M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, coincés entre une extrême droite obnubilée par le « grand remplacement » et une droite en crise, M. le ministre de l’intérieur et ses amis sont prêts à occulter les vrais problèmes du pays, à flatter les bas instincts et à encourager le rejet et la suspicion.
Mes chers collègues, notre ministre s’enorgueillit d’accorder deux fois moins l’asile aux exilés que l’Allemagne. Il nous promet aussi que tout rejet d’une demande d’asile vaudra obligation de quitter le territoire ; il n’en résultera rien d’autre qu’encore plus d’OQTF, mais combien d’entre elles seront exécutées ? Vous n’aurez jamais les moyens de vos ambitions, et vous le savez, monsieur le ministre.
C’est la trentième loi en la matière, depuis 1980… Les gouvernements se succèdent, mais c’est toujours la même rengaine : l’immigration coûterait « un pognon de dingue » et les exilés ne traverseraient les mers au péril de leur vie que pour bénéficier de tous les avantages sociaux, tels que l’aide médicale de l’État (AME)…
D’ailleurs, la droite sénatoriale semble en partager l’idée, puisqu’elle a déjà exprimé le souhait, dans un bel esprit d’humanité, de réduire de 350 millions d’euros le budget de l’AME dans le projet de loi de finances pour 2023.
L’étranger à la peau sombre serait un profiteur, un futur délinquant et le responsable de tous les maux de la France, quand bien même il vivrait sous un pont ou sous une tente d’infortune, et même s’il est privé de couverture pour passer l’hiver… En comparaison, le bon réfugié, l’Ukrainien par exemple, est reçu dignement – et c’est tant mieux ! – parce qu’il a la peau claire et qu’il est chrétien. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. N’importe quoi !
M. Rémy Pointereau. Vous ne pouvez pas dire cela !
Mme Esther Benbassa. Avec votre texte, il y aura désormais le migrant économiquement utile, à qui sera délivré cyniquement un titre de séjour temporaire « métiers en tension », pour le lui retirer une fois que la « tension » s’est estompée. Votre politique d’accueil n’est qu’un sinistre replâtrage, qui vise simplement à rendre « acceptables » ces milliers d’immigrés destinés à régler notre crise du recrutement.
L’État abandonne à leur sort les étrangers sur son territoire. La situation des centres de rétention administrative (CRA) est catastrophique, tout comme celle des mineurs non accompagnés (MNA). La France, « terre d’asile » ? Désormais, ce n’est plus qu’un mythe ! (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. On croit rêver !
Mme Esther Benbassa. Messieurs les ministres, à tant prévenir les esprits des Français contre le danger que les étrangers représenteraient, y aura-t-il encore une place dans notre pays, d’ici à dix ans, pour des Dupond-Moretti, voire des Darmanin ?
M. Gérald Darmanin, ministre. D’après vous, avec le texte que nous défendons, mes grands-parents n’auraient jamais été intégrés ?
Mme Esther Benbassa. J’en doute, monsieur le ministre… Quel dommage, n’est-ce pas ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, à l’issue de ce débat, de vous livrer quelques éléments relatifs à notre politique étrangère – ils ont été en partie abordés durant la discussion générale.
Comme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, que je représente ce soir, à sa demande, l’a rappelé la semaine dernière devant l’Assemblée nationale, la question migratoire est un élément central dans la conduite de notre politique étrangère.
À cet égard, trois principes nous guident en matière migratoire : attractivité et organisation des mobilités légales, solidarité avec les plus vulnérables et fermeté face aux flux irréguliers.
La France souhaite défendre une vision équilibrée en matière migratoire. Tout d’abord, nous sommes attachés au développement d’une migration légale, avantageuse pour notre pays. Ensuite, nous veillons tout particulièrement au renforcement de notre attractivité à l’égard des étudiants et des talents. Nous avons cette année atteint le chiffre record de 400 000 inscriptions d’étudiants étrangers en France et de 12 000 délivrances de visas, dans le cadre des passeports talents.
Contrairement à ce que j’ai pu entendre, permettez-moi de vous dire que notre politique de visas n’est en rien arbitraire, mesdames, messieurs les sénateurs. Elle a pour objet de renforcer l’attractivité et le rayonnement de notre pays.
