M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la Première ministre, mesdames messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis le 19 juin dernier, tout le monde proclame sa victoire avec un art admirable de l’autopersuasion : les uns ont gagné parce qu’ils n’ont pas perdu, les autres ont gagné bien qu’ils aient perdu, d’autres enfin croient avoir gagné parce qu’ils n’ont pas compris qu’ils avaient perdu. (Sourires et quelques applaudissements sur diverses travées.) On connaissait les victoires à la Pyrrhus ; il y a maintenant les défaites gagnantes…
La vérité est beaucoup plus simple et brutale, et je m’étonne que personne n’en ait parlé jusqu’à présent : les deux vrais vainqueurs de ces élections sont le populisme et l’extrémisme.
Mme Françoise Gatel et M. Yves Bouloux. C’est vrai…
M. Claude Malhuret. On en a vu les premiers résultats – un spectacle déplorable – dès cet après-midi à l’Assemblée nationale.
Lorsque, au premier tour de l’élection présidentielle, les extrêmes recueillent 57 % des suffrages, lorsque les uns multiplient le nombre de leurs députés par cinq et les autres par dix, tous les partis démocratiques reçoivent une gifle, tous !
Voilà cinq ans, la France était citée en exemple, elle échappait à la vague de populisme qui frappait les démocraties et qui avait donné Trump, Bolsonaro, le Brexit, Orban et quelques autres. Aujourd’hui, elle est rattrapée par la patrouille.
Elle ne doit son salut provisoire qu’à une particularité historique : alors qu’ailleurs le populisme n’est que d’extrême droite, chez nous, où l’école apprend aux élèves à adorer Camille Desmoulins et à préférer Robespierre à Tocqueville, il est coupé en deux, ce qui l’empêche d’arriver au pouvoir. Pour le moment…
Cela dit, les extrêmes sont moins éloignés l’un de l’autre qu’on ne le pense. Ce qui les rapproche est bien plus fort que ce qui les sépare : la haine de l’Europe et de l’OTAN, l’antiaméricanisme, Assad, Poutine, le dossier de l’Ukraine, celui des retraites, les programmes économiques délirants, le complotisme, le soutien aux « antivax » et aux fake news, la posture tribunitienne, l’obsession du soupçon et de la dénonciation.
Ce qui les sépare ? Leurs histoires respectives et leurs chefs qui se détestent. Leur hybridation, que certains croient impossible, gagne chaque jour du terrain : considérez les transfuges, les militants qui se font des clins d’œil ou encore les reports massifs du deuxième tour des législatives. En outre, il y a chaque jour un peu moins de différence entre la xénophobie des uns et le racialisme des autres, qui hiérarchisent les gens selon leur degré de mélanine. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et UC.) Est-ce qu’il y a quelqu’un ici qui croit que Taha Bouhafs ou Danièle Obono, l’amie de l’antisémite Corbyn, sont antiracistes ?
Aujourd’hui, au-delà des apparences électorales, la France voit s’affronter un pôle européen et républicain et un pôle populiste et nationaliste, le « lepéno-mélenchonisme ». (Applaudissements sur des travées des groupes INDEP et UC. – M. Martin Lévrier applaudit également.) Ce sont les jumeaux de la ruine. Qui peut affirmer que nous n’assisterons pas demain, comme en Italie, au regroupement des « zadistes » et des fachos, fâchés ou non, au profit de celui qui aura terrassé l’autre ?
