Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, lors de la clôture de la sixième Conférence nationale du handicap (CNH), au mois d’avril dernier, le Président de la République, Emmanuel Macron, a abordé la question des étudiants aidants d’un parent en situation de handicap. À cette occasion, il a rappelé combien il restait encore à faire pour mieux entourer les aidants, en particulier les plus jeunes d’entre eux.
Comme il est précisé dans le rapport de notre commission sur le texte que nous examinons, les travaux de recherche interdisciplinaires sur les aidants familiaux s’accordent à dire que les jeunes adultes aidants constituent une population sous-étudiée et qu’il est temps de mieux les considérer.
L’objectif que visent les auteurs de la proposition de loi est tout à fait louable et je salue ici l’initiative de notre collègue Jean-François Rapin. Le travail réalisé autour de ce texte a permis d’aboutir à un constat alarmant : nous sommes très en retard comparativement à d’autres pays pour ce qui est de la prise en compte, de la reconnaissance et de l’accompagnement spécifique des jeunes aidants, dont on peut même dire qu’ils sont quasi inexistants, aujourd’hui, en France.
À l’échelle internationale, il existe d’importantes disparités entre les pays dans la prise en charge des jeunes aidants. Même dans des pays où le niveau de prise en compte des aidants est équivalent, on constate que les actions concernant spécifiquement les plus jeunes sont très variables. Elles peuvent prendre la forme d’une information renforcée à destination d’un public jeune, d’un conseil pour la prise en charge de formations ou bien encore d’un financement d’activités de loisirs.
Depuis quelques années, des associations commencent à s’emparer de la question, mais cela ne nous semble pas suffisant.
Nous examinons ce texte alors que se construit parallèlement une réforme du système des bourses sur critères sociaux. À la fin du mois de mars dernier, vous avez d’ailleurs fait un premier point d’étape, madame la ministre.
Les premières mesures issues de la concertation menée par votre ministère permettront de débloquer 500 millions d’euros pour améliorer le système, et ce dès la rentrée 2023. Un plus grand nombre d’étudiants, notamment ceux issus des classes moyennes, pourront bénéficier de cet accompagnement à la rentrée prochaine. Une revalorisation a également été annoncée pour tous les étudiants boursiers. Comme nous l’avons déjà évoqué en commission, nous nous réjouissons de ces évolutions que nous appelions de nos vœux depuis longtemps.
Le dispositif proposé dans ce texte est un début de réponse pour venir en aide aux jeunes proches aidants.
Cependant, plusieurs interrogations persistaient à la lecture du dispositif proposé initialement. D’abord, une partie des mesures semblait relever du domaine réglementaire. Ensuite, le texte dans sa rédaction initiale faisait référence aux échelons alors que la réforme envisagée par le Gouvernement prévoit de les supprimer.
Aussi, le groupe Union Centriste a accueilli favorablement les évolutions proposées par Mme la rapporteure dans le cadre de son excellent travail. Les amendements présentés par Toine Bourrat ont permis d’affiner le dispositif du texte, le rendant plus pertinent.
Ainsi, il est désormais prévu de rattacher directement la mesure au système de prestations sociales accordées par la collectivité nationale, afin qu’elle soit pleinement opérationnelle dans le cadre de la réforme en cours des bourses sur critères sociaux, l’objectif étant une entrée en vigueur à la prochaine rentrée universitaire.
La référence aux échelons ayant vocation à disparaître a été supprimée, l’expression « étudiant, aidant d’un parent », qui permet de couvrir un spectre plus large des situations d’aide, est mentionnée dans le texte et la référence au taux d’incapacité, qui relevait du niveau réglementaire, n’y figure plus.
Enfin, madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur la nécessité d’entamer un travail de réflexion sur la possibilité d’aménager l’emploi du temps des étudiants aidants ; vous l’avez évoqué.
Le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 2015, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement a formalisé le statut d’aidant et permis une meilleure prise en compte de la difficulté à concilier vie professionnelle et accompagnement d’un proche dépendant. La reconnaissance du dévouement des aidants s’est alors traduite par une extension de leurs droits.
Cette loi constitue une avancée, mais elle est muette sur le cas des étudiants aidants.
