M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’asile est un droit. C’est un engagement conventionnel et c’est une part de notre identité constitutionnelle.
L’immigration, c’est autre chose. C’est une politique qu’il convient de mener en respectant nos principes, mais aussi, au mieux, les intérêts de notre pays. Avant 2018, jamais ces deux sujets n’avaient été abordés dans les mêmes lois. Ce sont en effet deux sujets distincts. Malheureusement, nous devons désormais les aborder ensemble.
Sur la question de l’immigration, les Français semblent relativement « fermés » lorsqu’on les interroge, mais ils sont fondamentalement ouverts et généreux dès lors qu’ils font face à des situations concrètes. Surtout, ils sont attachés à notre tradition d’accueil et d’asile.
La France est restée relativement à l’écart des grands mouvements de demande de protection, que ce soit au moment de la crise syrienne ou, actuellement, avec la crise ukrainienne, puisque nous ne sommes pas le pays qui a accueilli le plus d’Ukrainiens. Par ailleurs, nous délivrons relativement peu de premiers titres de séjour chaque année, si l’on nous compare à des pays similaires.
On entend souvent que l’immigration augmente de manière exponentielle. Mais, au début du XXe siècle, 5 % de la population mondiale était migrante. Aujourd’hui, c’est moins de 3,5 %. Quant à l’immigration familiale, ce n’est pas open bar en France : il faut totaliser dix-huit mois de présence sur le territoire et remplir des conditions précises de ressources et de logement.
Madame, la Première ministre, sur ce sujet, votre gouvernement mène une politique de désordre et d’affichage.
Désordre, car, avec des préfectures dysfonctionnelles, où il est impossible de prendre rendez-vous, des personnes en situation régulière passent en situation irrégulière, parce qu’elles ne peuvent pas faire renouveler leurs documents. La moitié de la justice administrative est mobilisée par ces dysfonctionnements, qui coûtent à l’État. Et vous nous annoncez un renouvellement automatique, monsieur le ministre de l’intérieur. Comment cela va-t-il fonctionner réellement ?
Désordre aussi puisque, alors que vous êtes ministre de l’intérieur depuis deux ans, rien n’a été fait pour régler la question des personnes qui ne sont ni expulsables ni régularisables. Il faut absolument procéder à un examen à 360 degrés de l’ensemble des situations. Et pour cela, il faut du personnel.
M. Jean-Yves Leconte. Désordre lorsque, d’une préfecture à l’autre, nous ne traitons pas de la même manière les demandes d’admission exceptionnelle au séjour, quand bien même elles sont examinées.
Désordre lorsque, pour des raisons d’affichage, monsieur le ministre de l’intérieur, vous exigez des préfets plus d’OQTF.
Au lieu de vous concentrer en priorité sur les personnes qui risquent réellement de menacer l’ordre public, vous visez toutes celles qui sont inscrites au fichier TAJ (traitement d’antécédents judiciaires). À vouloir absolument faire du chiffre, vous ne faites pas correctement l’essentiel : vous instrumentalisez les « dublinés », mais ils reviennent une semaine plus tard…
M. Jean-Yves Leconte. Dans ces conditions, comment voulez-vous que les personnels de la police aux frontières (PAF) ne perdent pas le sens de leur action ?
Vous fixez l’objectif de centres de rétention administratifs (CRA) remplis à 90 %. Mais des CRA qui fonctionnent, monsieur le ministre de l’intérieur, ce sont des CRA où les personnes retenues peuvent être éloignées !
Désordre aussi lorsque vous appelez, dans le prolongement du rapport Stahl, à simplifier le droit des étrangers – nous souscrivons à cet objectif –, mais que vous voulez lier dans le même temps refus de protection par l’Ofpra et OQTF. Monsieur le ministre, si nous respectons toujours la convention de Genève, cet acte administratif n’aura d’OQTF que le nom !
Désordre enfin lorsque ces défaillances de l’État nuisent à l’intégration, qu’elles conduisent les personnes à s’appuyer sur leur communauté plutôt que sur les services publics et qu’elles font peser le devoir d’humanité sur les collectivités locales et les associations.
