PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny

vice-président

Mme le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France.

Dans la suite de l’examen du texte de la commission, nous en sommes parvenus à l’article 6.

Article 5
Dossier législatif : proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France
Article 7

Article 6

I. – Le I de l’article 73 du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Le 1 est ainsi modifié :

a) À la fin du a, le montant : « 27 000 € » est remplacé par le montant : « 29 500 € » ;

b) Au b, les deux occurrences du montant : « 27 000 € » sont remplacées par le montant : « 29 500 € » et le taux : « 30 % » est remplacé par le taux : « 40 % » ;

c) Au c, le montant : « 33 900 € » est remplacé par le montant : « 37 700 € », le taux : « 20 % » est remplacé par le taux : « 30 % » et les deux occurrences du montant : « 50 000 € » sont remplacées par le montant : « 75 000 € » ;

d) Au d, le montant : « 38 900 € » est remplacé par le montant : « 48 890 € », le taux : « 10 % » est remplacé par le taux : « 20 % » et les deux occurrences du montant : « 75 000 € » sont remplacées par le montant : « 100 000 € » ;

e) Au e, le montant : « 41 400 € » est remplacé par le montant : « 59 112 € » ;

2° Aux 1° et 2° du 2, le montant : « 150 000 € » est remplacé par le montant : « 200 000 € ».

II. – Le I ne s’applique qu’aux sommes venant en déduction de l’impôt dû.

Mme le président. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 33 rectifié est présenté par MM. Tissot, Montaugé et Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Michau et Redon-Sarrazy, Mme Bonnefoy, M. J. Bigot, Mme Préville, MM. Stanzione, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 94 est présenté par MM. Salmon, Labbé, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard et Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour présenter l’amendement n° 33 rectifié.

M. Jean-Claude Tissot. L’article 6 prévoit d’augmenter l’ensemble des plafonds applicables à la déduction pour épargne de précaution (DEP).

Nous estimons que cette augmentation se fera surtout au bénéfice des exploitants ayant la capacité d’épargner fortement. Or, pour les sénateurs socialistes, la priorité doit être de soutenir les agriculteurs les plus en difficulté, c’est-à-dire ceux qui peinent aujourd’hui à tirer un revenu décent de leur activité et pour lesquels l’idée d’épargner n’est pas du tout d’actualité.

Par ailleurs, comme cela a été dit lors de l’examen de l’article 5, il faudrait toujours garder en tête le coût de ces allégements fiscaux pour les finances publiques.

Les sénateurs socialistes souhaitent toutefois rappeler qu’ils sont favorables au maintien du dispositif actuel de déduction pour épargne de précaution. Cet outil peut être intéressant pour faire face à la volatilité des revenus et à la multiplication des aléas.

En revanche, en l’absence d’étude d’impact sérieuse, nous démontons l’argument selon lequel son augmentation, dans les proportions envisagées à l’article 6, viendrait répondre à une réelle demande du monde agricole dans sa diversité.

Nous considérons que les éléments ne sont pas réunis pour que nous votions cet article.

Mme le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour présenter l’amendement n° 94.

M. Daniel Salmon. En proposant de supprimer l’article 6, notre groupe souhaite dénoncer une nouvelle fois l’iniquité qu’il avait signalée lors des débats sur la réforme de l’assurance récolte en 2022.

L’augmentation de l’ensemble des plafonds applicables à la déduction pour épargne de précaution ne pourra profiter qu’aux exploitants ayant la capacité d’épargner fortement.

En effet, ce système bénéficie seulement à un nombre très réduit d’exploitations. Il semble davantage être un outil d’optimisation fiscale et sociale que de gestion des aléas.

Ainsi, comme l’a précisé la commission des finances du Sénat dans son rapport général sur le projet de loi de finances pour 2020, seules les exploitations agricoles les plus profitables, avec les plus hauts revenus, bénéficient de la mesure. En effet, le rapporteur général souligne que « la situation rarement ou médiocrement bénéficiaire d’une proportion élevée d’exploitations agricoles exclura une grande majorité des exploitations du bénéfice de la nouvelle disposition ».

