PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, proposant au Gouvernement de sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels
Discussion générale (suite)

Sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels

Rejet d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de résolution proposant au Gouvernement de sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Fabien Gay, Pierre Laurent, Mme Marie-Noëlle Lienemann et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 176).

Dans la discussion générale, la parole est M. Fabien Gay, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, proposant au Gouvernement de sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels
Discussion générale (fin)

M. Fabien Gay, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, jour après jour, l’impact des prix de l’énergie sur les usagers, nos entreprises, nos collectivités territoriales donne à voir l’ampleur de la crise qui est devant nous.

Le mythe de la libéralisation du secteur de l’énergie et de ses mécanismes concurrentiels, qui devaient faire baisser les prix, n’a pas passé l’épreuve de la réalité. Ces mécanismes n’ont pas protégé les consommateurs et les consommatrices, pas plus que les économies européennes. Je pense en outre qu’il vaut mieux s’en tenir aux faits au lieu de respecter des dogmes.

Nous proposons aujourd’hui de sortir du marché européen de l’énergie et de ce mécanisme de construction des prix, de prendre un autre chemin que celui de l’Europe du marché et des traders. Nous voulons construire ensemble une Europe de l’énergie répondant aux besoins humains, aux besoins vitaux, aux exigences climatiques et qui protégeant les peuples européens les plus fragiles.

Mais, avant toute chose, je veux rectifier une contre-vérité ânonnée par un certain nombre de membres du Gouvernement : sortir du marché européen reviendrait à sortir de l’interconnexion européenne et à se replier sur soi.

D’emblée, je souhaite pointer un problème : le marché européen a été créé à Barcelone en 1997. Or les premières interconnexions européennes entre la France, l’Allemagne et la Suisse ont eu lieu en 1967. Je propose donc que ceux qui répètent une telle contre-vérité arrêtent et que nous la laissions aux experts des plateaux de télévision de BFM Business. Concentrons-nous plutôt sur les faits.

Tout comme nous pouvons faire du commerce sans traités de libre-échange climaticides, puisque l’on commerce depuis l’Antiquité, nous pouvons maintenir les interconnexions et les échanges solidaires sans laisser les traders faire du profit.

Mes chers collègues, le marché européen actuel ne peut pas fonctionner, car il repose sur trois illusions.

La première est que l’électricité est une marchandise comme une autre et que l’on pourrait organiser de toutes pièces un marché où l’offre rencontrerait la demande.

Sauf qu’un marché s’organise, certes, avec une offre et une demande, mais surtout avec un stock ! Si l’offre est supérieure à la demande, le prix est faible ; et inversement.

Or, précisément, dans le cas du marché européen de l’électricité, les dés sont pipés, dans la mesure où le producteur doit produire ce que la demande veut à l’instant t. Vous pouvez donc vendre votre électricité à 1 euro, 10 euros, 100 euros ou 1 000 euros par mégawattheure, la demande devra l’acheter à ce prix-là. Sans compter que les autorités régulatrices, chez nous RTE (Réseau de transport d’électricité), pourront toujours venir au secours des fournisseurs au dernier moment pour ajuster les besoins en cas de risque.

Cela ne peut pas fonctionner ainsi, d’autant plus qu’avec le marché de gros et le marché spot, le système favorise le trading.

Nous continuerons donc à dire que l’électricité, et plus largement l’énergie, parce qu’elles sont nécessaires à la vie, doivent être sorties du secteur marchand et reconnues comme un bien commun de l’humanité.

J’aimerais ensuite revenir sur une deuxième illusion : il existe un seul marché européen, mais plusieurs stratégies et unités de production nationales. C’est comme si nous avions un marché européen de l’automobile, au sein duquel certains fabriqueraient des Lada, d’autres des Twingo, des Ferrari et des Mercedes, et que toutes ces voitures étaient vendues au même prix. Vous pourriez m’opposer que c’est impensable, sauf que c’est précisément ce qui se passe pour l’électricité !

Quel que soit le mix énergétique français, qu’il repose sur les énergies fossile, renouvelable, hydraulique ou nucléaire, on fixe le même prix à l’échelon européen selon une tarification reposant sur le coût marginal. C’est un fonctionnement qui s’entend pour une stratégie nationale, mais qui ne peut pas fonctionner à l’échelon européen.

Mme Céline Brulin. Très bien !

M. Fabien Gay. Cette tarification est d’ailleurs une création non pas du marché européen, mais de Marcel Boiteux, directeur de cette grande entreprise que fut EDF de 1967 à 1987. Simplement, à l’époque, il avait raison, car cela répondait à une stratégie nationale.

