M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marta de Cidrac. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans une France riche de la diversité de ses territoires, nos outre-mer ont toujours eu une place à part. Leurs spécificités, souvent entendues, mais parfois incomprises, donnent à ces espaces une singularité à nulle autre pareille.
Cette situation particulière a de fortes conséquences sur les politiques à conduire dans de nombreux domaines. Éloignement géographique, différences climatiques, spécificités insulaires : nos outre-mer demandent aux décideurs publics et au législateur que nous sommes un effort permanent de contextualisation, de différenciation et d’attention aux problématiques qui leur sont propres.
Ce débat est une excellente occasion d’en prendre conscience, au moment où s’ouvre à Paris la deuxième phase de négociations internationales contre la pollution plastique, mais surtout au travers du prisme environnemental du traitement des déchets.
À ce titre, je remercie la délégation aux outre-mer du Sénat de l’avoir inscrit à notre ordre du jour. Je salue également nos collègues Gisèle Jourda et Viviane Malet pour leur rapport d’information sur la gestion des déchets dans les outre-mer.
Faisons un bref rappel géographique. À des milliers de kilomètres de la métropole, au milieu d’immenses océans, il s’agit de territoires souvent de faible superficie, mais qui confèrent à notre pays, par leur implantation dans tous les océans, le deuxième domaine maritime mondial. Avec un pareil atout, une responsabilité mondiale en matière de préservation de l’environnement et de la biodiversité nous incombe.
Par ailleurs, ne l’oublions pas, il s’agit aussi de l’Union européenne. À travers leur statut de régions ultrapériphériques, les outre-mer français permettent à l’Union européenne d’être présente en dehors du continent européen et dans tous les océans.
Il s’agit, là encore, d’un atout pour l’Union européenne, mais qui demande en retour une prise en compte de la spécificité ultramarine française.
Ce cadre français et européen est essentiel pour comprendre la politique de traitement des déchets ultramarins, un domaine où les atouts de l’outre-mer s’accompagnent de responsabilités et de contraintes spécifiques.
Dans le cadre de l’évaluation de la loi Agec, j’ai rencontré les différentes parties prenantes du traitement des déchets ultramarins, qu’il s’agisse d’élus locaux ou de professionnels du secteur. Tous m’ont fait part de problématiques ultramarines bien spécifiques, parfois très différentes de celles de l’Hexagone.
Deuxième espace maritime mondial, la France concentre à elle seule dans ses eaux 10 % des récifs coralliens, 20 % des atolls de la planète et près de 10 % de la diversité mondiale des espèces marines.
Notre responsabilité à l’échelle mondiale est donc de laisser à nos enfants des espaces maritimes non pollués et vierges de déchets susceptibles de mettre en péril des écosystèmes déjà fragilisés. En effet, à l’exception de la Guyane, nos outre-mer sont des écosystèmes insulaires. Ils sont donc plus sensibles à la pollution et se régénèrent beaucoup moins rapidement que les autres.
Les risques encourus ne sont pas seulement sanitaires, ils sont aussi sociaux et économiques. Lorsque des terres arables deviennent impropres à la culture ou que la qualité de l’eau se dégrade, ce sont des ressources qui disparaissent ou qui demandent à être importées.
Nous pouvons citer un exemple concret de pollution dont s’alarment les acteurs locaux, déjà rappelé à maintes reprises à l’occasion de différents échanges. Il s’agit de l’accumulation de déchets issus de l’industrie automobile. Vous serez frappés de voir, chers collègues, les nombreuses carcasses de voitures qui parsèment nos îles, faute d’installations à même de traiter ces déchets.
Dans l’Hexagone et plus encore dans nos outre-mer, un mauvais traitement des déchets emporte de grandes conséquences. Il faudra être capable de l’anticiper face aux défis de demain. Qu’en sera-t-il de l’augmentation du nombre de véhicules électriques en outre-mer et du traitement de leurs batteries, alors même que le traitement de véhicules thermiques fait défaut ? Quid des modes de consommation de nos concitoyens, qui évoluent vers le « toujours plus », via la fast fashion, par exemple, ou les objets technologiques à fort potentiel polluant ? Tout cela se fait au risque de voir nos territoires ultramarins saturés de déchets polluants, faute d’exutoire et de traitement performants.
Au niveau local, des pistes d’amélioration claires ont été identifiées par mes collègues de la délégation aux outre-mer. Je soulignerai que les solutions nationales ne sont pas les seules à être attendues. De nombreux acteurs locaux se sentent entravés par la réglementation européenne qui s’impose à eux en tant que régions ultrapériphériques.
