M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi et Apourceau-Poly, MM. Bacchi et Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume, MM. Lahellec et P. Laurent, Mme Lienemann, MM. Ouzoulias et Savoldelli et Mme Varaillas, d’une motion n° 162.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 368, 2022-2023).
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de sa situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
La lecture de la deuxième phrase du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 sonne, pour nous tous, à l’heure de légiférer sur une énième réforme de réduction du droit à une retraite digne, comme un rappel aux valeurs fondamentales de notre République, issues de notre histoire.
Le préambule de 1946 fait partie intégrante de notre bloc de constitutionnalité, avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que, bien entendu, la Constitution de 1958.
Il reprend de nombreux points du programme du Conseil national de la Résistance, qui a permis la naissance de la sécurité sociale et, sous la direction du ministre communiste Ambroise Croizat, la création du régime de retraite par répartition, qui a cours encore aujourd’hui, malgré les coups de boutoir des partisans dogmatiques de la loi du marché.
Cette réforme des retraites, ou plutôt cette destruction programmée de la solidarité que porte la répartition qu’Emmanuel Macron et son gouvernement tentent d’imposer à notre peuple, est profondément injuste.
Elle est injuste moralement.
Alors que, sur fond d’inflation galopante, nos concitoyens se remettent à peine d’une crise sanitaire violente ; alors que notre peuple plonge progressivement dans la précarité, que ce soit dans le travail ou dans la vie quotidienne, du logement à l’accès aux soins ; alors que les uns et les autres sont frappés d’horreur par la guerre qui tue à nos portes, vous ne trouvez rien de mieux, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les parlementaires des majorités présidentielle et sénatoriale, que de demander à nos concitoyens de travailler plus longtemps.
Quelle violence !
Quelle violence faite à ces salariés, souvent usés – et pas seulement du fait de métiers jugés pénibles –, qui devront travailler plus, y compris après des carrières bien longues !
Quelle violence faite aux femmes, qui, du fait de leur parcours professionnel heurté ou d’une plus grande exposition au chômage partiel, devront travailler plus longtemps !
À cet égard, je dénonce d’emblée les propositions, que je juge insultantes pour toutes les femmes de ce pays, qui émanent du président Retailleau et du groupe Les Républicains.
Sous prétexte de vous préoccuper de la cause des femmes, vous les enfermez, à quelques jours du 8 mars, la Journée internationale des femmes, dans un rôle de mères et au sein de grandes familles si possible, en instaurant une prime à la maternité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Brigitte Micouleau proteste.)
Préoccupez-vous plutôt d’instaurer l’égalité salariale entre les deux sexes : on dégagera ainsi 6 milliards d’euros supplémentaires de cotisations sociales, qui permettront d’éviter tout nouveau déficit à l’avenir.
Quelle violence pour les jeunes – lycéens, étudiants et jeunes travailleurs –, qui aujourd’hui se sentent, à juste titre, condamnés à travailler jusqu’à un âge avancé !
Nombre d’entre eux estiment même qu’ils n’auront jamais de retraite. Il est de bon ton de se moquer de ces jeunes qu’inquiète la perspective de leur vieillesse. Mais mesurez-vous leur angoisse face à la précarité, à la guerre et au fait que notre planète s’abîme à un rythme fou ?
Face à l’état de notre société et du monde, votre projet, messieurs les ministres, relève de la provocation. Il n’a pas de justification financière, comme le Conseil d’orientation des retraites nous l’a démontré. Vous n’explorez aucun financement alternatif. Ce n’est pas étonnant, d’ailleurs : ce serait désagréable pour le patronat et les plus riches, et vous êtes dans votre monde, dans votre bulle, celle des comptables de Bruxelles et de Bercy !
Aujourd’hui, l’inquiétude populaire se transforme en colère. Des millions de nos concitoyennes et de nos concitoyens sont descendus dans les rues des petites, moyennes et grandes villes. L’unité syndicale vous a surpris. Elle est solide, elle tient et elle construit méthodiquement la levée de boucliers du 7 mars et des jours qui suivront.
Tous les actifs, ou presque, retoquent votre réforme. Une majorité des électeurs LR et centristes s’y opposent ; vous devriez l’entendre, monsieur le président du Sénat, monsieur Retailleau, monsieur Marseille ! Non, l’opinion publique ne recule pas : elle exige le retrait de ce projet. Mais plutôt que de vous rendre à la raison, comme l’ont fait certains de vos prédécesseurs, vous vous entêtez !
