M. le président. Je mets aux voix la motion n° 162, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 137 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 93 |
Contre | 251 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Poncet Monge et M. Vogel, MM. Gontard, Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco et MM. Dossus, Fernique, Labbé, Parigi et Salmon, d’une motion n° 125.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 368, 2022-2023).
La parole est à M. Daniel Breuiller, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Breuiller. « Ils vont nous prendre nos deux plus belles années de retraite », me disait la semaine dernière une agente territoriale spécialisée des écoles maternelles (Atsem) de la ville d’Arcueil. (Vives exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande, par cette motion tendant à opposer la question préalable, que ce projet de loi soit rejeté et que le Gouvernement soit renvoyé à la nécessité de reprendre le dialogue avec les organisations syndicales – ne vous en déplaise, chers collègues !
Ce serait un message fort adressé à nos concitoyens, qui sont massivement opposés à cette réforme : le témoignage que nous écoutons leurs aspirations et leurs colères.
En effet, en repoussant de deux ans l’âge d’ouverture des droits à la retraite, ce texte n’a ni plus ni moins pour objet que de faire peser l’équilibre du système de retraite sur le dos des travailleurs, plutôt que sur le capital.
Cette réforme, présentée initialement comme une réforme de justice, malmènera en fait nos concitoyens : d’abord, et même principalement, les femmes ; ensuite, celles et ceux qui souffrent au travail, celles et ceux dont le corps est un outil, celles et ceux dont les gestes répétitifs abîment les épaules et le dos, mais aussi celles et ceux qui vivent dans la tension permanente du résultat, sans toujours percevoir le sens de leur travail.
Les Françaises et les Français nous parlent de leur vie. Le Gouvernement leur répond comptabilité…
Au fond, cette réforme comptable et financière avait déjà été annoncée dans cet hémicycle par Bruno Le Maire, à l’occasion de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) : non pour équilibrer le régime des retraites, puisque le système actuel n’est pas en danger – les dépenses ne dérapent pas, et des recettes sont possibles, à condition de se pencher sur le problème –, mais bien pour faire baisser les dépenses publiques et respecter les objectifs du pacte de stabilité et de croissance (PSC).
Ce qui dérape, c’est la dette publique, et cela parce que vous multipliez les baisses d’impôts pour les entreprises du CAC 40, dont les bénéfices battent pourtant tous les records.
Avec 59,8 milliards d’euros de dividendes versés, la France détient le record d’Europe. La seule suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) représente quasiment la totalité des économies visées par cette réforme ; des économies que vous faites payer cash aux salariés en prenant deux ans de leur vie.
Cette vision comptable, dans un petit texte rectificatif, fait l’impasse sur la question essentielle, celle du partage de la richesse produite et de l’accumulation de richesses pour quelques-uns.
Elle fait également l’impasse sur l’immense apport non monétarisé des jeunes retraités à la société, au travers des associations, de la garde des petits-enfants, des conseils municipaux, de l’aide aux parents en fin de vie et de tant d’autres activités.
Par cette motion, nous nous opposons à un projet de loi qui, contrairement aux annonces de l’exécutif, ne permettra ni d’équilibrer financièrement le système ni de garantir une retraite minimum de 1 200 euros. Cette annonce des 1 200 euros pour tous – on ne peut pas vivre dignement avec moins ! – avait suscité de l’espoir. Voilà un débat pour une République solidaire !
Nous ne refusons pas la discussion : nous revendiquons un débat parlementaire portant sur une réforme du travail et des retraites.
Ouvrons un débat sur le travail, sur les questions de sens et sur l’équilibre entre travail et vie personnelle, comme le font plusieurs pays d’Europe en expérimentant à grande échelle la semaine de quatre jours.
Ouvrons le débat sur la possibilité pour les salariés d’être associés aux choix stratégiques des entreprises et sur la façon de conserver l’expertise des seniors dans l’entreprise, plutôt que de les mettre au chômage.
Ouvrons même le débat sur cette volonté folle de produire et de consommer toujours plus, alors même que ce productivisme nous conduit dans des impasses dangereuses pour la planète et que le dérèglement climatique bouleverse même les conditions d’exercice du travail.