Ce qui les sépare également, c’est la stratégie : pour les mélenchonistes, la tenaille entre le chaos à l’Assemblée et le chaos dans la rue ; pour les lepénistes, la respectabilité au service d’un objectif : « Après le chaos, nous ! »
À ma gauche, le général Tapioca du Vieux-Port (Rires sur l’ensemble des travées sauf sur celles du groupe CRCE.), chauffé à blanc par des résultats qu’il surestime, ressort son marxisme architrépassé et son keynésianisme pour cour de récré : « On augmente les dépenses de 250 milliards et, hop ! cela en ramène 267 »… (Mêmes mouvements.) Dans une exaltation qui lui donne plus que jamais l’air de parler depuis le sommet d’une barricade, l’expert en « nigologie », depuis le trotskisme de sa jeunesse jusqu’au soutien inconditionnel à Poutine, a ressorti le programme commun du frigo et l’a imposé au reste de la gauche, avec, en prime, l’entrée de la France dans l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Applaudissements sur des travées du groupe INDEP. – MM. Michel Canévet et Martin Lévrier applaudissent également.) ; il est un peu l’Yvette Horner de la politique. (Rires sur l’ensemble des travées sauf sur celles du groupe CRCE. – Mme Éliane Assassi s’exclame.) Son blog comporte une liste de 180 thèmes rangés par mots clés ; « démocratie » n’y figure pas… Avec l’effarant appui de pas mal de médias prostrés comme des lapins dans la lumière des phares, il s’est décrété Premier ministre ; le plus cocasse est que certains l’ont cru. Après tout, dans l’Empire romain, on avait bien nommé un cheval consul…
À ma droite, l’héritière du château de Montretout, que cette circonstance n’empêche pas de parler « au nom du peuple », a une stratégie plus intelligente, donc plus dangereuse.
Mme Françoise Gatel. Oui…
M. Claude Malhuret. Oublié, le père Le Pen qui n’a réussi, par ses outrances, qu’à devenir le « maréchal Pétrin » ! (Sourires.) Depuis deux mois, le mot d’ordre est : pas de vagues.
M. Pierre Laurent. Vous avez appelé à voter pour eux !
M. Claude Malhuret. Pas moi, mon cher collègue, pas moi…
C’est bien simple, maintenant, quand elle passe à la télévision, c’est : sourire jusqu’aux oreilles, dents blanches, haleine fraîche et « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». On croirait voir Lecanuet… (Rires sur l’ensemble des travées sauf sur celles du groupe CRCE.)
Mme Françoise Gatel. Il ne faut pas exagérer…
M. Claude Malhuret. Plus Les Républicains expliquent qu’ils sont dans l’opposition, plus elle sous-entend qu’elle n’exclut pas de faire une fleur au Gouvernement.
M. Pierre Laurent. C’est le Guignol du macronisme !
M. Claude Malhuret. Elle demande maintenant à siéger au centre de l’hémicycle et fait prendre des cours de maintien à ses troupes. Attention à ce contrepied : ce pourrait bien être le baiser qui tue, pour la majorité ou pour la droite républicaine. (Mme Françoise Gatel applaudit.) Cela n’a pas échappé aux Insoumis, qui dénoncent déjà avec des cris d’orfraie une collusion qui n’existe pas.
M. Didier Marie. Qui a voté pour les vice-présidents RN ?
M. Claude Malhuret. Ces deux extrémismes sont dangereux et nous imposent trois responsabilités.
La première est d’éviter de leur courir après, parce que l’une des choses les plus tristes dans ces élections est d’avoir vu des bataillons entiers des républicains de droite et de gauche emboîter le pas aux extrémistes. Quand, dans tant de départements, des responsables de la droite républicaine refusent de suivre l’exemple du président du Sénat et d’appeler comme lui à voter le 19 juin pour les candidats démocrates contre les extrêmes, il y a un problème.
Quand un candidat à une primaire pour l’élection présidentielle annonce qu’il voterait Zemmour contre Macron au deuxième tour, il y a un problème.
Néanmoins, le plus navrant, c’est le naufrage d’une grande partie de la gauche. Après la défaite de 2017, le PS avait vendu son siège ; en 2022, il a vendu son âme. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe UC.)
Mme Céline Brulin. Certains ont vendu la leur il y a bien longtemps…
M. Yannick Vaugrenard. Il faut balayer devant votre porte !
M. Claude Malhuret. Adepte du « plus c’est gros, plus ça passe », le mal nommé Olivier Faure ose comparer l’alliance avec La France insoumise au Front populaire, en faisant semblant de ne pas voir l’éléphant dans la pièce : le Front populaire était dirigé par la gauche de gouvernement et non par le projet insensé des Insoumis.
