M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier Patrick Chaize pour le dépôt de cette proposition de loi, qui a le mérite de nous permettre de débattre d’une politique publique remarquable : le plan France Très Haut Débit, dont nous célébrons cette année le dixième anniversaire.
Cela m’offre l’occasion de rappeler à quel point ce plan est un très grand succès français : nous sommes passés de 1 million de foyers éligibles à la fibre en 2013 à 8 millions en 2017 et à 34 millions en 2022, faisant de la France le pays d’Europe le plus avancé en matière de déploiement de cette technologie.
Il s’agit sans doute du programme d’investissement le plus ambitieux et le plus important depuis le début du siècle : 34 milliards d’euros lui ont été consacrés, dont 65 % ont été pris en charge par le secteur privé, 25 % par les collectivités territoriales et 10 % par l’État.
C’est également l’un des chantiers industriels les plus ambitieux et les plus importants depuis le début du siècle, qui a mobilisé plus de 40 000 agents sur l’ensemble du territoire pour déployer des millions de prises de fibre optique. Ce succès est vraisemblablement le fruit d’un accord intelligent trouvé voilà dix ans entre l’État, les collectivités et les opérateurs.
Pour autant, ce que je viens de dire ne correspond pas au ressenti de certains de nos concitoyens. Comme le souligne la proposition de loi de Patrick Chaize, des problèmes de qualité très significatifs empoisonnent leur quotidien, en les empêchant d’être raccordés à la fibre ou en leur infligeant des coupures.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 20 000 notifications ont été inscrites sur le site de l’Arcep l’année dernière et des témoignages de problèmes de qualité liés à la fibre sont relayés dans les journaux chaque semaine. Il suffit d’aller à la rencontre de nos concitoyens pour prendre la mesure de leur exaspération quant à ces aléas. Où se situe la responsabilité de ces difficultés ?
Il convient d’abord d’examiner les acteurs en cause : d’un côté, les opérateurs d’infrastructure, qui déploient les réseaux, notamment jusqu’au point de mutualisation ; de l’autre, les opérateurs commerciaux, qui assurent le branchement au dernier kilomètre, en vertu du mode Stoc. Chacun rejette la faute sur l’autre.
Cependant, dans plus de 90 % des cas, les problèmes sont dus aux opérateurs d’infrastructure, en particulier à des réseaux très accidentogènes, souvent conçus à une époque antérieure au plan France Très Haut Débit, rendant le raccordement des foyers difficile et les exposant à des risques de coupures ou de défaillances. Cela permet de rendre compte de l’immense majorité des problèmes liés à la fibre.
Voilà pourquoi j’ai demandé voilà six mois aux opérateurs d’infrastructure dans les territoires où les réseaux sont les plus accidentogènes de me présenter ainsi qu’à l’Arcep un plan de reprise complète de ces réseaux.
Ces plans ont été présentés pour 450 000 locaux et commencent à être déployés ; les opérateurs d’infrastructures sont en train de reconstruire les réseaux. Sur les 450 000 prises concernées, 23 000 ont été révisées à ce stade. C’est encore peu, mais une fois ces plans achevés dans des territoires comme le Calvados, la Seine-Maritime ou l’Essonne, nous aurons résolu une partie importante du problème.
Dans leur minorité, les problèmes sont liés aux opérateurs commerciaux. C’est là le sujet de la proposition de loi que nous allons discuter. En raison de la rapidité des déploiements et de problèmes de responsabilité en cas de défaillance, qui ont bien été identifiés par l’auteur de la proposition de loi, il existe des situations de débranchements ou de coupures sauvages : les sous-traitants des opérateurs commerciaux se présentent devant une armoire pour opérer le raccordement d’un client dans des temps très contraints et le font parfois de manière non appropriée ou au détriment d’usagers déjà raccordés.
Pour résoudre cette minorité de problèmes de qualité de la fibre, on serait tenté de remettre en question l’organisation du déploiement entre opérateurs d’infrastructure et opérateurs commerciaux, que l’on appelle le mode Stoc. Depuis une décision de l’Arcep de 2015, l’opérateur d’infrastructure a certes la responsabilité de la qualité du réseau de bout en bout jusqu’au domicile, mais il ne peut s’opposer à ce que l’opérateur commercial installe le dernier kilomètre, en lien avec son client, sauf s’il le fait dans des conditions de qualité dégradées.
