M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. L. Hervé, d’une motion n° 35.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, adopté par l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Loïc Hervé, pour la motion.
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat que j’aime, c’est le Sénat qui, à la suite du projet Safari – le Système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus – a proposé la création de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Le Sénat que j’aime, c’est le Sénat qui, il y a quarante ans, le 30 septembre 1981, votait l’abolition de la peine de mort.
Le Sénat que j’aime, c’est le Sénat qui a interrompu le funeste projet de déchéance de nationalité.
Jalouse de son pouvoir législatif, la Haute Assemblée a toujours été, dans son histoire, au rendez-vous de la préservation des libertés publiques, y compris quand elle a dû brider l’exécutif et ses excès.
Aujourd’hui, nous en sommes au douzième texte législatif en vingt-deux mois. La caisse à outils n’est jamais assez complète ; à chaque fois, le Gouvernement vient demander au Parlement de la compléter. Ce faisant, nous avons pris le chemin sans retour de la limitation des libertés publiques ; nous devons nous poser maintenant la question de la marche arrière.
Je m’oppose à ce texte pour deux raisons.
Je m’y oppose, tout d’abord, en raison du passe vaccinal. Le variant omicron déferle sur la France et les personnes testées positives se comptent par centaines de milliers chaque jour, y compris, massivement, parmi les vaccinés – je sais de quoi je parle ! Il serait légitime de s’interroger sur l’utilité des mesures privatives de liberté actuellement applicables dans notre pays. Pour cela, il nous faudrait des éléments objectifs et chiffrés, dont nous ne disposons pas, monsieur le ministre !
Je m’y oppose, ensuite, en raison des contrôles d’identité prévus. Ce texte donne aux responsables des établissements recevant du public la possibilité de vérifier massivement l’identité de leurs clients. Mais quelle mouche a piqué le Gouvernement ? Comment une idée pareille lui est-elle venue ? Quel effondrement de la pensée et du débat politiques nous a conduits là ? Les résignés disent : « On n’a pas le choix ! » ; les penseurs ne voient pas le problème ; quant aux visionnaires, ils affirment que c’est non pas la loi qui limite les libertés, mais le virus…
Je m’interroge : où est la gauche des droits de l’homme ? Où est la droite des libertés ? Où sont les syndicalistes, les universitaires, les intellectuels ? Ils sont si rares, ceux qui rappellent le prix de la liberté !
Mes chers collègues, je vous propose donc de dire un non ferme et définitif à cette très mauvaise idée du passe vaccinal, qui nous conduit tout droit au contrôle social généralisé.
Pour conclure mon propos, je citerai Tocqueville, monsieur le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur. Merci !
M. Loïc Hervé. « Cet État se veut si bienveillant envers ses citoyens qu’il entend se substituer à eux dans l’organisation de leur propre vie. Ira-t-il jusqu’à les empêcher de vivre pour mieux les protéger d’eux-mêmes ? Le plus grand soin d’un bon gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui. » (Applaudissements sur quelques travées des groupes Les Républicains et GEST. – M. Jean-Marie Mizzon et Mme Laurence Cohen applaudissent également.)
M. Philippe Bas, rapporteur. C’est presque un débat philosophique que vient de lancer notre très estimé collègue Loïc Hervé : devrait-il être interdit par principe à la République, tellement attachée qu’elle est à l’État de droit fondé sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de restreindre ou de limiter temporairement des libertés pour faire face à une crise majeure ?
Cette question a été posée à de nombreuses reprises au cours de notre histoire, dans des contextes qui dépassent largement la crise épidémique actuelle. Elle l’a été lors de ce que l’on appelait à l’époque les événements d’Algérie ; elle l’a été, plus récemment, lors des émeutes qui ont éclaté dans les banlieues en 2005 ; elle l’a encore été lors de la récente vague terroriste ; elle l’est enfin dans le cadre de la lutte contre l’épidémie actuelle.
Voyez-vous, mon cher collègue, dans notre pays, patrie des droits de l’homme, toutes les libertés sont sacrées, mais aucune liberté n’est un absolu. Le fondement de la liberté dans notre pays, l’article IV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le dit bien : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » On n’est jamais allé plus loin dans la définition de la liberté que dans ce texte, qui a valeur constitutionnelle en France. À le lire, on voit clairement que la liberté se rapporte toujours à des limites qu’il appartient au législateur de poser.
