M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour la réplique.

Mme Jocelyne Guidez. Madame la ministre, vous savez que la seule modalité de verbalisation des poids lourds en infraction demeure, à ce jour, l’interception de véhicules pris sur le fait par des services de police et de gendarmerie qui sont déjà très sollicités par ailleurs. Ce cadre normatif est ainsi très restrictif et insuffisamment adapté aux réalités pratiques pour être efficace.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. C’est vrai.

notion de troubles graves à l’ordre public dans le cadre de la mise en œuvre du contrat d’engagement républicain

M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, auteur de la question n° 460, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.

M. Daniel Breuiller. Je souhaite interroger le Gouvernement sur la notion de troubles graves à l’ordre public dans le cadre de la mise en œuvre du contrat d’engagement républicain.

Le premier engagement du contrat d’engagement républicain se décline comme suit : « Le respect des lois de la République s’impose aux associations et aux fondations, qui ne doivent entreprendre ni inciter à aucune action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public. »

Présentant à l’Assemblée nationale, le 1er février 2021, le projet de loi confortant le respect des principes de la République, le ministre de l’intérieur déclarait : « Ce texte combat surtout, et avant tout, les idéologies – singulièrement l’idéologie islamiste, même si elle n’est pas la seule. » Il ajoutait : « Grâce au contrat d’engagement, l’État et les collectivités auront à leur main un outil juridique clair. »

Le Haut Conseil à la vie associative, dans ses derniers avis, a estimé que le contrat d’engagement républicain tendait à confier à l’administration un pouvoir d’interprétation et de sanction très large sans l’assortir d’une obligation d’information préalable et claire quant aux voies de recours susceptibles d’être exercées par les associations et les fondations mises en cause.

Madame la ministre, en septembre 2022, le préfet de la Vienne, M. Jean-Marie Girier, a sommé la ville de Poitiers et la communauté urbaine du Grand Poitiers de retirer leurs subventions au « Village des alternatives » organisé par l’association Alternatiba Poitiers. D’après le journal Libération, cette décision aurait été prise par le préfet en raison d’une formation consacrée à la « désobéissance civile », laquelle serait « manifestement incompatible avec le contrat d’engagement républicain ».

Je souhaite savoir si la formation à la désobéissance civile est constitutive de troubles graves à l’ordre public.

Le cas échéant, pouvez-vous préciser sur quelle définition de la notion de troubles graves à l’ordre public le préfet de la Vienne se fonde pour prendre une telle décision ?

Enfin, je souhaite que vous m’indiquiez si la dénonciation non violente de l’inaction écologique ou de l’insuffisance de l’action en matière d’écologie est une idéologie à combattre au même titre que l’idéologie islamiste.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Breuiller, depuis le 2 janvier 2022, toute association qui fait une demande de subvention auprès d’une autorité administrative doit s’engager, par la souscription du contrat d’engagement républicain (CER), à respecter un ensemble de principes républicains annexés au décret d’application du 31 décembre 2021.

Le premier de ces engagements impose aux associations de n’entreprendre ni d’inciter à aucune action manifestement contraire à la loi ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public. Si une association ne respecte pas ces engagements, l’autorité administrative qui lui a attribué une subvention doit procéder à son retrait après une procédure contradictoire.

Une subvention a été accordée par le conseil municipal de Poitiers à l’association Alternatiba Poitiers afin d’organiser un « Village des alternatives », alors même qu’il était prévu que des « ateliers de désobéissance civile » aient lieu dans ce cadre.

Le préfet de la Vienne a informé la maire de Poitiers qu’il était nécessaire que le conseil municipal engage la procédure de retrait de la subvention, car de tels ateliers seraient manifestement incompatibles avec le premier engagement du CER. Le conseil municipal a pris une nouvelle délibération, refusant d’engager la procédure de retrait. Dès lors, en application des dispositions de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, le préfet a demandé au tribunal administratif d’annuler cette décision.

L’injonction faite par le préfet de retirer la subvention versée à cette association reposait non pas sur le motif que les formations à la désobéissance civile constituent, par principe, des troubles graves à l’ordre public, mais sur le motif que ces activités peuvent constituer une incitation à des actions manifestement contraires à la loi.

Il convient de rappeler que, avant même l’entrée en vigueur du CER, la jurisprudence du Conseil d’État estimait que de telles actions justifiaient le retrait du financement public accordé aux associations concernées.