Le mode Stoc présente des inconvénients et des avantages. Son inconvénient majeur est que, lorsque survient une défaillance ou une coupure, l’opérateur commercial, en charge du dernier kilomètre, et l’opérateur d’infrastructure se renvoient la balle, ce qui retarde l’attribution des responsabilités et la réparation du dommage causé à l’usager. Il s’agit donc de résoudre cette difficulté relative à l’attribution des responsabilités.
Pour autant, les avantages du mode Stoc ont sans doute contribué à la rapidité du déploiement des réseaux de fibre optique sur l’ensemble du territoire. Cette technique offre de la simplicité pour l’usager, qui n’a qu’un seul interlocuteur pour son abonnement et son raccordement : son opérateur commercial.
De surcroît, la concurrence entre les opérateurs commerciaux pour raccorder au plus vite leurs clients a également contribué à la rapidité de déploiement du plan France Très Haut Débit.
Le Gouvernement, qui accueille les débats sur ces sujets, n’entend pas supprimer le mode Stoc, mais plutôt le corriger. Supprimer cet équilibre entraînerait en effet la réécriture d’un certain nombre de contrats, ce qui retarderait d’autant le déploiement du plan France Très Haut Débit, alors que l’objectif est plutôt de l’accélérer.
De plus, cela pourrait soulever des questions d’équité concurrentielle, car les opérateurs d’infrastructure pourraient être tentés de privilégier les clients de certains opérateurs commerciaux plutôt que d’autres, en raison de liens capitalistiques existants.
Cependant, il est nécessaire de le corriger. Si le Gouvernement propose des amendements sur les trois premiers articles de cette proposition de loi, sur lesquels son avis est réservé, il accueille très favorablement les articles 4 et 5. Ceux-ci renforcent les pouvoirs de l’Arcep pour sanctionner les opérateurs commerciaux qui ne respectent pas leurs responsabilités et améliorent la protection des usagers lorsque leur accès à la fibre est interrompu pendant une trop longue période.
Les amendements de Mme la rapporteure qui concernent en particulier les certificats de conformité ou de non-raccordement visent également à améliorer le mode Stoc pour le rendre plus opérant. Il s’agit d’arriver à la fin du plan France Très Haut Débit, qui n’est plus si lointaine. Il est essentiel d’y parvenir.
L’étape suivante consistera à décommissionner le réseau cuivre, qui coûte cher à entretenir et qui présente des coûts environnementaux et énergétiques significatifs. Pour ce faire, il est essentiel que chacun puisse accéder au très haut débit, en particulier à la fibre, dans les meilleures conditions. Aujourd’hui, 80 % des Français y sont éligibles ; l’objectif est d’atteindre 100 % à l’horizon 2025.
Les corrections qui seront apportées au mode Stoc aujourd’hui et durant la navette parlementaire sont donc bienvenues pour atteindre cet objectif d’aménagement numérique des territoires et d’égal accès pour tous les citoyens aux possibilités ouvertes par l’économie numérique.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme les crèches, comme la poste et comme les commerces de proximité, internet est devenu un service structurant des villes et des villages. Aujourd’hui, il est indispensable d’avoir une connexion internet.
Le déploiement de la fibre progresse plus ou moins vite selon les territoires, mais, globalement – cela a été dit –, sa dynamique est plutôt bonne depuis quelques années. Dans les zones d’appel à manifestation d’intention d’investissement (Amii), les opérateurs ont pris des engagements pour permettre ce développement. Dans les autres, les collectivités locales se sont emparées du sujet à bras-le-corps afin d’apporter les mêmes services dans les territoires ruraux.
Sur le papier, la répartition était équilibrée et a bien fonctionné, comme on peut le constater dans un territoire que je connais bien, l’Aisne, qui est l’un des départements ruraux les mieux fibrés de France.
