M. François Patriat. Sur un autre plan, nous veillerons à ce qu’une attention particulière soit portée aux territoires ultramarins concernés par les enjeux migratoires.
Les faits parlent d’eux-mêmes et n’ont que trop duré. À Mayotte, par exemple, 50 % de la population est immigrée, mais 24 000 étrangers en situation irrégulière ont été reconduits à la frontière l’an passé, soit 78 % de plus qu’en 2020. Et je ne vous parle ni de la Guyane ni de La Réunion, que mes collègues ultramarins pourraient évoquer mieux que moi.
Madame la Première ministre, vous pourrez compter sur les sénateurs ultramarins du groupe RDPI pour coconstruire le projet de loi.
Ensuite, comment ne pas évoquer les causes profondes de la crise migratoire ? Vous l’avez dit, madame la Première ministre, la maîtrise des flux migratoires passe par le développement des pays d’origine.
Là encore, ne cédons ni au simplisme ni au populisme. Nous entendons souvent cette musique insidieuse selon laquelle il vaudrait mieux allouer l’argent du contribuable aux seules priorités nationales, plutôt que de le gaspiller dans une aide inefficace à des pays noyautés par la corruption. Il n’y a rien de plus faux et de plus caricatural !
Nous ne sommes pas dupes : les relations entre migration et développement sont complexes. C’est pourquoi l’aide publique au développement n’a jamais été conçue pour être l’alpha et l’oméga de notre politique migratoire.
C’est aussi pourquoi notre aide doit impérativement s’accompagner d’une sécurisation des parcours migratoires, qui doit permettre aux migrants d’effectuer des allers-retours entre la France et leur pays d’origine sans craindre de basculer dans la clandestinité.
Une première étape a été franchie en 2016 avec la création du passeport talent, qui est un franc succès. Aussi, nous soutenons l’idée du Gouvernement de simplifier ce titre de séjour pluriannuel et de l’étendre aux professions médicales.
Enfin, et j’en terminerai par là, nous avons assurément, mes chers collègues, des visions très divergentes sur la politique migratoire. Accordons-nous cependant sur un point : la gestion des flux migratoires relève de la souveraineté nationale, mais nécessite dans le même temps un minimum de coopération européenne.
La présidence française du Conseil de l’Union européenne a obtenu cette année des avancées essentielles sur le pacte pour l’asile et la migration.
Des efforts restent à fournir pour boucler les dossiers majeurs, à commencer par la réforme du système de Dublin et la création d’un nouveau mécanisme de solidarité.
La France, elle, est au rendez-vous de la solidarité quand elle se mobilise aux côtés des Afghans fuyant le régime des talibans, des Ukrainiens fuyant la guerre ou des migrants secourus en mer.
Il est urgent que les États membres surmontent leurs divergences. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’un cadre européen commun pour la gestion de la migration et de l’asile. Sans cela, en effet, l’Europe pourrait ne pas résister à ce nouvel accès migratoire, qui est inédit dans son ampleur depuis 2015.
C’est la raison pour laquelle, madame la Première ministre, nous écouterons vos propositions, étudierons votre texte de loi et vous apporterons notre soutien, sur les bases que vous avez évoquées et que je viens de rappeler. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui est censé anticiper celui que nous aurons, au début de 2023, sur un nouveau texte de loi sur l’immigration. Ce sera le vingt-neuvième en quarante ans !
En prélude à ce projet de loi, vous avez publié, le 17 novembre dernier, une circulaire mettant gravement en cause le droit inconditionnel à l’hébergement d’urgence pour les étrangers, contre laquelle les structures d’accueil et les associations sont vent debout. La discussion commence donc très mal.
S’il partait sur de telles bases, votre texte de loi pourrait être un nouvel appel d’air à tous les débordements, à tous les fantasmes sur la subversion migratoire ou sur les assimilations entre immigration et délinquance, qui pourrissent le débat public depuis tant d’années. L’hystérie soulevée par l’arrivée du navire Ocean Viking en est le dernier exemple.
Pourrions-nous, au contraire, enfin débattre sérieusement et sereinement ? Les migrations sont un enjeu essentiel du monde et de l’époque actuels.
