M. Gérard Longuet. Ce n’est pas une surprise !
M. Stéphane Piednoir. Il n’est pas judicieux de remettre en cause le mécano énergétique que j’ai décrit. Ce marché unique de l’énergie est en plein accord avec les principes fondamentaux de la construction européenne. On peut même admettre que cela constitue un certain équilibre dans un réseau ainsi interconnecté, du fait de logiques différentes dans la production faisant appel à des sources d’approvisionnement diversifiées.
Mais c’est ailleurs que le bât blesse : marché unique ne signifie pas tarification unique ! À quel moment avons-nous accepté de fixer nos coûts de production sur ceux, nettement moins avantageux, de pays certes partenaires, mais qui doivent pouvoir assumer seuls leurs propres stratégies ? À quel moment a-t-on accepté de lier les destins électriques de pays aux orientations divergentes en se basant sur les moins vertueux ?
S’il y a bien une chose que l’on n’attend pas de la construction européenne, c’est qu’elle mette à mal des stratégies industrielles nationales ou qu’elle sacrifie un avantage concurrentiel. C’est pourtant exactement ce qui a été scellé, certes de manière discrète, mais néanmoins sournoise, avec la tarification européenne de l’énergie.
En indexant le coût de l’électricité sur celui du gaz, au motif qu’il s’agirait de la dernière énergie capable de produire notre électricité en cas de pénurie, on bafoue complètement notre souveraineté, savamment construite par le président Pompidou dans les années 1970. C’est un peu comme si le prix des agrumes était indexé sur le coût de production dans les pays baltes au seul motif qu’il s’agirait d’une main-d’œuvre plus facilement mobilisable en dernier recours, sans considération particulière quant à la météo dans ces pays. C’est absurde !
Ce mécanisme de calcul intègre le coût sur le marché de gros, soumis à de fortes fluctuations depuis l’automne 2021, et de manière encore plus aiguë depuis le conflit en Ukraine, dont l’une des conséquences est l’envolée du prix du gaz, liée à l’arrêt de l’approvisionnement russe. De surcroît, ce tarif calculé n’est absolument pas capé, d’où des cours instantanés totalement délirants jusqu’à 2 000 euros le mégawattheure ! Cette situation n’est d’ailleurs pas sans rappeler les prêts structurés, dits toxiques, qui ont tant mis en difficulté les collectivités locales ayant fait confiance à une formule basée sur la parité entre l’euro et dollar, laquelle ne devait en aucun cas pouvoir s’inverser… Jusqu’à la crise des subprimes. (M. Gérard Longuet le confirme.)
Certes, soyez tranquilles, le président Macron a bien identifié le problème et promis de convaincre ses collègues européens de revenir sur ce mécanisme, à l’instar de l’Espagne et du Portugal, qui ont atteint cet objectif avec moins d’emphase, mais bien plus d’efficacité…
Pour quel résultat à ce jour ? Le communiqué du dernier Conseil européen est impressionnant : « Le mécanisme de correction du marché sera automatiquement activé si “l’événement de correction du marché” suivant se produit :
« - le prix Title Transfer Facility (TTF) à un mois dépasse 180 euros le mégawattheure pendant trois jours ouvrables ;
« - le prix TTF à un mois est supérieur de 35 euros au prix de référence du gaz naturel liquéfié (GNL) sur les marchés mondiaux pendant les trois mêmes jours ouvrables. » (Rires sur les travées du groupe CRCE.) C’est une vraie prouesse technocratique !
Il faut vraiment en finir avec cette tarification absurde qui piétine toute politique nationale, aussi judicieuse soit-elle. Imaginez un peu, mes chers collègues, si jamais nos dirigeants avaient continué sur la voie pompidolienne, nous serions non pas les rois du pétrole, mais les empereurs de l’électricité, et notre modèle énergétique s’imposerait vraisemblablement à l’ensemble du continent européen !
J’en viens au biais d’ordre idéologique de nos collègues du groupe CRCE s’agissant de leur analyse sur le caractère concurrentiel de ce marché de l’énergie. Sans doute nostalgiques d’une économie totalement administrée, qui n’a pourtant pas, à travers l’histoire mondiale, rencontré le succès escompté, vous accablez le caractère libéral du marché européen.