Cependant, certains élus locaux ont fait remonter à plusieurs reprises des difficultés de raccordement. Ici, une personne est mécontente de constater que son voisin est bien raccordé tandis qu’elle ne l’est pas ; là, une autre qui a toujours eu la fibre s’en trouve soudainement privée. Enfin, on ne peut pas négliger l’impact qu’a eu la crise du covid sur le déploiement de la fibre.
En effet, l’Arcep, dans son dernier rapport, a constaté des ralentissements de déploiement, des problèmes techniques et des malfaçons. On peut en conclure que l’objectif initial d’une France où tous les foyers seraient fibrés en 2023 ne sera malheureusement pas atteint.
Au 31 décembre 2022, 79 % des foyers étaient raccordables à la fibre optique, mais « raccordables » ne signifie pas « raccordés ». Si plus de 15 millions de foyers sont bien reliés à la fibre, il ne faut pas oublier ceux qui attendent toujours un raccordement, ceux qui ont été raccordés, mais sont confrontés à des coupures, qu’elles soient prolongées ou non, ou encore ceux à qui l’on dit qu’ils ne sont pas prioritaires, qu’ils soient des particuliers ou des entreprises.
À l’heure du tout-numérique, cette situation, lorsqu’elle perdure, peut être très pénalisante tous secteurs confondus.
Aussi, au regard de cette situation, nous saluons le travail de notre collègue Patrick Chaize, auteur de cette proposition de loi, ainsi que celui de la rapporteure. Ce texte prévoit des mesures concrètes pour encadrer la sous-traitance et protéger les usagers.
Généralement, le problème, c’est le raccordement de la fibre jusqu’au domicile de l’abonné, dans la mesure où ce raccordement s’effectue dans une armoire dite spaghettis. Cette expression parle d’elle-même : cette armoire contient tellement de branchements et de fils qu’il peut être très compliqué de s’y retrouver. On a même vu des sous-traitants arracher un branchement pour le remplacer par un autre.
Le mode Stoc, régulièrement utilisé par les opérateurs d’infrastructure, implique l’intervention de sous-traitants, de sorte que l’on s’éloigne de la chaîne initiale ayant déployé le réseau. Il est donc nécessaire de poser clairement le principe de responsabilité des opérateurs d’infrastructure tout en apportant des garanties aux abonnés. Cela passe par la mise en place d’un socle d’exigences minimales, lequel est donc bienvenu dans ce texte.
Les techniciens qui interviennent doivent en effet disposer d’une formation adéquate pour effectuer « dans les règles de l’art » la réparation ou le raccordement requis.
Pour rendre effectif ce socle d’exigences, il est important de prévoir un suivi et un partage des données entre l’opérateur qui a déployé la fibre et celui qui effectuera le raccordement depuis la rue jusqu’au domicile. Le compte rendu d’intervention est la première étape pour garantir ce suivi.
Il faudra également veiller à ce que les contrôles soient effectifs et suivis d’effet. Nous espérons ainsi que l’Arcep disposera des moyens financiers suffisants pour mener à bien cette mission.
Le cas échéant, il nous faudra nous poser la question du préraccordement, c’est-à-dire de la possibilité d’aller jusqu’au domaine privé pour installer préalablement les équipements qui permettront le raccordement, comme une prise terminale optique. Cela facilitera le travail effectué ensuite par l’opérateur.
Enfin, le texte prévoit des mesures qui s’appliqueront aux collectivités par le biais des réseaux d’initiative publique. Pour notre part, nous soutenons la mesure de bon sens qui consiste à assurer la transmission à la collectivité territoriale du calendrier hebdomadaire des interventions dans un délai de quarante-huit heures, lorsqu’elle en a fait la demande.
Aussi l’ensemble des élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires votera-t-il cette proposition de loi. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fibre optique est devenue le principal réseau d’accès à internet pour les Français : le taux de locaux raccordables approche aujourd’hui les 80 %. Mais si le déploiement de la fibre progresse bien à l’échelle nationale – cela a été dit –, de fortes disparités régionales demeurent. Selon le rapport de France Stratégie de 2023, certains départements à dominante rurale dépendent toujours à plus de 25 % du réseau cuivre.