Depuis toujours, la France, comme d’autres grandes démocraties, s’est construite en accueillant des migrants. Pendant longtemps, c’est aussi cela qui a contribué à faire de la France, aux yeux des peuples du monde, la patrie des droits de l’homme. Mais, rompant avec cette histoire au fil des lois régressives, nous sommes devenus l’un des pays les plus restrictifs d’Europe, car, loin des fantasmes, telle est la réalité des chiffres.
Nous vivons une grave crise de l’accueil. Indigne des droits humains, le traitement des migrants est de plus en plus dégradant, en France et en Europe.
Oui, il faut débattre, car les causes des migrations sont multiples. Guerres, pauvreté extrême, violences faites aux femmes, répression des droits humains, catastrophes climatiques jettent des millions de femmes, d’hommes et d’enfants sur les routes de l’exil.
La mondialisation aussi a changé bien des choses, car les habitants de la planète, où qu’ils vivent, considèrent que les inégalités mondiales et le « deux poids, deux mesures » dans le traitement de la vie humaine ne sont plus acceptables. Agissons-nous contre ces inégalités et ces insécurités mondiales ? Bien au contraire, la politique des pays les plus riches, comme le nôtre, ne cesse de les renforcer.
Citons quelques exemples : les opérations militaires à répétition, qui déstabilisent nombre d’États du Sud et du Proche-Orient, les ajustements structurels et les traités de libre-échange, qui laissent exsangues les services publics de ces pays et assignent leurs économies à l’extraversion, à l’encontre de leurs besoins de développement interne, le contrôle monétaire que nous continuons d’exercer sur les pays de l’Afrique de l’Ouest, via l’ex-franc CFA, qui empêche ces derniers de financer leur développement, ou encore les atermoiements face à la crise climatique, dont témoigne l’échec de la COP27.
C’est de tout cela que nous devrions parler, si nous voulions débattre sérieusement des migrations. Mais nous n’allons pas en parler, et certains nous rediront avec des mots nouveaux que « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».
Chaque fois que des solutions concrètes sont mises sur la table pour traiter les causes réelles des désordres mondiaux et les conséquences qu’elles entraînent, elles sont balayées d’un revers de main.
L’arrivée des réfugiés fuyant la guerre en Syrie aurait pu signer une nouvelle prise de conscience en Europe. En 2016, Angela Merkel avait déclaré courageusement : « Nous y arriverons ! » Ce fut l’échec et le retour des murs et des barbelés.
En 2021, après la prise de Kaboul par les talibans, Emmanuel Macron ne trouvait plus qu’à s’inquiéter face au risque des flux migratoires irréguliers.
L’Europe a tourné le dos à ses devoirs d’accueil et de solidarité humaine. La présidence française de l’Union européenne a passé son tour sur le pacte asile et immigration. Aujourd’hui, le non-respect des clés de répartition solidaires à l’échelle européenne, un temps évoqué, associé à l’absurde règlement de Dublin, entraîne souffrance et indignité sur le continent.
Nous vivons la multiplication des camps d’exilés et des violences condamnables aux frontières, avec des dizaines de milliers de morts en Méditerranée, dans la Manche ou sur la route des Balkans.
L’Europe n’a plus qu’une obsession : externaliser le traitement des migrants et marchander les reconduites aux frontières avec les pays de départ, plutôt que de considérer ces États comme des partenaires pour la coopération et le développement.
Ces politiques, qui n’arrêteront rien, tant les causes des migrations sont profondes, ne font que favoriser les contournements et les migrations irrégulières, quand il faudrait au contraire travailler à des voies légales et sécurisées de migration.
Ces voies légales et sécurisées sont possibles, car sinon, comment expliquer que l’Europe puisse accueillir, à juste titre d’ailleurs, plusieurs millions d’Ukrainiens ? Un Afghan fuyant les talibans, une Nigériane fuyant un mariage forcé ou l’excision, un Congolais fuyant les massacres, une famille du Pakistan fuyant les inondations valent-ils moins à nos yeux ?
De tout cela, nous ne débattrons probablement pas. Votre projet, pour ce que nous en savons – nous ne disposons pas encore du texte –, semble vouloir se concentrer sur deux sujets, qui sont présentés comme les deux faces d’une même pièce : la régularisation par le travail pour les uns, l’accélération des expulsions pour les autres. Vous nous demandez donc de nous concentrer sur la situation de ceux qui sont déjà entrés sur notre sol.
