Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon, pour la réplique.
M. Alain Milon. Je vous remercie, monsieur le ministre ; nous acceptons évidemment volontiers votre invitation à travailler ensemble.
situation des producteurs de lait bio
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud, auteur de la question n° 186, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
M. Didier Rambaud. Monsieur le ministre, je souhaite vous alerter sur la situation des producteurs de lait bio.
Ces agriculteurs connaissent depuis plusieurs mois une dégradation de leur situation, due principalement à une baisse de la consommation de produits bio, mais également à un déséquilibre des marchés. Il se trouve en effet qu’actuellement, le prix du lait est très bas, parfois même inférieur au prix conventionnel, ce qui met les exploitations en situation de difficulté économique. Cette conjoncture est de surcroît aggravée par les conséquences de la sécheresse historique de l’été 2022. Le manque important de fourrage qui en résulte pourrait avoir de graves répercussions dans les mois à venir : ventes partielles de cheptel, baisses de production.
Dans mon département, l’Isère, que vous connaissez bien pour l’avoir souvent visité ces derniers mois, et plus particulièrement dans les zones de production des fameux fromages que sont le saint-marcellin et le saint-félicien, les producteurs ont jusqu’à présent réussi à maintenir le prix du lait bio en refusant toute baisse. Reste qu’ils se retrouvent désormais dans une situation inconfortable, et ce à double titre : ils observent, d’une part, que les laiteries refusent de revaloriser le prix du litre au motif de la prise en compte de l’augmentation des charges et notent avec stupeur, d’autre part, que la grande distribution et les fromageries, de leur côté, pratiquent des hausses de prix.
Face à ce constat, l’agriculture biologique, et plus particulièrement l’élevage laitier, réclame des mesures de soutien de la filière : permission pour les éleveurs de sortir du bio sans pénalités ; report des annuités d’emprunt ; possibilité pour l’interprofession de fixer le prix de base du lait à l’échelon national ; soutien à l’achat de fourrage ; accompagnement des exploitations les plus fragiles, notamment des jeunes agriculteurs.
Monsieur le ministre, parmi les pistes envisagées – je viens d’en évoquer certaines sans prétendre à l’exhaustivité –, quelles mesures vous semblerait-il pertinent de prendre afin de soutenir la filière du lait bio ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Didier Rambaud, votre question, dont je vous remercie, nous offre l’occasion de pointer les difficultés de la filière laitière bio, qui souffre d’une crise assez durable, et de mettre en lumière des zones de production que vous connaissez bien, celles du saint-marcellin et du saint-félicien.
Vous avez évoqué un certain nombre de mesures. J’organise tous les jeudis une réunion de suivi des négociations commerciales, qui peut paraître assez fastidieuse, mais permet, semaine après semaine, de mettre chacun devant ses responsabilités. En l’occurrence, ce ne sont pas les producteurs qui doivent être mis devant leurs responsabilités, mais les transformateurs et la grande distribution. Telle est ma priorité, dans le cadre de ces négociations : régler le problème de la non-répercussion des hausses de charges des producteurs sur les transformateurs et les distributeurs.
J’ai noté avec intérêt qu’un certain nombre de distributeurs s’étaient dits prêts à s’engager pour une revalorisation du prix du lait ; certains l’ont déjà actée. Il faut maintenant que les transformateurs fassent de même.
Le bio connaît par ailleurs, en lien avec les problèmes de pouvoir d’achat des Français, une baisse de ses volumes de vente, et les fromages et le lait bio n’y font pas exception ; ce phénomène est bien documenté.
Premièrement, il faut tâcher d’accompagner les éleveurs touchés par les épisodes de sécheresse. J’ai annoncé l’accélération du déploiement du dispositif « calamité sécheresse ».
Deuxièmement, nous aidons les exploitations en transformation en allégeant les charges des plus énergo-intensives d’entre elles. Ainsi avons-nous récemment renotifié à Bruxelles un projet de dispositif modifié afin de mieux tenir compte des réalités agricoles, y compris du cycle de production, et de mieux accompagner les exploitations.