Ouvrons ces débats avec les partenaires sociaux, et plus largement avec nos concitoyens. Ils ont des idées, et même des propositions à faire valoir.
Nous appelons ces débats de nos vœux, mais on ne saurait les avoir à l’occasion de l’examen d’un simple texte rectificatif du budget de la sécurité sociale.
Messieurs les ministres, votre réforme malmène la démocratie !
Elle affecte tout d’abord la démocratie sociale. Aucune réforme ne s’est jamais faite contre l’ensemble des organisations syndicales. Ce simple fait disqualifie ce texte. La démocratie contre l’immense majorité des Français, la démocratie contre les partenaires sociaux, ce n’est déjà plus la démocratie.
Elle constitue en outre un choix très dangereux lorsque le Rassemblement national est aux portes du pouvoir.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. Roger Karoutchi. Oh, ça…
M. Daniel Breuiller. Messieurs les ministres, vous malmenez aussi la démocratie parlementaire, et d’abord par le choix d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
Un projet rectificatif est fait pour rectifier. Qu’allez-vous rectifier d’un point de vue financier avec l’index seniors ? Rien !
Qu’allez-vous rectifier avec la suppression des régimes spéciaux en 2023 ? Rien non plus, puisque la clause du grand-père maintient heureusement les régimes spéciaux des salariés qui en bénéficient déjà.
Au-delà du fond de cette réforme, le véhicule législatif que vous utilisez est problématique. Depuis la création des lois de financement de la sécurité sociale, c’est la première fois qu’un tel texte sert de support législatif pour une réforme des retraites. Les lois de 2003, 2010 et 2014 étaient toutes des lois ordinaires, non des lois de financement rectificatives de la sécurité sociale.
Rien ne justifie ce modus operandi, et le recours à ces contournements parlementaires envenime les débats dans les hémicycles. Il est urgent de sortir de ce climat détestable, qui affaiblit la démocratie représentative.
L’usage de l’article 47-1 de la Constitution aggrave la situation, en corsetant le temps des débats.
Depuis la constitution de ce gouvernement, aucune loi financière n’a échappé à l’application de l’article 49.3.
Contraint par des irrecevabilités financières et matérielles, le Parlement est déjà affaibli dans ses pouvoirs d’initiative et d’amendement. Je voudrais rappeler les mots simples de l’article 24 de la Constitution : « Le Parlement vote la loi. » Nous appelons la présidence à conserver sa vigilance, dans la défense de la plénitude et de la qualité du travail parlementaire.
Nous nous inquiétons aussi, d’ailleurs, du danger de transférer, par ces procédures accélérées, l’arbitrage de nos débats parlementaires au Conseil constitutionnel, qui fait aujourd’hui quasiment office de troisième chambre.
Bien sûr, messieurs les ministres, malgré ces véhicules législatifs contestables, vous trouverez une majorité dans notre Haute Assemblée. L’appui de la droite vous semble promis, puisque vous faites une réforme de droite.
C’est d’ailleurs quasiment celle qui a été présentée ici même par notre collègue René-Paul Savary voilà trois mois, ainsi qu’au cours des années précédentes !
M. René-Paul Savary, rapporteur. C’est exact !
M. Daniel Breuiller. Or le Gouvernement avait alors qualifié cette réforme de « prématurée ».
Que la majorité sénatoriale utilise, depuis des années, le projet de loi de financement de la sécurité sociale, et non, comme vous le faites, un projet de loi de financement rectificative, pour avancer ses propositions d’allongement de la durée du travail est compréhensible.
Les débats au Sénat ont beau être feutrés, les propositions qui y sont faites sont socialement très dures, et nous les combattons naturellement.
Toutefois, que le Gouvernement, qui a la maîtrise de l’ordre du jour du Parlement, refuse la présentation d’un texte de loi ordinaire, qu’il corsète et limite les possibilités du débat n’est pas acceptable pour quiconque défend un véritable parlementarisme.
Le Conseil d’État et le président du Conseil constitutionnel ont alerté le Gouvernement : les articles non financiers relatifs à l’index des seniors ou à la modification des critères de pénibilité devraient être supprimés pour raison d’inconstitutionnalité. Vous avez d’ailleurs choisi, monsieur le ministre, de ne pas rendre public l’avis du Conseil d’État.