La hausse des plafonds de l’épargne de précaution n’est pas la solution qui permettra d’encourager la compétitivité de l’agriculture française. L’effort devrait au contraire être à destination des agriculteurs qui peinent aujourd’hui à tirer un revenu décent de leur activité.

De plus, le mécanisme de l’épargne de précaution permet de réduire le bénéfice agricole imposable de l’année, et donc de diminuer le montant de l’impôt sur le revenu et des cotisations sociales dues aux caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA).

Le levier choisi pour permettre à l’agriculture de faire face aux aléas conduira donc à un nouvel appauvrissement de la protection sociale. Il aura notamment des conséquences sur le montant des retraites agricoles, extrêmement faibles.

Pour toutes ces raisons, notre groupe estime qu’il est nécessaire d’évaluer un tel dispositif, au regard des critères du nombre d’exploitations bénéficiaires, de son efficacité pour faire face aux aléas, et du coût qu’il engendre pour la Mutualité sociale agricole.

Nous jugeons donc que la hausse des plafonds proposée n’est pas pertinente. C’est pourquoi nous proposons de supprimer cet article.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Primas, rapporteur. Ces deux amendements de suppression reçoivent naturellement un avis défavorable, étant contraires à la position de la commission. Leurs auteurs considèrent que le rehaussement des plafonds de la dotation pour épargne de précaution n’est pas opportun. J’ai également entendu le propos de notre collègue qui souhaite même la remettre en cause.

Pourtant, toutes les auditions ont souligné à quel point elle est un outil essentiel dans la gestion pluriannuelle des aléas climatiques. Elle vient en complément des dispositifs d’assurance récolte qui ont été mis en place l’année dernière.

Les agriculteurs ne s’y trompent pas, puisqu’ils sont de plus en plus nombreux à se saisir de ce dispositif. Selon les chiffres communiqués par l’une des banques qui s’occupent bien des agriculteurs, plus de 53 300 comptes ont été ouverts dans ses établissements en 2022, c’est-à-dire trois ans après l’instauration du dispositif.

Monsieur le sénateur, j’aimerais bien que nous comptions quelque 53 300 agriculteurs extrêmement aisés, possédant de grosses exploitations, mais ce n’est pas le cas ! Aussi, je considère que ce dispositif touche nombre d’exploitations.

Les plafonds n’ont pas augmenté depuis l’instauration de la DEP en 2019. Or, depuis lors, l’inflation est passée par là. À l’occasion de l’examen du texte en commission, j’ai souhaité modérer la hausse initialement prévue, pour trouver un juste équilibre.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Fesneau, ministre. Une plus grande résilience de nos agriculteurs face à la multiplication des aléas est essentielle. Selon nous, la déduction pour épargne de précaution est l’un des dispositifs qui permettent d’accroître cette résilience. Nous y sommes donc très attachés.

D’ailleurs, le dispositif a été prolongé de trois ans par la loi de finances pour 2023. En outre, un mécanisme d’actualisation du plafond de déduction, qui tient compte de l’inflation, a été mis en œuvre. Tout cela nous conduit à penser que le dispositif en vigueur est bon.

L’avis est donc favorable sur ces deux amendements.

Oui, le dispositif de déduction pour épargne de précaution est bon et nous le soutenons, comme le Sénat, mais dans sa version actuelle. À notre sens, je le répète, il n’est pas nécessaire d’y revenir.

Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 33 rectifié et 94.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 6.

(Larticle 6 est adopté.)

Article 6
Dossier législatif : proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France
Article 8

Article 7

À titre expérimental, pour une durée de trois ans à compter de la promulgation du décret prévu au dernier alinéa du présent article, une déduction supplémentaire à celle prévue au I de l’article 73 du code général des impôts est ouverte aux exploitants agricoles mentionnés au 1 du même I, sous réserve qu’ils souscrivent un engagement contractuel pluriannuel portant sur la vente ou l’achat d’une quantité de céréales, fourrages ou aliments du bétail déterminée à un prix convenu.

