M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger, pour la réplique.
M. Gilbert Roger. Je suis satisfait de voir que l’Union européenne va peut-être inciter le gouvernement français à imposer une réelle transparence et une réglementation sur les prix proposés. Nous allons peut-être avancer…
surpopulation carcérale et situation au centre pénitentiaire de bordeaux gradignan
M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, auteure de la question n° 325, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Laurence Harribey. Madame la ministre, 72 836 prisonniers en France : c’est le nouveau nombre record dépassé au mois de décembre. Cette mécanique d’incarcération de masse se poursuivra tant que l’on ne se penchera pas sur l’extension du champ pénal et qu’on ne réfléchira pas à une nouvelle ingénierie de la sanction.
Les 15 000 nouvelles places promises dans les établissements pénitentiaires ne permettront pas d’améliorer la situation. Elles vont servir à enfermer des gens, mais n’assureront pas le respect du principe de l’encellulement individuel, on le sait.
À Gradignan, en Gironde, le centre pénitentiaire est actuellement surpeuplé à 200 %. Les incidents et les accidents s’y multiplient. Quand les nouveaux locaux seront disponibles, le taux d’occupation s’élèvera à 120 %, ce qui reste considérable. Il y a là matière à réflexion.
Quelle est votre analyse, madame la ministre ? Que peut-on dire de la situation à Gradignan ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice, le garde des sceaux Éric Dupond-Moretti regrette de ne pouvoir être présent ce matin et m’a priée de vous fournir les éléments suivants en réponse à votre question.
Il vous en remercie, car elle lui donne l’occasion de réaffirmer le projet porté par le Gouvernement de mettre en œuvre des conditions de détention plus dignes, mais aussi de meilleures conditions de travail pour nos agents pénitentiaires. Ce sont les objectifs du plan immobilier pénitentiaire, qui prévoit la construction de 15 000 places de prison. La moitié des établissements seront sortis de terre en 2024.
Dans votre département, c’est un établissement tout neuf de 600 places qui est en cours de construction à Bordeaux-Gradignan. Il permettra de réduire le taux de surpopulation carcérale de l’établissement actuel. Les travaux ont débuté au mois d’avril 2021 par la construction d’un premier bâtiment, qui sera mis en service au premier trimestre 2024. Un second bâtiment sera mis en service en 2026.
Au-delà des nouvelles constructions, le budget alloué aux établissements pénitentiaires s’élève à plus de 130 millions d’euros par an depuis cinq ans, soit le double de ce qui leur était alloué précédemment.
Je veux enfin rendre hommage aux surveillants pénitentiaires, troisième force de sécurité intérieure de notre pays, qui font un travail formidable, dans des conditions difficiles. Au-delà des paroles, il y a les actes. C’est pourquoi des mesures sont mises en œuvre afin de renforcer l’attractivité du métier de surveillant pénitentiaire.
La fusion des grades de surveillant et de brigadier entrée en vigueur en 2022 offre aux surveillants un déroulement de carrière plus linéaire, avec une revalorisation indiciaire à la clé. Des revalorisations de l’indemnité pour charges pénitentiaires (ICP) ont également été mises en œuvre en 2021, en 2022 et en 2023.
Enfin, et surtout, le Gouvernement a annoncé une réforme statutaire d’envergure du statut de surveillant dans le cadre de la nouvelle mandature. Elle constituera une réponse efficace au problème d’attractivité des métiers pénitentiaires.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour la réplique.
Mme Laurence Harribey. Merci, madame la ministre.
J’avais déjà alerté le garde des sceaux dans une question orale il y a quelques mois. Depuis lors, au quotidien, pour les surveillants de cet établissement, rien n’a changé !
Certes, une nouvelle construction est en cours, mais elle permettra seulement, je l’ai dit, de réduire le taux d’occupation à 120 %, contre 200 % aujourd’hui. Construire des murs n’est donc pas suffisant. Nous demandons depuis un certain temps – et, avec ma collègue Marie Mercier, nous le demanderons une nouvelle fois dans le rapport sur les services pénitentiaires d’insertion et de probation que nous présenterons prochainement – une refonte totale de la profession. Les annonces faites par le garde des sceaux récemment comportaient un « trou dans la raquette » à cet égard.
