Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Didier Marie. Nous devons faire de ce moment une opportunité et nous comptons sur le Gouvernement pour cela. (Mme Gisèle Jourda applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Monsieur le sénateur Marie, j’aborderai trois points en réponse à votre intervention.
Sur la réforme en cours du marché de l’électricité, vous n’êtes pas sans savoir que des consultations publiques se tiennent en ce moment même. Nous sommes en pleine réflexion interministérielle pour définir la meilleure stratégie – soutenable – de production, mais aussi pour nous assurer que les ménages verront leur pouvoir d’achat préservé (M. Fabien Gay s’exclame.) et que les entreprises bénéficieront d’une énergie à des tarifs compétitifs.
Dans les secteurs stratégiques des technologies propres, nous tâcherons d’identifier les besoins avant de déterminer le financement nécessaire dans le cadre du fonds de souveraineté. Sont concernés les secteurs de l’hydrogène, des batteries, du solaire, mais aussi des composants clés des technologies numériques, comme les semi-conducteurs. Vous l’avez dit, un effort de formation sera également nécessaire, car 800 000 postes devront être créés dans ces secteurs d’ici à 2025.
Dans cette perspective, et en cette année européenne des compétences, il faudra faciliter la reconnaissance des formations, mais aussi attirer les talents présents non seulement dans l’Union européenne, mais aussi dans les États tiers. À cet égard, une cartographie précise et évolutive des métiers concernés est en cours d’élaboration.
Enfin, lors de leur déplacement aux États-Unis, les ministres Bruno Le Maire et Robert Habeck ont d’abord convenu avec Washington de la nécessité, pour l’application de l’IRA, d’élargir les exemptions au plus grand nombre de composants européens possible, que ce soit pour les véhicules électriques ou les matériaux critiques.
Un groupe de travail sur les matériaux critique sera mis en place pour trouver des sources d’approvisionnement variées et éviter de dépendre d’un nombre trop faible de fournisseurs. Par ailleurs, un nouveau canal de communication ministériel sera mis en place, comme l’ont demandé les Européens.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous discutons ici d’un enjeu capital pour l’avenir de nos industries, pour notre agriculture, pour l’emploi et pour le développement des territoires.
Les États-Unis, qui n’ont jamais été avares de mesures protectionnistes, engagent à présent 370 milliards de dollars dans leur loi de réduction de l’inflation, auxquels il faut ajouter les 52 milliards de dollars de subventions directes issues de leur Chips and Science Act. Leur objectif est de développer leur industrie et leurs technologies vertes, sans concertation avec leurs partenaires, notamment l’Union européenne.
L’affaire est extrêmement grave pour les secteurs stratégiques européens. Le président des États-Unis a confirmé cette nuit cette stratégie offensive dans son discours sur l’état de l’Union.
En effet, en contrepartie d’allégements fiscaux ou de subventions directes, les États-Unis incitent leurs citoyennes et citoyens à acheter des produits – véhicules électriques, batteries ou panneaux solaires – issus de leur territoire. Les dirigeants nord-américains ont donc décidé d’amplifier la guerre économique pour regagner des parts de marché mondiales et stimuler leur croissance.
Cet engagement pour le climat ne doit pas servir de prétexte pour affaiblir l’industrie et l’agriculture européennes. Les Nord-Américains seraient d’ailleurs plus crédibles si, dans le même temps, ils ne renforçaient pas l’exploitation du gaz de schiste.
La vérité est que cette décision se combine avec l’offensive guerrière de Poutine et que l’environnement est un prétexte pour dominer de nombreux secteurs industriels, le tout sur fond du recul prévisible des pays occidentaux dans la production des richesses mondiales.
Nous avions déjà constaté la prédominance des États-Unis dans les industries pharmaceutique et numérique durant la période de la pandémie. À présent, les États-Unis se renforcent, contre l’Union européenne, dans l’industrie de l’armement, dans les secteurs de l’énergie, des transports maritimes et du transport agroalimentaire.
Ils cherchent à rendre leur pays attractif pour les entreprises d’avenir, celles qui mettront en place les technologies performantes de demain, en captant pour leurs sociétés multinationales des savoir-faire, des brevets, des compétences et des entreprises.