Cette déduction supplémentaire peut être librement pratiquée au titre de chacun des exercices clos durant la période d’exécution du contrat. Son montant cumulé réalisé au titre desdits exercices ne peut excéder 30 000 €.

En cas d’inexécution, même partielle, du contrat mentionné au premier alinéa du présent article, la fraction de déduction supplémentaire mentionnée au présent article non encore rapportée est rapportée au résultat de l’exercice de constatation de cette inexécution, majorée d’un montant égal au produit de cette somme par le taux de l’intérêt de retard prévu à l’article 1727 du code général des impôts.

Un décret précise les modalités d’application du présent article.

Mme le président. L’amendement n° 34 rectifié, présenté par MM. Tissot, Montaugé et Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Michau et Redon-Sarrazy, Mme Bonnefoy, M. J. Bigot, Mmes Monier et Préville, MM. Stanzione, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy.

M. Christian Redon-Sarrazy. Pour des raisons analogues à celles que nous avons invoquées à l’amendement n° 33 rectifié, nous ne sommes pas favorables à la multiplication des allégements fiscaux sans étude d’impact précise et préalable qui permettrait d’en évaluer les éventuelles conséquences.

Cet amendement a donc pour objet de supprimer l’article 7, qui vise à instaurer à titre expérimental une DEP supplémentaire, en cas de contractualisation entre les filières animales et végétales, qui pourrait être librement appliquée dans la limite de 30 000 euros par exercice budgétaire.

Une fois de plus, nous nous interrogeons sur les réels bénéficiaires d’un tel dispositif. Est-ce qu’une telle mesure répond véritablement à l’exigence d’un « choc de compétitivité », pour reprendre les termes de l’intitulé de la présente proposition de loi ?

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Primas, rapporteur. Cet article 7, qui a pour objet d’instituer l’expérimentation, pour une durée de trois ans, d’une DEP supplémentaire en cas de contractualisation entre les filières animales et végétales, répond à une forte demande de la profession agricole, issue particulièrement des filières animales.

Elles subissent de plein fouet les fluctuations du cours des céréales, qu’elles ne parviennent que très imparfaitement à répercuter sur leurs prix de vente.

Monsieur Redon-Sarrazy, pour répondre à votre question sur les avantages d’un tel dispositif, une contractualisation entre ces filières permettrait aux éleveurs de bénéficier de prix convenus à l’avance ainsi que d’une lisibilité sur plusieurs années. Je le répète, c’est là une demande de l’ensemble des filières, et cela permettrait de ne léser aucune partie.

Avis défavorable.

Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Marc Fesneau, ministre. Avis favorable sur cet amendement n° 34 rectifié, qui tend à supprimer l’article 7. (M. Laurent Duplomb sexclame.)

Cela étant dit, il faut reconnaître que la mesure proposée à l’article 7 est intéressante à double titre. D’une part, elle a pour objet d’inviter les filières animales et végétales à contractualiser – et il faut les y encourager. D’autre part, la dotation d’épargne de précaution doit être davantage déployée pour améliorer la résilience de nos exploitations, comme nous l’avons déjà mentionné.

Toutefois, nous sommes opposés à cette mesure – sur le fond, on peut essayer de travailler sur ce sujet –, en raison de la rédaction actuelle de l’article, qui soulève des difficultés.

Premièrement, cette proposition est susceptible de constituer une subvention aux prix, contraire aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et pouvant être qualifiée d’aide d’État, au regard des règles européennes. En effet, la mesure viendrait baisser le coût du contrat pour les producteurs, créant une distorsion de concurrence, qu’il paraît difficile de justifier.

Deuxièmement, la mesure proposée s’articule mal avec le renforcement des règles en matière contractuelle, inscrit dans le cadre de la loi Égalim, où est établi le principe du caractère pluriannuel des engagements contractuels. Il faut noter que les filières végétales ont souhaité déroger au cadre établi par Égalim, plus spécifiquement à la pluriannualité, au motif qu’elle n’était pas adaptée à leur fonctionnement.

Troisièmement, cet article aurait davantage sa place dans un projet de loi de finances.