En effet, le règlement européen relatif aux transferts de déchets, dit RTD, pose de réelles difficultés dans nos départements et territoires d’outre-mer, qui ne peuvent exporter leurs déchets dangereux vers les ports de pays tiers géographiquement proches. Selon le RTD, ces exportations devraient se faire exclusivement vers l’Union européenne ; mais cette solution ne paraît ni raisonnable ni viable d’un point de vue environnemental et économique.
Certains ports de pays tiers disposeraient pourtant d’infrastructures à même de traiter ces déchets ou, à défaut, de leur permettre simplement de transiter, ce que le RTD ne facilite pas non plus.
En principe, ce règlement met en œuvre, dans le droit de l’Union européenne, les dispositions de la convention de Bâle et de la décision de l’OCDE en matière de transferts de déchets dangereux. Dans les faits, il est bien plus strict que le droit international.
Je sais, madame la ministre, que ce règlement est en cours d’examen et de révision à Bruxelles. Nos territoires ultramarins comptent sur votre voix afin que leurs spécificités soient prises en compte dans le futur texte. Il y a de cela quelques mois, j’interrogeais le ministre des outre-mer, qui reconnaissait l’importance des enjeux en la matière.
La France est le seul pays de l’Union européenne à compter autant de RUP aussi éloignées du continent européen. C’est un atout national et communautaire à valoriser, non à pénaliser.
Le droit européen devra assurément évoluer vers une plus grande souplesse si nous ne voulons pas préparer aujourd’hui les bombes à retardement écologiques de demain.
Au niveau national, les travaux de notre délégation sénatoriale ont identifié des axes de progression clairs : simplifier la gouvernance, améliorer le financement de la gestion des déchets, inciter les filières REP à une obligation de résultat, aller chercher de nouveaux gisements de déchets et développer l’économie circulaire.
Ces dispositions sont déjà à l’œuvre dans l’Hexagone et figurent dans la loi Agec. Déployons-les plus amplement dans les outre-mer, afin que nous arrivions à des résultats efficients. Leur application doit aller de pair avec une négociation sur la question des RUP qui respecte nos concitoyens ultramarins, ainsi qu’avec la définition d’une véritable stratégie maritime qui protège les écosystèmes de nos territoires ultramarins. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée. (Mmes Gisèle Jourda et Viviane Malet applaudissent.)
Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le président, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier la délégation aux outre-mer d’avoir organisé ce débat, qui permet de faire un point sur les avancées réalisées en matière de gestion des déchets dans les outre-mer.
Je souhaite remercier les sénatrices Gisèle Jourda et Viviane Malet pour leur rapport qui, je le souhaite, inspirera les actions du Gouvernement dans ce domaine.
Je tiens à excuser l’absence du ministre délégué chargé des outre-mer, Jean-François Carenco, qui se trouve actuellement en Nouvelle-Calédonie avec le ministre de l’intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin. Il a fait de la gestion des déchets l’une de ses priorités et il aurait aimé se trouver parmi nous aujourd’hui.
Vous l’avez dit et écrit : la situation des déchets en outre-mer n’est pas satisfaisante et le constat est alarmant. Il s’agit aujourd’hui d’ouvrir, comme vous l’avez souligné, monsieur Artano, des perspectives concrètes de progrès.
Comme plusieurs d’entre vous l’ont rappelé, 67 % des déchets ménagers sont enfouis outre-mer, contre 15 % à l’échelle nationale. La gestion des déchets ménagers coûte en moyenne 1,7 fois plus cher dans les outre-mer que dans l’Hexagone. Les déchets d’emballage, par exemple, y sont trois à quatre fois moins collectés dans le bac jaune.
Votre rapport de décembre dernier a dressé un état des lieux exhaustif des difficultés rencontrées. Elles sont multiples : des coûts plus élevés, l’absence de marché, des exportations compliquées. Par ailleurs, le nombre de déchetteries est insuffisant et les éco-organismes des filières REP restent trop peu mobilisés sur ces territoires.
Cette gestion a des conséquences sanitaires, environnementales, sociales et économiques néfastes pour nos compatriotes ultramarins et pour la biodiversité. En effet, les dépôts sauvages polluent les cours d’eau et les nappes phréatiques et favorisent la prolifération de rongeurs ou de moustiques transmettant la dengue et le paludisme.
