M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous émouvons souvent, sur les travées de l’opposition, de l’insuffisance des études d’impact accompagnant les projets de loi, et nous nous inquiétons de la propension du Gouvernement à accumuler les réformes radicales en faisant fi du travail parlementaire, sans jamais se donner le temps de l’évaluation.
Le présent projet de loi ne fait pas exception. Il se fonde sur une poignée d’idées hâtives, malheureusement partagées par la majorité du Sénat.
Selon ces idées hâtives, les demandeurs d’emploi seraient largement indemnisés ; il faudrait inciter plus violemment les actifs en situation d’emploi discontinu à reprendre un travail pérenne ; l’assurance chômage leur serait trop favorable ; et notre système d’indemnisation les inciterait à s’enfoncer dans la paresse et la fraude.
Ces idées sont battues en brèche par une étude de Mathieu Grégoire et Claire Vivès, publiée dans la revue de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) et portant sur l’évolution des droits à l’assurance chômage de 1979 à 2021. Cette étude établit que, en matière d’indemnisation du chômage, l’« affirmation selon laquelle les droits des salariés à l’emploi discontinu a progressé jusqu’à dépasser les droits des salariés stables apparaît en complet décalage avec les résultats [des] simulations » mises en place. C’est le contraire qui se dessine : « L’indemnisation totale d’un salarié payé au Smic à mi-temps subit une perte spectaculaire depuis 1979 : en 2019, le montant perçu par ce salarié est inférieur de 50 % par rapport à ce à quoi il pouvait prétendre en 1979. »
La réforme de l’assurance chômage du premier quinquennat procédait des préjugés ici battus en brèche. Toujours selon la même étude, cette réforme a radicalisé l’évolution de l’assurance chômage vers une logique de compte d’épargne, en vertu de laquelle on est indemnisé en fonction non pas du salaire mensuel, mais du salaire journalier. Cela « conduit à inverser la hiérarchie des niveaux d’indemnisation entre eux : alors que les plus exposés au chômage étaient les mieux indemnisés, ils sont désormais les moins bien indemnisés ». Avec le présent projet de loi, le Gouvernement promet de continuer sur cette lancée.
Par ailleurs, Mathieu Grégoire et Claire Vivès signalent que les publications officielles tendent à communiquer sur le taux de couverture de l’indemnisation du chômage. Pour définir ce taux, ces publications renvoient non pas aux chômeurs indemnisés, mais aux chômeurs indemnisables. Cela fait une sacrée différence ! À partir de 2014 et jusqu’en 2019, le différentiel entre les indemnisables et ceux qui sont effectivement indemnisés s’accroît en effet de 5,4 points. Plus du quart des personnes dites « couvertes » par les systèmes d’indemnisation chômage ne perçoivent ainsi aucune indemnisation.
Comme le souligne l’Ires, on peut considérer que, alors « que le nombre de demandeurs d’emploi n’a jamais été aussi élevé – avec près de 5,725 millions de personnes inscrites en catégories ABC en janvier 2018 […] –, le taux de couverture a atteint son niveau le plus bas de l’histoire de l’indemnisation du chômage en juin 2018 à 49,5 % ». Communiquer sur le taux de couverture en n’évoquant dans le sous-texte que les indemnisables, c’est faire miroiter un système d’assurance chômage plus généreux qu’il ne l’est. Ce n’est pas innocent.
L’insincérité dont fait preuve l’exécutif est l’une des raisons pour lesquelles nous nous opposons à l’article 1er du projet de loi. Au nom d’une nécessité administrative exploitée à des fins politiques, le Gouvernement prétend, au moyen de ce texte, se voir conférer toute latitude pendant de longs mois pour modifier les règles de l’assurance chômage, sans plus se soucier ni du Parlement ni des partenaires sociaux.
Pour mémoire, comme le rappelait en 2007 Bruno Palier, « En 1945, au moment de faire les choix d’orientation de la Sécurité sociale, une coalition d’intérêts se dresse contre l’intervention de l’État », en faveur du dialogue social et d’une responsabilisation des partenaires sociaux. Cette demande des syndicats a rencontré la volonté de Pierre Laroque d’installer des corps intermédiaires, dans lesquels les représentants des salariés et des patrons auraient un rôle à jouer.
