Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous étudions cet après-midi, en nouvelle lecture, la proposition de loi relative au choix du nom issu de la filiation, dont les dispositions devraient pouvoir entrer en vigueur en juillet prochain.
Déposée par notre collègue député Patrick Vignal, elle a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale à une large majorité.
Le texte doit permettre à toute personne de modifier une fois dans sa vie son patronyme, de façon plus simple qu’il n’est possible de le faire aujourd’hui. En effet, si la procédure de changement de nom est d’ores et déjà possible dans certains cas – par exemple dans le cas d’un nom à consonance ridicule ou déconsidéré –, elle n’en reste pas moins difficile, coûteuse et aléatoire.
Il s’agit donc, d’une part, d’assouplir les modalités de changement de nom de famille. Tout majeur pourrait demander à prendre ou ajouter le nom de son autre parent. Cela pourrait se faire via une simple démarche en mairie, sans justification. Je souligne que cette faculté demeurerait uniquement dans le cercle familial et ne permettrait en rien un choix totalement libre du nom.
Il s’agit, d’autre part, de faciliter la vie des parents dont les enfants ne portent pas le nom. Ces situations fréquentes concernent en premier lieu les familles monoparentales et, par conséquent, très majoritairement les femmes. Ces dernières, à la suite d’un divorce par exemple, peuvent se retrouver contraintes de recourir systématiquement au livret de famille pour prouver leur lien avec leurs enfants lors de démarches banales : scolaires, administratives ou médicales.
Pour sortir de ces situations, le texte de Patrick Vignal facilite pour les enfants le port, en plus du nom de famille donné à la naissance, du nom de l’autre parent au titre de nom d’usage.
Nous sommes très favorables à cette évolution. L’objectif est de faciliter à la fois le quotidien des parents qui élèvent seuls leur enfant qui ne porte pas leur nom et celui des personnes majeures qui ne veulent plus porter le nom du parent qui leur a été transmis, pour des motifs affectifs – délaissement ou violences, par exemple.
La procédure existante, par décret, est complexe et incertaine. Elle dure deux ans en moyenne et est soumise à de lourdes formalités de publicité. Au Sénat, le texte a été modifié de façon substantielle par l’adoption de plusieurs amendements. Ces derniers concernent notamment la suppression de la faculté de substituer le nom d’un parent à celui d’un autre à titre de nom d’usage de l’enfant, le maintien de la condition de double consentement pour procéder à une adjonction de nom, ainsi qu’une modification de la procédure simplifiée de changement de nom pour les personnes souhaitant porter le nom du parent qui ne leur a pas transmis le sien. Celle-ci ne se ferait plus directement devant l’officier d’état civil, mais devant la Chancellerie.
La commission mixte paritaire n’est pas parvenue à une version de compromis. En nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a rétabli, en majeure partie, le texte initial. Toutefois, à l’article 2 – qui est relatif à la procédure simplifiée susmentionnée –, les députés ont respecté la volonté du Sénat de laisser au demandeur un temps plus long afin de sécuriser ses réflexions. Il est ainsi écrit que « le changement de nom n’est consigné qu’après confirmation par l’intéressé devant l’officier de l’état civil, au plus tôt un mois après la réception de la demande. » Nous sommes favorables à cette rédaction.
Un certain nombre d’autres garanties sont prévues par ce texte. Elles ont été rappelées.
Nous soutiendrons le texte transmis par les députés et voterons contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous regrettons que la commission mixte paritaire ne soit pas parvenue à s’entendre sur un texte commun. Nos deux chambres partageaient pourtant le constat essentiel suivant : la procédure actuelle de changement de nom est trop longue et bien trop complexe.
L’Assemblée nationale, soutenue par le Gouvernement, proposait une simplification radicale. Par simple dépôt de formulaire, nos concitoyens auraient pu, une fois dans leur vie, changer de nom, adjoindre ou substituer à leur nom de famille celui du parent qui ne leur a pas transmis le sien.
Le nom de famille est un héritage. Il nous est transmis sans que nous le choisissions. L’héritage est parfois bien lourd à porter. Certains noms sont des injures, d’autres finissent par le devenir. D’autres encore prêtent à rire, mais ne font même plus sourire ceux qui les portent. D’autres enfin renvoient à une histoire difficile et empêchent de tourner la page de violences ou d’abus.