Le plus stupéfiant est que ces nouveaux « pacsés » s’entendent à peu près comme des chats dans un sac. Ils sont totalement opposés sur l’Europe et l’OTAN, sur le nucléaire, sur la loi El Khomri, sur la retraite à 60 ans, sur la VIe République ; bref, ils ne sont d’accord sur rien…
M. Didier Marie. Et vous, vous êtes d’accord sur quoi ?
Mme Céline Brulin. Et à part ça, la politique du Gouvernement, qu’en pensez-vous ?
M. Claude Malhuret. Cazeneuve, Delga, Cambadélis et d’autres l’ont bien compris : c’est l’identité des socialistes depuis le congrès de Tours qui disparaît quand on passe de Léon Blum à Léon Trotski. C’est la victoire posthume de Guesde sur Jaurès. « Ça sent l’Histoire », disait Mélenchon avec sa modestie habituelle au lendemain de l’accord. Moi je trouve plutôt que, comme disait Édouard Herriot, ça sent l’andouillette, pour parler poliment… (M. Emmanuel Capus applaudit.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ce n’est pas Mélenchon le Premier ministre !
M. Claude Malhuret. La deuxième responsabilité des démocrates est de comprendre les raisons du vote populiste et les moyens de le dégonfler. Continuer de prétendre que les problèmes qui nourrissent cette vague n’existent pas, refuser depuis trente ans de s’interroger sur ce qui se passe est un vrai danger pour la démocratie : celui d’avancer avec un bandeau sur les yeux.
La troisième responsabilité des démocrates consiste à réussir. Gouverner avec une majorité relative est un défi, s’opposer aussi. Nous savons déjà que la coalition ou le pacte de gouvernement n’auront pas lieu. Ne reste donc que la méthode du « au cas par cas », qui impose de changer les habitudes : un gouvernement qui propose au lieu d’imposer, une opposition qui compose au lieu d’empêcher.
Majorité et opposition républicaines sont condamnées à se supporter ; ne pas y parvenir serait la recette infaillible de l’impuissance face à la crise économique et aux défis sociaux qui s’annoncent ; ne pas y parvenir entraînerait, la prochaine fois, non pas la victoire d’une famille contre l’autre, mais la défaite de tous face aux populistes.
Il paraît que la culture du compromis n’existe pas en France ; il va pourtant bien falloir s’y résoudre.
Autant dire, madame la Première ministre, qu’en entrant à Matignon vous avez accepté un nouveau job, celui de démineuse en chef. Même si sa majorité vous est opposée, la tâche ne me paraît pas impossible au Sénat. Cela suppose un respect réciproque ; cela tombe bien, c’est la tradition de la maison. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
M. Didier Marie. Vous faites fort !
M. Claude Malhuret. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires sera en tout cas fidèle à cette ligne de conduite, la seule qui réponde aux défis auxquels est confronté le pays et au message que nous ont envoyé les Français le 19 juin dernier. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et RDSE ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, votre déclaration de politique générale, madame la Première ministre, vient apporter quelques précisions bienvenues à un projet présidentiel dont, comme tout un chacun, nous n’avions pas saisi grand-chose. L’exercice est réussi, on en oublierait presque que vous gouvernez depuis cinq ans. On comprend donc bien, même si on le déplore, que vous vous dérobiez à l’engagement de la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale, de peur d’être sanctionnée pour ce passif.
Après le revers historique de la majorité présidentielle aux élections législatives, au premier tour desquelles votre projet est arrivé derrière celui de la Nouvelle Union populaire,…
M. Guillaume Gontard. … il était de votre responsabilité de tendre la main aux oppositions.
Contrairement au Président de la République, encore en deuil de sa toute-puissance, vous avez semblé vous ouvrir au compromis parlementaire. Nos espoirs face à cette perspective ont malheureusement été rapidement douchés par la suite de votre déclaration, dans laquelle à aucun moment la négociation n’a semblé envisageable. Voilà une bien curieuse conception du régime parlementaire, régime dont il vous faudra réapprendre de toute urgence la pratique, en vous inspirant, peut-être, de ce qui se fait au Sénat.
