M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. C’est parce qu’il est raisonnable…
M. Emmanuel Capus. C’est plutôt parce qu’il est institué, par prélèvement sur les recettes de l’État, un transfert au profit des collectivités qui, comme tel, ne déséquilibre pas le solde d’ensemble, mais dont le coût ne laisse pas d’être problématique.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Non : l’amendement est raisonnable.
M. Emmanuel Capus. Cet investissement est évidemment le bienvenu pour nos collectivités, qui continueront de faire face à des hausses de prix spectaculaires en 2023.
Toutefois, comme je l’ai dit au cours de nos débats, il conviendra, à mon sens, de mieux cibler ce dispositif,…
M. Roger Karoutchi. C’est ce qui est fait…
M. Emmanuel Capus. … et ce d’autant plus que le Sénat a également choisi d’indexer la DGF sur l’inflation, contre l’avis de la commission et du Gouvernement.
Afin de préserver l’efficacité de nos dépenses, mes chers collègues, il conviendra nécessairement de retravailler à des critères d’éligibilité, simples et souples, pour le filet de sécurité.
Ces mesures de protection supplémentaires sont en partie financées par des recettes nouvelles, obtenues, notamment, en taxant les superprofits liés à la hausse des coûts de l’énergie. Ces recettes sont pertinentes, car elles sont bien calibrées : elles sont européennes, et non franco-françaises, et elles ne concernent que le secteur de l’énergie, précisément là où l’inflation prend racine.
Je me réjouis que nous ayons résisté à la tentation de taxer les superdividendes. Mes chers collègues, culpabiliser les profits, fussent-ils réalisés en période de crise, n’a jamais mené à la prospérité. (M. Pascal Savoldelli lève le poing.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Ce n’est pas le sujet !
M. Emmanuel Capus. Churchill considérait que le vrai vice, ce sont les pertes, non les profits.
Mme Anne-Catherine Loisier et M. Michel Canévet. C’est la dette !
M. Emmanuel Capus. Je partage l’avis de Churchill : il faut cesser d’inverser les valeurs.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Churchill disait aussi : « No sport » ! (Sourires.)
M. Emmanuel Capus. Rassurer les Français, c’est aussi leur montrer que nous gardons le cap malgré les turbulences.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Emmanuel Capus. Tel est notamment le cas en matière de transition écologique. Cette priorité ne saurait être placée au second plan au motif que la crise frappe lourdement.
Le Sénat a d’ailleurs renforcé l’ambition écologique de ce projet de budget par des mesures concrètes et opérationnelles. Elles ne feront peut-être pas les gros titres, elles ne feront pas le buzz – en cela, elles sont très sénatoriales ! (Sourires.) –, mais elles font évoluer les choses dans le bon sens. C’est heureux.
Nous devons montrer aux Français que l’écologie, ce n’est pas jeter de la soupe sur des tableaux, c’est appliquer des solutions concrètes pour diminuer notre empreinte carbone.
M. Emmanuel Capus. À cet égard ont été adoptés deux amendements reprenant une proposition de loi présentée, dans le cadre de l’espace réservé au groupe Les Indépendants, par notre collègue Vanina Paoli-Gagin. Ils visent à mobiliser davantage de fonds privés pour l’entretien de nos forêts grâce au dispositif du mécénat, ce dont je me réjouis.
En somme, mes chers collègues, malgré des avancées positives, un regret brouille le message ; il porte sur la CVAE. Notre groupe a défendu une ligne claire : supprimer cet impôt qui plombe nos entreprises et compenser à l’euro près, de façon dynamique et territorialisée, les pertes résultant de cette suppression pour les collectivités.
Les élus locaux sont inquiets ; nous devons leur assurer qu’ils n’y perdront pas. Et, en effet, ils n’y perdront pas, d’abord parce qu’en renforçant la compétitivité on soutient les collectivités, ensuite parce que la TVA demeure la recette la plus sûre,…
M. Éric Bocquet. La plus injuste !
M. Emmanuel Capus. … surtout en temps de crise.
Si les forces du centre et de la droite s’accordent à dire que la CVAE n’est pas un bon impôt – Christine Lavarde l’a rappelé –, alors nous devons collectivement avoir le courage de la supprimer définitivement.
M. Pascal Savoldelli. Et voilà…
M. Emmanuel Capus. À l’inverse, proposer un report, puis voter un dégrèvement pour, enfin, ne pas voter l’article du tout, c’est manquer de clarté, me semble-t-il, à l’égard des élus locaux.