Ils le font, évidemment, en contradiction avec les théories du libre-échange, qu’ils prônent notamment au sein de l’Organisation mondiale du commerce.
Ils le font dans le cadre de la guerre, qui les sert si bien pour affaiblir les industries automobiles allemande et française, mais aussi une multitude d’autres activités, qu’ils réimplantent dans une Europe qu’ils avaient quelque peu délaissée.
Ils le font en utilisant l’arme supplémentaire dont ils disposent : leur monnaie, la référence dans les échanges internationaux. Oui, le dollar est une machine de guerre, qu’ils utilisent comme telle !
Là où des enjeux stratégiques pour leur souveraineté ont émergé, les États-Unis ont toujours orienté leur économie et, surtout, ils l’ont toujours maîtrisée. À cela s’ajoute leur tentative de maîtriser la fourniture d’énergie.
Face à un tel risque de perte de souveraineté économique pour l’Union européenne, nous ne pouvons rester les bras ballants. Nous n’avons aucun intérêt à nous asseoir, encore, dans le fourgon américain.
Déjà, on parle de plus en plus, dans les milieux d’affaires, de délocaliser une part de nos productions aux États-Unis et au Canada pour profiter d’une énergie moins chère. Ce serait une nouvelle catastrophe pour l’emploi.
Nous pouvons pourtant nous défendre en consolidant nos marchés publics, qui représentent de 14 % à 19 % du produit intérieur brut européen.
Il convient donc, dans le cadre d’une planification sociale et écologique, de préparer notre industrie, nos services et notre agriculture aux défis d’avenir que sont les transitions écologique, technologique et numérique en investissant fortement dans les secteurs de la recherche et du développement.
Il existe, dans les textes européens, des dispositifs qui pourraient nous permettre de nous défendre. Ainsi, le traité de Rome nous permet d’utiliser la préférence communautaire comme une arme défensive et de taxer les importations nord-américaines. De même, lorsque des secteurs entiers sont à ce point menacés, il est possible de déclencher la clause de sauvegarde.
Autrement dit, nous n’avons aucun intérêt à adopter une attitude suiviste à l’égard des États-Unis. Il nous faut au contraire faire entendre une voix autonome, pour obtenir un cessez-le-feu et parvenir à la paix en Ukraine.
Chacun comprend bien que l’alignement sur la stratégie militaire américaine empêche l’Union européenne, et surtout la France, de défendre ses intérêts stratégiques.
Or nous devrions avoir l’audace de bâtir des consortiums européens publics dans des secteurs comme le numérique, l’hydrogène vert ou encore l’énergie solaire, en favorisant des coopérations dans l’industrie automobile de demain, le transport maritime ou aérien.
Nous devrions avoir l’audace de réviser le marché unique de l’énergie, qui est un frein au développement.
Enfin, nous devrions avoir l’audace de modifier les règles budgétaires européennes afin de favoriser les investissements du futur. De ce point de vue, un fonds de développement européen offrant des crédits à taux nul serait utile et efficace.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Fabien Gay. Les aides d’État, comme les crédits européens, doivent être conditionnées aux investissements verts et à la création d’emplois. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Gisèle Jourda et M. Christian Bilhac applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. J’aimerais que, en France ou en Europe, nous fassions aussi bien notre promotion que les Américains font la leur !
En effet, monsieur le sénateur Gay, tout ce que vous demandez, nous le faisons. (Marques d’ironie sur des travées du groupe CRCE.)
Ainsi, la réforme des règles budgétaires est en cours. Les aides américaines, ensuite, ne doivent pas nous perturber par leur montant : nous avons mis sur la table des moyens financiers équivalents, voire supérieurs.
La flexibilité et la rapidité de mise en œuvre des décisions font en outre l’objet de propositions de la Commission, qui seront discutées au Conseil européen de demain et après-demain. Ces dernières font consensus.
Vous évoquez par ailleurs la préférence européenne ; or nous avons une stratégie de made in Europe et nous avons des normes, monsieur le sénateur, qui s’appliquent à 450 millions de personnes. (M. Fabien Gay s’exclame.) Ce n’est pas rien, c’est même plus qu’aux États-Unis. Ce vaste marché incite nombre d’acteurs à venir s’installer chez nous pour y vendre leurs produits.