Or s’entêter, c’est mettre en danger la cohésion sociale, c’est fracturer et c’est jeter le trouble. Les seuls responsables de la situation actuelle, du blocage annoncé, sont le Gouvernement et M. Macron. Et ce sera peut-être vous demain, mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale.
J’évoquais au début de mon intervention le préambule de la Constitution de 1946. Toute la première partie de mon propos le confirme : vous violez la Constitution et faites planer une menace à l’encontre de l’existence même du régime de retraite en prônant la capitalisation, contraire à l’idée fondamentale selon laquelle c’est la Nation qui assure les retraites, et non les marchés financiers. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. Éric Bocquet. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Si, monsieur le ministre, nous le savons !
Malgré tout, Emmanuel Macron persiste et veut une adoption rapide de ce texte portant réforme des retraites. Il a donc inscrit cette dernière dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, un véhicule réservé, comme son nom l’indique, à des textes purement financiers.
L’avantage de cette procédure, c’est un temps de débat limité : cinquante jours en tout, vingt pour l’Assemblée nationale et quinze pour le Sénat.
Un texte non voté par une assemblée est transmis à l’autre assemblée ; même si cette dernière ne vote pas le projet de loi, une commission mixte paritaire composée de quatorze parlementaires sera convoquée et pourra valider le texte, l’amender et le réécrire. Et en cas d’échec de la commission mixte paritaire, le Gouvernement pourra légiférer par ordonnance.
Ainsi, un projet de loi d’une importance politique et sociale considérable peut être un jour promulgué, sans avoir été examiné jusqu’à son terme par l’une des deux assemblées, voire par les deux.
M. Éric Bocquet. Tout à fait !
M. Fabien Gay. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Évidemment, pour le Gouvernement, et désormais pour la majorité sénatoriale, il existe une solution : ne débattons pas, ou à peine.
Monsieur le président du Sénat, mes chers collègues, comment avez-vous pu accepter de délibérer d’un texte qui n’a pas été soumis au vote de l’Assemblée nationale ? Je le rappelle, les députés sont élus au suffrage universel direct ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Ils n’avaient qu’à faire leur travail !
Mme Éliane Assassi. Accepter cela participe au coup de force engagé par le Président de la République contre les institutions pour imposer cette réforme massivement rejetée.
Tout n’est pas permis, et cette tentative d’oukase contre le Parlement est peut-être le pari de trop engagé par M. Macron.
La seule affirmation d’une légitimité liée à une annonce formulée durant le premier tour de l’élection présidentielle est bancale. Chacun sait que le Président de la République a été élu pour faire barrage à Marine Le Pen, et certainement pas pour appliquer le recul de l’âge de départ à la retraite ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
La méthode profondément antidémocratique utilisée par le Gouvernement, qui contraint le débat parlementaire, n’est pas conforme à la Constitution.
Dominique Rousseau, professeur émérite de droit constitutionnel, le confirme : « L’article 47 peut être utilisé pour une loi de financement de la sécurité sociale. Les délais sont compréhensibles, car le budget doit être adopté avant le 31 décembre. Or, là, il n’y a aucune obligation que la réforme soit votée en mars plutôt qu’en juin ou plus tard… »
Selon M. Rousseau, les sages du Conseil constitutionnel pourraient censurer pour « détournement de procédure ». Je le cite de nouveau : « Mon analyse, c’est qu’il y a un risque sérieux d’inconstitutionnalité, car l’utilisation du 47-1 dans ce cas porte atteinte à la sincérité du débat. » Sincérité, le mot est lâché ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
Quelle sincérité peut-il y avoir, en effet, si l’une des deux chambres – ou les deux – n’examine pas le texte dans son ensemble ?
Benjamin Morel rappelle, pour sa part, que la décision du Conseil constitutionnel du 3 juillet 1986 a autorisé l’application de l’article 47-1 de la Constitution dans le cadre d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, mais à condition que celui-ci concerne « des mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale ». Ce n’est pas le cas de votre texte, messieurs les ministres !
M. David Assouline. C’est clair !
Mme Éliane Assassi. Aujourd’hui, au Sénat, certaines choses doivent être dites clairement avant que nous n’entamions l’examen de ce texte.
Au vu du cadre imposé par le Gouvernement, que d’aucuns estiment contraire à la Constitution, je le redis avec la plus grande solennité : nous ne comprendrons pas et nous n’accepterons pas que le Sénat, via sa majorité, use de procédures visant à accélérer le débat, à l’abroger, à le tuer.
Nous n’accepterons pas que le droit constitutionnel d’amendement et la liberté de parole, tout aussi constitutionnelle, soient mis en cause !