Je le souligne ici, et je sais que nous partageons cette analyse, le non-accès à la fibre porte gravement atteinte à un aménagement équilibré du territoire et constitue une rupture d’égalité qui ne peut être tolérée.
Le cap de 2025 a été fixé pour la généralisation de la fibre afin de garantir son accès à tous les usagers. Il est de notre responsabilité, ici, au Sénat, de nous assurer du respect de cet objectif. Nous avons tous en tête la situation intolérable des zones blanches pour le réseau sans fil : il s’agit de ne pas la reproduire. Cette proposition de loi prend en compte cette préoccupation et je remercie son auteur, ainsi que la rapporteure, pour leur travail et leur engagement.
Avec le plan France Très Haut Débit, les opérateurs commerciaux sont arrivés massivement sur le marché des réseaux de fibre optique. Cette accélération s’explique par une spécificité française : dans la pratique, l’opération de raccordement final du client est confiée à l’opérateur commercial. En d’autres termes, la partie la plus importante et délicate pour le consommateur est sous-traitée par l’opérateur d’infrastructure.
Cette sous-traitance – le mode Stoc – est non seulement une exception française, mais également une dérogation à notre mode de fonctionnement traditionnel sur les autres réseaux, qu’il s’agisse des réseaux de gaz, d’électricité ou d’eau.
Depuis sa mise en place en 2015, cette méthode est source de nombreuses difficultés – coupures inopinées, techniciens peu scrupuleux, raccordements impossibles ou malfaçons –, qui mettent à mal le déploiement de la fibre. Du fait des nombreux litiges entre opérateurs et usagers – nous en connaissons tous des exemples dans nos territoires –, certaines collectivités ont tiré le signal d’alarme.
Face à l’accroissement du nombre des signalements, l’Arcep a réuni les opérateurs d’infrastructure et les opérateurs commerciaux dès 2019 en vue d’améliorer l’exploitation des réseaux et de résoudre les difficultés. Manifestement, les démarches entreprises par les opérateurs en concertation avec le Gouvernement sont insuffisantes, comme l’a souligné l’auteur de ce texte, Patrick Chaize, que je remercie encore. Nous serons donc attentifs à l’avenir du plan d’action pour améliorer la qualité des réseaux fibre, que les acteurs de la filière ont remis au Gouvernement en septembre 2022.
Dans ce contexte particulier, qui requiert des mesures fortes et efficaces, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires accueille positivement cette proposition de loi. Elle doit permettre d’améliorer le déploiement du plan France Très Haut Débit et de limiter les difficultés et les dysfonctionnements liés à ces raccordements.
Ce texte apportera des outils législatifs pour réguler et contrôler les opérateurs et leurs sous-traitants, pour renforcer les pouvoirs de l’Arcep et mieux protéger les consommateurs, et ainsi rassurer les collectivités particulièrement affectées par ces désordres.
Nous saluons le travail effectué en commission sous l’impulsion de Mme la rapporteure, qui a consolidé le dispositif d’encadrement des raccordements à la fibre tout en veillant à ne pas ralentir le déploiement de cette technologie, à deux ans de l’achèvement du plan et alors que la fermeture du réseau cuivre est imminente.
Pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, il est essentiel de renforcer la garantie de la qualité du raccordement grâce à des pouvoirs accrus de l’Arcep et d’améliorer la formation des intervenants chargés de l’installation de la fibre. J’insiste sur ce point.
Par ailleurs, les collectivités, en particulier dans les zones rurales, ont été affectées par la mauvaise gestion du déploiement de la fibre, car c’est vers elles que se sont souvent tournés ceux qui ont rencontré des difficultés de connexion. Il est donc essentiel de consulter davantage les élus locaux et, après un constat de carence dans les zones d’initiative privée, de prévoir de nouveaux appels à manifestation d’intérêt.
Pour la protection des consommateurs, notre groupe proposera un amendement travaillé avec l’UFC-Que Choisir visant à modifier les seuils de sanction en cas d’interruption du service d’accès à internet. Une protection efficace des consommateurs paraît nécessaire, car la perte d’une connexion à internet a des conséquences autres que le seul fait de devoir payer un abonnement pour un service qui ne fonctionne pas, notamment pour les petites entreprises et pour les artisans.