Parmi les 9,3 millions d’aidants recensés en France, près de 8 % seraient âgés de moins de 25 ans. Selon les estimations ministérielles, entre 10 000 et 12 000 aidants seraient étudiants.
Malheureusement, ces données ne sont que des estimations, à défaut à ce jour d’un outil nous permettant d’identifier avec exactitude le nombre précis d’étudiants aidants.
Le quotidien de certains étudiants est difficile. Il l’est davantage pour ceux qui vivent avec un parent en situation de handicap. À l’âge où ils devraient se consacrer à leurs études, à leurs loisirs et à leur construction, les étudiants aidants doivent faire face, en plus des difficultés financières communes à bien des étudiants, à des responsabilités inhabituelles pouvant avoir des conséquences sur leurs résultats, leur vie sociale, ainsi que leur santé physique et mentale.
L’égalité des chances est un objectif qui est au cœur de nos valeurs d’égalité et de fraternité. En leur nom, les étudiants répondant à certains critères peuvent se voir attribuer une bourse destinée à améliorer leurs conditions d’études. Toutefois, celle-ci ne prend pas en compte l’accompagnement d’un proche, malgré les conséquences liées à cette situation.
En effet, un jeune qui se consacre à l’aide d’un proche n’a pas les mêmes chances de réussite que les autres. Les tâches quotidiennes telles que l’aide à domicile ou le soutien émotionnel sont autant de temps en moins pour étudier.
Par ailleurs, le handicap a souvent un impact financier sur les familles. Les étudiants aidants s’en trouvent directement affectés et peuvent connaître des difficultés financières importantes. Le coût des frais médicaux, dès lors qu’il s’ajoute au faible niveau de revenus du proche, peut donner lieu à des situations complexes. Certains étudiants sont contraints de travailler pour soutenir leur proche financièrement.
Alors même que la France tient sa richesse de ses talents, de telles situations constituent un obstacle qui empêche certains jeunes de poursuivre leurs études. Faut-il rappeler les propos de Jean François Rapin, lorsqu’il disait que le handicap d’un parent « ne peut constituer un frein à la poursuite des études » pour affirmer que le soutien à ces étudiants devait être une priorité ?
Le 26 avril dernier, lors de la Conférence nationale du handicap, le Président de la République a déclaré que les étudiants en situation de handicap pourraient bénéficier de quatre points supplémentaires pour le calcul de leur bourse étudiante.
Madame la ministre, le 29 mars dernier, vous avez annoncé vouloir engager une réforme des bourses sur critères sociaux.
Je me réjouis de la revalorisation financière des bourses étudiantes, qui permettra d’intégrer 35 000 nouveaux étudiants, et de l’attention portée aux étudiants handicapés.
Ma collègue Nathalie Delattre souhaite par ailleurs que les étudiants apprentis en situation de handicap puissent être aidés par un accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH), au moins pendant les trois premiers mois de leur présence en stage.
Toutefois, les étudiants aidants ne peuvent pas demeurer invisibles.
Aussi, je soutiens la mise en cohérence de cette loi avec la réforme à venir et l’élargissement de son champ d’application, afin qu’elle prenne en compte d’autres formes d’aidance, d’autres formes de handicap et d’autres membres du foyer.
Les étudiants aidants ont quitté l’insouciance depuis bien longtemps. Ils sont l’incarnation de la solidarité, du dévouement et de l’empathie. Dans leurs silences, il nous faut entendre leurs souffrances. Ils sont des richesses que l’État doit accompagner et dont la Nation a besoin.
Aussi, le groupe RDSE votera en faveur de cette proposition de loi salutaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, sur des travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, demain s’achève le délai de dépôt des demandes de dossiers sociaux pour l’année universitaire à venir. Demain, ni l’architecture de Parcoursup ni les demandes de bourse et de logement ne permettront à un étudiant enfant d’un parent porteur d’un handicap de s’identifier comme aidant.
Dans le classement mondial des pays en fonction du niveau de reconnaissance des jeunes aidants et des politiques publiques qui leur sont destinées, la France figure parmi les pays émergents. Je ne doute pas que, si cette proposition de loi est votée au Sénat, puis à l’Assemblée nationale, notre pays sera classé parmi les pays satisfaisants.