Après avoir diabolisé la gauche écologiste avec une violence inouïe, après avoir voulu l’exclure du champ républicain, il est effectivement difficile de lui tendre la main. Hier encore, le ministre de l’intérieur, curieusement promu malgré son incapacité à organiser correctement une élection régionale ou une finale de la Ligue des champions, nous qualifiait d’« ennemis ». Renvoyer dos à dos, comme le fait également le président du Sénat, les partisans du progrès social et écologique et les héritiers de la collaboration, semeurs de haine et de division, est proprement scandaleux ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Madame la Première ministre, monsieur le président du Sénat, nous ne sommes pas un « danger pour la République » ; affirmer cela, tout comme banaliser le Rassemblement national, constitue une faute face à l’Histoire. Permettez-moi d’appeler solennellement, de cette tribune, toutes celles et tous ceux qui se considèrent comme républicains, qui endossent l’héritage de progrès et de justice, dont la gauche a toujours été le moteur, à s’écarter du chemin crépusculaire qui nous mène droit au retour du fascisme au pouvoir. (Mmes Gisèle Jourda et Cathy Apourceau-Poly applaudissent.)
Madame la Première ministre, votre responsabilité en la matière est considérable. Vos hésitations du mois de juin ont permis l’arrivée de 89 députés du Rassemblement national à l’Assemblée nationale. Les digues doivent être rebâties, nous sommes au dernier arrêt avant la nuit noire. Une chambre sans majorité absolue n’est pas un drame ; c’est même une bonne nouvelle, à condition d’être clair sur les valeurs et de se débarrasser du scrutin majoritaire, dont l’utilité n’est plus et qui porte en lui une violence politique dangereuse pour la démocratie. Instaurons la proportionnelle (M. Emmanuel Capus s’exclame.) et cessons de faire campagne à coups d’anathèmes. Comme aux grandes heures du parlementarisme, délibérons, composons, prenons le temps de faire moins de lois et de meilleures lois.
Madame la Première ministre, engagez, en collaboration avec le Parlement, la refonte de nos institutions. Rééquilibrons les pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, mais également entre Paris et le reste de la France. Vous avez clamé votre amour des territoires, il nous en faut surtout des preuves : un nouvel acte de décentralisation, une autonomie renforcée pour les territoires qui le désirent, au premier rang desquels la Corse, et surtout – surtout ! – des moyens financiers.
M. Jean-Jacques Panunzi. On n’a pas besoin de vous pour parler de la Corse !
M. Guillaume Gontard. Sur la défense des droits humains, et notamment des droits des femmes, vous nous trouverez également à vos côtés. Alors que les États-Unis sombrent dans une régression moyenâgeuse, la France doit envoyer au monde un signal d’espoir et de progrès. Pour ce faire, nous vous proposons de rédiger ensemble, avec les Françaises et les Français, une charte des droits des femmes qui se rattacherait au préambule de notre Constitution.
Un sénateur du groupe Les Républicains. Demandez à Coquerel !
M. Guillaume Gontard. Madame la Première ministre, une question simple : vous engagez-vous à promouvoir une révision constitutionnelle pour consacrer le droit à l’avortement ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Pour le reste, je crains que le dogmatisme et l’idéologie présidentiels ne nous empêchent de trouver tout terrain d’entente. Les défis de notre temps nécessitent plus de puissance publique. Or votre double logique – exonérer d’impôt les milliardaires et les grandes entreprises qui s’enrichissent indûment pendant les crises et désendetter le pays à marche forcée – va produire exactement l’inverse.
Madame la Première ministre, j’ai préparé la suite de mon propos avec Éléonore, 18 ans, Louis, 16 ans, et Nathan, 19 ans, qui sont actuellement en observation dans mon équipe et qui vous écoutent ce soir. Je veux me faire l’écho de leurs préoccupations et, au-delà, celui d’une partie de notre jeunesse, qui s’angoisse dans un monde rendu de plus en plus incertain par le retour de la guerre et le péril climatique.