Monsieur le ministre, j’en termine ici avec les choses désagréables. (Sourires.) Devant les députés, vous affirmiez que les personnes de moins de 16 ans ne seraient plus placées en CRA. Dans cet hémicycle, vous venez de préciser que cette mesure vaudrait pour tous les mineurs. Je salue l’évolution positive de votre discours en l’espace d’une semaine…
Par ailleurs, pour la première fois depuis longtemps, ces questions ne sont pas exclusivement traitées par le ministère de l’intérieur. Je m’en réjouis également, car une intégration réussie – vous l’avez rappelé, madame la Première ministre, messieurs les ministres – passe avant tout par le travail et l’école ; c’est une réalité historique en France.
Si l’on examine les deux plus grands mouvements actuels de population, du Venezuela vers la Colombie et de l’Ukraine vers l’Union européenne, on constate que les migrants ont immédiatement un statut et le droit de travailler. C’est la meilleure façon de procéder. Le droit au travail permet en effet d’éviter le dumping social et d’en finir avec cet esclavage moderne dont nous sommes témoins chaque jour dans des domaines essentiels de la vie.
Madame la Première ministre, vous pouvez faire beaucoup plus que ce qui a été fait au cours des dernières années, sans changer la loi. Les marges de manœuvre sont importantes.
Tout d’abord, depuis 2008, la liste des métiers en tension n’a bougé qu’une fois, en 2021.
Ensuite, la situation choquante des jeunes apprentis en situation irrégulière n’est pas mieux résolue aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a quelques années.
Enfin, quels moyens nouveaux accorderez-vous aux préfectures pour qu’elles puissent traduire en actes vos annonces et réellement changer la donne ? Le titre de séjour « métiers en tension » s’adressera-t-il à de nouveaux arrivants ou permettra-t-il d’ouvrir un droit au séjour à des personnes déjà engagées dans ces activités ?
Le refus de la présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes, qui rend insoluble la situation de milliers de clandestins participant à notre économie, sera-t-il maintenu ?
Mes chers collègues, la France fait partie de l’espace Schengen. Voilà quelques années, une commission d’enquête du Sénat a rappelé l’intérêt et l’utilité de cet espace de libre circulation, dès lors qu’il y avait entre les pays des échanges d’informations solides, de la confiance et une surveillance sérieuse des frontières extérieures.
Entre 2012 et 2017, nous avons réformé l’interopérabilité des systèmes, mis en place l’enregistrement des dossiers passagers (PNR), lancé le projet d’information et d’autorisation concernant les voyages (Etias, en anglais European Travel Information and Authorization System) et renforcé le mandat de Frontex. Sur ces questions, l’Europe est non pas un problème, mais une solution, le pacte sur la migration et l’asile ayant vocation à renforcer encore la cohérence de cette action.
Nous l’avons vu l’an dernier à la frontière des pays baltes et de la Pologne avec la Biélorussie : des situations imprévues peuvent se produire, auxquelles il convient de répondre de façon solidaire entre pays européens. Cela oblige toutefois chaque pays à respecter le droit européen. L’Italie doit respecter le droit de la mer, mais la France doit aussi respecter le principe européen de libre circulation.
La Cour de justice de l’Union européenne a rappelé que l’on ne pouvait pas rétablir des contrôles systématiques aux frontières intérieures de l’Union. (M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer s’exclame.)
Vous ne voulez pas l’entendre, monsieur le ministre de l’intérieur, mais la Cour l’a pourtant effectivement rappelé à l’Autriche !
La politique de visas mise en œuvre depuis quelques mois se caractérise par des délais incroyables, des refus arbitraires et des projets de vie détruits. Elle brise progressivement les liens historiques que nous avons avec les pays du sud de la Méditerranée. Ce n’est plus Paris, mais Istanbul, Dubaï et même parfois Moscou qui font référence aux yeux de beaucoup. Hélas, nous n’avons qu’à nous en prendre à nous-mêmes, car c’est le résultat de votre politique, monsieur le ministre de l’intérieur.
Dans de très nombreux pays, les communautés d’affaires se plaignent de contrats qui ne peuvent plus être conclus, de visites qui ne peuvent plus avoir lieu. Cela doit cesser !