En augmentant le risque d’inconstitutionnalité de plusieurs de ses articles, ce texte se verrait amputé des rares mesures d’atténuation de la brutalité de la réforme. Cela renforcerait encore son déséquilibre en défaveur du monde du travail et porterait atteinte à la sincérité des débats.
Notre interpellation s’adresse donc également à la majorité sénatoriale, pour lui rappeler le nécessaire respect du pluralisme, garant de la qualité de nos travaux et des débats de notre assemblée.
Nous devrions partager ici l’exigence d’un véritable texte dédié aux évolutions du travail et à la gestion des retraites, au lieu de subir un passage en force par l’usage d’un simple texte rectificatif.
Messieurs les ministres, pour éviter le blocage du pays, il existe un moyen simple : bloquer cette réforme injuste, injustifiée et mal présentée.
Mes chers collègues, en votant cette motion tendant à opposer la question préalable, nous redonnerons du temps au débat avec les partenaires sociaux.
Toute l’histoire du travail est faite de conquêtes successives de gains de productivité, essentiellement au service de l’amélioration des conditions de vie et de la diminution du temps de travail, de la libération du temps pour les humains.
Cette loi fait l’inverse. Entendons les millions de manifestants et l’immense majorité du pays ! Répondons à l’inquiétude des gens qui refusent cette réforme et redoutent de se faire voler, oui, mes chers collègues, les deux plus belles années de leur vie à la retraite.
« Combien de temps… Combien de temps encore, des années, des jours, des heures, combien ? Quand j’y pense, mon cœur bat si fort… Mon pays c’est la vie. Combien de temps… Combien ? », chantait Serge Reggiani.
Combien sont-elles ? Combien sont-ils aujourd’hui, face à votre réforme, à se poser cette question : combien de temps me restera-t-il, comme le dit la chanson, pour « rire, courir, pleurer, parler, et voir et croire et boire, danser » ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission, contre la motion.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’objet d’une question préalable est de décider qu’il n’y a pas lieu de débattre.
Or c’est au contraire le rôle du Parlement et des parlementaires, en particulier des sénatrices et des sénateurs, que de débattre et de se prononcer sur un projet de réforme important pour notre pays et pour nos concitoyens.
Madame Assassi, vous avez évoqué le mode d’élection des députés et souligné qu’il est important qu’ils débattent et se prononcent. Nous, sénateurs, avons les mêmes valeurs. Le bicamérisme est une force. Il est important dans les grandes démocraties, et nombre des citoyens des pays totalitaires au parti unique nous l’envient, même s’ils n’ont pas le droit de le dire.
La mission de la démocratie représentative est d’assurer la pluralité des débats selon des règles claires, respectueuses du rôle et des positions de chacun. Ce serait nous dérober que de refuser d’assumer cette mission.
Les auteurs de la motion considèrent qu’« il paraît inutile de procéder à toute délibération au fond ». Je pense au contraire que cette délibération est utile et nécessaire.
Je note au demeurant que plus de 4 700 amendements ont été déposés par les différents groupes. Cela me paraît attester d’une préférence partagée pour la tenue d’une délibération…
J’invite donc le Sénat à examiner ce texte en se prononçant contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. David Assouline. Quelle déception ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. René-Paul Savary, rapporteur. Monsieur le sénateur Breuiller, vous m’avez interpellé. Nous sommes, nous aussi, confrontés à celles et ceux qui sont concernés par la réforme.
Dites à l’aide-soignante ou à l’Atsem que vous avez citée que l’allongement de deux ans de sa durée de cotisation est le résultat de l’application de la réforme Touraine, qui la contraint à travailler pendant quarante-trois ans ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Annick Jacquemet et MM. Hervé Marseille, Thani Mohamed Soilihi et Martin Lévrier applaudissent également.)
Rassurez-la : avec le décalage de l’âge légal de départ, elle devra travailler non pas deux ans de plus, mais peut-être quelques mois seulement. La réforme, en revanche, lui garantira une meilleure pension de retraite ! (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Par ailleurs, vous proposez d’augmenter les taxes. De grâce, soyez réalistes ! Par principe, le régime par répartition repose non pas sur l’impôt, mais sur les cotisations. Telle est la différence entre le système bismarckien et le système beveridgien.