Le choix de promouvoir les partenaires sociaux s’est accompagné de celui de reconduire la logique assurantielle pour les allocations chômage. Le but était, selon Bruno Palier, « d’intégrer les travailleurs en leur proposant de participer à la gestion du système de protection sociale », selon le principe : « si vous payez, vous gérez. » Pierre Laroque ne voulait pas que le système de protection sociale soit financé par l’impôt, car les dépenses sociales seraient alors soumises à la contrainte budgétaire. Cela signifierait, selon Bruno Palier, que « la demande sociale vient en premier, et le financement seulement ensuite », dans un système qui privilégie d’abord les droits et envisage dans un deuxième temps l’ajustement financier.
C’est cette logique que détricotent votre politique et le présent projet de loi, monsieur le ministre, au travers d’une désocialisation à marche forcée de notre système de protection sociale. Vous ne réservez aux partenaires sociaux qu’un strapontin, voire un siège éjectable. Le choix fait, ici comme ailleurs, de parler non de « négociation », mais de « concertation » illustre au demeurant la place que vous leur réservez…
L’introduction par la droite, au cours de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale et au Sénat, de mesures de plus en plus restrictives pour l’accès à l’assurance chômage témoigne par ailleurs d’un accord profond du Gouvernement avec l’« opposition », supposée, de droite.
La transformation de l’abandon de poste en démission atteste du choix de gouverner au préjugé et de la volonté d’incriminer les travailleurs. Rien – je dis bien : rien – ne documente une pratique abusive, massive ou illégitime d’abandons de poste. Au contraire, les travailleurs qui y recourent doivent pouvoir le faire pour se soustraire à des configurations dans lesquelles, s’ils demeuraient en poste, ils mettraient en danger leur santé physique ou psychique, ou seraient victimes d’abus.
Par ailleurs, je ne sais pas s’il est même nécessaire de commenter l’amendement adopté par la majorité lors de la réunion de la commission des affaires sociales du Sénat et tendant à créer une possibilité supplémentaire de priver un demandeur d’emploi de ses indemnités, sur un fondement nébuleux ; je serais très curieuse de savoir sur quoi cela se fonde…
Cette disposition part en effet d’une situation relevant de l’exception : celle d’un demandeur d’emploi qui, à la suite d’un CDD et durant une période de douze mois, aurait refusé trois offres de CDI portant sur un emploi similaire et rémunéré au même salaire. Quelles sont les études établissant que cette situation constitue une donnée statistique critique, justifiant la mise en place de cette mesure ? On ne peut pas construire une loi à partir de considérations non documentées ! Dans le même mouvement, vous avez inscrit dans le code du travail la contracyclicité comme principe de modulation des indemnités chômage.
La conjonction de ces deux innovations, dispensables, aura pour résultat que nos concitoyens, pour recharger leurs droits à l’indemnisation et survivre, pourraient être amenés à accepter un CDD sous-qualifié ou sous-payé, puis à devoir rester dans cet emploi transformé en CDI, sous peine d’être radiés. Vous semblez tentés de banaliser le droit de réquisition des travailleurs en l’instituant dans le code du travail !
La promotion de la validation des acquis de l’expérience comme voie d’accès des proches aidants et des aidants familiaux à une professionnalisation, mise en avant par le Gouvernement pour promouvoir son projet de loi, suscite également des réserves, que ma collègue Michelle Meunier développera.
Au moment où l’on parle de sens du travail, de grande démission, de juste rémunération, de souplesse et de qualité de vie, le Gouvernement et ses alliés répondent : rétorsion, suspicion et incrimination des travailleurs.
Me positionnant à l’opposé de ces dérives, j’ai déjà rappelé qu’il ne peut y avoir de valeur travail sans travail de valeur. Rien ne peut se faire en réduisant les travailleurs au statut d’unités de production dépouillées de droits. Robert Castel rappelle que le salariat n’est devenu prééminent que parce que, en attachant des droits à la condition salariale, un État social a été mis en place. Avant cela, on était salarié lorsqu’on n’était rien et qu’on n’avait rien d’autre à échanger que la force de ses bras.
Notre système social et notre assurance chômage ont été mis en place pour nous permettre de faire société en intégrant les travailleurs. Le Gouvernement et ses alliés choisissent de maltraiter ces derniers, de faire taire leurs représentants à coups de 49.3 et de lois à la sincérité douteuse.