M. Pierre Laurent. C’est ce qu’avait fait de Gaulle !
M. Stéphane Piednoir. Mais, en vérité, c’est seulement le mécanisme de l’Arenh qui est en cause, à savoir livrer à des fournisseurs une partie de la production de l’opérateur historique au prix concurrentiel de l’électricité d’origine nucléaire, quasiment sans aucune contrepartie et sans aucun algorithme de réajustement en fonction de la conjoncture.
La véritable ouverture à la concurrence consisterait à permettre à des producteurs de proposer leurs propres tarifs de fourniture, dans une logique d’optimisation des coûts complets, dont les bénéficiaires seraient en définitive les consommateurs. Nous sommes très loin de ce schéma, qui, d’ailleurs, ne vous conviendrait sans doute pas davantage.
Si nous partageons plusieurs constats sur les conséquences de la tarification européenne pour nos concitoyens, le groupe Les Républicains ne votera pas cette proposition de résolution, pour les raisons que je viens d’évoquer.
Néanmoins, conscient du travail qu’il faut absolument engager pour changer ce mécanisme absurde, je conclus par cette devise du camarade Lénine, que vous partagerez certainement : « Là où il y a une volonté, il y a un chemin. » (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.)
M. Gérard Longuet. Je ne suis pas certain que ce soit de Lénine !
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la crise énergétique que nous traversons nous fragilise considérablement. Nos ménages sont fortement impactés, nos entreprises et tout le tissu entrepreneurial sont menacés.
La compétitivité de notre pays et, plus largement, celle de l’Union européenne seront fortement affectées. Il est impératif que l’Union sorte de sa dépendance aux énergies fossiles, en provenance particulièrement de la Russie. À ce titre, le plan REPowerEU est un outil intéressant. Il repose sur un triptyque simple : faire en sorte d’effectuer des économies d’énergie, diversifier nos sources d’approvisionnement en énergie et, surtout, produire notre énergie de manière propre.
Que ce soit le projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dont nous avons discuté l’an dernier et qui en est à l’étape de la commission mixte paritaire, ou le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, que nous examinerons en séance publique la semaine prochaine, nous devons aller vite et être efficaces. Ces textes ne sont que le début, et notre groupe est déjà tourné vers les prochaines échéances : un projet de loi énergie-climat et la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).
L’Union européenne est incontournable quand il s’agit d’énergie. N’oublions pas que c’est une compétence partagée entre l’Union européenne et les États membres. Un paquet vert se met en place au fur et à mesure depuis 2019, traduisant une volonté de transition écologique. La transition énergétique en fait partie.
Des réponses arrivent également concernant la crise actuelle, malgré des difficultés visibles lors des conseils européens tout au long de l’année 2022. Le 22 décembre dernier, un règlement dit « d’urgence » établissant un cadre en vue d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables a été publié au Journal officiel de l’Union européenne. Le texte est d’application directe pour les dix-huit prochains mois.
Le travail des États membres de concert avec l’Union européenne constitue une véritable valeur ajoutée. Le marché intérieur européen de l’énergie est une force, mais il n’est pas abouti, et la réforme structurelle annoncée est plus que nécessaire. Tout d’abord, parce que si les craintes sont fortes pour cet hiver, elles le sont tout autant pour les hivers prochains. Ensuite, parce que le système doit être mieux adapté.
C’est pourquoi nous ne sommes pas d’accord avec le point 12 de cette proposition de résolution, qui évoque « l’échec » de l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie. Au-delà de l’interconnexion, ce marché a des avantages importants pour la France, puisqu’il permet de ne pas manquer d’énergie et de revendre l’énergie que nous produisons.
Cette année est particulière pour nos installations nucléaires, mais n’oublions pas, à l’heure où l’on travaille à leur relance, que nous revendons aussi beaucoup sur le marché européen de l’énergie.