Ainsi, la démarche du préfet de la Vienne ne fait que traduire l’application de la volonté du législateur, qui, par l’instauration du CER, a entendu empêcher que l’argent public ne serve à ce qu’une association incite à des actions manifestement contraires à la loi.

M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour la réplique.

M. Daniel Breuiller. Madame la ministre, c’est un comble qu’une loi visant à lutter contre l’idéologie islamiste serve à affecter une des plus grandes lois de liberté de notre pays, la loi de 1901 !

délinquance des étrangers

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, auteure de la question n° 233, adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.

Mme Valérie Boyer. Madame la ministre, alors que vous avez toujours crié au scandale lorsqu’il était fait un lien entre immigration et délinquance, le ministre de l’intérieur a reconnu, l’été dernier, qu’« il serait idiot de ne pas dire qu’il y a une part importante de la délinquance qui vient de personnes immigrées ».

Ainsi, 48 % des gens interpellés pour des actes de délinquance à Paris, 55 % à Marseille et 39 % à Lyon sont des étrangers.

Comment ne pas évoquer notamment le meurtre, qui a ému toute la France, de la petite Lola, sauvagement agressée par une ressortissante algérienne qui n’aurait pas dû se trouver sur le sol français ?

Ne possédant pas de titre de séjour, elle avait fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Vous y voyez des faits divers ; j’y vois des faits de société ! Ces OQTF ne sont pas respectées : sur le premier semestre de l’année 2021, seules 5,6 % d’entre elles ont été exécutées ; encore ne sait-on pas pour quel pays les personnes concernées ont quitté la France.

Le parquet de Paris estime par exemple que 75 % des mineurs jugés sont des étrangers. Dans un contexte de surpopulation carcérale, les étrangers représentant de surcroît 24 % de la population carcérale en 2020, contre 7,4 % dans la population générale, ce problème est plus qu’important.

C’est pourquoi je réitère le souhait, déjà exprimé, d’obtenir davantage d’informations sur le nombre d’étrangers condamnés, le nombre d’étrangers incarcérés, leur nationalité, le nombre d’expulsions réellement exécutées ainsi que la liste de leurs crimes et délits. Pour ce qui est de ces crimes, et notamment des attaques à l’arme blanche, je demande une cartographie détaillée et précise. J’indique que le nombre de victimes d’une agression à l’arme blanche s’est élevé à 44 000 entre 2015 et 2017, soit plus de 120 victimes par jour en moyenne, selon les chiffres communiqués par le ministère de l’intérieur !

J’ajoute que je souhaite obtenir le profil des auteurs et des victimes afin de pouvoir établir un plan d’action et d’éviter que ces attaques ne se répètent et ne se multiplient. La représentation nationale doit connaître précisément la cartographie de cette violence pour en tirer tous les enseignements.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Boyer, comme vous l’avez indiqué, l’éloignement des étrangers représentant une menace pour l’ordre public constitue une priorité constante de l’action des services de l’État.

Des protocoles ont été signés entre les établissements pénitentiaires et les préfectures afin de faciliter l’identification de l’étranger avant la fin de son incarcération et son éloignement dès la levée d’écrou, par un partage d’information entre ces autorités.

Deux opérations se sont succédé au second semestre 2021 et au premier semestre 2022, ciblant notamment les étrangers en situation irrégulière « sortant de prison ». Elles ont permis d’éloigner 2 815 étrangers en situation irrégulière et dont le profil évoquait des risques de troubles à l’ordre public.

Depuis le 18 octobre 2020, 317 étrangers inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), radicalisés ou constituant une menace grave pour l’ordre public, ont été éloignés.

Par une instruction du 3 août 2022, le ministre de l’intérieur et des outre-mer a rappelé aux préfets la nécessité de placer prioritairement en rétention administrative les étrangers inscrits au FSPRT ou dont le profil évoque des risques de trouble à l’ordre public : 88 % des étrangers placés en centre de rétention administrative répondent à ce profil et se trouvent donc en instance d’éloignement.

Pour renforcer les capacités mobilisées au service de cette action, le ministre de l’intérieur et des outre-mer a accepté d’amender la trajectoire budgétaire inscrite dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), à hauteur de 60 millions d’euros par an, ce qui permet de développer nos capacités de rétention et de les porter à un niveau jamais atteint.

Pour ce qui est des attaques à l’arme blanche, la statistique institutionnelle du service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) ne recense pas ce type de phénomène. En effet, la qualification des infractions issue du code pénal ne permet pas d’opérer cette distinction, qui n’est faite, dans la classification historique des infractions établie par le ministère de l’intérieur, que dans le cadre des vols violents.