Nous avons sans doute besoin de travailler sur un mécanisme qui permettrait de creuser la piste que vous envisagez à cet article 7, madame la rapporteure.

Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 34 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

Mme le président. Je mets aux voix l’article 7.

(Larticle 7 est adopté.)

Article 7
Dossier législatif : proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France
Article additionnel après l'article 8 - Amendement n° 37 rectifié

Article 8

Par dérogation au premier alinéa du I de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, une expérimentation de l’utilisation des aéronefs télépilotés ou contrôlés par intelligence artificielle pour la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques est menée, pour une période maximale de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi, sur des surfaces agricoles présentant une pente supérieure ou égale à 30 % ou dans le cadre d’une agriculture de précision sur des surfaces restreintes.

Les conditions et les modalités de cette expérimentation sont définies par un arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture, de l’environnement et de la santé de manière à garantir l’absence de risque inacceptable pour la santé et l’environnement.

Cette expérimentation fait l’objet d’une évaluation par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, visant à déterminer les bénéfices liés à l’utilisation de drones pour l’application de produits phytopharmaceutiques en matière de réduction des risques pour la santé et l’environnement.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, sur l’article.

M. Jean-Claude Tissot. Mon intervention portera sur le fondement même de cet article 8, qui prévoit de rétablir l’épandage aérien des produits phytopharmaceutiques. Elle fera également référence aux articles 13 et 18, que nous examinerons ultérieurement.

Avant d’aborder les questions techniques que soulèvent ces articles, il me semble tout de même nécessaire de rétablir quelques vérités au regard du discours tenu sur les pesticides selon lequel nous serions l’un des pays les plus exigeants, et l’un de ceux qui surtransposeraient le plus…

Face à ce discours, je rappellerai simplement que l’Agence européenne pour l’environnement (AEE), qui appelé l’ensemble des États membres à réduire leur consommation de pesticides, a indiqué que les plus fortes augmentations de vente de substances actives ont été enregistrées en Allemagne et en France entre 2011 et 2020.

D’après l’Atlas des pesticides, la France serait même le troisième pays de l’Union européenne à autoriser le plus de substances actives, pour un total de près de 291 substances autorisées.

Je tiens également à rappeler que 34 % de l’eau distribuée en France serait non conforme aux réglementations, notamment à cause d’une contamination par les métabolites du chlorothalonil, un pesticide interdit depuis 2019.

Monsieur le ministre, nous pourrions également revenir sur votre opposition à l’interdiction de l’herbicide S-métolachlore, alors même que l’Anses a prouvé que des dérivés de ce pesticide ont été retrouvés dans des eaux souterraines.

Nous pourrions également évoquer les injonctions à ne pas trop contrôler les arboriculteurs adressées aux inspecteurs de l’Office français de la biodiversité (OFB).

Mes chers collègues, vous le voyez, les exemples ne manquent pas pour prouver la quantité de pesticides dans les méthodes de production et le poids de ce lobby industriel dans de nombreuses décisions des pouvoirs publics !

Cet article 8, qui revient sur une disposition qui avait fait consensus lors de l’examen de la loi Égalim, le prouve également. Nous nous y opposerons donc avec conviction.

Mme le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, sur l’article.

Mme Patricia Schillinger. Nous abordons l’examen de l’article 8, qui autorise l’usage d’aéronefs télépilotés pour la pulvérisation aérienne de produits phytopharmaceutiques.

J’avais à cœur d’intervenir sur ce sujet qui touche directement mon département, où le vignoble est caractérisé, par endroits, par de fortes pentes.

Le recours à des drones représente sur ces parcelles la meilleure des solutions pour la santé des opérateurs, d’une part, pour le respect et la protection de l’environnement, d’autre part.

En effet, le traitement par voie terrestre est particulièrement dangereux pour les opérateurs qui en sont chargés.

Rappelons que procéder par voie terrestre les oblige à être directement au contact des produits et les expose à un fort risque d’accident, tant il n’est pas rare que, dans le contexte de forte pente, les chenillards se renversent.

Aussi, le recours aux drones constitue pour les salariés une amélioration de leurs conditions de travail.