Monsieur le président, allez-vous accompagner le Gouvernement et M. Macron…
M. Alain Richard. Oui !
Mme Éliane Assassi. … dans un coup de force contre le Parlement qui, si le texte venait à être adopté par la seule commission mixte paritaire, voire, pis, par des ordonnances inusitées, sans habilitation ni ratification, relèverait d’un coup d’État feutré contre les institutions de la République ?
Ce texte, donc, est contraire à la Constitution, car il s’attaque à des principes de solidarité qui sont au cœur de notre République. Il est contraire à la Constitution, car il la manipule pour contraindre le Parlement et le soumettre.
Mes chers collègues, ne laissons pas au Conseil constitutionnel le soin de censurer ce projet de loi. Signifions clairement, quels que soient nos engagements politiques, que le Parlement doit être respecté, pour que la démocratie le soit elle aussi ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. J’ai bien écouté les propos de Mme Éliane Assassi.
À son premier argument, je répondrai que l’impact des retraites sur les finances publiques est indéniable ; c’est même l’un des premiers postes de nos dépenses publiques.
Comme j’aurai l’occasion de le rappeler lors de la discussion générale, cette réforme est bien d’ordre budgétaire, son objectif étant de garantir la soutenabilité de notre système de retraite et d’assurer ainsi sa pérennité. Elle a, par conséquent, toute sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale.
À l’argument selon lequel cette procédure ne laisserait pas le temps nécessaire au débat, je répondrai que, sous l’autorité du président Larcher, nous avons ouvert plus de cent heures de débat,…
M. David Assouline. Ce n’est pas assez !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. … alors que nous passons en général trente heures à examiner le PLFSS, lequel concerne toutes les branches, ainsi que l’ensemble des recettes et des dépenses de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je rappelle que chaque année depuis 2019, sur l’initiative du rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse, le Sénat a examiné cette réforme et a pu en débattre.
Le Conseil constitutionnel sera certainement saisi, en effet, et il se prononcera conformément à sa mission. La présidente Assassi souhaiterait que l’on anticipe cette décision du Conseil constitutionnel. Nous ne sommes pas sur cette ligne.
J’invite donc le Sénat à se prononcer contre cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et RDPI.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les auteurs de cette motion contestent la constitutionnalité de ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
Ce texte, d’une part, sur le fond, remettrait en cause le droit à la retraite et, d’autre part, sur la forme, ne pourrait être le vecteur d’une réforme des retraites. Je me suis exprimée tout à l’heure à la tribune sur ces deux points.
Tout d’abord, pour ce qui concerne le premier motif invoqué, cette réforme ne remet en cause ni le droit à la retraite ni le fonctionnement de la retraite par répartition. Au contraire, le redressement financier du système de retraite a précisément pour objet d’en assurer la pérennité pour les futures générations. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Nous examinerons toutes les données afférentes à l’évolution de l’espérance de vie au cours de nos débats. D’ailleurs, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) a récemment porté à notre connaissance des éléments indiquant que, en France, l’espérance de vie sans incapacité était de 65 ans, donc supérieure à la moyenne européenne. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Et l’espérance de vie en bonne santé ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. C’est bien ce que je dis, mes chers collègues : sans incapacité !
M. Bernard Jomier. Vous biaisez les statistiques !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Le décalage progressif de l’âge de départ ne prive donc pas nos concitoyens du droit à bénéficier d’une retraite.
Ensuite, pour ce qui concerne le second motif, la loi organique définit les dispositions pouvant figurer dans un PLFRSS. Or de nombreuses dispositions du présent texte entrent clairement dans ce cadre.
J’ajoute que, même si les conséquences financières de ce texte sur l’année 2023 sont modestes, peu auront d’effet à terme sur les finances sociales. Reconnaissons que de nombreux projets de loi de finances rectificative ont porté des mesures beaucoup moins substantielles pour les finances publiques sans jamais avoir été censurés.
Pour l’ensemble de ces raisons, et même si le Conseil constitutionnel aura, comme l’a souligné la présidente de la commission, à se prononcer sur la place dans ce texte de chacun des articles prévus, j’émets un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et RDPI.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Olivier Dussopt, ministre. Madame la présidente Assassi, vous avez évoqué plusieurs sujets, notamment de fond.
Le débat sur les articles et sur les amendements nous permettra très certainement d’y revenir, si tant est que la motion ne soit pas adoptée. J’espère que nous aurons alors l’occasion de vous convaincre que cette réforme est, à la fois, juste, porteuse de progrès et nécessaire.
Je rappellerai simplement trois points.
