M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos territoires d’outre-mer sont au cœur de la souveraineté nationale. L’actualité récente nous le rappelle tristement.
En effet, la situation à Mayotte est dramatique. L’autorité de l’État y est mise à rude épreuve, avec la complaisance d’un État étranger. Nous attendons beaucoup de l’opération Wuambushu lancée par le Gouvernement.
Paradoxalement, cette situation dramatique apporte aussi des signes d’espoir, puisqu’elle a rappelé à l’ensemble des Français l’attachement sans faille des Mahorais à la communauté nationale. L’État doit se montrer à la hauteur de ces espoirs.
L’exemple de Mayotte nous rappelle que, pour consolider l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national, il faut que les lois soient appliquées partout.
Toutes proportions gardées, le projet de loi que nous examinons s’inscrit dans cette logique : garantir la bonne application des lois sur l’ensemble du territoire national. Il contient ainsi plusieurs mesures pour adapter le code monétaire et financier aux évolutions récentes.
Cela concerne principalement la ratification de trois ordonnances, prises entre septembre 2021 et septembre 2022.
Les modifications législatives apportées par ces ordonnances sont essentiellement techniques. Elles n’ont pas déchaîné de débats passionnés au sein de notre commission.
Cependant, elles n’en sont pas moins importantes. Elles parachèvent, en effet, un travail de réorganisation législative entrepris il y a plus de quatre ans, au moment de la promulgation de la loi Pacte.
Le livre VII du code monétaire et financier est ainsi réécrit de façon thématique, ce qui rendra notre droit applicable plus lisible. Cette réécriture était, de toute façon, rendue nécessaire par les récentes évolutions législatives, tant au niveau français qu’au niveau européen.
Je ne reviens pas sur la méthode retenue pour procéder à la ratification des ordonnances, mais il est vrai qu’il y a toujours quelque chose d’étonnant à présenter une réforme comme urgente alors qu’elle parachève un travail de plusieurs années… L’essentiel est que nous puissions désormais avancer.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce texte.
Pour conclure, mes chers collègues, je souhaite évoquer deux amendements adoptés par la commission des finances.
Le premier concerne l’article 1er bis. Ce nouvel article prévoit de prolonger l’expérimentation sur l’accès des collectivités au financement participatif.
J’ignore si le délai de publication de l’arrêté ministériel révèle quelque réticence de la part de Bercy. Ce que je crois, en revanche, c’est que nous devons donner davantage de libertés aux collectivités, et davantage de moyens aux élus locaux. Il faut faire confiance aux territoires.
Le second amendement concerne la suppression de l’article 9, qui visait à donner une base législative au fichier des comptes d’outre-mer (Ficom). J’espère que la navette parlementaire permettra de trouver la solution qui sera à la fois la plus respectueuse des libertés publiques et la plus efficace pour l’ordre public.
C’est dans cette tension, mes chers collègues, que nous parviendrons à garantir la cohésion nationale, sur l’ensemble du territoire de la République. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Mme Esther Benbassa applaudit.)
M. Daniel Breuiller. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis le neuvième à intervenir sur ce projet de loi, qui est un texte particulièrement technique, un texte de correction rédactionnelle et d’adaptation de fond du code monétaire et financier pour certaines collectivités d’outre-mer, pour lequel je risque de verser dans l’ultracrépidarianisme. Vous connaissez ce terme, qui qualifie un comportement consistant à donner son avis sur des sujets à propos desquels on ne possède pas de compétence crédible ou démontrée.
Je remercie d’ailleurs notre collègue Hervé Maurey pour son analyse. Il a rendu ce texte compréhensible et l’a amélioré par ses amendements.
Je ne veux pas non plus prendre le risque de dire moins bien que d’autres que l’adoption de ce projet de loi est nécessaire, puisque les ordonnances, dont l’échéance est désormais très proche, doivent être consolidées.
Deux mesures contenues dans ce projet de loi appellent notre vigilance.
Tout d’abord, la nécessité de proroger de deux années supplémentaires l’expérimentation en matière de financement participatif, défendue par le rapporteur et adoptée à l’unanimité des votants de notre commission, mérite évidemment d’être retenue.