Troisièmement, nous ne ferons pas l’économie d’une réflexion globale sur la question du bio. Cette filière a connu pendant des années une croissance très forte, à deux chiffres. Manifestement, la tendance est désormais à la décroissance ; nous nous trouvons en tout cas sur un palier. Nous devons travailler avec l’ensemble de la filière pour trouver les voies et moyens qui nous permettront d’avancer, en commençant par améliorer l’identification et la valorisation du bio parmi l’ensemble des références et par prémunir les producteurs et les éleveurs contre le risque principal auquel ils sont exposés, celui de la décapitalisation.
conséquences de l’été 2022 sur les récoltes de pommes de terre
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre, auteur de la question n° 223, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le ministre, les producteurs de pommes de terre ne cachent pas leur préoccupation concernant les récoltes de l’année 2022.
En effet, l’été exceptionnellement chaud et sec que nous avons connu n’en finit pas de révéler ses conséquences désastreuses sur notre agriculture. Après les viticulteurs et les producteurs de lait, que nous venons d’évoquer, c’est au tour des producteurs de pommes de terre de tirer la sonnette d’alarme quant aux pertes prévisionnelles qui seront endurées au titre de la prochaine récolte. Leur filière accusera cette année une baisse moyenne de 20 % de son rendement en raison des effets de la chaleur sur les cultures. Les chiffres devraient se révéler encore plus dramatiques pour les producteurs qui ne disposent pas d’un système d’irrigation.
Ajoutons-y les effets de l’inflation sur les coûts de production et l’explosion des tarifs de l’énergie, et c’est une baisse sans précédent de la superficie totale cultivée qui devrait poindre en 2023.
L’Union nationale des producteurs de pommes de terre, que vous aviez reçue au ministère de l’agriculture au début du mois de septembre, a exprimé le souhait qu’un dispositif de sauvegarde soit mis en œuvre sous la forme d’un prêt garanti par l’État engagé sur les seules surfaces plantées en 2023 et remboursable en fin de campagne.
Une hausse des aides couplées à hauteur de 500 euros par hectare serait par ailleurs susceptible de sauver de la faillite nombre de petits producteurs pris à la gorge par l’accumulation des imprévus.
Le régime universel d’indemnisation des pertes de récoltes résultant d’aléas climatiques prévu par la loi du 2 mars 2022, que le Sénat a très largement marqué de son empreinte, aurait amplement suffi à compenser les pertes et assuré une protection salutaire aux agriculteurs. Celui-ci ne prendra effet qu’à compter du 1er janvier 2023, soit quelques mois trop tard pour couvrir les pertes subies à l’été 2022 par les producteurs assurés.
Quels instruments transitoires pourrait-on donc mobiliser, monsieur le ministre, pour compenser les pertes des producteurs de pommes de terre ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Lefèvre, votre question vient éclairer d’un nouveau jour le problème soulevé par les orateurs qui vous ont précédé. Vous l’avez dit : troisième filière évoquée, troisième occasion de traiter des difficultés liées au dérèglement climatique et aux aléas climatiques.
J’ai en effet rencontré les organisations de producteurs de pommes de terre, personnellement ou par l’intermédiaire de mon cabinet, pour essayer de trouver un chemin.
Pour ce qui est de la production, les nouvelles sont moins mauvaises, malgré tout, qu’on ne le craignait initialement. L’inquiétude, vous l’avez dit, porte avant tout sur l’année prochaine. La remise en culture pourrait susciter de graves difficultés, puisque la production va diminuer, selon nos évaluations, de 9 % par rapport à 2021 et de 6,5 % par rapport à la moyenne quinquennale 2017-2021.
Cette situation appelle différentes réponses.
Concernant la sécheresse, compte tenu du déroulement de la récolte, un nouvel examen de la situation dans les prochaines semaines est à privilégier. Nous allons identifier ceux qui peuvent être indemnisés par les dispositifs classiques.