En conséquence, quand la longévité s’accroît tandis que la natalité baisse, vous pouvez taxer tout ce que vous voudrez, ce sera comme remplir un puits sans fond ! C’est la raison pour laquelle il convient de prendre des mesures paramétriques. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Fabien Gay. C’est faux !
M. David Assouline. Taxons les milliardaires !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Enfin, vous avez dit que le débat était tronqué, compte tenu du nombre d’heures limité qui lui est consacré. Nous disposons pourtant pour débattre, mes chers collègues, de plus de cent heures, soit, comme l’a rappelé Catherine Deroche, plus de trois fois le temps alloué à la discussion d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale.
M. David Assouline. Ce n’est pas assez !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Ce n’est pas assez, certes, pour examiner 4 800 amendements… Si vous voulez discuter jusqu’au bout, n’hésitez donc pas à retirer ceux qui sont redondants ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
La commission émet par conséquent un avis défavorable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes RDPI, UC, INDEP et RDSE.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre. L’avis du Gouvernement sera évidemment défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.
Nous considérons qu’il est à la fois urgent et nécessaire d’examiner ce projet de réforme des retraites, afin de préserver le système par répartition.
Monsieur le sénateur, vous avez évoqué l’accès à un certain nombre d’informations. Il est de mon devoir de vous préciser que, en matière de loi de financement de la sécurité sociale comme de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, l’avis du Conseil d’État n’est pas requis. Ce dernier remet au secrétariat général du Gouvernement une note de synthèse que, de par leurs fonctions, et sur demande – cela a été fait à l’occasion du débat à l’Assemblée nationale –, un certain nombre de parlementaires peuvent consulter.
Vous avez évoqué par ailleurs la question de la recevabilité. Il serait redondant de répéter les éléments apportés par Mme la rapporteure générale en réponse à Mme Éliane Assassi, mais ce sont les mêmes qui justifient l’avis tout aussi défavorable du Gouvernement.
Enfin je partage les arguments exposés par Mme la présidente de la commission des affaires sociales pour justifier son avis.
Monsieur le sénateur, vous avez conclu votre intervention en citant Serge Reggiani. Celui-ci chantait aussi Il suffirait de presque rien…
Effectivement, il suffirait de presque rien pour que nous puissions entrer dans le débat : simplement le rejet de la motion ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il faudrait citer la chanson en entier !
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Messieurs les ministres, il est vrai que, au sein du groupe socialiste, habituellement, on aime débattre. Nous allons le faire, d’ailleurs, et nous appelons au débat.
Cette fois cependant, il se trouve que le débat est tronqué. Nous abordons en effet l’une des périodes les plus importantes de la vie d’un salarié, pendant laquelle il aspire à se reposer : la retraite.
Or nous allons parler non pas retraites, mais chiffres. Vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre du travail : « Nous aurions dû parler du travail, de la vie, mais nous n’allons surtout pas en parler. »
Dans ces conditions, non, nous n’avons pas envie de parler des retraites. Vous faites porter les efforts uniquement sur les salariés, sans jamais remettre en cause votre politique fiscale. Vous protégez toujours les mêmes et vous soumettez toujours les mêmes.
Vous refusez d’examiner des solutions de financement. À cet égard, cher collègue René-Paul Savary, il faudra se poser un jour la question : on ne pourra pas indéfiniment faire travailler les gens plus longtemps !
Je vous le demande donc et vous le demanderai souvent lors de ce débat : jusqu’à quel âge pensez-vous que les travailleurs de première ligne, notamment, pourront travailler ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous contraignez toujours ceux qui travaillent depuis longtemps, ceux qui exercent les métiers les plus difficiles et les moins bien rémunérés.
En clair, vous ne nous donnez pas le choix. Débattre, c’est choisir ! Or ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale ajoute des années de travail, maintient le mode de financement qui cible toujours les mêmes et fait travailler toujours les mêmes.
M. David Assouline. Vous ne voulez pas taxer le capital !
Mme Monique Lubin. Faute de choix à faire, nous ne pouvons débattre correctement. Nous voterons donc cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Messieurs les ministres, nous sommes d’accord avec vous : nous aussi, nous voulons un débat. Mais pour débattre, il faut être deux.
