M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un honneur de pouvoir dire quelques mots après Mme la Première ministre dans ce débat portant sur la politique migratoire de notre pays, alors qu’un projet de loi sera examiné en premier lieu par la Haute Assemblée.
Ce texte, que je défendrai en lien parfait avec M. le garde des sceaux, prévoit quatre thèmes : la fermeté, la simplification, l’intégration et le travail ; je laisserai évidemment le ministre du travail développer le quatrième.
Le premier thème est la fermeté. Comme l’a dit le Président de la République dans sa campagne électorale, comme la Haute Assemblée l’a déjà réclamé et comme la Première ministre vient de le signifier, nous avons actuellement trop de difficultés à expulser des personnes sur notre sol dont nous ne voulons plus et qui commettent des actes délictuels graves, criminels ou qui sont fichés par nos services de renseignement.
Ces difficultés sont causées non pas par la jurisprudence des tribunaux ni par les engagements constitutionnels ou conventionnels de notre pays, mais par les règles que nous avons nous-mêmes fixées dans les années 2000, dans un contexte qui n’était pas celui que nous connaissons aujourd’hui.
Aussi s’agit-il de mettre dans la loi de la République la fin des réserves d’ordre public, c’est-à-dire la fin de la fin de la double peine, qui empêche le ministre de l’intérieur et les préfets d’expulser du territoire national toute personne ayant commis des actes graves. Je parle de personnes condamnées de façon définitive par les tribunaux à plus de cinq ans de prison pour des actes qui relèvent souvent des crimes : violences envers des femmes, des enfants ou des personnes dépositaires de l’autorité publique, trafics de stupéfiants, etc.
Aujourd’hui, il existe sept réserves d’ordre public ; nous proposons de n’en conserver qu’une, conformément à l’engagement international que nous avons défendu s’agissant des mineurs. Il appartient en effet à l’autorité judiciaire de suivre les mineurs qui commettent des actes délictuels ou criminels.
Nous proposons de lever les autres restrictions à l’expulsion des étrangers qui commettent des délits graves ou des actes criminels et d’inscrire dans la loi la possibilité pour le préfet de présenter ces personnes à l’expulsion, en respectant évidemment l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cet article prévoit un équilibre entre, d’un côté, le respect de la vie privée et familiale et le droit au séjour et, de l’autre, la défense de la sûreté nationale et la préservation de la sécurité publique.
Nous disons que nous ne devons pas nous autocensurer dans la loi et empêcher ces expulsions. Au total, 4 000 expulsions pourraient être prononcées et exécutées chaque année. Or nous n’en sommes qu’à 3 100 depuis deux ans, comme l’a rappelé Mme la Première ministre. Il appartient au juge de confirmer que l’équilibre entre la vie privée et familiale et les impératifs de sécurité nationale est respecté.
Nous proposerons donc au Parlement de supprimer ces réserves d’ordre public et d’effectuer un copier-coller de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
J’évoquerai à présent l’augmentation du nombre de places dans les centres de rétention administrative. Le Gouvernement a accepté, dans le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), un amendement du député Éric Ciotti tendant à augmenter de 3 000 le nombre de ces places. De tels centres sont nécessaires pour expulser plus facilement les étrangers qui commettent des actes de délinquance ou qui sont fichés pour radicalisation.
Les centres de rétention administrative présentent aujourd’hui une spécificité. Selon les dernières estimations, 92 % des personnes qui y sont placées ont un casier judiciaire ou sont suivies par les services de renseignement. Les étrangers en situation irrégulière qui sont sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), mais qui ne présentent pas de danger pour nos concitoyens n’y sont plus placés. D’autres formules sont privilégiées, comme l’assignation à résidence.
En tant que ministre de l’intérieur, j’ai aussi demandé que les enfants ne soient progressivement plus placés dans ces centres. C’est désormais le cas, sauf à Mayotte, territoire spécifique s’il en est ; nous en reparlerons au cours du débat.
À la demande de Mme la Première ministre et du Président de la République, nous inscrirons dans le texte que nous vous présenterons l’interdiction de placer des mineurs dans des centres de rétention administrative. Une fois que ce texte aura été voté, l’assignation à résidence sera la règle.
Outre leur aspect carcéral, les centres de rétention administrative ont pour spécificité d’accueillir des publics dangereux pour nos concitoyens, ce qui justifie l’augmentation considérable du nombre de places dans ces centres. En 2022, nous avons augmenté de 450 le nombre de ces places, malgré les contraintes liées au covid, et nous créerons celles qui ont été prévues par le Parlement dans la Lopmi. Celle-ci sera promulguée par le Président de la République dans quelques jours. Les mineurs, je le répète, n’auront plus à connaître ce type de rétention.