Je salue l’implication du Gouvernement sur le principe du découplage du prix du gaz et du prix de l’électricité. Notre groupe soutient ce découplage et l’appelle de ses vœux depuis plusieurs mois. De manière générale, nous soutenons la réforme du marché européen de l’énergie. Mais ce que notre groupe ne souhaite absolument pas, c’est une sortie de fait de ce marché : les difficultés seraient alors bien plus grandes !
Le point relatif aux barrages hydrauliques est crucial, et notre groupe a une position claire. Nous avons encore, lors des dernières questions d’actualité au Gouvernement du mois de décembre, exprimé notre souhait de voir ce dossier évoluer et certaines situations se débloquer, comme la création de stations de transfert d’énergie par pompage (Step).
Hier matin, en audition devant la commission des affaires économiques, Mme la ministre a été transparente sur la volonté de stratégie avec le nouveau patron d’EDF pour aborder les négociations à venir avec la Commission européenne. L’hydroélectricité fait partie de notre avenir et de notre souveraineté. Elle est gage de notre indépendance énergétique.
Cependant, pour toutes les raisons évoquées précédemment – en particulier, leur point de vue divergent sur les solutions face au marché européen de l’énergie –, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires ne peuvent pas voter en faveur de cette proposition de résolution. (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Le vidéaste Heu?reka a tenté d’expliquer le marché commun européen de l’électricité, auquel, soyons francs, presque personne ne comprend rien, pas même le ministre de l’économie, qui oscille entre approximations et contre-vérités !
Là où une vidéo de vulgarisation dure généralement quelques dizaines de minutes, il a fallu à notre vidéaste quatre vidéos et plus de trois heures trente d’explications pour venir à bout du marché de l’électricité.
Je vais tenter d’exprimer notre position sur ce débat central. Je remercie nos collègues du groupe CRCE d’avoir demandé l’inscription de cette proposition de résolution à l’ordre du jour de notre assemblée.
À l’époque, il était possible de croire que le mécanisme de libéralisation permettrait d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables (EnR), totalement délaissées par EDF, enfermé dans sa stratégie du tout nucléaire, dont les limites sautent chaque jour un peu plus aux yeux. Vingt ans plus tard, force est de constater que le compte n’y est pas.
Le marché européen était censé offrir le meilleur prix au consommateur. Au lieu de cela, comme le prix est commun et comme les opérateurs refusent de faire tourner leurs centrales à perte, il instaure, de fait, un prix unique basé sur le coût de production de la dernière centrale mobilisée, le plus cher du continent.
Le marché était censé favoriser la multiplication des producteurs-fournisseurs d’énergie, particulièrement en matière de renouvelable : il a essentiellement créé des fournisseurs qui ne produisent rien et se « gavent » sur le dos du contribuable grâce aux tarifs réglementés et à l’Arenh.
Pour le développement de la production d’EnR notamment, les règles de marché étant structurellement inadaptées, l’État a eu recours à des contrats de long terme à prix garanti avec les opérateurs. D’une manière générale, ouvrir à la concurrence les monopoles naturels et multiplier les acteurs privés utilisant la même infrastructure publique unique est une curieuse idée dont on a vu toutes les limites avec le rail. Il faudra – hélas ! – encore quelques années à certains pour s’en apercevoir.
Pour l’électricité, qu’il faut à chaque instant produire dans des quantités suffisantes, mais sans surplus, multiplier les acteurs privés avant tout soucieux de leurs marges sur un réseau interconnecté reliant une trentaine de pays relève tout simplement de l’inconscience.
Résultat des courses : une spéculation débridée et des tarifs totalement déconnectés des coûts de production. C’est encore une fois l’État, à coups de bouclier tarifaire, qui vient amortir cette inconséquence. L’échec est complet : à part quelques libéraux dogmatiques confinant au fanatisme, tout le monde le concède !
Malgré quelques réticences, les États membres ont enfin décidé de restructurer le marché unique de l’électricité. Mais ni la proposition de la Commission de plafonner à 200 euros par mégawattheure les prix d’achat aux producteurs disposant des centrales les moins chères ni la proposition française de développer des contrats à long terme publics ou privés ne semblent à ce stade en mesure de protéger les consommateurs de la volatilité des prix ou de sécuriser les investissements nécessaires à la transition énergétique.