À l’inverse, il s’agit d’une aberration lorsqu’on l’applique à l’échelon européen. En effet, peu importe que l’on dépende peu du gaz, comme c’est le cas de la France – moins de 1 % –, ou beaucoup comme en Allemagne, où cette part s’élève à 40 % : on paye tous le même prix !

Et contrairement à la promesse ronflante de départ, cela ne pousse pas les États membres à décarboner leurs productions ou à investir dans les énergies renouvelables. Car, quoi qu’il arrive, et même sans investissement, ils payeront le même prix que leurs voisins.

Troisième illusion : le marché européen mettrait en lien producteurs et acheteurs. Mais là où il y a un marché, il y a des traders. C’est justement ce que nous avons vécu cet été lorsque le marché s’est emballé et que le prix de l’électricité s’est envolé au-delà de 1 000 euros par mégawattheure. Ce n’est pas sérieux, d’autant que le phénomène ne reposait pas sur l’évolution des coûts de production ou des prix, mais découlait du trading !

Pour vous donner une idée de l’étendue des dégâts – car il faut rappeler les chiffres et les faits –, il n’est qu’à regarder ce qui s’est passé pour GEMS (Global Energy Management & Sales), la filiale de trading d’Engie. Écoutez-moi bien, mes chers collègues : en 2021, elle réalisait 365 millions d’euros de bénéfices ; en 2022, en pleine crise énergétique, ceux-ci se sont établis à 2 milliards d’euros !

Autre exemple, Mint Energie, qui a profité de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) et d’un prix de 46,5 euros par mégawattheure, a revendu son électricité sur le marché au prix de 257 euros ! Sans rien produire et en quelques jours, elle a ainsi réalisé 6 millions d’euros net de bénéfices.

Et le pire du scandale, c’est que l’État a financé ce fournisseur d’énergie en le laissant percevoir 12 millions d’euros au titre du bouclier tarifaire. Mint Energie, qui ne produit rien et rançonne les usagers, a perçu 18 millions d’euros net de bénéfices. Il faut arrêter ce massacre et ce racket organisé !

Oui, il est possible de faire autrement ! D’ailleurs, beaucoup de monde, même à droite, est désormais d’accord avec nous pour délier les prix du gaz et de l’électricité. Très bien ! Mais comment faire sans sortir de ce système ?

Vous allez me répondre qu’il suffit de maintenir la tarification sur la base du coût marginal, sauf pour le gaz. C’est du reste ce que fait le Gouvernement, madame la ministre, en plafonnant son prix. Mais cela soulève trois problèmes.

Premièrement, cela revient à subventionner une énergie fossile, ce qui, vous en conviendrez, n’est pas bon pour la planète.

Deuxièmement, les Allemands bloquent. Évidemment ! Dans un système qui lie les prix du gaz et de l’électricité, ceux-ci ont un avantage comparatif.

Troisièmement, l’horizon 2023 et 2024 est très dégradé. Aujourd’hui, la Chine est à l’arrêt, mais lorsque l’activité repartira, elle va devoir acheter du gaz à n’importe quel prix. Si, actuellement, nous importons du gaz américain et qatari, qu’en sera-t-il les années suivantes compte tenu de cette compétition internationale qui va faire flamber les prix ?

En bref, tous ceux qui, au sein du marché européen, ont tout intérêt à conserver ce lien entre les prix du gaz et de l’électricité continueront à bloquer.

Alors oui, nous l’affirmons, il est possible d’emprunter un autre chemin en demandant dès maintenant une dérogation. Et il faut arrêter de nous dire que ce n’est pas possible, car le Portugal et l’Espagne ont démontré le contraire.

Cela ne signifie pas qu’il faille copier ces pays ou que nous soyons dans la même situation qu’eux, car ils sont en bout de chaîne tandis que nous sommes au cœur du réseau, mais ces voisins ont montré qu’il était possible que certains États membres bénéficient d’une dérogation. Alors, emboîtons-leur le pas !

J’ajoute que l’Allemagne, elle, n’a pas demandé de dérogation, mais a mis 200 milliards d’euros sur la table pour subventionner son économie.

À titre dérogatoire, nous proposons en premier lieu de réactiver les tarifs réglementés pour tout le monde ; l’Assemblée des départements de France (ADF) y est favorable. Il faut d’urgence protéger les plus fragiles : les usagers, les TPE et nos collectivités territoriales.