Vous avez évoqué la piste d’un PGE spécifique. Nous y avons travaillé avec Bruno Le Maire et ses services. Pour être tout à fait clair avec vous, aucune voie ne nous semble praticable sur ce terrain-là. S’agissant d’un sujet climatique, la création d’un nouveau PGE, sur le modèle du « PGE covid » et du PGE du « plan de résilience Ukraine », dit PGE résilience, ne nous paraît pas l’instrument adéquat. Par ailleurs, la porte serait ainsi ouverte pour d’autres filières, ce qui représenterait une difficulté supplémentaire.
Nous avons en revanche orienté les professionnels vers les aides du dispositif de prise en charge de cotisations du plan de résilience Ukraine, dit PEC résilience, doté d’une enveloppe de 150 millions d’euros, et j’ai demandé que soit expertisée cette option.
Nous continuons à travailler à la recherche de solutions pour parer à l’augmentation des coûts énergétiques, qui produit un effet ciseaux. Je pense notamment aux sujets de réfrigération : un régime d’aide qui permettra le maintien au frais des récoltes de pommes de terre est en cours de notification.
Voilà pour les éléments de court terme. Je dis un mot, pour conclure, des réponses que nous pouvons apporter à moyen et long terme.
Vous avez parlé de l’assurance récolte. À cet égard, je voudrais saluer le travail réalisé, en particulier au Sénat, pour instaurer en un temps record un dispositif robuste – loi promulguée au mois de mars, entrée en vigueur au 1er janvier –, qui, certes, ne concerne pas les exploitants touchés par les sinistres de cette année.
Il nous faut maintenant travailler à un autre sujet : face à des difficultés comme celles que nous rencontrons cette année, la meilleure des résiliences pour le monde agricole, au-delà de l’assurance récolte, consiste à garantir l’accès à l’eau.
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour la réplique.
M. Antoine Lefèvre. Je vous remercie, monsieur le ministre. Toutes les mesures prises pendant la période du covid-19 avaient permis de maintenir à flot le monde agricole ; un petit effort reste à faire pour que l’on puisse voir l’avenir, notamment l’exercice 2023, sous de bons auspices.
difficultés posées par l’application de certaines dispositions de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous
Mme la présidente. La parole est à Mme Else Joseph, auteure de la question n° 110, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Else Joseph. Je m’interroge sur les conséquences de l’application de certaines dispositions de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Égalim.
En effet, au regard des témoignages locaux, ces dispositions peuvent poser de sérieux problèmes dans le domaine de la restauration scolaire et collective.
Tout d’abord, les obligations d’un menu végétarien et d’un approvisionnement composé à 50 % au moins de denrées alimentaires dites durables soulèvent de véritables difficultés. Elles se heurtent aux habitudes socioculturelles des habitants qui, par exemple, continuent à donner une importance à la consommation de viande et ne sont pas toujours familiers de l’alimentation « bio ». Le repas végétarien hebdomadaire est une solution trop rigide : une telle mesure devrait plutôt relever de l’incitation et de la démarche volontaire que de l’obligation.
On a également observé, avec la mise en place des menus végétariens, une augmentation des déchets, ce qui a malheureusement entraîné une relance du gaspillage alimentaire. Les filières bio ne sont pas toujours suffisamment présentes dans certaines parties du territoire français ; c’est le cas dans mon département, les Ardennes. En raison de cette offre limitée, l’approvisionnement se fait auprès de grossistes qui recourent en général à des produits importés. Cette situation est paradoxale à l’heure où l’on affirme vouloir relocaliser les approvisionnements…
Comme on peut le constater, les produits bio ou durables coûtent plus cher, ce qui peut fragiliser les syndicats intercommunaux à vocation unique (Sivu) et les syndicats intercommunaux à vocation multiple (Sivom). Ces derniers risquent de devoir augmenter les tarifs au détriment des familles, mais aussi des finances des collectivités locales.
Monsieur le ministre, envisagez-vous d’autoriser des adaptations locales des dispositions de la loi Égalim là où leur application pose de réels problèmes financiers à nos collectivités ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice, je vous remercie de me poser cette question. Ainsi m’est donnée l’occasion de refaire un point général sur ces questions alimentaires, qui sont des questions importantes. Ayant moi-même été maire et président d’une communauté de communes, je vois bien à quel type de difficultés vous faites référence.
