M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, oui, le principe d’égalité des droits est au cœur du pacte républicain ; oui, l’accès aux services publics, partout et pour tous, est le fondement de notre cohésion sociale.
La dématérialisation des démarches administratives est souvent utile, mais elle doit, c’est vrai, s’appuyer sur une couverture numérique de qualité dans tous nos territoires et sur un accompagnement de ceux qui en sont le plus éloignés. C’est pourquoi nous agissons de manière résolue afin que la numérisation de nos usages ne rime jamais avec une déshumanisation de nos services publics : comme vous l’avez dit, nous avons déployé en moins de trois ans, 2 600 espaces France Services et des milliers de conseillers numériques.
Comme vous le voyez, monsieur le président Requier, le Gouvernement partage le constat que vous dressez. C’est tout l’objet de nos actions pour renforcer l’accès à nos services publics et la qualité de ces derniers. C’est précisément pour cela que la Première ministre a réuni l’ensemble du Gouvernement le 9 mai 2023 à l’occasion du septième comité interministériel de la transformation publique pour mobiliser l’ensemble de l’action gouvernementale.
À l’occasion de l’examen de cette proposition de résolution, dont je vous remercie, je voudrais revenir sur trois de mes priorités pour rendre nos services publics plus accessibles, plus attractifs et plus qualitatifs : assurer les fondamentaux de nos services publics ; mettre en place un accompagnement privilégié pour ceux de nos concitoyens qui en ont le plus besoin ; prendre soin de nos agents publics et leur porter une attention particulière.
La première priorité, c’est d’assurer les fondamentaux de nos services publics. Les Français ont des attentes simples vis-à-vis de nos services publics – qui ont été très bien décrites par les orateurs précédents. J’en dénombre trois.
La première attente concerne les délais : il s’agit du principal sujet sur lequel nous sommes quotidiennement sollicités.
La deuxième attente, c’est tout simplement de pouvoir parler à quelqu’un lorsque l’on est éloigné du numérique ou qu’une démarche administrative nous résiste – soit parce que l’on n’y arrive pas, soit parce que cela ne fonctionne pas en ligne, soit parce que l’on ne parvient pas à joindre quelqu’un au téléphone.
La troisième attente, tout aussi légitime, c’est de ne pas être renvoyé d’une administration à une autre. Une information que l’on a donnée une fois doit être réputée avoir été donnée définitivement à l’ensemble des administrations auxquelles on a affaire.
Pour répondre à ces attentes, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai deux convictions de méthode.
D’une part, il ne faut jamais opposer numérique et physique. Il faut porter notre attention sur tous les canaux d’accès à nos services publics. J’y reviendrai.
D’autre part, il s’agit non pas de simplifier pour simplifier, mais de simplifier en partant de la vie de nos concitoyens, c’est-à-dire en privilégiant les moments de vie où ceux-ci ont besoin d’avoir accès à nos services publics. Je crois profondément à cette méthode.
C’est fort de ces convictions que le comité interministériel de la transformation publique a pris des décisions importantes.
Ainsi, nous devons améliorer tous les canaux d’accès à nos services publics, à commencer par le téléphone. Vous avez tous souligné à quel point il était insupportable de devoir attendre, de n’avoir personne en ligne, d’avoir à taper sur des touches – « tapez 1 », « tapez 2 »… – pour contacter tel ou tel service. Nous l’avons tous vécu. Sur la qualité de l’accueil téléphonique, il nous faut donc une mobilisation accrue.
C’est pourquoi nous avons déployé un nouveau plan visant à renforcer la qualité de l’accueil téléphonique, avec des objectifs très clairs. Nous devons atteindre un taux de décroché supérieur à neuf fois sur dix dans l’année à venir. Nous allons établir un outil de mesure de la satisfaction des usagers qui ont contacté une administration par téléphone ou qui ont essayé de faire. Nous allons également développer la possibilité de prendre rendez-vous ou d’être rappelé par une administration quand on en formule la demande. Tout cela est très concret.
Nous sommes également mobilisés pour renforcer la qualité du numérique que nous devons apporter. Je ne verserai pas dans la facilité, en ne parlant du numérique que de façon négative. Au contraire, il faut faire du bon numérique. Un certain nombre de démarches doivent être numérisées, ce qui correspond aux attentes de nos concitoyens, puisque, aujourd’hui déjà, plus de neuf fois sur dix, les interactions de nos concitoyens se font via le numérique.
Faire du bon numérique, c’est d’abord faire du numérique accessible à tous. Vous l’avez rappelé, pour les 250 démarches essentielles qui sont utilisées par plus de 200 000 Français chaque année, le taux de numérisation est désormais acceptable – plus de 94 %. Pour autant, en matière d’accès au numérique des personnes en situation de handicap, pour ne prendre que cet exemple très concret, nous sommes en retard. Un bon numérique doit être accessible à ces publics. Dès lors, nous renforcerons le premier niveau d’accessibilité.
Faire du numérique, c’est aussi tenir la promesse du « dites-le nous une fois », par le partage des informations entre les administrations.