Nous avons encore des instruments commerciaux assertifs et nous les utiliserons. Nous avons ainsi la 5G. Les Américains, eux, ne l’ont pas, mais cela ne les empêche pas de faire leur promotion. Or je n’ai jamais entendu personne faire la promotion de la 5G de votre côté de l’hémicycle, monsieur Gay.
Je vous rappelle enfin que l’Union européenne est la région la plus avancée au monde en matière écologique.
Nous sommes leaders, pas suiveurs, et nous comptons sur vous pour le faire savoir ! (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.
M. Fabien Gay. Madame la secrétaire d’État, alors que l’on vous soumet des propositions, vous nous répondez que tout va bien ! Or, dans le domaine spatial, par exemple, les Nord-Américains sont en train d’achever la constellation, par laquelle ils contrôleront, demain, toutes les données. (Mme la secrétaire d’État le conteste.) Aujourd’hui, alors qu’ils subventionnent massivement l’entreprise SpaceX, nous restons les bras ballants !
Dans trois ans, c’en sera fini : nous aurons perdu notre souveraineté sur nos données. C’est déjà le cas d’ailleurs : même nos données de santé sont détenues par des entreprises nord-américaines !
M. Fabien Gay. Enfin, madame la secrétaire d’État, vous ne pouvez prétendre, ici même, que le Gouvernement est proactif s’agissant de la révision du marché européen. Libre à vous de faire de telles déclarations dans les médias – encore faudrait-il qu’il y ait des gens pour vous croire –, mais ne dites pas cela ici !
Nous restons les bras ballants depuis un an. Bruno Le Maire nous promet de faire bouger les lignes, mais rien n’avance. Nous sommes pieds et poings liés par la dérégulation !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà trente ans, le sommet de la Terre à Rio donnait le coup d’envoi de l’action mondiale pour le climat.
Au cours de ces trente ans, nous avons toutefois pu constater à quel point la coopération internationale était laborieuse et combien nos objectifs demeuraient difficiles à atteindre.
Alors, quand, après toutes les hésitations et résistances que nous connaissons, le deuxième émetteur mondial de CO2 s’engage enfin dans la décarbonation de son économie, comment ne pas y voir un signe important qu’il va dans la bonne direction ?
Oui, parce qu’elle met les États-Unis sur les rails de leur engagement climatique, la loi sur la réduction de l’inflation est une bonne nouvelle pour la planète. En revanche, pour notre continent, elle est un réel défi, à la fois économique et conceptuel : économique tout d’abord, car l’ambition portée par l’IRA n’est pas seulement climatique ; elle est aussi, et peut-être avant tout, industrielle.
Certes, les 370 milliards de dollars de ce plan de soutien doivent permettre aux États-Unis de réduire leurs émissions de 42 % d’ici à 2030, mais ils doivent surtout assurer l’émergence d’une industrie verte puissante, assise sur des chaînes d’approvisionnement relocalisées et capable de prendre la tête de la course mondiale aux technologies propres.
Avec ses exigences de localisation du contenu et de l’assemblage des produits subventionnés, l’IRA envoie un message extrêmement clair : les fonds publics américains ne profiteront qu’au made in America.
Ce faisant, les États-Unis s’offrent un avantage comparatif considérable dans l’un des rares domaines industriels, celui des technologies bas-carbone, dans lequel l’Europe peut se prévaloir d’une avance certaine. Ce domaine sera, rappelons-le, la clé de voûte de l’industrie mondiale de demain. Il transformera des secteurs entiers aussi rapidement qu’il créera de nouveaux marchés.
Au moment où nos industries subissent une explosion des prix de l’énergie, qui épargne leurs concurrentes américaines, l’IRA pourrait bien leur porter un coup fatal. Alors que les écarts de compétitivité ne cessent de se creuser, le risque de délocalisation vers les États-Unis devient en effet systémique. Les décisions d’investissement annoncées ces derniers mois par plusieurs grands groupes américains comme européens attestent d’ailleurs de la réalité de cette menace.
Selon la Première ministre, le plan américain pourrait, à court terme, faire perdre 10 milliards d’euros d’investissement à la France et compromettre quelque 10 000 créations d’emploi.