Entre nous, affirmer que nous avons obtenu des énergéticiens que le prix de l’électricité soit « bloqué » à 280 euros par mégawattheure relève de la blague et de l’aberration : les mêmes fournisseurs qui pratiquent ce tarif ont payé, pour 70 % du total de l’électricité qu’ils vendent, 42 euros par mégawattheure, au prix de l’Arenh. Et même s’ils achetaient les 30 % restants sur le marché au prix de 800 euros par mégawattheure, ils continueraient à réaliser des profits…

Il est donc temps de rétablir les tarifs réglementés. Bien entendu, cette mesure coûte de l’argent – c’est évalué à 3,5 milliards d’euros –, mais combien a-t-on versé l’an dernier au nom du bouclier tarifaire ou du filet de sécurité ? 43 milliards d’euros !

Nous proposons d’en finir avec l’Arenh. Vous comprendrez que ce système dépouille et rackette EDF et ses usagers.

Je pense enfin que nous devons faire notre retour à la tête de l’Europe pour sortir de ce mécanisme européen des traders et de ce marché libéral. Et nous le pouvons, car nous sommes la France, un pays respecté !

Nous voulons conserver les interconnexions, maintenir un système qui protège l’ensemble des consommateurs et des consommatrices et qui, surtout, repose sur un mix électrique national.

Nous devons faire valoir notre intérêt, celui du nucléaire, mais nous devons aussi aider celles et ceux qui dépendent fortement des énergies fossiles en inventant des règles fondées, non pas sur la compétition, mais sur la coopération, pour sortir l’ensemble de l’Europe des énergies fossiles et répondre aux besoins vitaux des peuples qui auront toujours besoin d’énergie. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François Bonneau.

M. François Bonneau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis près d’un an, le marché de l’énergie connaît des perturbations historiques, notamment en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022. Ce contexte international, inédit au XXIsiècle, place le marché énergétique en tension et a été le révélateur d’une crise du marché électrique sous-jacente.

En effet, avec le système actuel, le prix du mégawattheure a atteint des niveaux sans précédent, passant de 40 euros début 2021 à 400 euros en septembre 2022.

De telles hausses, même si le prix du mégawattheure a eu tendance à baisser récemment, aux alentours de 137 euros, ne sont acceptables et supportables ni pour nos entreprises ni pour l’ensemble des particuliers. Elles s’expliquent en partie par le fonctionnement actuel du marché électrique européen, qui nous place de facto en économie de guerre. En effet, le prix de l’électricité étant indexé sur celui du gaz, peu importe le coût réel de la production, le prix final dépend du contexte international que nous ne pouvons pas contrôler.

S’il convient de noter les interventions de l’État pour contenir la hausse du prix de l’électricité à l’aide du bouclier tarifaire, du dispositif « amortisseur électricité » ou encore des chèques énergie, le problème de fond n’est pas réglé. D’une part, de telles aides coûtent à l’État et ne peuvent perdurer. D’autre part, la crise de notre système électrique est également structurelle.

L’Arenh nous conduit aujourd’hui à vendre notre production électrique nucléaire à bas coût pour la racheter ensuite plus cher sur le marché européen. Ce système en pleine crise est une aberration qui profite aux revendeurs : ce sont les consommateurs français qui en payent le prix fort ! C’est d’autant plus vrai qu’il s’accompagne d’une extension progressive des tarifs réglementés de vente dont le coût se répercute, une fois de plus, sur nos concitoyens et sur les entreprises nationales.

Rappelons d’ailleurs que les énergies renouvelables sont prioritaires lors de l’injection sur le réseau, ce qui conduit à presque arrêter les structures de production électrique pilotables lorsqu’il y a du vent notamment. Quelque part, cela nous fait payer deux fois la production, puisque nous n’avons pas la maîtrise du stockage de l’énergie.

À l’inverse, lorsque les énergies renouvelables sont à l’arrêt, nous n’avons plus suffisamment de pilotable disponible à fournir, notamment à cause de l’Arenh, et nous payons jusqu’à dix fois le prix, ce qui est insensé !

À cela s’ajoute la mauvaise gestion interne d’EDF, avec un déficit financier structurel étalé sur plusieurs années. Cette situation particulièrement préoccupante contraint aujourd’hui l’État à reprendre la main. C’est aussi la gestion de l’entretien du parc nucléaire par l’entreprise qui nous place dans une situation complexe.