Nous avons donc des questions et nous espérons obtenir quelques réponses. Par exemple, qui percevra les 1 200 euros ? Tout le monde, comme vous l’avez fait croire au début, ou seulement 20 000 personnes, comme l’a démontré le député Guedj à l’Assemblée nationale ?
Il suffit d’observer les résultats de l’index sur l’égalité salariale femmes-hommes pour douter de l’utilité d’un index pour l’emploi des seniors…
Comment vous croire quand vous dites, la main sur le cœur, vouloir défendre la retraite par répartition, alors que le même casting ministériel nous disait, en 2019, qu’il fallait absolument passer à la retraite par capitalisation et à la retraite par points ?
Qui croire encore quand vous parlez de justice sociale et que vous vous apprêtez à voler leurs deux plus belles années de vie aux travailleuses et travailleurs utiles et essentiels, usés par une vie de labeur ?
Si nous avons des questions, monsieur le ministre, nous aurons aussi des propositions. Vous cherchez des milliards ? Nous aurons des propositions !
La véritable égalité salariale entre les femmes et les hommes, c’est tout de suite six milliards d’euros de cotisations. Un million de travailleuses et de travailleurs supplémentaires en emploi, c’est dix milliards d’euros de cotisations.
Nous pouvons aussi reprendre la main sur une petite partie des 162 milliards d’euros d’aides directes et indirectes que vous donnez chaque année au capital, sans contrepartie d’emploi, de salaire ou de formation.
Messieurs les ministres, vous voulez un débat ? Nous sommes prêts, utiles, combatifs et déterminés pour faire échec à votre projet de réforme.
Le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans n’est ni juste socialement ni efficace financièrement. Nous sommes prêts et déterminés. Bienvenue au Sénat, et bon débat ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 125, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Où est passée la droite ?…
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 138 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 93 |
Contre | 251 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Où sont les sénateurs de droite ?
M. le président. J’informe le Sénat que, en application de l’article 11 de la Constitution et de l’article 67 du règlement, j’ai reçu de M. Patrick Kanner, président du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de Mme Éliane Assassi, présidente du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et de M. Guillaume Gontard, président du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
En application de l’alinéa premier de l’article 67 du règlement, cette motion doit être signée par au moins trente sénateurs dont la présence est constatée par appel nominal.
Il va donc être procédé à l’appel nominal des signataires.
Monsieur l’huissier, veuillez procéder à l’appel nominal.
(L’appel nominal a lieu.)
M. le président. Acte est donné du dépôt de cette motion.
Ont déposé cette motion : M. Patrick Kanner, Mme Éliane Assassi, M. Guillaume Gontard, Mmes Monique Lubin, Cathy Apourceau-Poly, Raymonde Poncet Monge, MM. David Assouline, Joël Bigot, Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Mmes Isabelle Briquet, Céline Brulin, M. Yan Chantrel, Mme Laurence Cohen, MM. Jérôme Durain, Rémi Féraud, Mme Corinne Féret, M. Jean-Luc Fichet, Mmes Michelle Gréaume, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Gérard Lahellec, Pierre Laurent, Mmes Annie Le Houerou, Marie-Noëlle Lienemann, M. Victorin Lurel, Mme Monique de Marco, MM. Pierre Ouzoulias, Paul Toussaint Parigi, Mme Émilienne Poumirol, MM. Claude Raynal, Jean-Claude Tissot, Mickaël Vallet, André Vallini et Mme Sabine Van Heghe.
Elle sera envoyée à la commission des affaires sociales.
La discussion de cette motion aura lieu conformément à l’article 67, alinéa 2, du règlement, « dès la première séance publique suivant son dépôt ».
En accord avec la commission et le Gouvernement, nous pourrions fixer son examen au vendredi 3 mars, à neuf heures trente.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
Conformément à l’article 29 ter du règlement, la discussion générale sera organisée sur une heure, les inscriptions de parole devant être faites avant ce jeudi 2 mars, vingt heures.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, alors que le sens de l’histoire avait conduit à la retraite à 60 ans, les contre-réformes pesant essentiellement sur le monde du travail se succèdent. En effet, si la richesse progresse, il en est de même de son partage inégal et de la superconcentration des richesses.