De ce point de vue, je regrette, monsieur le rapporteur général, qu’il n’y ait pas eu de seconde délibération sur l’article relatif à la CVAE. (Sourires sur plusieurs travées.)
M. Patrick Kanner. On se demande pourquoi !
M. Emmanuel Capus. Il me semble que dans cette enceinte une majorité partage l’avis de mon groupe sur cette mesure.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. C’est à voir…
M. Emmanuel Capus. En tout état de cause, vous l’aurez compris, notre groupe s’abstiendra dans sa majorité sur cette première partie, et quelques-uns d’entre nous la voteront. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Breuiller. Je tiens pour commencer à féliciter tous mes collègues pour la bonne tenue de ces débats, ainsi que M. le ministre pour son implication et pour ses réponses, plutôt que pour les avis rendus…
Au début de notre discussion, j’avais mis en doute la sincérité du Gouvernement et l’utilité de notre travail, sur lequel plane la menace du 49.3. À l’issue de cet examen, je dois dire que je doute toujours de la volonté du Gouvernement de prendre en compte les amendements qui ont été votés par notre assemblée.
À l’ouverture de nos débats, un cadre était posé par le Gouvernement, consistant à mettre les collectivités sous tutelle et à refuser de demander quelque contribution supplémentaire que ce soit à ceux qui accumulent richesses et profits. Un tel refus a été validé, et même renforcé, par notre rapporteur général et par le groupe majoritaire du Sénat.
Malgré tout, le Sénat a débattu de manière authentique ; parfois, la vie est même entrée avec force dans cet hémicycle, tant celle des territoires – bien sûr ! – que celle des habitants de notre pays.
Pour concrétiser la volonté de diminuer le déficit et de renforcer les moyens de l’État, monsieur le ministre, vous aviez une solution : taxer ceux qui profitent de la crise, qui vivent non du fruit de leur esprit entrepreneurial, mais d’une rente nourrie par cette crise. De fait, vous taxez les énergéticiens, mais pas les superprofits de l’énergie carbonée, de la pharmacie, du transport maritime ou de la banque… et, bien entendu, vous ne taxez pas non plus les dividendes.
Les centristes proposaient de taxer les dividendes à la hauteur de la fiscalité du travail. À qui prétend défendre la valeur travail, cela ne saurait sembler scandaleux : avouons-le, ce n’était pas la nuit du 4 août !
Je suis élu d’une commune populaire. Mes compatriotes qui se rendent aux distributions alimentaires ne comprennent pas que l’on ne taxe pas ces superprofits, alors que nous n’avons pas les moyens de nos politiques sociales. Anticipons cette colère sourde !
Comment les Françaises et les Français, qui se débattent pour se chauffer, pour se soigner, pour se déplacer, pour vivre bien, peuvent-ils comprendre que la rémunération moyenne des patrons du CAC 40 représente 109 fois celle de leurs salariés ?
Sous plusieurs aspects, ce texte ressort de nos débats plus dur socialement qu’il ne l’était à l’origine, la majorité sénatoriale vous faisant concurrence, monsieur le ministre, dans le toujours plus libéral.
Sur la CVAE, bonne nouvelle : sa suppression eût été une erreur ; et même c’eût été une faute que de priver l’État de 8 milliards d’euros de recettes.
Là encore, je m’étonne que la majorité sénatoriale soutienne la suppression d’un impôt qui lie les entreprises aux territoires et finance les collectivités territoriales.
M. Vincent Éblé. C’est vrai.
M. Daniel Breuiller. La compensation par la TVA, taxe la plus injuste socialement, reviendrait à transférer sur le dos des ménages un impôt qui est dû par les entreprises.
Respecterez-vous, monsieur le ministre, la décision du Sénat ?
Quant à la dotation globale de fonctionnement, une majorité très large s’est exprimée en faveur de son indexation sur l’inflation. La préservation des collectivités l’exige, comme elle exige un filet de sécurité renforcé.
Là encore, notre vote sera-t-il respecté ? Au vu de vos déclarations, monsieur le ministre, le contraire semble acquis. Vous pensez à voix haute et nous n’ignorons rien de votre choix de « 49.3iser » nos votes et nos amendements…
Sur le logement, et plus particulièrement sur le logement social, nos débats ont fait renaître une colère qui m’animait lorsque j’étais maire. L’objectif du Gouvernement de construire 250 000 logements est loin d’être atteint. Des dizaines de milliers de familles sont mal logées ; la pénurie de logements n’a jamais été aussi importante. La Fondation Abbé Pierre nous alerte et le Secours populaire français a vu le nombre de personnes aidées augmenter de 45 %. Notre débat, et surtout ses conclusions, n’a pas été à la hauteur de ces enjeux ni des souffrances sociales engendrées par le mal-logement.