Ces propositions ne sont pas à la hauteur de l’attente des artisans, boulangers en tête, qui voient leurs factures multipliées par trois, quatre ou cinq. Elles ne sont pas davantage à la hauteur de l’attente des 12 millions de nos compatriotes en situation de précarité énergétique, de nos industriels, qui menacent de délocaliser, ou de nos collectivités, qui sont obligées d’augmenter les impôts locaux.
Elles ne sont également pas à la hauteur de l’urgence de la transition énergétique, qui demande de la visibilité à moyen et long termes pour tous les acteurs.
Seule la puissance publique est en mesure de réguler les prix payés par les consommateurs en harmonisant les coûts très variables d’un type de production à l’autre et de planifier les investissements nécessaires à la transition. L’énergie n’est pas une marchandise comme les autres ; c’est un bien commun dont la fourniture à prix régulé doit être garantie.
C’est le sens de la proposition des écologistes lors de l’élection présidentielle de remettre à plat des directives européennes.
Je précise au passage que contrairement à ce que veut bien raconter le ministre, suspendre ou sortir du marché commun de l’électricité, ce n’est certainement pas mettre un terme à la solidarité ou au commerce d’électricité entre pays européens, qui existait avant et existera après le marché unique. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)
C’est le sens également de notre proposition de renationaliser EDF pour en faire le bras armé de la transition énergétique, de notre volonté de conserver les barrages hydroélectriques dans le giron public et de notre proposition de loi visant à créer un service public des énergies renouvelables. Le groupe écologiste partage les principaux objectifs de cette résolution.
En rappelant son attachement viscéral au respect de la règle commune européenne, il demande au Gouvernement de plaider avec force à Bruxelles pour une remise à plat totale des mécanismes concurrentiels. Dans ces conditions, il apporte son soutien à cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE. – M. Franck Montaugé applaudit également.)
M. Fabien Gay. Très bien !
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la discussion que nous avons là est très importante sur le fond.
M. Fabien Gay. Ah !
M. André Gattolin. Je tiens à remercier celui qui en est à l’origine, notre collègue Fabien Gay, fin connaisseur et vigie sur ces questions, car il touche là à un sujet sensible. Je souscris à certains des constats qu’il dresse concernant les déficiences de l’organisation actuelle du marché de l’électricité, ses abus et la nécessité de le réformer.
Au-delà des imperfections liées à la manière dont nous avons procédé, en France, à la libéralisation, pour nous conformer aux directives européennes ouvrant les secteurs de la production et de la fourniture d’électricité à la concurrence, rappelons que, si les prix de l’énergie ont atteint des sommets en 2022, c’est essentiellement en raison de l’agression de l’Ukraine par la Russie et de l’utilisation par cette dernière de l’approvisionnement en gaz comme une arme de guerre. La flambée des prix du gaz qui en a découlé s’est répercutée sur le prix de l’électricité produite dans les centrales et, par ce biais, sur les prix de l’électricité en général.
La corrélation entre le prix du gaz et le prix de l’électricité, due au principe de la préséance économique, ou merit order, fondé sur le coût marginal de la dernière source de production mobilisée – le gaz, en l’occurrence –, n’est pas étrangère à l’actuelle flambée des prix. Le gouvernement français a été l’un des premiers à militer pour une réforme de ce mécanisme, dans le sens d’une décorrélation du prix du gaz de celui de l’électricité sur le marché européen.
S’il existe des raisons objectives de critiquer ce mécanisme de fixation du prix de l’électricité au niveau européen, c’est précisément parce que la question de la sécurité des approvisionnements énergétiques a, trop souvent, été mise sous le tapis ces dernières années.
Nous avons ainsi privilégié un coût de l’énergie et, surtout, de l’électricité, le plus bas possible à court terme, au détriment d’une vision à plus long terme d’une meilleure indépendance énergétique de notre continent. Nous avons facilité la consommation au détriment des investissements dans la production d’électricité, car ceux-ci créent, évidemment, un coût final plus élevé.