Toutefois, la question globale de l’aidance s’est invitée tardivement dans le débat public et le statut d’aidant n’est toujours pas attribué aux étudiants. Les jeunes adultes aidants demeurent une réalité invisible aussi bien socialement que légalement. Ils sont aidants de leur parent en situation de handicap et co-aidant du parent valide. Ils sont aidants alors qu’ils ont eux-mêmes besoin d’être aidés.
Malgré leur nombre croissant, ces invisibles endossent un rôle multidimensionnel ; ils accompagnent en silence et restent des acteurs de l’ombre, peu conscients de leur statut, soumis à de nombreuses tensions dans un contexte d’isolement accru.
La plupart de ces jeunes ne se perçoivent pas nécessairement comme aidants et ont à gérer, en parallèle de leurs études, une charge logistique, mentale et financière. Ce quotidien affecte non seulement les conditions dans lesquelles ils évoluent, mais aussi leur santé tant physique que psychique. Nombre d’entre eux se limitent dans leurs ambitions professionnelles, évitant ainsi de nouvelles contraintes pour la famille. Culpabilité, souffrance, solitude et épuisement sont ainsi le lot de ces jeunes adultes.
Mercredi dernier, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, réunie selon la procédure de législation en commission (LEC), a adopté à l’unanimité, après avis favorable du Gouvernement, la proposition de loi que j’ai tenu à présenter visant à verser automatiquement une bourse d’études aux étudiants aidants.
La rédaction initiale prévoyait de verser automatiquement une bourse d’études d’échelon 7 aux étudiants, quel que soit leur niveau de ressources, dont au moins l’un des deux parents était porteur d’un handicap entraînant un taux d’incapacité d’au moins 80 %. Madame la ministre, madame la rapporteure, vous avez élargi le cap que j’avais fixé, et je vous en remercie.
Le nouveau titre de cette proposition de loi vise la prise en compte, dans l’attribution des bourses, de la situation de l’étudiant, aidant d’un parent en situation de handicap. En effet, le texte, dans sa nouvelle rédaction, modifie en ce sens le code de l’éducation, les conditions d’attribution devant, par la suite, être prévues par voie réglementaire.
La rapporteure a ainsi tenu à supprimer la référence au taux d’incapacité, puisque cela relève de l’ordre réglementaire. Par ailleurs, il a été précisé que l’étudiant n’aura pas à prouver le fait qu’il aide son parent, mais devra simplement justifier de l’incapacité de celui-ci ; vous nous l’avez rappelé, madame la ministre. Je me satisfais pleinement de cette mesure.
Le texte vise désormais « l’étudiant, aidant d’un parent », ce qui permet de couvrir plus largement les situations d’aide. La référence à un échelon de bourse est supprimée, puisque ces derniers ont vocation à disparaître dans le nouveau modèle de bourses en préparation.
Nous pouvons nous réjouir que le travail réalisé en commission ait abouti à un vote favorable unanime de ses membres. Cela permet la reconnaissance collective de la situation singulière des étudiants aidants, qui sont confrontés à des difficultés sociales, appelant, pour reprendre les propos de Mme la ministre, « une réponse adaptée sur plusieurs volets ». Enfin, il a été l’occasion pour Mme la rapporteure d’affirmer la nécessité, en complément du soutien financier apporté aux étudiants aidants, d’adapter leur rythme d’études et leur accompagnement au sein des établissements universitaires.
Permettez-moi également de me féliciter que cette initiative législative, déposée au mois de septembre 2022, ait permis de mettre en lumière ces étudiants aidants, en créant un effet d’alerte auprès du Gouvernement – vous l’avez souligné, madame la ministre –, conduisant le Président de la République à annoncer en clôture de la Conférence nationale du handicap, le 26 avril dernier, que les étudiants, aidants de parents en situation de handicap, « bénéficieront d’un accès facilité aux bourses sur critères sociaux par une bonification de quatre points de charges supplémentaires ».
Mes chers collègues, je me dois toutefois d’attirer votre attention sur un point. Malgré la volonté clairement affichée par la ministre de permettre l’entrée en vigueur, à la rentrée 2023, de la bonification de quatre points de charges supplémentaires dans le calcul de la bourse, je m’interroge sur cette mise en œuvre effective eu égard à la clôture des demandes de bourse, qui, pour rappel, aura lieu demain.
