Mme Cathy Apourceau-Poly. Bravo !
M. le président. La parole est à M. François Patriat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. François Patriat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à grande cause, grande controverse ! Depuis des mois, les retraites occupent l’actualité sociale et politique de notre pays. Le mot « retraite » est partout ; il vole de tweet en tweet, de manifestation en émission, de motion en émotion. (Marques d’ironie sur des travées du groupe SER.)
La retraite est à la charnière de la vie privée – elle couvre une partie du projet personnel de chacun – et de la vie publique, dont elle exprime le sens solidaire.
La retraite mobilise la question du vivre ensemble et de l’acceptation des contraintes collectives, en même temps qu’elle interroge sur le sens du travail.
C’est toute l’ambition des Assises du travail, à l’ouverture desquelles, monsieur le ministre, vous insistiez sur deux motivations essentielles et complémentaires : mieux vivre de son travail et mieux vivre au travail.
Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est réussi…
M. François Patriat. En somme, il s’agit de redonner tout son sens à la valeur travail, car malheureusement, pour beaucoup de nos concitoyens, la conciliation entre travail et épanouissement personnel n’est pas toujours au rendez-vous. La retraite est souvent vécue comme une délivrance, leur donnant enfin un droit à la liberté, au bien-être et à la réalisation de soi.
Alors, me dira-t-on, comment accepter de repousser ce moment privilégié ?
Mais aussi, comment sortir de la dimension totémique dans laquelle baigne désormais ce débat ?
Une démocratie comme la nôtre est capable de débattre sereinement, même d’un sujet si clivant, si passionnant, si fondamentalement français.
Nous le devons aux Français eux-mêmes, car l’enjeu est considérable : sauvegarder notre système de retraite pour les générations futures et faire perdurer le pacte de solidarité.
Où en sommes-nous ? Neuf jours de débats à l’Assemblée nationale sans même parvenir à l’article 3, des stratégies d’obstruction et de blocage, 20 000 amendements déposés, des invectives, des violences verbales, des menaces…
Un orateur a regretté tout à l’heure que le texte n’ait pas été voté par l’Assemblée nationale,…
Mme Éliane Assassi. À cause du 47-1 !
M. François Patriat. … mais c’est parce que des députés n’ont pas voulu que ce vote ait lieu ! M. Mélenchon a lui-même demandé aux députés, dans un tweet, de ne pas aller jusqu’au vote. Les députés auraient pu voter sur ce projet de loi ; certains ne l’ont tout simplement pas voulu !
Mme Éliane Assassi. Revenons au Sénat !
M. François Patriat. Revenons en effet au Sénat ! Les 4 727 amendements déposés dans notre assemblée sont-ils les prémices d’une obstruction ? Je me pose la question.
Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est une discussion !
M. François Patriat. Avec soixante-neuf amendements identiques des trois groupes de gauche visant à supprimer l’article liminaire, je m’inquiète. Le comique de répétition a ses limites ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Vous voulez quoi ? Que nous rentrions chez nous ?
M. François Patriat. Le psittacisme existe donc bien !
Rassurez-moi, sommes-nous tous ici pour débattre, pour réaliser ce qui n’a pas été réussi à l’Assemblée nationale et nous prononcer sur ce texte ?
Après le spectacle désolant des dernières semaines, il appartient au Sénat d’ouvrir le débat et de le faire avec exemplarité. Ce sera difficile, parce qu’un tel débat, politiquement tranché, mais respectueux, est exigeant.
Je sais les oppositions résolues, mais j’espère pouvoir compter sur l’esprit de responsabilité de chacun pour débattre avec sérénité. Le Sénat doit montrer que le Parlement est un espace de dialogue. Il doit débattre pour éclairer la délibération et voter.
Notre conviction est que, sans cette réforme, sans consentement à de nouveaux efforts, il n’y aura pas d’avenir pleinement assuré pour notre système de retraite. Ceux qui préfèrent flatter l’opinion, en niant la nécessité de cette réforme, condamnent notre système par répartition. (Brouhaha sur les travées du groupe CRCE.)