Certains sont tentés, comme le font les auteurs de cette proposition de résolution, d’en attribuer la responsabilité à l’Europe et à la libéralisation du marché de l’électricité.
On oublie cependant que nous en avons beaucoup bénéficié, à l’échelon national, jusqu’à la guerre en Ukraine et que le mécanisme de la préséance économique a aussi largement contribué au développement des énergies renouvelables.
On oublie également que nombre des dysfonctionnements constatés aujourd’hui proviennent de la manière dont nous avons géré la libéralisation du secteur, essentiellement au profit des distributeurs d’électricité plutôt qu’au profit des producteurs.
La loi Nome, adoptée par le Parlement français en 2010, est loin d’avoir rempli ses objectifs en matière de diversification de l’offre de production et a même entraîné certains effets spéculatifs, justement dénoncés par notre collègue Fabien Gay.
Par ailleurs, je veux rappeler ici que nous étions fort peu nombreux dans cet hémicycle voilà sept ans, soit deux ans à peine après l’invasion de la Crimée, à nous opposer à la construction du gazoduc Nord Stream 2, qui accroissait significativement notre dépendance énergétique à la Russie.
En revanche, au même moment, la commission des affaires européennes du Sénat s’était fermement opposée – la seule voix discordante était la mienne… – à une proposition de décision du Parlement européen et du Conseil qui, au nom de la sécurité d’approvisionnement de l’Union européenne en gaz naturel, obligeait les États membres à soumettre ex ante à la Commission, pour évaluation et suivi, tous leurs projets d’accords intergouvernementaux d’achat de gaz avec des États non-membres de l’Union.
Il faut donc bien travailler à une réforme rapide du marché européen de l’électricité. L’Union ouvrira, dans quelques jours, une consultation publique à ce sujet. Je vous invite d’ailleurs à y participer, car les Français sont souvent trop peu présents face à des Allemands vingt fois plus nombreux… (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
Un projet de législation européenne devrait en découler au printemps. La secrétaire d’État chargée des affaires européennes, que nous avons auditionnée ce matin en commission des affaires européennes, nous l’a confirmé : cette réforme tendra à faire baisser les prix et à les rendre moins volatils sans sacrifier la transition énergétique, notamment en faisant en sorte que le principe de préséance économique prenne en compte les coûts réels de production de l’électricité.
Oui, il faut mieux réguler le marché de l’électricité. En revanche, non, il ne faut pas sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels et du système européen ! Les conséquences directes et indirectes d’un « Frexit énergétique » seraient extrêmement graves pour notre pays.
En effet, si la France n’a pas subi de délestage le mois dernier, ce n’est pas seulement parce que notre consommation électrique a diminué, c’est surtout parce que nous avons importé de l’électricité grâce à l’interconnexion des réseaux et à l’existence d’un marché de gros garantissant des prix corrects. (MM. Fabien Gay et Jean-Claude Tissot protestent.)
Je vous invite, chers collègues, à étudier de près la situation énergétique du Royaume-Uni, qui reste interconnecté, mais a quitté le marché européen de l’électricité, et procède à des achats de gré à gré à des prix particulièrement élevés. Voilà qui pourrait vous convaincre que le dispositif envisagé dans cette proposition de résolution est une fausse bonne solution.
Vous l’aurez compris, le groupe RDPI votera contre.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Fabien Gay applaudit également.)
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je remercie nos collègues du groupe CRCE d’avoir inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée cette proposition de résolution.
Indéniablement – tous nos compatriotes en vivent les difficultés, dans leur quotidien ou dans leurs entreprises –, le marché européen de l’électricité n’a pas répondu aux objectifs initiaux qui lui étaient assignés.
Le principe de la concurrence libre et non faussée n’a pas diminué le prix de l’électricité. Il alimente l’inflation et n’a en rien permis de lutter contre la précarité énergétique. En France, il a même conduit à l’affaiblissement d’EDF, le plus important énergéticien d’Europe et l’un des premiers au monde. À dessein, ou faute de pilotage stratégique de la part l’État, actionnaire majoritaire, EDF a été sacrifiée sur l’autel de la concurrence. Ce qui fonctionnait jusque-là et participait grandement de notre souveraineté industrielle nationale a été déconstruit et affaibli.