Celles et ceux qui souhaitent changer de nom de famille doivent saisir le ministère de la justice, puis justifier d’un intérêt légitime. Le changement nécessite la prise d’un décret et sa transcription.
La commission des lois du Sénat convenait de la nécessité de simplifier la procédure. Elle proposait cependant de maintenir la procédure en vigueur, en la simplifiant. Les demandeurs qui souhaitaient changer de nom en utilisant le nom de leurs parents n’auraient pas eu à démontrer d’intérêt légitime.
Cette solution visait deux objectifs, le premier étant la simplification de la procédure. L’absence de motif devait en effet raccourcir les délais. Le deuxième objectif était le maintien de sa solennité. La saisine du ministère de la justice en vue de la prise d’un décret et celle du Conseil d’État ne sont pas des démarches que l’on entreprend à la légère.
Changer de nom n’est en effet pas un acte anodin. Certains de nos concitoyens craignaient un état civil « à la carte ».
Nous comprenons ces préoccupations, fondées sur le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes. Cependant, rien ne nous permet de croire que nos concitoyens se saisiraient de cette possibilité à mauvais escient.
La commission mixte paritaire n’a pas su s’accorder sur un dispositif commun. Les points de convergence étaient pourtant nombreux.
Mme Marie Mercier, rapporteur. Oui, c’est vrai !
M. Joël Guerriau. Le Sénat souhaitait que les 3 000 à 4 000 demandes annuelles de changement de nom continuent d’être traitées par la Chancellerie. L’Assemblée nationale proposait quant à elle une procédure reposant sur les mairies.
Nous comprenons parfaitement la logique consistant à décentraliser cette procédure et à la rapprocher de nos concitoyens. Il faut néanmoins rappeler que la durée moyenne d’une procédure de changement de nom est aujourd’hui de sept ans, alors que la procédure est gérée par le ministère de la justice.
Un transfert de cette compétence vers les services municipaux entraînera nécessairement leur plus grande sollicitation. Une telle décentralisation doit être accompagnée des financements correspondants.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires regrette que les deux chambres n’aient pas pu s’accorder alors que leurs visions de la situation étaient très proches.
5
Modification de l’ordre du jour
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous informe que le Sénat siégera demain, vendredi 25 février, à quatorze heures trente, dans la salle des séances afin d’entendre, en application de l’article 18 de la Constitution, un message du Président de la République.
En application du même article 18 de la Constitution, ce message ne donnera lieu à aucun débat.
Par ailleurs, une déclaration suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, aura lieu la semaine prochaine, à la demande du Gouvernement. La conférence des présidents se réunira mardi 1er mars, à quatorze heures pour en fixer les modalités.
6
Choix du nom issu de la filiation
Suite de la discussion en nouvelle lecture et rejet d’une proposition de loi
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relative au choix du nom issu de la filiation.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Di Folco. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Catherine Di Folco. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la matière sur laquelle nous légiférons une nouvelle fois en ce jour est grave, intime et complexe.
Toucher à l’institution du nom et à son évolution, c’est toucher à l’un des premiers marqueurs de l’identification d’une personne, mais aussi, indirectement, à son histoire personnelle, à ses origines et à sa descendance.
Le nom évolue, change, disparaît parfois, fidèle en cela aux développements de nos vies humaines, traversées par des naissances, des mariages, des ruptures ou des décès.
Modifier le droit des personnes ne peut ainsi se faire que prudemment, quelles que soient les douleurs vécues par tel ou tel.
Ces douleurs, Mme le rapporteur les a entendues. Nous les avons entendues et nous n’y sommes pas insensibles – contrairement à ce que j’ai entendu dire par notre collègue Hussein Bourgi. Nous les comprenons, et nous partageons l’idée selon laquelle il était opportun de légiférer pour assouplir notre droit dans certaines circonstances.
Cependant, changer nos règles communes sur de tels sujets ne peut se faire dans la précipitation ou l’émotion, et je regrette une nouvelle fois que nous ayons dû examiner ce texte dans de telles conditions.