Concernant la question du travail, vous connaissez notre position. Elle est claire : nous sommes pour la régularisation de tous ceux qui travaillent. Les grèves de sans-papiers ont montré clairement que des filières entières emploient ces travailleurs sans les déclarer, au vu et au su de tous.
M. Pascal Savoldelli. Très bien !
M. Pierre Laurent. Ils n’usurpent le travail de personne, car nous peinons aujourd’hui à recruter. Ils travaillent pour notre pays et sont pourtant maintenus dans une situation de vulnérabilité insupportable. Nous ne voulons pas de quotas et nous serons vigilants sur cette affaire de liste des métiers en tension.
Le Gouvernement serait donc prêt à accueillir des étrangers, mais à une condition : leur utilité. Pour nous, il doit s’agir non pas de régulariser des pratiques d’exploitation patronale, mais de régulariser des femmes et des hommes qui, par leur travail, peuvent enrichir notre pays et sécuriser leur vie.
Nous sommes favorables à la suppression du délai de carence, afin de permettre aux demandeurs d’asile de travailler dès les six premiers mois en France.
Nous plaidons pour une régularisation des travailleurs de plein droit, qui ne serait pas soumise à la durée des contrats précaires, et pour un titre de séjour d’une durée minimale de deux ans, afin de permettre à ces salariés de sécuriser leur vie et leur installation.
Le ministre de l’intérieur, M. Darmanin, évoque aussi l’exigence de réussir un test de français pour l’obtention d’un titre de séjour pluriannuel. Évidemment, personne ne peut s’opposer au fait que les étrangers qui viennent travailler en France apprennent le français. Nous serons cependant attentifs à ce que cela ne donne pas lieu à discrimination.
D’ailleurs, combien de Français aux origines immigrées ont mis des années avant de maîtriser notre langue nationale, leur langue d’adoption ?
M. Pascal Savoldelli. C’est vrai, jusque dans nos familles !
M. Pierre Laurent. Si, au contraire, le titre que vous envisagez pour les travailleurs sans-papiers ne courait que pour la stricte durée du contrat de travail, sa fin vaudrait alors OQTF et expulsion. Le cycle infernal serait enclenché.
Nous nous inquiétons donc de l’abus de vulnérabilité découlant de la dépendance économique et administrative du travailleur à l’égard de son employeur.
Quant au second volet, à savoir le renforcement des OQTF, que vous présentez faussement comme une contrepartie, le risque est grand de prendre de plus en plus de largesses avec le respect du droit.
Vous voulez qu’une OQTF vaille expulsion. On peut aisément supposer qu’une telle décision serait sévèrement réprouvée par la Cour européenne des droits de l’homme, car elle porterait atteinte au droit à un recours effectif, qui est garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Du point de vue procédural, vous affirmez votre volonté de généraliser le juge unique à la Cour nationale du droit d’asile. Vous risquez de déshumaniser les procédures administratives en favorisant les rejets systématiques.
Cette déshumanisation passera aussi par la généralisation des audiences vidéo que vous envisagez. Cet éloignement a sa symbolique, car la présence, le corps et ses marques, la souffrance endurée par les migrants ne sont pas perceptibles de la même façon dans une procédure menée en présentiel.
Voilà en quelques mots, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, dans quel état d’esprit et avec quels principes nous aborderons le débat à venir sur votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, « Faire une loi et ne pas la faire exécuter, c’est autoriser la chose qu’on veut défendre. » Cette phrase du cardinal de Richelieu trouve une résonance particulière dans l’actualité récente, autour d’un sigle dont aucun Français n’avait entendu parler voilà quelques mois et que tous connaissent aujourd’hui : OQTF.
Depuis des années, moins de 20 % de ces décisions sont exécutées. Il y a, dans notre pays, des lois qui déterminent qui peut ou ne peut pas entrer et vivre sur notre territoire. Elles ne sont pas respectées.
La situation actuelle est incompréhensible pour les législateurs que nous sommes, pour les Français que nous représentons et même pour les étrangers concernés.
La France est l’une des premières puissances mondiales. Elle doit être en mesure de contrôler ses frontières. Depuis longtemps, ce n’est pourtant plus vraiment le cas. Cet état de fait ne date pas d’hier. Les gouvernements se sont succédé, et la politique migratoire n’a jamais été jugée satisfaisante dans notre pays.