Je me fais l’écho de notre jeunesse, de son inquiétude quant à sa capacité à vivre sur la terre dans les prochaines décennies ; inquiétude à laquelle, enfermée dans votre déni des limites planétaires et dans votre illusion techniciste d’une écologie du progrès, vous ne répondez pas.
Je me fais l’écho de notre jeunesse, qui cherche du sens à son activité professionnelle et qui refuse de contribuer à la destruction de la planète opérée par le capitalisme, lequel n’a plus d’autre fin que l’accumulation infinie de richesses. On ne retrouve dans votre propos que peu de traductions concrètes de la planification écologique brandie pour les besoins de la campagne.
Il y a pourtant tellement à faire pour repenser nos modes de vie, protéger le vivant, recouvrer notre souveraineté, lutter contre l’explosion des prix de l’énergie grâce aux énergies renouvelables, transformer notre agriculture en l’orientant vers le bio, rénover réellement les logements, relocaliser des activités économiques et industrielles vertueuses, créer des emplois par centaine de milliers dans la bifurcation écologique et créer des perspectives pleines de sens pour cette jeunesse qui désespère des pouvoirs publics.
Je me fais l’écho d’une partie de notre jeunesse, celle qui souffre de plus en plus de la précarité et qui est la première victime de l’inflation galopante, pendant que les profiteurs de guerre s’enrichissent honteusement.
Je me fais l’écho des étudiants qui se heurtent au mur de Parcoursup, voient l’université française dépérir et désespèrent en voyant que le seul projet que vous portez à leur endroit est le service national universel, symbolisé par le rattachement funeste du secrétariat d’État à la jeunesse au ministère des armées.
Je me fais l’écho des jeunes et des moins jeunes qui souffrent de la dégradation continue des services publics, des fermetures de classe et de la pénurie d’enseignants, qui s’inquiètent, alors que ressurgit la covid-19, de la désertification médicale, de la fermeture de lits voire de services d’urgence entiers et qui sont horrifiés de constater l’état déplorable de nos crèches et de nos Ehpad.
Enfin, je me fais l’écho de notre jeunesse et de nos compatriotes ultramarins, qui souffrent des mêmes maux, mais décuplés, qui expriment leur souffrance et leur désarroi depuis plusieurs années et pour qui votre seule réponse est de les rattacher à un ministère de l’intérieur en pleine dérive sécuritaire. Madame la Première ministre, de grâce, épargnez-leur le préfet Lallement !
Quelles réponses apportez-vous à notre jeunesse ? Votre projet sur le pouvoir d’achat et votre budget rectificatif sont presque vides. À l’occasion des débats parlementaires à venir, nous vous invitons à accepter les propositions de la Nupes visant à enrichir ces deux textes (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.) : le SMIC à 1 500 euros, déjà mentionné, la garantie d’autonomie à 1 000 euros, le relèvement de 10 % du point d’indice de la fonction publique, le blocage des loyers et des prix des produits de première nécessité.
Renoncez également à votre inutile réforme des retraites et à votre honteuse réforme du RSA. Elles ne sont soutenues par aucune majorité, ni dans le pays ni au Parlement.
Madame la Première ministre, nous serons une opposition exigeante afin de produire le choc d’égalité dont notre pays a besoin, afin de protéger, de toute urgence, notre environnement, afin de rénover notre démocratie.
Si majorité il n’y a pas, c’est que vous n’en aurez pas voulu. Vous porterez la responsabilité du blocage de nos institutions et de l’immobilisme de notre pays. J’espère que votre sens de l’intérêt général et vos talents de négociatrice nous éviteront d’en arriver là. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER. - Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame le Premier ministre, mes chers collègues, nous sommes partis de la promesse d’un gouvernement très resserré pour en arriver à la nomination de 41 membres, en passant par le maintien, voire la promotion, des ministres en charge de la « France en grand »… En grand ensauvagement, oui ! En grand remplacement ! En grand déclassement et en grand enfermement ! (Murmures sur l’ensemble des travées.)
Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mes chers collègues, mais j’ai la douloureuse sensation de vivre un jour sans fin, tant ce gouvernement Borne II aurait pu s’appeler Castex IV ou encore Édouard Philippe VI !