Nous défendons également avec force et constance le droit international. Au reste, nous nous enorgueillissons d’être l’un des pays les plus engagés pour l’asile au monde.
Nous sommes attachés à la protection des migrants, au respect de leurs droits fondamentaux ; nous coparrainerons, à la demande du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le prochain Forum mondial sur les réfugiés, prévu en décembre 2023. Ce même souci de la protection des migrants nous conduit à lutter avec force contre les trafics et la traite des êtres humains.
En effet, et c’est la contrepartie naturelle de l’ouverture et de la générosité de notre pays, nous sommes intransigeants sur le respect de nos lois et de nos valeurs. C’est la raison pour laquelle nous sommes engagés à lutter avec la même force contre l’immigration irrégulière, pour le retour, la réadmission et la réintégration dans leurs pays d’origine des migrants irréguliers.
La France, sur la question migratoire, comme sur bien d’autres questions, cherche donc à défendre une vision équilibrée.
Nous souhaitons atteindre cet objectif en lien avec nos partenaires africains. La stratégie « migrations et développement » de la France couvre plus de 55 pays, majoritairement africains. En 2021, le montant des projets engagés par la France s’est élevé à plus de 1,5 milliard d’euros, financés conjointement par la France et d’autres partenaires principalement européens.
Nous prônons également cette vision équilibrée dans le cadre européen et multilatéral. C’est dans cet esprit que la ministre de l’Europe et des affaires étrangères a participé hier à Bruxelles au lancement de deux initiatives de l’Équipe Europe (TEI, en anglais Team Europe Initiatives), consacrées à deux routes migratoires, celle de la Méditerranée centrale et celle de la Méditerranée occidentale. Lancées par la France, l’Espagne et l’Italie, ces initiatives associent les moyens des institutions européennes et des États membres.
Pour chacune de ces routes migratoires, environ 1 milliard d’euros ont été investis, afin de mettre en place des instruments tendant à resserrer une coopération euro-africaine globale, pour lutter contre les filières d’immigration irrégulière et pour organiser les retours, mais également pour combattre les causes profondes des migrations irrégulières, pour protéger les migrants ou encore pour favoriser la migration légale.
La France a soutenu fortement l’objectif européen de consacrer 10 % des moyens d’intervention extérieure de l’Union à des projets liés aux migrations. Cela représente, au total, près de 10 milliards d’euros sur la période 2021-2027.
Nous avons donc intérêt à inscrire notre action dans une logique coopérative, indispensable à une meilleure maîtrise des flux migratoires. Nous devons construire ensemble des partenariats bénéfiques, pour nous-mêmes comme pour les pays d’origine. C’est la raison pour laquelle la France a aussi pris la présidence du forum mondial sur la migration et le développement, dont le sommet se tiendra à Paris, au début de l’année 2024.
Enfin, nous réfléchirons – ensemble – plus particulièrement aux effets du changement climatique sur la mobilité humaine, en adoptant une approche transversale et inclusive, en suivant une méthode fondée sur le dialogue et l’anticipation, dans un esprit à la fois de solidarité et de responsabilité.
Tel est l’équilibre que nous visons pour notre politique migratoire, qui fait pleinement partie de notre politique étrangère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre. Je reviendrai brièvement sur le projet de créer un titre de séjour spécifique pour les métiers en tension, à la suite de l’intervention de M. François-Noël Buffet. En inscrivant cette mesure dans la loi, notre objectif est justement de pouvoir débattre au sein du Parlement des critères d’accès à ce nouveau titre de séjour.
La circulaire du 28 novembre 2012, dite circulaire Valls, établit, pour les demandes d’admission exceptionnelles, des conditions d’ancienneté – régulière ou irrégulière – de son séjour dans notre territoire et dans l’emploi qu’il exerce, mais elle oblige également l’employeur à accompagner cette démarche, au risque de payer une taxe à l’Ofii.
Au contraire, nous souhaitons instaurer un titre de séjour qui permettra à un salarié de solliciter une demande de régularisation, s’il est en mesure de prouver qu’il satisfait aux règles d’ancienneté dans son activité et de présence sur le territoire.