Plus de 17 000 morts en Méditerranée au cours des six dernières années, des milliers d’enfants disparus sur la route des Balkans : madame la Première ministre, monsieur le ministre, cela doit cesser également ! La lutte contre les passeurs n’est pas compatible avec le financement de structures étrangères opaques au jeu trouble, telles que les gardes-frontières libyens.
Il peut être nécessaire d’obtenir des laissez-passer consulaires, mais pas uniquement par des coups de menton. Les démarches entreprises auprès des pays d’origine et de transit doivent aussi accorder une place significative aux politiques de mobilité légale.
Je terminerai par la politique d’asile, absolument essentielle, qui se situe au cœur de notre identité depuis la Révolution.
Les personnes qui méritent d’être protégées viennent sur notre sol après avoir vécu des chocs terribles ; elles ne sont donc pas en mesure de préparer correctement leur récit en l’espace de quelques jours. Monsieur le ministre, vous annoncez la création d’un guichet France asile. Très bien, mais les personnes qui présentent une demande auront-elles le temps de se préparer ?
Quant au projet de réforme de la CNDA, nous refusons le juge unique systématique et nous ne voulons pas que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en soit exclu.
Il faut selon nous avancer vers une reconnaissance européenne de l’instruction des demandes d’asile, qui doit passer à terme par la création d’une Cour européenne du droit d’asile.
Enfin, il est essentiel qu’aucune minute ne soit perdue pour reconnaître à une personne qui demande l’asile le droit au travail, à la formation et à l’apprentissage de la langue, en d’autres termes la possibilité d’être autonome le plus vite possible.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur les problématiques liées à l’outre-mer. Mais si nous sommes une République, il n’y a qu’un seul territoire, sur lequel s’applique une seule loi. La situation à Mayotte est très complexe, mais il est inacceptable qu’un titre de séjour délivré dans ce département ne donne pas le droit de voyager dans l’Hexagone. Toutes les larmes versées sur Mayotte ne sont qu’hypocrisie si les étrangers qui se trouvent là-bas en situation régulière ne peuvent pas tous circuler librement en France.
Une politique humaine, cohérente et résolue, profondément européenne : telle est la voie qui nous permettra de reprendre confiance, de corriger nos erreurs et de recouvrer une capacité d’intégrer celles et ceux qui, venant se réfugier, travailler et étudier en France, contribuent à l’édification de notre pays. C’est en effet grâce à la diversité de ces apports que nous nous sommes construits.
Faisons preuve de volonté et de courage, ayons confiance en notre histoire, nos principes et nos valeurs, donnons confiance à l’Europe et continuons sur ce chemin ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’immigration met en tension la souveraineté qui fonde l’État et la citoyenneté qui fonde la Nation. Avec mes collègues centristes, je souhaite présenter nos propositions, lesquelles seront nécessairement exposées de façon cursive, au regard du délai qui m’est imparti – je vous prie par avance de bien vouloir m’en excuser.
Nous ne partageons pas l’idée suivant laquelle l’action de l’exécutif serait empêchée ou interdite par l’État de droit. Les deux nous semblent compatibles, et c’est pourquoi nous ne formulerons aucune proposition de nature constitutionnelle.
Le premier niveau de solution est européen. La révision du « paquet asile » est un échec, probablement durable. Relevons toutefois quelques avancées avec la montée en puissance de Frontex et la création de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile, qui vise à harmoniser les politiques, en particulier la liste des pays dits « sûrs ».
Nous proposons une reconnaissance mutuelle des décisions de rejet d’une demande d’asile, afin d’éviter les migrations dites « de rebond ». Si cet objectif n’est pas atteignable à 27, il pourrait l’être par une coopération renforcée à 9 États ou par des accords bilatéraux.
Nous souhaitons aussi l’entrée en vigueur effective en 2023 du système d’entrée-sortie, dit EES, enfin robuste, avec la précision que, en cas de refus de se soumettre au relevé d’empreintes, l’intéressé se verrait refuser l’accès au territoire européen.
Pour revenir en France, la première voie d’immigration est familiale, au titre du droit à la vie privée. Nous formulons à cet égard deux propositions.
Nous suggérons, premièrement, de porter de dix-huit à vingt-quatre mois le délai de présence régulière sur le territoire à partir duquel pourrait être faite la demande de rapprochement. Il s’agit du délai plafond fixé par la directive de 2003.