J’en viens à mon deuxième thème, les mesures de simplification, qui sont – Mme la Première ministre l’a souligné – inspirées directement du rapport du sénateur Buffet, président de la commission des lois. Celui-ci prévoit en effet de réduire de douze à quatre le nombre de procédures possibles pour contester des actes administratifs pris par les préfets de la République.
Les délais d’attente et les recours suspensifs empêchent notre pays de mener une politique d’immigration digne de ce nom. Nous n’arrivons pas à faire exécuter correctement les lois de la République. Lorsque les tribunaux nous donnent raison au bout d’un an ou deux, les personnes ne sont souvent plus expulsables, notamment parce qu’elles ont désormais une vie privée et familiale sur le sol de la République. Elles ont par exemple eu des enfants.
En revanche, pour ceux que nous accueillons au titre du droit d’asile, un an ou deux, c’est beaucoup trop long. Il leur faut travailler et s’intégrer pour pouvoir vivre dans le pays qui les accueille.
Nous proposerons donc une modification de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Le garde des sceaux reviendra sur cette question. Il s’agit pour nous de territorialiser la CNDA et d’instaurer un juge unique. Nous avons entendu la demande du Conseil d’État et de la CNDA de conserver une instance collégiale pour les arrêts de principe. Le texte que nous présenterons répondra, me semble-t-il, à la demande du Conseil d’État. Mais nous souhaitons, dans un souci d’efficacité et de rapidité, que l’immense majorité des décisions puissent être prises par un juge unique.
Par ailleurs, nous mettrons en place la visioconférence, et nous simplifierons le lien entre le refus de la demande d’asile – 70 % des demandes d’asile sont refusées – et la décision d’obligation de quitter le territoire français. Conformément à l’annonce du Président de la République lors de sa campagne électorale, le refus de la demande d’asile, soit par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), soit par la CNDA en cas d’appel, vaudra obligation de quitter le territoire français. Le tribunal administratif aura ensuite quinze jours pour juger l’acte ainsi contesté.
Aujourd’hui, un demandeur d’asile doit attendre entre un an et un an et demi, voire deux ans pour obtenir une réponse. La loi Collomb a permis de réduire les délais de traitement des demandes par l’Ofpra de neuf mois à cinq mois, mais les délais de la CNDA sont malheureusement un peu trop longs, faute de moyens et de simplification, comme nous l’avons déjà dit. Ce que nous voulons, c’est que la demande d’asile complète de n’importe quel demandeur puisse être traitée en moins de neuf mois.
D’autres mesures de simplifications sont prévues. Elles sont très largement inspirées du rapport de François-Noël Buffet, qui, je le crois, a été approuvé à l’unanimité par la commission des lois de votre assemblée.
Le troisième thème sur lequel je souhaite m’attarder est celui de l’intégration. Vous avez voté dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur une augmentation de 25 % des crédits relatifs à l’intégration, soit une hausse de plus de 100 millions d’euros, notamment pour l’apprentissage du français.
Comme l’a rappelé Mme la Première ministre, 25 % des étrangers en situation régulière sur notre sol parlent très mal le français et ont par conséquent beaucoup de mal à s’intégrer. Certes, des cours de français sont obligatoires, mais l’obtention d’un titre de séjour n’est pas conditionnée à la réussite d’un examen sanctionnant cet apprentissage.
Nous proposons donc que l’obtention d’un titre de séjour soit conditionnée à la réussite, et non pas simplement au passage, d’un examen de français et à l’adhésion aux valeurs de la République, conformément à ce que nous avons prévu dans la loi confortant le respect des principes de la République. En cas d’échec à cet examen, qui concernerait 270 000 personnes par an, le titre de séjour ne serait pas délivré, quand bien même il s’agirait d’une immigration familiale.
L’apprentissage du français est évidemment très important. Le ministre du travail reviendra sur le sujet, ainsi que sur les obligations que nous pourrons imposer. De telles dispositions relèvent du domaine réglementaire par le ministère de l’intérieur et demandent une révolution dans l’organisation des préfectures. Ces dernières doivent cesser de vérifier les titres de séjour de personnes qui sont depuis de nombreuses années sur le sol national, qui travaillent et qui n’ont pas de casier judiciaire. Ces titres doivent être délivrés automatiquement.