Quels seront les bons critères en la matière ? Voilà ce qu’il nous reste à préciser dans la loi, afin de contrôler l’utilisation de ce nouveau titre, de sorte qu’il ne se transforme pas en un outil de régularisation massive – monsieur le sénateur Buffet, n’ayez pas de crainte à ce sujet, tel ne sera pas le cas, parce que, justement, le choix des critères nous en gardera.
Ce sera un titre d’un an renouvelable. Il sera attaché non pas à un emploi – nous avons fait ce choix pour répondre à un certain nombre d’interrogations –, mais bien à l’exercice d’un emploi dans un secteur en tension – plusieurs dizaines de métiers sont en tension, selon la liste établie par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la Dares.
Dans ce cadre, une personne qui aurait régularisé sa situation au moyen de ce nouveau titre, mais qui aurait perdu son emploi, sera désormais en mesure d’en retrouver un dans l’un des secteurs en tension ou dans un autre ; dans ce cas, il faudra qu’elle sollicite un titre de séjour pour un motif économique, et, à cet égard, qu’elle réponde aux exigences – nous les connaissons – fixées par la loi en vigueur.
Monsieur Bonnecarrère, je ne partage pas totalement votre inquiétude, ou plutôt l’objectif que vous fixez, en matière de rémunération. Selon vous, ce titre devrait être réservé aux salariés dont le niveau de rémunération, au moment de leur recrutement, serait supérieur à la moyenne de la branche dans laquelle ils exercent.
Votre proposition pose, à mes yeux, deux difficultés : la première, c’est que les salariés dont nous parlons sont déjà présents sur le territoire et travaillent depuis au moins plusieurs mois, ce qui suppose que leur niveau de salaire a déjà été fixé ; la seconde tient au fait que les situations, nous le savons, sont extrêmement hétérogènes.
Par ailleurs, j’ajouterai qu’il faut veiller à ce que cette disposition n’ouvre pas, pour ainsi dire, une trappe à bas salaires. Monsieur le sénateur, nous pouvons nous retrouver sur ce point. (M. Philippe Bonnecarrère acquiesce.) Néanmoins, nous ferions tomber dans une telle trappe le salarié qui dépend de son employeur parce que sa situation n’a pas été régularisée, d’autant plus si ce dernier est indélicat… Mais nous aurons l’occasion d’en débattre de nouveau.
Enfin, madame Carrère, nous ne voulons pas que la précarité s’installe dans ces situations ou que les étrangers soient employés à moindre coût.
Dès lors que le salarié sera régularisé – concrètement, s’il possède une carte de séjour pluriannuelle –, sa situation deviendra pérenne. L’employeur aura alors l’obligation de participer à sa formation, notamment pour l’apprentissage du français. Pour cela, l’employeur devra soit lui libérer du temps, soit lui permettre d’aménager son temps de travail, pour qu’il puisse participer à cette formation.
Au contraire, nous cherchons, au travers de ce projet de loi, le bon équilibre, pour que ce titre de séjour sécurise les employeurs – ceux-ci sont régulièrement confrontés à des situations dans lesquelles ils ne se savent pas que l’étranger en situation régulière qu’ils emploient n’a pas vu son titre de séjour être renouvelé –, et pour que les travailleurs, qui sont souvent exploités de façon dramatique, puissent se sortir d’une telle situation de dépendance.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. En complément des explications de M. le ministre du travail, je répondrai aux différents orateurs sur les points qui relèvent de mon domaine de compétences.
Monsieur le président Buffet, vous avez fait nombre de propositions, qui recoupent, pour certaines d’entre elles, les mesures que nous avons introduites dans le projet de loi que nous sommes en train de préparer et qui doit encore faire l’objet d’un avis du Conseil d’État.
Monsieur Laurent, à ce sujet, nous nous sommes vus récemment avec les membres de votre groupe – nous rencontrerons prochainement aussi le groupe communiste de l’Assemblée nationale –, mais je tiens à préciser que nous souhaitons attendre la fin des concertations politiques et des débats prévus par l’article 50-1 de la Constitution avant d’avancer. Ce n’est qu’alors que nous transmettrons le texte au Conseil d’État, avant sa délibération en conseil des ministres et son examen par le Parlement.