Quelles alternatives, mes chers collègues ?
Une baisse des pensions ? Impensable !
Une augmentation des cotisations ? Intenable !
Notre choix, nous l’avons fait : c’est la valeur travail !
M. Vincent Éblé. Du Sarkozy dans le texte…
M. François Patriat. Le texte qui nous est présenté aujourd’hui permet un retour à l’équilibre de notre système en 2030.
Pour y parvenir, un effort de deux années supplémentaires est demandé aux Français. Il est réparti de manière juste, en tenant compte de la situation de nos concitoyens les plus vulnérables et de celles et ceux qui ont commencé à travailler plus tôt, ainsi que de la pénibilité et des carrières hachées.
Des pistes d’amélioration sont encore possibles. Le groupe RDPI en défend plusieurs, au nom de la justice sociale. Je pense au rachat de trimestres pour les stages et les études. Je pense aussi à la revalorisation des pensions de retraite et de l’Aspa à Mayotte – je tiens à saluer le travail décisif des sénateurs mahorais sur ce sujet.
Je crois sincèrement que ce texte peut impulser une nouvelle dynamique et être le point de départ d’une réflexion plus large sur le travail dans laquelle nous nous investirons pleinement.
Mais aujourd’hui, au Sénat, échangeons, débattons et, surtout, votons ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est difficile d’ouvrir ce débat sans évoquer en préambule un élément structurant de cette réforme : la méthode choisie pour la construire et l’imposer. Elle trahit certainement, messieurs les ministres, vos convictions profondes, ainsi que vos objectifs et vos priorités.
Nous n’en avons que trop conscience ; c’est pour cela que votre méthode nous heurte si profondément, au-delà même de la manière dont elle vous a conduit à construire votre projet de réforme des retraites et à en dénaturer l’objet.
Vous n’aurez eu que faire du dialogue social, conviant les syndicats à des réunions, mais ignorant les revendications qu’ils portent au nom des travailleurs.
Vous aurez piétiné le Parlement, choisissant pour cette réforme le véhicule d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Il vous ouvre une porte de sortie bien peu respectueuse du débat démocratique : un énième 49.3…
Avec le choix d’activer l’article 47-1 de la Constitution, vous aurez achevé de faire la démonstration au pays entier de votre volonté d’enfermer les parlementaires dans une nasse et de les rendre inaudibles.
La très mauvaise qualité de l’étude d’impact accompagnant le présent texte, signalée par le président du Haut Conseil des finances publiques, qui s’est reconnu incapable, avec les maigres éléments que vous lui fournissiez, d’évaluer votre réforme, en témoigne également.
La faute serait pour nous de vous laisser faire !
Par ailleurs, vous portez atteinte à la parole publique, avec des chiffres faux et des éléments de langage sophistiqués destinés à perdre votre auditoire. Cela témoigne d’un manque préoccupant de sincérité.
Vous avez illustré cette insincérité avec le psychodrame des 1 200 euros de pension minimale. Il a fallu qu’un économiste, Michaël Zemmour, perce le barrage de vos éléments de langage, en dévoilant sur une radio publique, à une heure de grande écoute, le biais que vous utilisiez pour affirmer que votre réforme porterait la pension minimale à 1 200 euros.
Même ce dévoilement tonitruant ne vous a pas convaincus de cesser les « infox » : il a fallu qu’un député socialiste fasse valoir ses prérogatives de coprésident de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale de l’Assemblée nationale auprès de la direction de la sécurité sociale pour obtenir les authentiques évaluations chiffrées des effets de cette réforme des retraites.
Nous savons donc maintenant que ce ne sont pas 40 000 personnes qui, chaque année, passeront le cap des 85 % du Smic : au mieux, seuls 20 000 retraités franchiront le seuil des 1 200 euros pourtant annoncé.