La seconde mesure est la fin de la règle de gratuité totale des retraits d’espèces par carte effectués en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Si la plupart des banques et leurs filiales sont représentées dans les grandes villes-métropoles, ce n’est pas toujours le cas en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, dans les atolls, où il faut parfois aller très loin pour trouver le bon distributeur. L’avis argumenté du Conseil d’État doit se conjuguer avec la préservation du pouvoir d’achat, moins élevé pour nos concitoyens qui y résident que pour la plupart de ceux qui vivent dans l’Hexagone.
À propos des ordonnances, nous ne nions pas leur utilité sur des sujets techniques tels que celui qui nous réunit aujourd’hui. Toutefois, comme le rappelait le président de notre groupe, Guillaume Gontard, lors du débat sur le suivi des ordonnances, en février 2022, « sous le quinquennat Macron, 345 habilitations par ordonnances ont été accordées, et ce nombre a doublé en dix ans – sans doute est-ce d’ailleurs sur ce doublement qu’il faut insister… »
Les ordonnances ne doivent pas devenir un mode d’élaboration de la loi. Pas plus, au passage, selon moi, que le recours aux articles 49, alinéa 3, ou 47-1 de la Constitution. Ces modus operandi affaiblissent le Parlement, dans son pouvoir d’initiative et d’amendement.
Aussi, nous sommes déterminés à ce que ce pouvoir ne soit pas corseté lors des débats qui touchent aux sujets essentiels de la vie de nos concitoyens, comme celui des retraites, et soit peut-être moins sollicité sur des sujets dont la technicité nous éloigne parfois des problèmes les plus essentiels des Ultramarins.
Il est vrai que, quand je pense aux outre-mer, je ne pense pas en premier lieu au code monétaire et financier, même si ce sujet technique est sérieux. Je pense plutôt à la précarité qui fait rage dans nos territoires, à l’inflation qui frappe plus brutalement les portefeuilles là-bas qu’ici, à la vie chère, au manque d’emplois, à une jeunesse qui manque parfois de perspectives, autant de réalités qui sont le quotidien des habitants des outre-mer.
Lorsque je pense aux outre-mer, je pense aussi aux sargasses, à l’orpaillage illégal en Guyane, à la construction controversée de la nouvelle route du littoral à La Réunion, à la défense de la biodiversité des fonds marins, du vivant et des écosystèmes, qui figurent parmi les plus riches au monde et doivent être au cœur de nos actions dans les territoires d’outre-mer, plus encore qu’ailleurs.
Je pense également aux batailles juridiques, menées notamment par Harry Durimel, maire écologiste de Pointe-à-Pitre et par d’autres – certains siègent sur nos travées –, pour faire reconnaître les préjudices liés au chlordécone, un scandale sanitaire, social et environnemental dont l’État s’est rendu coupable et dont je ne suis pas certain que les leçons aient été tirées.
Voilà, mes chers collègues, les sujets qui me viennent à l’esprit lorsque je pense aux outre-mer. Il est nécessaire que l’État tienne ses promesses, loin des effets d’annonce auxquels il recourt parfois.
Merci au livre VII du code monétaire et financier de m’avoir permis d’évoquer, un peu par effraction – je le reconnais volontiers –, ces sujets qui nous tiennent à cœur.
Nous voterons ce texte, tel qu’il a été amendé par la commission. (Mme Esther Benbassa applaudit.)
Mme Cécile Cukierman et M. Victorin Lurel. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, le projet de loi ratifiant les ordonnances relatives à la partie législative du livre VII du code monétaire et financier et portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer.
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-trois, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
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Respect du droit à l’image des enfants
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants (proposition n° 396, texte de la commission n° 561, rapport n° 560).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis cet après-midi pour débattre d’un sujet majeur et ô combien d’actualité : comment mieux protéger la vie privée, notamment l’image de nos enfants ?
C’est l’objet de la présente proposition de loi, portée avec conviction par M. le député Bruno Studer et, je le rappelle, adoptée à l’unanimité en première lecture par l’Assemblée nationale.
L’essor des réseaux sociaux invite à repenser les moyens de protection pour faire face aux nouvelles dérives qui mettent à mal la vie privée et l’image de nos enfants.
Avant l’âge de 13 ans, un enfant apparaît, en moyenne, sur le compte de ses parents ou de ses proches sur 1 300 photographies publiées en ligne. Dans le même temps, les parents d’enfants âgés de moins de 13 ans partagent en moyenne 71 photos et 29 vidéos par an sur les réseaux sociaux. Un cinquième des parents ont des profils Facebook publics, et la moitié partagent des photos avec des amis virtuels qu’ils ne connaissent pas vraiment.