À ce jour, les avis convergent sur plusieurs mesures ; d’autres n’ont pas été reprises dans notre projet de loi, à la suite des arbitrages rendus par le Président de la République et la Première ministre – je pense à l’aide médicale d’État et aux mesures relatives aux étrangers malades, puisque nous en débattons chaque année dans le cadre du PLFSS et du PLF, vous le savez mieux que quiconque, mesdames, messieurs les sénateurs.
J’en profite pour vous rappeler simplement que les chiffres présentés par différents orateurs à la tribune à propos du titre de séjour « étranger malade » ne sont pas tout à fait exacts, si je puis me permettre ; ce point n’enlève rien au fait que la France est le seul pays à offrir de tels critères d’admission, mais là n’est pas la question.
Nous avons procédé à une réforme de ce titre, dans la loi Collomb, puis au travers de certaines dispositions introduites dans les projets de loi de financement de la sécurité sociale et dans les projets de loi de finances. En vérité, si 5 000 titres d’étrangers malades ont bien été délivrés en 2019 – contre près de 6 850 en 2016 –, leur nombre ne s’élève plus qu’à quelque 3 700 cette année, soit une baisse de 45 % par rapport à 2017, au moment où le Président de la République a été élu, et de 25 % par rapport aux années qui ont précédé la covid.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le répète, seulement 3 700 titres d’étrangers malades sont délivrés aujourd’hui, essentiellement à des personnes atteintes du VIH, qui viennent de pays où les thérapies contre cette maladie ne sont pas connues.
Monsieur le président Buffet, nous avons instauré, vous le savez, une procédure à laquelle doit se soumettre chaque étranger délinquant, détenu dans un centre de rétention administrative, qui, en raison de sa maladie, sollicite la demande de titre de séjour « étranger malade », pour un motif que l’on pourrait qualifier d’« humanitaire » : désormais, un médecin de l’Ofii, totalement indépendant, procède au diagnostic de la pathologie et vérifie s’il existe ou non une thérapie dans le pays d’origine du demandeur. Si tel n’est pas le cas, nous lui accordons l’asile, conformément à notre engagement ; à l’inverse, si une thérapie existe, le demandeur est expulsé.
L’opportunité du titre peut être mise en cause dans le cadre de ce projet de loi, comme celle de tous les titres de séjour du reste, mais je pense que les termes du débat seront différents de ceux qui ont été défendus il y a cinq ans.
Je ne reviens pas sur la question de l’AME – les différents arguments ont été opposés –, qui ne sera pas inscrite dans le projet de loi, je le rappelle, car nous en débattons chaque année au moment de l’examen des textes financiers.
En ce qui concerne les exécutions des mesures d’éloignement – les OQTF – le débat devient totémique et les slogans brandis ne correspondent pas tout à fait à la réalité…
Mesdames, messieurs les sénateurs, les services du ministère de l’intérieur, tout comme vous dans vos rapports de 2019 et 2020, estiment le nombre de mesures qui ont été exécutées à partir des informations dont ils disposent ; ce n’est pas la même chose que présenter le nombre de mesures réellement exécutées !
Je m’explique : ce que nous connaissons, c’est le nombre des personnes qui ont quitté l’espace Schengen. C’est un point important, puisque cela veut dire que lorsqu’un étranger quitte la France, après avoir reçu une OQTF, ou toute autre mesure d’éloignement, pour rejoindre la Belgique, par exemple, nous ne le savons pas !
À Tourcoing, on ne compte pas moins de dix-sept points de passage avec la Belgique et aucun contrôle à la frontière… Quand les personnes devant quitter le territoire national se rendent dans un État membre de l’espace Schengen sans qu’il y ait de contrôle aux frontières, nous ne sommes pas informés de leur sortie.
Il est vrai, et nous en reparlerons, que le système d’entrée-sortie de Schengen (ESS) et le règlement Etias nous permettront à l’avenir d’en être informés, mais, à ce jour, ce n’est pas le cas.
Par ailleurs, nous ne pouvons dénombrer que les personnes bénéficiant de l’aide au retour volontaire, accompagnées par l’Ofii, ou celles qui ont reçu une OQTF, exécutée par la police aux frontières, parce que le consulat du pays en question a délivré un laissez-passer, ou, tout simplement, parce que le passeport permet aux policiers aux frontières de les embarquer dans un avion, afin de les accompagner dans leurs pays.