Vous évoquez une révision du statut de surveillant, elle est la bienvenue. J’espère que nous pourrons travailler ensemble sur cette question.
ouverture des aides aux armateurs transmanche exploitant en délégation de service public
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, auteur de la question n° 351, adressée à M. le secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer.
Mme Agnès Canayer. Madame la ministre, Brexit, crise sanitaire et crise énergétique n’ont pas épargné les lignes transmanche. Pour limiter leur impact, l’État a financé du chômage partiel pour les compagnies de ferries battant pavillon français à l’international et il leur a remboursé l’intégralité des cotisations salariales.
Ces mesures de soutien de la filière transmanche ont cependant généré une différence de traitement. Sont notamment concernées les lignes de ferries gérées en délégation de service public (DSP). C’est le cas de la ligne Dieppe-Newhaven, dont l’exploitation a été déléguée à DFDS Seaways par le syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche et le département de la Seine-Maritime.
Le président du conseil départemental, Bertrand Bellanger, a demandé à deux reprises au Premier ministre que la ligne Dieppe-Newhaven puisse bénéficier du remboursement des cotisations. Sans succès à ce jour…
Dans le cadre du Fontenoy du maritime, l’État a prorogé pour trois années supplémentaires ce remboursement, dit net wage, pour les navires battant pavillon français, à l’exclusion, de nouveau, des armateurs exploitant des lignes sous DSP.
Le maintien de cette exclusion pourrait être de plus en plus préjudiciable à la ligne Dieppe-Newhaven. Et l’absence de soutien de l’État dégrade fortement l’attractivité du modèle d’exploitation en DSP. Si le cumul d’aides par exonération et de compensation est contraire aux règles européennes, il semble possible de lever les risques de surcompensation ou de cumul d’aides qui motivent l’exclusion des DSP.
Quelle est la position du Gouvernement sur l’ouverture du dispositif des net wages aux lignes exploitées en DSP, comme celle de Dieppe-Newhaven ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé. Madame la sénatrice Agnès Canayer, je vous prie d’excuser l’absence de mon collègue Hervé Berville, qui ne pouvait être présent ce matin. En tant qu’ancienne députée, je connais bien la question du net wage, sur laquelle les parlementaires bretons et normands avaient déjà attiré l’attention du Gouvernement.
Comme vous l’expliquez très justement, les compagnies de ferries ont été touchées de plein fouet par la crise sanitaire. Elles ont subi une baisse du trafic et de leur chiffre d’affaires. En 2021, le Gouvernement a répondu présent avec cette aide exceptionnelle, qui a été reconduite pour trois ans et élargie au transport de marchandises, aux services et à la croisière, exposés aussi la concurrence internationale.
Les lignes exploitées sous DSP ont été exclues du net wage, car elles reçoivent déjà des compensations annuelles, versées par la collectivité publique délégante. Si elles avaient profité de l’aide net wage, cela aurait pu entraîner une baisse de ces compensations.
Quant à l’entreprise DFDS Seaways, elle a bénéficié du soutien de l’État pour les autres lignes qu’elle opère, à hauteur de 2,8 millions d’euros en 2021 et de 1,5 million d’euros au premier semestre 2022.
Hors DSP, les entreprises ne bénéficiaient d’aucun soutien. Leur viabilité économique aurait donc pu être très fortement compromise sans cette aide de l’État.
Mais le Gouvernement sait à quel point le dumping social fragilise les entreprises. Le secrétaire d’État chargé de la mer travaille sur un panel de solutions pour renforcer les contrôles dans les transmanche, inciter les armateurs à respecter un socle minimal de conditions sociales et réduire la concurrence déloyale.
En 2024, le Gouvernement pourra réévaluer l’exclusion des DSP en fonction de la situation.
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.
Mme Agnès Canayer. Madame la ministre, l’exclusion des lignes en DSP du dispositif de net wage fragilise non seulement la compagnie, mais aussi le département, qui est le principal financeur. C’est donc un vrai sujet pour la collectivité territoriale qui porte la DSP et qui souhaite le maintien de cette ligne, essentielle pour notre territoire.
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
L’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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Construction de nouvelles installations nucléaires
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes (projet n° 100, texte de la commission n° 237, rapport n° 236, avis n° 233).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. En cas de difficulté, vous pouvez demander de l’aide aux huissiers.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote. Le temps de parole imparti est de sept minutes pour chaque groupe et de trois minutes pour un sénateur n’appartenant à aucun groupe.