Nous proposons, deuxièmement, d’explorer les mesures conditionnelles visées par cette même directive, à savoir le fait pour la personne faisant l’objet de la demande de rapprochement de disposer de ressources suffisantes et d’un logement, de respecter l’ordre public et de se conformer aux mesures dites « d’intégration ».
Chaque mot a son importance. Nous pensons en particulier à la maîtrise préalable de la langue française au titre du contrat d’intégration ou à la connaissance de la culture française, évoquée précédemment à juste titre par notre collègue François-Noël Buffet.
Si nous mettons à part les visas étudiants, qui ne semblent pas faire de difficultés, la deuxième voie d’immigration est celle des permis de séjour. Votre proposition majeure, madame la Première ministre, messieurs les ministres, porte sur un permis de séjour pour les métiers en tension. Nous serions favorables à de tels permis, mais seulement pour des métiers en tension qualifiés.
Chacun est conscient en effet de cette vieille pratique française tendant à confier les métiers que nos concitoyens ne souhaitent pas assurer à des étrangers, à bas prix.
Or, avec un tel système, rien ne changera, car il crée des trappes à bas salaires assurées. Ces métiers ne seront jamais attractifs financièrement pour nos concitoyens, ils ne monteront ni en qualification ni en gamme et ne feront l’objet d’aucun investissement d’automatisation.
Par ailleurs, les bas salaires entraînent des problèmes de logement et la nécessité de faire appel aux autres ressortissants du pays d’origine. Et nous voilà repartis vers du communautarisme…
Mes chers collègues, l’idée d’une main-d’œuvre immigrée bon marché, sans cesse renouvelée, est nuisible à notre pays. (M. Sébastien Meurant applaudit.) En revanche, bien rémunérée et renouvelée en cas de nécessité, elle peut être positive.
Notre proposition serait donc de vous suivre, madame la Première ministre, messieurs les ministres, à condition que le salaire versé soit égal ou supérieur à la moyenne des salaires payés dans notre pays, ou a minima dans la branche concernée. Cette condition nous semblerait aussi le gage d’une bonne intégration.
Notre groupe est également favorable à un débat annuel ou biennal sur les objectifs en matière de permis de séjour. À notre sens, une telle proposition ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel. Les Français ont leur mot à dire, et c’est la responsabilité de la représentation nationale – votre responsabilité, mes chers collègues – que de l’exprimer.
Nous vous suivons aussi sur la conditionnalité des visas, voire de l’aide au développement.
En ce qui concerne la demande d’asile, nous serions ouverts à la possibilité pour le demandeur de travailler sans attendre un délai de six mois, ce qui est aussi une manière de jauger de la capacité de l’intéressé à s’intégrer, même si l’objet de la demande d’asile est différent.
En revanche, nous ne vous suivons pas du tout, monsieur le ministre de l’intérieur, sur votre idée que l’Ofpra et la CNDA pourraient davantage « aller vers ». Pour nous, c’est surtout de la communication…
L’Ofpra a déjà réalisé de gros progrès dans ses délais de traitement, et nous espérons que l’objectif de traitement en soixante jours pourra être respecté. Nous doutons qu’il le soit, néanmoins, si vous commencez à saupoudrer des agents de l’Ofpra dans les préfectures. Les officiers de protection instructeurs sont des spécialistes, dont l’expertise ne peut être fragmentée, sauf à voir l’Office perdre en efficacité.
De même, l’idée d’éclater la CNDA – ou plutôt de la « territorialiser », pour reprendre vos mots, monsieur le ministre de l’intérieur – nous paraît tout aussi improductive. Il est extrêmement difficile de faire coïncider dans la vraie vie tel type de dossiers concernant des ressortissants de tel pays avec la présence de tel interprète et de tel cabinet d’avocats spécialisé dans le traitement des ressortissants dudit pays.
La CNDA est effectivement le maillon faible de la chaîne de l’asile. Nous sommes très loin de l’objectif de cinq mois prévu en procédure classique et de cinq semaines en procédure accélérée.
Vous proposez d’organiser des audiences à juge unique et de systématiser les visio-audiences. Nous sommes réservés sur le premier point, mais très favorables ou second, qui est à notre sens la clé d’un traitement dans des délais raisonnables.