Il faut par conséquent concentrer le travail de l’intégralité des agents des préfectures d’abord sur les primo-arrivants. Il faut s’assurer que ces personnes parlent bien le français, qu’elles sont désireuses de s’intégrer, qu’elles peuvent avoir accès à un métier qui leur permette de faire vivre leur famille dans des conditions d’intégration acceptables. Le travail des agents doit ensuite être d’améliorer l’exécution des obligations de quitter le territoire français et de retirer leur titre de séjour à toute personne ayant un casier judiciaire.
Depuis la circulaire que j’ai prise à la demande du Président de la République, 92 000 titres de séjour ont été refusés ou retirés à des étrangers qui avaient une difficulté avec les règles de la République. L’étape suivante est de s’assurer que ces étrangers quittent bien le territoire national. Pour cela, il faut que les préfectures cessent d’ennuyer administrativement ceux qui ne posent aucun problème à la République et qu’elles se concentrent plus largement sur ceux qui lui en posent. Je pense que c’est ce que demandent les Français. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’a souhaité Mme la Première ministre, le Sénat est aujourd’hui réuni pour débattre d’un sujet important, extrêmement complexe, qui peut se résumer au fond en une question simple : comment, et sous quelles conditions, accueillir, sur notre sol français des femmes et des hommes de nationalité étrangère ?
L’immigration, à l’évidence, est un phénomène qu’il faut envisager de façon globale et pragmatique : globale, car la question de l’immigration implique de nombreux périmètres ministériels, comme en témoigne la présence au banc du Gouvernement de plusieurs de mes collègues ; pragmatique, car pour trouver des solutions, il faut se départir de tout dogmatisme, de toute démagogie et, bien sûr, de tout angélisme.
Depuis longtemps, le ministère de la justice travaille avec tous les autres ministères impliqués sur la question de l’immigration et, plus particulièrement, sur les procédures administratives et pénales applicables aux étrangers.
De quoi parlons-nous exactement ?
Il s’agit tout d’abord de réfléchir à une simplification du traitement du contentieux des étrangers. Ce contentieux constitue l’activité principale des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Comme le souligne avec acuité le rapport Stahl publié en 2020, sous l’égide du Conseil d’État, il faut avant tout rechercher « une plus grande efficacité des mesures juridictionnelles ».
Cette réflexion rejoint celle du président de la commission des lois, François-Noël Buffet, qui, dans son excellent rapport (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains), fait le triple constat d’un « droit des étrangers devenu illisible », de « procédures inefficaces » et d’un « manque de moyen des services de l’État pour les mettre en œuvre ».
Fort d’un diagnostic partagé tant par la juridiction administrative que par les parlementaires, le Gouvernement va, comme l’a indiqué mon collègue Gérald Darmanin, ouvrir prochainement le chantier de la réforme du contentieux des étrangers. Il n’y aura évidemment aucune question taboue. Ainsi, la réforme du contentieux de l’asile devra également être mise à l’ordre du jour.
Toutes ces questions sont en débat aujourd’hui et le seront lors de l’examen du projet de loi. Je sais évidemment que vous aurez à cœur de bâtir une procédure à la fois efficace et respectueuse de nos principes.
Pour résumer le propos en une phrase, je dirais ceci : la protection des droits et la protection qu’offre le droit, oui ; l’instrumentalisation du droit et le dilatoire, non !
Le second axe de travail que je vous propose concerne la sphère pénale.
Laissez-moi tout d’abord insister sur un constat que nous faisons lucidement. Oui, il y a des étrangers délinquants. Oui, il y a des étrangers dans nos prisons ; de ce point de vue, nous sommes dans la moyenne européenne.
M. François Bonhomme. Cela nous rassure…
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mais l’écrasante majorité des personnes que nous accueillons sur notre sol aiment notre pays et en respectent les lois. Je dis cela avec force, car il ne faut pas accepter des amalgames parfois faciles ou des généralisations entre l’immigration et la délinquance.
Pour autant, mesdames, messieurs les sénateurs, je me garderai de tout angélisme, et je souhaite que nous puissions, dans le cadre du projet de loi annoncé, permettre à notre droit pénal d’être plus efficient à l’égard des étrangers qui ne respectent ni nos lois ni notre pacte républicain.
Pour y parvenir, il nous faut réfléchir à un élargissement de la peine d’interdiction du territoire français. Il s’agit aujourd’hui d’une peine complémentaire, prévue pour de nombreuses infractions qui sont les plus graves : crimes contre l’humanité, infractions terroristes ou atteintes volontaires à la vie, par exemple.