Le défi est immense d’un point de vue économique, mais aussi conceptuel, car il souligne les profondes différences d’approche entre les deux rives de l’Atlantique.
Tout d’abord, parce que là où l’Europe, avec le Green Deal, conçoit sa politique environnementale en imposant des standards et des normes, les États-Unis, avec l’IRA, mettent en œuvre une politique industrielle offensive.
Ensuite, parce que les Américains abordent le défi de la transition écologique comme ils l’ont toujours fait : avec pour seule boussole la défense de leurs intérêts économiques. Ne nous leurrons pas : dans cette perspective, l’Europe n’entre à aucun moment en ligne de compte.
Enfin, parce que, avec l’IRA, les États-Unis prennent de nouveau leurs distances avec les principes du libre-échange et les règles de l’OMC, alors qu’ils constituent le cœur de la doctrine économique de l’Union européenne.
Nous ne devrions toutefois pas être surpris que les Américains usent d’un protectionnisme assumé. Ils le pratiquent, au gré de leurs intérêts, depuis au moins un siècle. N’oublions pas que le Buy American Act est en vigueur depuis 1933 !
L’Europe doit aujourd’hui regarder toutes ces réalités en face et réagir. Bien sûr, les discussions entamées avec les autorités américaines sur l’IRA peuvent être utilement poursuivies. Il semblerait même qu’elles aient produit de premiers résultats encourageants. Tant mieux, mais il semble clair que si des ajustements sont obtenus, ils ne le seront qu’à la marge.
De même, la saisine de l’OMC reste une option à envisager. Gardons toutefois à l’esprit qu’elle n’offrira aucune solution rapide, a fortiori compte tenu de la situation de blocage dans laquelle se trouve l’organe de règlement des différends, précisément du fait des États-Unis.
C’est donc avant tout par ses propres moyens que l’Europe doit répliquer aux distorsions de concurrence. Une chose est sûre : pour répondre aux Américains, pour réussir sa transition verte et numérique et pour rester une terre de production, il faudra qu’elle soit en capacité d’attirer des investissements et donc d’envoyer les bons signaux.
L’annonce d’aides d’État plus simples, plus rapides et ciblées sur l’ensemble de la chaîne de valeur est ainsi une inflexion de doctrine qui va dans le bon sens et qui pourrait d’ailleurs être étendue à d’autres pans de la politique de concurrence.
Attention toutefois à ne pas déstabiliser le marché unique par des volumes de subventions qui seraient trop disparates selon les États membres. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Commission proposera de créer en complément un fonds de souveraineté européen.
Selon Thierry Breton, 350 milliards d’euros devraient être mobilisés pour soutenir les projets industriels structurants. L’idée est évidemment séduisante, mais la question de son financement reste entière, en particulier s’il devait être proposé d’émettre une nouvelle dette commune.
Les oppositions de principe seraient alors nombreuses et nourries par le fait que, à ce jour, l’Europe ne sait toujours pas précisément comment elle remboursera son plan de relance.
D’autres pistes de réflexion, plus techniques, sont également sur la table. On le voit néanmoins, l’Union cherche encore le bon calibrage pour faire face à l’IRA et, plus largement, pour bâtir enfin une politique industrielle commune efficace.
Elle devra pourtant faire vite. À cet égard, le sommet européen des deux prochains jours ne devra pas déboucher sur des mesures a minima. Il doit surtout être l’occasion pour les Européens de pousser plus loin leur réflexion, car, pour donner un nouvel élan à notre industrie, d’autres leviers structurels doivent être actionnés.
Je pense notamment à l’environnement réglementaire des entreprises, qui reste trop complexe et contraignant, au développement des compétences, qui font trop souvent défaut aux industries et, bien sûr, aux prix de l’énergie, pour lesquels nous attendons encore et toujours une réforme efficace du marché européen de l’électricité.
Avant tout, l’Union européenne doit adapter son logiciel de pensée. Face aux grandes mutations de l’économie mondiale, face à la déliquescence du multilatéralisme commercial, face aux stratégies développées par les États-Unis et par tant d’autres, à commencer par la Chine, pour protéger et favoriser leurs entreprises, notre continent ne peut rester sans réaction. Il devra, tôt ou tard, se résoudre à jouer à armes égales avec ses concurrents.