Je me permets de vous suggérer de prendre le temps d’un peu de pédagogie auprès du Président de la République, puisqu’il a très explicitement démontré qu’il ne saisissait pas le fonctionnement du minimum contributif…
Si le Président de la République veut cette réforme des retraites, mais qu’il ne la comprend pas, il se trouve que nous, avec les Français, nous la comprenons, mais que nous n’en voulons pas !
En voici quelques raisons, l’exhaustivité étant ici impossible.
Avant toute chose, l’état des lieux de notre système de retraite, sur lequel le Gouvernement appuie sa réforme, n’est pas ce qu’il en dit.
Le rapport du COR de 2022, déjà abondamment cité, montre que notre système de retraite est stabilisé ; il précise même que « les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite ».
Le départ à la retraite des baby-boomers est déjà amorti pour l’essentiel et, si nous devons encore tenir jusqu’à 2035, nous avons déjà fait le plus dur, notamment grâce aux gains de productivité.
Ce qui nous préoccupe avant tout aujourd’hui, c’est que les études prévoient une baisse du niveau de vie relatif des retraités dans les décennies à venir. Si la trajectoire des dépenses ne dérape pas, nous nous trouvons ici face à un problème de recettes qui pourrait se traduire par un déficit compris entre 10 et 13 milliards d’euros d’ici à 2030.
En tout état de cause, le système de retraite versant plus de 300 milliards d’euros de pensions par an, ce déficit ne met pas en péril immédiat ce pan de notre protection sociale. Il n’en reste pas moins que nous devons travailler à consolider le système de retraite par répartition auquel nous tenons absolument.
Le projet de loi repoussant de deux ans l’âge de la retraite pour tout le monde serait injuste pour de nombreuses catégories de salariés.
Cette mesure pèserait moins sur la carrière des cadres : ils ont rarement commencé à travailler avant 22 ans ; les 43 ans de cotisations exigés à partir de la génération 1973 les amènent d’ores et déjà à 65 ans.
Quant à ceux qui auront commencé à travailler entre 18 et 20 ans, comme l’âge où l’on peut bénéficier des départs anticipés pour carrières longues est également repoussé de 60 à 62 ans, ils ne pourront valider leur retraite à 62 ans qu’à condition d’afficher une carrière complète.
Or c’est surtout le cas des employés, des ouvriers, des aidants, toutes catégories dont l’espérance de vie est inférieure de sept ans à celle des cadres.
C’est aussi souvent le cas des travailleurs de la première ligne, à qui le Gouvernement prétendait offrir reconnaissance et juste rétribution pendant les pics de la crise sanitaire.
L’injustice est d’autant plus flagrante que les carrières longues perdent une part importante de leur surcote dans le passage d’un système à l’autre, alors que les carrières courtes des catégories socioprofessionnelles favorisées, les CSP+, qui sont souvent bien plus rémunératrices et moins usantes, ne connaissent que de faibles décotes pour un départ à la retraite à 64 ans.
Pour les seniors qui n’ont pas d’emploi sans être à la retraite, le recul de l’âge de départ équivaudra par ailleurs à un allongement de leur période de précarité. Cela touche actuellement environ un tiers des personnes retraitées nées en 1950 – 37 % des femmes et 28 % des hommes – qui n’étaient plus en emploi l’année précédant leur retraite.
Et ce n’est pas un index qui pourrait changer cela, en l’absence, non démentie, de politique volontariste en matière d’emploi des seniors !
Concernant les femmes, nous savons tous que cette réforme fait perdre à la plupart des mères le bénéfice des trimestres liés à la maternité, ampute le montant des pensions, accentue les décotes et limite les surcotes. Votre réforme affaiblit considérablement le dispositif de compensation des inégalités femmes-hommes.
S’agissant des femmes, d’ailleurs, les dernières études démontrent que, sur les 18 milliards d’euros que vous attendez de cette réforme, 11 milliards seront payés par les femmes.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est énorme !
Mme Monique Lubin. Si le report de l’âge de départ à la retraite prévu par cette réforme est inacceptable, les mesures qui l’accompagnent ne sont pas non plus satisfaisantes.
