Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Et les recettes ?
M. Hervé Marseille. Ce raisonnement par élimination explique pourquoi nous soutiendrons le report de deux ans de l’âge d’ouverture des droits à la retraite et l’accélération de la réforme Touraine.
Nous aussi, nous avons des propositions pour les recettes et elles sont assez proches de celles que j’ai entendues tout à l’heure. (Marques d’étonnement sur les travées des groupes SER et CRCE.) Si, si, mes chers collègues : c’est Jean-Marie Vanlerenberghe qui a déposé l’amendement auquel je pense.
Nous ne soutenons pas cette approche de bonne grâce : nous considérons que c’est la moins mauvaise des options, raison pour laquelle la majorité sénatoriale l’adopte en PLFSS depuis des années. Nous nous félicitons que le Gouvernement s’en soit inspiré, même s’il est dommage que l’on ait attendu.
Monsieur le ministre, je vous reconnais une forme de volontarisme quand vous nous présentez un texte de retour à l’équilibre fondé sur des prévisions de chômage assez optimistes. Nous nous interrogeons d’ailleurs sur le réalisme de cette trajectoire financière, dès lors qu’un taux de chômage de 4,5 % est encore loin d’être atteint.
Cependant, au titre de la solidarité avec les générations montantes et pour éviter de leur laisser une montagne de dettes, nous assumons la dimension financière de la réforme. Pour qu’elle conserve un sens, une pertinence, elle doit assurer un solde durablement équilibré.
Nous ferons ainsi preuve de vigilance vis-à-vis des mesures que nous examinerons. Nous soutiendrons évidemment celles que proposent nos rapporteurs, dont je salue l’investissement et le travail.
Au-delà, notre groupe présentera d’autres amendements.
En matière de recettes, le report de l’âge d’ouverture des droits va induire un surplus de recettes de CSG. Comme l’a rappelé Sylvie Vermeillet tout à l’heure, nous défendons l’idée de l’attribuer au Fonds de réserve pour les retraites.
Nous souhaitons également favoriser l’emploi des seniors en complément du dispositif index seniors et du CDI fin de carrière proposé par la commission. Nous proposerons une exonération de charges sur les salaires de tous les salariés de plus de 57 ans. En miroir, en cas de licenciement, l’employeur devra naturellement payer l’équivalent des charges exonérées.
Par ailleurs, dans notre volonté de lutter contre les violences intrafamiliales, nous proposerons que les parents condamnés pour violences ou maltraitance de leurs enfants soient privés des bonifications qui leur sont liées. De la même manière, lorsque le parent est condamné pour abandon de famille ou non-versement d’une pension au profit d’un enfant mineur, la même sanction tomberait.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Hervé Marseille. Dans un autre registre, au titre de la préservation du pouvoir d’achat des retraités, nous proposerons d’indexer les pensions sur l’inflation prévisionnelle plutôt que sur l’inflation constatée l’année précédente. Dans un contexte de forte inflation, cette mesure évitera le décrochage des pensions.
Enfin, nous souhaitons améliorer les droits à la retraite des élus des petites communes, qui, souvent, réduisent leur activité personnelle pour exercer leurs fonctions. De ce fait, beaucoup perdent des droits. Nous souhaitons leur permettre d’arriver à des cotisations à taux plein.
Pour notre groupe, il semble indispensable de rappeler que cette réforme n’est pas une fin en soi. La bouffée d’oxygène que nous nous donnons jusqu’en 2030 doit nous permettre d’ouvrir, dans une certaine sérénité, un débat plus large sur l’avenir du système de retraite.
La réforme systémique d’inspiration centriste – par points – doit être remise sur le métier. Elle est en soi extrêmement complexe, dès lors qu’il faut assurer une phase de transition. Si elle devait être débattue à nouveau dans l’avenir, elle ne devrait surtout pas être associée à des mesures paramétriques qui rendraient le projet incompréhensible.
Par ailleurs, la possibilité d’une part de retraite par capitalisation pour le privé, à l’image de ce qui existe déjà dans la fonction publique, doit pouvoir être étudiée sans crispation de principe. Notre groupe est prêt à participer à de tels travaux, en y associant l’ensemble des corps intermédiaires.