Fin octobre, plus de la moitié du parc nucléaire était hors d’usage. En cause, des problèmes d’érosion sur des réacteurs qui ont nécessité une intervention rapide et fait émerger des critiques sur une potentielle négligence eu égard à l’entretien des centrales.

Rappelons que, au 11 janvier de cette année, douze des cinquante-six réacteurs de ce qui fut par le passé un fleuron industriel français permettant une production décarbonée, pilotable et à bas coût étaient à l’arrêt.

L’électricité n’est pas un produit de consommation comme un autre, elle ne doit pas dépendre uniquement de l’offre et de la demande. Tant pour sa production que pour sa disponibilité auprès des usagers, il importe de définir un cadre souverain devant dépasser les seules lois du marché.

La proposition de résolution soumise à notre examen aujourd’hui vise à sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels. S’il est une certitude, c’est effectivement que nous ne pouvons pas nous contenter du statu quo actuel.

Tout d’abord, parce que les particuliers sont aujourd’hui touchés de plein fouet par la crise. Ils ne pourront donc pas, en plus de l’inflation générale, supporter à long terme et sans aides des factures électriques dont le montant est doublé, triplé, quadruplé, voire plus si la situation ne venait pas à évoluer. Un certain nombre de nos concitoyens sont déjà en précarité énergétique. Notre devoir est de les accompagner !

Ensuite, parce que les collectivités territoriales sont asphyxiées : sans elles, ce sont des territoires, des services et une certaine qualité de vie qui sont menacés ! Il s’agit d’une préoccupation majeure dans chaque commune. Les maires doivent désormais choisir entre chauffer convenablement leur école, permettre à leurs administrés de faire du sport ou défendre des projets pour leur commune.

Certains m’opposeront qu’au nom de la libre concurrence, nous ne pouvons plus aider nos collectivités financièrement. Soit. Mais nous devons nous battre collectivement pour leur permettre d’accéder à un tarif attractif ne faisant pas l’objet de spéculation, afin qu’elles puissent continuer d’exercer, pour ceux qui l’auraient oublié, leurs missions de service public !

Enfin, nous ne pouvons pas nous contenter du statu quo actuel, parce que le monde économique est menacé. Réalisme ou défaitisme, le spectre d’un mur des faillites causé par la hausse des prix de l’énergie se dresse d’ores et déjà devant nous. Nos boulangers baissent le rideau, nos restaurateurs commencent à manifester leurs craintes, nos artisans arrivent à bout de leurs capacités, certaines grandes entreprises préfèrent ne plus produire et recourir au chômage partiel. Le marché européen nous asphyxie !

Je le dis clairement, si nous ne pouvons pas aider plus nos collectivités, nos particuliers, nos TPE-PME, c’est à la base du problème et avec courage qu’il faut s’attaquer ! Les Français nous le demandent !

Pour agir concrètement désormais, deux voies s’offrent à nous : une réforme du marché de l’électricité européen ou une sortie du marché européen, afin de contrôler directement les prix de l’électricité.

Pour bien mesurer l’action à mettre en œuvre, le premier point crucial est de s’interroger sur la place du nucléaire en France. Aujourd’hui, nous sommes pénalisés si nous n’utilisons pas assez d’énergies renouvelables alors même que l’électricité produite par la France est quatre fois plus décarbonée que celle qui est produite par l’Allemagne.

Des pistes européennes existent, avec notamment une refonte du marché de l’électricité. Elles devront s’accompagner d’une réflexion approfondie sur la place que doivent prendre les différentes énergies, notamment les renouvelables et le nucléaire.

Une révision complète des règles relatives au marché européen de l’électricité a été annoncée par la Commission européenne le 18 octobre 2022. C’est une annonce salvatrice, mais qui tarde à être concrétisée dans les faits.

Parmi les pistes évoquées ou actées lors des derniers conseils européens, on propose de découpler les prix du gaz et de l’électricité, afin de mettre fin au système du merit order, qui conduit à une hausse artificielle du prix de l’électricité. On propose également de plafonner le prix du gaz, et donc par extension de l’électricité, via la bourse TTF, le marché gazier de référence à l’échelle européenne, mais le contexte international ne nous y aide pas.

Au-delà, il y a également la piste pour la France de sortir temporairement du marché électrique européen. C’est une piste pertinente qu’il ne faut pas exclure.

La dérogation temporaire aux règles du marché de l’électricité accordée aux deux pays de la péninsule ibérique peut faire des émules. Il convient malgré tout de noter qu’il s’agit d’une dérogation, donc une mesure d’exception, qui a été accordée eu égard au faible nombre d’interconnexions électriques du Portugal et de l’Espagne.