L’enjeu des régimes spéciaux, d’abord : il n’y a ni besoin ni urgence à les supprimer de la sorte. Nous retrouvons ici les vieilles lunes de la droite, que vous reprenez à votre compte, monsieur Dussopt.
Certains régimes auxquels vous voulez mettre fin sont d’ailleurs des régimes autonomes qui ne demandent rien à l’État. Quant à la suppression du régime spécial de la RATP, c’est un contrat que nous allons rompre – nous y reviendrons plus tard.
La suppression de ces régimes est une pure diversion politique.
La question de la pénibilité et de l’espérance de vie au travail est traitée ici de manière tout aussi problématique.
En 2017, par ordonnance, l’exécutif a supprimé le compte personnel de prévention de la pénibilité au profit du compte professionnel de prévention. À cette occasion, il a supprimé la notion de pénibilité au travail : il n’est donc plus question d’une gestion par l’employeur de cette pénibilité. Elle n’est pas réintroduite ici.
Le fonds d’investissement proposé dans le présent texte mentionne bien certains des critères de pénibilité supprimés en 2017, mais pas tous ; les agents chimiques dangereux en sont notamment absents.
Concernant les carrières longues, l’enjeu de la pénibilité au travail, ou encore la question des inaptitudes au travail, le Gouvernement prétend donner de nouvelles tâches aux médecins pour faire exister ces dispositifs.
Nous nous interrogeons donc : alors que la France est en train de devenir un gigantesque désert médical, l’exécutif aurait-il sous le coude des praticiens mobilisables pour ces nouvelles tâches ?
Après avoir mené de nombreuses auditions sur le présent texte et entendu toutes les parties prenantes, il nous paraît évident que cette réforme n’est pas une réforme des retraites.
C’est bien plutôt une réforme qui concerne les finances de l’État, puisqu’elle doit faire baisser les déficits dans le cadre de la politique du Gouvernement, qui aura eu pour constante de baisser les impôts de production, de favoriser les plus riches et de désocialiser les salaires.
Après le « quoi qu’il en coûte » payé par la protection sociale, nous voici face au sacrifice du système de retraite sur l’autel du déficit de l’État. Ce n’est pas un hasard si cette réforme brutale fait peser l’effort sur les travailleurs et seulement sur eux.
C’est aussi une réforme témoin qui doit servir de gage à nos partenaires au sein de l’Union européenne, puisque le Gouvernement a jugé pertinent de l’inclure dans le programme de stabilité qu’il a transmis aux institutions européennes.
Faute d’être capable de proposer un véritable dessein en matière de finances publiques dans un projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 susceptible d’être amendé, puis adopté, le Gouvernement procède par coups de force successifs. Il se ménage un chemin budgétaire par des coupes répétées dans notre protection sociale.
Cette réforme est aussi une réforme masquée du marché du travail – nous y reviendrons au cours de nos débats.
Dans une réforme des retraites, la question des recettes ne devrait pas être un tabou ; des solutions financières non douloureuses sont identifiables.
Nous signalons par exemple l’intérêt de revenir sur les exonérations inutiles et coûteuses de cotisations patronales auxquelles a procédé ce gouvernement. Le coût total de ces exonérations est en effet de 80 milliards d’euros par an.
Une réforme des retraites est par ailleurs inconcevable si elle n’est pas précédée, par exemple, de politiques volontaristes d’encouragement de l’emploi des seniors et de lutte contre les inégalités de salaires entre femmes et hommes. Elle ne saurait pas non plus se faire indépendamment d’une convention nationale sur les salaires, que nous appelons de nos vœux.
Le Gouvernement devrait avoir le courage de renoncer à son bricolage contre-productif pour travailler en profondeur, avec les partenaires sociaux et les parlementaires, sur ce que nous voulons comme modèle de société, comme partage des richesses, comme modèle social et comme progrès social. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées des groupes SER et GEST.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 est un véhicule législatif inadapté à son objet : faire travailler deux années supplémentaires l’ensemble des Français.
