M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accès aux services publics est un combat que mène la République depuis sa naissance et la création des départements : chaque citoyen devait pouvoir rejoindre la préfecture et retourner chez lui en moins d’une journée de cheval. Ce combat ne sera jamais définitivement achevé ; au contraire, il doit sans cesse être mené à mesure que les services publics se spécialisent afin qu’ils restent accessibles à tous nos concitoyens.
La proposition de résolution de Jean-Claude Requier, homme de grande expérience – il a été maire et conseiller départemental, il est sénateur du Lot depuis 2011 –, va dans le bon sens, celui que souhaitent nos concitoyens. L’accès numérique est certes le défi de notre siècle ; il ne se substitue pas pour autant totalement à l’échange avec un être humain, qu’il soit physique ou téléphonique.
Nous avons besoin d’autres services au public. Dans tous les territoires, qu’ils soient urbains, périurbains, ruraux ou ruraux profonds, se posent les mêmes questions : la mobilité ferroviaire et routière, l’accès aux services de la caisse d’allocations familiales ou de l’assurance maladie, le maintien des écoles, les services liés à l’enfance, comme l’éducation inclusive – insuffisance du nombre des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) –, l’accès à la culture ou au sport, la téléphonie mobile, la formation, la sécurité, etc.
Nos concitoyens souhaitent pouvoir accéder à ces services, sans parler des services de santé, avec plus de soignants qu’il faut valoriser – médecins, infirmiers, pharmaciens, etc. –, que ce soit à domicile – services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) –, ou en établissement – établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). J’ajoute qu’il faut maintenir les établissements hospitaliers, en se concentrant notamment sur les services mobiles d’urgence et de réanimation (Smur).
Les agents de France Services apportent un soutien très efficace pour aider les usagers, partout où ces structures existent – il faut les développer. Cet investissement national est un renfort indispensable à l’ensemble des actions mises en œuvre par les élus locaux pour maintenir la population dans les communes rurales.
L’accès aux services publics doit être facile pour nos concitoyens et il faut s’appuyer pour cela sur tous les modes possibles d’organisation afin de correspondre aux différents besoins. Nos concitoyens seront alors reconnus par la République, ce qui contribuera à la confiance et à l’adhésion au pacte républicain.
L’accès aisé aux services publics constitue également la condition essentielle de l’attractivité des territoires et la stimulation d’un cercle vertueux qui amènera entreprises et populations à venir s’installer.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, n’oublions pas le message des « gilets jaunes », qui étaient majoritairement issus de territoires victimes de diverses désertifications, dont celle des services publics. Travaillons à une répartition, qui soit aussi favorable aux territoires ruraux, des activités économiques et sociales qui doivent pouvoir trouver aussi aisément que possible dans les services publics des partenaires pour leur réussite. C’est aussi le sens de cette proposition de résolution et j’y souscris.
La création des espaces France Services ou la désignation de sous-préfets à la relance sont des mesures qui s’inscrivent dans cette vision.
Nous devons également réfléchir à la création de sous-préfets développeurs, à la coordination des soutiens nationaux, régionaux et intercommunaux pour le financement d’ateliers relais pour les très petites entreprises, à l’avenir des zones de revitalisation rurale, les fameuses ZRR, qui, contrairement à ce qui est dit, sont peu coûteuses et efficaces – monsieur le ministre, il faut maintenir ce dispositif –, mais aussi à un aménagement spécifique de l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) pour les communes rurales qui ont peu construit.
Nous devons aussi développer des services au public polyvalents et polymorphes afin de correspondre aux habitudes et spécificités locales. Aux côtés des services publics classiques et des buralistes, historiquement les premiers préposés détachés de l’administration, les restaurants ruraux ou les épiceries multiservices sont des exemples qui peuvent devenir des lieux ressources.
Pour conclure, je veux remercier Jean-Claude Requier et le groupe RDSE d’avoir déposé cette proposition de résolution. Continuons d’être imaginatifs et ambitieux pour que l’ensemble des publics français puissent accéder aux services qu’ils méritent.
Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi.
M. Paul Toussaint Parigi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd’hui a le mérite de rappeler et de sanctifier le rôle essentiel que jouent les services publics.