Pour conclure, le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi issue d’un travail collectif transpartisan. Je remercie chaleureusement mes collègues, tout particulièrement Mme la rapporteure Toine Bourrat, des échanges multiples que nous avons eus, à l’issue desquels j’ai parfois accepté certains compromis qui ont tous prospéré. Cela fait la grandeur du Sénat. Quand l’argent destiné aux aides sociales est bien distribué, dans le cadre d’un dispositif bien organisé, le vote ne peut être que favorable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, sur des travées des groupes RDPI et GEST, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la famille est le socle fondateur par excellence. L’éducation, la transmission des valeurs et la traversée progressive des premiers âges de la vie trouvent place en son sein. La structure familiale ne se résume pas à un schéma simple et linéaire ; il faut tenir compte de sa pluralité, en particulier quand l’un des parents est en situation de handicap.
Le soutien de ces familles est un enjeu qui nous engage collectivement. Ce défi nous rassemble aujourd’hui, alors que nous évoquons la situation particulière des étudiants dont l’un des parents est porteur d’un handicap.
Le vécu de l’enfant placé dans une telle situation est forcément différent de celui de ses camarades. Il y a des joies et des peines que lui seul peut connaître. À l’âge des études supérieures, de nouvelles difficultés peuvent apparaître et s’accumuler, en fonction de la structuration de la famille.
On recenserait en France entre 10 000 et 20 000 étudiants aidants, comme vous l’avez rappelé en commission, madame la ministre. Ces jeunes peuvent se retrouver démunis face à la détresse de leur parent, que le handicap soit moteur, sensoriel, psychiatrique ou cognitif.
Il s’agit encore d’un angle mort de nos politiques publiques. La notion d’aidant reste floue dans la législation, en particulier lorsqu’il s’agit d’un autre proche que le conjoint.
Comment être aidé pour son premier déménagement lorsque son propre parent doit lui-même être aidé ? Comment mener à bien ses études lorsque l’on doit quotidiennement entourer l’un de ses parents ? Ces difficultés sont loin d’être anodines. Le succès dans l’obtention d’un diplôme implique un engagement continu et une assiduité sans faille.
Ces jeunes aidants ont besoin d’un suivi spécifique. De grandes disparités existent encore entre les établissements scolaires en matière d’accompagnement pédagogique. Le risque d’échec scolaire est accru pour ces étudiants, qui doivent souvent s’engager à aider régulièrement leur parent en situation de handicap, en particulier si le noyau familial est distendu. Certains syndicats étudiants appellent ainsi à généraliser l’aménagement de l’emploi du temps de ces aidants.
Nous savons que le Gouvernement a engagé un large chantier de révision du système de bourses d’études sur critères sociaux. Cette nécessaire refonte des aides s’inscrit dans la lignée des travaux du Sénat ; nous l’appelons de nos vœux depuis longtemps. Les étudiants aidants et les étudiants en situation de handicap doivent en bénéficier. Il est important que leur situation soit davantage prise en compte dans la répartition des diverses aides étudiantes.
Celles-ci ne sont pas que financières et peuvent concerner par exemple l’accès aux résidences étudiantes, au restaurant universitaire, à du soutien psychologique ou encore à du tutorat.
Ce texte a le mérite de souligner un manque face à des situations difficiles, voire extrêmement douloureuses pour ces jeunes. Sa nouvelle rédaction permet de lever plusieurs réserves que nous pouvions avoir et qui ont été évoquées en commission.
J’en profite pour saluer le travail de l’auteur de la proposition de loi, Jean-François Rapin, et de la rapporteure, Toine Bourrat.
Nous sommes tous convaincus de l’importance d’apporter aux étudiants aidants un soutien dédié ; l’adoption à l’unanimité du texte amendé jeudi dernier en est la preuve. Une large réflexion doit être menée pour adapter le système des études à leur situation spécifique. Cette proposition de loi ouvre le débat sur la notion d’aidant chez les jeunes, et c’est une bonne chose.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires salue l’adoption de ce texte. (Applaudissements au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique de Marco, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Mme Monique de Marco. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, méconnus, invisibles, voire ignorés, les jeunes aidants représentent entre 500 000 et 1 million de personnes en France. L’absence de statistiques claires témoigne de la faiblesse de nos politiques publiques en la matière.