Le scénario de cette réforme est celui d’un mauvais film. Il commence mal et finira très mal pour le pays. Quant aux acteurs que vous avez recrutés, monsieur le ministre du travail, ils manquent de crédibilité !
C’est votre cas, monsieur Retailleau, vous qui déclariez, le 23 juillet dernier que l’attitude des Républicains serait celle-ci : « ni complaisance avec le macronisme ni dogmatisme ».
C’est aussi votre cas, chers collègues de la majorité sénatoriale qui travaillez main dans la main avec le Gouvernement pour faire adopter en commission mixte paritaire un texte qu’une majorité écrasante de nos concitoyens refuse.
M. Fabien Gay. Exactement !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Après avoir défendu, lors des élections présidentielles de 2017 et de 2022, le recul à 65 ans de l’âge légal de départ à la retraite pour toutes et tous, vous vous alignez aujourd’hui sur le pouvoir, en défendant son passage à 64 ans, assorti de prétendues mesures pour les carrières longues.
Monsieur le ministre du travail, les vrais acteurs, les bons acteurs, sont dans la rue à l’appel de l’ensemble des organisations syndicales. C’est avec eux qu’il faut réécrire le scénario !
Concernant le Gouvernement, les cafouillages se sont multipliés ces dernières semaines, au point que même le Président de la République s’est pris les pieds dans le tapis, au Salon de l’agriculture, sur la pension minimale à 1 200 euros.
Le 10 janvier dernier, lors de la présentation de la réforme des retraites, la Première ministre avait annoncé ceci : « Les petites retraites auront droit à un relèvement de pension à 1 200 euros. »
Le Gouvernement a utilisé et répété cet argument dans tous les médias, tentant ainsi de faire passer pour un progrès social ce projet injuste et inutile.
Soyons clairs : depuis le début, votre mauvais projet n’est fait que d’approximations et de mensonges !
Il ne s’agit pas d’une revalorisation à 1 200 euros, mais à 1 100 euros net. Toutes les petites retraites ne seront pas concernées, puisque la revalorisation ne concernera que les carrières complètes. En réalité, même pour les carrières complètes, ce ne sera pas 1 100 euros, mais une augmentation de 100 euros, et encore, pas pour tout le monde !
Enfin, monsieur le ministre du travail, vous avez été obligé de reconnaître que cette revalorisation ne concernerait qu’une dizaine de milliers de personnes par an, après avoir fait croire qu’elle en concernerait des centaines de milliers, voire toutes et tous.
Au bout du compte, il s’agit pour vous de faire travailler les gens deux ans de plus, en étendant à tous la durée de cotisation à 43 annuités. En contrepartie, vous n’avez rien d’autre à nous proposer que 75 euros de plus par mois pour 10 000 personnes !
Il faut que vous retiriez ce projet inutile, inefficace et d’une grande violence sociale. Il faut faire une tout autre réforme des retraites. C’est ce que demande l’immense majorité des Français.
Selon l’économiste Michaël Zemmour, il suffirait d’augmenter de 28 euros la cotisation patronale pour que notre système de retraite retrouve l’équilibre dans les années à venir. Mais vous préférez taper sur les travailleurs, en les faisant travailler davantage malgré la fatigue et la pénibilité de leurs métiers.
Pour vous, deux ans supplémentaires, ce n’est rien, mais une majorité de salariés n’est plus en état de travailler à 60 ans. L’augmentation des cadences, le mal-être au travail, l’épuisement physique dans beaucoup de professions nécessitent de réduire l’âge de départ à la retraite, et non de l’augmenter.
De fait, votre réforme va priver les salariés de deux années de vie en bonne santé à la retraite, à profiter de leurs petits-enfants, de leurs amis, ou d’un engagement dans le secteur associatif, culturel ou sportif.
Les nantis ne sont pas les bénéficiaires des régimes spéciaux que vous voulez supprimer. Les régimes spéciaux des électriciens et des gaziers, ou de la RATP, sont le fruit de conquêtes sociales visant à mieux prendre en compte la pénibilité des métiers.