Ce n’est pas seulement gênant pour notre administration, c’est dangereux pour nos institutions. En n’étant pas en mesure ou en ne souhaitant pas donner un cap clair à cette politique migratoire, nous mettons en danger notre démocratie et la cohésion de la Nation.
De plus en plus de peuples européens portent au pouvoir des populistes et des extrémistes. Même si ce n’est pas la seule raison, les considérations migratoires ont joué un grand rôle dans le choix des Britanniques de sortir de l’Union européenne. Si l’Allemagne connaît une montée de l’extrême droite, la crise migratoire de 2015 n’y est pas étrangère. C’est un problème que rencontrent également l’Autriche, la Suède ou l’Italie.
Notre pays ne fait pas exception. D’élection en élection progresse une extrême droite auparavant très minoritaire au Parlement. Aujourd’hui, elle constitue le deuxième groupe à l’Assemblée nationale. Certains sont parfois tentés de copier ses réponses simplistes, en espérant que les Français préféreront la copie à l’original. C’est un pari hasardeux, au succès très peu probable.
Entre la porte grande ouverte, proposée par une extrême gauche refusant de voir que notre pays n’a ni les moyens économiques ni les moyens politiques – aucun pays ne les a, d’ailleurs – d’accueillir le monde entier, et la fermeture à double tour, réclamée par l’autre bord de l’hémicycle devenu marchand d’angoisse, nos concitoyens ont le droit de se voir proposer une alternative crédible.
Pour cela, il faut d’abord dire clairement que l’immigration ne doit, à aucun prix, se faire au détriment de la cohésion de notre nation.
C’est à la France qu’il revient de décider d’accueillir ou non des migrants sur son territoire. C’est à nous de fixer les conditions de cet accueil, et nous ne devons pas accepter que l’immigration puisse remettre en cause la façon dont notre société a choisi de vivre.
Dans des conditions qui doivent rester contrôlées, la France accorde à certains étrangers l’asile sur son territoire. Pour rester conforme à sa nature et demeurer soutenable, cette procédure ne peut qu’être exceptionnelle.
Sans la maîtrise des frontières, qui permet de choisir d’accueillir ou non des migrants, notre société risque de se déliter. Il nous faut au contraire trouver une formule nous permettant de tirer au mieux parti de l’immigration.
Bon nombre de nos entreprises font face à une pénurie de main-d’œuvre. Pour poursuivre leur activité et conserver leur compétitivité, beaucoup de nos entrepreneurs recourent à l’immigration ; l’exemple britannique est édifiant à cet égard.
En choisissant son immigration, la France pourrait sélectionner les compétences dont elle a besoin. Ainsi notre économie maintiendrait-elle son dynamisme en pourvoyant aux emplois pour lesquels une pénurie de main-d’œuvre est constatée dans l’ensemble de l’Europe.
« Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin », disait Voltaire. (Sourires.) Il constitue, de ce fait, l’un des meilleurs facteurs d’intégration. Néanmoins, les capacités professionnelles ne sauraient suffire, et il faut établir clairement les termes du contrat.
Pour entrer dans notre société, les immigrants doivent accepter les règles, adopter les valeurs et embrasser la culture de cette dernière. Ce sont eux qui souhaitent nous rejoindre, et ils demeurent libres de choisir où ils veulent aller. Il ne s’agit pas seulement de protéger notre mode de vie : ces conditions sont également nécessaires à l’intégration des immigrés dans notre société. Elles leur permettront de devenir des citoyens à part entière.
Bien sûr, nous devons veiller à ce que les personnes entrées en France en respectant ces engagements ne fassent l’objet d’aucune discrimination. À l’inverse, si ces prérequis ne sont pas tous satisfaits, nos concitoyens garderont le sentiment de subir l’immigration, et les immigrés ne parviendront pas à se fondre au sein de notre société.
J’y insiste, la problématique migratoire ne concerne pas seulement la France : l’Europe dans son entier, par son respect des libertés et son dynamisme économique, fait figure d’eldorado pour beaucoup de personnes dans le monde.
Dans tous les pays de l’Union européenne, la population vieillit. La main-d’œuvre se raréfie et, dans le même temps, la dépendance de nos aînés s’accroît. De nombreux États membres font face aux mêmes défis que nous. Il nous faut donc trouver ensemble des solutions qui protègent notre mode de vie, à la fois contre ses propres limites et contre les ingérences étrangères.