Elle rappelle qu’ils sont une condition indispensable de l’accès de tous aux droits fondamentaux : droit à la santé, au logement, à l’éducation, à la justice, ou encore à l’hébergement d’urgence.
Elle rappelle aussi qu’ils sont l’expression concrète des principes que l’esprit républicain a progressivement forgés, affinés et inscrits dans la loi pour étayer et garantir les droits et libertés.
Elle rappelle également qu’ils sont le terreau de l’économie, le maillage des solidarités et les ferments de notre citoyenneté ; ils sont tenus de garantir l’égalité des usagers, d’assurer une continuité d’action et de s’adapter aux besoins de ceux-ci.
Elle rappelle enfin que, face à ces impératifs, nous avons tous le devoir vigilant d’analyser avec lucidité leurs forces, leurs faiblesses et, en conséquence, leur impérieuse amélioration.
Encore trop souvent, les villes – petites et moyennes agglomérations comme métropoles – dominent les représentations de ces services et les choix qui sont faits.
Au cours des dernières années, les vagues de réformes de l’action publique se sont traduites par la fermeture de nombreux services de proximité. Ce courant a laissé des pans entiers de notre territoire éloignés des grandes infrastructures numériques et de transports ; on a donné à leurs habitants le sentiment d’être marginalisés, abandonnés.
Élu d’un territoire majoritairement rural, je sais combien l’égalité d’accès à ces services publics est encore loin d’être acquise ; bien des fois, elle est même en décroissance.
Je sais aussi combien les réponses apportées ne tiennent pas compte des spécificités locales.
En Corse, les communes rurales concentrent la moitié de la population régionale. L’éloignement des pôles urbains se conjugue au relief montagneux de l’île, qui rend les temps de transports plus élevés qu’en métropole, ainsi qu’aux effets encore très prégnants de la fracture numérique qui divise notre territoire, avec de nombreuses zones blanches.
Oui, l’administration dématérialisée s’est trop souvent, hélas, accompagnée de la fermeture de guichets de proximité et ainsi de la suppression de tout contact humain. Même si elle a offert des avancées que l’on ne peut nier, elle a également été synonyme d’exclusion. Elle exclut ceux à qui elle apparaît comme un obstacle parfois insurmontable – les personnes âgées, les personnes handicapées ou celles en situation de précarité sociale –, alors que bien souvent c’est pour ces mêmes populations que l’accès aux droits sociaux garantis par les services publics revêt un caractère vital.
Notre vision du progrès n’est conciliable ni avec l’éloignement des usagers de leurs droits ni avec le renforcement les fractures territoriales. L’épisode de 2018 nous l’a rappelé haut et fort.
Si le rapport du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) et la mise en place de l’agenda rural ont replacé sur le devant de la scène les problématiques du monde rural, et si celui-ci, pour l’avoir réclamé à cor et à cri, commence à être mieux pris en considération, il y a encore loin de la coupe aux lèvres !
Les territoires ruraux, qui recouvrent des réalités très différentes, continuent de souffrir de réponses mal adaptées à leurs spécificités, alors qu’un accès égalitaire reste un rouage essentiel du pacte républicain.
L’augmentation du nombre des maisons France Services doit se conjuguer à une montée en gamme de leur qualité, mais il faut aussi davantage associer à leur développement les élus locaux, qui connaissent parfaitement les besoins de leur territoire.
C’est de justice territoriale qu’il est question ici. Pour éviter les exclusions, il nous faut construire un capital collectif accessible à tous.
Nous pensons qu’il repose sur une couverture numérique pleine et entière et sur la recherche d’un meilleur équilibre entre un accompagnement plus attentif des personnes à l’accès dématérialisé, d’une part, et la mise en place de réels services de proximité, de l’autre.
Améliorer leur fonctionnement et simplifier les procédures sont des nécessités d’autant plus impérieuses que ces services ne sont pas de simples acteurs économiques ou sociaux. Ils sont les garants de la cohésion sociale et les symboles de l’action publique.