À cette vitesse, d’ici à la fin de la décennie, les informations partagées en ligne par les parents seront la première cause d’usurpation d’identité pour leurs enfants.
Que l’on ne s’y trompe pas : les images des enfants sont bel et bien des données personnelles sensibles, qui soulèvent des enjeux de pédocriminalité, d’identité numérique, d’exploitation commerciale ou encore de harcèlement.
Je veux partager avec vous le constat alarmant des auteurs de la présente proposition de loi : en 2020, près de 50 % des images qui s’échangent sur les sites pédopornographiques ont été initialement publiées par les parents.
Parallèlement, les données personnelles des enfants mises en ligne par leurs parents interrogent les notions de droit à l’oubli et, bien sûr, d’identité numérique.
Sur le long terme, mesdames, messieurs les sénateurs, les contenus publiés – même en toute bonne foi – par leurs parents pourraient porter préjudice aux enfants et compromettre, par exemple, leur crédibilité lors d’une candidature scolaire ou professionnelle.
Face à ces risques et dans l’intérêt supérieur et bien compris de l’enfant, il est nécessaire de cadrer les conditions d’exercice par les parents de leur autorité parentale en matière de vie privée et de droit à l’image de leurs enfants. Pendant la minorité de l’enfant, ce sont, en effet, les parents qui sont en charge de la protection de sa vie privée et de son droit à l’image.
La loi du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne, dite loi Enfants influenceurs, a constitué une première étape importante dans l’exercice du droit à l’image des enfants exposés sur les réseaux sociaux. Hier même, votre assemblée examinait en première lecture sur une nouvelle proposition de loi visant à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. C’est dire si le monde de l’internet a décidément un grand besoin de régulation, pour les adultes, bien sûr, mais également pour les enfants, en particulier ceux qui n’ont aucune prétention d’être des influenceurs.
Cette proposition de loi vise donc à aller plus loin. Dans une démarche pédagogique, sans bouleverser l’état du droit, elle vise à s’assurer de la bonne utilisation par les parents de l’image de leur enfant.
L’article 1er modifie l’article 371-1 du code civil afin d’introduire la notion de « vie privée » de l’enfant dans la définition de l’autorité parentale. À ce sujet, je salue le travail de la commission qui a repositionné l’ajout de la notion de « vie privée » à la fin de l’article 371-1 du code civil : il est plus cohérent de formaliser le droit à la vie privée du mineur au sein des droits dus à sa personne.
L’article 2, en revanche, a été supprimé. La commission a fait ce choix alors qu’il me semblait présenter plusieurs intérêts. D’abord, il inscrivait dans la loi le droit à l’image, ce droit n’étant pour l’instant consacré que par la jurisprudence. Ensuite, il rendait ce droit plus visible pour les parents. Je prends néanmoins acte de la position de la commission sur cet article.
L’article 3 a également été modifié pour faire de tous les actes « relatifs à la vie privée de l’enfant » des actes non usuels. Permettez-moi d’exprimer des réserves sur cette nouvelle rédaction.
Premièrement, j’en émettrai une sur son emplacement à l’article 372-2 du code civil. Cet article a, en effet, pour objet de définir le régime juridique de l’acte usuel relatif à la personne de l’enfant et non de définir ou d’énumérer les actes relevant du régime juridique des actes non usuels. Outre que cette disposition fragilise l’économie générale de l’article 372-2, elle comporte le risque de constituer un précédent en invitant le législateur à dresser une liste des actes usuels et non usuels dans la loi. Or l’établissement d’une telle liste, qui, pour être utile, devrait être exhaustive, n’est en pratique pas possible : l’appréciation de ce qui relève d’un acte usuel ou non usuel est nécessairement casuistique. Elle nécessite donc d’être appréciée finement par un juge pour préserver au mieux l’intérêt de l’enfant.
Deuxièmement, la notion de « contenus relatifs à la vie privée de l’enfant » est trop large : elle dépasse la publication de la seule image de l’enfant, puisqu’il suffirait que la publication soit relative à la vie privée de l’enfant pour être qualifiée d’acte non usuel et nécessiter alors l’accord des deux parents. Cela induit, à mon sens, un cadre juridique trop contraignant.