« Chacun a besoin de l’autre », avez-vous dit, monsieur le ministre et conseiller municipal : c’est vrai. Alors, respectez les mesures votées dans cet hémicycle en faveur des collectivités ! Les prix augmentent et l’inflation frappe en premier lieu les couches moyennes et les gens les plus modestes. Les Français qui sont en difficulté se tournent vers leurs maires ; aussi ceux-ci doivent-ils avoir les moyens d’agir.
Pour ce qui est de la transition écologique, le nombre d’amendements adoptés est plus que décevant. Le « fonds vert », inlassablement invoqué, se résume pourtant à 2 milliards d’euros recyclés, « re-recyclés », et censés tout résoudre.
Mais notre déception n’est rien, l’incapacité à prendre la mesure de la crise climatique est tout. Si beaucoup de nos concitoyens, de nos enfants, de nos petits-enfants ne croient plus en nous, les politiques, c’est pour cette raison : notre incapacité à faire face à cette crise qui, s’amplifiant, nous menace tous.
Nombre de nos propositions vous paraissent « trop » : trop fortes, trop rapides, trop radicales… Mais, si nous ne nous engageons pas rapidement dans la trajectoire qu’impose la transition, il sera vite trop tard. L’écologie n’est pas un dogme, elle est une nécessité. Elle est même, assortie à l’exigence de justice sociale, la trajectoire d’avenir tant de notre pays que de notre planète.
Pour toutes ces raisons, notre groupe ne votera pas cette première partie du projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Excellent !
M. Didier Rambaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n’est pas si souvent que le Sénat arrive au bout d’une discussion budgétaire, qui plus est lorsque le nombre d’amendements déposés, 1 741, dépasse tous les records. Je suis heureux, mes chers collègues, que tous les groupes aient pris leurs responsabilités, jusqu’au début de cet après-midi, afin de respecter les délais fixés dans l’ordre du jour.
Ce projet de loi de finances pour 2023 contient des choses positives pour les ménages comme pour les entreprises. Toutefois, en cette semaine de Congrès des maires, mes pensées vont en premier lieu aux collectivités, que nous devons soutenir et accompagner.
Le Gouvernement y est attentif, puisqu’il décide d’augmenter en 2023 la dotation globale de fonctionnement de 320 millions d’euros. Après des années de baisse – le maire puis président d’intercommunalité que j’ai été entre 2001 et 2017 s’en souvient douloureusement –, après des années de stabilisation entre 2017 et 2022, la DGF augmente pour la première fois depuis treize ans ! Cette augmentation est historique, mais elle ne nous exonère pas pour autant, soit dit en passant, de réfléchir à une réforme d’ensemble de cette dotation. Ses critères d’attribution doivent être enfin rendus plus lisibles et, surtout, plus compréhensibles pour les élus locaux.
Arrêtons-nous un instant sur un autre point que contient – ou plutôt contenait ! – ce projet de loi de finances. Je parle, bien entendu, de la CVAE : l’article prévoyant sa suppression a été supprimé à la faveur d’une situation ubuesque.
Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, il y a de l’incohérence dans votre opposition. Pour justifier votre report d’un an de la réforme, vous sortez de votre chapeau, entre les réunions de commission et l’examen du texte en séance, une idée improvisée de dégrèvement de CVAE. Résultat des courses : on ne comprend plus votre position sur le sujet.
Mieux encore, après avoir rejeté les amendements de suppression de la réforme de la CVAE, vous avez fait adopter votre report d’un an et votre dégrèvement improvisé… pour finalement rejeter l’article que vous aviez pourtant modifié ! Où est la cohérence ?
Ne souhaitez-vous plus baisser les impôts de production pour améliorer la compétitivité de nos entreprises ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Si, bien sûr !
M. Didier Rambaud. Cette suppression de la CVAE devait pourtant profiter à 530 000 entreprises, 25 % des gains étant fléchés vers l’industrie.
Mais, au pied du mur, vous vous êtes retrouvés sans majorité dans cet hémicycle. Assumez vos positions : ne les modulez pas à l’aune des prochaines sénatoriales !