Je voudrais donc remercier notre collègue Jean-Claude Requier pour cette proposition de résolution, en espérant que le plan France Ruralités, dévoilé récemment, permette de tenir ce pari de taille. Les attentes sont fortes et le moment est crucial. Il ne faudrait pas que de nouvelles coupes budgétaires viennent contrarier l’espoir de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Denise Saint-Pé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d’abord remercier Jean-Claude Requier de son initiative.
Si vous souhaitez accéder à l’hôpital public, tapez 1. Si vous souhaitez effectuer un dépôt de plainte auprès d’un fonctionnaire de police, tapez 2. Si vous souhaitez obtenir un rendez-vous pour demander un nouveau passeport ou une nouvelle carte nationale d’identité, tapez 3. Mais, si vous souhaitez être mis en relation avec un conseiller, tapez dièse. Ne quittez pas, vous allez être mis en relation avec l’État : votre temps d’attente est estimé à… 35 heures !
Trêve de plaisanterie mes chers collègues : nous pourrions en rire, mais une telle introduction, bien qu’exagérée, reflète le premier contact aride qu’ont parfois nos concitoyens avec les multiples plateformes d’accueil téléphonique de nos services publics.
Or l’accès de nos compatriotes aux services publics est essentiel. Il l’est si l’on veut restaurer la confiance de nos concitoyens dans l’action publique. Il l’est aussi, car, aux yeux de beaucoup de Français, un service public de qualité requiert un accès facile, des solutions efficaces et des délais de traitement rapides.
Le principe d’égalité d’accès au service public signifie que tous les usagers doivent être traités de manière équivalente.
Je crois à ce propos que le réseau des maisons France Services, dont il faut saluer les résultats, est une étape importante permettant d’atteindre ces objectifs et de retrouver une certaine proximité, là où les Françaises et les Français les plus éloignés des services publics se sentaient délaissés.
Ce réseau, qui compte désormais plus de 2 500 structures labellisées réparties sur l’ensemble du territoire, est un bel outil au service d’une proximité retrouvée, mais il ne peut à lui seul résoudre la problématique qui nous réunit aujourd’hui.
Force est de constater que l’accès aux services publics rencontre encore certains obstacles qui compliquent la vie de tout le monde. Parmi ces freins, on peut notamment citer l’accès limité au numérique et la complexité bureaucratique si particulière à notre pays.
En ce qui concerne l’accès au numérique, il est essentiel de garantir un accueil équitable pour tous. La création des conseillers numériques et la pérennisation de leur financement sont une avancée majeure. Je salue, monsieur le ministre, votre engagement particulier sur ce sujet.
Mais les services publics ne doivent pas être limités à un nombre restreint de personnes : ils doivent être ouverts à l’ensemble de la population. Il est donc nécessaire de mettre en place des mesures visant à réduire la fracture numérique et à fournir à tous les citoyens les outils et les ressources nécessaires pour accéder aux services publics en ligne.
Par ailleurs, la bureaucratie représente aujourd’hui un problème structurel majeur. Au fil des décennies, elle a prospéré sans limites, devenant un obstacle au bon fonctionnement des services publics.
Les procédures administratives se sont considérablement alourdies. Leur simplification, nécessaire et attendue, reste lettre morte.
Jérôme Fourquet déclarait récemment, dans une interview à L’Express : « Il faut qu’il y ait au moins 15 cases à remplir, sinon l’administration fait un malaise ! » Cette caricature très juste nous invite à nous remettre en question. Il est essentiel de revoir en profondeur cette bureaucratie excessive et de simplifier les procédures administratives.
De plus, il convient de souligner que l’inflation législative constitue un frein majeur à la simplification que nous appelons, toutes et tous, de nos vœux lorsque nous prenons la parole à cette tribune, du point de vue des élus locaux comme de nos concitoyens.
Il est donc nécessaire d’entreprendre une réflexion approfondie sur cette inflation législative et d’adopter des mesures permettant de simplifier le cadre législatif et réglementaire, de manière à faciliter le quotidien des usagers et des élus.
En somme, si nous ne nous attaquons pas aux obstacles liés à l’accès au numérique, à la bureaucratie excessive et à l’inflation législative, nous continuerons d’aller dans le mur. Il faudra donc entreprendre des efforts de simplification, de modernisation et d’adaptation aux besoins des citoyens, afin de rendre les services publics plus accessibles, plus efficaces et plus proches des attentes des Français.