À la suite des chantages turcs, l’Union européenne a pris conscience qu’elle ne pouvait continuer à sous-traiter à un pays tiers la gestion de ses frontières extérieures. Les Européens doivent assumer leurs responsabilités ; à ce titre, la montée en puissance des moyens de l’agence Frontex doit être saluée.
Au début de l’année prochaine, le Gouvernement présentera un nouveau texte de loi relatif à l’immigration.
Monsieur le ministre de l’intérieur, vous avez déclaré vouloir « être méchant avec les méchants et gentil avec les gentils ». En d’autres termes, vous nous proposez de choisir un peu mieux qui doit venir ou rester dans notre pays et qui ne le doit pas.
Mme Colette Mélot. Nous y sommes favorables.
Nous ne feignons pas d’ignorer, comme tant d’autres, que l’immigration peut constituer une menace pour notre société si elle est incontrôlée. Pour autant, nous sommes pleinement conscients qu’elle est à bien des égards nécessaire.
Regardant la réalité en face, nous notons la nécessité de faire évoluer une législation qui, faute d’avoir été appliquée, a perdu beaucoup de son sens. Nous vous soutiendrons donc dans votre démarche.
Face à une extrême droite en progression croissante et à une extrême gauche chaque jour plus irresponsable, nous sommes tous ensemble contraints de réussir là où nos prédécesseurs échouent depuis quarante ans. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe RDPI.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous avons amorcé cette discussion il y a quelques semaines à l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », et les élus du groupe du RDSE n’ont pas changé de position depuis lors.
La politique d’immigration compte, pour notre pays, parmi les questions les plus difficiles. Elle est sujette aux fantasmes et aux peurs parfois irrationnelles. Dès lors, le devoir d’une République modérée est d’éviter les écueils populistes pour aboutir à une solution équilibrée.
Toutefois, il existe une autre dérive qui doit attirer l’attention du législateur et, partant, celle du Gouvernement : la tentation de faire une loi simplement pour dire que l’on a légiféré.
Monsieur le ministre de l’intérieur, je sais que vous défendez de véritables ambitions. Je ne les fais pas toutes miennes : c’est le jeu de la démocratie. Seulement, le Parlement a déjà adopté en septembre 2018 le projet de loi, défendu par Gérard Collomb, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. C’était il y a quatre ans, autrement dit il n’y a pas si longtemps !
Quel est le bilan de ce texte ? Qu’en est-il des garanties d’exercice et d’effectivité du droit d’asile qu’il devait apporter ? Presque dix de ses articles étaient censés renforcer l’efficacité et la crédibilité de la lutte contre l’immigration irrégulière : qu’en est-il également ? Qu’en est-il, en particulier, de la mise en œuvre des mesures d’éloignement et des dispositions relatives à la rétention administrative, à commencer par l’allongement de cette dernière à quatre-vingt-dix jours ?
En outre, avant de légiférer de nouveau, il serait légitime que nous puissions analyser la réduction de cent vingt à quatre-vingts jours du délai prévu pour déposer une demande d’asile. Dans nos départements, le constat n’est pas à l’amélioration de l’accueil ou du traitement des dossiers : cette mesure devait pourtant réduire le délai de réponse dans les situations difficiles.
Puisque nous devrions bientôt légiférer, cet état des lieux nous permettrait de savoir où et comment agir efficacement.
Au cours des derniers mois, le débat relatif à l’immigration a été dominé par deux enjeux : l’effectivité des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et la place des travailleurs irréguliers.
J’espère néanmoins que les autres sujets ne seront pas écartés. Je pense, par exemple, à l’amélioration de l’accompagnement des personnes étrangères les plus vulnérables, qu’il s’agisse des victimes de violence ou des mineurs isolés, ou encore à l’accompagnement des familles, une question chère aux élus du groupe du RDSE.
Nous allons beaucoup parler des OQTF, et c’est normal, car ce dispositif pose manifestement problème. D’après les données dont je dispose, la France délivre en moyenne 120 000 OQTF par an, dont moins de 10 % sont exécutées : ces chiffres et l’écart qu’ils traduisent montrent bien l’absurdité de ce rouage administratif, particulièrement pesant tant pour notre nation que pour ceux qui, de facto, sont l’objet de décisions quasi aléatoires.
Cette situation d’ensemble justifie de repenser les différents mécanismes qui entourent les OQTF : il s’agit d’en améliorer l’application, en les rendant plus efficaces et plus humaines.