Pour nous, ce sont des régimes pionniers qu’il faudrait étendre à chaque profession et convention collective pour offrir à l’ensemble des travailleurs une meilleure prise en considération de la réalité de leurs conditions de travail. (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE.)
Ceux qui vont payer le plus cher, ce sont les gens modestes, ceux qui ont commencé à travailler tôt, ceux qui ont des carrières hachées, souvent des femmes, ou ceux qui touchent de petits salaires. Votre projet de réforme est bien un projet de classe, rétrograde !
C’est le copier-coller du projet du Medef, bien silencieux dans cette affaire. C’est le copier-coller de la feuille de route que vous propose chaque année la bureaucratie européenne. Et c’est pour cela que nous le combattons, avec l’ensemble des forces syndicales de notre pays !
Nous proposons un autre projet de réforme des retraites, où l’humain prime sur la finance et les intérêts des multinationales.
Contrairement à la majorité sénatoriale et au Gouvernement, nous assumons de demander aux entreprises de mettre la main à la poche après avoir empoché 160 milliards d’euros d’aides publiques, sans contreparties, et avoir dégagé des bénéfices records, quand les travailleurs se serrent chaque jour la ceinture.
Nous présenterons nos amendements alternatifs pour montrer que d’autres choix de société sont possibles.
Pour financer notre système de retraite à la hauteur des enjeux du XXIe siècle, nous proposons de mettre à contribution les revenus financiers du capital, les milliards de dividendes, et d’augmenter la contribution sociale généralisée (CSG) sur le capital.
Nous proposons de supprimer les dispositifs d’exonération de cotisations sociales patronales, qui amputent le budget de la sécurité sociale de 75 milliards d’euros sans avoir d’effets sur l’emploi et qui bénéficient surtout aux plus grandes entreprises.
Nous proposons de conditionner les aides publiques à l’absence de délocalisation des emplois et à l’augmentation des salaires. Nous proposons de garantir l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.
De l’argent, il en existe, si on décide d’aller le chercher et de s’en servir pour mener une réforme des retraites de progrès, une réforme juste : rétablir l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans après 37,5 années de cotisations ; garantir une pension minimale au niveau du Smic pour une carrière complète et à 85 % du Smic pour une carrière incomplète ; calculer les pensions sur les dix meilleures années.
Nous proposons également d’augmenter les salaires, pour que les salariés puissent faire face à l’inflation, mais aussi pour accroître les ressources du système de retraite.
Nous proposons de mieux prendre en compte la pénibilité, en fixant des listes de métiers et de postes ouvrant droit aux dispositifs de départ anticipé, mais aussi en réformant complètement le compte pénibilité.
Combien de salariés du bâtiment maniant des charges lourdes ou utilisant un marteau-piqueur, de travailleuses de l’agroalimentaire trimant de nuit dans le froid, d’ouvriers de fonderies exposés à la chaleur et postés, d’aides à domicile – et j’en passe ! – se retrouvent sans aucun point sur leur compte pénibilité après des années de travail ?
Nous proposons de mieux prendre en compte la situation des familles monoparentales.
Nous proposons de réviser le tableau des maladies professionnelles et de restaurer les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dans les entreprises.
Je m’arrête là, mais cette liste de nos propositions n’est pas exhaustive, messieurs les ministres.
Nous mènerons, avec mon groupe, une bataille parlementaire contre votre texte et nous défendrons chacun – chacun ! – de nos amendements pour opposer des contre-propositions à vos mauvais coups.
L’examen de votre texte par le Sénat ne sera pas un long fleuve tranquille (Sourires sur plusieurs travées et applaudissements sur des travées du groupe SER.) ; vous devrez compter sur nous pour vous rappeler que, comme 66 % des Français et les millions de personnes qui manifesteront le 7 mars, nous sommes opposés à votre réforme !
Vous devrez compter sur l’ensemble des sénatrices et des sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste pour s’opposer avec force et détermination à votre réforme impopulaire, refusée par neuf salariés sur dix. Elle est injuste et elle serait inefficace.