Tout d’abord, s’agissant de l’irrecevabilité que vous avez soulevée, Mme la rapporteure générale et Mme la présidente de la commission des affaires sociales ont souligné quels seraient l’impact et les conséquences des dispositions que nous vous présentons sur les comptes sociaux pour l’année 2023 : cela justifie le recours à un PLFRSS.
Ensuite, vous avez indiqué que la mise en œuvre de l’article 47-1 de la Constitution pouvait poser une difficulté. Or je rappelle que, si nous sommes conduits à appliquer cet article, ce n’est pas à cause d’une décision du Gouvernement. En effet, l’article 47-1 s’applique à l’ensemble des lois de finances. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Personne ne peut croire cela !
M. Pierre Laurent. La Constitution, ce n’est pas le loto !
M. Olivier Dussopt, ministre. Aux termes de la récente loi organique que votre assemblée a adoptée, à l’instar de l’Assemblée nationale, les lois de finances rectificatives, qu’elles concernent la sécurité sociale ou le budget de l’État, relèvent de la catégorie des lois de finances et tombent donc sous le coup de l’article 47-1.
Cet article, qui fixe un certain nombre de délais, ne prévoit ni dérogation ni possibilité de dépasser lesdits délais, et nous l’appliquons de manière stricte. Mais le respect de l’article 47-1 permet au Parlement de bénéficier, pour l’examen du présent projet de loi, d’un délai plus long que celui qui s’était appliqué lors de la discussion des précédentes réformes du système de retraite.
Enfin, madame la présidente Assassi, vous avez considéré qu’il n’était pas opportun d’examiner un texte que l’Assemblée nationale n’avait pas adopté. Pourtant, les différentes dispositions que j’ai rappelées permettent d’organiser un tel examen.
Je reviens sur la raison qui a conduit l’Assemblée nationale à ne pas examiner totalement ce texte et à ne pas le voter. Elle tient en un seul mot : obstruction. (Protestations sur les travées du groupe CRCE. – Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Christian Cambon. Bien sûr !
M. Olivier Dussopt, ministre. En effet, 20 000 amendements ont été déposés à l’Assemblée nationale, notamment sous forme d’amendements identiques.
Madame la présidente Assassi, je sais que cela ne se produira pas ici, mais vous devez vous représenter que, le dernier jour du débat à l’Assemblée nationale, 68 amendements identiques avaient été déposés par les membres du groupe La France insoumise. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous ne sommes pas des Insoumis !
Mme Éliane Assassi. Nous sommes le groupe communiste !
M. Olivier Dussopt, ministre. Certes, mais vous êtes leurs alliés…
Avec mon collègue Gabriel Attal, j’ai donc écouté patiemment 68 intervenants du groupe La France insoumise avant de pouvoir donner un avis, alors même que ces amendements identiques ne concernaient pas le fond du texte…
M. Mickaël Vallet. Prévoyez des mots croisés !
M. Olivier Dussopt, ministre. Ce que je vous décris, c’est l’obstruction parlementaire, qui nous a mis dans cette situation !
Pour toutes ces raisons, l’avis du Gouvernement est évidemment défavorable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Messieurs les ministres, vous avez choisi de détourner l’objectif – voire, ce qui est pire, l’esprit – de l’article 47-1 de la Constitution, pour museler le Parlement. À ce niveau, ce n’est plus de l’obstruction, c’est de la piraterie parlementaire, pour ne pas dire du déni de démocratie ! Le 12 mars prochain, à minuit, le couperet va tomber.
Pour la toute première fois depuis son introduction, en 1996, dans notre Constitution, la loi de financement de la sécurité sociale est utilisée pour mettre en place une réforme de grande ampleur de notre système de retraite. En procédant de la sorte, vous portez atteinte à la crédibilité du Parlement, à l’équilibre de nos institutions et au respect de la Constitution.
Les lois financières ont pour objet de déterminer « les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale », selon les termes mêmes de la Constitution. Vous n’ignorez pas que la procédure tout à fait dérogatoire prévue pour leur adoption vise un seul et unique objectif : garantir l’entrée en vigueur de la loi de financement pour l’année à venir avant le premier jour de l’année civile concernée.
Cette procédure n’a jamais eu et ne devrait jamais avoir pour vocation d’introduire insidieusement, au terme d’un examen accéléré, tronqué et parfaitement inadapté aux enjeux, de véritables réformes sociales de fond relevant, par principe, du domaine de la loi ordinaire.
Par ailleurs, en utilisant cette procédure, vous prenez le risque que le Conseil constitutionnel ne censure, a minima – cela a été dit par notre collègue Éliane Assassi –, les cavaliers sociaux qu’elle contient. Car ils n’ont aucun effet suffisamment direct sur les recettes ou les dépenses de la sécurité sociale ! Un exemple typique en est l’index seniors.