Dès le plus jeune âge, ces jeunes assument de lourdes responsabilités : ils accompagnent au quotidien un parent malade qui dépend de leur présence et de leur soutien.
Une telle situation fait peser sur eux une charge mentale importante, avec des répercussions sur leur vie scolaire, personnelle, ou professionnelle. Les risques pour la santé psychique et physique des jeunes aidants ne sont plus à démontrer et les décrochages scolaires, tout comme l’isolement social, sont fréquents.
En France, la reconnaissance et l’accompagnement des jeunes aidants sont un angle mort de nos politiques publiques. Comme le rappelle notre rapporteure Toine Bourrat, dans le cadre d’un classement international, la France vient d’être classée comme pays émergent en la matière.
Les associations alertent depuis de nombreuses années sur cette situation. Je pense notamment à l’association nationale Jeunes aidants ensemble (Jade), qui développe des dispositifs d’accompagnement et de soutien partout en France.
Cependant, le monde associatif ne pourra pas éternellement compenser les défaillances de l’État. Il est de notre devoir de prendre ce sujet à bras-le-corps et de défendre toutes les mesures nécessaires.
Aussi, je tiens à remercier nos collègues Jean-François Rapin et Toine Bourrat du travail de réécriture réalisé sur ce texte. Il était temps que notre assemblée s’empare du sujet.
La présente proposition de loi constitue une première avancée pour reconnaître les jeunes aidants et les soutenir. Toutefois, en se limitant au seul accompagnement financier, le texte ignore les recommandations des associations et des syndicats étudiants, qui demandent l’adaptation des rythmes d’études. Nos échanges avec l’Union nationale des étudiants de France (Unef) ont souligné plusieurs urgences : la création d’un régime de dispense d’assiduité pour les étudiants aidants, la généralisation d’une offre d’enseignement à distance de qualité et la mise en place d’un accompagnement pédagogique spécifique.
Alors que la prise en charge des étudiants aidants est fortement disparate d’un établissement à l’autre, nous appelons de nos vœux un cadrage national.
Une campagne nationale de sensibilisation des professionnels de l’éducation nationale et de santé s’impose également.
Il faut mettre fin à certaines injustices qui affectent le système des bourses étudiantes. Là encore, le constat est alarmant. Les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) montrent que les étudiants sont souvent en situation de pauvreté financière et que près d’un quart d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté.
De plus en plus d’étudiants doivent travailler pour financer leurs études. Cette situation est devenue la norme. Je ne pensais pas que les conditions de vie des étudiants auraient reculé à ce point durant ces dernières décennies.
Aujourd’hui, trois étudiants sur quatre n’ont pas accès aux bourses, alors que la précarité ne cesse d’augmenter.
Madame la ministre, nous attendons beaucoup de la prochaine réforme des bourses. Mais à quand une réponse structurelle à ce problème pour donner à tous les étudiants les meilleures conditions pour réussir leurs études ?
Prenons l’exemple des pays scandinaves, où chaque étudiant perçoit une allocation individuelle, indépendamment du revenu de ses parents, pour lui permettre de se consacrer sereinement à ses études et de prendre son autonomie. Certes, une telle mesure a un coût. Mais ce n’est pas tant une dépense qu’un investissement dans la réussite des jeunes. Ce serait aussi un investissement pour casser le déterminisme social qui mine notre société française au système scolaire inégalitaire.
Avec cette allocation d’autonomie, nous pourrions soutenir et accompagner l’ensemble de notre jeunesse, qu’il s’agisse de jeunes aidants, d’étudiants précaires ou de jeunes travailleurs.
Madame la ministre, nous vous demandons solennellement d’ouvrir une vraie réflexion sur le sujet.
Ce texte ouvre la voie en matière d’accompagnement des jeunes aidants. À nous de poursuivre le travail pour apporter des réponses à la triple crise sanitaire, sociale et sociétale actuelle.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, sur des travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Bernard Buis. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il est des sujets qui se hissent au-dessus des divisions politiques et qui nous incitent à trouver des solutions communes.