Pour terminer, je veux exprimer un regret et formuler une proposition.
Mon regret est que l’on n’ait pas ouvert le débat sur la dépendance, projet longtemps annoncé et toujours reporté, qui me semble prolonger le débat sur les retraites.
Enfin, et je me rapproche en cela de ce qu’a dit tout à l’heure notre collègue Daniel Breuiller, il paraît indispensable, pour l’avenir, d’organiser une conférence sociale pour évaluer les suites du covid-19 pour la société.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Hervé Marseille. Nous commençons à examiner les retraites. Nous nous sommes penchés sur l’indemnisation du chômage. On nous annonce un projet de loi sur le travail. Monsieur le ministre chargé des comptes publics, vous avez lancé des expérimentations dans votre ministère sur la journée de quatre jours. On parle du pouvoir d’achat. Je pense qu’il serait opportun de travailler avec les syndicats à une conférence sociale chargée de réfléchir au temps de travail et à la société post-covid. Voilà ce que souhaitent les membres du groupe UC. Espérons que nos débats seront utiles ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la pédagogie étant l’art de la répétition, je veux redire que l’espérance de vie en bonne santé est, en France, de 64 ans pour les femmes et de 62 ans pour les hommes. « Vous partirez quand vous ne serez plus en assez bonne santé pour travailler » : en repoussant l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, est-ce ce message que vous voulez envoyer, messieurs les ministres ?
Avec cette réforme, vous dessinez un projet de société déshumanisant. Vous rêvez d’une société qui travaille toujours plus pour produire toujours plus. Vous êtes dans la rentabilité, la compétitivité, au lieu d’être dans la solidarité, la coopération, la vie tout simplement. Loin de sauver la retraite par répartition, vous la fragilisez et vous ouvrez la voie à la retraite par capitalisation.
Après tout, dites-vous, que sont deux années dans une vie ? Ce sont 730 jours de trop pour un homme ou une femme ayant attendu sa retraite comme une délivrance après des décennies de dur labeur !
Bien sûr, quand on travaille par passion et par conviction, sans s’épuiser à la tâche, on ne compte pas son temps… Voilà sans doute pourquoi nous sommes si nombreux, dans cet hémicycle, à avoir dépassé 64 ans, n’est-ce pas ? Ne peut-on admettre que, quand on travaille par nécessité et dans l’effort permanent, on voit la retraite comme une libération et le commencement d’une vie nouvelle ?
Encore faut-il que l’on puisse mener cette seconde vie dignement. Le 10 janvier dernier, Mme la Première ministre déclarait : « Une vie de travail doit garantir une retraite digne. » Et ce gouvernement de vanter une réforme revalorisant la pension des salariés au Smic jusqu’à 1 200 euros brut s’ils ont cotisé toute leur vie… Avez-vous conscience que, avec l’inflation actuelle, 1 200 euros ne permettront jamais à quiconque de vivre ? Cette somme permettra, au mieux, de survivre ! Savez-vous seulement combien pourront en bénéficier ? M. le ministre du travail donne chaque jour des chiffres différents…
Dès lors qu’il faudra justifier d’une carrière complète cotisée à temps plein, au Smic, les femmes, comme toujours, seront les premières lésées. Elles représentent 80 % des salariés à temps partiel et, pour la plupart, suspendent un temps leur carrière en raison de leurs maternités. En outre, leur salaire est, en moyenne, inférieur de 22 % à 28 % à celui d’un homme : elles ne cotisent donc pas de la même façon. Pour certaines, atteindre le nombre d’annuités requis reviendrait à partir à l’âge de 67 ans. De qui se moque-t-on ?
Vous comptez sur la droite sénatoriale pour vous accorder une légitimité parlementaire. Je déplore, pour ma part, qu’il n’y ait pas eu de poursuite des débats ni de vote à l’Assemblée nationale. (Mme Françoise Gatel et plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains s’exclament.)
Vous en êtes en partie responsables, en ayant eu recours à l’article 47-1 de la Constitution.