Renforcer la cohésion sociale est plus que jamais nécessaire : nous sommes à un moment de notre histoire où nous avons besoin de refaire société. Or ce besoin, le Gouvernement le prend complètement à rebours. En raison de son inadéquation fondamentale avec les besoins du pays, nous voterons contre ce projet de loi par lequel le Gouvernement tourne le dos aux fondements de notre démocratie sociale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Jacquemet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous le savons, le droit du travail est un domaine complexe. En effet, il organise les droits comme les devoirs de l’ensemble des employeurs et des travailleurs, afin de garantir l’équilibre entre les parties et de protéger chacune d’entre elles.
L’enjeu de ce projet de loi est de faire évoluer le droit pour rester au plus près du fait social sans entacher les acquis passés. À ce titre, nous devons également garantir l’application des protections sociales associées. Nos rapporteurs ont assurément mené leur excellent travail en suivant ces objectifs de bon sens.
Ce projet de loi s’attache, dès son article 1er, à donner une base légale et réglementaire à l’indemnisation des demandeurs d’emploi : à compter du 1er novembre 2022 et jusqu’au 31 décembre 2023, le Gouvernement est autorisé à prendre par décret les mesures d’application du régime d’assurance chômage. Cette mesure dérogatoire, proportionnée à la nécessité de l’urgence, permettra aux partenaires sociaux de signer, dans le cadre du paritarisme, des accords portant sur l’assurance chômage dans des délais rapides mais suffisamment longs pour le bon déroulement des échanges. Par ailleurs, l’article 1er prolonge jusqu’au 31 août 2023 l’application du dispositif de bonus-malus.
La commission a en outre utilement précisé, à l’article 2, le champ d’application de ce dispositif ; c’était nécessaire. Le bonus-malus permet, d’une part, de dissuader la généralisation des contrats précaires et, d’autre part, de récompenser les entreprises vertueuses sur ce sujet. Cet article aménage le dispositif en permettant de transmettre aux employeurs la liste des anciens salariés pris en compte pour le calcul du bonus-malus. Cette mesure, attendue par le secteur, semble de nature à améliorer la transparence du dispositif.
L’article 4 porte sur la validation des acquis de l’expérience. Il concerne d’abord le secteur médico-social, en particulier la situation des aidants ; le groupe Union Centriste se réjouit de cette évolution positive en faveur de ces derniers. Cet article, largement complété par la commission, réforme plus profondément la validation des acquis de l’expérience tout en sécurisant le dispositif. La création d’un GIP devrait contribuer à la bonne information des personnes concernées, à leur orientation dans leur parcours, à la promotion de la VAE, à l’animation et à la cohérence des pratiques sur le territoire.
Par ailleurs, la navette parlementaire a enrichi ce texte de plusieurs dispositions notables, comme la présomption de démission en cas d’abandon de poste. S’il convient de remarquer que certains abandons de poste sont totalement justifiés, il est aussi vrai qu’un fort dévoiement du principe est observé dans les faits. Or il n’est pas souhaitable qu’un salarié licencié à l’issue d’un abandon de poste dispose d’une situation plus favorable en matière d’assurance chômage qu’un salarié qui démissionne. En présumant la démission de l’intéressé, le texte sécurise le bon usage du droit en fin de relation contractuelle. Sans la soupape de sécurité du dispositif, ce nouveau principe aurait pu être largement critiquable au regard des abandons de poste justifiés par des situations parfois dramatiques.
L’expérimentation du CDD multi-remplacement a été réactivée, ce qui était nécessaire dans la mesure où elle avait été peu conclusive en raison de la crise sanitaire. Je l’espère, cette réactivation permettra aux employeurs de recruter avec un seul contrat une personne pour remplacer plusieurs salariés absents au sein d’une même entreprise.
Ainsi, malgré le fait que le titre de ce projet de loi soit plus ambitieux que les mesures qui le composent, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre. Je remercie l’ensemble des intervenants de la discussion générale, en particulier ceux qui ont indiqué que ce projet de loi apportait certaines améliorations en matière de réforme des règles de l’assurance chômage ou de validation des acquis de l’expérience.