Surtout, cet article complexifie et rigidifie le quotidien des familles, puisque l’accord des deux parents pourra être systématiquement exigé par les tiers pour toute diffusion de contenu relatif à la vie privée de l’enfant. Or un tel recueil ne sera pas toujours possible en pratique, par exemple en cas de conflit parental ou d’absence de l’autre parent.
Mme Valérie Boyer, rapporteure. C’est déjà le cas !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Troisièmement, cet article instaure surtout une hiérarchie entre les différents droits de l’enfant, au sommet de laquelle se trouverait le droit au respect de sa vie privée. Cela nous semble contestable. Le droit à la vie privée doit-il être plus protégé que le droit à la santé par exemple ? Avec cet article, l’accord des deux parents serait systématiquement exigé pour toute diffusion de « contenus relatifs à la vie privée de l’enfant », alors que, en ce qui concerne la santé de l’enfant par exemple, l’accord d’un seul des parents pourrait, dans certains cas, suffire.
Pour toutes ces raisons, je soutiendrai l’amendement de votre collègue Thani Mohamed Soilihi qui permet de rétablir le texte adopté par l’Assemblée nationale tout en l’adaptant afin de mieux protéger le droit à l’image des enfants.
L’article 4 a été supprimé par la commission : je le regrette. Le dispositif de délégation partielle de l’exercice de l’autorité parentale me semblait pourtant équilibré : il permettait de compléter utilement la réglementation existante en matière de protection des enfants, notamment en ce qui concerne l’assistance éducative.
Votre commission a introduit un nouvel article qui permet à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) de saisir le tribunal judiciaire pour demander en référé le blocage d’un site internet en cas d’atteinte aux droits d’un mineur. Ce dispositif est intéressant, mais devra probablement être réservé aux atteintes les plus graves. Je suis également sensible à l’idée selon laquelle la saisine de la Cnil doit faire suite à la plainte d’un tiers. La navette parlementaire pourra utilement améliorer la rédaction.
Face à une exposition accrue des mineurs sur internet et à des risques provenant du foyer familial, il est indispensable de repenser la notion de droit à l’image des enfants et de responsabiliser davantage leurs parents. Je me réjouis donc des débats qui s’annoncent et, vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, je soutiendrai cette proposition de loi. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer, rapporteure de la commission des lois. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’ouverture du monde numérique aux enfants est un défi majeur à la fois pour les familles et pour les pouvoirs publics, en particulier en matière d’éducation et de santé publique. Nous commençons seulement à prendre la mesure des répercussions qu’a sur la santé, le bien-être et le développement de nos enfants un accès potentiellement permanent aux contenus des réseaux sociaux ou des sites internet via les smartphones.
C’est pourquoi je regrette que ce sujet ne soit pas pris à bras-le-corps par le Gouvernement dans le cadre d’une politique publique nationale réunissant tous les acteurs pouvant agir en la matière.
Actuellement, le Sénat est invité à se prononcer sur quatre initiatives visant la protection des mineurs dans l’univers numérique. Outre cette proposition de loi, nous ont été transmises de l’Assemblée nationale, premièrement, une proposition de loi relative à la prévention de l’exposition excessive des enfants aux écrans, qui rappelle une initiative et des travaux de notre collègue Catherine Morin-Desailly en 2018, deuxièmement, une proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, dont la rapporteure pour le Sénat sera Mme Borchio Fontimp, et, troisièmement, une proposition de loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, que le Sénat a adoptée hier soir, dont Mme Amel Gacquerre était la rapporteure.
Nous ne pouvons pas continuer à légiférer ainsi, en ordre dispersé, sur des sujets variés mais tous connexes, sans vision globale. Monsieur le garde des sceaux, je pense que les Français n’attendent pas du Parlement cette façon de travailler ; ils l’attendent encore moins pour un enjeu aussi important. Ce dernier aurait nécessité que les ministres de la santé, de la justice et de l’éducation nationale, entre autres, œuvrent tous ensemble avec le Parlement. Envisager une élaboration collective aurait fait consensus. Malheureusement, nous travaillons de façon tronçonnée…
Surtout, une réponse législative n’est pas suffisante : tous les acteurs s’accordent à dire que c’est la prévention, l’éducation et la sensibilisation qui sont efficaces en la matière.