Sachez, en tout cas, qu’une opposition de gauche est bien présente dans les rangs du Sénat. Elle est peut-être moins bruyante, mais elle est présente et prête à débattre jusqu’au bout.
Les amendements de nos collègues de droite tendant à corriger votre texte, notamment en instaurant une surcote de 5 % pour les mères de famille qui auraient une carrière complète ou en créant un « CDI senior » visant à favoriser et à valoriser l’emploi des travailleurs les plus âgés, ne suffiront pas à rendre acceptable cette réforme que 69 % des Français rejettent sans appel, selon un récent sondage de l’Institut français d’opinion publique (Ifop). Ces petits arrangements à la marge ne démontrent qu’une chose : droite et Macronie avancent main dans la main !
Il est grand temps d’écouter la colère sociale qui gronde. Nous avons été des millions de citoyens et de citoyennes, dans toute la France, à manifester contre ce texte le 19 et le 31 janvier, le 7, le 11 et le 16 février. Le 7 mars, ils et elles diront de nouveau non, dans la rue, à votre projet de société. Nombre d’entre nous, parlementaires, seront à leurs côtés, dans la rue, mais aussi au Sénat, pour débattre des retraites. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, était-il urgent de faire cette réforme des retraites ? Alors que la rue s’échauffe, alors que les sondages marquent l’opposition des Français à ce texte, alors que l’inflation, la guerre en Ukraine, la crise de l’énergie, la crise économique créent un climat anxiogène, après une crise sanitaire mondiale, fallait-il en rajouter ?
Si je suis le premier à dire, dans mes interventions, qu’il faut prévoir à long terme et que nous souffrons, en France, d’une absence de culture d’anticipation, est-il raisonnable de faire passer cette réforme en force ? N’est-ce pas jouer avec le feu ? Je redoute les conséquences politiques de cette réforme, car la colère entraîne souvent des votes extrêmes. C’est le risque que vous prenez…
Il y a, encore une fois, un problème de méthode, car tous les récents présidents de la République – M. Sarkozy, M. Hollande et, désormais, M. Macron – ont réformé notre système en peu de temps. Ne peut-il pas y avoir des prévisions à long terme qui déboucheraient sur une réforme qui soit, elle aussi, à long terme ? Les Français ne comprennent plus.
Posons les enjeux.
Le premier est de sécuriser le système de retraite
L’équilibre financier de notre système de retraite est surtout un enjeu pour le régime de base de la sécurité sociale.
Depuis la loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, chaque PLFSS contient un article liminaire sur l’état des prévisions de dépenses, de recettes et de solde des administrations de sécurité sociale pour l’exercice en cours et pour l’année à venir. Tout le monde s’accorde à reconnaître que l’on n’est pas à l’équilibre.
Le Conseil d’orientation des retraites, chaque année, prévoit l’évolution du déficit du système : celui-ci s’établirait entre 12 % et 14 % à l’horizon 2070. Il faut donc entrevoir des sources de financement.
Votre option est d’augmenter l’âge de départ, la France affichant l’un des plus bas en Europe.
Mais toutes les solutions ont-elles été envisagées, étudiées ? Quelle évaluation a-t-elle été menée ?
Un autre enjeu est de trouver le régime le plus efficient.
Les pensions sont financées directement par les cotisations des actifs – c’est le principe de notre système par répartition.
Cela nous impose d’anticiper. Mais là encore, avons-nous examiné toutes les réponses possibles aux enjeux ?
Le président Macron avait imaginé, lors du quinquennat précédent, une autre réforme pour remplacer les 42 régimes de retraite existants par un système unique à points. Cela avait suscité une mobilisation sociale forte, mais pas plus forte que celle d’aujourd’hui. La crise sanitaire a effacé d’un revers de manche cette option, qui offrait pourtant le même calcul pour tous.
Les questions qui se posent à présent sont les mêmes qu’alors : quelle évaluation ? quel bilan ? quels scénarios de solutions différentes ?