Évidemment, ce texte ne peut pas être le seul outil pour tendre vers le plein emploi. Se posent en effet des questions relatives à la formation et à l’accompagnement des hommes et des femmes les plus éloignés de l’emploi, à la formation initiale, comme la réforme de la voie professionnelle, ou encore au développement de l’apprentissage. Je pourrais ajouter à cette liste, en écho à des concertations menées actuellement, les aspects relatifs au taux d’emploi des seniors ou encore aux conditions de travail. Tous ces sujets nous permettront, au-delà des dispositions de ce texte, d’aller vers le plein emploi.
Il ressort des interventions quatre thèmes qui, sans doute, structureront nos débats de ce soir.
Le premier a trait à la place du paritarisme ; nous y reviendrons dans un instant, quand je défendrai un amendement tendant à rétablir la rédaction de l’article 1er. Sur proposition, me semble-t-il, de Mme le rapporteur, la commission des affaires sociales a modifié cet article 1er, en limitant la durée d’application du texte par l’anticipation de la date butoir et en instituant un cadre dérogatoire de dialogue social à propos de la gouvernance de l’assurance chômage. Je suis assez convaincu que, au-delà des choix respectifs de la commission des affaires sociales et du Gouvernement, une forme de consensus peut émerger sur cette question.
Nous n’avons effectivement pas ouvert de négociation interprofessionnelle autour des questions d’indemnisation au moment où nous aurions dû le faire pour respecter les délais nécessaires à la conclusion d’un accord national interprofessionnel (ANI), c’est-à-dire au moment de l’élection présidentielle. D’où la situation d’urgence que nous connaissons et notre demande de prolongation des règles jusqu’au 31 décembre 2023, date correspondant à d’autres échéances ; j’y reviendrai.
En revanche, en ce qui concerne la gouvernance et le paritarisme, je me suis engagé auprès de tous les partenaires sociaux – c’est l’occasion pour moi de le répéter – à organiser une négociation, qui soit très ouverte. Il existe quatre grands scénarios d’évolution de la gouvernance de l’assurance chômage. Un seul d’entre eux ne recueille pas l’assentiment du Gouvernement, l’étatisation, mais, pour les autres, le document sur lequel nous engagerons la négociation gardera les pistes ouvertes, afin d’étudier en profondeur tous les aspects du sujet.
Deuxième thème pouvant donner matière à débat : l’abandon de poste.
Tout d’abord, madame Cohen, vous avez raison, il n’existe pas d’agrégat statistique précis permettant de mesurer le nombre d’abandons de poste. Néanmoins, ces situations entraînent un licenciement pour faute grave et nous pouvons mesurer l’évolution du nombre de ces licenciements.
Il se trouve que l’on observe une augmentation assez importante du nombre de CDI faisant l’objet d’une rupture pour faute grave, mais cette augmentation est proportionnelle à la hausse du nombre d’emplois en CDI dans le pays. On peut donc considérer qu’il n’y a pas d’évolution majeure en la matière.
En revanche, on observe un doublement du nombre de licenciements pour faute grave d’employés en CDD. J’ai diligenté des recherches sur la question, mais il est très vraisemblable que cette augmentation s’explique par la vague d’abandons de poste que nous observons sur les CDD, en particulier dans le secteur des hôtels, cafés, restaurants (HCR).
Nous aurons donc un débat sur l’abandon de poste, car, lorsque celui-ci n’est pas justifié par une mise en danger – j’accueille d’ailleurs très favorablement les évolutions apportées par la commission des affaires sociales à cet égard –, il s’agit d’une rupture unilatérale d’un engagement contractuel devant s’apparenter à une démission. En effet, un abandon de poste ne saurait donner droit à une indemnité Unédic s’il n’est pas lié à un danger, y compris s’il s’agit de maltraitance.
Le troisième sujet qui occupera nos débats sera la question du bonus-malus. Je n’y reviens pas, divers arguments ayant déjà été évoqués pour justifier le maintien de cette procédure. Nous proposons de fixer l’échéance au 31 décembre 2024, afin de respecter le cycle d’observation et de mise en œuvre de trois ans prévu dans la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Nous aurons l’occasion d’y revenir, donc je m’arrête là pour ne pas être trop long.