Sur le fond, le Sénat a souhaité établir en première lecture un texte conciliant davantage stabilité du nom et volonté individuelle, afin notamment de mieux prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant qui a été le souci permanent de notre rapporteur, dont je salue le travail remarquable qu’elle a mené avec la sensibilité que nous lui connaissons.
C’est dans un esprit constructif que notre assemblée avait suivi le Gouvernement à l’article 1er pour permettre aux majeurs la substitution d’un nom de parent par un autre, au titre du nom d’usage. Nous avions cependant refusé cette possibilité pour les mineurs, considérant que la substitution – qui va nettement plus loin que la simple adjonction – était un acte grave et que le droit existant s’avérait plus protecteur.
Nous avions par ailleurs voté les dispositions de l’article 2 qui permettaient aux adultes, selon une procédure simplifiée, de choisir leur nom de famille parmi les noms issus de la filiation au premier degré, une fois dans leur vie. Nous avons été nombreux à reconnaître dans cette possibilité une mesure pertinente, à condition qu’elle ne soit pas banalisée sous prétexte de simplification administrative.
Il nous faut, sur ce sujet, faire preuve de bon sens : si la proposition de loi vise à faciliter le changement de nom, d’usage ou de famille, c’est bien parce que ses auteurs en ont reconnu l’importance symbolique et historique dans la vie de chacun.
Comment, dès lors, envisager que l’évolution du nom puisse devenir un acte anodin, réduit aux plus simples formalités ?
Nous en convenons tous, la procédure actuelle est dysfonctionnelle et lourde. Néanmoins, ce n’est pas parce que l’administration centrale fait face à une surcharge de travail qu’il convenait de se défausser sur l’échelon local.
La proposition de loi envisageait une nouvelle procédure, déléguée aux communes. Nous nous y sommes opposés, tant pour maintenir la solennité d’une décision centralisée que pour éviter à nos communes de se voir confier une charge supplémentaire dont elles pourraient se passer.
Nous avions proposé une procédure plus simple, conduisant à la prise d’un arrêté ministériel. Le Gouvernement s’y est opposé.
Chers collègues, vous en conviendrez, les sujets de divergence avec le Gouvernement et la majorité parlementaire à l’Assemblée nationale étaient nombreux et profonds.
C’est à la fois la situation des enfants mineurs et la procédure décentralisée auprès des communes qui ont conduit à l’absence d’accord avec les députés lors de la réunion de la commission mixte paritaire.
Nous constatons, pour le regretter, que le Gouvernement ne souhaite pas faire un pas en direction du Sénat. Les principales améliorations apportées par notre rapporteur n’ont pas été reprises par la majorité présidentielle.
Monsieur le ministre, vous souhaitiez un texte consensuel et progressiste. Je constate que le consensus n’a été réalisé qu’entre vous et les députés de votre majorité (M. le garde des sceaux proteste.), pour parvenir en fin de parcours législatif à un texte finalement bien peu enrichi. Nous le regrettons une nouvelle fois.
Constatant qu’il n’y a plus lieu de poursuivre le débat, le groupe Les Républicains votera pour la motion tendant à opposer la question préalable déposée par la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, même si cela n’a pas de rapport avec le sujet évoqué, je pense qu’il est difficile d’intervenir aujourd’hui devant le Sénat sans faire référence à l’agression insoutenable et dramatique dont l’Ukraine a été victime ce matin de la part de Vladimir Poutine ni sans condamner fermement cette agression. Même si ce n’est pas le moment de le faire, je vois mal comment nous pourrions y échapper. Au nom de mon groupe, je me permets donc d’exprimer une condamnation sans réserve et de souligner la nécessité, pour la France et pour l’Europe, d’agir vite et fermement à l’égard de Vladimir Poutine.
S’agissant de la proposition de loi que nous examinons en nouvelle lecture, je tiens moi aussi à remercier Mme la rapporteure pour le travail qu’elle a réalisé.
Comme l’a dit ma collègue Mélanie Vogel, ce texte s’inscrit dans la lignée des combats féministes contre l’invisibilisation des femmes.
Que nous ont appris ces combats ? Les dominations ne s’estompent pas d’elles-mêmes, il faut les contraindre à disparaître. Ce texte était une occasion de rendre la loi un peu moins sexiste, un peu plus juste, et de l’adapter aux évolutions de notre société.