La loi Agec de 2020 et la loi Climat et résilience de 2021 ont fixé des objectifs ambitieux qu’il convient de mettre en œuvre dans tous les territoires. Les retards pris dans les outre-mer nécessitent de redoubler d’efforts et d’apporter une réponse à nos compatriotes ultramarins, qui ont pu se sentir abandonnés.
Le Gouvernement est non seulement pleinement conscient de cette réalité, mais surtout entièrement mobilisé. Il prépare ainsi un plan d’action concret et territorialisé, assorti d’une feuille de route interministérielle de progrès pour la gestion des déchets outre-mer.
Ce projet de feuille de route repart des recommandations de votre excellent rapport de décembre dernier et tient compte également des retours d’expérience des préfets et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) concernant les territoires d’outre-mer.
Vous l’évoquiez dans votre rapport, le premier axe d’amélioration est la gouvernance. Un important travail de rationalisation doit être effectué par les collectivités. Celles-ci sont en effet compétentes en matière de planification et d’organisation de la gestion des déchets. L’État se tient à leurs côtés, comme nous le faisons actuellement en Martinique avec le Syndicat martiniquais de traitement et de valorisation des déchets (SMTVD).
À ce jour, La Réunion, Saint-Martin, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon doivent encore adopter leurs plans régionaux de prévention et de gestion des déchets (PRPGD).
Le prochain Ciom, que nombre d’entre vous ont mentionné, programmé le 12 juin à quinze heures, sera l’occasion d’aller plus loin et de reprendre directement certaines mesures de votre rapport, pour mieux organiser encore cette gestion. J’en citerai au moins deux : l’autorité unique et la gratification du geste de tri. Vous travaillerez toutefois le 12 juin sur bien d’autres mesures.
En matière de financement, l’État est au rendez-vous. Il l’est via les contrats de convergence et de transformation (CCT), dont la nouvelle génération est en cours de négociation. Pour rappel, sur la période 2019-2022, le ministère des outre-mer a contractualisé avec l’Ademe un montant total de 41 millions d’euros pour accompagner les collectivités.
Malheureusement, ces montants, comme souvent en outre-mer, ne sont pas assez consommés. Rien ne sert de voter des budgets mirobolants s’ils ne sont pas dépensés. Le Gouvernement travaille, dans le cadre du Ciom, à mettre à la disposition des collectivités territoriales davantage d’expertise en ingénierie pour que les crédits proposés par le Gouvernement et votés par le Parlement parviennent réellement à financer des projets.
En complément, le Fonds exceptionnel d’investissement (FEI) peut apporter une aide ponctuelle pour certains projets ciblés. Depuis 2010, le ministère des outre-mer a financé des projets de gestion et de valorisation des déchets à hauteur de 31,2 millions d’euros, soit environ 2,6 millions d’euros par an. Pour 2023, mon collègue Jean-François Carenco a décidé de doubler cette enveloppe et de la concentrer sur la Guyane, qui a fait de ce sujet sa priorité.
Le fonds vert est également un outil dont les collectivités ultramarines doivent se saisir. La collecte de biodéchets a déjà représenté 10 % des dossiers déposés lors du premier appel à projets. Ainsi, 870 000 euros seront alloués à la Martinique pour des travaux de mise en œuvre du captage de biogaz. Des études seront également financées pour la mise en œuvre du tri à la source des biodéchets à Marie-Galante et pour l’élimination des déchets métalliques du lagon à La Réunion.
Enfin, les fonds européens sont des atouts précieux pour les collectivités. Pour la période 2014-2020, 155 millions d’euros ont ainsi été engagés en faveur de la gestion des déchets en outre-mer.
J’ajoute que la commissaire européenne à la cohésion et aux réformes, Elisa Ferreira, que je connais bien, évoque régulièrement – et avec tristesse – le problème de la sous-consommation des crédits européens. De manière générale, les collectivités régionales doivent mieux se saisir de ces opportunités de financement et la consommation des fonds doit être améliorée.
Un autre constat que le Gouvernement partage, c’est que les éco-organismes des filières REP ne sont pas au rendez-vous en outre-mer. Ce n’est pas normal que les ultramarins ne puissent bénéficier d’un service de collecte performant pour les déchets relevant desdites filières. La loi Agec a justement prévu de remobiliser ces éco-organismes pour rattraper d’ici à trois ans les retards en matière de collecte et traitement des déchets en outre-mer.
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Je souhaitais, monsieur le président, aborder un dernier point évoqué dans le rapport d’information de la délégation aux outre-mer : le transfert de déchets, que ce soit des outre-mer vers l’Hexagone ou entre les outre-mer.