Dans cet esprit, nous défendrons la simplification du contentieux des étrangers, à condition qu’elle garantisse à ces derniers un droit effectif à contester les décisions de l’administration tout en assurant un meilleur traitement des recours et la bonne administration de la justice. Bien sûr, nous examinerons ces mesures avec vigilance.
On propose de généraliser les audiences à proximité des centres de rétention administrative (CRA) ou par moyens audiovisuels, pour éviter les déplacements des personnes retenues : pourquoi pas ! On suggère aussi de créer des pôles territoriaux labellisés pour la gestion du droit d’asile : une nouvelle fois, pourquoi pas ! Mais il ne faut pas que ces dispositifs deviennent des contraintes pour les personnes migrantes en entravant leurs droits.
En parallèle, il faut trouver le moyen de désengorger les préfectures : nous l’entendons. Dans de très nombreux cas, on constate en effet que les décisions préfectorales sont faciles à annuler devant le juge, au motif que de mauvaises appréciations de l’administration ont conduit à de mauvaises décisions.
Toutefois, ce désengorgement passera nécessairement par la baisse du nombre d’OQTF, pour que chacune d’elles soit mieux instruite et ainsi juridiquement fondée. La politique du chiffre, consistant à prononcer des OQTF dans des proportions massives, se révèle inefficace en pratique.
La surpopulation des centres de rétention administrative confirme, à sa manière, l’inefficacité de notre politique de contrôle de l’immigration : ces structures ne sont pas à même de faire face aux flux que nous connaissons. À ce titre, j’espère que nous serons en mesure d’apporter des solutions concrètes.
Entre autres mesures utiles, on a annoncé la possibilité de mettre en place un titre de séjour « métiers en tension ». Cette mesure n’inspire pas d’a priori de principe aux membres de notre groupe, loin de là. Chacun sait qu’actuellement de nombreux immigrés en situation irrégulière travaillent sans être déclarés. Ce travail illégal permet d’offrir de la main-d’œuvre à des secteurs en tension.
Je pourrais citer de nombreux exemples. Certains cas sont mis en lumière : ici, un artisan boulanger pour lequel un village se mobilise, ailleurs un apprenti boucher. Ces personnes ont de la chance, mais il y en a des milliers d’autres qui travaillent sur les marchés, dans la restauration ou encore dans les métiers du bâtiment.
Tous travaillent pour notre pays, et leurs métiers sont souvent essentiels au quotidien de nos concitoyens. Pour autant, ils sont en situation irrégulière : ces travailleurs et leurs employeurs sont donc placés dans une précarité difficile à admettre – ces emplois instables vont de pair avec une faible rémunération et sont privés de tout dispositif de sécurité sociale.
Monsieur le ministre de l’intérieur, pour ce qui concerne ce titre de séjour spécial, nous vous disons donc une fois de plus : pourquoi pas ! Mais à une condition : qu’il soit effectif, dans le respect du droit du travail, sans aucune dérogation.
En d’autres termes, notre position est la suivante : d’une part, il n’est pas question d’offrir aux entreprises une main-d’œuvre à bas coût pour certains métiers boudés par les résidents nationaux ; de l’autre, ce dispositif devra impérativement être assorti de mécanismes de contrôle et de sanctions lourdes pour les entreprises qui continueraient de recourir au travail non déclaré.
Vous l’aurez compris : le projet de loi annoncé suscite de grandes attentes de la part des élus du groupe RDSE, et nous resterons pleinement mobilisés pour vous accompagner lors de l’examen de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce débat n’est qu’un prélude à l’examen du vingt-neuvième texte de loi relatif à l’immigration depuis 1980.
« La France ne peut pas accueillir tout le monde si elle veut accueillir bien » : voilà ce que déclarait le Président de la République en 2019. Pourtant, rien dans les derniers budgets présentés ou dans les dernières politiques annoncées ne vient refléter cette doctrine.
Si mieux accueillir, c’est réduire de plus d’un tiers les crédits octroyés à l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) dans le budget pour 2023, la discussion risque d’être compliquée, tant le décalage entre les actes et les paroles est grand.
« Je crois au vrai en même temps sur la politique migratoire aussi », disait le chef de l’État lors du même entretien. Or, à mon sens, nous ne voyons pour l’heure que la jambe droite de sa politique migratoire, peut-être parce que c’est celle qui porte réellement ses convictions.