À cet égard, je salue l’introduction, à l’Assemblée nationale, de l’article 1er bis, où il est demandé « un rapport sur la possibilité, les conditions et le calendrier de mise en œuvre d’un système universel de retraite faisant converger les différents régimes et intégrant les paramètres de la réforme prévue dans la présente loi ». Le groupe du RDSE appelle depuis longtemps de ses vœux une réforme systémique qui pourrait aboutir à la mise en place d’un tel système.
Rien – ni les enjeux ni les solutions – n’a été véritablement expliqué aux Français. Ce manque de sensibilisation laisse la place à toutes les suppositions, à tous les fantasmes, mais, surtout, à toutes les oppositions. Cela provoque, in fine, un climat de défiance. Nous sommes en plein dedans.
De fait, les Français se sont pris en pleine figure une réforme qui leur paraît non justifiée et surtout injuste, car non adaptée aux carrières découpées des femmes, à celles des seniors, aux métiers pénibles et, enfin, aux carrières longues.
Pour susciter l’adhésion, vous le savez, il faut donner les clefs de la compréhension.
Prenons les 43 années de cotisations : peu de Français savent que cela a été déjà voté, en 2014, sous la présidence de M. François Hollande, et que cette disposition est entrée en vigueur en 2020 ! La durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein devait augmenter d’un trimestre tous les trois ans de façon progressive en fonction des générations, l’objectif étant d’atteindre 172 trimestres en 2035, soit 43 années pour les Français nés en 1973.
Votre gouvernement n’a donc prévu qu’une anticipation de l’application de la loi Touraine, dès 2027.
Ce seul changement n’aurait pas dû enflammer la sphère politique, qui, avec raison et conscience, a toujours pris ses responsabilités. Certains parlementaires qui s’acharnent d’une même voix à critiquer, à invectiver, voire à vociférer, ont oublié de dire et de redire que les 43 années ont été votées dans le cadre de la loi Touraine, et que, de fait, on a déjà reculé l’âge de départ permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein…
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
Mme Françoise Gatel. Exactement !
M. Henri Cabanel. Ce point focalise la colère, alors même qu’il est acté. Il ne devrait pas y avoir de débat, à mon avis, sur ce sujet : les 43 années sont gravées dans le marbre de la loi.
Je pense donc que vous avez commis une erreur de communication sur ce texte : au-delà de l’erreur de timing, il y a un manque évident de préparation, de sensibilisation et d’explication.
Mener une telle réforme sans l’accord d’aucun syndicat est déjà un échec. Or les syndicats rejettent tout recul de l’âge légal, qui va pénaliser les plus modestes, en premier lieu les Français ayant des carrières longues, puisque certains vont devoir travailler plus de quarante-trois ans, ce qui n’est pas équitable. Avec un recul progressif de l’âge légal à 64 ans, cette injustice concerne potentiellement toutes les personnes qui ont commencé à travailler avant 21 ans.
C’est donc pour les carrières longues que l’obligation de cinq trimestres pose problème : l’organisation par tranche d’âge – avant 16 ans, avant 18 ans, avant 20 ans – les fait cumuler plus de 43 années si ces personnes n’ont pas les cinq trimestres demandés, alors que, très souvent, ce sont elles qui ont assumé les travaux les plus pénibles – même si nous ne sommes pas dupes du fait qu’il s’agit avant tout d’un problème financier et d’un problème de solidarité du système.
Je salue, en revanche, votre souhait de créer une autre tranche pour les moins de 21 ans.
Vous avez affirmé que la surcote avant 67 ans visait à soutenir les femmes. Mais quelle a été l’évaluation de cette proposition ? Combien de femmes en bénéficieront ?
Heureusement, votre gouvernement vient d’annoncer une nouvelle mesure, destinée à favoriser la situation des femmes, notamment via des bonifications. Nous l’étudierons avec grand intérêt.
Concernant la pénibilité, le report à 64 ans de l’âge légal de départ d’ici à 2030 va automatiquement reculer l’âge de départ possible pour les personnes concernées.
Il faut donc préciser les critères et, surtout, favoriser des retraites anticipées. Nos débats, nous l’espérons, permettront d’améliorer le texte, car l’article 9 n’a pas pu être examiné à l’Assemblée nationale. L’enjeu est primordial.