En démocratie, il faut écouter la voix du peuple qui s’exprime avec force. Je vous invite à écouter le peuple qui sera dans la rue le 7 mars avec les salariés, le 8 mars avec les femmes et le 9 mars avec les jeunes ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Bruno Retailleau applaudit également.)
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je veux d’abord, en préambule de cette intervention, dire à M. le ministre du travail qu’ici il n’a rien à craindre ! Nos seules intentions sont de débattre et de faire aboutir ces débats.
Paradoxalement, le débat n’a pas encore eu lieu. Voilà plus d’un mois qu’on ne parle que de cette réforme des retraites, plus d’un mois qu’elle est commentée ad nauseam sur les réseaux sociaux, plus d’un mois qu’elle est contestée, mais elle n’a pas encore été vraiment débattue par ceux à qui il incombe pourtant constitutionnellement de le faire, à savoir les représentants de la Nation.
Je ne vais pas revenir sur le spectacle donné par l’Assemblée nationale, mais ne soyons pas étonnés, à la suite de ces péripéties, que le niveau d’abstention augmente et que nous observions une progression inexorable des extrêmes – elle est malheureusement prévisible.
Le Sénat a aujourd’hui l’occasion de rehausser l’image du parlementarisme. Comptez sur nous pour la saisir !
Et s’il fallait trouver des raisons de défendre le bicamérisme, certains députés viennent de nous l’offrir sur un plateau. Ce refus d’obstacle, de la part d’élus pourtant investis par le suffrage universel, mais organisant scientifiquement l’effacement de leur propre assemblée, démontre par l’absurde la nécessité d’une seconde chambre apaisée. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales applaudit également.)
Je me permettrai de commencer par rappeler une évidence : les mécanismes que nous devons assumer aujourd’hui relèvent d’un choix collectif, quasi unanime et presque enthousiaste, fait à la Libération en 1945 – Mme Assassi a rappelé le rôle joué par Ambroise Croizat.
Pour offrir une digne fin de vie aux vieux salariés de l’époque, nous avions opté pour un dispositif consistant à ce que les cotisations des actifs financent en temps réel les pensions des retraités.
Cela avait l’avantage d’être opérationnel immédiatement. Nous aurions pu choisir une autre formule, d’autres formes de solidarité ; cela n’a pas été fait.
La conséquence de ce choix est que nous sommes devenus dépendants des fondements d’un système par répartition, c’est-à-dire dépendants des réalités démographiques.
En 1945, à cet égard, l’exercice n’était pas trop compliqué, si vous me permettez cette formule. Avec une retraite à 65 ans et une espérance de vie de moins de dix ans pour les retraités, il y avait un rapport de 4 actifs pour un retraité – autant dire que la solidarité intergénérationnelle était assez facile à assumer, ce qui n’enlève rien à l’avancée sociale que cela représenta alors.
Au fil du temps, le contexte démographique a totalement changé : la natalité s’est dégradée, l’espérance de vie a considérablement augmenté. De plus, l’âge de départ à la retraite a été abaissé, si bien que le ratio entre actifs et retraités a changé de nature : il était de 4 pour 1 alors, il est de 1,6 pour 1 aujourd’hui.
Depuis trente ans, les réformes se succèdent pour accommoder cette évolution démographique : 1995, 2003, 2010, 2014. Et heureusement que ces réformes ont été effectuées ; sinon, où en serions-nous aujourd’hui ? Et ce n’est probablement pas pour solde de tout compte, puisque le ratio est annoncé à 1,4 pour 1 en 2050.
Dans ces conditions, défendre la pérennité du régime par répartition, c’est accepter d’en faire évoluer ses paramètres. Nous considérons qu’il est inenvisageable de baisser les pensions des retraités. Nous ne souhaitons pas augmenter le coût du travail, qui est le plus grand ennemi d’un objectif de plein emploi.
Par conséquent, il ne reste que deux leviers mobilisables : la natalité et la durée de cotisation.