Vous agissez ainsi pour deux raisons simples.
Premièrement, vous n’avez pas de majorité maîtrisée au Parlement pour réaliser cette réforme.
Deuxièmement, la seule majorité dont vous disposez est contre vous, contre cette réforme : il s’agit de la majorité des Français.
L’inconstitutionnalité est donc manifeste. Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera la motion présentée par Mme Assassi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Je voudrais tout d’abord rappeler à MM. les ministres que nous ne sommes pas là pour jouer le match retour… Ce qui s’est déroulé à l’Assemblée nationale appartient au passé ; ici, au Sénat, nous allons repartir sur des bases saines. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Très bien !
M. Guillaume Gontard. Si vous voulez que le débat se déroule dans de bonnes conditions, il faut cesser les provocations !
Le groupe CRCE a tout à fait raison de dénoncer ce corsetage consistant à limiter le débat, qui a d’ailleurs été également critiqué, je le constate, par un certain nombre d’élus de la majorité sénatoriale.
Je rappelle, par ailleurs, qu’il fut un temps où Élisabeth Borne promettait de nous présenter un texte dédié et de ne pas en passer par un PLFRSS… On voit le résultat !
Pourquoi cette urgence ? Pourquoi ce passage en force ? Pourquoi ce festival de mensonges ? Pourquoi cette contrainte exercée sur les discussions parlementaires ? Pourquoi, tout simplement, refuser le débat ? Tout simplement parce que vous ne voulez pas que l’on parle du fond de votre projet et de ses motivations réelles : la destruction des services publics et de nos acquis sociaux, c’est-à-dire toujours moins pour nos communs et toujours plus pour le privé.
Votre projet est celui de la finance. C’est celui d’un système de retraite uniquement géré par le privé, et, pour les petites gens, il ne restera que les miettes…
Ce projet, encore une fois, vous ne voulez pas que l’on en parle. Pour notre part, nous souhaitons prendre le temps qu’il faudra pour discuter. La responsabilité de ce débat écourté revient au Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, oui, l’utilisation de l’article 47-1 pour débattre de ce projet de loi est contraire à la Constitution. Ceux qui le nient sont en quelque sorte les coauteurs et les coproducteurs de cette manipulation.
Cela a été rappelé, la contrainte prévue sur le temps d’examen des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale ne se justifie que par l’urgence de respecter des délais, en particulier la date butoir du 31 décembre, afin – chacun peut le comprendre – de ne pas acculer notre pays à la banqueroute.
Tout, à commencer par le rapport du COR, montre qu’il n’y a aucune urgence à légiférer sur les retraites.
L’urgence tient en fait à votre obsession d’empêcher que le débat et la colère, qui grandissent dans notre pays, ne vous submergent. Vous êtes ainsi prêts à accepter que ce projet de loi, si important pour l’ensemble de notre peuple, soit promulgué sans avoir été soumis au vote de l’Assemblée nationale.
Monsieur le ministre, vous avez tout fait pour que l’Assemblée nationale ne puisse pas aller au bout de l’examen de ce texte (Mme Cathy Apourceau-Poly et M. Thomas Dossus applaudissent. – Exclamations sur les travées des groupes RDPI, INDEP et Les Républicains.)
M. Emmanuel Capus. C’est une plaisanterie ?
M. Christian Cambon. Quelle contre-vérité !
Mme Céline Brulin. La presse s’en est d’ailleurs fait l’écho à de nombreuses reprises durant ces dix derniers jours.
Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à transmettre à notre assemblée, séance tenante, l’analyse du Conseil d’État ? Ou nous obligerez-vous à nous rendre au cours des prochaines heures à votre ministère pour obtenir des documents qui, selon le journal Les Échos, mettent en cause la constitutionnalité de votre texte, en particulier en matière de cavaliers sociaux, comme Éliane Assassi l’a rappelé ? Il est difficile, en effet, de commencer nos travaux sans avoir communication de ces documents.
Nous le redisons : on ne joue pas avec la démocratie ! On ne doit ni détourner la procédure constitutionnelle ni s’appuyer sur des contre-vérités, voire sur des mensonges, comme vous l’avez fait à propos des fameux 1 200 euros, en déclarant dans un premier temps que tous les retraités seraient concernés, puis, piteusement, il y a quarante-huit heures, que seules 10 000 à 20 000 personnes pourraient en bénéficier…
Le Sénat s’honorerait d’adopter notre motion. Il y va de la démocratie ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)