Bien évidemment, le groupe RDPI salue cette proposition de résolution et la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Denise Saint-Pé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est très loin, le temps où le maillage des services publics dans notre pays était le moteur d’un développement équilibré du territoire, faisant de la ruralité française un modèle unique en Europe. Cette époque a été broyée par une succession d’objectifs d’économies qui, sous couvert de modernisation de l’État, ont favorisé un processus de concentration des services dans les pôles intermédiaires ou les grandes villes. Avec le souci de rationalisation de l’offre et de réduction des coûts, la perte de proximité est devenue la norme.
L’exemple de la SNCF, qui s’est concentrée sur le seul développement de la mobilité de métropole à métropole, en délaissant les autres lignes, qualifiées de « secondaires », illustre parfaitement ce processus : on n’entretient plus une ligne ; le temps de parcours augmente ; les gens prennent leur voiture ; enfin, on ferme la ligne faute de rentabilité.
L’État n’a cessé de suivre cette logique de fermeture d’une multitude de services publics, que ce soit du côté des écoles, des hôpitaux, des maternités, des gares, des trésoreries, des tribunaux, des gendarmeries, et j’en passe.
J’en veux pour preuve le cas de la Nièvre, département que je connais très bien : la grande Faucheuse statistique fait son œuvre tous les jours sur notre territoire et apporte son lot d’annonces de fermetures de services.
Ici, des fermetures de classe : 16 postes en moins à la rentrée de 2023 dans nos villages. Là, des voies de chemin de fer mal entretenues, la multiplication des retards de trains, des gares et des guichets que l’on ferme. Là encore, la fermeture de maternités à Clamecy, Cosne et Autun, la suspension des services d’urgences à Clamecy et à Decize, le transfert du centre 15 de Nevers à Dijon. Toujours là, la fermeture de 11 trésoreries.
Et si le sentiment d’abandon qui alimente la colère de nos concitoyens provenait en grande partie de la disparition de nombreux services publics de proximité, ou de leur suppression annoncée à très court terme ?
Face à la multiplication des déserts dans notre pays, quelle réponse peut-on apporter à tous ces territoires de faible densité, habités par des publics souvent fragiles, précaires ou âgés, qui restent en retrait des zones les mieux équipées en services ? Comment continuer à fermer les yeux, à laisser à l’écart de la société des individus peu connectés, victimes de l’illectronisme, vivant dans des territoires où la distance se calcule en temps de parcours et où la mobilité est rendue plus difficile ? Comment, enfin, ne pas comprendre ce sentiment d’abandon réellement ressenti dès lors que la dimension sociale du service public disparaît ?
Élus, habitants et commerçants se rendent compte de la mort des directions départementales des services de l’État et de leur maillage local. Ils se rendent compte qu’on les dessaisit de la richesse que sont nos services publics.
Les habitants de nos villages ruraux sont attachés au lieu où ils résident, mais ils ont aussi un attachement affectif aux gens qui y vivent, à une identité. La défense des services publics est, dans un tel contexte, le symbole d’une lutte pour le maintien d’une vie locale face à un déclin qui semble inéluctable et qui, in fine, induit lorsque ces services disparaissent un triple choc, psychologique, économique et démographique.
C’est pourquoi il est plus que jamais nécessaire de s’interroger sur ce que coûte l’absence de ces services publics et sur ce qu’ils peuvent apporter en termes de cohésion sociale, d’accès aux droits, d’emploi, de lutte contre le réchauffement climatique, mais également de développement économique.
De plus, nos territoires sont désormais recherchés. Oui, mes chers collègues, les différents recensements de population montrent que nos territoires ruraux sont redevenus attractifs.
Cela suppose aussi de s’interroger de nouveau sur le financement de nos services publics. L’affaiblissement de l’impôt sur les plus riches a, à la fois, rendu injuste le sens de la contribution et appauvri l’État, donc les services publics. Or l’impôt est accepté de tous lorsqu’il finance les services publics, qui sont le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Parce qu’ils permettent à chacune et à chacun, quels que soient ses moyens, d’accéder aux services et aux réseaux indispensables à la vie humaine, il est impératif de les financer à la hauteur des besoins.