Concernant les seniors, l’article 2 met en place un index et crée un objectif d’amélioration de leur embauche et du maintien dans leur emploi.
Je soutiens l’idée d’un bonus-malus qui aurait de vrais effets de stimulation de l’emploi des seniors et poserait de véritables objectifs. En effet, un index sans pénalités ne servira à rien, mais je connais votre volonté de faire des propositions concrètes à ce sujet.
Les critères de qualité de vie au travail sont des indicateurs fiables – je pense, par exemple, au taux d’arrêt maladie ou encore au turnover –, mais ils ne sont efficients que s’ils sont accompagnés de contrôles et de mesures coercitives.
Mon groupe, le RDSE, est très attaché à la valeur travail. Le bien-être au travail doit être au centre de nos débats, car il n’y a pas de volonté de s’arrêter tôt lorsque les paramètres sont réunis pour une qualité de vie professionnelle. C’est pourquoi la visite médicale permettant de dresser un bilan de l’usure au travail est primordiale.
L’équilibre de notre système passe par une solution de maintien des seniors dans l’emploi. Il faut donc lutter contre les ruptures conventionnelles abusives.
De plus, il faut absolument faire évoluer les mesures de retraite progressive et penser au bien-être du futur retraité tout autant qu’à la nécessité de transmission pour les nouveaux recrutés ; je salue l’ouverture de ce système à la fonction publique. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement visant à imposer la motivation des refus des entreprises. Il faut les inciter à accepter cette progressivité de la sortie de l’emploi.
Messieurs les ministres, vous l’avez compris, pénibilité, carrières longues, retraite des femmes et des seniors nous semblent des sujets très importants ; les sénateurs de mon groupe défendront donc des amendements tendant à mieux les prendre en compte.
Enfin, je veux faire un aparté, qui n’engage strictement que moi.
Je suis choqué que nous amorcions ce débat sur les retraites, qui intègre la question de la suppression des régimes spéciaux, sans remettre en question notre propre système, celui des sénateurs.
On me répond, à juste titre, que nous avons un système autonome et que nous finançons nous-mêmes notre régime. Certes, mais à partir de budgets publics, donc de deniers publics ! En effet, notre pension est financée à la fois par un prélèvement sur notre indemnité – autant que je sache, celle-ci provient bien des derniers publics –, par une cotisation employeur du Sénat et par un prélèvement sur les actifs financiers dont dispose le Sénat.
L’Assemblée nationale a aligné son régime sur celui de la fonction publique en 2018. Pourquoi pas nous ? On me rétorquera que les députés n’avaient pas le même système… C’est vrai, mais quand on veut, on peut !
Après six ans de mandat, nous bénéficions d’une pension que ne touchent pas la très grande majorité des Français à l’issue d’une carrière complète. Peut-être est-ce normal à vos yeux ; pour ma part, je trouve cela choquant.
Monsieur le président, je salue votre volonté sur ce sujet. Ce matin encore, vous avez indiqué, sur une chaîne publique, qu’il faudrait réformer notre système rapidement.
Bien évidemment, je suis favorable à une réforme qui s’applique rapidement ; ne jamais la prévoir que pour les autres est trop facile !
Messieurs les ministres, beaucoup de points restent à éclaircir. Vous le savez, débattre est dans l’ADN du groupe du RDSE. Nous souhaitons donc aller au bout de ce projet de loi, dans un climat apaisé – je ne doute point qu’il en sera ainsi –, pour construire un texte qui répondra aux enjeux, mais également aux interrogations des Français.
Tous les regards sont tournés vers le Sénat, qui, une fois encore, endossera sa mission avec sagesse et raison, pour faire évoluer ce texte.
Nous n’avons pas choisi cette réforme.
Notre responsabilité, en tant que parlementaires, est de débattre, quelles que soient nos convictions.
M. le président. Il faut conclure !
M. Henri Cabanel. Au RDSE, nous assumerons son examen, en conscience. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes GEST et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, notre pays évolue. Il se transforme. Il vieillit.
Nous sommes loin d’en avoir tiré toutes les conséquences sur notre système social, qui a été construit pour répondre aux besoins d’une société totalement différente, mais dont les représentations nous marquent d’une empreinte durable.