Concernant la part des étrangers dans la délinquance, les éléments statistiques du SSMSI font apparaître la part des étrangers non par pays, mais par grande région d’origine – Maghreb, Union européenne, Asie, etc. –, parmi les personnes mises en cause comme parmi les victimes.

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour la réplique.

Mme Valérie Boyer. Concernant les chiffres que j’ai cités quant aux attaques à l’arme blanche, c’est vous-même qui les avez fournis, madame la ministre. J’en voudrais de plus précis et de plus fréquents ; surtout, je souhaiterais disposer d’une cartographie et d’un suivi.

Concernant les autres chiffres que vous citez, nous les avons déjà. Derechef, je vous en ai demandé de plus précis : nous en avons besoin pour travailler.

M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Rappel au règlement

Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023

Discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, dont le Sénat est saisi en application de l’article 47-1, alinéa 2, de la Constitution (projet n° 368, rapport n° 375, avis n° 373).

Rappel au règlement

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Discussion générale

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l’orée de ce débat, qui est de la plus grande importance, car il engage l’avenir de notre peuple, je souhaite à la fois affirmer quelques principes qui guideront l’action de notre groupe et formuler une exigence.

Nous exigeons, avec 90 % des actifs, les millions de personnes qui manifestent et l’ensemble des syndicats, le retrait de ce projet de loi.

M. Emmanuel Capus. Sur quel fondement faites-vous ce rappel au règlement ?

Mme Éliane Assassi. Chapitre XIV, article 42 !

Il est donc de notre devoir de manifester notre opposition la plus vive dans cet hémicycle, lequel ne saurait être en dehors du réel et rester sourd à l’exigence d’un grand débat dans le pays ainsi qu’à la colère froide, sérieuse, mais déterminée et massive, qui s’y exprime.

Le débat doit avoir lieu ; notre groupe, comme les autres groupes de gauche, utilisera tous les moyens constitutionnels disponibles pour relayer les préoccupations populaires.

M. Bruno Sido. Nous aussi.

Mme Éliane Assassi. Je le dis, monsieur le président, ces moyens constitutionnels, le droit d’amendement, la liberté de parole et d’expression des parlementaires, le droit d’opposition en amont, sont des principes de la démocratie.

La sérénité et la force sont de notre côté. En revanche, de l’autre côté, d’aucuns semblent agités par une certaine fébrilité, au point de menacer d’utiliser des moyens de procédure pour accélérer encore un débat déjà tronqué par l’application de l’article 47-1 de la Constitution. (M. Roger Karoutchi sen amuse.)

Nous appelons chacun à la raison : n’ayons pas peur du débat et, surtout, ensemble, écoutons le peuple ! Monsieur le président du Sénat, je vous demande donc solennellement d’agir pour que nos droits constitutionnels soient pleinement respectés et pour mettre un terme aux menaces expressément formulées à l’encontre de notre expression avant même le début de la discussion.

Le Gouvernement n’a pas voulu d’un vrai débat ; il a détourné la Constitution, comme je vous le démontrerai dans un instant en présentant une motion d’irrecevabilité. Le Sénat, sa majorité, son président ne sauraient accompagner M. Macron et son gouvernement dans cette partition dangereuse pour la démocratie. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

Discussion générale

Rappel au règlement
Dossier législatif : projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Exception d'irrecevabilité

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de linsertion. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure générale, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, nous y sommes, nous y sommes de nouveau, si je puis dire, et nous y sommes enfin : je suis particulièrement heureux de vous présenter cette réforme et de soumettre ce texte à votre discussion.

Cette réforme des retraites, j’y crois profondément.

J’y crois, tout d’abord, parce qu’elle sort notre système par répartition de son état structurellement déficitaire. Elle permet de ne pas faire peser cette responsabilité sur les générations futures alors que nous savons tous, à la lecture des rapports du Conseil d’orientation des retraites (COR), que dès 2027 le déficit annuel du système sera de 12,5 milliards d’euros par an et qu’il atteindra 20 milliards d’euros par an en 2035 et 25 milliards d’euros par an en 2040.

Dans un peu plus de dix ans, si nous ne faisons rien, le déficit cumulé sera de 150 milliards d’euros, alourdissant d’autant la dette. Cela nous oblige, tout au long des débats qui s’ouvrent, à rester extrêmement attentifs à cet objectif d’équilibre et de retour à l’équilibre du système de retraite.