Les autorités françaises sont pleinement mobilisées, dans le cadre de la révision en cours du règlement européen sur le sujet, pour que les conditions de transit vers l’Union européenne soient facilitées.
Lors de la récente Conférence de coopération régionale Antilles-Guyane, la problématique des déchets a fait l’objet de débats spécifiques. Une réflexion est en cours pour mutualiser, optimiser et mieux coopérer.
Je tiens encore une fois à remercier la délégation sénatoriale pour la qualité de ses travaux et la richesse de ses propositions. Les membres du Gouvernement, en particulier Jean-François Carenco et Bérangère Couillard, comptent sur le prochain Comité interministériel des outre-mer pour améliorer encore la gestion des déchets dans ces territoires. Notre ambition commune est que ces déchets ne soient plus des encombrants à enfouir, mais bien des ressources à exploiter, en outre-mer comme dans l’Hexagone.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à vous remercier, madame la ministre, pour votre participation à ce débat – nous comprenons parfaitement l’absence de M. le ministre délégué chargé des outre-mer. C’est un sujet fondamental, mais complexe en raison des réalités de chacun de nos territoires.
Vous l’aurez compris, notre délégation attend des réponses claires. Vous avez apporté de premiers éléments : nos vingt-six recommandations sont sur la table et il revient au Gouvernement ainsi qu’aux autres acteurs concernés de se saisir de notre rapport. Soyez assurée que notre délégation effectuera un suivi précis et exigeant de cette question au cours des prochains mois, sans esprit partisan, comme à son habitude.
Ce débat intervient à un moment clef, puisque le prochain Ciom se tiendra le 12 juin. Il nous semble – cela nous paraît même incontournable et prioritaire – qu’il devra inclure un volet consacré aux déchets.
Vos propos ainsi que certaines déclarations récentes du Gouvernement sont de premiers signaux positifs. Il faut désormais les concrétiser par des actes.
Pour ce qui concerne notamment l’action des éco-organismes, notre délégation a noté avec intérêt que vos collègues Bérengère Couillard et Jean-François Carenco avaient réuni conjointement le 6 avril dernier les éco-organismes pour leur demander de « se mettre à niveau avant la fin de l’été ». Dans le communiqué conjoint, les deux ministres s’appuyaient d’ailleurs sur le rapport de notre délégation.
Espérons que cette déclaration sera un électrochoc. À défaut, je vous invite à engager les mécanismes de pénalités financières et à abaisser les seuils de responsabilité, conformément aux recommandations de nos rapporteures.
Agir vite et fort, pour reprendre les mots de Gisèle Jourda, est impératif, car le sujet des déchets est symptomatique des défis à relever pour nos outre-mer.
Enjeu environnemental et sanitaire, la gestion des déchets revêt aussi un enjeu économique – Marta de Cidrac en a parlé. Le développement touristique, et donc la création de richesses, ne peut réussir si les plages sont polluées, les routes bordées d’épaves et le paysage abîmé.
Les déchets peuvent aussi être une opportunité pour rapatrier de la valeur ajoutée sur les territoires, en développant des filières locales de recyclage.
Mais surtout, pour les outre-mer, les déchets sont l’autre service public de base au cœur du quotidien de chacun, au même titre que l’eau potable, l’assainissement ou l’électricité, sans lequel il ne peut y avoir de développement harmonieux et digne.
La crise de confiance qui s’est exprimée lors des dernières échéances électorales dans les outre-mer est notamment la conséquence des difficultés à fournir à nos concitoyens ces services publics essentiels du quotidien.
Le récent rapport d’information de la délégation sénatoriale sur l’évolution institutionnelle des outre-mer souligne d’ailleurs que la pertinence d’éventuelles évolutions de ce type doit être évaluée à l’aune de leur capacité à déployer des politiques publiques plus efficaces. La défiance et la crise démocratique ne seront surmontées que lorsque ces services publics fondamentaux auront des résultats tangibles.
Un autre aspect transversal réside dans l’ingénierie – vous en avez parlé, madame la ministre –, c’est-à-dire la capacité à transformer une idée en réalité. C’est le point faible des outre-mer pour toutes les politiques publiques. Là encore, notre rapport fait plusieurs propositions tout aussi essentielles que celles relatives à l’effort financier, qui n’est pas la seule donnée de l’équation.
Enfin, j’achèverai mon propos, en évoquant l’enjeu de la différenciation et de la territorialisation. Notre délégation porte cette exigence sur tous les sujets ultramarins ; celui des déchets n’y échappe pas.