Par ailleurs, l’efficacité, la précision et la rapidité du recours aux drones permettent des interventions efficientes et ciblées, dans le respect de l’environnement.

C’est ce que confirme l’expérimentation qui s’est achevée en octobre 2022 à Guebwiller, en Alsace. Or, à l’issue de cette expérimentation, et en dépit des conclusions positives de l’évaluation réalisée par l’Anses, les exploitants concernés sont aujourd’hui sans solution.

Il convient d’être vigilant et d’anticiper la fin de l’expérimentation pour les producteurs.

Aussi, je suis particulièrement favorable à cet article, dont je salue la modification de bon sens apportée par Mme la rapporteure en commission en vue d’en assurer la conformité avec le droit européen.

Ce sujet illustre parfaitement la manière dont l’innovation et la technologie peuvent être au service de l’agriculture, en aidant les exploitants à concilier les contraintes inhérentes à leur activité avec le respect de l’environnement.

Dès lors, ne soyons pas dogmatiques et embrassons les progrès !

Mme le président. Je suis saisie de trois amendements identiques.

L’amendement n° 35 rectifié est présenté par Mme Bonnefoy, MM. Tissot, Montaugé et Devinaz, Mme Préville, M. Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Michau, Redon-Sarrazy et J. Bigot, Mme Monier, MM. Stanzione, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 60 est présenté par M. Gay, Mmes Varaillas, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

L’amendement n° 107 est présenté par MM. Labbé, Salmon, Benarroche, Breuiller, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme de Marco, M. Parigi et Mmes Poncet Monge et M. Vogel.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour présenter l’amendement n° 35 rectifié.

Mme Nicole Bonnefoy. L’article 8 introduit une dérogation au principe général d’interdiction de la pulvérisation aérienne des produits phytopharmaceutiques, en autorisant l’utilisation d’aéronefs télépilotés et contrôlés. Cette dérogation générale reviendrait ainsi sur une interdiction introduite par les lois Grenelle dans le droit français conformément à une directive européenne de 2009.

Dans mon rapport d’information sur les pesticides adopté par le Sénat en 2012, je relevais, avec Sophie Primas, que cette technique présentait le risque d’exposer aux produits épandus des espaces situés à proximité de la zone d’épandage.

La dérive, lors des épandages aériens, est d’autant plus importante que le vent est fort.

Cette volatilité est un réel problème, souligné, d’ailleurs, par le rapport d’expertise de l’Anses publié à l’automne : selon ce dernier, « les applications par drone s’avèrent dans l’ensemble moins efficaces que celles par pulvérisateurs classiques ».

Par ailleurs, le même rapport constate que « les niveaux de contamination des mannequins, placés à une distance de la parcelle de 3 et 10 mètres, sont supérieurs lors d’une pulvérisation avec un drone en comparaison avec un atomiseur à dos ».

Alors que cette étude renforce les inquiétudes sanitaires et remet même en question l’efficacité de cette technique, il n’est pas sérieux de revenir sur cette interdiction. Il y va de la protection de la santé de nos agriculteurs, qui sont les premières victimes des pesticides.

Les dérogations à l’interdiction de l’épandage aérien qui existent d’ores et déjà doivent rester l’exception et répondre à des motifs très précis.

Pour ces raisons, nous vous demandons de supprimer cet article, qui, s’il était adopté, remettrait en cause un acquis législatif solide pour la défense de notre environnement.

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour présenter l’amendement n° 60.

Mme Marie-Claude Varaillas. Nous ne pouvons pas véritablement conclure à ce jour que l’utilisation des drones pour la pulvérisation de précision des pesticides sur les terrains agricoles soit sans danger pour la santé et l’environnement.

En revanche, ce que nous savons avec certitude, c’est que les populations d’oiseaux des milieux agricoles ont chuté de 43 % en quarante ans et que les insectes et les pollinisateurs disparaissent de manière dramatique. Nous faisons partie des pays qui, comme d’autres, peinent à maintenir la biodiversité dans leurs milieux agricoles, alors même que produire autrement est aujourd’hui une question de survie du modèle agricole lui-même.