Une enquête publiée en 2022 montre qu’au moins un étudiant de l’enseignement supérieur sur dix serait aidant en France. Cela représenterait environ 290 000 jeunes dans notre pays, peut-être davantage.
L’arrivée du handicap au sein d’une famille bouleverse les repères ainsi que les projets familiaux, exigeant une nécessaire adaptation, voire une réorganisation de la structure familiale.
Lorsque l’un des parents est porteur d’un handicap, les conséquences psychologiques sont importantes. À la culpabilité ressentie par le parent handicapé à l’idée d’imposer à la cellule familiale les conséquences de sa déficience, s’ajoutent le sentiment d’obligation éprouvé par les enfants et leur responsabilisation accrue, alors qu’ils sont appelés à devenir aidants au quotidien. Ce rôle a des conséquences lourdes sur leur vie scolaire et sur la situation financière de la famille.
Il arrive ainsi que le handicap d’un parent puisse représenter un frein pour les enfants dans la poursuite de leurs études, notamment dans l’enseignement supérieur. Or, à ce jour, il n’existe pas de mesures pour assurer les frais liés à leur scolarisation.
La proposition de loi sur laquelle nous devons nous prononcer semble apporter une première réponse en la matière, grâce au versement automatique d’une bourse d’études aux étudiants aidants d’un parent en situation de handicap.
À l’issue des discussions portant sur la rédaction de l’article unique, le texte a été voté à l’unanimité en commission. Il était crucial de parvenir à un consensus avec l’ensemble des parties prenantes, afin de pouvoir légiférer sur le sujet.
Toutefois, nous n’avons fait que poser la première pierre d’un édifice qu’il nous faut davantage consolider.
Telle est d’ailleurs la volonté du Gouvernement, cette proposition de loi étant examinée alors qu’il a engagé une réforme des bourses sur critères sociaux de l’enseignement supérieur.
Le 29 mars 2023, vous aviez présenté, madame la ministre, l’acte premier de cette réforme, que le Président de la République avait annoncée en janvier 2021 lors d’un déplacement à l’université Paris-Saclay. Ce premier acte, pour lequel 500 millions d’euros ont été déployés, repose sur quatre mesures principales.
Tout d’abord, les barèmes des revenus des parents sont revalorisés de 6 %, ce qui va permettre à 35 000 nouveaux étudiants de bénéficier de bourses et à un boursier sur cinq de basculer dans l’échelon supérieur, ce qui n’est pas négligeable.
Ensuite, le montant des bourses sera augmenté de 37 euros par mois, soit plus de 444 euros par an, et ce quel que soit l’échelon.
Enfin, les effets de seuils, il convient de le souligner, seront neutralisés. Grâce à cette mesure, aucun étudiant ne verra le montant de sa bourse diminuer d’un montant supérieur à celui de l’augmentation des revenus de ses parents.
Par ailleurs, je rappelle que les étudiants aidants de leurs parents en situation de handicap, ou étant eux-mêmes porteurs d’un handicap, bénéficieront à la rentrée 2023 de quatre points de charge pour le calcul de leur éligibilité aux bourses sur critères sociaux.
Conformément aux engagements pris par le Président de la République le 26 avril dernier lors de la clôture de la sixième conférence nationale du handicap, cette mesure permettra d’augmenter l’échelon d’étudiants déjà boursiers, ainsi que le nombre de bénéficiaires.
Par conséquent, le groupe RDPI votera sans hésitation cette proposition de loi. (Mmes Monique de Marco, Colette Mélot et Évelyne Perrot applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Sabine Van Heghe. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je salue notre collègue Jean-François Rapin et le groupe Les Républicains, qui ont permis, grâce au dépôt de cette proposition de loi, de mettre en lumière la situation très difficile des étudiants dont l’un des parents est handicapé. Les conséquences pour ces jeunes sont multiples et, actuellement encore, difficilement mesurées.
