays est si souvent et si lourdement condamné par la Cour européenne des droits de l’homme.
Je rappelle que la France a été condamnée tant en raison d’une surpopulation carcérale structurelle que pour l’absence de recours effectif permettant à un détenu de faire cesser des conditions de détention qu’un tribunal jugerait indignes.
Les États généraux de la justice avaient proposé qu’un seuil de « suroccupation majeure » soit fixé pour chaque établissement, au-delà duquel seraient envisagées des mesures de régulation. Mais cette régulation est la grande absente de ce texte. Le garde des sceaux a indiqué que des solutions étaient déjà mises en œuvre au cas par cas, mais nous regrettons l’absence d’expérimentation officielle permettant une évaluation plus objective.
Certes, M. le garde des sceaux a évoqué les leviers, autres que l’incarcération, qui permettraient de limiter le nombre d’entrées en prison. C’est ce que nous n’avons de cesse de proposer ! Bâtissons ensemble ces politiques alternatives à la prison, plutôt que de continuer à bâtir des prisons et à les remplir.
Je le redis : une société avec moins de détenus n’est pas moins-disante ou moins sécurisante, bien au contraire. J’attends que votre ministère le dise et le traduise dans ce projet d’orientation. L’activité des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), les travaux d’intérêt général auxquels le garde des sceaux est si attaché et les expérimentations montrent que le coût et l’efficacité de ces alternatives plaident en leur faveur.
Voir dans la prison la seule punition possible, considérer la détention provisoire comme une option usuelle et non plus comme une exception et développer les comparutions immédiates conduit à remplir toujours plus les prisons. La société n’en est pas plus sûre ; les détenus et les condamnés ne sont ni mieux punis ni mieux réinsérés.
Le recrutement de personnel pénitentiaire contractuel nous inquiète tout autant : moins bien formés, ces agents constituent une réponse dégradée aux problèmes. La fonction publique s’ubérise, conséquence inéluctable d’années de politiques au rabais.
De tels sucres rapides sont parfois nécessaires. Nous saluons la volonté de faire sortir de la précarité les assistants de magistrats, mais n’oublions pas qu’il s’agit aussi des conséquences d’une politique de recrutement défaillante de magistrats depuis de nombreuses années.
Les recrutements prévus sont positifs, tout comme la création d’une équipe autour du magistrat. Tant mieux si les solutions proposées permettent de gérer la pénurie, mais les mesures structurelles qui les accompagnent sont insuffisantes.
L’ouverture de l’accès à la magistrature est l’un des aspects essentiels d’une politique de justice efficace et au service des citoyens. Nous saluons la diversification des voies de recrutement, grâce notamment à l’adoption d’un amendement de notre groupe qui facilite l’accès au concours professionnel pour les docteurs en droit.
En revanche, nous regrettons l’adoption d’un amendement qui semble vouloir remettre en cause la liberté syndicale des magistrats.
La visioconférence ne peut pas être la règle. Comment un médecin pourrait-il évaluer les conditions d’une garde à vue par visio ? Comment un interprétariat à distance pourrait-il ne pas gêner le bon déroulé des auditions ? Pourquoi étendre à ce point les possibilités de perquisition de nuit ? Comment ne pas voir que les vidéo-audiences éloignent le justiciable et le citoyen des lieux de justice ?
Nous avons aussi exprimé nos inquiétudes sur l’activation à distance des micros et des caméras des portables et autres appareils connectés.
Ces textes sont l’occasion d’une nouvelle course à l’échalote technologique, sans évaluation des bénéfices. Les caméras individuelles dans les prisons en constituent un autre exemple. Sans garantie de continuité d’enregistrement ou d’accès à ces vidéos pour l’ensemble des parties, il s’agit plus d’un effet d’annonce que d’une réelle amélioration.
Notre groupe salue donc l’effort budgétaire, mais celui-ci n’est pas salvateur en soi. La justice n’en est pas réparée pour autant : recrutements non pérennes, maintien d’une politique du « tout carcéral » avec la poursuite de la construction de prisons, amoindrissement des prérogatives du juge des libertés et de la détention, etc.
Ces dernières années, des missions de plus en plus nombreuses ont été confiées à ce juge spécialisé et indépendant. Pourtant, ce projet de loi le dessaisit de son cœur de métier : cela n’est ni tolérable ni cohérent.
Ces deux projets de loi comportent des mesures positives, même si elles ne vont pas assez loin. Le garde des sceaux n’a pas pu transformer l’essai ni marquer ses textes d’une vision globale autre qu’une politique immobilière carcérale. Il s’agit pourtant d’une loi d’orientation : elle aurait dû le permettre, en développant par exemple les compétences des Spip.
Il n’est pas trop tard, monsieur le garde des sceaux. Les lignes rouges franchies dans ce texte sont trop importantes. La captation à distance de sons et d’images à partir d’objets connectés tels que les téléphones et les ordinateurs est une atteinte bien trop grave aux libertés. La suspicion sur la qualité du travail des magistrats syndicalisés est tout aussi inacceptable.
L’examen du texte à l’Assemblée nationale peut permettre de réelles avancées contre cette dérive de surveillance et de contrôle. Nous regrettons d’autant plus la possibilité bien trop large laissée à l’utilisation de certains outils que nous vous avions alerté sur le sujet. L’interpellation par la police antiterroriste de militants, à la suite d’actions menées dans une usine Lafarge de mon département des Bouches-du-Rhône, a bien montré le risque de dérive.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre le projet de loi d’orientation et de programmation, mais pas contre le projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)