La majorité du groupe Union Centriste estime qu’une sortie dérogatoire et temporaire du marché européen de l’électricité peut être opportune.

M. Fabien Gay. Très bien !

M. François Bonneau. Rien ne semble expliquer qu’un pays comme la France ne puisse en bénéficier également. Les mêmes opportunités doivent pouvoir être offertes à l’ensemble des États membres de l’Union européenne.

Face à l’inaction gouvernementale, nous l’avions souligné le 7 décembre dernier en séance publique lors de l’examen de la proposition de loi visant à protéger les collectivités territoriales de la hausse des prix de l’énergie en leur permettant de bénéficier des tarifs réglementés de vente de l’énergie, une résolution est l’outil parlementaire adéquat pour alerter sur le caractère européen de la problématique structurelle que constitue la crise de l’électricité.

Nous avions également précisé que nous soutiendrions un texte sans idéologie ni dogmatisme qui mettrait en lumière les dysfonctionnements du marché européen de l’électricité.

Si nous saluons la volonté et les objectifs initiaux des auteurs du texte, nous ne souscrivons aucunement à l’ensemble des propos tenus par les auteurs de cette proposition de résolution dans l’exposé des motifs. N’accusons pas le libéralisme de tous les maux !

M. François Bonneau. Un monopole et une économie administrée n’ont jamais permis de préserver durablement le pouvoir d’achat…

Nous ne prônons aucunement une fin de l’intégration européenne. Nous sommes en faveur d’un assouplissement des règles et d’une refonte complète de celles-ci. Tout cela est primordial.

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si les études du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) n’avaient pas réussi à convaincre certains jusque-là, la crise actuelle de l’énergie sonne le glas de l’illusion de son abondance.

Notre impréparation généralisée conduit à ce que les États soient dans l’obligation de répondre en urgence à des situations de pénurie. La prospective devient indispensable en matière de stratégie énergétique, qui doit pouvoir être souple tant les incertitudes sont nombreuses pour assurer notre sécurité d’approvisionnement, préserver nos concitoyens, maintenir la vie économique du pays et les emplois.

Si l’électricité constitue un bien de première nécessité, comme l’a admis le Conseil d’État, ce statut n’a malheureusement pas été reconnu pour le gaz, justifiant ainsi en droit la suppression progressive des tarifs réglementés de vente.

Les différents intervenants de la table ronde organisée au Sénat au mois de décembre dernier par la commission des affaires économiques l’ont souligné : le marché européen a été conçu pour gérer l’abondance d’énergie. Depuis sa création, la situation a profondément évolué du fait d’une combinaison de crises sanitaire, géopolitique et climatique. Si les premières n’étaient pas prévisibles, la fin des énergies fossiles et le réchauffement climatique l’étaient bel et bien.

Ainsi, le marché tel qu’il fonctionne aujourd’hui ne peut pas être adapté à ces défis. Des économistes le reconnaissent, ce marché n’incite pas à l’investissement sur le long terme. Il ne répond plus aux promesses avancées au moment de sa création : meilleur coût pour les usagers, sécurité d’approvisionnement, indépendance énergétique.

Comme l’a constaté la Cour des comptes dans un rapport publié au mois de juillet 2022 : « […] les tarifs réglementés de vente (TRV) sont de plus en plus exposés aux variations des prix de marché, au risque de s’éloigner plus nettement des coûts de production d’EDF ». L’intégration du coût d’approvisionnement des fournisseurs alternatifs sur les marchés de gros dans le calcul de ces tarifs pour assurer leur contestabilité provoque leur renchérissement.

Mettons donc fin au système de l’Arenh instauré par la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite Nome, qui crée une concurrence subventionnée, pénalise EDF et donc les investissements dans la production d’énergie décarbonée, au profit de fournisseurs alternatifs, qui n’ont que très peu produit et sont de simples traders.

Cependant, l’échec actuel du marché n’explique pas tout. Nous avons accumulé un retard considérable sur tous les fronts : renouvelable, nucléaire, efficacité énergétique, économies d’énergie ou résilience des réseaux.

Que l’on préserve des mécanismes concurrentiels ou non, je ne crois pas, pour ma part, que les prix de l’énergie puissent artificiellement baisser. Ils doivent en effet couvrir les coûts de production, qui, eux, augmenteront dans les années à venir au regard du mur d’investissements qui nous attend. Il n’y a pas de magie ! Aussi, la sortie de la France du marché européen de l’énergie, plus qu’une solution, se révélerait fortement déstabilisatrice. Les échanges transfrontaliers doivent être maintenus, sinon développés.