Le Conseil constitutionnel n’a pas conditionné la tenue d’une visio-audience à l’accord du demandeur d’asile, mais c’est pourtant ce qui a été obtenu par les avocats dans un protocole dit « d’expérimentation ». Monsieur le garde des sceaux, la solution à ce problème passe à notre sens par une négociation avec la profession d’avocat.
Nous sommes sceptiques à l’idée d’une OQTF dès le rejet par l’Ofpra. Nous voyons mal quelle pourrait en être l’efficacité pratique – une possibilité de recours subsisterait – et nous préférerions que la décision de rejet par la CNDA soit assortie de plein droit d’une OQTF, sans avoir besoin de saisir l’autorité préfectorale.
En ce qui concerne la dernière catégorie d’immigration, les régularisations de la circulaire Valls, nous rappelons ce qui a déjà été voté par le Sénat, à savoir que la seule condition d’une résidence de plus de cinq ans en France ne devrait pas être la seule condition de la régularisation.
S’agissant de la question de l’éloignement, nous approuvons l’objectif de simplification du contentieux, dans la logique de l’excellent rapport de François-Noël Buffet.
Nous souhaiterions également que soit évaluée la pratique des certificats d’hébergement fournis au soutien des visas de long séjour. Existe-t-il une harmonisation des pratiques dans notre pays ? Quel est le niveau de contrôle ? Sur ce sujet, la participation des collectivités locales est nécessaire.
Nous pensons, madame la Première ministre, mes chers collègues, que cette participation serait aussi utile pour le contrat d’intégration républicain, auquel il nous semble justement manquer une dimension locale pour garantir des résultats.
En ce qui concerne l’aide médicale d’État – un classique au Sénat –, nous sommes peut-être plus réservés que certains de nos collègues quant à l’idée de la modifier une nouvelle fois. Nous pensons que sa limitation aux soins dits « nécessaires » est correcte et qu’il n’y a pas de grande différence entre soins « nécessaires » et « urgents ». Elle est aussi complétée par un délai de carence.
En revanche, nous suggérons, à la suite du président Buffet, de nous pencher sur une procédure méconnue, celle de l’étranger malade, par laquelle notre pays offre une faculté de permis de séjour, avec des accompagnants, quand la possibilité d’apporter des soins satisfaisants n’existe pas dans le pays d’origine.
C’est une exception française, mes chers collègues. Aucun autre pays à travers le monde ne pratique un tel « guichet ouvert », selon les termes figurant dans le rapport de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Nous suggérons de conditionner cette procédure à une convention préalable entre le système social français et celui du pays d’origine.
Nous sommes également ouverts à la proposition bien connue de François-Noël Buffet d’une peine complémentaire d’interdiction de territoire français, évoquée également dans son intervention par M. le garde des sceaux.
Pour conclure cette trop rapide présentation, mes chers collègues, vous l’aurez compris, les sénateurs centristes ne font pas de l’immigration un fonds de commerce politique. Ils pensent en revanche que celle-ci doit être régulée, pour préserver la solidité du contrat social qui structure la France.
Madame la Première ministre, messieurs les ministres, tel est le sens de nos propositions et, demain, de nos votes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. François Patriat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. François Patriat. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, ce débat de bonne tenue était nécessaire, et nous remercions le Gouvernement de l’avoir inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée. Il est l’occasion, mes chers collègues, de regarder en face la question migratoire, et cela en toute objectivité. Nous devons tenir un discours de vérité aux Français, loin des caricatures et des procès d’intention.
Dire la vérité, c’est tout d’abord admettre que, oui, l’immigration régulière et irrégulière est en progression. Mais, non, la France n’est pas confrontée à un tsunami migratoire. Ce chiffon rouge est agité par l’extrême droite, avec pour seul but d’attiser les peurs et la colère et de diviser les Français.
Le démographe François Héran décrit ainsi la situation de notre pays : « Un nombre d’immigrés en hausse, mais pas en pointe, une immigration familiale contenue, un essor important des étudiants internationaux, des régularisations en nombre limité. »
À cet égard, je rappelle à ceux qui alimentent le fantasme du « grand remplacement » que la proportion d’immigrés dans notre pays – elle avoisine les 10 % – est nettement inférieure à la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), loin du raz-de-marée décrit par les idéologues xénophobes.