Quelques avancées ont eu lieu pour établir un cadre stratégique de soutien au développement industriel, par exemple la mise en œuvre des projets importants d’intérêt européen commun. Mais, pour que les leaders industriels apparaissent ou se maintiennent dans les secteurs stratégiques de demain, l’Europe devra faire de la réciprocité le maître mot de sa stratégie économique et commerciale.
Dès lors, elle ne doit plus s’interdire de renouer avec le concept de préférence communautaire. À l’instar de ce que prévoit l’IRA, l’Union et ses États doivent pouvoir imposer dans leurs programmes de subventions des exigences en termes de localisation des approvisionnements et de production. De même, comme les États-Unis le font dans le Buy American Act, les États de l’Union doivent pouvoir réserver une part de leur commande publique aux entreprises produisant en Europe.
À rebours des politiques menées ces dernières décennies, c’est donc une véritable stratégie du made in Europe qu’il faut développer pour conforter la base industrielle de l’Union.
En renforçant l’arsenal de ses outils de défense commerciale, en adoptant un instrument antisubventions « distorsives », en améliorant le contrôle des investissements étrangers dans les actifs stratégiques ou en modifiant enfin son regard sur la concurrence internationale, notamment chinoise, l’Europe a montré ces dernières années qu’elle savait évoluer.
Elle doit désormais dépasser un cap, pour ne pas passer à côté des nouveaux marchés des nouvelles technologies qui ne cessent d’éclore, pour ne pas être évincée par des concurrents déterminés et conquérants, pour ne pas être la variable d’ajustement de la mondialisation.
En d’autres termes, elle ne peut, selon la formule de Sigmar Gabriel, rester un herbivore dans un monde de carnivores. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Monsieur le sénateur Rapin, permettez-moi de clarifier quelques points sur le volet des subventions.
Puisque les chiffres qui ont été publiés par la Commission font l’objet de nombreux débats, je rappelle que les 670 milliards d’euros d’aides d’État en question se rapportent à des paiements qui ont été autorisés, mais qui n’ont pas été déboursés.
Comme nous l’avons vu lors d’épisodes précédents, certains pays annoncent de grands moyens pour, finalement, n’en consommer qu’une partie, comme ce fut le cas, par exemple, pendant la crise du covid, au cours de laquelle France et Allemagne ont soutenu leurs entreprises et leurs ménages pour des montants équivalents. Rapportés au nombre d’habitants, ces montants ont toutefois été inférieurs aux sommes qu’ont mobilisées la Finlande ou le Danemark. Gardons cela en tête.
Comme l’ont souligné plusieurs orateurs, il est important de s’assurer que tous les pays puissent soutenir leurs entreprises dans le cadre de la stratégie industrielle européenne parce que les chaînes de production industrielle traversent toute l’Europe. Que serait une voiture sans, par exemple, le système de changement de vitesse fabriqué dans un pays n’offrant pas d’aides d’État ?
Il faut donc trouver l’équilibre entre aides d’État et flexibilité de l’utilisation des fonds de cohésion et des plans de résilience. Ces derniers doivent permettre à l’ensemble des pays de l’Union européenne de soutenir leurs entreprises de façon stratégique.
J’ajoute, monsieur le sénateur, que le projet de la Commission qui sera discuté demain et après-demain par les chefs d’État et de gouvernement prévoit d’ouvrir plus largement les Piiec que vous avez mentionnés aux petites et moyennes entreprises. Comme vous le savez, ce n’est pas exactement le cas aujourd’hui.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Boone, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée de l’Europe. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la richesse de ce débat sur la réponse européenne aux mesures protectionnistes américaines. Il intervient à point nommé, puisque cette question sera au cœur des discussions des chefs d’État et de gouvernement, qui se réunissent demain et après-demain à Bruxelles.
Cette question est majeure dans la mesure où ce qui est en jeu, c’est précisément la capacité de l’Union européenne à s’assumer comme une puissance industrielle et commerciale à part entière. Cette ambition est au cœur de l’action du Président de la République en vue d’une Europe plus forte, plus résiliente et plus souveraine.