Pourtant, rien dans la situation financière du système de retraite ne justifie cette réforme brutale, car le léger déficit prévisionnel, opportunément dramatisé, provient d’une insuffisance de recettes et non des dépenses, dont la trajectoire est maîtrisée selon le COR.
Ces recettes proviennent de moins en moins des employeurs, le Gouvernement amplifiant la politique d’exonération des cotisations sociales, largement contestée pour ses effets sur l’emploi. Cette politique coûte au budget de l’État l’équivalent de sept fois le déficit du système des retraites. Or ces exonérations sont de moins en moins compensées par l’État.
En manquement aux obligations de la loi Veil du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, plus de deux milliards d’euros sont ainsi non compensés, sans compter la non-compensation des exonérations des primes pour le partage de la valeur, alors que notre amendement pour la rétablir avait été adopté par notre chambre et retoqué en commission mixte paritaire.
Parallèlement, le Gouvernement poursuit sa course folle aux baisses d’impôts, qui alarme jusqu’au gouverneur de la Banque de France.
Les recettes manquent, parce que le Gouvernement étend les dispositifs d’exemption d’assiettes de cotisations sociales et refuse toujours d’aligner les prélèvements sur les revenus financiers à hauteur des revenus du travail.
Quant à la multiplication d’éléments de rémunération désocialisée pour les travailleurs, leur a-t-on dit que cela se payerait par le recul de leurs droits et de l’âge de la retraite ? Pour les employeurs, en revanche, c’est tout bénéfice.
Le déficit se creuse aussi par la politique d’austérité dans la fonction publique, où la baisse des effectifs et le gel du point d’indice, passé et programmé, signifient une réforme des retraites à bas bruit. En effet, si aucun décrochage de la masse salariale des fonctionnaires n’était organisé, le déficit serait diminué de 3 milliards d’euros à l’horizon 2030.
Non nécessaire à la survie du système de retraite, pour laquelle d’autres solutions existent, cette réforme est indispensable, en revanche, pour respecter la trajectoire des dépenses publiques à 0,6 % en volume à l’horizon de 2027, que vous avez inscrite, messieurs les ministres, dans le programme de stabilité envoyé à Bruxelles, alors que les retraites progressent de 1,8 %.
Pour poursuivre la baisse des impôts de production, comme la suppression de la CVAE, qui prive les comptes publics de l’équivalent du déficit des retraites, les dépenses publiques – dont les dépenses de retraites, qui pèsent un quart de celles-ci –, jouent les variables d’ajustement.
Voilà la vraie nécessité de la réforme, une réforme qui ne demande aucune contribution aux employeurs, pourtant premiers responsables du faible taux d’emploi des seniors, mais qui sert la poursuite des aides massives qui leur sont versées, ainsi que les baisses d’impôts et de cotisations dont ils bénéficient.
C’est pour poursuivre cette politique que, en même temps que le passage à 62 ans en 2010, le Fonds de réserve pour les retraites, qui devait permettre de passer la bosse démographique, a été asséché et détourné.
Injuste, cette réforme aura un coût social inédit : comme la précédente, elle allongera le sas de précarité et de pauvreté des femmes, des ouvriers et employés, massivement exclus de l’emploi après 60 ans, comme des 30 % de Français les plus pauvres. Ces derniers devront attendre deux ans de plus le passage à la retraite, qui, pour eux, marque une amélioration de leur niveau de vie.
À 61 ans, moins d’un senior sur deux et 28 % des ouvriers sont en emploi. À la suite de la précédente réforme, le chômage s’est aggravé pour les seniors et près d’un million d’entre eux y sont depuis plus d’un an, avec très peu de chances d’en sortir.
Pour toutes ces personnes, pour les catégories populaires qui ne sont ni en emploi ni à la retraite, comme pour plus du tiers des femmes, la réforme se traduira par une plus longue période aux minima sociaux, en longue maladie, au chômage, voire sans aucune ressource.
Alors que les femmes partaient déjà à la retraite sept mois plus tard que les hommes, en courant derrière le taux plein, le recul de l’âge légal, en substituant une partie de la mobilisation des trimestres enfants en trimestres travaillés, allongera davantage leur durée de travail que celle des hommes.