Au regard de ces éléments, du manque d’informations sur les impacts potentiels sur l’environnement et en application du principe de précaution, il nous paraît nécessaire de poursuivre les études à ce sujet et de mettre en place des procédures d’évaluation de risques sur l’environnement, en particulier sur les pollinisateurs, qui, nous le savons, sont indispensables à notre système agroalimentaire.

De plus, nous ne pouvons avec certitude écarter le risque sur la santé des agriculteurs et des salariés agricoles eux-mêmes.

C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.

Mme le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l’amendement n° 107.

M. Joël Labbé. Comme nos collègues socialistes et communistes, nous plaidons pour la suppression de cet article.

Je veux simplement, en complément de ce qui a déjà été dit – et bien dit –, appuyer sur les conclusions du rapport publié par l’Anses en 2022, qui vient alimenter nos craintes. Ce rapport dénonce une dérive aérienne 4 à 10 fois supérieure pour les vignes et les bananeraies et une potentielle dérive, dans les sédiments, 3 à 5 fois plus importante pour les pommiers.

L’Anses précise que les drones entraînent un courant descendant dû à leur rotor, qui représente des risques différents des technologies préexistantes. Elle montre un dépôt de pesticides irrégulier sur les cultures, qui peut exposer les travailleurs à des quantités de produits problématiques.

Comment, dans ces conditions, proposer d’ouvrir à des usages plus larges ?

L’expérimentation proposée ne nous semble pas conforme à l’interdiction des épandages aériens prévue par le droit européen. Elle va à rebours d’une politique de sortie de l’usage des pesticides que nous appelons de nos vœux, cependant qu’elle expose nos concitoyens à des risques nouveaux.

Nous proposons donc avec force la suppression de cet article. Nous ne pouvons accepter d’entendre dire que les agriculteurs n’ont pas d’autre solution. D’autres solutions existent ! Il faudra bien s’engager dans la sortie des pesticides, donc se fixer des trajectoires. Nous attendons beaucoup du Gouvernement sur ce plan.

Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Sophie Primas, rapporteur. L’usage des drones en agriculture ne fait pas consensus, comme le prouvent ces amendements de suppression. Je vais essayer de m’en tenir aux faits et de ne pas trop verser dans l’opposition dogmatique.

Je vous rappelle que la rédaction initiale envisageait une autorisation générale de l’utilisation des drones. Notre commission a largement fait évoluer le dispositif, en le transformant en une expérimentation sur terrain en pente et réduite à l’agriculture de précision.

En effet, nous manquons encore de données. C’est d’ailleurs l’une des conclusions principales du rapport de l’Anses.

Or, pour avoir des données, madame Varaillas, il faut expérimenter ! Par définition, il n’y a pas de données sans expérimentation…

Bien évidemment, l’usage du drone ne sera pas la réponse à tout en tous lieux pour toutes les problématiques auxquelles les cultures sont confrontées, mais il semble que les résultats préliminaires soient intéressants en ce qui concerne les dérives de pulvérisation, comme le signale l’Anses dans son rapport. Je ne suis pas certaine que nous en ayons lu les mêmes pages…

Le fait que l’Anses reconnaisse qu’il faut collecter davantage de données pour pouvoir mener correctement à la fois le travail d’évaluation et le travail de recommandation sur l’utilisation des drones plaide en faveur de cette expérimentation. Si nous nous en passions, ce serait un mauvais signal envoyé aux agriculteurs pour poursuivre dans la voie de l’innovation.

Il est assez clair qu’un agriculteur intervenant au bout de son champ et en l’absence de vent est bien plus protégé, en cas d’infestation par des insectes ou d’autres maladies, quand il pulvérise par précision que lorsqu’il pratique un épandage plus classique. Il en est de même, d’ailleurs, pour les riverains.

Il ne faut pas se priver des progrès liés à l’innovation, il faut les quantifier. Et, si ce ne sont pas de vrais progrès, il faut le dire !

Quoi qu’il en soit, il faut collecter de la donnée, raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur ces amendements de suppression.