C’est cette ambition d’un service public offrant des garanties collectives qui doit être au cœur de la construction d’alternatives de progrès. L’innovation et l’appel aux bonnes volontés sont souvent insuffisants pour connecter ces individus et ces territoires.
On l’observe aisément aujourd’hui avec le réseau des maisons France Services, qui constitue certes une avancée, mais qui ne compense que partiellement ce manque, avec des différences constatées dans l’éventail des services accessibles et dans la densité de leur maillage territorial selon les départements. L’articulation de ces espaces avec nos collectivités locales reste aussi à renforcer, car, je vous le rappelle, nos mairies sont le premier point d’entrée dans nos institutions publiques et la première voie d’accès aux services publics.
Pour conclure, j’ai la profonde conviction que la présence des services publics doit être conçue comme un investissement d’avenir, un pari sur les générations à venir et un enjeu fort pour le devenir des territoires ruraux.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que tous les membres de mon groupe voteront en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDSE. – M. Daniel Chasseing et Mme Denise Saint-Pé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qui pourrait s’opposer au renforcement de l’accès aux services publics ? Pourtant, à consulter les différents votes survenus dans notre hémicycle comme à l’Assemblée nationale lors de l’examen des derniers projets de loi de finances, la réponse ne va pas nécessairement de soi. D’où quelques interrogations sur les raisons réelles qui ont conduit au dépôt de cette proposition de résolution !
Cependant, l’enjeu est réel, notamment en matière de cohésion sociale, d’accès aux droits et d’égalité entre nos concitoyens et entre les différents territoires. Cette proposition de résolution le rappelle d’ailleurs bien.
C’est la particularité de notre République, depuis la naissance de notre Constitution, d’avoir développé des services publics forts, utiles à l’intérêt général et auxquels l’accès est garanti à chaque citoyen, en tout point du territoire national.
Mais aujourd’hui, les temps sont durs. Les enseignants désertent un champ de ruines, les hôpitaux ferment des lits à tour de bras, les collectivités sont bien en peine à mettre en œuvre des politiques publiques pourtant nécessaires. Finalement, tous les services publics semblent concernés.
Les gouvernements successifs ont veillé à saper un modèle que beaucoup nous enviaient, pour céder au privé l’école, l’hôpital, les transports, jusqu’à notre énergie, notre eau et peut-être bientôt notre air, qui sait ?
Oui, il y a nécessité à renforcer les services publics et à améliorer leur accessibilité. On peut le faire par des recrutements en nombre, en renforçant l’attractivité des métiers de la fonction publique, par une meilleure rémunération et par la formation : 500 000 emplois sont nécessaires pour tenir nos objectifs sociaux, sanitaires, éducatifs, écologiques et économiques. Il y a tant à faire !
Alors, cette résolution aborde le problème, certes, mais elle n’apporte pas de solution véritable, d’une part parce qu’elle ne présume pas des efforts qui seront inscrits dans le budget pour 2024 – cela ne relève bien entendu pas d’une résolution –, d’autre part parce qu’elle s’intéresse principalement à la question du numérique, à son déploiement et à son utilisation.
Il me semble d’ailleurs que, en matière de déploiement, de réseaux la proposition de loi de notre collègue Patrick Chaize, adoptée par notre assemblée, favorise déjà l’accès au très haut débit. Alors, pourquoi déposer une telle proposition de résolution ?
Il faut évidemment qu’internet soit accessible à toutes celles et à tous ceux qui le souhaitent, tant techniquement qu’en matière de compétences. Il le faut, parce qu’internet peut faciliter les communications ; c’est d’ailleurs son rôle premier. Il ne doit pas, en revanche, servir de prétexte à la dégradation de nos services publics : il est inadmissible qu’un enseignant soit face à des milliers d’élèves isolés derrière un ordinateur, qu’un médecin ausculte sans pouvoir intervenir, qu’un formulaire doive être rempli sans accompagnement, ou que les collectivités se sentent laissées à l’abandon.