Le quatrième et dernier enjeu est celui du refus de CDI à l’issue d’un ou de plusieurs CDD. J’ai déjà exprimé mes plus grandes réserves au sujet de la disposition adoptée en commission ; mes réserves seront, par voie de conséquence, plus importantes encore sur l’amendement visant à appliquer une sanction dès le premier refus d’un CDI. Plusieurs raisons peuvent expliquer ma position, des raisons très pratiques, mais également des raisons de fond.
Lorsqu’un salarié embauché pour une durée déterminée est allé au bout de son engagement contractuel sans revenir, à aucun moment, sur son engagement initial et en respectant son contrat en intégralité, je considère qu’il n’y a pas de raison de le sanctionner s’il refuse de prolonger son engagement par un CDI. J’ajoute que, en vertu du code du travail, l’employeur peut d’ores et déjà ne pas verser de prime de précarité s’il démontre qu’il a proposé au titulaire d’un CDD qui s’achève un CDI rédigé dans les mêmes termes – j’insiste sur cette notion d’identité des termes – ou répondant aux mêmes conditions.
Enfin, je ne reviens pas sur la validation des acquis de l’expérience, que beaucoup d’intervenants ont évoquée. Les débats relatifs à l’article 4 permettront à la ministre déléguée Carole Grandjean de répondre à l’ensemble de vos questions. Je précise qu’elle nous a quittés pour assister aux questions d’actualité au Gouvernement de l’Assemblée nationale et m’y représenter. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi
Article 1er
I. – Par dérogation aux articles L. 5422-20 à L. 5422-24 et L. 5524-3 du code du travail, un décret en Conseil d’État, pris après concertation avec les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel, détermine, à compter du 1er novembre 2022, les mesures d’application des dispositions législatives relatives à l’assurance chômage mentionnées au premier alinéa de l’article L. 5422-20 du même code. Ces mesures sont applicables jusqu’à une date fixée par décret, et au plus tard jusqu’au 31 août 2023, et peuvent faire l’objet de dispositions d’adaptation en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
II (nouveau). – Le code du travail est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa de l’article L. 1233-68, les mots : « , à l’exception de l’article L. 5422-20-1 et du second alinéa de l’article L. 5422-22, » sont supprimés ;
2° L’article L. 5422-20-1 est abrogé ;
3° À l’article L. 5422-20-2, les mots : « aux articles L. 5422-20-1 et » sont remplacés par les mots : « à l’article » ;
4° La seconde phrase du second alinéa de l’article L. 5422-22 est supprimée ;
5° À la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article L. 5422-25, les mots : « dans les conditions fixées à l’article L. 5422-20-1 » sont supprimés ;
6° À la première phrase du deuxième alinéa du II de l’article L. 5424-22, les mots : « , en respectant les objectifs et la trajectoire financière définis dans le document de cadrage mentionné à l’article L. 5422-20-1 » sont supprimés ;
7° Au III de l’article L. 5424-23, les mots : « les documents de cadrage mentionnés au II de l’article L. 5424-22 et à l’article L. 5422-20-1 » sont remplacés par les mots : « le document de cadrage mentionné au II de l’article L. 5424-22 » ;
8° Au premier alinéa de l’article L. 5524-3, les mots : « , dans les conditions fixées aux articles L. 5422-20-1 et L. 5422-20-2 » sont supprimés.
III (nouveau). – À compter de la publication de la présente loi, le Gouvernement engage une concertation avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel sur la gouvernance, l’équilibre financier et les règles d’indemnisation de l’assurance chômage.
À l’issue de cette concertation, le Gouvernement communique à ces organisations un document d’orientation en vue de la négociation des accords prévus à l’article L. 5422-20 du code du travail. Ce document est transmis concomitamment au Parlement.
Ce document d’orientation présente des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options possibles pour faire évoluer les règles d’indemnisation de l’assurance chômage.
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, sur l’article.
M. Philippe Mouiller. Je tiens à prendre la parole à l’occasion de l’examen de l’article 1er, afin d’évoquer l’expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée » (TZCLD).
Cette expérimentation fonctionne bien et de nouveaux territoires français, en grand nombre, souhaitent y adhérer. La loi du 14 décembre 2020 relative au renforcement de l’inclusion dans l’emploi par l’activité économique et à l’expérimentation « territoire zéro chômeur de longue durée » avait donné à cinquante nouveaux territoires la possibilité de s’engager dans ce processus, mais ce chiffre a été atteint et de nombreuses collectivités et de nombreux partenaires souhaitent adhérer à cette démarche et sollicitent l’augmentation du nombre de TZCLD.