Un nom est bien plus qu’une convention sociale, c’est le symbole de notre individualité. Contraindre les femmes à y renoncer, c’est les invisibiliser.
Les témoignages recueillis par le collectif Porte mon nom sont poignants. Que ce soit en raison d’une histoire douloureuse ou d’un nom difficile à porter, pour porter le même nom que ses frères et sœurs ou pour toute autre raison, changer de nom devrait être une formalité, une chose simple.
Or que trouve la majorité sénatoriale à faire dans ces conditions ?
Elle refuse l’ouverture de la substitution du nom d’usage dans le cadre de la filiation. Elle refuse la possibilité, pour le parent qui ne l’avait pas transmis, d’adjoindre unilatéralement son nom à celui de son enfant, alors même que le procédé est encadré par un passage devant le juge en cas de différend.
Elle refuse le changement de nom par formulaire dans les mairies, conservant la procédure incertaine, longue et opaque du décret ministériel.
Elle refuse même de discuter une nouvelle fois de ce texte en déposant une motion tendant à opposer la question préalable, sous prétexte que l’Assemblée nationale ne reprend pas les propositions et les positions que je qualifierai de conservatrices défendues dans ce domaine par le Sénat.
Dès la première lecture, nous avions fait état de nos inquiétudes face à ces positions et à leur justification.
Décentraliser la procédure désorganisera les services des mairies, c’est une charge qu’il est déraisonnable de faire porter aux communes, dites-vous.
Néanmoins, je vous rappellerai qu’il existe 34 965 communes en France. En 2020, quelque 4 293 personnes ont demandé à changer de nom. En admettant qu’il y ait une multiplication par six, par douze ou par vingt-quatre des demandes, cela aboutirait en moyenne à une demande par an et par commune. Nous sommes loin d’une submersion des mairies sous les demandes !
Les services de l’État doivent s’adapter à cette modification et à cette simplification administrative. Nous sommes convaincus qu’ils y parviendront.
Un grave problème est celui des mères célibataires qui doivent prouver que leur enfant est bien le leur lorsqu’il faut l’inscrire au judo ou lui faire prendre l’avion. Or, selon nos collègues de la majorité, il n’est pas besoin de loi. Surtout pas ! Il suffit de décider par décret d’inscrire le nom de la mère sur les cartes d’identité.
Cette proposition revient à évacuer d’un revers de la main le problème de fond. Nous parlons de construire un système égalitaire et libre. Or que propose-t-on à ces femmes qui sont invisibilisées ? On leur propose un encart sur la carte d’identité de leur enfant. C’est insuffisant.
La version de l’Assemblée nationale permet toujours de changer son nom, simplement. En conséquence, nous voterons pour ce texte et contre la motion tendant à opposer la question préalable déposée par Mme la rapporteure.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les divergences de points de vue entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur ce texte ont conduit à l’échec de la commission mixte paritaire.
Certaines de ces divergences paraissant insolubles, les sénateurs de la majorité sénatoriale et Mme la rapporteure ont décidé d’adopter en commission une motion tendant à opposer au texte la question préalable, motion qui a été redéposée pour la présente séance par la commission des lois.
Nous voterons contre cette motion, car nous partageons un certain nombre de points de vue défendus par nos collègues députés. De plus, nous étions favorables au texte initial et comptions sur la commission mixte paritaire pour qu’un accord favorable aux dispositifs initiaux soit trouvé.
Si nous déplorons l’absence d’étude d’impact sur ce texte, nous pensons cependant que les 40 000 personnes qui ont signé la pétition à l’origine de ce texte ont de vraies revendications à faire valoir et que, pour accéder à la possibilité de changer de nom, un véritable parcours du combattant s’impose aujourd’hui à des personnes qui souffrent bien souvent au quotidien.
Un nom, ce n’est effectivement pas rien, comme beaucoup l’ont rappelé au cours de la navette parlementaire. Je vous ferai grâce ici de mon histoire personnelle – ce n’est pas le lieu de la raconter.