Déjà 84 % des démarches administratives prioritaires seraient accessibles en ligne. Cela est pratique pour certains et beaucoup moins pour d’autres ; le vrai problème est que ces mêmes démarches sont de plus en plus difficiles d’accès physiquement. L’illectronisme et la précarité numérique concernent un quart de nos concitoyens. Pensons à eux aussi, je dirais même : pensons à eux d’abord, puisque ce sont souvent les plus précaires qui sont le plus confrontés au numérique pour leurs démarches, ce qui les décourage parfois. Notre devoir est aussi de lutter contre le non-recours aux droits.
En raison de toutes ces insuffisances, malgré des intentions positives, nous nous abstiendrons sur cette proposition de résolution, qui n’apporte rien de plus que la proposition de loi de Patrick Chaize.
Si nous voulons de véritables services publics, ce n’est pas avec un clic droit que cela se fera, mais dans les lignes budgétaires du projet de loi de finances !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par la présente proposition de résolution, nos collègues du groupe du RDSE réclament au Gouvernement un renforcement de l’accès aux services publics. À quatre mois des élections sénatoriales, c’est bienvenu !
Ils ont bien raison de souligner, dans le texte de cette proposition, que le numérique n’est souvent qu’un cautère sur une jambe de bois, notamment dans les territoires ruraux. Prétendre remplacer les services publics par des formulaires en ligne, c’est tout simplement ne pas tout comprendre aux besoins de nos concitoyens.
Quand on parle de services publics, dans nos campagnes en particulier, ce n’est pas à sa déclaration d’impôt en ligne que l’on pense, mais en premier lieu à la santé. Rendez-vous compte, monsieur le ministre : une étude récente de l’Association des maires ruraux de France montre que, alors que l’espérance de vie des ruraux et des urbains était identique en 1990, l’écart au détriment des ruraux est désormais de deux ans pour les hommes et de près d’un an pour les femmes. Ce résultat est grandement imputable à la dégradation de l’accès aux services de soin en zone rurale. C’est dire si le phénomène est allé loin !
Or, quand on parle de dégradation de l’accès aux services de soins, il est autant question de l’hôpital, dont les structures sont supprimées ou débordées, que de la médecine de ville, qui ne prend plus de nouveaux patients, ou ne les accepte qu’après des temps d’attente qui se chiffrent en mois pour un rendez-vous avec un spécialiste. Voilà la réalité actuelle de l’accès au service public le plus essentiel qui soit dans les territoires !
Face à ce phénomène, les solutions sont connues, mais elles ne sont pas mises en œuvre. Hier, dans un autre débat, ma collègue Daphné Ract-Madoux interrogeait le Gouvernement sur la revalorisation du statut des professions paramédicales pour répondre à la pénurie de médecins.
En effet, lorsqu’il n’y a plus de médecin, ce sont les infirmiers, les aides-soignants, les sages-femmes et les pharmaciens qui interviennent. Ce faisant, ils mettent en jeu leur responsabilité. Quand allons-nous les protéger en leur donnant un vrai statut ? Quand allons-nous véritablement faire de la délégation d’actes ?
Ces questions sont essentielles pour répondre à l’urgence de la situation. Néanmoins, à plus long terme et de manière structurelle, la solution est ailleurs. Elle aussi est bien connue : il faut en finir avec l’exercice pseudo-libéral de la médecine !
Les médecins ne sont certes pas des fonctionnaires, mais ils sont rémunérés par les tarifs de la sécurité sociale et bénéficient de la liberté d’installation comme une profession libérale. Des rapports du Sénat réclament ce changement de longue date, notamment celui de notre collègue Hervé Maurey, Déserts médicaux : agir vraiment, rédigé il y a déjà dix ans !
Toutes les professions médicales ou paramédicales sont soumises à des impératifs d’installation territoriale ; il n’y a que les médecins qui peuvent continuer de s’installer où ils le souhaitent. Cela ne peut plus durer, d’autant que les nouvelles générations de médecins, en particulier les femmes, sont beaucoup plus ouvertes à cette idée que les anciennes générations. Alors, à quand le changement ?
Monsieur le ministre, c’est quand il n’y aura plus d’écriteaux « Le cabinet n’accepte pas de nouveaux patients » que l’on pourra vraiment parler de restauration de l’accès de tous aux services publics ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et INDEP. – M. Bruno Belin applaudit également.)