L’absence d’accès à internet affectant la vie quotidienne des personnes, il faut insister encore davantage sur la mise en œuvre du raccordement de tous les foyers.
Nous aurions pu, dans le cadre de notre débat, aborder d’autres sujets, notamment le choix du mode Stoc ou encore la hausse de la consommation d’énergie liée au passage au numérique, même si la fibre consomme quatre fois moins d’énergie que le réseau cuivre, mais nous n’avons pas le temps pour tout cela, monsieur le président.
En conclusion, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte, qui va dans le bon sens.
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Frédéric Marchand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2013, l’État s’était engagé à couvrir intégralement notre territoire en très haut débit à moyenne échéance grâce au plan France Très Haut Débit. Les objectifs fixés étaient les suivants : le raccordement de 100 % des 35 millions de logements et locaux à usage professionnel, dont 80 % en fibre optique jusqu’à l’abonné en 2022, et la généralisation de la fibre optique en 2025.
En somme, il s’agissait de faire en sorte que, d’ici à deux ans, tous les Français, notamment ceux qui habitent en zone rurale, puissent bénéficier d’une connectivité numérique performante, chez eux comme sur leur lieu de travail.
Pour rappel, il y a dix ans, le plan prévoyait initialement 20 milliards d’euros d’investissements publics et privés, dont 3,3 milliards de subventions de l’État à destination des collectivités locales dans les zones dites non conventionnées.
Dans un rapport publié en janvier 2017, la Cour des comptes avait toutefois substantiellement réévalué le coût du plan à 35 milliards d’euros, et estimé que si l’objectif intermédiaire d’une couverture de 50 % du territoire était atteint, l’objectif en matière de très haut débit fixé pour 2022 semblait compromis par l’insuffisance du co-investissement privé.
Dans le cadre du plan de relance présenté en septembre 2020, le Gouvernement a amplifié son effort et mobilisé 420 millions d’euros pour soutenir les collectivités locales qui en avaient le plus besoin, n’ayant pu encore viser la généralisation de la fibre. Je pense à la Bretagne, à Mayotte et à l’Auvergne à titre d’exemples.
Quel constat faisons-nous aujourd’hui ? L’objectif d’une couverture de 80 % du territoire en fibre optique était quasi atteint au 31 décembre 2022, ce qui place la France à la tête des pays les plus fibrés en Europe.
Néanmoins, « raccordable » ne veut pas dire « raccordé » et l’on observe encore des disparités territoriales fortes entre, d’une part, les zones très denses et les zones moins denses d’initiative privée, où les taux de couverture des locaux sont respectivement de 91 % et 87 %, d’autre part, les zones moins denses d’initiative publique, où le taux de couverture est de 68 %. Il faut toutefois noter que ces dernières connaissent le taux de déploiement le plus dynamique, qui était de 73 % en 2022.
L’objectif d’une couverture de 100 % du territoire par la fibre en 2025 est quasi atteignable, en dépit des 670 000 locaux identifiés comme difficilement raccordables, lesquels devraient faire l’objet de mesures spécifiques et être couverts à l’horizon 2026.
S’il est incontestable que la France a mis en œuvre une dynamique puissante de déploiement de la fibre, force est aussi de constater – c’est l’objet de cette proposition de loi – que des difficultés opérationnelles sont apparues, parfois de manière intolérable, notamment pour les collectivités territoriales qui s’en sont fait l’écho.
En effet, le modèle de déploiement de la fibre repose principalement sur la sous-traitance – ce qu’on appelle le mode Stoc –, laquelle subit une forte pression sur les prix de la part des donneurs d’ordre.
Or la sous-traitance ne permet pas un contrôle optimal de la formation des techniciens chargés d’effectuer les raccordements, ce qui entraîne des malfaçons non seulement sur le réseau, mais aussi parfois sur les infrastructures situées à proximité, à l’instar des tableaux électriques ou des réseaux de gaz.
Si l’Arcep recommande un plafond de deux rangs de sous-traitance, l’Autorité indique avoir observé des opérations portant à cinq, voire à six, le nombre de rangs de sous-traitance.