Pourquoi ne pas harmoniser les conditions d’interdiction judiciaire du territoire français avec celles des mesures d’expulsion ? N’est-il pas légitime qu’un juge correctionnel puisse protéger notre territoire et nos concitoyens aussi bien qu’un préfet qui décide de l’expulsion d’un étranger délinquant ?
Pourquoi également ne pas explorer l’élargissement du champ infractionnel de cette peine complémentaire, en prenant évidemment toutes les précautions qui s’imposent, car cet élargissement ne pourra pas avoir lieu sans que soient garantis les grands principes de l’État de droit, auxquels nous sommes tous particulièrement attachés ?
Ces pistes sont sérieusement à l’étude.
C’est tout l’enjeu des débats qui vous attendent : être ferme à l’égard des étrangers qui s’affranchissent de nos règles tout en garantissant à chaque femme, à chaque homme qui souhaite s’installer régulièrement sur notre territoire un examen individualisé de sa situation personnelle et familiale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les Français nous regardent. Il est de notre responsabilité collective de nous montrer à la hauteur de leurs attentes bien légitimes. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, une politique d’intégration doit naturellement envisager le travail comme un outil essentiel, car il est, selon nous, la seule manière durable pour un étranger arrivant sur notre territoire d’assurer sa subsistance. Par ailleurs, le contexte professionnel facilite grandement l’apprentissage de la langue et de la culture d’un peuple.
La France a, comme de nombreux pays, besoin de talents étrangers. Cela ne signifie aucunement que nous sommes déliés de notre obligation de former et d’accompagner nos compatriotes résidant sur notre territoire ; c’est une priorité dans notre marche vers le plein emploi. Cela signifie simplement que nous devons accompagner cette politique d’un recours subsidiaire au recrutement d’étrangers non communautaires pour faire face à nos besoins en compétences.
En réalité, nous le savons, nous avons déjà des procédures permettant l’introduction de main-d’œuvre étrangère, de talents venus de l’étranger. Nous savons aussi délivrer des titres de séjour à des personnes présentes depuis plusieurs années sur le territoire. Mais nous ne pouvons pas nous soustraire plus longtemps à une analyse lucide de notre système. Force est de constater qu’il est inefficace par plusieurs aspects, injuste par d’autres.
Notre système est inefficace, car il ne permet pas à de nombreux étrangers arrivés régulièrement sur notre territoire de se former et d’être accompagnés, puis d’exercer un emploi. Cela se voit dans les chiffres relatifs à la politique de l’emploi : au premier trimestre 2022, le taux de chômage des personnes étrangères était de 13 %, contre 7,5 % pour l’ensemble de la population. Ce rapport ne varie ni en période de crise ni en période de croissance.
Nous enfermons dans l’illégalité des étrangers présents depuis longtemps sur notre territoire et travaillant notamment dans des secteurs en tension. Ils sont pourtant essentiels à la prospérité et au développement de notre pays. Ils sont le plus souvent déclarés, ils paient des impôts, des cotisations. Mais leur situation relève parfois de la traite des êtres humains.
L’absence de droit au séjour les rend vulnérables et précaires. Il arrive aussi que des employeurs peu scrupuleux les obligent à travailler parfois plusieurs semaines sans repos ou encore à être hébergés dans des conditions indignes. Ce constat ne vaut évidemment pas généralisation, mais nous savons que de telles situations existent.
Progresser sur le sujet, c’est progresser sur l’ensemble des conditions de travail en supprimant ces situations du pire et en revenant à un socle commun pour l’ensemble des salariés.
Ce constat partagé nous oblige. Nous devons sortir du système perdant-perdant. Il nous incombe de faire plus pour lutter contre le travail illégal et le travail dissimulé.
Des étrangers présents depuis plusieurs années sur le territoire, travaillant depuis plusieurs mois en France et exerçant un métier en tension sont en situation irrégulière, sans porte de sortie. Ils travaillent, s’intègrent, veulent s’intégrer ou sont intégrés. Ils demeurent pourtant sans droit au séjour ni au travail.
Nous souhaitons que ces étrangers puissent obtenir un titre temporaire, pour une année renouvelable. Il faut leur permettre de travailler légalement dans un secteur en tension de main-d’œuvre. Ils pourront ensuite s’insérer dans un parcours plus classique, toujours par le travail et par la langue. Cela s’appelle tout simplement l’intégration. C’est ce que nous voulons promouvoir, comme le ministre de l’intérieur et moi l’avons déjà indiqué.