Viviane Malet l’a évoqué, notamment en mettant en avant la nécessité de développer la valorisation énergétique. Plus globalement, il faut sans doute réinterroger pour nos petits territoires insulaires ou isolés la hiérarchie des modes de traitement. Est-il, par exemple, toujours pertinent d’expédier à l’autre bout du monde des déchets plastiques pour les recycler ? Ne vaudrait-il pas mieux les valoriser localement pour produire de l’électricité ? La valorisation matière doit être envisagée de manière pragmatique et réaliste.
C’est au niveau de chaque territoire que la stratégie la plus fine, sans idée préconçue, doit être définie et contractualisée. Madame la ministre, vous avez évoqué une feuille de route territorialisée ; il s’agit de l’un des aspects de la méthode de Jean-François Carenco.
Le Gouvernement n’est pas le seul responsable des questions liées à la gestion des déchets. Les collectivités et de nombreux autres acteurs, par exemple les éco-organismes, doivent aussi s’investir. La mise en place d’une contractualisation par territoire est très importante pour que chacun prenne ses responsabilités.
Les choses sont toujours plus claires quand tout le monde signe en bas de la page ! J’appelle donc de mes vœux l’enclenchement d’un tel cercle vertueux – je pense que chacun ici me rejoindra sur ce point. La gestion des déchets est une responsabilité collective qui doit être partagée et la contractualisation, dont je suis partisan, permet justement de responsabiliser l’ensemble des acteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la gestion des déchets dans les outre-mer.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à dix-neuf heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Accès aux services publics
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, l’examen de la proposition de résolution proposant au Gouvernement de renforcer l’accès aux services publics, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Jean Claude Requier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 451).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans notre quotidien, l’essor des plateformes téléphoniques a ses bons et ses mauvais côtés.
Quand tout va bien, appeler un service public plutôt que patienter dans une interminable file d’attente est un gain de temps, surtout si l’on est géographiquement éloigné dudit service.
Cependant, lequel d’entre nous n’a jamais connu « tapez 1, tapez 2 ou tapez 3 » avec au bout du compte, ou plutôt au bout de la ligne, un bip, c’est-à-dire personne !
Cette réalité a été documentée par une récente enquête du magazine 60 millions de consommateurs, réalisée en collaboration avec la Défenseure des droits. Elle révèle les obstacles que rencontrent les usagers pour joindre les services publics par téléphone. Les tests conduits par les enquêteurs ont montré que 40 % des appels n’aboutissaient pas et que, quand ils aboutissent, la durée d’attente en ligne atteint en moyenne neuf minutes.
Faisant face à un manque de conseillers, l’assurance maladie est le service le plus critiqué. Pour la caisse d’allocations familiales, près de la moitié des appels restent sans réponse. Quand le conseiller est enfin joignable, il redirige l’usager, dans certains cas, vers internet…
Là encore, dans un monde parfait, la dématérialisation des démarches pourrait être la meilleure des solutions. Elle suppose toutefois deux conditions : un minimum de compétences informatiques et un bon réseau. Malheureusement, près de 14 millions de nos concitoyens sont frappés d’illectronisme comme l’avait souligné notre ancien collègue du Gers Raymond Vall dans le rapport de la mission d’information « Lutte contre l’illectronisme et inclusion numérique ».
Dans ces conditions, la dématérialisation des services publics peut engendrer de véritables souffrances sociales, en particulier chez les plus modestes, les personnes âgées ou les personnes souffrant d’un handicap physique. Non seulement ces personnes accèdent difficilement à leurs droits, mais plus globalement elles se sentent exclues du monde moderne. C’est une fracture de plus.
Bien entendu, je n’ignore rien des différentes politiques qui ont été mises en œuvre au cours de ces dernières années pour favoriser l’inclusion numérique. Mais il faudra faire davantage pour réduire le fossé entre les connectés et les non-connectés. Notre proposition de résolution appelle notamment au développement d’une stratégie numérique inclusive tout au long du parcours scolaire et de façon précoce.
L’accès aux services publics dématérialisés, c’est aussi bien entendu une question de réseau. Sur ce volet, nous sommes bien placés, dans les territoires ruraux, pour constater les difficultés persistantes de son déploiement dans certaines zones.
Pourtant, mes chers collègues, c’est parce que les moyens pour se déplacer et communiquer sont bien souvent distants en milieu rural que la téléphonie mobile et, avec elle, internet y sont plus utiles qu’ailleurs. L’ancien sénateur de la Lozère Alain Bertrand l’avait très justement relevé dans son rapport sur l’hyperruralité.