L’objectif, comme vous le savez, est d’améliorer la qualité des repas via un taux d’approvisionnement de 50 % de produits durables et de qualité, dont 20 % de produits biologiques.
Vous évoquez les difficultés que peuvent susciter les menus végétariens. Or la panoplie existant en matière de recettes végétariennes me semble suffisamment fournie pour éviter le gaspillage – je pense aux œufs et aux produits laitiers – et pour favoriser l’introduction dans les repas d’ingrédients que les jeunes enfants ont moins l’habitude de consommer, mais qu’ils ne laisseront pas sur le côté de l’assiette.
Vous dites quelque chose de très juste à propos du gaspillage alimentaire. Mais le problème de gaspillage auquel est confrontée la restauration scolaire est un problème global ; il faut que nous y travaillions. Les projets d’alimentation durable peuvent d’ailleurs être eux-mêmes l’occasion de lutter avec succès contre le gaspillage. J’ai visité un lycée agricole qui, ayant beaucoup travaillé sur ces questions, avait réussi d’un même mouvement à faire évoluer les menus vers des produits de qualité et à combattre le gaspillage.
Se posent par ailleurs des problèmes de logistique. Vous l’avez dit en évoquant l’aspect pratique : le défi est parfois de réussir à trouver des producteurs dans les circuits. C’est un peu « la poule et l’œuf », cette affaire, si vous me pardonnez l’expression. (Sourires.) Il est nécessaire que des filières d’alimentation durable se développent, mais il arrive que les choses tardent un peu, pour des tas de raisons bien légitimes, y compris, donc, de logistique.
De ce point de vue, il me semble que les projets alimentaires territoriaux peuvent constituer un outil pertinent là où il s’agit de mieux coordonner la demande, de permettre à l’intercommunalité, au Sivu, au Sivom ou à la commune exerçant la compétence de trouver une offre répondant à un certain cahier des charges, mais aussi de lever les difficultés de logistique dans les relations avec les agriculteurs. Je salue les nombreuses initiatives prises par les collectivités en ce sens.
J’ajoute que nous avons créé, notamment dans le cadre du plan France Relance, des mécanismes de soutien aux collectivités destinés à la mise à niveau des cantines. La restauration de proximité est aussi une question d’investissement, et nous allons tâcher, dans les années qui viennent, de poursuivre ce travail de mise en adéquation de l’offre et de la demande.
Mme la présidente. La parole est à Mme Else Joseph, pour la réplique.
Mme Else Joseph. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Des problèmes se posent dans nos territoires. Nous sommes tous d’accord sur cet objectif ambitieux, mais il faut que nous travaillions ensemble pour que les mentalités changent dans les collectivités.
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Alain Richard.)
PRÉSIDENCE DE M. Alain Richard
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
9
Décès d’anciens sénateurs
M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Claude Saunier, qui fut sénateur des Côtes-du-Nord, puis des Côtes-d’Armor de 1989 à 2008, et Henri Le Breton, qui fut sénateur du Morbihan de 1981 à 2001.
10
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans notre tribune d’honneur, une délégation du Sénat roumain. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre et Mme la ministre déléguée se lèvent.)
Au nom du Sénat, je souhaite la bienvenue dans notre hémicycle à M. Angel Tîlvăr, président de la commission des affaires européennes du Sénat roumain, à M. Robert Marius Cazanciuc, vice-président du Sénat roumain, à Mme Anca Dragu, présidente de la commission des droits de l’homme, de l’égalité des chances, des cultes et des minorités du Sénat roumain, et ancienne présidente du Sénat, et à M. Vlad-Mircea Pufu, secrétaire de la commission des affaires européennes du Sénat roumain.
La venue de la commission des affaires européennes du Sénat roumain s’inscrit dans un agenda dense entre nos deux chambres, puisqu’il y a exactement une semaine, le président Larcher recevait la présidente du Sénat de Roumanie, Mme Gorghiu.