Certains feignent de penser que nous allons ainsi favoriser le travail des étrangers au détriment des Français. C’est faux par construction. Les secteurs en question ont besoin de main-d’œuvre. Les étrangers dont nous parlons ne prennent le travail de personne. Ils occupent un emploi pour lequel il est bien difficile de recruter. Par ailleurs, nous n’avons pas abandonné l’important effort de formation de l’ensemble des actifs et notre objectif de plein emploi.
L’introduction de ce titre de séjour est d’ailleurs une demande forte de nombreuses entreprises, qui souhaitent pouvoir accompagner la régularisation de celles et ceux qui travaillent pour elles.
Dans ce même état d’esprit, nous avons d’ores et déjà entamé la révision de la liste existante des métiers en tension. Elle comporte quelques incongruités, quelques manques. Les métiers de la restauration y sont par exemple aujourd’hui peu présents, tout comme ceux de la propreté. Cette liste devra donc demain être plus en phase avec la réalité des tensions de recrutement.
Si l’on observe la part des emplois en tension occupés par des étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou en situation irrégulière, on ne peut que constater la lenteur et la faiblesse des sanctions infligées.
C’est une certitude, la lutte contre le travail illégal passera par des sanctions applicables plus facilement et plus rapidement.
Il existe aujourd’hui des sanctions pénales, que nous ne prévoyons pas de modifier, car elles sont nécessaires au traitement des situations les plus graves, lorsque sont manifestes l’intentionnalité et la dégradation des conditions de travail.
Il existe aussi des sanctions administratives. Je pense par exemple à la possibilité pour les préfets de fermer un établissement pour une durée maximale de trois mois. C’est une sanction lourde, dont nous devons faciliter l’application.
Il nous faut aussi une sanction administrative calibrée pour être plus systématique, comme une amende de plusieurs milliers d’euros par emploi illégal. Cette sanction n’aurait pas un caractère automatique, mais serait déployée en fonction de l’appréciation d’un certain nombre de critères comme les ressources, les charges, mais aussi, et peut-être surtout, l’intentionnalité, le contexte et la gravité.
Enfin, l’intégration passe à l’évidence par la langue, comme l’a rappelé le ministre de l’intérieur. Or bien des employeurs comptent sur la main-d’œuvre étrangère pour faire tourner leur entreprise. Il ne serait donc pas anormal qu’ils contribuent à la réussite de l’intégration de leurs salariés par la langue.
Nous avons ouvert un dialogue avec les partenaires sociaux pour examiner avec les opérateurs de la formation, par le financement de la formation continue et par la possibilité de libérer des heures sur le temps de travail, la façon dont nous pourrions mettre à contribution les employeurs pour la formation en français de leurs salariés étrangers.
Nous abordons ce débat sans naïveté, en voulant ne plus être les complices passifs d’injustices existantes. En ce qui concerne le travail des étrangers, nous agissons sans naïveté ni idéalisme, mais en faisant preuve de réalisme et avec la volonté de protéger les travailleurs comme les chefs d’entreprise qui n’ont pas d’autre choix. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Dans le débat, la parole est à M. François-Noël Buffet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Philippe Bonnecarrère, Alain Richard et François Patriat applaudissent également.)
M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, « il n’existe pas, le pays qui peut accueillir l’ensemble des migrants économiques. Il n’existe pas. […] Nous avons besoin d’améliorer l’intégration dans la République plus vite, mieux. […] Je ne veux plus de femmes et d’hommes dans les rues. Mais partout, dès la première minute, un traitement administratif qui permet de déterminer si on peut aller vers une demande d’asile ou non. Et derrière, une vraie politique de reconduite aux frontières ».
Ces quelques phrases ne sont pas de moi. Certains peut-être s’en souviendront, elles ont été prononcées, il y a déjà cinq ans, par le Président de la République lui-même, à Orléans.
M. François Bonhomme. Quel aveu d’échec !
M. François-Noël Buffet. On pouvait être séduit, il y a cinq ans, par ces propos qui semblaient annoncer une grande ambition pour moderniser notre politique migratoire et même la penser – enfin ! – dans sa globalité. Mais regardons les choses en face : la triste réalité, c’est que notre politique d’immigration, d’asile et d’intégration se trouve aujourd’hui dans l’impasse.
Je vous concède, madame la Première ministre, que cette faillite trouve ses racines dans les errements du quinquennat de M. Hollande, dont vous avez en partie hérité.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela faisait longtemps…
M. François-Noël Buffet. Toutefois, force est de constater que, cinq ans après le discours d’Orléans, le Gouvernement n’a pu se donner les moyens de redresser totalement la barre.