Après avoir perdu un an et neuf mois avec la réforme de 2010, les femmes de la génération 1980 devront travailler huit mois de plus.
Pour tous ceux qui sont aux portes de la retraite et sur lesquels le Gouvernement réalise les économies à court terme nécessaires à son objectif de respect du déficit public à 3 % du PIB en 2027, cette réforme n’est que brutalité.
Les travailleurs verront une nouvelle diminution de leur durée de vie à la retraite. En effet, l’espérance de vie n’est plus tirée que par la baisse de la mortalité des plus de 70 ans, de sorte que les réformes successives, dont celle de 2010, ont consommé plus que les gains d’espérance de vie.
Oui, l’espérance de vie en bonne santé augmente, mais l’écart d’espérance de vie en bonne santé entre un ouvrier et un cadre reste de dix ans.
Avec votre réforme, le risque d’une durée de retraite de moins de dix ans concernera plus de 40 % des hommes les plus modestes.
Les rares mesures d’atténuation de la brutalité de cette réforme n’y changeront rien, tant pour ceux qui sont coincés dans le sas de précarité que pour ceux qui sont confrontés aux inégalités de santé au travail et à un travail qui s’intensifie.
Selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), tous les indicateurs de pénibilité et de contrainte sur les rythmes de travail ont été, depuis 1984, plusieurs fois multipliés.
La question première et centrale reste donc celle du travail, du travail concret, de l’urgence de changer le travail et d’en réduire la durée.
Face à l’intensification de ce dernier, autre face du « travailler plus » d’ailleurs, qui porte le productivisme au cœur même du travail, votre réforme parle la langue de la finance, quand il faudrait parler du travail, de ses conditions, de son sens et de la vie hors travail.
À la place, vous multipliez les mensonges, comme au sujet de la revalorisation du minimum contributif (Mico), dont seule une infime minorité des nouveaux comme des anciens retraités touchera les fameux 100 euros. Vous tentez de faire oublier que cette revalorisation a pour contrepartie deux ans de travail supplémentaires et que les femmes qui ne répondent pas aux conditions requises et qui en seront donc exclues sont surreprésentées.
Vous créez les « supercarrières longues » pour mieux masquer le recul de deux ans de la quasi-majorité des départs anticipés, qui s’effectuent désormais à 62 ans, alors que le départ anticipé à 60 ans était la contrepartie de la réforme de 2010, quand l’âge légal de départ est passé à 62 ans.
Que dire encore de l’occultation des externalités négatives, alors que l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) montre que, à l’horizon de dix ans, ce report de l’âge provoquera chômage et baisse des salaires ?
En définitive, il s’agit d’une loi contre le monde du travail, d’une loi de classe, qui touchera le pouvoir de vivre des actifs, mais surtout des catégories populaires.
Les Français l’ont bien compris, et c’est la raison pour laquelle cette réforme est si impopulaire. Ils ont bien compris que ce qui se jouait était leur pouvoir sur leur temps. Et comme le disait André Gorz, « à travers le pouvoir sur le temps, c’est le pouvoir tout court qui est en jeu. »
Le temps que cette réforme leur vole, c’est le temps libéré de la subordination et de la nécessité, un temps sans incapacité, que votre réforme veut livrer à une croissance sans fin, qui ignore les limites de la planète, le dérèglement climatique et l’effondrement du vivant.
Avec cette réforme, le Gouvernement poursuit son obsession du « travailler plus », alors qu’il ne faut pas tant augmenter le PIB que mieux le partager et le subvertir par d’autres indicateurs de prospérité, comme l’espérance de vie en bonne santé.
Si, comme le disait Ambroise Croizat, « la retraite ne doit plus être l’antichambre de la mort, mais une nouvelle étape de la vie », elle doit être aussi une nouvelle étape de notre rapport au monde, dans un siècle convoqué par la question écologique.
Cette loi du passé est une loi d’une violence sociale inouïe, qui vole les deux meilleures années de retraite pour en faire les plus dures au travail.
C’est aussi une loi qui barre la bifurcation écologiste et une loi qui casse le modèle social en prétendant cyniquement le défendre.
Pour toutes ces raisons, les écologistes s’opposent radicalement à cette réforme et se mobiliseront jusqu’à son retrait. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)