S’agissant du sujet qui nous occupe, tous les moyens devraient être mobilisés pour alerter les parents des conséquences d’une diffusion d’images ou, plus généralement, de contenus relatifs à la vie privée de leur enfant dans l’espace numérique en raison des utilisations préjudiciables qui peuvent en être faites par la suite : harcèlement scolaire, détournement sur des sites pédocriminels, usurpation d’identité, atteinte à la réputation… Malheureusement, j’en oublie.
Il est particulièrement important que la sensibilisation soit organisée par l’État de manière uniforme sur tout le territoire, car les inégalités en fonction du milieu social sont très importantes en la matière, comme l’ont rappelé la Défenseure des droits et le Défenseur des enfants, que nous avons auditionnés.
Pour ma part, je souhaite exprimer trois requêtes au Gouvernement.
Ma première demande est la réactualisation du carnet de santé, qui n’a pas été mis à jour depuis 2018 : le conseil de ne pas mettre de téléviseur dans la chambre des enfants est totalement obsolète. Il faudrait passer à autre chose, à l’heure des tablettes et des smartphones, et prévoir une information précise sur l’utilisation des écrans et sur l’exposition à ces derniers.
Utilisons ce moyen important et encore sous format papier pour faire le lien entre parents, éducateurs, école… On ne peut pas en rester à la situation actuelle ; l’information serait ainsi diffusée à tous. Il faudrait à mon avis – je l’ai mentionné – deux volets : l’un sur la consommation d’écrans par les enfants en fonction de leur âge, l’autre sur le sujet de cette proposition de loi, à savoir l’exposition des enfants et de leur vie privée sur les réseaux sociaux.
Ma collègue Alexandra Borchio Fontimp a eu la même idée, déposant des amendements en ce sens, mais, comme il s’agit d’une mesure réglementaire, elle a été déclarée irrecevable au nom de l’article 41 de la Constitution. Nous ne pouvons donc pas en discuter aujourd’hui, même dans le cadre d’un amendement d’appel, ce que je regrette. Pour cette raison, monsieur le garde des sceaux, je vous demande que cette modification soit prise en compte.
Ma deuxième demande est l’élaboration d’un véritable programme de santé publique qui permettrait à chaque âge, de la crèche en passant par la maternelle jusqu’au lycée, d’établir des critères précis sur les connaissances que les enfants doivent acquérir, par exemple les dangers auxquels ils sont exposés : exposition aux écrans, harcèlement, alimentation, drogues…
Ma troisième demande est l’insertion dans le code de la santé publique d’un livre consacré aux politiques de protection et de prévention à mener en matière de numérique, notamment sur le temps d’exposition aux écrans et sur la protection de la vie privée des enfants. Il y a plusieurs années, lorsque j’étais députée, j’avais permis, dans le cadre de l’examen de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, la création d’un livre dans le code de la santé publique sur les troubles du comportement alimentaire. Désormais, il est plus qu’urgent d’accomplir la même chose pour le numérique. Cela relève du domaine législatif : aussi, j’espère que nous pourrons bientôt nous en charger. C’est pour cela que je regrette vraiment que nous n’ayons pas examiné un texte traitant le sujet dans son ensemble.
Vous l’aurez compris, si je suis convaincue par l’objet de cette proposition de loi, ses auteurs mettant le doigt sur un phénomène certes émergent, mais préoccupant, il me semble que, pour être efficace, la réponse ne peut pas être seulement législative et sectorielle, comme proposé. Elle doit être plus globale. Cependant, la proposition de loi que nous examinons a le mérite de favoriser une prise de conscience collective sur le droit à l’image des enfants. Bruno Studer lui-même l’a décrite comme « une loi de pédagogie » à destination des parents.
Je pense que nous pouvons souscrire à cet objectif en recentrant cette proposition de loi sur l’essentiel, sans oublier que veiller au respect de la vie privée de l’enfant fait déjà partie de la mission exercée conjointement par les parents dans le cadre de l’autorité parentale, à savoir « protéger [l’enfant] dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ». Il me semble que, puisque beaucoup d’entre nous ont été maires, nous connaissons bien ces paroles pour les avoir prononcées lors des mariages.