Sinon, comment justifier que tout soit vu au prisme de la sécurité ? Comment comprendre qu’un sujet de société si important ne soit réellement examiné qu’au travers d’une vision sécuritaire ? Nous aurions encore préféré étudier la création d’un véritable ministère consacré à la politique d’immigration, d’accueil et d’intégration.
Pourquoi ne pas appréhender ce débat sous l’angle humanitaire, dans un esprit de fraternité et de solidarité, qui va d’ailleurs de pair avec le réalisme et le pragmatisme économique, social et climatique ?
Je le répète, les questions d’immigration ne peuvent se limiter à leur aspect sécuritaire, ni même être abordées prioritairement par ce biais. Nos discussions d’aujourd’hui permettront, je l’espère, de recentrer le débat.
L’immigration est un phénomène normal, historique et récurrent, qui a participé et participera à la construction de notre pays ; un phénomène démographique complexe, tributaire des guerres comme des famines et, désormais, provoqué par le changement climatique ; un phénomène qui entraînera des mouvements de population de plus en plus nombreux dans les années à venir, que ce soit entre les continents ou au sein même de l’Europe.
En 2017, le candidat Macron promettait : « Nous examinerons les demandes d’asile en moins de six mois, recours compris. C’est nécessaire pour accueillir dignement les réfugiés qui ont droit à la protection de la France. » Pourtant, les juridictions administratives et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) dressent un constat unanime : l’embolisation totale d’un système mal calibré.
Qu’il s’agisse de l’accès aux préfectures et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) pour l’obtention ou le simple renouvellement d’un titre de séjour, de l’accès au travail ou à une prise en charge médicale effective, les parcours des migrants sont trop souvent semés d’embûches. Ce système, bien loin de nourrir des « profiteurs », maintient des milliers de personnes dans la précarité.
En parallèle, que dire de l’ambition affichée de supprimer « les protections contre l’éloignement pour motif d’ordre public », par exemple pour les étrangers résidant en France depuis plus de dix ans ?
Nous, au sein du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, sommes clairement favorables à une plus grande célérité des procédures, mais jamais aux dépens des droits des personnes ou des conditions de travail des agents de notre service public. Il faut certes juger plus vite, mais il faut surtout juger mieux.
Le Gouvernement se fixe pour objectif l’application de 100 % des OQTF. Quel est le sens de cet affichage politique ? Quel est le chemin pour y arriver ? Quels sont les dispositifs concrets mis en œuvre ? Le taux d’application de ces décisions s’est limité à 20 %, de manière assez constante au cours des dernières décennies.
À ce titre, nous pensons que la multiplication des CRA pour répondre aux difficultés diplomatiques des éloignements est un non-sens. Et que dire de possibles placements en CRA en vertu d’OQTF vieilles de trois ans, appliquées sans réévaluation des situations personnelles ou professionnelles ?
De toute évidence, une telle annonce s’accorde bien à la volonté exprimée par le ministère de l’intérieur à l’égard de ces étrangers : leur rendre la vie impossible.
Aujourd’hui, je pense à la promesse d’Orléans, formulée en 2017 et définitivement enterrée : le Président de la République avait alors déclaré qu’aucun demandeur d’asile ne dormirait dehors. Aucune des mesures qui nous ont été présentées ne s’attelle à ce sujet pourtant essentiel.
À Calais, 97 % des expulsions des lieux de vie ne sont pas suivies de mises à l’abri. De telles situations sont d’autant plus inacceptables que les peines encourues pour avoir facilité l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’étrangers seront quant à elles alourdies ; nous nous inquiétons tout particulièrement pour les bénévoles des associations.
Au printemps de 2022, le président-candidat entendait « poursuivre la refonte de l’organisation de l’asile et du droit au séjour pour décider beaucoup plus rapidement qui est éligible. »
La crise ukrainienne a montré que l’Europe, en particulier notre pays, pouvait accueillir, bien accueillir et accueillir rapidement lorsque la volonté politique était là. La mesure dérogatoire concédée à l’Ukraine a fait ses preuves : ne devrait-elle pas tendre à devenir la règle ?
Aller plus vite, c’est permettre un système de rendez-vous plus efficace en préfecture, où commence souvent une succession d’obstacles qui donne aux intéressés l’impression de se heurter à un « mur administratif ».