Ce permanent retour en arrière aurait pu être une cure de jouvence s’il ne s’agissait d’une nouvelle cure de souffrance.
Vous souhaitez, madame le Premier ministre, un renouveau démocratique sans vote de confiance du Parlement, sans ministère des relations avec les collectivités territoriales, tout en conservant comme garde des sceaux un ministre du laxisme judiciaire et du grand ensauvagement, mis en examen par la Cour de justice de la République.
Vous choisissez également de reconduire à son poste le ministre du grand remplacement de l’intérieur, désormais connu comme celui du mensonge et de l’humiliation de notre pays, à la suite des désastreuses razzias et hyperviolences commises au Stade de l’anti-France.
Vous voulez lutter contre le séparatisme de l’islam, et vous nommez ministre chargé de la ville et du logement un maire favorable tant au droit de vote des étrangers qu’à la multiplication des mosquées sur financement public.
Vous prétendez vous inquiéter du pouvoir d’achat des Français, tout en conservant le ministre du grand effondrement économique et du grand déclassement social, qui a accru la dette publique de 600 milliards d’euros en cinq ans, seule la moitié de cette somme – de ce gouffre ! – étant imputable à la crise du covid-19.
Quant à l’ancien ministre de la santé, le ministre de tous les enfermements, physiques comme démocratiques, visé en particulier par la justice administrative pour impréparation et mensonge durant la première vague du covid-19, il devient porte-parole du gouvernement ! Quel symbole !
Pour lui succéder à la santé, vous avez choisi de nommer un ministre pro-masque, pro-pass, vaccinolâtre (Sourires ironiques au banc du Gouvernement.) et déjà honni des professionnels de santé en tant qu’adepte du tri des patients en réponse à l’engorgement des urgences. Plutôt l’intégration des migrants que la réintégration des soignants ! (Exclamations indignées au banc du Gouvernement.)
Vous appelez à plus d’écologie sans parler de localisme. La ruralité a son secrétariat d’État, mais elle n’a pas, en revanche, les moyens humains ni financiers dont bénéficie la politique de la ville, laquelle, avec ses milliards d’euros, n’est que le cache-sexe – on le sait – de la politique d’immigration.
Que dire, ensuite, du ministre de l’éducation, ou plutôt de la rééducation et du vivre-ensemble obligatoire ? Ce pape du wokisme,… (Sourires ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme Céline Brulin. Logique !
M. Stéphane Ravier. … de la déconstruction de notre identité humaine et nationale, a vu sa nomination saluée par le Grand Timonier de l’islamogauchisme qu’est Jean-Luc Mélenchon ! (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Quant à la ministre de la culture, ou plutôt de la « déculture », elle conseillait déjà le Président quand celui-ci déclarait qu’il n’y avait pas de culture française !
Il n’y a même pas de ministère de la famille, à l’heure même où les démographes annoncent que les Français seront minoritaires chez eux dans quelques dizaines d’années !
En somme, dans le contexte d’hypercrise que nous traversons, vous proposez de la continuité ; vous ajoutez donc de la crise aux crises. Manifestement, mes chers collègues, à travers la composition de ce gouvernement, force est de constater que les non-vaccinés ne sont plus les seuls qu’Emmanuel Macron a décidé d’emmerder : il vise désormais l’ensemble des Français.
Je serai là, quant à moi, pour m’y opposer. Et je veux croire que je ne serai pas le seul.
M. Antoine Lefèvre. Pas sûr !
M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d’abord de la richesse de ce débat. (Sourires.)
Mme Céline Brulin. Surtout après la dernière intervention ! (Mêmes mouvements.)
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Dans la situation inédite que connaît notre pays, le Sénat sera, plus que jamais, un pôle d’équilibre et de stabilité. (Sourires.) Je connais votre capacité à dépasser les postures et les clivages pour imaginer des solutions. Cet esprit de dialogue, qui permet de nourrir les travaux législatifs grâce aux apports des différents groupes, doit nous inspirer. Le bicamérisme, si profondément inscrit au cœur de notre démocratie, illustre en pratique notre capacité à rechercher des compromis durables, à trouver des réponses équilibrées et efficaces.