Cette réforme, j’y crois, ensuite, parce qu’elle rend plus juste notre système de retraite, en répondant à des attentes exprimées de très longue date par les Françaises et les Français.

J’y crois, enfin, parce qu’il s’agit tout simplement d’une promesse tenue, celle de réformer les retraites et, ce faisant, de continuer à transformer le pays et notre modèle social. Je le dis tout en soulignant que croire à cette réforme n’empêche évidemment pas d’entendre les contestations : je n’oublie pas que ceux qui ont élu le Président de la République ne l’ont pas tous fait pour soutenir en premier lieu cette promesse-là. Certains ont voté pour lui pour cette réforme, d’autres ont voté pour lui malgré cette réforme, d’autres encore ont voté contre lui à cause d’elle.

Cependant, et tout au long de la campagne présidentielle, cette réforme n’a jamais été un projet caché. Elle a été assumée, portée et annoncée par le Président de la République et par toute la majorité lors des élections législatives.

Elle s’inscrit dans la droite ligne des engagements pris depuis 2017, cette ligne qui fait du travail la meilleure et la plus forte des réponses apportées aux difficultés de notre pays. Cette ligne vaut également, en effet, là où il s’agit de rétablir l’équilibre du système de retraite, considérant, de surcroît, que le travail est la meilleure des politiques en faveur de l’autonomie, de la dignité et de la lutte contre la pauvreté.

C’est ce que le Président de la République a construit, réforme après réforme, depuis 2017, qu’ainsi nous voulons poursuivre.

Dans la série des réformes déjà nombreuses de notre système de retraite, celle-ci ne fait pas exception, bien au contraire, sur plusieurs points.

Elle est difficile, car vous savez comme moi, mesdames, messieurs les sénateurs, la complexité de ce sujet. Notre système de retraite, rendu plus opaque à chaque fois qu’on le modifiait, cache aujourd’hui d’innombrables imperfections sous chacun de ses détails. Ces imperfections, on les découvre en avançant, et personne ne peut véritablement se vanter d’en avoir fait le tour.

C’est pourquoi réformer notre système de retraite est une gageure – cela l’a toujours été, cela le reste –, car nous devons conjuguer nos priorités avec toujours plus de complexités et, souvent, d’inégalités. Même un funambule n’y verrait pas un chemin aisé…

En vérité, puisque je parle de chemin, le seul chemin que je connaisse pour aborder cette réforme, c’est celui du débat et du dialogue républicain.

La concertation avec les partenaires sociaux et les forces politiques du pays qui ont répondu à notre appel a précisément permis d’emprunter ce chemin.

Cela n’a évidemment pas suffi à surmonter tous les désaccords, notamment sur l’âge ou sur la durée de cotisation, mais, sur d’autres points, nous avons su acter des avancées, que certains jugent insuffisantes, d’autres excessives – je pense à l’emploi des seniors ou aux carrières longues –, mais qui toutes sont le fruit de cette concertation.

Ces avancées sont autant de preuves – il en faut – que le débat est toujours fécond et que le consensus est toujours possible, quand on veut bien leur laisser une chance.

Parler des retraites, et présenter cette réforme devant vous, c’est aussi regarder les choses en face et éviter toute forme de déni : demander aux Français de travailler deux ans de plus, même progressivement, même en tenant compte de la pénibilité et des carrières longues, c’est leur demander un effort – cet effort, certes, vise à sauver notre système de retraite par répartition et à financer de nouveaux droits, mais il reste un effort.

Demander un effort de plus, c’est parfois aussi bousculer des projets de vie, il faut le dire.

Parler des retraites, c’est en vérité parler du rapport des Français à leur travail, à leur carrière. C’est parler de leur vie, de leur famille, de leurs aspirations.

J’ai eu à maintes reprises l’occasion de rappeler combien est difficile l’exercice qui accompagne un départ à la retraite. Liquider sa pension peut avoir l’air d’un solde de tout compte. L’administration vous demande de faire le point en retraçant et en reconstituant votre carrière ; or se retourner sur sa vie n’est pas toujours chose facile.

Pour certains, ce sont de bons souvenirs, pour d’autres, des moments plus contrastés, et la retraite peut aussi bien arriver comme une délivrance que sonner le rappel de cette mémoire vive.