Une réunion commune entre les deux commissions des affaires européennes est prévue tout à l’heure pour débattre d’enjeux majeurs : la guerre en Ukraine, la crise énergétique, les progrès de la Roumanie vers son entrée dans l’espace Schengen, sans oublier naturellement la coopération bilatérale entre la Roumanie et la France, qui s’inscrit dans le cadre de l’amitié ancienne qui lie nos deux pays depuis l’émergence de la Roumanie comme État au XIXe siècle.
Je me félicite que les commissions des affaires européennes de nos deux chambres entretiennent ainsi un dialogue régulier, qui contribue à nourrir cette amitié précieuse.
Je tiens à souhaiter, en votre nom à tous, à nos collègues roumains un séjour fructueux en France. (Applaudissements prolongés.)
11
Fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (projet n° 44, texte de la commission n° 62, rapport n° 61).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Monsieur le président, madame la présidente de commission des affaires sociales, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter ce projet de loi portant un certain nombre de mesures d’urgences pour atteindre le plein emploi.
Il s’agit du premier texte relatif à ce bel objectif du plein emploi, mais ce n’est sans doute pas le dernier du quinquennat en la matière. En tout état de cause, c’est le premier qui nous permet d’examiner collectivement un certain nombre de mesures permettant de concourir à cet objectif.
Depuis quarante-cinq ans, la France n’a plus connu le plein emploi. Nous ne devons pas nous y résigner. Nous avons d’ailleurs déjà fait un bout de chemin pour remédier à cette situation. La France a créé sur les cinq dernières années 1,7 million d’emplois, salariés et indépendants. Quasiment la moitié de ces créations nettes d’emploi se sont produites au cours des deux dernières années. Qui aurait pu imaginer voilà deux ans et demi, au début de la période du covid-19, que 830 000 emplois seraient créés entre le mois de mars 2020 et aujourd’hui ?
Ces résultats et cette réussite en matière de création d’emplois, nous les avons aussi obtenus par de profondes réformes, avec une plus grande décentralisation de la négociation collective et des moyens plus importants donnés à la formation, à travers le compte personnel de formation, le plan d’investissement des compétences et l’apprentissage.
Ces créations d’emplois et cette diminution du taux de chômage ne se sont pas opérées au détriment des salariés ou des entreprises. Nous avons ainsi dépassé les fausses oppositions. Une nouvelle forme de compromis social est en train, je le crois, de se développer, où l’emploi et les compétences deviennent une composante essentielle de la compétitivité des entreprises, et ne sont plus désormais abordés uniquement au regard de leur coût ou de l’incertitude qui leur est attachée.
C’est dans ce contexte que vous est donc proposé aujourd’hui le premier projet de loi du quinquennat visant à atteindre le plein emploi. Il s’agit d’un projet de loi volontairement resserré, centré sur les mesures les plus urgentes, mais pas les moins importantes. Pourquoi un tel texte aujourd’hui, dans cette période ? Pourquoi de telles mesures ?
Aujourd’hui, alors que notre taux de chômage est encore deux fois plus élevé que celui de nos voisins européens, les tensions de recrutement sont à leur comble. Cette situation n’est pas satisfaisante. En effet, 60 % des entreprises éprouvent des difficultés de recrutement, 30 % des entreprises industrielles sont même obligées de limiter leur activité, de fermer des lignes de production ou de renoncer à une partie de leur carnet de commandes pour des raisons de pénurie de main-d’œuvre.
Ces difficultés témoignent des efforts que nous devons encore accomplir pour finir de libérer le travail en France. Je n’égrènerai pas ici les huit axes de la feuille de route de mon ministère, que j’ai eu l’occasion de présenter devant la commission des affaires sociales du Sénat. Je voudrais simplement développer trois idées devant vous.
Premièrement, le plein emploi passe d’abord par la valorisation du travail. C’est un axe central de notre mission. Il s’agit en particulier de donner l’envie, le goût du travail aux jeunes. L’entreprise doit être ouverte à l’école, et l’école doit continuer de s’ouvrir aux entreprises.