Vote sur l’ensemble
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la France a attendu que les effets du réchauffement climatique se fassent ressentir avec plus de force et, surtout, que la sécurité d’approvisionnement en énergie se fragilise pour relancer enfin le nucléaire et les énergies renouvelables. Que de temps perdu ! Cela nous impose désormais de légiférer dans l’urgence pour nous mettre au pas et rattraper plus de vingt ans d’inertie afin de préserver notre souveraineté électrique.
Comme le disait si bien John Fitzgerald Kennedy : « La victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline. » Ne faisons pas davantage le procès du passé, car les débats ont révélé un oubli des responsabilités collectives et un rabâchage des mêmes excuses et de postures idéologiques. Mais les revirements ne constituent pas une spécificité nationale : l’Allemagne et la Belgique ont repoussé la sortie du nucléaire, la Suède et les Pays-Bas procèdent à sa relance, quand d’autres pays, comme la Pologne, se lancent dans la construction de réacteurs.
Mes chers collèges, le mix énergétique doit être diversifié. Je regrette que le Sénat ait remplacé cet objectif par celui de décarbonation. Les études prospectives réalisées ces dernières années le démontrent : plus la diversification est poussée, plus on maîtrise les incertitudes dans l’accès aux matières critiques, les technologies ou les coûts. Toutes les énergies décarbonées ont leurs avantages et leurs inconvénients. C’est un pari que nous faisons, car l’équation est complexe.
Atteindre un mix 100 % renouvelable d’ici à 2050 ne serait pas réaliste. Ce serait non seulement coûteux, mais irréalisable, puisque nous ne disposons pas des moyens de stockage d’électricité nécessaires pour pallier les intermittences – même si les investissements dans l’hydrogène connaissent un coup d’accélérateur en raison du nouveau contexte géopolitique.
Il nous faut préserver une certaine souplesse pour adapter nos objectifs de politique énergétique à ce contexte, aux freins sociaux, économiques et financiers, ainsi qu’au rythme des avancées en matière d’innovation, qui ne peuvent se décréter.
Les choix du passé s’imposent pour l’avenir. On ne peut faire table rase d’une réalité qui, elle aussi, s’impose à nous : le mix électrique français repose à 70 % sur l’énergie nucléaire.
Par ailleurs, les efforts de sobriété doivent également être poursuivis en parallèle si nous ne voulons pas sombrer dans la décroissance. En effet, les premiers réacteurs EPR 2 ne seront pas disponibles avant 2035, voire 2037, au mieux.
Pour revenir au cœur du débat, ce projet de loi contribuera à accélérer la procédure administrative en matière de construction de nouveaux réacteurs et à prévenir les contentieux en limitant les occasions de former des recours dilatoires, sans pour autant modifier les règles de fond des autorisations environnementales et des autorisations de création.
Le choix d’implanter des projets sur les sites existants, ou à leur proximité immédiate, renforcera leur acceptabilité, mais aussi leur réussite, les territoires étant déjà prédisposés pour les accueillir. C’est le cas de la centrale du Blayais, chère à notre collègue Nathalie Delattre.
À l’issue de nos travaux, le texte a été complété, notamment par l’intégration de petits réacteurs modulaires, l’extension de la durée d’application des mesures de quinze à vingt-sept ans et la prise en compte des observations des collectivités. Les améliorations portées à la consultation du public sont bienvenues.
En revanche, la question de la fermeture du cycle du combustible est loin d’être réglée. Je regrette l’abandon du projet Astrid, réacteur de quatrième génération, qui remet en cause la stratégie de la France en la matière.
Enfin, si nous saluons une meilleure prise en compte du dérèglement climatique et des cyberattaques, nous regrettons que le périmètre des plans particuliers d’intervention n’ait pas été élargi, comme le proposait notre collègue Véronique Guillotin.
Restons lucides : ce projet de loi ne règle en rien les retards accumulés par notre pays, qui n’a plus construit un seul réacteur depuis vingt ans. Les déboires du chantier de Flamanville doivent servir d’épouvantail. Ce texte demeure symbolique dans son contenu. Des obstacles, qui ne relèvent pas des procédures, persisteront.
Outre les difficultés de recrutement à résoudre, il faudra préciser rapidement le volet relatif au montage financier.