Un nom nous caractérise en tant que personne, mais également en tant que membre d’une famille, d’une généalogie, d’une histoire. On peut en être fier. Il en va ainsi, heureusement, le plus souvent. Cependant, on peut aussi en rougir, en avoir honte ou encore l’attacher à une souffrance plus profonde encore, à un traumatisme qui se réveille chaque fois qu’on l’entend, qu’on le prononce ou encore qu’on nous demande de l’épeler. Le nom de famille peut être une ombre quotidienne dans le tableau de certaines vies.
Mes chers collègues, il est déjà possible de changer de nom dans le cadre de la filiation. Toutefois, ce n’est pas certain, car cette possibilité s’accompagne d’une procédure de justification susceptible d’aboutir à un refus.
Il est à nos yeux logique d’en faire un choix personnel indiscutable en simplifiant cette procédure.
Pour ce qui est des mineurs, nous considérons que l’intérêt de l’enfant est parfaitement pris en compte dans la mesure où le texte vise simplement à donner au parent qui le souhaite, et qui rencontre des difficultés au quotidien pour prouver qu’il est bien le parent de son enfant, la possibilité d’ajouter son nom au nom d’usage de l’enfant. Si l’autre parent est absent ou s’il refuse de signer le formulaire de demande, aucun combat judiciaire ne devrait être nécessaire.
L’argument selon lequel une délégation de la compétence à la mairie emporterait une charge supplémentaire ne tient pas non plus, à notre sens. Que la décision relève ou non du garde des sceaux, c’est à l’officier d’état civil qu’il revient de porter les changements sur les actes d’état civil dont disposent les mairies.
Il paraît curieux, par ailleurs, de renvoyer le ministère de la justice à ses propres difficultés, que l’on sait grandes en matière d’outils numériques, et de lui demander de s’améliorer en conséquence.
Enfin, sur le fond, on sait que les souffrances à l’origine d’une telle démarche s’inscrivent souvent dans un cadre d’inégalités entre les femmes et les hommes. Les femmes, mères, tributaires d’une histoire millénaire, donnent la vie à des enfants auxquels elles ne transmettraient pas leur nom et donc leur histoire familiale et une part d’elles-mêmes, au profit d’hommes, pères, qui, pour nombre d’entre eux, restent, parfois à leur corps défendant, ancrés dans des archétypes patriarcaux. Cette forme d’invisibilisation des femmes devrait désormais être révolue.
C’est aussi le sens de cette proposition de loi de liberté, dont le caractère progressiste semble évident. Nous avons bon espoir qu’elle sera reprise dans sa version initiale, tout à l’heure, en lecture définitive, à l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi relative au choix du nom est attendue par certains de nos concitoyens, probablement plus que l’on ne l’imagine dans cet hémicycle.
Quelle que soit la raison pour laquelle on en a besoin – divorce qui se passe mal, souffrance liée au port du nom d’un personnage haï –, il est nécessaire d’améliorer la procédure, qui est aujourd’hui bien trop longue et dont le résultat n’est pas certain pour le demandeur. À l’Assemblée nationale comme au Sénat, nous partageons ce constat. Malheureusement, nos deux chambres sont en désaccord sur la méthode.
Par exemple, s’agissant du nom d’usage, nous estimons que la substitution chez les mineurs soulève plus de problèmes qu’elle n’en résout, car substituer, c’est aussi un peu effacer ; or un enfant a besoin de ses deux parents pour se construire.
Sur le nom de famille, ensuite, le texte prévoit un changement de la procédure. Nos collègues députés souhaitent expédier le changement de nom d’un coup de formulaire Cerfa ; il me semble que la position de la commission des lois du Sénat était plus mesurée, avec une amélioration de la procédure existante, en exemptant de toute justification d’un intérêt légitime une demande d’adjonction ou de substitution, pourvu que le nom soit issu de la filiation.
En outre, c’est là un important point de blocage, cette nouvelle procédure proposée par nos collègues députés transfère la charge administrative sur les communes.
Il est vrai que la procédure de changement par décret connaît de nombreux dysfonctionnements, en raison, probablement, d’une mauvaise organisation de l’administration centrale. Il est certain que les communes y arriveraient, mais à quel coût ? Où, dans ce texte, prévoit-on de leur reverser l’équivalent des économies réalisées par la Chancellerie ? L’administration aurait largement eu le temps de s’améliorer, tant les problématiques liées à la procédure actuelle sont connues. Le Défenseur des droits avait tiré la sonnette d’alarme dès 2018, et l’informatisation du traitement des dossiers n’est toujours pas d’actualité.