Nombreux sont les étrangers qui respectent les lois de la République. Ceux-là, quand ils voient qu’ils ne sont pas bienvenus sur le sol de la République, parce qu’ils ont fait l’objet d’une OQTF ou d’une aide au retour volontaire, contre lesquelles ils peuvent avoir déposé un certain nombre de recours, quittent le territoire national, sans jamais se signaler à la préfecture ni à la police aux frontières. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie le conteste.) Si, madame la sénatrice, c’est tout à fait vrai !
C’est d’ailleurs pour cette raison que la circulaire que j’ai prise, à la suite de différents faits divers sur lesquels je ne reviendrai pas, permet justement d’indiquer le nombre de personnes inscrites dans le fichier des personnes recherchées, afin que, lorsqu’elles passent entre les mains de la police aux frontières, nous sachions exactement combien d’entre elles sont parties.
Le nombre d’OQTF que vous avez cité – quelque 121 000 personnes en 2021 – ne correspond pas au nombre de mesures individuelles qui ont réellement été prises ; c’est simplement le nombre de mesures prises, tout court ! En effet, certaines personnes ont fait l’objet de plusieurs mesures individuelles – une OQTF, parfois deux, accompagnée d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF), par exemple –, ce qui entraîne plusieurs mesures.
Si nous comparons le nombre de personnes renvoyées dans des pays étrangers et le nombre de mesures prises, nous ne pouvons évidemment pas atteindre une parfaite adéquation, puisque, je l’ai dit, certaines personnes – jusqu’à 20 % des personnes inscrites dans les fichiers dits « des mesures administratives » – ont fait l’objet de plusieurs dispositions d’ordre individuel.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Tout va bien, donc…
M. Gérald Darmanin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je citerai, à mon tour, les chiffres que nombre d’entre vous ont déjà utilisés : aucun gouvernement n’a jamais atteint une proportion supérieure à 20 % d’exécutions effectives d’OQTF.
Monsieur le président Buffet, en 2011 et 2012, des années qui n’étaient pas mauvaises, si je puis dire, quelque 85 000 mesures ont été prises. Plus précisément, en 2011, les services ont dénombré quelque 7 970 reconduites aux frontières, contre 6 284 en 2012.
Si je prends l’exemple de l’année 2021, mes services ont dénombré 124 000 mesures – toutes mesures administratives confondues, et en incluant également les personnes ayant fait l’objet de plusieurs mesures administratives. Dans l’hypothèse où ce chiffre est partagé par tous, il faut alors le comparer avec les quelque 116 984 reconduites qui ont été rendues effectives. C’est plus du double des reconduites réalisées par le passé, alors même que le nombre des mesures ordonnées, lui, n’a pas doublé.
Monsieur le président Buffet, nous avons eu à peu près le même taux d’exécution, comme l’a rappelé le président Patriat. Sous le quinquennat du Président Hollande, il est vrai, la situation s’est beaucoup détériorée.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Mais oui ! C’est sans doute à cause de M. Dussopt… (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame de La Gontrie, je vais vous répondre, ne vous inquiétez pas. Ne hâtez pas ma réponse, car je crains qu’elle ne vous déplaise… (Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Jean-Yves Leconte protestent.)
Sous le quinquennat Hollande, donc, sur les 100 000 mesures prises, seulement 7 000 reconduites aux frontières ont été rendues effectives. À cette époque, la situation s’est détériorée, nous le voyons bien.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Puis Zorro est arrivé !
M. Gérald Darmanin, ministre. Quant à nous, nous avons réalisé la meilleure année en matière d’exécutions des reconduites aux frontières, si je puis m’exprimer ainsi, et ce malgré les difficultés liées à la situation en Syrie.
Mesdames, messieurs les sénateurs qui siégez sur les travées de droite, je ne vous ferai pas l’affront de rappeler que le président Sarkozy, lors de son quinquennat, n’avait pas été confronté aux mêmes difficultés que nous rencontrons actuellement en Libye, en Afghanistan et au Soudan : sur tous les fronts, les difficultés diplomatiques se sont multipliées – je rappelle simplement ce point pour expliquer le contexte du quinquennat du président Macron.