En l’état actuel, seul un décret en Conseil d’État peut habiliter de nouveaux territoires à participer à cette expérimentation, mais il semble plus simple et plus cohérent de modifier la loi pour conserver la procédure en vigueur tout en allant au-delà de cinquante territoires.
Un amendement sénatorial allant dans ce sens aurait été déclaré irrecevable ; aussi, je profite de cette prise de parole pour connaître votre point de vue sur les suites à donner à cette expérimentation, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel, sur l’article.
M. Yan Chantrel. Avant que nous n’entamions l’examen de cet article, je veux soulever un problème de méthode de ce gouvernement, qui, finalement, en dit long sur une certaine pratique politique.
En effet, le projet de loi que vous proposez pour détricoter l’assurance chômage, qui vient en aide aux plus fragiles, est inspiré, dites-vous, de l’exemple canadien. Or, pour examiner les impacts des réformes dont vous souhaitez vous inspirer, vous n’avez conduit aucune consultation dans ce pays. Vous n’avez pas consulté le gouvernement canadien et vous n’avez pas davantage consulté les syndicats, même si, sur ce point, je ne peux pas vous jeter la pierre, puisque vous ne les consultez pas non plus en France ; ce serait donc beaucoup vous demander… Une telle démarche politique est problématique, s’agissant d’un texte censé s’inspirer d’un autre pays !
Il se trouve que je reviens justement d’un déplacement au Canada, où, pour ma part, j’ai mené ce travail d’échanges avec les personnes directement concernées par ces réformes. Or, nos collègues l’ont très bien expliqué, les conséquences en sont la diminution des pensions et une précarisation accrue. Mes interlocuteurs m’ont d’ailleurs remis un livre – je vous le donnerai tout à l’heure, afin que vous puissiez l’étudier vous-même – du Mouvement action-chômage de Montréal : Trouve-toi une job ! Petite histoire des luttes pour le droit à l’assurance-chômage. (L’orateur brandit le livre en question.) Vous prendrez ainsi conscience de ce que sont les réformes néolibérales que vous promouvez en France et de ce que cela donne concrètement pour la situation des gens.
Je vous invite donc à vous inspirer d’autres réformes de ce pays. Par exemple, pour faire face à la pénurie d’emplois, une des réformes menées dans des provinces du Canada – pays pourtant libéral – est la semaine de quatre jours. Bizarrement, cette hypothèse n’est pas du tout évoquée !
Par conséquent, je vous appelle à accepter les amendements que nous proposerons pour améliorer ce texte, sans quoi celui-ci précarisera encore un peu plus les gens qui sont déjà les plus vulnérables au sein de notre société. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le ministre, au travers de cet article, vous demandez que nous vous donnions tout pouvoir d’agir sur les règles qui régissent l’assurance chômage.
Vous nous dites vous soucier des bénéficiaires actuels, qui, sans ce texte, ne pourraient plus percevoir leurs droits. Toutefois, l’urgence dont vous vous prévalez n’impose nullement que nous vous donnions une telle liberté d’action, d’autant que cette urgence relève de votre responsabilité, de votre incapacité à la concertation, de votre inaction.
Vous nous dites également vouloir dynamiser le marché de l’emploi. Votre solution consiste à « inciter » les demandeurs d’emploi à accepter toute offre, parce que, d’après vous, ils ne seraient pas assez motivés. Or les organisations syndicales et patronales, qui, pour vous, n’ont visiblement pas leur mot à dire, avancent que l’état actuel du marché est dû aux niveaux trop bas de rémunération, aux conditions de travail non adaptées ou encore au manque de qualification. Vous devriez les écouter davantage et prendre en considération leur évaluation de l’état du marché. Encore une fois, votre réponse est hors sujet ; la preuve, selon Pôle emploi, 92 % des demandeurs cherchent activement un travail et, parmi eux, plus d’un quart ne font pas valoir leur droit à indemnisation.
La réalité est que nombre de personnes se trouvent en situation de grande précarité.
Monsieur le ministre, nous attendons de l’exécutif des solutions pratiques et non des constatations théoriques, qui ne sont pas celles du terrain et qui risquent d’aggraver davantage la situation du marché du travail et des travailleurs au chômage. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)