Par ailleurs, quelle régulation du marché de l’électricité sera appliquée en France et en Europe ? Le mécanisme d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), qui doit prendre fin en 2025, ne protège ni les consommateurs français ni EDF, lourdement endettée à la veille de sa nationalisation.
Le marché de l’énergie doit être réformé. On ne peut continuer à subventionner les fournisseurs alternatifs et à favoriser la concurrence pour la concurrence, sans aucune incitation à l’investissement. Oui à la souveraineté, mais oui aussi à la solidarité au niveau européen et à plus d’équité !
En ce qui concerne le calendrier, la concertation publique arrive soit trop tôt, soit trop tard : trop tard, car elle aurait dû avoir lieu il y a quelques années ; trop tôt, car nous ne disposons pas des études de faisabilité et de la liste des sites d’implantation non plus que du coût total du programme de relance du nucléaire et de ses modalités de financement. S’il est facile d’acter des objectifs dans la loi, ceux-ci doivent être réalistes.
Le débat public se poursuit actuellement et la représentation nationale aura l’occasion de s’en saisir. Que l’on y soit favorable ou non, les amendements du rapporteur visant à supprimer le plafonnement de la part du nucléaire à 50 % en 2035 ont quelque peu préempté ce débat.
Cela étant, cet ajout ne constitue pas une ligne rouge pour notre groupe. Gageons que l’architecture générale des choix énergétiques de la France disposera de ses murs porteurs d’ici à la fin de cette année. Ainsi, le groupe RDSE votera en faveur du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie, pour commencer, la conférence des présidents du Sénat d’avoir prévu pour l’adoption de ce projet de loi – que je souhaite profondément – la procédure du scrutin public solennel. Cela permet, sur un texte majeur comme celui-ci, de focaliser l’attention de l’immense majorité de notre assemblée.
Je remercie par ailleurs le groupe Les Républicains de m’avoir confié la responsabilité de défendre ce texte.
Il est pourtant technique en apparence, madame la ministre, avec trois types de mesures différentes pour accélérer les procédures, toujours trop longues dans notre pays. Son adoption, nous dit-on, ferait gagner cinquante-six mois sur la construction d’un réacteur nucléaire.
Notre excellent rapporteur Daniel Gremillet a parfaitement souligné son objectif : accroître la sécurité, en matière juridique, mais aussi en ce qui concerne les attaques informatiques ou les risques climatiques. Représentants des élus, nous nous sommes efforcés de mieux associer les collectivités locales et de faire en sorte que des dispositions d’urbanisme comme le zéro artificialisation nette ne soient pas prises sans que celles-ci en soient parties prenantes. C’est donc un véritable enrichissement de ce texte que notre rapporteur a défendu, et que nous avons adopté.
Par un ensemble d’amendements, nous avons également apporté une sécurité juridique indispensable aux projets en évitant qu’ils ne soient paralysés par des procédures administratives contradictoires, en étendant la durée d’application des mesures de quinze à vingt-sept ans, comme l’a souligné notre collègue Jean-Claude Requier.
En somme, le texte du Gouvernement, enrichi par la commission et adopté par notre assemblée, consolidera les projets, y associera les élus et les populations, ce qui permettra l’adaptation de nos anciens réacteurs.
J’en viens au point qui pourrait non pas nous opposer, mais nous distinguer.
Notre excellente ancienne collègue Mme Jouanno, aujourd’hui présidente de la Commission nationale du débat public, déclare dans la presse que le Sénat n’est pas dans son rôle, qu’il préempte la discussion nationale sur la stratégie nucléaire : elle aurait souhaité que nous nous taisions ! Mme Jouanno est en dehors des réalités… (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – M. Alain Cazabonne applaudit également.)
Dès novembre 2017, le Président de la République a remis en cause la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, sous l’empire de laquelle nous vivons encore aujourd’hui – ce qui est profondément absurde. Il a décidé, avec raison, de reporter à 2035 le délai fixé par ce texte pour réduire à 50 % la proportion d’électricité d’origine nucléaire.
Le débat était ouvert, donc. Pour être honnête, il est fort lent. La déclaration faite à Belfort en novembre 2021 n’était pas mauvaise, et m’avait fait espérer que le nucléaire serait enfin à l’ordre du jour. Le 10 février 2022, le Président de la République nous présente un programme complet, avec cet art oratoire si particulier qui consiste à parler interminablement sur des sujets qu’il est censé connaître parfaitement.