En fait de cohérence, revenons également sur le filet de sécurité. Monsieur le rapporteur général, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2022, vous affirmiez que les critères d’épargne brute et de potentiel financier vous convenaient ; vous avez rejeté tous mes amendements visant à assouplir les seuils. Je cite les propos que vous avez tenus à l’appui de votre avis défavorable : « si des communes échappent au dispositif tel qu’il a été mis en œuvre, c’est que leur situation n’est pas aussi difficile que celle d’autres collectivités ». Pourtant, pour 2023, en plein Congrès des maires, vous indiquez l’exact contraire, affichant votre détermination à lever tous les critères !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Oui, c’est ce que nous souhaitons !
M. Didier Rambaud. Les critères du filet sont perfectibles, et il est impératif de les assouplir ; la Première ministre l’a d’ailleurs reconnu, plus tôt dans la journée, devant le Congrès des maires.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Elle nous a écoutés.
M. Didier Rambaud. Nous sommes heureux qu’un consensus puisse se dégager à ce sujet. Il demeure impératif, néanmoins, de cibler le soutien sur les collectivités les plus fragilisées.
Nous espérons pouvoir revenir sur ce point en nouvelle lecture, à moins que le Sénat ne fasse un énième refus d’obstacle en adoptant sa traditionnelle question préalable, qui tient désormais davantage de la mauvaise habitude que d’un véritable positionnement politique de fond.
Nous souhaitons en effet que le filet de sécurité contribue à préserver les finances des collectivités ; nous avons d’ailleurs voulu l’améliorer et le compléter par l’amortisseur sur les prix de l’électricité, qui permet de réduire les factures de 20 %.
En réalité, nous réglerons ces difficultés lorsque nous parviendrons, au niveau européen, à décorréler le prix de l’électricité de celui du gaz. Nous les réglerons, surtout, lorsqu’enfin notre pays sera souverain sur le plan énergétique.
Étant donné l’urgence actuelle, notre groupe considère que l’État doit soutenir les collectivités les plus affectées. À prendre en compte l’ensemble des dispositifs proposés, nous estimons que l’État est au rendez-vous.
Par conséquent, mes chers collègues, compte tenu de l’adoption des amendements relatifs à la CVAE, à l’indexation de la DGF et au filet de sécurité, le groupe RDPI s’abstiendra lors du vote sur la première partie de projet de loi de finances pour 2023. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)
Mme la présidente. Je mets aux voix, modifié, l’ensemble de la première partie du projet de loi de finances pour 2023.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 68 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 307 |
Pour l’adoption | 216 |
Contre | 91 |
Le Sénat a adopté.
Organisation des travaux
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Mes chers collègues, en raison du retard pris lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances, et conformément aux règles de discussion budgétaire adoptées par la conférence des présidents du Sénat, nous pourrions, en accord avec le Gouvernement, procéder aux modifications de l’ordre d’examen des missions suivantes.
L’examen des missions « Engagements financiers de l’État » et « Remboursements et dégrèvements » serait reporté en dernier point de l’ordre du jour du vendredi 25 novembre.
L’examen des missions « Plan de relance » et « Investir pour la France de 2030 » serait quant à lui reporté en dernier point de l’ordre du jour du mardi 29 novembre.
Voyez-vous, mes chers collègues, malgré le retard pris, nous essayons de sauver votre samedi ! J’attends vos remerciements… (Applaudissements.)
Mme la présidente. Il en est ainsi décidé.
Mes chers collègues, nous en sommes parvenus aux dispositions de la seconde partie du projet de loi de finances.
SECONDE PARTIE
MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES
Mme la présidente. Nous allons maintenant entamer l’examen des différentes missions.
Transformation et fonction publiques
Compte d’affectation spéciale : Gestion du patrimoine immobilier de l’État
Gestion des finances publiques
Crédits non répartis
Régimes sociaux et de retraite
Compte d’affectation spéciale : Pensions
Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Transformation et fonction publiques », du compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État », des missions « Gestion des finances publiques », « Crédits non répartis », « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d’affectation spéciale « Pensions » (et articles 50 et 51).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Claude Nougein, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors qu’il me revient de vous présenter les crédits de la mission « Gestion des finances publiques », je ne peux commencer cette intervention sans rendre hommage au chef de brigade de vérification de la direction départementale des finances publiques (DDFiP) du Pas-de-Calais tué, lundi, dans l’exercice de ses missions. Nous adressons, Albéric de Montgolfier et moi-même, toutes nos pensées à sa famille et à ses collègues.