Par ailleurs, comme je l’ai annoncé, nous devons simplifier le quotidien des Français dans les principales étapes de leur vie. Nous avons à cette fin choisi de travailler par « moments de vie » en nous fixant des objectifs cruciaux : résoudre ce qui dysfonctionne dans ces moments particuliers, appliquer le droit à l’erreur tout comme le « dites-le nous une fois ». En d’autres termes, il s’agit d’améliorer l’ensemble du parcours des usagers.
Nous avons défini cinq moments de vie prioritaires.
Premièrement, le fait de devenir étudiant, car il s’agit d’un moment particulier et souvent complexe, notamment en matière d’accès au logement.
Deuxièmement, le renouvellement des titres d’identité. Je n’ai pas le temps d’aborder ici ce sujet en détail, mais les objectifs sont très clairs : il s’agit de diviser par deux les délais. Cette problématique a d’ailleurs été évoquée cet après-midi même, et à très juste titre, lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement.
Troisièmement, le fait de partir à l’étranger. Il s’agira d’expérimenter la dématérialisation du renouvellement des titres d’identité pour les Français établis hors de France, mesure qu’ils appellent de leurs vœux.
Quatrièmement, la rénovation de son logement. On connaît la complexité de l’accès aux aides pour cette politique publique. Il conviendra notamment de mobiliser le réseau France Services sur cette procédure particulière.
Cinquièmement, le fait de perdre un proche. Il s’agit d’un moment d’une grande brutalité vécu par 8 % à 10 % de nos concitoyens chaque année. Il nous faut donc être plus proactifs, notamment dans le versement de la pension de réversion ou dans l’accompagnement volontaire des veuves et des veufs dans leurs démarches.
Voilà pour ces moments fondamentaux, qui concernent l’ensemble de nos concitoyens.
La deuxième priorité, c’est d’accorder une attention accrue à ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire à ceux qui sont soit intrinsèquement éloignés du numérique – par exemple, les personnes âgées ou les jeunes qui, paradoxalement, sont très à l’aise sur leur téléphone portable, mais le sont beaucoup moins quand il s’agit d’effectuer une démarche en ligne –, soit frappés d’illectronisme, afin de réduire cette fracture que vous avez à juste titre rappelée, mesdames, messieurs les sénateurs.
Dans ce but, nous devons avoir un service public accessible de façon physique. Il faut des voix et des visages. Notre investissement dans le réseau France Services est l’un des volets de la réponse que nous devons apporter.
Aujourd’hui, le réseau France Services fonctionne : il représente 2 600 espaces situés à moins de trente minutes pour 98 % de nos concitoyens, voire à moins de vingt minutes pour 92 % d’entre eux. Il fonctionne aussi grâce à la qualité du service qui y est rendu. Je rappelle souvent que, huit fois sur dix, nos concitoyens voient leurs démarches administratives traitées. Sur ce point, les retours sont bons.
Faut-il pour autant s’arrêter là ? Absolument pas ! Au contraire, il nous faut poursuivre l’investissement dans le réseau France Services et partir pour cela des territoires.
Comme je l’ai annoncé, nous finançons l’ouverture de 150 espaces France Services supplémentaires dès l’année 2023 et nous avons sanctuarisé ce budget. Nous allons renforcer le financement apporté à chacun des espaces France Services dans un esprit et une démarche de partenariat avec les collectivités territoriales. Je rappelle que celles-ci prennent une part très importante dans le financement des espaces France Services. Grâce à un amendement du sénateur Bernard Delcros, pour chaque espace France Services, le ticket de financement a été porté de 30 000 à 35 000 euros, ce qui représente 12,5 millions d’euros supplémentaires. Nous allons poursuivre sur cette trajectoire en mobilisant les opérateurs.
Nous devons aussi renforcer la formation. J’ai ainsi annoncé le doublement du temps de formation des agents du réseau France Services, là encore en mobilisant les opérateurs.
Nous devons enfin élargir le bouquet de services apportés à nos concitoyens. Je pense aux expérimentations menées avec les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), avec la Banque de France, avec MaPrimeRénov’ pour intégrer cette politique publique essentielle dans le réseau France Services et monter en puissance.
Enfin, la troisième priorité, qui a été moins évoquée, concerne l’attention que nous devons porter aux agents des services publics. Pour que cet objectif soit atteint, il nous faut relever le défi de l’attractivité de la fonction publique, dont il est souvent question dans nos échanges.
Je rends hommage à celles et à ceux qui rendent le service public et j’ai une pensée particulière pour les quatre agents publics qui, ces derniers jours encore, ont donné leur vie en faisant leur métier, à savoir rendre le service au public. Nous leur devons beaucoup. Nous devons mieux les protéger, leur permettre d’avoir des parcours de carrière plus diversifiés et des rémunérations plus attractives. C’est tout l’objet du dialogue social intense qui est actuellement mené.
Nous devons également améliorer leurs conditions de travail. Le premier employeur du pays doit penser les questions de transformations du rapport au travail et s’engager sur des promesses portant sur l’amélioration de l’organisation des services, le temps de travail, la transformation des espaces de travail, la santé au travail ou encore l’égalité entre les femmes et les hommes, thématiques qui nous ont rassemblés voilà quelques jours, ici même.