J’en ai fait l’expérience, au cours de la précédente législature, avec les projets de loi que j’ai portés en tant que ministre : je pense par exemple à la réforme, nécessaire, de la SNCF, que certains pourraient même qualifier de courageuse. (Exclamations amusées sur les travées des groupes SER et CRCE.) Nous avons élaboré ensemble cette réforme trop longtemps différée. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Tout le monde n’en est pas content !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Les textes sur lesquels les assemblées parviennent à un accord sont souvent plus solides. La connaissance des collectivités territoriales ainsi que les éclairages apportés par les travaux de contrôle et d’information des commissions du Sénat nourrissent les amendements ; cela permet de répondre aux priorités des Français sans céder aux solutions toutes faites non plus qu’aux mouvements d’une actualité fébrile.
Les propositions de loi, notamment celles qui résultent des travaux pluralistes des commissions d’enquête et des missions d’information, ont vocation à enrichir le travail législatif.
Monsieur le président Retailleau, je vous remercie d’avoir évoqué « en même temps » des valeurs, celles de la République, et une méthode, celle du dialogue bicaméral, auquel je suis profondément attachée.
Devant votre assemblée, qui incarne les vertus du débat dans le respect de l’autre, je veux réaffirmer l’engagement de mon gouvernement à bâtir des solutions communes sans demander à quiconque de renoncer à ce qu’il est. De toutes mes forces, je lutterai contre cette France « en pièces détachées », dont vous avez parlé : chacun le reconnaîtra, les racines du problème sont profondes.
Nous ne sommes probablement pas d’accord sur tout : nous n’allons pas nier nos divergences et nos différences, mais nous partageons certainement des préoccupations communes. Nous nous accorderons sans doute sur la nécessité de renforcer notre souveraineté, industrielle et énergétique, pour affermir notre conviction que nous avons un destin commun.
Nous pouvons nous retrouver sur la nécessité, d’une part, de revenir à l’équilibre des finances publiques, fortement sollicitées du fait de la pandémie et des bouleversements économiques consécutifs au conflit ukrainien, et, d’autre part, d’améliorer nos services publics, en particulier dans les quartiers prioritaires et les zones rurales.
La situation de nos finances publiques est vécue, semble-t-il, avec une inquiétude d’une intensité qui diffère selon les groupes. Comme vous, monsieur le président Retailleau, le Gouvernement en a une perception très claire, qui doit nous inciter à la responsabilité.
Par ailleurs, nous ne renonçons pas à porter nos valeurs à l’échelle européenne et mondiale : la présidence française du Conseil de l’Union européenne l’a montré. Pour ma part, je crois profondément que la voix de la France porte. Je suis certaine que la manière dont nous avons traversé la crise ensemble était la bonne, notamment grâce au « quoi qu’il en coûte », qui a permis de protéger nos entreprises et nos emplois.
Vous le voyez, monsieur le président Retailleau, vouloir construire des compromis ne signifie pas être d’accord sur tout.
Monsieur le président Kanner, j’ai bien écouté vos propos, vos critiques – souvent caricaturales – et vos commentaires. (Protestations sur les travées du groupe SER.) Vos propositions ont été plus discrètes, exception faite d’une accumulation d’impôts et de taxes…
Monsieur le président Kanner, je vous rejoins quand vous dites que la prise en compte des outre-mer est une exigence absolue. Les départements et collectivités d’outre-mer sont une des grandes richesses de notre République. Je l’ai dit cet après-midi devant les députés, je le redis devant vous : nous répondrons à l’appel de Fort-de-France qu’ont lancé, il y a quelques jours, les collectivités.
Cependant, monsieur le président Kanner, je dois dire que j’ai été surprise par vos procès d’intention dans cette enceinte. Jugez-nous sur nos actes, et retrouvons-nous peut-être là-dessus. (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.) Quand vous annoncez vouloir être constructifs, je le prends comme une lueur d’espoir.