Dire la vérité, mes chers collègues, c’est aussi reconnaître que plusieurs défis restent à relever, que ce soit pour renforcer la maîtrise des flux migratoires ou pour améliorer l’accueil des réfugiés et la perception des Français sur l’immigration. Il y va du maintien de notre cohésion sociale et de la préservation de notre pacte républicain.
Quatre défis majeurs sont ainsi devant nous. Tout d’abord, préserver notre régime d’asile ; ensuite, renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière, qui est en progression continue depuis vingt ans ; en outre, améliorer les conditions d’accueil des primo-arrivants, à commencer par les conditions d’accès au guichet des préfectures ; enfin, et peut-être même surtout, faciliter l’intégration des réfugiés et des étrangers en situation régulière.
Contrairement à ce que certains affirment, la politique du Gouvernement et de sa majorité est lisible et cohérente. (Mme Sophie Primas s’exclame.)
Depuis 2017, deux principes guident notre action : l’humanité et la fermeté. Humanité avec les étrangers ayant besoin d’une protection ; fermeté avec ceux qui n’ont pas vocation à demeurer sur notre territoire.
C’est la cohérence qui amène le Gouvernement à maintenir ce diptyque dans le texte dont nous serons saisis bientôt– j’ai cru le comprendre, madame la Première ministre – et que notre groupe salue.
Sans surprise, les premières propositions ont à peine été esquissées que les oppositions s’en sont emparées pour les dénaturer, les caricaturer ou les transformer en contre-vérités. Je les invite à minorer leurs attaques sur les OQTF. Chers collègues, ayez l’honnêteté de le reconnaître,…
Mme Sophie Primas. Nous, nous ne serions pas honnêtes ?…
M. François Patriat. … le taux d’exécution des OQTF n’a jamais dépassé 20 %, toutes périodes confondues, y compris lorsque les uns ou les autres étaient au pouvoir.
Ayez aussi l’honnêteté de reconnaître que la faiblesse du taux d’exécution des OQTF est avant tout liée à la difficulté d’obtenir des laissez-passer consulaires. Elle est là, la vérité. D’ailleurs, je salue les efforts déployés par la France pour convaincre les pays d’origine et de transit de délivrer ces précieux sésames.
Ce travail de conviction commence à porter ses fruits. J’aurais préféré que nous nous en félicitions ensemble, plutôt que d’entendre certains camper sur des positions partisanes.
Je le déplore d’autant plus que le Gouvernement propose de s’inspirer du rapport du président de la commission des lois, François-Noël Buffet,…
Mme Sophie Primas. L’excellent François-Noël Buffet !
M. François Patriat. … dont j’ai apprécié les propos tout à l’heure, visant à améliorer l’efficacité de la lutte contre l’immigration clandestine.
Je déplore aussi que certains de nos collègues de la majorité sénatoriale fassent preuve d’autant de dogmatisme sur le futur titre de séjour des métiers en tension. Notre groupe accueille très positivement cette proposition, qui relève du bon sens.
Non, ce nouveau titre de séjour ne participe pas d’un soi-disant « projet de résignation nationale ». Non, il n’entraînera pas d’appel d’air ! Nous en sommes convaincus, cette mesure est équilibrée. Il s’agit, d’un côté, de régulariser au cas par cas les travailleurs étrangers qui sont déjà présents sur notre territoire, donc qui sont déjà intégrés dans notre société, et, de l’autre, de durcir les sanctions à l’encontre des employeurs d’étrangers clandestins.
J’ai entendu les propositions qu’a formulées M. Buffet, mais j’ai aussi entendu dans les propos de Mme la Première ministre que le Gouvernement y avait déjà répondu positivement par avance. Plutôt que de lancer des procès d’intention contre ces idées de mesures, tâchons plutôt de réfléchir à la manière de les perfectionner.
Telle est, en tout cas, la direction qu’empruntera notre groupe. Nous serons par exemple attentifs à ce que la perte d’un emploi n’entraîne pas automatiquement la perte du droit de séjour.