Les points de mutualisation situés en pleine rue concentrent les branchements des câbles de fibre optique et les difficultés opérationnelles : entre les dégradations des armoires techniques et les débranchements sauvages, les particuliers comme les élus locaux sont nombreux à faire part de leur mécontentement. Les témoignages concernant des dégradations, des incivilités ou des malfaçons sont fréquents, autant d’actes dont les techniciens des sous-traitants sont très souvent à l’origine.
La proposition de loi que nous examinons sur l’initiative de notre collègue Patrick Chaize intervient à la suite de ces différents constats.
Notre collègue, également président de l’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (Avicca), est un fin connaisseur des questions liées à la fibre. Son expertise sur les problèmes de raccordement aux réseaux de fibre optique et d’exploitation de ces derniers, ainsi que son exigence sur la qualité de service, a constitué un éclairage qui porte déjà ses fruits.
En effet, grâce à la description alarmante de la situation en matière de raccordement des abonnés à la fibre optique effectuée dans l’exposé des motifs de la proposition de loi de juillet 2022, les acteurs de la filière ont pris pleinement conscience des difficultés rencontrées par certains usagers, de leur insatisfaction et des légitimes préoccupations des élus locaux, de même que de la vigilance des parlementaires sur ce sujet.
Face au tableau parfois sombre qui est fait du déploiement de la fibre, les opérateurs se devaient de réagir. En septembre dernier, un plan d’action a donc été décidé par les acteurs de la filière, qui repose notamment sur la prise de photos avant et après l’opération, lesquelles sont jointes au compte rendu d’intervention, et sur la remise en état des points de mutualisation.
La Fédération française des télécoms vient aussi de publier des grilles de compétences à destination des donneurs d’ordre, qu’il s’agisse des opérateurs commerciaux ou des opérateurs d’infrastructure, et de leurs prestataires. Le référentiel concernant les sous-traitants porte notamment sur la formation de leurs techniciens, sur les règles de sécurité et d’ingénierie pour les travaux optiques ou sur les bonnes pratiques lors de travaux chez le client. Ce référentiel sera en application à la fin du mois.
De la même manière, le renforcement du pouvoir de contrôle et de sanction de l’Arcep va indéniablement dans le bon sens.
À l’heure où nous examinons cette proposition de loi, ces dispositions sont mises en œuvre, mais il faudra bien évidemment un certain temps pour les évaluer correctement et pour que l’on puisse mesurer si la prise de conscience de la filière et les mesures engagées permettent de mettre fin aux dysfonctionnements dénoncés.
On pourrait nous opposer que les dispositions que nous examinons aujourd’hui risquent de ralentir le déploiement de la fibre en raison d’effets de bord préjudiciables. Les opérateurs d’infrastructure, s’ils souscrivent à l’ambition du texte, ont en effet manifesté leur crainte que certains mécanismes prévus dans cette proposition de loi ne finissent par complexifier leur tâche.
Mais nous savons bien, et cela vaut aussi pour les opérateurs, que là où il y a une volonté, il y a un chemin.
En définitive, le constat effectué dans la proposition de loi de juillet 2022 était le bon : il était clairement nécessaire. Celle-ci a d’ores et déjà produit des effets, manifestement dans le bon sens, puisque le Gouvernement a obtenu un certain nombre d’engagements et de concessions de la part des opérateurs.
Il nous appartient donc de donner des signes de notre volonté d’agir. À cet égard, et même si certains peuvent juger raisonnable de laisser du temps à la filière pour poursuivre la résolution des dysfonctionnements constatés en juillet 2022, ce texte est un bel accélérateur pour faire et bien faire.
C’est pourquoi le groupe RDPI votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Michel Houllegatte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le numérique, qu’on appelait il y a encore une décennie les nouvelles technologies de l’information et de la communication, connaît un essor considérable et conditionne désormais notre développement économique et notre vie sociale. Le numérique prend appui sur le triptyque que constituent les infrastructures, les services et les usages.
Le déploiement des infrastructures permettant le haut débit est un préalable et une nécessité pour permettre aux opérateurs et aux sociétés dédiés de proposer des services et aux utilisateurs de s’approprier des usages dont on n’imaginait pas l’étendue il y a encore quelques années.