Monsieur le président Patriat, je partage votre engagement tourné vers l’action (Exclamations amusées.), afin de répondre à l’urgence climatique, de repenser notre système de santé, de tirer les enseignements des États généraux de la justice, d’accélérer le développement des énergies renouvelables. Nous agirons sur tous ces sujets, et nous le ferons dans la concertation.
Monsieur le président Marseille, vous avez souligné le caractère inédit pour la France de notre situation politique, beaucoup moins originale si l’on regarde par-delà nos frontières. Comme vous le dites souvent, monsieur le président : nous devons nous projeter dans l’avenir et l’Europe nous y aide.
Une capacité à peser et à affronter les crises : voilà ce qu’est la souveraineté. Plusieurs travaux du Sénat ont pointé, avec justesse, notre forte dépendance à l’égard des industries étrangères, par exemple en matière pharmaceutique. Notre souveraineté doit être pensée dans un cadre européen : une Europe plus forte, c’est une France plus forte, qui naîtra de notre capacité à dialoguer. Je vous remercie déjà, à ce titre, d’avoir mis des propositions sur la table.
Madame la présidente Assassi, je partage vos préoccupations face à la désespérance sociale d’une partie de nos concitoyens. Nous ne pouvons accepter de les laisser ainsi s’éloigner de la démocratie et des élections. Cependant, je suis convaincue que le SMIC à 1 500 euros est seulement l’assurance pour tous d’un tassement des progressions de salaire. Sur ces sujets, les solutions miracles sont souvent des mirages qui contribuent fortement à la défiance de nos concitoyens.
La réflexion relative à l’avenir de nos institutions, qui s’engagera à l’automne sous l’égide du Président de la République, devra tenir compte de la défiance exprimée lors des dernières élections. Là également, une approche pluraliste nous permettra de construire des réponses utiles et équilibrées.
Je vous remercie, monsieur le président Requier, d’abord, de vos vœux de réussite, ensuite, de votre bienveillance et de votre optimisme. C’est bien de la réussite de notre pays qu’il est question. Vous avez mentionné ce qui est une préoccupation partagée par l’ensemble des groupes : l’État et les collectivités doivent, d’une part, dresser ensemble une liste des défis à relever, d’autre part, identifier les leviers à activer et les moyens à mobiliser. L’action publique des collectivités territoriales doit pouvoir s’appuyer sur une visibilité des compétences et des conditions de leur action.
Par conséquent, nous construirons ensemble un agenda territorial. J’ai confiance dans notre capacité à dialoguer et à apporter des réponses au plus près de nos concitoyens.
Je partage votre diagnostic, monsieur le président Malhuret (Sourires ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.) : les Français ont exprimé des doutes et demandent que nous agissions. L’abstention est le signe d’une démocratie en souffrance, d’une perte de confiance dans l’action publique. Nous ne pouvons et ne devons pas laisser le champ libre à ceux qui voudraient revenir sur nos acquis démocratiques. Les évolutions que nous pouvons observer dans d’autres pays nous rappellent que la démocratie est une lutte de tous les jours, que les combats pour les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité doivent sans cesse être repris.
Pour cette raison aussi, je suis convaincue que nous pourrons construire des majorités d’action : les Français n’ont pas choisi le blocage de nos institutions.
La nécessité de construire des compromis pour répondre aux attentes des Français, je la perçois comme vous, monsieur le président Gontard. Je vous demande de nous juger non pas sur les intentions que vous nous prêtez, mais bien sur nos actes. Nous allons apprendre à travailler ensemble ; à vrai dire, nous avons déjà commencé à le faire ces dernières années… Il nous faut cependant aller plus loin.
Comme vous nous y avez invités dans votre courrier, monsieur le président du Sénat, nous aurons bientôt l’occasion d’échanger sur les modalités de mise en œuvre d’un dialogue le plus fructueux possible sur les réformes que nous allons engager. Clemenceau lui-même a fini par déclarer : « Les événements m’ont appris qu’il fallait donner au peuple le temps de la réflexion. Le temps de la réflexion, c’est le Sénat » ; on pourrait ajouter que c’est aussi le temps du dialogue.
Je vous remercie de tout ce que le Sénat pourra apporter à notre pays dans cette période inédite. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et UC.)