En tant que rapporteurs spéciaux, nous saluons chaque année dans notre rapport budgétaire le travail des agents du ministère de l’économie et des finances. Cette administration a démontré sa capacité d’adaptation et de transformation en menant d’importants projets à leur terme.
Cela ne veut pas dire pour autant, monsieur le ministre, que nous n’avons pas avec vous quelques divergences sur le budget qui nous est présenté.
Si nous avions l’habitude de dire que la mission « Gestion des finances publiques » était l’une des seules à contribuer à la rationalisation de la dépense publique, nous ne pouvons pas le faire cette année. En effet, ses crédits atteindraient 10,6 milliards d’euros, en hausse inédite de 5,4 %. Si même le ministère de l’économie et des finances dévie de sa trajectoire habituelle, c’est que le contexte n’est clairement plus à la maîtrise des dépenses publiques !
Seul point de satisfaction : le schéma d’emploi de la mission continue de diminuer pour tenir compte de la numérisation et des gains de productivité consécutifs aux réformes engagées ces dernières années. Certes, le rythme ralentit, mais d’importants efforts ont précédé, en particulier de la part de la direction générale des finances publiques (DGFiP).
Pour ce qui concerne les politiques menées par la DGFiP, par la douane ou par le secrétariat général du ministère, le mot d’ordre semble de poursuivre les chantiers entamés ces cinq dernières années.
J’en citerai un exemple : le réseau de proximité de l’administration fiscale. Ce point – je le sais – est important pour nombre d’entre nous, en particulier pour les élus des territoires ruraux. Soyons clairs : tous nos concitoyens ne sont pas en mesure de réaliser leurs démarches en ligne ou de trouver la réponse à leurs interrogations sur le site de la DGFiP. Ils ont parfois besoin d’un point de contact et de réponses particulières ; la numérisation ne doit pas conduire à l’exclusion.
Il en va de même pour le soutien apporté par les agents des finances publiques aux élus locaux via la mise en place des conseillers aux décideurs locaux. Les retours sont globalement positifs ; encore faut-il que ces conseillers soient déployés en nombre suffisant sur le territoire. L’enjeu est de concilier présence dans les petites communes, qui ne disposent souvent pas de l’expertise financière nécessaire, et présence dans les grandes métropoles, où les enjeux financiers sont les plus importants.
Je dis maintenant quelques mots sur les deux programmes de la mission « Crédits non répartis ».
Le programme 551, « Provision relative aux rémunérations publiques », fait de nouveau l’objet cette année d’une ouverture de crédits, à hauteur de 80 millions d’euros. Le recours à cette dotation pour financer des mesures pourtant décidées plusieurs mois avant la programmation budgétaire semble devenir une habitude pour le Gouvernement. Or il est particulièrement regrettable, du point de vue de la bonne information du Parlement, que la ventilation des crédits demeure inconnue jusqu’à la fin des débats parlementaires. Nous invitons donc le Gouvernement à prendre au plus vite les mesures de répartition de ces crédits.
Quant au programme « Dépenses accidentelles et imprévisibles », il fait l’objet cette année d’une dotation de près de 1,8 milliard d’euros en crédits de paiement (CP), soit quatorze fois le montant des crédits ouverts depuis 2018. Ce montant nous paraît particulièrement déraisonnable au regard de l’exécution budgétaire des années 2021 et 2022 : ces exercices n’ont donné lieu à l’exécution d’aucun crédit de cette dotation, malgré le contexte économique et sanitaire incertain. Partant, nous avons déposé, au nom de la commission des finances, un amendement visant à minorer de 1 milliard d’euros les crédits de ce programme.
En tout état de cause, nous souhaiterions que M. le ministre nous présente davantage de justifications quant aux raisons qui ont poussé le Gouvernement à prévoir une dotation aussi démesurée ; ni la crise énergétique ni les incertitudes liées au contexte macroéconomique et international ne sauraient, selon nous, la justifier.
Pour conclure, il me revient de vous exposer la position de la commission sur ces deux missions. Nous vous proposons d’adopter les crédits de la mission « Gestion des finances publiques » ainsi que ceux de la mission « Crédits non répartis », sous réserve de l’adoption de l’amendement de la commission. (M. Marc Laménie et Mmes Isabelle Raimond-Pavero et Martine Berthet applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Transformation et fonction publiques », qu’avec Claude Nougein nous suivons depuis maintenant plusieurs exercices, est dotée cette année de 1,1 milliard d’euros. Notre constat est malheureusement le même chaque année : les projets sont nombreux, mais la gestion souvent décevante.