Or cela n’est pas vrai, parce qu’il aurait dû poser la question principale en matière d’énergie à ce jour : s’agit-il de décarboner ou bien de verdir ? S’il s’agit de verdir, la majorité sénatoriale considère que ce n’est plus la priorité.
L’urgence climatique exige de décarboner notre société grâce aux mesures prises dans les secteurs du logement, de la mobilité, de l’industrie. En outre, pour décarboner, il faut électrifier. La proposition du Président de la République de diminuer de 40 % la consommation énergétique est alors simplement irréaliste.
En revanche, son idée d’augmenter de 60 % la production d’électricité est pertinente, bien qu’il ne s’en donne pas les moyens. En effet, pour cela, ce ne sont pas six réacteurs de nouvelle génération EPR 2, plus éventuellement huit autres, et la certitude de maintenir 100 % des capacités existantes jusqu’en 2050 – excusez-moi du peu ! –, ce qui n’apparaît pas vraisemblable à ce jour, qui seront nécessaires.
Comme ministre de l’industrie, j’ai signé le lancement du dernier réacteur, celui de Civaux, en 1994. Ces réacteurs, qui sont de « bonnes bêtes » et qui travaillent bien, fatigueront tout de même. Si nous voulions remplacer ne serait-ce que la moitié des réacteurs existants d’ici à 2050, il faudrait sans doute, non pas six plus huit réacteurs, comme c’est prévu, soit quatorze réacteurs, mais entre vingt et vingt-cinq réacteurs de type EPR 1 650 mégawatts pour parvenir à ce résultat.
Par conséquent, le Sénat a eu raison d’ouvrir ce débat et je remercie notre collègue Daniel Gremillet, ainsi que Sophie Primas, d’avoir amorcé cette ouverture.
Puisque nous allons quitter le domaine du réglementaire pour examiner une sorte de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) législative, nous attendons donc avec impatience ce projet de loi afin de connaître la stratégie en la matière.
Je rappellerai une vieille histoire. En 1975, alors que je n’étais pas encore sénateur, mais commissaire du gouvernement, un débat identique à celui-ci se déroulait au Sénat.
Le 14 mai 1975, le ministre, Michel d’Ornano,…
M. Bruno Sido. Cela ne nous rajeunit pas ! (Sourires.)
M. Gérard Longuet. … qui mettait en œuvre, sous l’autorité du président Giscard d’Estaing, la politique de Pierre Messmer – ce qui souligne la continuité de la politique française dans ce domaine –, expliquait que la stratégie appartenait au Parlement et que sa mise en œuvre revenait au gouvernement. Nous revendiquons la stratégie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, INDEP et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. - M. Alain Cazabonne et Mme Denise Saint-Pé applaudissent également.)
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 1963, le général de Gaulle qualifiait déjà l’énergie atomique comme « le fond de l’activité de demain ». Que de chemin parcouru depuis le prix Nobel attribué à Pierre et Marie Curie, associés à Henri Becquerel, pour la découverte de la radioactivité naturelle !
Le nucléaire, c’est l’histoire de la France, de ses physiciens visionnaires et innovants. C’est une aventure industrielle, une aventure d’excellence et d’indépendance énergétique.
Énergie respectueuse du climat, le nucléaire fournit en outre de l’électricité de façon continue et est capable de s’adapter aux variations de la demande électrique. En raison de la stabilité de son réseau et de son caractère pilotable, il contribue largement à sécuriser l’acheminement de l’électricité à destination des hôpitaux, des entreprises et de chaque foyer.
De notre force historique, il ne reste – hélas ! – que l’absolue nécessité de reconstruire une filière largement malmenée ces dernières années.
Entre hésitations coupables et accidents spectaculaires, nous avons considérablement revu à la baisse nos ambitions dans ce secteur.
Si Ségolène Royal et ses « acolytes » ont manqué de réalisme et de vision (Mme Marie-Pierre de La Gontrie proteste.), si, collectivement, nous n’avons pas suffisamment soutenu cette filière, l’heure doit être aux choix politiques clairs et forts.
N’oublions pas que nos centrales nucléaires sont la principale source d’électricité décarbonée.