C’est aussi de ce point de vue que la présente réforme met en question notre rapport au travail et le sens que nous donnons au travail – ces questions, de plus en plus de Français se les posent, parfois non sans angoisse.

C’est donc bien comme ministre du travail, bien conscient de ce rapport personnel à l’existence que le sujet convoque, que je veux vous présenter cette réforme et en débattre avec vous ces prochains jours.

Cette réforme s’inscrit dans la suite de mon action au ministère du travail ; elle pose quelques fondations pour des chantiers qui nous attendent encore.

Elle continue en effet de construire les bases d’une nouvelle société du travail, d’abord impulsée, pour nous en tenir au quinquennat débuté en 2022, par la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat et par la réforme du marché du travail, chantier qui sera prolongé d’ici peu par un nouveau projet de loi, que nous souhaitons ambitieux, pour l’emploi, le travail et la formation, assorti d’un objectif : le plein emploi.

Toutes ces réformes ont en commun un même objectif, que je viens d’énoncer : le plein emploi pour tous, mais aussi le bon emploi pour le plus grand nombre.

C’est la réalisation de cet objectif qui requiert toute notre responsabilité et tout notre courage.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je le dis, à cette tribune, pour souligner la complexité de l’exercice : toute réforme des retraites est difficile. Je le dis en ayant bien en tête qu’ici même vous avez régulièrement éprouvé que décider de pareilles réformes c’est s’exposer à la critique et à la contestation – mais c’est aussi faire preuve de courage. Faire cette réforme, en effet, c’est en avoir le courage, le courage d’affronter les difficultés inhérentes à cette entreprise, que d’autres gouvernements et d’autres majorités n’ont pas nécessairement eu avant nous, ce qui précisément nous invite aujourd’hui à agir, et à agir vite.

Nous le faisons. Nous avançons et nous assumons cette difficulté ainsi que la nécessité de dire quelles contraintes, budgétaires notamment, pèsent sur notre État et sur notre système de protection sociale.

J’ai eu la grande chance d’être maire, député, ministre de la fonction publique, puis du budget ; s’il y a bien une chose qui m’a été rappelée par l’exercice de chacune de ces fonctions, sans équivoque et sans nuance, c’est bien que les équilibres budgétaires fondent notre système et déterminent notre capacité à agir et, plus encore, à permettre à ceux qui nous succèdent de continuer à décider souverainement pour eux-mêmes.

Cette certitude, et cet attachement à l’équilibre budgétaire, je sais que vous êtes très nombreux à les partager. Comme vous, j’en serai le garant, avec mon collègue Gabriel Attal, ministre délégué aux comptes publics.

Bien entendu, nous le savons, les moyens ne sont pas les fins, et vouloir sortir un système du déficit pour le réformer ne signifie pas que l’objet unique de la réforme serait cet équilibre.

Mais, je le répète, toutes les interprétations du monde ne suffiront pas à contourner ce constat simple : le déficit de notre système de retraite est structurel. « Sur les vingt-cinq prochaines années, le système de retraite sera en moyenne déficitaire, quels que soient la convention et le scénario retenus » – j’emprunte leurs mots aux auteurs du dernier rapport annuel du COR.

Se soucier exclusivement de l’évolution des dépenses sans se préoccuper des ressources qui les permettent, ce n’est pas choisir une vision parmi d’autres au sein d’une alternative : c’est assumer une forme d’incurie financière.

Certains, par ailleurs, quand ils reconnaissent l’existence d’un déficit, parviennent encore à s’en satisfaire ou à le relativiser. Pour le coup, cela signifie renvoyer nos responsabilités aux prochaines générations. Le prix du déni, en la matière, c’est la trahison des générations qui, n’ayant pas encore voix au chapitre, ne peuvent décider pour elles-mêmes. Pareille trahison revient aussi à ouvrir la voie à une dénaturation, tôt ou tard, d’un des systèmes de retraite les plus protecteurs qui soient, qui protège les plus fragiles, réduit les inégalités et garantit la solidarité entre générations. Nier ce déficit et nier la nécessité de l’équilibre, en définitive, c’est être myope, et c’est penser que le présent mérite de dévorer l’avenir.

Ce que nous préférons, pour nos retraites – je l’ai dit –, c’est demander un effort à ceux qui le peuvent, comme la majorité sénatoriale le propose d’ailleurs depuis de nombreuses années.

M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour lassurance vieillesse. Très bien !