Ce déploiement vital des infrastructures s’effectue en un temps record si on le compare au déploiement d’autres infrastructures tout aussi déterminantes. Ainsi, sans parler du réseau ferroviaire, qui a quadrillé la France en quatre-vingts ans, le réseau électrique s’est déployé sur un bon demi-siècle, de même que le réseau d’adduction d’eau potable.
Il faut remonter à 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, et au volontarisme de l’époque dans le cadre de la modernisation du réseau téléphonique commuté, qui a permis en six ans de passer de 6 millions à 20 millions de lignes, pour connaître une telle rapidité.
Le lancement du plan France Très Haut Débit en 2013, sous François Hollande, s’inscrivait dans la continuité de la volonté d’un État stratège, qui visait à couvrir l’intégralité du territoire en très haut débit en moins d’une décennie.
Ce plan, il faut le reconnaître, est un succès et le rythme des déploiements s’est accéléré. Ainsi, en 2022, ce sont 4,7 millions de foyers supplémentaires qui ont été raccordés à la fibre optique. Désormais, près de 80 % des locaux sont raccordés et ce taux devrait approcher les 95 % à 98 % en 2025.
Malheureusement, et c’est l’objet de cette proposition de loi, la qualité des raccordements finaux n’est pas toujours au rendez-vous, ce qui entache le succès du plan France Très Haut Débit et génère la colère et la frustration de bon nombre de nos concitoyens.
Il semble en effet que nous ayons confondu vitesse et précipitation, et que l’atteinte d’objectifs chiffrés l’ait emporté sur la qualité du raccordement final proposé à l’usager.
Les faits sont désormais objectivés et le mode de sous-traitance à l’opérateur commercial, censé éviter au domicile de l’usager la double intervention de celui qui livre l’infrastructure de raccordement final et de celui qui propose l’ouverture du service à un opérateur, a démontré ses limites. Les vents de l’ubérisation de la sous-traitance et du partage non équitable de la valeur ont également soufflé sur le secteur des télécommunications, comme sur bien d’autres, hélas !
Dès lors, face aux dysfonctionnements constatés, fallait-il légiférer ou se contenter de contester, d’interpeller les acteurs, dont les opérateurs, de faire les gros yeux et d’en appeler au régulateur ?
Certains pensent qu’une loi n’est peut-être pas nécessaire et que désormais, les choses ayant été dites et les acteurs du secteur ayant pris conscience de la gravité du problème, le système devrait s’autoréguler : des mesures correctives, telles que des chartes de bonnes pratiques et des engagements à agir devraient permettre de résorber les dysfonctionnements constatés. Ces engagements sont les bienvenus, mais sont-ils suffisants ?
Permettez-moi d’établir un parallèle avec un sujet qui nous a mobilisés il y a deux ans : la réduction de l’empreinte environnementale du numérique. Le Sénat – souvenez-vous-en –, dans le cadre d’une mission d’information, avait mis en évidence cet angle mort de nos politiques publiques, à savoir que si le numérique contribuait à réduire notre empreinte carbone par les services qu’il offrait, il n’en constituait pas moins, à lui seul, un contributeur dont l’empreinte allait s’accentuant avec la multiplication des terminaux consommateurs de matières premières. La mission d’information avait largement contribué à sensibiliser l’ensemble des acteurs de la filière, qui s’étaient empressés de se doter de plans d’action ambitieux, et l’on doit s’en féliciter.
Mais le rôle du Parlement n’est pas celui d’un lanceur d’alerte qui se contenterait de sensibiliser les acteurs pour les conduire à s’autoréguler. Les travaux de la mission d’information ont donc abouti à l’adoption de la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France.
Il est donc nécessaire de légiférer. À cet égard, nous pouvons nous féliciter du dépôt de la présente proposition de loi. En votant une loi, nous ne dévoyons pas notre action, nous ne faisons pas non plus preuve de naïveté. La loi permet d’encadrer, de responsabiliser et de protéger dans un souci d’équilibre. Tel est bien ce que prévoient les différents articles de ce texte.
C’est pourquoi les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain abordent de façon positive la discussion de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi qu’au banc des commissions.)