C’est pourquoi la commission a adopté l’article 1er qui vise à introduire la protection de la vie privée de l’enfant parmi les obligations des parents au titre de l’autorité parentale. Nous en avons préféré la rédaction initiale qui rattache la vie privée de l’enfant au « respect dû à sa personne », sans la placer sur le même plan que la sécurité, la santé et la moralité. En effet, pour assurer ces trois finalités fondamentales, les parents ont un devoir de surveillance dont le degré d’intensité varie selon l’âge, la maturité et la capacité de discernement de l’enfant. Ce devoir peut justifier une atteinte à la vie privée de l’enfant, par exemple pour vérifier avec qui il correspond ou qui il rencontre, dans le but de le protéger.
En revanche, la commission a supprimé l’article 2, qui n’est qu’une simple répétition, spécifiquement consacrée au droit à l’image, des dispositions des articles 371-1 et 372 du code civil. L’utilisation du code à des fins pédagogiques doit être limitée à l’essentiel. C’est déjà ce que vise l’article 1er.
À l’article 3, qui n’était qu’un simple rappel du droit existant, nous avons inscrit que « la diffusion au public de contenus relatifs à la vie privée de l’enfant », ce qui comprend photos et vidéos, nécessite l’« accord de chacun des parents ». Cette disposition éviterait toute divergence d’approche entre juridictions pour décider s’il s’agit d’un acte usuel ou non usuel et permettrait au parent non consentant de saisir le juge aux affaires familiales (JAF) d’une demande d’interdiction.
Il s’agirait là d’instaurer un véritable changement de paradigme pour mettre fin à l’insouciance avec laquelle les parents postent dans des proportions incroyables des photos de leur enfant sur les réseaux sociaux, comme vous l’indiquiez, monsieur le garde des sceaux. Ils seraient obligés de réfléchir ensemble avant de diffuser au public une image de leur enfant qui pourrait avoir des conséquences préjudiciables pour celui-ci. Je précise bien « au public » et non sur des réseaux privés, intrafamiliaux. Nous avons choisi une formulation large pour inclure toute information relative à la vie privée et couvrir ainsi toute situation, comme la divulgation d’un bulletin de santé.
La commission a supprimé l’article 4 qui tendait à permettre une délégation forcée de l’exercice du droit à l’image de l’enfant lorsque la diffusion de l’image de celui-ci porte gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale, ce qu’on appelle les prank. L’article ne semble en effet pas opérant : en pratique, cette délégation n’aurait que peu d’effet, puisque le parent continuerait à pouvoir filmer ou photographier l’enfant dans son quotidien et poster ces images sur les réseaux sociaux.
Par ailleurs, ce serait mettre sur le même plan des comportements de gravités très différentes, la délégation d’autorité parentale étant réservée au « désintérêt manifeste » des parents, à « l’impossibilité d’exercer tout ou partie de l’autorité parentale » ou au meurtre d’un parent par l’autre. Avouez que mettre les images à la suite serait un peu curieux.
Dans tous les cas, je rappelle que la diffusion d’images de l’enfant « port[ant] gravement atteinte à la dignité ou à l’intégrité morale de celui-ci » caractérise des carences éducatives qui peuvent justifier la saisine du juge des enfants en vue du prononcé de mesures d’assistance éducative. Il n’y a donc pas de vide juridique en la matière, ce qui nous a été confirmé lors de toutes les auditions que nous avons réalisées.
Enfin, pour compléter l’article 3 qui pose le principe d’un accord des deux parents pour publier une photo ou une vidéo d’un enfant, la commission a adopté un article 5 permettant à la Commission nationale de l’informatique et des libertés d’agir en référé dès lors qu’il y a une atteinte aux droits des mineurs en matière de données à caractère personnel, sans condition de gravité ou d’immédiateté. La Cnil pourrait sur cette base demander le blocage d’un site internet dont l’éditeur ne répondrait pas aux demandes d’effacement ou ne prouverait pas avoir l’accord des deux parents pour la publication relative à l’enfant.
Voilà, mes chers collègues, le texte que je vous invite à adopter. La question de la protection des enfants est importante ; aussi, je répète mes regrets de l’examiner de cette façon, elle qui touche chaque foyer en France et concerne tous les acteurs, quels qu’ils soient, à presque tous les âges. C’est vraiment dommage. Ensemble, nous aurions établi – je le pense – un texte qui aurait été adopté à la fois par l’Assemblée nationale et par le Sénat, et par tous les groupes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Dominique Vérien applaudit également.)