M. Olivier Dussopt, ministre. Le choix qui est le nôtre est ainsi que l’âge légal de départ soit relevé progressivement, pour atteindre 63 ans et 3 mois à la fin du quinquennat, puis 64 ans en 2030. Nous accélérons aussi la mise en œuvre de la réforme Touraine, afin d’atteindre 43 ans de durée de cotisation à la fin du quinquennat. Nous menons ces deux entreprises en maintenant l’âge d’annulation de la décote à 67 ans.

Nous faisons ce choix à un moment de notre histoire où le taux de chômage ne cesse de baisser et où le taux d’emploi bat des records, armés de cette certitude que par le travail, par l’augmentation du volume de travail dans la société, nous pouvons apporter les réponses les plus efficaces et les plus justes.

Nous le faisons aussi en sachant reconnaître au Sénat ce qui a été initialement conçu au Sénat ; je le dis devant Mme la présidente de la commission comme devant M. le rapporteur en pensant à l’amendement traditionnellement adopté par votre assemblée et à votre volonté d’une réforme de courage et d’équilibre, visant à agir sur ces deux leviers, l’âge et la durée de cotisation, sans jamais nier la réalité de l’effort demandé.

Je veux aussi dire devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’au-delà des initiatives de votre assemblée il y a eu évidemment, avant que nous ne soyons réunis autour de ce texte, d’autres réformes des retraites.

Quel que soit le gouvernement qui en a pris l’initiative, elles ont toutes eu en commun deux choses : avoir relevé l’âge et/ou la durée de cotisation ; ne jamais avoir été remises en cause une fois adoptées, quelles que soient les alternances.

Elles ont toutes eu en outre comme priorité le retour à l’équilibre financier plus que la création de nouveaux droits.

C’est peut-être sur ce dernier point que cette réforme se distingue : améliorer le système et financer des droits nouveaux dans une ampleur sans précédent. Nous demandons de travailler plus pour produire plus et, en retour, pour retrouver l’équilibre et financer de nouveaux droits.

Je le redis inlassablement : améliorer sans équilibrer serait irresponsable, équilibrer sans améliorer serait injuste. C’est pourquoi nous voulons faire les deux.

De fait, sur les 18 milliards d’euros que génère la mesure d’âge en 2030, un tiers, c’est-à-dire 6 milliards d’euros, sera consacré à des mesures de justice et de solidarité.

C’est d’ailleurs précisément ce qui fonde la justification d’une telle réforme dans un budget rectificatif de la sécurité sociale. L’effet des différentes mesures, en dépenses comme en recettes, sur les branches vieillesse et accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) justifie pleinement leur recevabilité dans ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS), au titre de leur impact sur les comptes sociaux dès 2023.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai dit un peu vite, il y a un instant, que cette réforme était une évidence, mais il est vrai que cette évidence est parfois contestée.

Fort heureusement pour nous qui la défendons, il n’y a pas de meilleur moyen de s’en convaincre que de faire le tour des solutions de remplacement qui lui sont opposées : elles se heurtent toutes à un mur de contradictions.

Certains ont proposé, dans une nostalgie qui ne trompe personne, de revenir à la retraite à 60 ans, mais sans toucher aux 43 annuités pour avoir le taux plein. C’est à n’y rien comprendre, sauf à penser que le projet derrière cette demande est de mettre les Français au travail le plus tôt possible ou de leur proposer un système qui soit une machine à décotes, une machine à petites pensions et, donc, une machine à pauvreté.

D’autres proposent de revenir à 60 ans, avec 40 annuités, comme vingt ans en arrière, en diminuant la durée de cotisation. C’est en réalité nous condamner collectivement à chercher 85 milliards d’euros de financement chaque année. Bon courage dans cette entreprise ! (Mme Éliane Assassi et M. Pierre Laurent protestent.)

À moins de vouloir ruiner un quinquennat de restauration de notre compétitivité, à moins de vouloir peser sur le pouvoir d’achat des Français, à moins de vouloir asseoir notre système sur l’imposition de profits aléatoires, je ne vois pas quel est l’avenir raisonnable de ce projet mortifère, qui a d’ailleurs été critiqué, encore cette semaine, par une partie de ceux-là mêmes qui en font la proposition.

D’autres contradictions sont plus graves, car elles disent tout du manque de sérieux de ces projets alternatifs. Quel sens cela a-t-il de nier la réalité des déficits tout en prévoyant des dizaines de milliards de recettes en plus pour y répondre ou de penser défendre l’égalité en défendant les régimes spéciaux ? (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)