Malgré nos 87 % d’électricité d’origine nucléaire en 2010, nous nous sommes reposés sur nos lauriers en négligeant coupablement les autres modes de production.
Nous discutons abondamment de bouquet, de mix, mais les leçons des deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979 n’ont pas été retenues et nous sommes toujours dépendants – à 70 % – des énergies fossiles. Le déclenchement de la guerre en Ukraine nous l’a cruellement rappelé.
L’équation à résoudre est limpide : si nous voulons décarboner nos transports et nos habitudes de vie au quotidien, il nous faut davantage de nucléaire et d’énergies renouvelables.
Je profite de cette intervention pour souligner l’important travail réalisé par Mme la ministre et son cabinet, ainsi que par les sénateurs impliqués, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables.
À cette occasion, nous avons entendu la principale critique derrière laquelle un certain nombre de parlementaires de tous bords se sont abrités pour ne pas voter ce texte, notamment à l’Assemblée nationale.
Leur argument est purement chronologique : ils auraient préféré que la loi de programmation pluriannuelle de l’énergie ait été discutée en amont.
Nous sommes tous d’accord, mais l’invasion de l’Ukraine nous a conduits à une situation d’urgence énergétique absolue, qui a exigé des réponses efficaces et rapides.
Oui, ces projets de loi dits « d’accélération » ne sont peut-être pas complètement suffisants, mais ils sont essentiels pour redéfinir un cap pertinent.
En ce qui concerne le nucléaire, ce texte, en l’état, comporte des avancées notoires en matière de simplification des procédures et de réduction des délais. Gagner du temps, ou en perdre moins, voilà l’enjeu !
Tout d’abord, nous sommes très nombreux, sur les travées de cet hémicycle, à nous réjouir de la suppression, au sein du code de l’énergie, de l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans notre bouquet énergétique à l’horizon 2035.
Cet objectif relève du fantasme, comme le précédent qui était fixé à 2025 sous le mandat de François Hollande. Notre groupe a démontré son attachement à cette abrogation, dès l’examen du projet de loi en commission.
En outre, la recherche et l’innovation dans le domaine de l’hydrogène bas-carbone font partie de nos objectifs à long terme.
Enfin, plusieurs garanties sont ajoutées concernant la sûreté et la sécurité des installations face aux aléas du dérèglement climatique. Être toujours plus transparents et prévoyants doit rester notre préoccupation essentielle.
Si l’opinion publique a très favorablement évolué dans ce domaine, la pleine acceptation des Français n’est pas au rendez-vous ; c’est la raison pour laquelle la sécurité et la sûreté nucléaire doivent rester, plus que jamais, notre priorité.
En matière de prévention, la France a placé la barre beaucoup plus haut que les autres pays.
Grâce aux nouvelles évolutions technologiques, comme les réacteurs moyen-module ou le projet International Thermonuclear Experimental Reactor (Iter) ayant trait à la fusion, toutes les conditions sont réunies pour donner un véritable second souffle à cette filière qui, associée à l’énergie solaire, doit nous permettre d’atteindre, dans quelques dizaines d’années, ce graal qu’est l’indépendance énergétique.
Toutefois, ce défi ne pourra être relevé que si nous faisons de la question de l’enseignement et de la formation des personnels ingénieurs une priorité absolue.
Le Gouvernement s’est engagé en la matière, grâce à l’investissement de 200 millions d’euros dans la formation depuis 2019. Poursuivons dans ce sens !
Le manque flagrant d’équipes compétentes dans le domaine de la maintenance a considérablement ralenti la remise en service de nombreux réacteurs depuis le début de la crise énergétique.
Dans ce secteur, le meilleur de l’innovation reste encore à inventer et les récents succès des Américains dans le domaine de la fusion nous autorisent tous les espoirs.
Enfin, le redressement de notre économie et de nos comptes publics sera directement lié à nos ambitions en matière d’indépendance énergétique. Le nucléaire est l’une des sources d’électricité décarbonée peu coûteuse à produire, permettant à la France d’avoir un prix de l’électricité parmi les plus bas d’Europe.
N’écoutons pas les « Khmers verts » et les « prédicateurs de la lampe à huile », dont le discours irréaliste ne peut que nous conduire dans des impasses mortifères pour les générations futures.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires sera sans ambiguïté et votera ce texte, symbole fort d’un cap à tracer et à poursuivre. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)