Garantir l’accès au numérique est un devoir que nous rappelle aussi le projet de déclaration européenne publié le 26 janvier 2022 sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique, qui précise : « Toute personne devrait avoir accès à des technologies qui visent à unir et non à diviser. La transformation numérique devrait contribuer à l’équité sociale et économique dans l’Union. »
Certes, l’État et les opérateurs s’efforcent de mieux prendre en compte la couverture des territoires ruraux à travers différents plans d’action. Monsieur le ministre, votre collègue chargé de la transition numérique et des télécommunications a indiqué en avril dernier devant la commission des affaires économiques du Sénat qu’il fallait trouver un accord entre l’État, les opérateurs et les collectivités pour relever les défis restants du grand chantier de la fibre et répartir l’effort financier de manière équitable et juste. Nous en sommes bien d’accord !
Cela est d’autant plus vrai, comme l’a rappelé en décembre dernier notre collègue Éric Gold lors des questions d’actualité au Gouvernement, qu’il y a le défi quantitatif du déploiement du réseau, mais aussi celui de sa qualité. Le réseau en cuivre, progressivement abandonné, pose problème, car il est mal entretenu, y compris dans les territoires qui n’ont toujours pas la fibre et où les délais de dépannage sont longs.
En attendant, au rythme actuel, les normes de débit devraient être inférieures à celles fixées par l’Union européenne à l’horizon de 2025.
Aussi, la numérisation des services publics « à marche forcée », comme l’a qualifiée le Secours populaire en 2021, a un revers, et non des moindres : certains usagers renoncent à leurs droits. Je citerai l’exemple avancé par l’Assemblée des départements de France qui a identifié cet hiver la sous-consommation du chèque carburant comme la conséquence de la fracture numérique. Face à tout cela, il est fondamental que le contact humain reste possible.
Là aussi, ces difficultés pourraient être relativisées si, dans le même temps, l’État ne s’était pas déchargé du maintien des services publics de proximité.
La dégradation continue des comptes publics depuis la fin des années 1970, combinée à une démographie défavorable dans certaines communes, a en effet conduit à des réformes rationalisant à l’excès le maillage territorial des services publics. Comme vous le savez, mes chers collègues, ces réformes ont touché aussi bien les administrations de sécurité sociale que les trésoreries ou La Poste. Tout le territoire a été concerné, y compris l’outre-mer pourtant déjà mal loti.
Bien que, dans son rapport intitulé L’accès aux services publics dans les territoires ruraux, la Cour des comptes considère qu’il n’y a pas eu d’abandon généralisé des territoires ruraux par les grands réseaux nationaux de services publics, elle relève toutefois que le niveau d’implantation varie selon les réseaux considérés.
C’est vrai, les schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public ont permis d’améliorer la situation ou de la stabiliser.
Et bien sûr, grâce à la mobilisation des collectivités locales, très impliquées dans le développement d’une offre de services publics mutualisés, le pire a été évité. Je pense au réseau des maisons France Services qui permet de maintenir un accompagnement adapté aux besoins locaux.
J’ajoute toutefois que moins d’un quart des maisons France Services sont accessibles par transports en commun et que leur implantation et leur fonctionnement reposent sur la bonne volonté et les moyens financiers des collectivités locales.
Mon groupe souhaiterait, je le répète, un partenariat plus équitable entre l’État et les collectivités locales, car les services publics demeurent une composante essentielle de l’aménagement et de l’attractivité des territoires. Dans nombre de communes, les commerces ferment et seul un service public reste ouvert.
Mes chers collègues, le principe d’égalité des droits est au cœur du pacte républicain. Il n’est pas besoin de démontrer combien nos concitoyens y sont sensibles.
La disparition programmée du timbre rouge illustre bien ce sentiment. Alors que les Français se rendent de moins en moins dans les bureaux de poste pour y déposer un courrier, ils supportent mal la réorganisation de ce réseau. Ce paradoxe s’explique simplement : La Poste bénéficie de l’image très populaire du facteur. Dans nos villages, il est souvent connu de tous et il représente le principal ambassadeur du lien social, ainsi que le gardien de la présence publique de proximité, si nécessaire à la cohésion sociale.
L’exemple du facteur démontre, s’il en était besoin, la nécessité de maintenir les services publics sur le territoire, en particulier dans le monde rural. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI. – M. Jean-Marie Mizzon applaudit également.)