La sous-consommation des crédits demeure importante sur certaines actions, comme celle qui se rapporte au Fonds pour la transformation de l’action publique. Il est dès lors très difficile, quand on se rappelle les difficultés passées, d’apprécier la prévision des crédits pour l’année à venir. Pour ce qui est par exemple des contrats passés dans le cadre de la rénovation des cités administratives de l’État, les marchés ont mis plusieurs années à être conclus. Résultat ? D’année en année, les délais de livraison sont repoussés. Autre conséquence : le coût des matériaux ayant augmenté, l’État est obligé de procéder à des arbitrages.
Nous saluons en revanche, Claude Nougein et moi-même, la création de l’action Résilience, destinée à financer des actions à gains rapides, c’est-à-dire des actions à faible coût qui génèrent de très importantes économies d’énergie. Cette mesure nous paraît de bien meilleure gestion que, par exemple, celle qui prévoit l’augmentation des effectifs de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), augmentation dont nous n’avons pas très bien perçu l’intérêt. Nous comprenons encore mal l’articulation de ces effectifs avec des corps de conseil et de contrôle comme les inspections générales. Les ressources, en la matière, nous semblent suffisantes : nul besoin de les renforcer.
Enfin, alors que la « fonction publique » figure bien jusque dans l’intitulé de la mission, il est difficile d’identifier l’action du Gouvernement en la matière, hors réforme de la haute fonction publique. Concernant les effectifs, rien n’est fait, comme cela a été longuement développé lors de la discussion générale qui a ouvert l’examen de ce projet de loi de finances. En matière de rémunération, on en reste à des ajustements catégoriels, au gré des arbitrages.
J’en viens à présent aux crédits du compte d’affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l’État ».
Les dépenses afférentes passeraient de 416 millions d’euros à 340 millions d’euros entre 2022 et 2023. Cette diminution a trait aux opérations structurantes et aux cessions, tandis que les dépenses d’entretien du propriétaire augmentent. Celles-ci devraient atteindre 200 millions d’euros en 2025, contre 155 millions d’euros à l’heure actuelle ; voilà, pour une fois, une source de réjouissance, puisque l’entretien des bâtiments de l’État a longtemps été – et reste pour l’instant – le parent pauvre de la politique immobilière de l’État.
Les recettes du CAS baissent tendanciellement : leur augmentation à hauteur de 480 millions d’euros en 2023 serait suivie d’une diminution à hauteur de 340 millions d’euros en 2024 et 2025.
Surtout, la répartition de ces recettes est préoccupante : les produits de cession finançant les deux tiers des dépenses, une érosion excessive du patrimoine immobilier de l’État pourrait en résulter, ce qui entraînerait les recettes du CAS dans une spirale baissière.
Si la politique de redynamisation des redevances domaniales est à cet égard louable, on peine encore à en percevoir les fruits.
Au-delà de l’utilisation de ces crédits, des dérogations à la mutualisation des produits de cession et l’utilisation d’avances sur cession permettent de contourner les règles du CAS.
Du fait de l’insuffisance de ses recettes, le compte d’affectation spéciale est également concurrencé par d’autres vecteurs budgétaires, tels que la mission « Transformation et fonction publiques » ou le plan de relance.
Je salue toutefois les initiatives lancées pour calculer le loyer des occupants ou pour valoriser les biens inoccupés.
En somme, si le CAS ne suffit pas, en l’état actuel, à porter les grands projets immobiliers de l’État, il n’est pas interdit d’en réinventer le modèle. Le chemin est étroit, mais il existe. Sans doute faudrait-il instaurer une véritable politique immobilière de l’État. Ce dernier, j’y insiste, a encore trop recours à des méthodes quelque peu traditionnelles alors qu’il est un très gros propriétaire.
Pour conclure, au bénéfice de ces explications, il me revient de vous faire part de la position de la commission sur la mission « Transformation et fonction publiques » et le CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l’État » : compte tenu des modestes efforts entrepris, nous vous proposons d’adopter leurs crédits. La situation est loin d’être optimale, mais nous devons tenir compte des progrès accomplis. Il s’agit donc davantage d’un encouragement, monsieur le ministre, que d’un blanc-seing. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)