J’ai déjà eu l’occasion de le dire : où qu’ils se trouvent, les agents présents sur le terrain sont confrontés à la perte de sens de leurs missions et des moyens qui leur sont accordés. Cette situation débouche aussi sur un état d’insécurité pour des personnes sans droits sur notre territoire, qui deviennent la proie de réseaux.
Privés de titre de séjour, les étrangers sont maintenus dans la dépendance de l’accompagnement assuré par les associations. Ils ne peuvent pas obtenir de travail déclaré, un logement ou encore un bon accès aux soins.
Nous accueillons plutôt favorablement la régularisation annoncée des travailleurs exerçant sur notre sol, comme la volonté nouvelle de ne plus détourner le regard face aux employeurs peu scrupuleux. Toutefois, rien n’est précisé quant au parcours vers la nationalité française.
Certains de ces travailleurs, exerçant souvent des métiers dits « de première ligne » pendant la crise de la covid, ont bénéficié de ce parcours de reconnaissance vers la nationalité. Pourtant, aux termes du débat actuel, rien ne permet de refonder cet accès à la nationalité pour les personnes intégrées qui le souhaitent.
Quant à la notion de « travailleurs des métiers en tension » sur notre sol, elle nous laisse pour le moins circonspects : vous nous présentez, en quelque sorte, une variante de la notion de travailleurs méritants.
Derrière ces annonces, il y a un vrai sujet : l’utilité sociale de l’immigré implique-t-elle une assignation à résidence, comme le disait le Président de la République ?
Imaginons une personne accueillie sur notre territoire au motif qu’elle travaille dans un secteur en tension. La situation de ce domaine d’activité s’explique par des raisons bien particulières – conditions de travail difficiles, précarité de l’emploi, salaires insuffisants, etc. S’il veut demeurer en France, ce travailleur sera-t-il condamné à rester dans ledit secteur ? Pis, en cas de perte d’emploi, bénéficiera-t-il toujours d’un titre de séjour ?
Une telle logique pourrait vite devenir purement utilitariste : elle risque de réduire l’étranger à un travailleur interchangeable, vision qui nous paraît particulièrement problématique.
Le Gouvernement a aussi exprimé l’intention de renforcer les exigences relatives à la maîtrise du français, et c’est normal ; mais quelles seront les modalités d’accompagnement ? Qui seront les évaluateurs et les formateurs ?
La lutte contre l’immigration irrégulière est la priorité du Gouvernement, l’axe presque unique de réflexion de sa politique migratoire : dont acte.
La position de notre groupe est connue de tous : nous pensons au contraire que la question migratoire ne doit ni ne peut se limiter au prisme du travail ou de la sécurité.
Les moyens de l’administration doivent d’abord être destinés à faciliter l’accès au séjour et l’intégration. La criminalisation outrancière de l’étranger est contraire à nos valeurs.
On entend réviser les procédures judiciaires et administratives sous couvert de simplification, quitte à s’éloigner du contradictoire, de la collégialité et d’autres principes des droits de la défense : ce n’est pas acceptable.
Last but not least, comment ne pas relever votre silence assourdissant au sujet des frontières, y compris au sein de l’Union européenne ? Pour vous, la problématique est de surveiller plus que de secourir : nous l’avons bien vu.
Avec le président Gontard et d’autres de mes collègues, j’ai clairement observé la situation à Montgenèvre, par exemple. Non seulement les secours font défaut, mais beaucoup d’associations rapportent encore aujourd’hui le manque d’enregistrement des demandes d’asile, malgré les rappels répétés du Conseil d’État quant à la réalité de ce droit.
Où en est la réflexion sur ce sujet ? Qu’entend faire le Gouvernement face à ces refoulements sauvages aux frontières ?
Notre pays s’enorgueillit d’accueillir et de sauver : à ce titre, nous devons veiller à l’inconditionnalité de la dignité dans l’accueil, car tel est vraiment notre honneur. Or je regrette qu’il s’applique de manière variable, entre l’Aquarius et l’Ocean Viking.
L’acceptabilité des refus doit s’ancrer dans le respect des procédures et des personnes. Mes chers collègues, ne voyez dans cette attitude ni naïveté ni idéalisme utopique. Au contraire, entendez le besoin de bien accueillir les personnes arrivant sur notre sol, la nécessité de mieux respecter leurs demandes et notre souhait d’un véritable travail européen ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)