Je le rappelle, le critère d’évaluation de la réussite du développement du marché était non pas le prix ni la qualité du service, mais la quantité et la proportion de l’électricité vendue par des fournisseurs alternatifs à EDF.
Or ces fournisseurs alternatifs n’ont jamais respecté l’obligation initiale qui leur était faite de produire par leurs propres moyens de l’électricité. Du négoce, du commerce ! Ils achètent et ils revendent, pour une proportion importante à un prix administré, via le mécanisme de l’Arenh dont on sait la destruction de valeur qu’il a causée pour l’entreprise nationale EDF.
Tout cela pour en arriver, bien avant l’agression russe de l’Ukraine, à une envolée croissante des prix, alimentée par une crise de l’offre et des pratiques de spéculation qui ont largement enrichi les traders des marchés de l’énergie. Si certains consommateurs se sont appauvris et ont plongé dans la difficulté, d’autres acteurs en ont fait leur richesse.
Rien de ces surplus spéculatifs créés par le marché ne s’est perdu. En revanche, nos concitoyens, nos artisans, nos entreprises – TPE, PME et ETI –, les collectivités locales et jusqu’à nos grands groupes industriels, dont les électro-intensifs, en ont payé et en payeront encore longtemps les conséquences financières au risque, pour beaucoup, d’une plus grande précarité ou de la perte de leur outil de travail.
Nous sommes pris entre, d’un côté, les États-Unis, qui mettent en œuvre leur très patriotique acte de réduction de l’inflation, et la Chine, dont la politique de l’offre est financée par l’État, le tout dans un total déni des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ou de ce qu’il en reste.
Dans ce contexte extrêmement préoccupant, qu’attendons-nous du Gouvernement, non pour résoudre les difficultés de l’instant, auxquelles il apporte quelques solutions conjoncturelles, mais pour répondre aux problèmes structurels du marché de l’électricité ? C’est la question que soulève cette proposition de résolution, dont nous partageons totalement les constats.
L’électricité n’est pas un bien marchand comme un autre. Elle est d’abord, plus que tout autre produit, au cœur de la civilisation, et elle le sera plus encore avec le temps, eu égard aux transitions que doit opérer notre société pour être au rendez-vous climatique de la neutralité carbone en 2050.
On la retrouve de l’alimentation aux transports, en passant par l’habitat. Elle est absolument partout, comme le sont depuis plus de deux siècles les énergies fossiles. Ne se stockant pas à grande échelle, elle nécessite un ajustement parfait et permanent entre la production et la consommation. En définitive, l’électricité est un bien commun, et doit être appréhendée comme telle.
Tout d’abord, ce qui est aujourd’hui hors du marché doit le rester, ainsi des concessions hydrauliques.
La régulation encore existante doit être préservée. C’est le cas des tarifs réglementés de vente (TRV), qui doivent être élargis au-delà du seuil de 36 kilovoltampères.
De plus, comme nous le demandent tous – je dis bien « tous » – les entrepreneurs, les contrats d’approvisionnements doivent répondre à deux objectifs à conjuguer : visibilité à moyen et à long terme et stabilité des prix dans le temps. Les prix doivent être indépendants du marché des énergies fossiles.
La proposition de résolution invite à extraire le marché de l’électricité de la concurrence. Nous pensons que, si cette option doit être privilégiée, des régulations spécifiques doivent aussi être envisagées.
À chaque fois que nous interrogeons le Gouvernement sur ses propositions de réforme structurelle du marché, qu’il défend au sein des instances européennes, aucun début un tant soit peu concret de réponse ou d’orientation ne nous est apporté. Madame la ministre, prenez vos responsabilités pour défendre l’intérêt général des Français à Bruxelles, et passez enfin des déclarations d’intention à la négociation !
Faites-nous part dès aujourd’hui des options de réforme structurelle que vous entendez porter dans l’intérêt de la France comme de l’Union européenne ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)