La simplification, comme l’amélioration, aurait d’ailleurs pu être faite depuis longtemps déjà, la plupart des dispositions étant de nature réglementaire.
Je ne peux que regretter une occasion manquée, surtout au regard du travail accompli par notre rapporteure, Marie Mercier, et du peu de divergences de fond qui nous séparaient d’un accord.
Enfin, je rappelle que, pour qu’un dialogue, et donc une négociation, ait lieu, il faut que les deux parties soient ouvertes à la contradiction, ce qui n’a malheureusement pas été le cas sur ce sujet.
En conséquence, au regard de ces divergences de fond comme de forme, le groupe Union Centriste votera la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel.
Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la question du changement de nom n’échappe pas aux stéréotypes : nous avons tous à l’esprit ces exemples de noms qui attirent les brimades dès l’enfance et parfois jusqu’à l’âge adulte. Je vous en épargne la liste.
Toutefois, chacun comprend vite la portée de ce texte.
Derrière un nom, se noue l’intimité des familles, souvent heureuse, mais, parfois, hélas ! dramatique.
Derrière un nom, se retrouvent malheureusement certaines souffrances des enfants qui subissent les choix parfois brutaux de leurs parents ; ainsi de l’enfant élevé par un parent seul, mais qui se verrait imposer le nom de l’autre parent malgré son abandon, de l’enfant qui porterait le nom d’un parent maltraitant ou auteur de crimes contre lui, ou encore de l’enfant qui souhaiterait se détacher de sa fratrie.
De nombreuses associations nous ont alertés sur les lourdeurs administratives existantes, qui placent les enfants, devenus des adultes, dans une forme de précarité. Je ne souhaite à personne de se voir imposer chaque jour le nom de celui ou de celle qui a l’a violenté, agressé sexuellement, abandonné, ou même, de manière moins visible, de celui ou de celle qui été un parent toxique, voire destructeur.
Le droit actuel offre déjà des solutions, comme l’indique le code civil : « Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de nom de famille. » Comme nom d’usage, toute personne peut utiliser un double nom, composé de son nom de naissance et du nom du parent qui ne le lui a pas transmis à la naissance.
Aussi, pour chacune des deux situations, je vois mal quelle difficulté il y aurait à faciliter les changements dans les trois cas prévus : intervertir l’ordre de ses deux noms accolés choisis par ses parents ; substituer le nom de famille de l’un d’entre eux à son propre nom ; adjoindre à son nom, dans l’ordre que l’on choisit, le nom du parent qui ne l’a pas transmis. S’agissant du nom d’un parent, pourquoi faudrait-il justifier un tel changement ?
Le travail des généalogistes dans les siècles à venir sera sans doute rendu plus difficile ; il n’en demeure pas moins que, avec ces dispositions, nous pouvons notamment soulager la souffrance d’enfants en leur donnant la possibilité de ne plus porter le nom de celui ou de celle qui fait de leur vie un cauchemar.
Il est souvent question dans cet hémicycle de l’intérêt supérieur de l’enfant, quitte à y loger des considérations que les enfants ignorent eux-mêmes. Ce texte offre une authentique occasion de le défendre ! Vous comprendrez bien, mes chers collègues, que nous regrettions la position du Sénat.
Certes, le choix du nom de famille n’a rien d’anodin et invite à la prudence. Aussi, j’entends le souhait d’éviter toute forme de précipitation lorsqu’il s’agit de jeunes mineurs, auxquels il faut garantir un cadre stable d’émancipation.
Comme l’avait toutefois souligné mon collègue Henri Cabanel, l’essentiel des dispositifs de cette proposition de loi ne prend rien à personne. Comme lui, je considère qu’il n’y a pas lieu d’infantiliser les citoyens.
Le texte adopté par l’Assemblée nationale nous semblait équilibré et mieux à même de répondre aux problématiques soulevées. Au regard de tous ces éléments, mais aussi parce que, par principe, nous refusons que les débats s’arrêtent prématurément, il va sans dire que nous ne soutiendrons pas la motion déposée par Mme la rapporteure de la commission des lois.