M. François Bonhomme. Belle continuité…
M. François-Noël Buffet. Nous avons tout d’abord renoncé à la maîtrise de l’immigration légale, dont chacun sait qu’elle nourrit pour partie l’immigration irrégulière.
Pour la seule année 2021, à en croire les chiffres publiés en juin 2022 par le ministère de l’intérieur, 270 000 premiers titres de séjour ont été délivrés en France métropolitaine, soit 100 000 de plus qu’en 2011. Le nombre de titres valides a lui augmenté d’un million, pour atteindre aujourd’hui un total de 3,4 millions.
L’ampleur de ces chiffres et de leur évolution parle d’elle-même. Certains sur ces travées soutiendront que l’immigration est une chance pour les pays européens. Sans doute ! Mais à condition qu’elle soit un apport pour le pays d’accueil, et non une charge.
Or, comme le souligne l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, la contribution de l’immigration à la société et à l’économie d’un pays, quel qu’il soit, est étroitement liée au niveau de qualification des arrivants. Et celui-ci est bien moindre en France que chez nos voisins européens.
Quant à l’intégration, elle ne peut véritablement advenir qu’avec la maîtrise de notre langue et le respect des principes et des valeurs qui font notre nation. Or, vous l’avez souligné vous-même la semaine dernière, monsieur le ministre de l’intérieur, un quart des étrangers en situation régulière parlent ou écrivent très mal le français.
En ce qui concerne l’immigration irrégulière, nous allons d’échec en échec, avec tout d’abord une maîtrise très insuffisante de nos frontières – c’est un euphémisme ! – à l’échelle européenne.
En 2006, le Gouvernement estimait, ici même, qu’entre 200 000 et 400 000 clandestins étaient présents sur le territoire national. Devant la commission des lois, le 2 novembre dernier, vous avez, monsieur le ministre de l’intérieur, indiqué qu’ils étaient aujourd’hui de 600 000 à 900 000. En quinze ans, leur nombre a donc été multiplié au moins par deux.
La potion est encore plus amère pour ce qui concerne l’éloignement. Selon les chiffres transmis par le ministère, le taux d’exécution des OQTF au premier semestre de 2022 s’établit au niveau famélique de 6,9 %. On peut toujours discuter de la pertinence de ce taux comme indicateur, mais c’est un fait qu’il a été divisé par trois en dix ans, puisque nous exécutions encore 22 % des OQTF en 2012, soit trois fois plus qu’aujourd’hui.
Il y a du mieux du côté de l’asile, mais nous sommes encore loin du compte. Avec un délai moyen d’examen des demandes d’un peu plus de 330 jours, l’objectif de six mois fixé en 2017 est hors de portée à moyen terme. C’est d’autant plus regrettable que nous renouons avec les nombres exceptionnels de demandes d’avant la pandémie. Nous devrions même dépasser l’année prochaine le record de 2019, puisque 135 000 demandes sont attendues.
Je ne dresse ce tableau ni par malice ni par fatalisme. Se laisser aller à l’une ou à l’autre, ce serait renoncer à chercher des solutions et se réfugier dans des postures stériles. Ce serait alimenter chez nos concitoyens des peurs qui n’ont pas lieu d’être. Ce serait, surtout, ouvrir grand la porte aux extrêmes.
Vous l’avez dit à l’Assemblée nationale la semaine dernière, madame la Première ministre : si nous voulons débattre sérieusement de la politique migratoire, nous devons nous astreindre à un langage de vérité.
Cela implique de nous appuyer sur des données partagées et indiscutables, pour dresser le constat lucide d’une immigration qui n’est pas maîtrisée et d’une politique publique qui a perdu tout son sens. Un langage de vérité nous permettra d’énoncer clairement les objectifs à atteindre et de dénoncer les postures : l’immigration zéro est une chimère ; l’accueil au fil de l’eau est une folie.
Ce qui nous fait aujourd’hui cruellement défaut, c’est une réelle stratégie. Faute d’anticipation et faute de volonté clairement exprimée, nous ne faisons que subir les soubresauts des flux migratoires. Nous avons été dépassés par l’intensité des flux migratoires en 2015, nous le sommes encore aujourd’hui avec la reprise qui succède à l’épidémie de covid. Et nous venons de vivre un épisode particulier avec l’Ocean Viking, notamment de par la complexité des procédures suivies.