Référons-nous au préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »
La France d’alors avait 40 millions d’habitants. Les plus de 65 ans étaient moins de 5 millions, ils représentaient 11 % de la population. Leur espérance de vie à cet âge était de 12 ans pour les hommes et de 16 ans pour les femmes. Les retraités y étaient pauvres, beaucoup plus pauvres que l’ensemble de la population, avec un taux de pauvreté qui dépassait 35 %.
De ce point de vue, même si la pauvreté de certains retraités, en particulier aux âges les plus élevés, reste une réalité, le système de retraite a permis de la réduire dans des proportions considérables. À 8,6 %, le taux de pauvreté des plus de 65 ans est inférieur à celui de l’ensemble de la population, qui s’établit à 14 %.
La photographie d’aujourd’hui est donc très différente.
En 2018, la France comptait 65 millions d’habitants et plus de 13 millions de personnes de plus de 65 ans, soit 20 % de la population. L’espérance de vie à cet âge a fortement progressé ; elle est de 19 ans pour les hommes et de 23 ans pour les femmes.
Depuis le milieu du XXe siècle, l’espérance de vie a progressé de trois mois par an en moyenne.
Mieux encore, d’après des chiffres publiés récemment, l’espérance de vie sans incapacité à 65 ans a progressé de 2 ans et 7 mois depuis 2008. Elle est de plus de 11 ans pour les hommes et de plus de 12 ans pour les femmes.
Depuis sa création, la retraite a changé de nature, et c’est heureux. Une personne de 65 ans aujourd’hui n’a que peu à voir avec son aïeul au même âge.
Bien sûr, la dynamique de l’espérance de vie n’est plus aussi soutenue qu’elle l’a été sous l’effet de la « révolution cardiovasculaire » – c’est le médecin qui parle –, qui a permis une amélioration massive de l’état de santé.
Bien sûr, nous constatons, comme l’ont fait les pays nordiques avant nous, les effets du tabagisme sur l’espérance de vie des femmes.
Bien sûr, les moyennes cachent, comme toujours, de grandes disparités et de fortes inégalités. À cela aussi le système de retraite a répondu, se faisant, au fil des ans, plus universel et plus solidaire et corrigeant très fortement les inégalités forgées au cours de la vie active. J’en prendrai pour seul exemple la comptabilisation de 150 heures de travail au lieu de 200 pour valider un trimestre. Certains de nos concitoyens voient ainsi leur revenu progresser en liquidant leur retraite.
Ces évolutions à la fois paramétriques et démographiques ont conduit à faire des retraites l’un des tout premiers postes de dépenses publiques, de telle sorte que l’on s’interroge sur son avenir, mais aussi sur sa place dans les rangs de nos priorités.
Si les lois de programmation des finances publiques n’étaient pas devenues un exercice technocratique à usage principalement externe, elles pourraient constituer le lieu d’un nécessaire débat sur nos priorités d’action publique. Force est de constater que la part des retraites dans les dépenses publiques résulte plutôt d’un choix implicite, ni pensé ni articulé aux questions de santé ou de vieillissement, qui intéressent pourtant au premier chef la même population. Et je ne parle même pas de la justice, de l’éducation ou de la défense, dont nous constatons chaque jour l’ampleur des besoins !
Oui, il est légitime d’interroger nos choix collectifs en matière de retraite alors qu’elle est globalement prise plus tôt, pour plus longtemps et dans des conditions plus généreuses que dans d’autres pays européens.
Oui, il est légitime de poser ces questions dans le cadre d’un texte budgétaire, car il s’agit bien d’un enjeu de finances publiques, ce qui n’est ni un tabou ni un gros mot.
Au demeurant, la réforme des retraites est devenue un rendez-vous régulier. Notre pays semble devoir faire avec ces épisodes traumatiques au fil desquels, selon un rythme régulier, il se livre à cet exercice singulier.