Avec mon collègue de l’éducation nationale et la ministre déléguée Carole Grandjean, nous ferons connaître à nos jeunes et à nos enfants les métiers de l’artisanat, de l’industrie et du bâtiment, et nous leur en donnerons le goût, car il s’agit de métiers fondamentaux sur lesquels repose une grande part de notre vie économique.
Ces secteurs sont de formidables gisements d’emplois sans cesse en progrès. Ils nécessitent aussi des compétences pointues en perpétuelle évolution et très en prises avec les nouvelles technologies, à rebours de leur image, qui s’est parfois dégradée au fil du temps.
Au travers de l’apprentissage et du lycée professionnel, ces métiers connaissent un élan nouveau, que nous développerons encore ces prochaines années.
Deuxièmement, le plein emploi signifie aussi l’emploi pour tous. Dans la société du plein emploi que nous voulons construire, il importe de s’attaquer résolument à tout ce qui freine l’accès des plus fragiles à l’emploi.
Ce ne sont pas toujours des problèmes de qualification ou de compétence qui se posent. Nous devons aussi lutter contre les freins périphériques à l’emploi susceptibles d’enfermer les personnes dans des situations d’inactivité subie ou de précarité. La garde d’enfants et la mobilité font partie de ces sujets structurels, qui restent encore insuffisamment traités de façon systématique. Je suis convaincu qu’il est désormais temps d’avancer sur ces questions. C’est tout le sens du chantier que nous avons engagé autour du projet France Travail.
Nous avons un certain nombre d’expériences à valoriser, notamment grâce au service public de l’insertion vers l’emploi et au plan d’investissement dans les compétences. Il importe à présent de capitaliser pour passer à une nouvelle échelle. Je souhaite que les nombreux outils numériques expérimentés çà et là se déploient, afin que les différents acteurs puissent travailler en réseau d’une façon beaucoup plus efficace qu’aujourd’hui.
Avec France Travail, il s’agit également d’accompagner de manière plus intensive, personnalisée et adaptée l’ensemble des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et, au-delà, les bénéficiaires des minima sociaux.
Ce projet me tient particulièrement à cœur. L’État ne peut se considérer comme quitte de ses devoirs de solidarité à l’égard de ces publics parce qu’il leur verse une allocation. Nous pouvons faire valoir leurs droits et leurs devoirs aux bénéficiaires du RSA. Mais, de façon préalable, l’État a aussi le devoir de donner à ces derniers une vraie chance, en leur proposant une offre d’insertion et d’accompagnement partout sur le territoire, adaptée et personnalisable.
Nous continuerons à transformer notre système de formation professionnelle pour accélérer la montée en compétence, pour répondre aux besoins des actifs et des entreprises, mais aussi pour faire face aux enjeux des transitions démographique, écologique et numérique.
Le projet de loi donne une première impulsion en ce sens pour la validation des acquis de l’expérience (VAE). C’est un point que Carole Grandjean détaillera.
Troisièmement, le plein emploi signifie aussi de meilleures conditions de travail. Nous avons des conditions de travail parfois difficiles et conflictuelles. Plusieurs enquêtes soulignent qu’il existe des marges de progrès. Pour résoudre les tensions de recrutement, les entreprises devront également mieux intégrer, mieux valoriser les métiers et faire évoluer leurs salariés.
Nous les accompagnerons en ce sens, mais nous resterons attentifs. Les entreprises n’ont pas qu’un rôle de production à jouer ; elles doivent aussi prendre leur part dans l’effort collectif à mener pour parvenir au plein emploi.
Le texte que je vous présente aujourd’hui vise donc à apporter un certain nombre de réponses. La première d’entre elles concerne l’assurance chômage.
Je rappelle que l’assurance chômage est au cœur de notre modèle de sécurité sociale et professionnelle. Elle a été bâtie au fil du temps par les partenaires sociaux de notre pays pour devenir un outil puissant au service de la mobilité et de la protection des actifs.