Ce n’est pourtant pas un gros mot que de dire que, comme pour tout État souverain, c’est à nous qu’il revient de décider qui nous accueillons sur notre territoire et qui n’y a pas sa place.
Pour nous, il y a trois principes à suivre. Tout d’abord, nous voulons une immigration régulière choisie, prioritairement économique et qui trouvera d’autant plus sa place dans notre société qu’elle y contribuera pleinement. Puis, il faut de l’intransigeance dans la lutte contre l’immigration irrégulière. Enfin, l’efficacité de la procédure d’asile doit être accrue. Tels sont les trois piliers sur lesquels doit reposer notre stratégie migratoire.
Cette stratégie, c’est celle que défend le Sénat, ou du moins sa majorité, depuis de nombreuses années. C’était le sens des propositions que nous avions portées en 2018 lors de l’examen de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dont une partie a été balayée d’un revers de main par le gouvernement de l’époque.
C’est donc avec satisfaction que j’observe plus qu’une inflexion de la part du Gouvernement, qui envisage désormais de reprendre plusieurs de nos propositions dans le texte qui devrait être examiné en mars prochain par le Sénat en première lecture, ce dont nous vous remercions. Certaines pistes du Gouvernement peuvent être intéressantes, d’autres sont moins acceptables. J’y reviendrai.
Monsieur le ministre de l’intérieur, vous rappelez régulièrement vous être inspiré pour la rédaction de votre texte du rapport Services de l’État et immigration : retrouver sens et efficacité, que j’ai rédigé en mai dernier. C’est un bon début ! (Sourires.)
Néanmoins, pour éviter tout malentendu, et comme l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, je vais vous faire des propositions très concrètes, qui sont ancrées dans les positions constamment soutenues par le Sénat depuis plus de dix ans et qui visent à doter la France d’une stratégie migratoire réellement ambitieuse et efficace.
Madame la Première ministre, vous avez déploré la semaine dernière devant l’Assemblée nationale le manque de propositions. Les nôtres seront sur la table. Permettez-moi de vous en présenter les grandes lignes.
La priorité est de retrouver notre souveraineté en matière d’immigration régulière. C’est à nous de décider qui accueillir sur le territoire, en assumant de prioriser l’immigration économique. Or celle-ci représentait à peine 13 % des premiers titres de séjour délivrés en 2021. C’est au Parlement qu’il revient de fixer ces orientations annuelles, avec, disons-le franchement, un débat sur des quotas ou, à tout le moins, la détermination de grandes directions.
Recouvrer notre souveraineté, c’est aussi assumer de restreindre les voies d’accès au séjour. Je pense à la procédure « étranger malade », pour laquelle il est urgent de revenir au critère de l’absence de soins dans le pays d’origine. Rien que pour 2021, nous avons reçu 5 000 demandes émanant de pays du G20, qui disposent pourtant de systèmes de soins développés !
Je pense aussi au regroupement familial, pour lequel nous proposons de resserrer les critères, naturellement dans le respect du droit européen.
Avoir une politique d’immigration régulière cohérente, c’est aussi mieux traiter ceux que nous acceptons sur notre territoire. Je ne reviens pas sur les situations ubuesques suscitées par les difficultés d’accès aux guichets des préfectures pour obtenir ou renouveler un titre de séjour.
La solution est pourtant là, dans une refonte des pratiques d’instruction autour d’une logique dite « à 360 degrés », où l’on examinerait dès la première demande, et une fois pour toutes, l’ensemble des motifs qui pourraient fonder la délivrance d’un titre de séjour. L’expérimentation conduite par le Gouvernement à la préfecture d’Angers est une très bonne démarche.
Mieux traiter les étrangers en situation régulière demande également de muscler notre dispositif d’intégration. Vous proposez, monsieur le ministre, d’augmenter le volume d’heures de français. C’est une bonne idée.
La contrepartie, c’est le renforcement des devoirs de l’étranger. Vous avez repris la proposition du Sénat, qui suggérait de conditionner la délivrance des titres de séjour de longue durée à la réussite d’un examen de langue. Fort bien ! Nous estimons nécessaire d’aller encore plus loin et de la conditionner également au passage d’un examen civique, par lequel l’étranger démontrerait sa bonne appropriation de nos valeurs, de l’histoire et de la culture de la France.
Passer d’une logique de moyens à une logique de résultats, c’est la vraie révolution pour le contrat d’intégration républicaine. Cette appropriation des valeurs républicaines n’est pas négociable, et l’obtention d’un titre de séjour n’est pas un blanc-seing : elle vient avec des responsabilités. À cet égard, nous aurons des difficultés à vous suivre dans votre idée d’automaticité du renouvellement des titres pluriannuels. Mais nous attendons de voir ce que vous proposerez exactement.