Le déroulé est souvent le même : concertation, oppositions, manifestations, puis adoption, non sans autant de reculs qui sont l’annonce d’une prochaine fois. Cela ne serait pas si grave si, chaque fois, l’exercice ne contribuait pas à abîmer plus encore notre tissu social…
Il y a trois ans, le Président de la République a tenté de renouveler l’exercice, avec une réforme dite « systémique », faisant table rase de tous les régimes hérités de l’histoire pour faire place au jardin à la française du système universel, une belle construction intellectuelle réalisée sans contrainte budgétaire, donc sans cristallisation des habituelles oppositions.
D’abord intéressés par ce bel édifice, nous avons ensuite été inquiets ; puis, au fil des discussions, mais aussi de deux colloques organisés au Sénat, notre inquiétude a grandi. L’âge pivot est venu perturber un régime universel qui l’était de moins en moins, qui s’annonçait remarquablement coûteux et semblait cheminer sans pilote vers la catastrophe. D’une réforme systémique, nous étions passés à un risque systémique, que seule la crise sanitaire a pu nous épargner.
C’est donc avec un véritable soulagement que nous avons noté le renoncement à cette réforme, toujours présente sur le bureau du Sénat, mais que le Gouvernement s’est bien gardé de reprendre.
Nous avions souligné que la question du financement des retraites demeurait, pour des raisons qui sont décidément têtues.
Nous sommes attachés au régime par répartition, qui marque à la fois la solidarité entre les générations et une certaine garantie par l’État de la pérennité du système. Or, pour garantir sa pérennité et son acceptation par toutes les générations, il faut garantir son équilibre de moyen terme.
Nous proposons des réponses qui s’appuient sur un constat simple et un choix clair.
Nous ne trouvons pas crédible le levier des recettes supplémentaires. Notre pays peine à descendre sous un taux de prélèvements obligatoires proche de 45 %. Nos concitoyens, comme l’a montré le douloureux épisode des « gilets jaunes », sont peu enclins à les voir augmenter.
Nous ne souhaitons pas affecter le pouvoir d’achat des retraités en cette période d’inflation et après plusieurs années de sous-revalorisation.
Reste donc le levier du partage d’une partie de la prolongation de l’espérance de vie pour créer de la richesse et consolider le système de retraite.
Idéalement, nous devrions pouvoir construire un consensus sur des ajustements périodiques et la forme qu’ils doivent prendre. Je regrette que l’âge de la retraite soit devenu une sorte de totem qui occulte tout besoin nouveau de notre système social.
La retraite n’est pas la seule question sociale des personnes âgées. J’ai tendance à penser que leur premier sujet de préoccupation, c’est la santé. Le vieillissement se traduit par une épidémie de maladies chroniques qui affectent la qualité de vie et appellent un effort massif en prévention, mais aussi en prise en charge.
Le vieillissement, c’est aussi la préservation de l’autonomie, dans toutes ses dimensions. La perte d’autonomie ne concerne pas toute une classe d’âge, mais c’est un risque qui s’assure. Dès lors, si nous devions augmenter les prélèvements obligatoires, je les affecterais plus volontiers à une assurance de ce type. Nous ne sommes pas prêts à faire face à ce risque majeur pour notre société, tant par ses implications pour nos concitoyens que par ses effets budgétaires.
Un pays qui vieillit est aussi un pays qui tend à négliger sa jeunesse et la préparation de son avenir. La retraite ne saurait être la seule perspective que l’on offre à ceux qui ont leur vie à construire.
Nous devons aux plus jeunes une éducation de qualité qui les prépare à la fois à leur vie de citoyens et d’actifs dans une économie mondialisée.
Nous devons aux familles des conditions favorables à leur épanouissement.
Nous devons à nos concitoyens des services publics efficaces et de qualité, qui sont aussi l’une des composantes de notre compétitivité.
Faisons donc le choix de l’équilibre de nos comptes sociaux pour préserver non seulement les retraites, mais aussi notre capacité à investir pour construire l’avenir.
On nous reproche d’être la génération qui a gâché la planète. Ne soyons pas celle qui aura laissé dépérir, faute de réforme et de courage, un système social qui fait notre fierté collective et, sans doute, une part de notre identité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Martin Lévrier applaudit également.)