Au même titre que les autres axes que j’ai mentionnés, nous devons la perfectionner pour parvenir au plein emploi. Il importe de préserver son caractère protecteur et son universalité – l’assurance chômage a été élargie à certains démissionnaires et travailleurs indépendants par notre majorité –, mais il convient de la mettre davantage au service d’un retour rapide vers l’emploi durable, car nul ne doit être condamné à une forme d’inemployabilité.
Je souligne que nous avons déjà commencé à réformer l’assurance chômage en 2019. La réforme de 2019 visait avant tout à répondre à l’explosion des embauches en contrats courts depuis vingt ans et, plus généralement, à apporter une réponse définitive au déficit structurel de l’assurance chômage lié en partie à la prolifération des contrats courts.
Entre 2009 et 2019, l’assurance chômage a accusé systématiquement un déficit de 2,9 milliards d’euros en moyenne. C’est la raison pour laquelle deux transformations structurelles ont été apportées par cette réforme.
Nous avons tout d’abord proposé un nouveau calcul des allocations pour garantir que le fait de travailler soit toujours plus rémunérateur que le chômage.
La réforme a ensuite mis en place un bonus-malus dans sept secteurs économiques très utilisateurs de contrats courts. Depuis le 1er septembre 2022, environ 6 000 entreprises ayant recours de manière plus importante que la moyenne du secteur aux contrats à durée déterminée paient une surcotisation chômage – le malus – pouvant s’élever jusqu’à un point de cotisation supplémentaire sur l’ensemble de leur masse salariale. A contrario, 12 000 entreprises bénéficient d’un bonus pouvant aller jusqu’à 1,05 % de leur masse salariale.
J’entends évidemment les critiques qui s’élèvent dans certains de vos rangs à l’encontre du bonus-malus. Vous les avez d’ailleurs relayées à travers votre réécriture de l’article 2 du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale.
Je veux à cet égard rappeler quelques faits : les contrats courts coûtent structurellement à l’assurance chômage quelque 2 milliards d’euros par an. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu réattribuer une partie de ce coût aux entreprises qui le faisaient peser sur l’ensemble de la communauté contributive. Il s’agit ainsi de les responsabiliser.
Le bonus-malus mettra bien sûr du temps à produire ses effets. Je vous demande de lui en donner pour que les sept secteurs aujourd’hui concernés prennent la mesure du dispositif et commencent à modifier leur recours aux contrats courts. De nombreuses solutions de remplacement sont possibles : CDI intérimaires, groupements d’employeurs, ainsi que d’autres formes d’emplois que nous voulons promouvoir et accompagner.
J’en viens maintenant au calendrier d’examen de ce texte. Pourquoi agir de nouveau aujourd’hui ?
Les règles actuelles sont fixées par le décret du 28 juillet 2019, dit décret de carence, qui est venu définir les règles de l’assurance chômage, car les partenaires sociaux n’étaient pas parvenus à un accord.
Le décret arrive à échéance le 1er novembre prochain. C’est ce qui motive le principe d’urgence du projet de loi. Nous souhaitons prolonger les règles jusqu’au 31 décembre 2023 pour laisser le temps à la réforme de 2019 de déployer tous ses effets. Nous souhaitons également prolonger le bonus-malus jusqu’au 31 août 2024.
Ouvrir dès aujourd’hui un nouveau cycle de négociations sur les règles n’aurait pas eu de sens. Du fait de la crise sanitaire, les nouvelles règles ne sont entrées en vigueur qu’il y a moins d’un an. Il paraît donc nécessaire d’attendre un peu pour que les partenaires sociaux puissent se saisir de nouveau de ces questions à la fin de l’année 2023.
Nous souhaitons donc prolonger les règles, mais nous voulons également travailler à les rendre plus réactives par rapport à la conjoncture économique. Le système d’assurance chômage tel qu’il existe aujourd’hui est finalement contre-intuitif. Il remplit imparfaitement son rôle : sur les quinze dernières années, quand le chômage était au-dessus de 10 %, 55 % des demandeurs d’emploi étaient indemnisables, alors que cette part est montée à 61 % à la fin de 2019, avec un chômage à 8 %.