Si nos services publics fonctionnent et si le défi de l’amélioration de nos services publics peut être relevé, c’est grâce aux hommes et aux femmes qui rendent le service au quotidien. C’est avec eux que nous réussirons.
Monsieur le président Requier, je vous remercie d’avoir présenté avec l’ensemble des membres de votre groupe cette proposition de résolution, à laquelle je suis favorable et dont je partage l’ambition. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez compter sur ma détermination pour agir à vos côtés afin de renforcer l’accès à nos services publics. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et Les Républicains.)
M. le président. Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution proposant au gouvernement de renforcer l’accès aux services publics
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu la communication de la Commission européenne du 26 janvier 2022 établissant une déclaration européenne sur les droits et principes numériques pour la décennie numérique,
Vu le rapport sur l’hyper-ruralité remis au Gouvernement en juillet 2014 par M. Alain Bertrand, sénateur,
Vu le rapport du Sénat n° 711 (2019-2020) du 17 septembre 2020 de M. Raymond Vall, fait au nom de la mission d’information sur la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique,
Vu le rapport du Sénat n° 778 (2021-2022) du 13 juillet 2022 de M. Bernard Delcros, fait au nom de la commission des finances, sur le financement des maisons « Frances services »,
Vu le rapport du Conseil économique, social et environnemental du 29 janvier 2020 intitulé : « L’accès aux services publics dans les Outre-mer »,
Vu le rapport du Défenseur des droits publié en 2019 intitulé : « Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics »,
Vu le rapport de la Cour des comptes sur « L’accès aux services publics dans les territoires ruraux », publié le 19 mars 2019,
Vu le rapport de la mission « Agenda rural » intitulé : « Ruralités : une ambition à partager » du 26 juillet 2019,
Considérant que le principe d’égalité des droits est au cœur du pacte républicain ;
Considérant que l’égal accès aux services publics est un enjeu fondamental de la cohésion sociale ;
Considérant que les services publics demeurent une composante essentielle de l’aménagement et de l’attractivité des territoires ;
Considérant que les maisons « France services » ont vocation à compléter et non à remplacer l’offre existante de services publics ;
Considérant que l’usager doit être au cœur des politiques des services publics avant l’internaute ;
Considérant que près de quatorze millions de nos concitoyens ne maîtrisent pas le monde du numérique et peuvent se trouver ainsi privés de leurs droits sociaux ;
Considérant que les plateformes téléphoniques ne suffisent pas à répondre aux attentes des usagers dans des délais raisonnables ;
Considérant que la dématérialisation des services publics peut être une réponse aux problématiques d’enclavement, sous réserve d’une couverture numérique de qualité dans tous les espaces en particulier ruraux ;
Estime que l’accès aux services publics doit être garanti par l’État et ses administrations pour tous les citoyens, quels que soient leur lieu de résidence et leur niveau de compétence informatique ;
Appelle à ce que les contraintes sur les opérateurs soient renforcées pour qu’ils remplissent leurs obligations de déploiement des infrastructures numériques de très haut débit pour tous ;
Estime nécessaire d’encadrer le développement des procédures dématérialisées en imposant le maintien d’une méthode alternative et la possibilité de disposer d’un interlocuteur physique ;
Souhaite que les usagers bénéficient d’un accès téléphonique effectif aux services publics dans les meilleurs délais ;
Appelle au développement d’une stratégie numérique inclusive tout au long du parcours scolaire ;
Souhaite la clarification des compétences et du pilotage des politiques d’accessibilité au niveau local, en particulier la rationalisation des schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public (SDAASP) ;
Appelle à un partage plus équitable du coût financier des maisons « France services » afin de ne pas faire peser sur les collectivités territoriales l’essentiel de l’effort budgétaire pour leur implantation et leur fonctionnement.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
(La proposition de résolution est adoptée.) – (M. André Guiol applaudit.)
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 1er juin 2023 :
À dix heures trente :
Examen d’une proposition de création d’une commission spéciale en vue de l’examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (texte n° 593, 2022-2023) ;
Sous réserve de la décision de sa création, désignation des trente-sept membres de la commission spéciale sur le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (texte n° 593, 2022-2023) ;
Vingt-cinq questions orales.
À quatorze heures trente :
Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux (texte de la commission n° 644 rectifié, 2022-2023) ;
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, visant à interdire l’importation de produits issus du travail forcé de la population ouïghoure en République populaire de Chine présentée, par Mme Mélanie Vogel, M. Guillaume Gontard et plusieurs de leurs collègues (texte n° 242, 2022-2023).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures trente-cinq.)
nomination de membres d’une commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission des affaires économiques pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à favoriser l’accompagnement des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : Mmes Chantal Deseyne, Annie Delmont-Koropoulis, Annick Petrus, Jocelyne Guidez, Michelle Meunier, Annie Le Houerou et M. Martin Lévrier ;
Suppléants : Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, MM. Alain Milon, Alain Duffourg, Mmes Émilienne Poumirol, Véronique Guillotin et Laurence Cohen.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER