M. Loïc Hervé. Eh oui !
M. Hervé Marseille. L’un des rares sujets ayant émergé des campagnes est celui des retraites. Nous approuvons la nécessité d’une réforme. Vous avez habilement évité de citer un âge de départ à la retraite, tout en mentionnant la nécessité de travailler plus. Pour nous, le paramètre juste est celui de la durée de cotisation. Dans un régime assurantiel, c’est bien lui qui détermine le niveau des droits.
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Hervé Marseille. C’est dans cette direction que nous vous proposerons d’aller.
Cette réforme est susceptible d’intervenir alors que la situation budgétaire du pays est extrêmement préoccupante. Nos moyens d’action sont amputés, car il n’est pas envisageable d’augmenter les prélèvements.
Il faut donc agir sur les dépenses. Nous devons bien sûr soutenir le pouvoir d’achat, à condition de n’aider que ceux qui en ont impérativement besoin, et de commencer à faire les économies correspondantes. L’illusion de l’argent magique ne doit pas perdurer, notamment au détriment des collectivités locales, qui ne doivent plus servir de variable d’ajustement.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Hervé Marseille. Par exemple, l’annonce de la suppression de la redevance télévisuelle ne peut pas s’accompagner d’une ponction sur les dotations des collectivités territoriales. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Puisque nous cherchons à faire des économies, acceptons d’être moins pointilleux sur les normes qui contraignent souvent nos collectivités.
Enfin, nous partageons votre regard sur l’état de la planète, le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité et les pollutions en tout genre. Comme vous, nous considérons que la décroissance n’est plus une option, car elle est socialement et humainement impraticable, en France comme ailleurs.
Nous croyons que la puissance de l’innovation nous permettra de sortir par le haut des contradictions de notre modèle, ce qui, comme vous l’avez précisé, ne pourra pas se faire sans le nucléaire – la crise ukrainienne l’a encore cruellement rappelé. Nous ne pouvons que nous réjouir de vos engagements, mais nous ne sommes pas pour autant sortis de l’ambiguïté. Six projets fermes d’EPR, c’est peu, et il faudra aller plus loin.
Par ailleurs, la part du nucléaire est toujours limitée à 50 % du mix électrique. Enfin, il faudra sûrement prolonger le plus possible la durée de vie des réacteurs actuels, comme aux États-Unis, sous peine d’être contraints de recourir au gaz ou au charbon – la réouverture de Saint-Avold en témoigne –, et donc de faillir à nos obligations de réduction des émissions de carbone.
Dans le même esprit de responsabilité et de réalisme, il est certes nécessaire de limiter l’artificialisation des terres, mais nous nous opposons totalement à une approche dogmatique qui fige les territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Hervé Marseille. Les décrets d’application de la loi Climat et résilience sont inapplicables et inacceptables pour beaucoup d’élus. Il est par exemple absurde que les grands travaux d’intérêt national cannibalisent le potentiel d’artificialisation de toute une région. Ils devraient plutôt être versés dans une enveloppe nationale, pour qu’une péréquation puisse s’opérer. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe UC.)
En un mot, nous devons retravailler d’urgence avec les collectivités non pas l’objectif de la « zéro artificialisation nette » (ZAN), mais les moyens d’y parvenir.
Madame la Première ministre, je ne donnais là que quelques exemples les plus en vue des dossiers qui nous attendent, pour illustrer l’état d’esprit qui nous animera.
Vous aviez dit avoir une boussole, celle de bâtir pour le pays. Certains, plus érudits que moi, ont convoqué le général de Gaulle, d’autres l’esprit boulanger, avec les miettes et le pain. (Rires.)
Permettez-moi de terminer en citant un auteur que nous aimons particulièrement au Sénat, M. le président Larcher : (Rires.) : « Nous ne disons jamais “oui” par discipline ou “non” par dogmatisme. » Vous avez bien compris que nous souhaitons travailler dans l’intérêt du pays. Chaque fois que vous le voudrez bien, nous travaillerons dans cet état d’esprit. (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées des groupes UC, RDSE, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. François Patriat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes sensibles, madame la Première ministre, au message que vous avez envoyé au Sénat. Même s’il n’est pas toujours facile d’y affirmer son soutien au Gouvernement,…
M. Claude Raynal. Oh ! Pauvre chouchou ! (Sourires.)
Mme Laurence Rossignol. Calimero ! (Mêmes mouvements.)
M. François Patriat. … je vais m’y atteler modestement.
L’heure est à la gravité et à la responsabilité, mais elle est aussi à l’ambition. C’est dans un contexte inédit que s’inscrit votre présentation de la démarche du Gouvernement.
Une guerre en Europe qui continue à faire rage, une pénurie de matières premières, une inflation continue, une hausse des prix de l’énergie, une insécurité alimentaire, les effets croissants du dérèglement climatique, sans parler de la pandémie : cette situation appelle de notre part lucidité et courage politique.
Le vote aux dernières élections législatives reflète de vraies inquiétudes et révèle de profondes fractures, comme certains d’entre vous l’ont évoqué.
En n’accordant la majorité absolue à aucune force politique, les Françaises et les Français ont souhaité renforcer le poids du Parlement dans l’élaboration des réformes et la décision politique.
Malgré tout, seule la majorité présidentielle est en mesure de gouverner le pays : à ce jour, il n’y a pas d’autre possibilité.
Le Gouvernement a reçu le message lui signifiant qu’il devait élargir le dialogue. Les oppositions nationales ne l’ayant pas souhaité, il n’y aura pas d’accord de gouvernement ni de coalition.
C’est donc texte par texte que nous devrons construire des compromis exigeants.
Mes chers collègues, plusieurs choix s’offrent à nous : l’action ou l’immobilisme ; le dépassement ou les postures délétères ; la volonté ou la fatalité ; le courage ou la facilité.
Le pire serait l’affrontement ou le refus du dialogue. Privilégier les postures partisanes conduirait notre pays à la stagnation ou, pis, au recul. Les Français ne nous le pardonneraient pas.
C’est donc en responsabilité que le groupe RDPI fait le choix de l’action déterminée à vos côtés. En un mot, nous voulons construire ensemble, comme vous le proposez, madame la Première ministre.
Mes chers collègues, je suis convaincu que l’ensemble de nos groupes ont vocation à agir dans ce sens. Nous avons su, lors des dernières sessions parlementaires, trouver des compromis sur les textes essentiels, comme en témoigne le nombre de commissions mixtes paritaires conclusives au cours du dernier quinquennat.
À court terme, l’art du compromis fera mentir tous ceux qui pensent que la France n’est pas réformable, et que les politiques sont vouées à l’impuissance.
À long terme, pouvons-nous espérer réconcilier les Français avec leurs élus ? Mes chers collègues, madame la Première ministre, il nous faut gagner la bataille contre cet ennemi mortel du progrès qu’est la résignation.
Il nous appartient de ramener à l’espérance ces jeunes, ces femmes et ces hommes de tous horizons politiques, qui ont préféré s’abstenir ou, pis, se tourner vers les extrêmes populistes.
Contre cet abandon du terrain aux mauvais vents, nous devons nous efforcer de faire partager notre goût de l’action au service de l’État, ce dernier ne pouvant réellement protéger que s’il devient un État investisseur, catalyseur d’énergies, accompagnateur d’initiatives.
C’est à ce point d’équilibre, entre la liberté sans laquelle on s’éteint et la protection sans laquelle on devient victime, que se trouve notre idéal de progrès.
Nous sommes là pour participer à l’application du projet proposé par le chef de l’État, que souhaitent les Français. Il s’agit d’un projet cohérent, crédible et financé. Nous devrons donc travailler ensemble en matière d’urgence écologique, de plein emploi, de santé et de sécurité.
Je ne doute pas que nous saurons discerner les priorités et les resserrer dans des textes moins bavards. Tout le monde le dit : nous légiférons souvent trop. Essayons de résoudre ce problème, en ayant pour seul objectif de défendre l’intérêt général, de participer au redressement du pays, de choisir la voie du progrès.
Madame la Première ministre, parmi vos priorités, j’ai retenu votre volonté de protéger les Françaises et les Français et de construire l’avenir.
Le travail de fond mené depuis 2017 a permis d’obtenir des résultats positifs : un taux de chômage au plus bas depuis plusieurs dizaines d’années ; un taux de croissance qui résiste ; une économie toujours plus attractive ; une inflation annuelle la plus faible de la zone euro. Saluons également les chiffres de l’apprentissage et la réussite du programme « 1 jeune, 1 solution », qui vous revient !
Désormais, l’urgence est à la lutte contre les effets de la hausse des prix et à l’équilibre de nos comptes publics. C’est par le travail, la croissance et l’emploi que nous réduirons notre déficit, et non seulement par l’orthodoxie budgétaire, qui est certes nécessaire, mais qui ne vise pas à décourager les Français par l’impôt et par les charges.
Je rappelle que l’objectif du Gouvernement est de créer du progrès social sans augmenter les impôts et en maîtrisant la dette. Cet objectif doit nous réunir. Les mesures emblématiques du texte « pouvoir d’achat » sur lequel nous serons amenés à débattre vont y participer.
Beaucoup de Français, et notamment les plus jeunes, se sont emparés de l’urgence climatique. À vous écouter, le Gouvernement a entendu ce message.
Des actions dont l’efficacité n’a pas été suffisamment soulignée ont déjà été prises : MaPrimRenov’, la reconversion des véhicules, la lutte contre l’artificialisation des sols, la production décarbonée, la fin de l’exploitation des hydrocarbures, la lutte contre les emballages en plastique. Nous devons poursuivre ces efforts. Des leviers d’adaptation justes doivent être rapidement mis en place.
À ce titre, saluons les accords européens sur le « paquet climat » et la réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, adoptés sous la présidence française du Conseil de l’Union européenne.
Ce que nous voulons, c’est une écologie positive, une écologie du quotidien, inventive et réactive, pour bâtir un nouveau modèle énergétique et faire de la France le premier grand pays du monde à sortir de la dépendance à l’égard des énergies fossiles.
Par conséquent, tout ce qui peut renforcer et faciliter la production d’énergies renouvelables va dans le bon sens. L’administration centrale et déconcentrée doit véritablement accompagner le déploiement des énergies renouvelables et accélérer la transition énergétique. Trop de projets sont freinés sur nos territoires à cause de lourdeurs administratives.
Repenser le système de santé constitue aussi une urgence pour les Français. Le Gouvernement s’y emploiera. Madame la Première ministre, vous avez rappelé les efforts engagés à travers le Ségur de la santé. Dans chacun de nos territoires, de nos centres hospitaliers universitaires et de nos hôpitaux locaux, des moyens sans précédent ont été mobilisés pour moderniser l’hôpital.
Nous avons bien sûr déjà travaillé à la lutte contre les déserts médicaux. Le ministre de la santé et de la prévention a ouvert des pistes supplémentaires, et nous continuerons à travailler ensemble pour les suivre. L’hôpital doit être repensé. Le Président a raison de vouloir lancer dès l’automne des débats territoriaux pour une feuille d’action accélérée, au plus près des besoins des territoires.
Enfin, il nous appartient d’assurer la sécurité à nos concitoyens. L’examen prochain du projet de loi d’orientation et de programmation pour le ministère de l’intérieur y contribuera nécessairement.
Par ailleurs, nous serons attentifs à la mise en œuvre des conclusions des états généraux de la justice, remises très prochainement au Président de la République. L’enjeu est crucial. Il s’agit de renforcer l’efficacité de la justice, de la moderniser et de répondre au malaise existant parmi les professionnels, c’est-à-dire, en somme, de consolider le pacte civique entre la Nation et la justice.
Nous approuvons la méthode des « états généraux », faite de larges concertations ouvertes au terrain, intégrant usagers, professionnels et élus autour des parties prenantes, mues par la perspective d’améliorations profondes. Cette méthode répond, madame la Première ministre, à votre proposition de construire ensemble, et nous y souscrivons.
Enfin, madame la Première ministre, je ne peux terminer mon propos sans évoquer le cri d’alerte poussé dans nos territoires ultramarins.
Le choix des extrêmes, amplifié par le taux d’abstention aux dernières élections, est l’expression inédite d’une réelle fracture. Les raisons en sont multiples, mais nous ne devons pas négliger l’influence nocive des fausses informations et des contre-vérités qui ont été assénées. Beaucoup de moyens ont été déployés, mais ces territoires souffrent d’un manque de dialogue, d’un manque de concertation voire d’un manque de différenciation.
Nous devons collectivement repenser la relation entre nos territoires ultramarins et l’Hexagone, pour davantage de confiance, de dialogue et de différenciation, et surtout afin de s’inscrire au plus près des besoins quotidiens de nos compatriotes d’outre-mer.
Pour conclure, madame la Première ministre, votre action visera donc à accompagner notre pays vers une transition réussie, qu’elle soit d’ordre écologique, numérique, générationnel ou encore démocratique, le tout dans un contexte géopolitique inédit et des plus instables à nos frontières européennes.
Pour cette raison, le groupe RDPI vous accorde toute sa confiance, et sera à vos côtés pour rendre possibles ces réformes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la Première ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la France vit une situation politique inédite.
Pour la première fois dans le cadre du quinquennat, un Président de la République et son gouvernement ne disposent pas du soutien d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale.
Pour la première fois depuis trente ans, un gouvernement s’apprête à agir sans la confiance des parlementaires.
Comment Emmanuel Macron en est-il arrivé là ?
Tout d’abord, les élections en 2017 et en 2022 sont le résultat non pas d’une adhésion à un programme, mais d’une mobilisation contre l’extrême droite. Le chef de l’État nie l’évidence. Le 22 juin, il affirmait même que son élection s’était faite « sur le fondement d’un projet clair, en [lui] donnant une légitimité claire ».
Or l’étape nouvelle de la crise institutionnelle que nous vivons puise sa source dans un hiatus démocratique évident. Emmanuel Macron a vaincu Mme Le Pen grâce à l’électorat de gauche, celui de la droite lui étant déjà acquis dès le premier tour, tandis que des millions d’électeurs faisaient le choix de l’abstention.
À l’évidence, il faut imaginer un nouveau régime parlementaire véritablement ouvert aux citoyens.
En effet, nous en sommes arrivés là, car ce qui est rejeté aujourd’hui, outre un bilan sur lequel je reviendrai, c’est la verticalité d’un pouvoir méprisant et d’une dérive monarchique.
Emmanuel Macron a failli dans l’exercice démocratique du pouvoir, et il a été sanctionné en conséquence. Je le répète, il n’a pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale.
Enfin, une raison fondamentale a conduit à la crise que nous connaissons. Durant ces cinq années, le Président a été perçu comme celui des riches, parce qu’il l’a été. Les chiffres sont là ! Laissez-moi vous donner un seul exemple : en 2021, les salaires des PDG du CAC 40 ont presque doublé.
Dois-je faire le point sur l’explosion des dividendes, ou rappeler que, malgré toutes les belles déclarations gouvernementales, l’évasion fiscale se maintient à hauteur de 80 à 100 milliards d’euros par an, soit près du double du budget annuel de l’éducation nationale ?
Le ruissellement n’a pas eu lieu. Au mieux, les salaires ont stagné, le plus urgent étant pour vous de supprimer l’impôt sur la fortune mobilière. La flat tax et l’exit tax ont pu poursuivre leur belle vie, petits arrangements fiscaux bien au chaud dans le nid douillet de la Macronie.
Le « en même temps » aurait dû entraîner une amélioration de la vie des salariés les plus pauvres. Que nenni ! Nous avons connu la casse du droit du travail par les ordonnances Pénicaud, la baisse des APL, la mise en cause des droits des chômeurs par votre projet, madame la Première ministre, ainsi que l’accélération de la libéralisation du transport ferroviaire, contredisant son essor écologique.
Après la réforme de l’assurance chômage, des millions de chômeurs n’ont pas été indemnisés, puisqu’il faut désormais avoir travaillé au moins six mois, et non plus quatre mois, pour être pris en charge. Il s’agit d’une réforme honteuse : alors que les actionnaires et financiers de tout poil s’engraissaient, vous avez appauvri les chômeurs !
Durant la crise de la covid-19, la Nation tout entière a fait un grand effort pour permettre à notre pays et à son économie de passer l’épreuve.
Nous avons aussi pu constater que les moyens existaient pour agir. La mobilisation financière qui a été possible face à la covid-19 doit être renouvelée pour faire face à l’urgence sociale, éducative et écologique.
Les comptes d’apothicaire ne sont plus de mise. Oui, il est temps d’agir pour redresser notre pays et tracer un avenir.
Votre projet sur le pouvoir d’achat n’est pas à la hauteur des besoins. Il ne permettra pas de relancer la consommation et la mécanique économique. Il ne répondra pas à la détresse de millions de nos compatriotes.
L’inflation galope, soutenue par une spéculation indigne. Il faut d’urgence bloquer les prix des produits de première nécessité et baisser les prix de l’énergie : carburant, électricité et gaz. Les chèques, cela suffit ! 100 euros par-ci, 150 euros par-là peuvent donner l’illusion d’une aide, mais comment imaginer qu’une aumône de 100 euros permettra aux étudiants en difficulté de se loger, de se nourrir, d’acheter du matériel ? Il faut une véritable allocation étudiante de 1 053 euros par mois, comme nous le proposons avec nos amis de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes).
Plus généralement, il faut augmenter les pensions et les salaires. Voilà, madame la Première ministre, la clé d’une amélioration réelle et pérenne de la situation. Le SMIC à 1 500 euros net tout de suite est une nécessité absolue pour des milliers de salariés. C’est le Gouvernement qui peut donner le la en matière salariale, en augmentant le SMIC, ce qui entraînera, par un effet domino, une augmentation générale des salaires.
Qu’est-ce qui bloque, madame la Première ministre ? Le patronat ?
Mme Éliane Assassi. Le CAC 40 ?
Mme Éliane Assassi. La situation politique, le signal fort envoyé par les électeurs exigent que ce soit l’intérêt général qui prime et non l’intérêt de ceux qui détiennent le pouvoir de l’argent. Il faut immédiatement convoquer une conférence nationale sur les salaires. Le capital doit rétribuer dignement le travail. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Martine Filleul et M. Jean-Luc Fichet applaudissent également.)
Agir pour le peuple, dans l’intérêt du peuple et en écoutant le peuple, ce n’est certainement pas retarder l’âge du départ à la retraite. Là aussi, Emmanuel Macron, s’il persistait, ne respecterait pas la volonté des électeurs. Ces derniers n’ont pas voté pour cette mesure, comme ils ne l’avaient pas fait en 2017. Ils exigent au contraire la retraite à 60 ans. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Agir, cela ne peut consister à mettre au travail les bénéficiaires du revenu de solidarité active. Agir, cela ne peut consister à baisser les impôts, surtout pour les patrons, puisque vous programmez une baisse de 7 milliards des impôts de production, ce qui mettra d’ailleurs à mal les finances des collectivités locales via la suppression de la CVAE. Les collectivités territoriales, tant dans l’Hexagone qu’en outre-mer, sont en première ligne face à la crise sociale. Il faut compenser la hausse du coût de l’énergie qui grève leur budget, ainsi que l’augmentation, pleinement justifiée, mais encore trop faible, des traitements des fonctionnaires territoriaux, faute de quoi le service public en pâtira.
Agir pour le pouvoir d’achat, c’est geler les loyers pour ceux qui ne peuvent plus les payer. Le logement doit redevenir une grande cause nationale ; nous tenons à votre disposition une proposition de loi précise sur ce sujet.
L’accès aux soins doit également être une priorité. Cessez de suivre les recommandations des cabinets de conseil, comme McKinsey et Capgemini ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe SER. – Mme Raymonde Poncet Monge ainsi que Mme Christine Bonfanti-Dossat et M. Alain Houpert applaudissent également.) L’épidémie de covid-19 a mis en évidence la crise de notre système de santé, à l’hôpital et dans les Ehpad. Il faut les soustraire à la loi du marché. Alors que la septième vague du virus est là, allez-vous agir, informer, recruter, équiper ? Allez-vous construire et payer dignement, pour casser la désertification médicale ? Allez-vous assurer un remboursement digne, en commençant par appliquer réellement le remboursement à 100 % ?
L’éducation nationale est également en danger. Il manque 3 000 postes pour la rentrée. Un exemple pour décrire la situation : 426 professeurs d’école ont été admis dans l’académie de Versailles alors qu’il y a 1 430 postes à pourvoir !
Un effort financier considérable doit donc être engagé, le développement des services publics, de l’enseignement aux transports, de la police à l’hôpital, en dépend. Cet effort financier sera nécessaire pour mettre en œuvre une nouvelle politique industrielle et agricole fondée sur les relocalisations et le respect de la planète.
En si peu de temps, il n’est pas possible de vous répondre sur tous les points, madame la Première ministre, mais votre logiciel de régression sociale et de casse annoncée des services publics, le peuple n’en veut pas !
Nous n’avons pas d’illusion : la réalité politique pousse votre gouvernement vers la droite des hémicycles et, depuis cinq ans, la majorité sénatoriale a très souvent soutenu les poussées libérales de M. Macron. Votre projet sur les retraites, par exemple, obtiendra à coup sûr son soutien.
Madame la Première ministre, nous vous disons aussi : « Attention à toute tentative d’un jeu mortifère avec le Rassemblement national ! », qui tourne, toujours et encore, le dos à l’idée même de progrès.
Oui, madame la Première ministre, nous serons vigilants, afin que notre peuple soit préservé de la violence libérale et de la haine, et nous porterons en permanence, avec les députés de la Nupes, l’espoir de progrès, de justice sociale et d’une transition énergétique d’une urgence évidente. En somme, nous opposerons à votre logiciel libéral un logiciel de progrès, de transformation pour répondre véritablement aux exigences populaires. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je veux à mon tour, madame la Première ministre, saluer votre nomination à la tête du Gouvernement et vous adresser, au nom de mes collègues du RDSE et en mon nom propre, nos vœux de pleine réussite. Nous savons que votre tâche s’annonce ardue, mais notre pays et nos concitoyens méritent que vous trouviez la voie du succès.
En effet, c’est un fait incontestable que nous nous situons à un moment charnière de notre histoire collective, dont les causes remontent à plusieurs décennies. Assumant dans toute sa complexité notre histoire – ses épisodes glorieux comme les plus sombres –, nous avons pourtant bien du mal à dessiner un avenir pour un pays en profonde mutation économique et sociale, qui regorge de bien des richesses, mais qui ne sait plus quelle est sa place dans une économie mondialisée, dont les centres de décision semblent lui échapper. Nous constatons, parfois impuissants, que l’innovation se dessine de plus en plus hors d’Europe, que notre industrie recule inexorablement et que notre influence culturelle s’amenuise. Pour tout dire, c’est la définition même de notre souveraineté qui semble mise en balance ; mais quoi de plus normal dans un monde désormais multipolaire ?
Pour notre part, nous ne sommes pas de ceux qui se lamentent d’un déclin irréversible de la France, englués dans les passions tristes d’une nostalgie névrosée. Nous croyons au contraire aux vertus de l’action, du progrès et du génie collectif de notre peuple, comme chaque fois qu’il est confronté à des choix difficiles.
Oui, nous venons de traverser des années difficiles qui ont durement éprouvé les esprits et les corps : série d’attentats terroristes, crise des « gilets jaunes », pandémie de covid-19 et, aujourd’hui, retour de l’inflation. Au cours de toutes ces épreuves, notre société aurait pu basculer dans l’irrationnel et se diviser en fractions irréconciliables. Tel n’a pas été le cas, même si les extrêmes ont su capitaliser sur toutes les peurs pour avancer leurs pions mortifères et pousser leur avantage, au risque de cultiver la violence politique, symbolique, voire physique.
Scrutin après scrutin, l’abstention s’enracine. Chaque fois, nous le déplorons et pensons en avoir compris les causes pour mieux en tirer les leçons, mais, chaque fois, l’abstention progresse, déplaçant les contestations de l’urne à la rue, avec une montée en puissance de la violence.
Or nous devons maintenant y mettre un terme, d’abord en redonnant une véritable portée à l’unité nationale, qui a été trop souvent galvaudée au cours des dernières décennies. Les inégalités économiques et sociales nourrissent une citoyenneté à plusieurs vitesses, qui n’est plus acceptable et qui conduit dans le pire des cas au séparatisme.
Au contraire, notre société a besoin d’apaisement et de dialogue. Nous devons faire sentir à chacun, quel que soit son parcours, qu’il fait pleinement partie de la Nation et que sa voix pèsera. Pour cela, nous considérons qu’il faut encourager le débat sous toutes ses formes, revitaliser les corps intermédiaires et mieux conjuguer démocratie représentative et expression directe. Nous appelons à un véritable sursaut de la conception de la citoyenneté, dans le prolongement des propositions concrètes de notre collègue Henri Cabanel. Il y a urgence à recréer les conditions d’une destinée commune et à redonner aux jeunes l’envie de s’engager pour l’intérêt général.
Néanmoins, tout cela restera vain si l’éducation nationale n’est pas érigée au rang de priorité absolue, au moment où le rationalisme est remis en cause dans de nombreux cénacles, où l’universalisme ne va plus de soi, où la laïcité à l’école est violemment contestée, mais aussi où nous reculons dans les classements internationaux. Au pays de Voltaire et de Pasteur et alors que nous nous honorons d’une nouvelle médaille Fields, le travail à accomplir reste considérable pour que les jeunes soient demain des citoyens éclairés.
À cette crise de la démocratie s’ajoute une crise économique et sociale, dont les « gilets jaunes » n’ont été que la face la plus exacerbée. Par-delà les excès se sont exprimées des préoccupations légitimes, celles d’une partie de la population qui se sent aujourd’hui à l’écart de la mondialisation heureuse, oubliée de l’État avec des services publics de moins en moins présents, évincée de la croissance avec une désindustrialisation massive et peu d’espoir de mobilité sociale, victime de la fracture numérique à l’heure de la dématérialisation de masse, même si les choses s’améliorent de ce point de vue.
Je pense aussi à nos concitoyens de la ruralité, qui n’ont évidemment pas les mêmes facilités d’accès que les populations urbaines aux mobilités dites « douces » et écologiques. Cela ne signifie pas qu’ils soient rétifs à l’écologie, mais, trop souvent, ils ont le sentiment d’être pris de haut à propos de leur mode de vie. La transition écologique ne fonctionnera pas si elle se fait contre nos concitoyens, dans une logique purement punitive.
Nous nous réjouissons évidemment et attendons beaucoup de la nomination de la radicale Dominique Faure au secrétariat d’État à la ruralité, où elle succède à l’excellent Joël Giraud. La ruralité est non pas une charge, mais une chance pour la France !
La question du pouvoir d’achat doit évidemment être au cœur des priorités du Gouvernement. L’explosion du coût des matières premières affecte d’abord les plus fragiles dans leurs consommations de première nécessité. La hausse des prix de l’énergie frappe durablement notre modèle économique et pénalise nos collectivités territoriales. Des solutions pérennes doivent être trouvées, conciliant impératif écologique et soutenabilité financière.
Madame la Première ministre, toutes les démocraties libérales sont aujourd’hui confrontées à cette crise protéiforme, qui remet en cause des acquis parfois séculaires. L’absence de majorité claire ne signifie pas pour autant immobilisme et blocage. Nous avons le sens de la responsabilité : le groupe du RDSE, dans toute sa diversité, est disposé à travailler à vos côtés, sans esprit partisan ni idéologie, mais toujours en faveur de l’intérêt général de nos concitoyens et de nos collectivités. Nous saluons d’ailleurs l’annonce, dans votre discours de politique générale, de la déconjugalisation de l’AAH, que nous avions soutenue, et de la renationalisation d’EDF.
C’est dans cet esprit constructif, ouvert, progressiste et attaché à l’ordre républicain que nous avons travaillé à nos propositions de loi, celles d’Henri Cabanel sur la citoyenneté, de Nathalie Delattre sur la protection pénale des élus, d’Éric Gold sur l’avenir du ferroviaire, de Jean-Yves Roux sur l’instruction des documents d’urbanisme ou encore celle de Christian Bilhac visant à proposer un contrat solidaire d’utilité républicaine. Nous aurons d’autres propositions à vous soumettre pour nos territoires ; vous connaissez notre attachement à la décentralisation.
Vous le savez, guidés par la défense de l’intérêt général, nous restons viscéralement attachés à la liberté de vote au sein de notre groupe, liberté que beaucoup ici nous envient en secret… (Sourires.)
Dans tous les cas, nous nous réjouissons de constater que Sénat trouve aujourd’hui une place particulière dans le jeu institutionnel, sans se départir de ses vertus de modération. Vous trouverez ici, à n’en pas douter, des interlocuteurs exigeants, mais tous empreints du sens de la République, à rebours des excès des populistes de tout bord, encore enfiévrés par des lendemains d’élection qui chantent, mais qui découvriront assez tôt qu’être un parlementaire exige responsabilité et gravité…
À vous, madame la Première ministre, de donner, avec votre gouvernement, des gages de bonne volonté à la Haute Assemblée, le Sénat, plus que jamais chambre des territoires et des collectivités. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP, UC et RDPI.)