La deuxième priorité est de fluidifier le traitement des demandes d’asile et de lutter plus efficacement contre le détournement de notre politique d’accueil.
Il est crucial de faciliter l’instruction des demandes de protection internationale, en permettant notamment à l’Ofpra de statuer plus rapidement sur les dossiers les moins problématiques, par exemple en cas de retrait de la demande ou d’abandon du lieu d’hébergement, mais aussi en lui imposant de refuser l’asile en cas de menace pour l’ordre public.
Ainsi, l’Office pourra concentrer son expertise sur les dossiers les plus complexes. Je tiens en tout cas à saluer à cette tribune l’excellent travail des agents de l’Ofpra.
Enfin, nous devons faire de la lutte contre l’immigration irrégulière une priorité nationale et agir, enfin, pour la mise en œuvre des décisions d’éloignement.
Prévenir l’immigration irrégulière, c’est d’abord assumer d’établir un rapport de force avec les États d’origine. Le Sénat avait voté en 2018 une disposition autorisant les restrictions de visas à l’égard des pays délivrant peu de laissez-passer consulaires. Le Gouvernement ne l’avait pas retenue. Il s’y est finalement résolu et, là encore, cela a produit quelques résultats, puisque le nombre de retours forcés vers l’Algérie, nombre certes modeste en valeur absolue, a tout de même été multiplié par seize en moins d’un an.
La montée en puissance de la lutte contre l’immigration clandestine ne se fera pas non plus sans réforme de l’aide médicale de l’État (AME). Avec 400 000 bénéficiaires et un coût supérieur à un milliard d’euros, celle-ci atteint des sommets. Nous ne pouvons pas nous satisfaire des derniers ajustements paramétriques ; c’est d’une réforme structurelle dont nous avons besoin.
Là encore, le Sénat défend de longue date le remplacement de l’AME par une aide médicale d’urgence, centrée sur la prise en charge des pathologies les plus graves. L’AME se justifie pour des raisons de santé publique, madame la Première ministre, mais on ne peut se dissimuler qu’elle constitue aussi, parfois, une incitation à l’immigration irrégulière.
Il en va de même du projet de titre de séjour « métiers en tension », qui est au fond une opération de régularisation qui n’ose pas dire son nom. Soyons clairs, en effet : qu’est-ce que l’attribution d’un titre de séjour à une personne en situation irrégulière sinon une régularisation ?
La problématique est réelle, pourtant, et nous ne pouvons nier que nombre de métiers, parfois indispensables, sont exercés en majorité par des étrangers. Nous pouvons en débattre.
La solution passe-t-elle pour autant par des régularisations massives, sans aucun ciblage, qui risquent de créer un nouvel appel d’air ? Non. Si nous y procédons, cela fera les affaires des filières criminelles qui industrialisent le passage des clandestins et jouent avec leurs vies. Il faudra donc des critères précis et des conditions, qui devront être précisées par la loi. La problématique est réelle, je le répète, et nous devons absolument dire les choses telles qu’elles sont, et non telles que nous aimerions qu’elles soient.
Je formulerai la même remarque s’agissant de la réforme du contentieux. Nous le savons tous, le droit des étrangers est d’une complexité qui frôle l’absurde. Il suffit de voir la taille du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda)… C’est une charge pour les magistrats chargés de l’appliquer, une source d’insécurité juridique pour les justiciables et une aubaine pour les clandestins cherchant à se soustraire à l’éloignement.
Le Gouvernement a souhaité réduire à quatre le nombre de procédures contentieuses. Nous vous proposons de descendre jusqu’à trois. Nous aurons à en discuter.
Madame la Première ministre, ce n’est pas en masquant les problèmes que l’on va les oublier, ce n’est pas en les nommant que l’on va les aggraver, mais c’est certainement avec des propositions concrètes que l’on va les résoudre. Cela tombe bien, nous n’en manquons pas ! Celles que je vous ai exposées, et bien d’autres encore, figureront parmi nos propositions.
Nous avons adopté vingt et une lois sur l’immigration en trente ans, ce qui fait une moyenne d’une loi tous les seize mois. Je vous propose que nous prenions l’engagement de doter notre pays d’une vraie stratégie. Le groupe Les Républicains y est prêt. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – MM. Philippe Bonnecarrère et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)