Pour autant, malgré les difficultés diplomatiques que nous rencontrons, notamment à cause de pays en guerre, je constate que l’année 2019, avant la covid, a connu le meilleur taux de reconduites aux frontières.
Est-ce suffisant ? Non, car 20 %, cela veut toujours dire qu’un cinquième seulement des mesures prises a été rendu effectif. Aussi, nous devons repenser totalement le système des reconduites aux frontières, des OQTF et du placement.
Monsieur Bonnecarrère, vous avez fait allusion au système d’entrée-sortie de Schengen qu’il faut mettre en place ; M. Leconte a d’ailleurs évoqué le règlement Etias (système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages). La France est prête à mettre en place ces textes.
À chaque conseil Justice et affaires intérieures, je le répète sans cesse, nous nous interrogeons sur les causes du report de la date d’entrée en vigueur du système de contrôle des entrées et des sorties des frontières extérieures de l’espace Schengen, car il est très important : pour tout étranger et tout citoyen de l’espace Schengen, grâce à une fiche de présence sur le territoire européen, nous pourrons suivre entrées et sorties et éviter les doublons de demandes de titre de séjour.
Etias est également essentiel, car il instaure l’interopérabilité entre toutes les polices européennes, ce qui rend possible un contrôle du pays d’origine, de l’entrée et de la sortie pour tous les étrangers. Ainsi, grâce à cette action lancée sous le précédent quinquennat, nous lutterons mieux contre le risque terroriste.
Cependant, si la France est le seul pays à instaurer le système EES, cela ne sert pas à grand-chose. Nous ne ferons que rallonger les délais d’attente à nos frontières, particulièrement dans les ports et aéroports, sans qu’aucun pays européen nous accompagne. Nous mettrons donc en place le système EES quand tous les pays seront prêts, et le plus rapidement possible – je suis tout à fait d’accord avec vous sur ce point.
Je suis le dossier de près au sein de mon ministère et je puis vous assurer que la France ne souffre ni de lacunes en développement informatique ni d’un manque de volonté. En revanche, tous les pays de l’Union européenne ne partagent pas le même entrain.
L’ouverture récente de l’espace Schengen, qui sera bientôt confirmée par les chefs d’État et de gouvernement, n’améliore pas la situation.
La sortie de nos amis britanniques de l’espace Schengen, alors qu’ils étaient, comme membres de l’Union européenne, l’un de ses partisans, va poser un certain nombre de problèmes, notamment pour le port de Douvres et pour les citoyens de pays tiers. Mon homologue britannique me demande sans cesse de reporter la mise en œuvre de ce système EES, ce à quoi le ministère de l’intérieur est opposé.
Monsieur le président Buffet, nous sommes aussi d’accord au sujet de l’examen sur les valeurs de la République, complémentaire de l’examen de langue française. Nous vous proposerons de nouvelles dispositions législatives, que nous sommes prêts à améliorer.
Le refus d’asile et l’OQTF constituent deux actes administratifs différents – nous en reparlerons avec le Conseil d’État. Un recours reste possible contre l’OQTF – je parle sous le contrôle du garde des sceaux –, mais nous souhaitons qu’il soit soumis à conditions et particulièrement réduit dans le temps.
Monsieur Leconte, vous nous avez proposé une chronique, ou plutôt une plaidoirie contre votre propre bilan. Il n’y aurait pas assez d’agents dans les préfectures. Vous avez tout à fait raison : vous avez supprimé 11 000 agents en cinq ans. (M. Jean-Yves Leconte s’exclame.)
Oui, monsieur Leconte, c’est bien vous qui les avez supprimés ! La Cour des comptes elle-même le dit ; tout le monde le dit.
M. Jean-Yves Leconte. Vous êtes aux affaires depuis plus de cinq ans !
M. Gérald Darmanin, ministre. Quand j’étais ministre des comptes publics, sous l’autorité d’Édouard Philippe, nous avons mis fin aux suppressions de postes dans les préfectures. Et depuis que je suis ministre de l’intérieur, dans les gouvernements de Jean Castex et maintenant d’Élisabeth Borne, nous augmentons le nombre d’agents dans les préfectures – vous avez mal suivi la loi de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), même si je suis fort heureux que vous l’ayez votée en première lecture. Vous, vous avez supprimé 11 000 postes !