En attendant, assurons-nous que ces prix n’excèdent pas le coût de production auquel il serait ajouté une « marge raisonnable ». C’est le sens de l’adoption en loi de finances de la taxe sur la rente inframarginale, qui devrait rapporter entre 7 milliards d’euros et 11 milliards d’euros en 2023.

Peut-on réellement conjurer la volatilité des prix et la spéculation ? Oui, je le pense. La piste des contrats de long terme pour d’autres énergies que les renouvelables semble avancer, afin de donner de la visibilité à tous les acteurs, de calmer le jeu et de permettre d’investir dans de nouvelles capacités de production avec un peu plus de sérénité.

Certes, l’Union européenne n’a, pour l’instant, proposé que des solutions temporaires. Il est regrettable que chaque État membre continue de négocier des dérogations dans son coin, créant une concurrence faussée. Il est regrettable également que l’on paye l’influence de l’Allemagne sur l’architecture du marché, qui a conduit à des décisions prises aux dépens de ses voisins, en premier lieu de la France. Je pense à la sortie du nucléaire et au soutien fort apporté au gaz pour compenser l’intermittence de leurs énergies renouvelables. Le merit order et la détermination du prix de l’électricité par le coût de la dernière centrale appelée, le plus souvent le gaz, leur bénéficie pleinement !

La réforme doit être étudiée et discutée, afin de dessiner un mécanisme à la fois juste et solidaire au niveau européen. Surtout, le Parlement devrait être informé de manière permanente de l’état de ces négociations et des solutions envisagées.

Le Gouvernement plaide à l’échelon européen pour une décorrélation du prix de l’électricité de celui du gaz, pour un plafonnement du prix de l’énergie sur le marché de gros, qui vient d’être acté, mais la réalité est surtout que la demande est supérieure à l’offre. Ce problème de volume ne constitue pas une situation provisoire.

Aussi, la solution à la flambée des prix de l’énergie n’est pas aussi simple que de sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels, ni techniquement, ni économiquement, ni juridiquement. (M. André Gattolin applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, délestage, blackout, sobriété, et même col roulé : depuis plusieurs mois, les Français sont bercés, pour ne pas dire inondés, d’un verbatim anxiogène. Cela fait craindre, dans l’immédiat, un passage difficile de l’hiver et des factures énergétiques qui explosent. Et cela interroge sur les raisons profondes d’une telle situation.

Reconnaissons que personne ne prêtait vraiment attention aux comparatifs de coût de l’électricité, historiquement très favorables à notre pays, qui montraient régulièrement un rapport d’un à trois, par exemple, avec nos voisins allemands. Encore moins nombreux étaient ceux qui s’intéressaient de près à la raison de ce différentiel important pour la commercialisation des électrons si essentiels à notre vie de tous les jours. Il a fallu la violence d’une crise énergétique sans précédent, ou presque, pour comprendre le mécanisme infernal dans lequel la France s’est fourvoyée.

Chacun a bien compris maintenant que l’électricité pouvait être produite par différents moyens : nucléaire, hydraulique, éolien, photovoltaïque, biomasse, gaz, pétrole et charbon. De l’option choisie dépendent le coût de la production et son impact environnemental, chaque pays faisant son choix en fonction de potentiels propres et de données géopolitiques parfois anciennes. C’est particulièrement vrai sur notre continent.

Ainsi, l’Allemagne a hérité d’un approvisionnement en gaz russe, relativement bon marché, mais très émetteur de CO2, tout en s’appuyant sur des centrales à charbon au bilan écologique inversement proportionnel au rendement économique.

De son côté, la France s’est orientée dès les années 1950 vers le nucléaire, très bon marché et très faiblement carboné, contribuant progressivement à assurer sa souveraineté dans le domaine.

En quelque sorte, chacun avait choisi sa stratégie pour composer son mix électrique, sans solliciter une quelconque autorisation auprès de l’Union européenne, tout en s’associant pour construire un réseau européen de l’électricité, sorte de solidarité communautaire pour assurer une disponibilité d’un bout à l’autre du continent. Voilà planté le décor de la proposition de résolution qui nous est proposée par le groupe CRCE aujourd’hui. J’en partage plusieurs éléments, mais force est de constater que cette initiative rate sa cible pour deux raisons : une confusion dans l’analyse et un biais idéologique. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE.)