Non seulement nous sommes à un tournant majeur, mais encore nous faisons face à un triple défi, d’une ampleur exceptionnelle : il nous faut nous adapter rapidement aux transitions écologique et numérique, réduire nos dépendances stratégiques et, enfin, bénéficier de conditions de concurrence équitables.
Comme nombre d’entre vous l’ont rappelé, ces conditions sont loin d’être réunies, tant les pratiques « distorsives » de nos partenaires font peser sur l’Europe des risques réels sur les plans économique et industriel. Tel était, bien évidemment, l’objet de la visite du président Macron, puis de celle de Bruno Le Maire et de son homologue allemand, hier, aux États-Unis.
Si nous entendons poursuivre les discussions avec les Américains au sujet d’éventuelles exemptions, le ressort est à chercher davantage chez nous, au sein de l’Union européenne.
La question est donc : qu’allons-nous faire en Europe ?
Nous voulons d’abord mettre sur pied un plan d’urgence pour envoyer un signal très clair aux entreprises européennes et leur donner de la visibilité. Tel est bien l’objet du projet de plan industriel vert, qui sera présenté par la Commission aux chefs d’État et de gouvernement lors du Conseil européen de demain et après-demain.
Nous soutenons ce plan, parce que nous y trouvons beaucoup d’éléments nécessaires à nos yeux pour préserver et même accroître la compétitivité de l’industrie européenne.
À cet effet, nous devons d’abord sélectionner des secteurs stratégiques. Après le règlement sur les composants électroniques – le Chips Act –, nous devons à présent adopter deux autres textes majeurs : une nouvelle législation destinée à assurer à l’Europe un approvisionnement en matières premières critiques – le Critical Raw Materials Act – et un nouveau cadre réglementaire pour l’industrie à zéro émission – le Net-Zero Industry Act –, qui doit fixer des objectifs capacitaires – vous demandiez un plan, mesdames messieurs les sénateurs ! – d’ici à 2030.
Nous devons également – c’est le deuxième volet de notre stratégie – simplifier drastiquement notre environnement réglementaire. Cela signifie non pas abandonner les régulations, mais les rendre claires, simples et faciles à mettre en œuvre.
Nous appelons donc à un choc de modernisation et de simplification des aides d’État, à une réduction à quatre mois des délais d’instruction des projets importants d’intérêt économique commun et à une réforme du marché de l’électricité.
Enfin, nous devons envisager l’adaptation de la commande publique européenne aux enjeux de notre politique industrielle.
Le troisième volet de notre stratégie consiste à mobiliser les investissements nécessaires. Nous aurons bien sûr besoin de capitaux privés, mais aussi de capitaux publics européens.
À cet égard, il est important de distinguer deux horizons. À court terme, nous avons besoin d’un redéploiement des fonds et, à moyen terme, d’une réponse structurelle au travers de la mise en place d’un fonds de souveraineté.
La politique commerciale, enfin, constitue le dernier volet de cette stratégie. Elle implique la mobilisation d’instruments autonomes et de défense commerciale qui soient à la fois protecteurs, dissuasifs et, j’ajouterai, assertifs : finie la naïveté, nous allons être offensifs ! Je pense en particulier à la protection du marché intérieur contre les subventions massives et les pratiques commerciales déloyales des États-Unis ou de la Chine.
Autant le dire sans ambiguïté et avec beaucoup de clarté : la préparation du Conseil européen a fait apparaître des clivages parmi les États membres, mais, comme vous le savez, le Conseil a précisément pour objet de favoriser le dialogue, les discussions et les négociations, en vue d’arriver à une position commune. C’est ce que nous ferons demain.
J’ajoute que personne ne veut d’une guerre commerciale, surtout dans le contexte actuel du conflit en Ukraine. En revanche, il ne faut pas que l’Union européenne soit une variable d’ajustement ; nous continuerons donc de nous battre contre cela et contre ce plan américain.
Ce paquet ambitieux combinera des flexibilités raisonnables en matière d’aides d’État, une accélération ainsi qu’une simplification de la politique industrielle et des négociations avec les États-Unis. Vous pouvez compter sur nous pour faire avancer une politique industrielle européenne digne de ce nom. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – M. Pierre Louault applaudit également.)