Sur l’initiative de notre rapporteure, dont je salue à mon tour la qualité du travail, l’objet de la proposition de loi a évolué et, de façon cohérente, son intitulé. Ce texte vise désormais « à tenir compte, dans l’attribution des bourses de l’enseignement supérieur, de la situation de l’étudiant, aidant d’un parent en situation de handicap ».
L’article unique initial de cette proposition de loi dérogeait au principe légal d’octroi de bourses sur critères sociaux en fonction du niveau de revenus des étudiants ou de leurs parents lorsque le taux de handicap de l’un des deux parents était d’au moins 80 %. Il était alors prévu d’attribuer à l’étudiant une bourse à l’échelon 7, soit 6 500 euros sur dix mois.
Lors des auditions menées préalablement à l’examen de ce texte, un certain nombre d’interrogations dépassant l’objet de cette proposition de loi sont apparues.
Ainsi, certaines organisations étudiantes ont insisté sur la nécessité de créer une allocation universelle d’autonomie pour apporter une véritable solution à notre jeunesse en situation de précarité et ont souhaité que l’attribution de bourses en fonction de critères sociaux ne soit pas remise en cause.
Nos interlocuteurs du Conseil national consultatif des personnes handicapées ont, quant à eux, insisté sur le manque de visibilité sur les effets de cette proposition de loi. Une évaluation est-elle prévue ? Ils ont aussi évoqué le risque que son adoption soit simplement l’occasion pour le Gouvernement de maîtriser les dépenses liées au handicap.
Beaucoup de questions ont aussi été posées sur le taux d’incapacité retenu, d’au moins 80 %, alors que, nous le savons, la vie de la personne concernée et de sa famille est perturbée dès que ce taux atteint 50 %.
La semaine dernière, la rapporteure du texte, notre collègue Toine Bourrat, a fait adopter en commission une nouvelle rédaction de l’article unique, dans laquelle est supprimée la référence à un taux de handicap d’au moins 80 % donnant droit à l’ouverture d’une aide pour un étudiant, la fixation de ce taux relevant du pouvoir réglementaire. Madame la ministre, notre groupe sera très attentif au décret d’application que prendra le Gouvernement.
Je m’interroge sur la suppression prévue, dans l’article tel qu’il résulte des travaux de la commission, de l’automaticité de l’aide sous condition du taux de handicap de l’un des deux parents : elle restreint le champ de cette proposition de loi et risque de provoquer des déceptions.
De même, la référence au dernier échelon des bourses, l’échelon 7, a été supprimée. Or cet échelon garantissait à l’étudiant concerné une aide d’un montant élevé. Certes, les taux seront prochainement supprimés, mais, pour l’heure, ils ont toujours cours. Nous serons donc, sur ce sujet également, très attentifs au décret d’application.
Enfin, l’introduction d’un critère supplémentaire – l’étudiant doit être un « aidant », cette notion n’étant pas définie – a suscité l’inquiétude de notre groupe. Néanmoins, Mme la ministre et notre rapporteure nous ont assuré en commission que la qualité d’aidant serait reconnue à tout étudiant dont l’un des parents est porteur d’un handicap et que la production d’un justificatif de ce handicap – vous l’avez rappelé, madame la ministre – suffirait à établir ce rôle d’aidant. C’est une très bonne chose, mais il aurait été préférable d’inscrire cette précision dans le texte.
En outre, les présidents d’université s’interrogent encore sur la façon dont ils pourront repérer ces étudiants aidants.
Madame la ministre, je vous demande donc de faire preuve de la plus grande vigilance afin que cette réforme ne reste pas lettre morte, faute de pouvoir être mise en œuvre, pour des raisons de gestion du dispositif.
Comme l’a souligné notre rapporteure, il revient au Gouvernement de résoudre l’ensemble des difficultés auxquelles sont confrontés les étudiants dont les parents sont handicapés pour mener à bien leurs études, au-delà des enjeux financiers.
La balle est donc dans le camp du Gouvernement, à qui il appartient de compléter le texte par son volet réglementaire, afin qu’il puisse être appliqué rapidement et qu’il ne soit pas qu’un coup d’épée dans l’eau.
Même si cette proposition de loi représente une avancée encore insuffisante ou incertaine pour les étudiants concernés, elle mérite d’être soutenue. Aussi, les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain la voteront. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)