C’est bien ce que le Sénat fait depuis le début de la crise sanitaire, comme il l’avait fait les années précédentes dans le cadre de la lutte contre le terrorisme : rechercher le meilleur équilibre possible pour que les restrictions apportées aux libertés soient strictement nécessaires à la poursuite d’une fin supérieure, en l’occurrence aujourd’hui l’éradication de l’épidémie de covid-19.
C’est pourquoi, mon cher collègue, quoique je vous aie écouté, comme toujours, avec beaucoup d’intérêt et d’attention, je ne peux pas partager le point de vue philosophique que vous avez exposé en défense de cette motion.
Je dois vous dire que je préfère de beaucoup que notre assemblée, plutôt que de refuser le débat, s’y engage pour jouer son rôle, qui consistera précisément à déplacer le point d’équilibre trouvé à l’Assemblée nationale pour que les restrictions à nos libertés soient limitées, pour qu’aucune de ces restrictions ne soit conservée dans le texte si elle n’est pas strictement nécessaire à l’atteinte de l’objectif de santé publique que le Gouvernement, à juste titre, nous demande de poursuivre avec lui en examinant ce texte.
C’est pourquoi la commission…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le rapporteur !
M. Philippe Bas, rapporteur. … est défavorable à cette motion, même si je remercie bien volontiers son auteur pour l’initiative qu’il a prise d’ouvrir ce débat tout à fait passionnant ! (Applaudissements sur de nombreuses travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Je comprends parfaitement l’exaspération de notre collègue devant ce énième texte qui, on le sait, n’apportera pas de solution réelle dans la situation épidémique aiguë que nous connaissons, mais notre groupe ne peut s’associer à cette motion.
Oui, le texte qui nous est présenté par le Gouvernement prévoit une obligation vaccinale déguisée, et ce, dans sa version initiale, pour toutes les personnes de plus de 12 ans.
Nous combattons l’ensemble des restrictions aux libertés contenues dans ce projet de loi. Toutefois, nous pensons que notre assemblée s’honore à s’emparer d’un sujet si grave alors que le Gouvernement a trop souvent considéré le passage de ses textes devant notre chambre comme une étape dont il se serait bien passé. La conférence des présidents a obtenu que nos débats se déroulent dans de bonnes conditions, dans une temporalité mieux à même de faire émerger des positions argumentées et des contre-propositions réalistes.
Oui, ce texte est dangereux, nous vous rejoignons, mon cher collègue, sur bien des points, mais notre opposition nous engage à en discuter. Il est essentiel que le Gouvernement écoute nos positions et nos propositions.
Aussi, bien que nous comprenions les arguments en faveur de cette motion, nous estimons néanmoins que la tenue d’un débat est essentielle, nécessaire et plus que justifiée par l’ampleur des conséquences de cet état d’urgence sans fin sur notre pays.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 35, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Alain Richard. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous faut aujourd’hui poursuivre l’adaptation de nos règles aux mouvements de la pandémie. Nous devons le faire en conservant comme point cardinal la sécurité des Français, dont nous sommes coresponsables avec l’exécutif, mais aussi en laissant vivre la société.
La circulation du virus se fait beaucoup plus intense. Les formes graves de la maladie se maintiennent à un haut niveau. En effet, si la létalité du variant omicron est beaucoup plus faible que celle des souches précédentes, sa contagiosité est au moins cinq fois supérieure. Nous sommes donc toujours exposés à une surcharge de notre système de santé et à un nombre excessif de décès.
Notons cependant l’effet déjà très favorable de la vaccination, qui réduit de plus de 90 % le risque de développer des formes graves de la maladie.
Nous recevons de nombreux messages critiques, fréquemment impérieux, pour nous demander de refuser la nouvelle étape qu’est le passe vaccinal. Il est légitime que les citoyens, qui sont nos mandants, nous interpellent ; nous devons continuer de respecter leurs sensibilités et leurs argumentations. Toutefois, une limite ne saurait être franchie : celle des injures et, pire encore, des menaces, dont les auteurs doivent être rappelés au sens commun et, si nécessaire, à la loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE et INDEP. – MM. Gérard Longuet et André Reichardt applaudissent également.)
Notre impératif central, en tant que législateur, est d’écouter la science. Tous les cercles et les institutions légitimes, offrant les garanties de rigueur et de probité dans l’analyse de cette maladie, nous le disent : hormis certains cas de contre-indication à la fois rares et bien délimités, il est confirmé que les vaccins approuvés diminuent de 80 %, voire de 90 %, le risque de développer une forme grave de la maladie, et ce sans que des effets indésirables aient été constatés après la vaccination de plus d’un milliard de personnes depuis plus d’un an !
Nous devons donc accepter la règle plus stricte qui nous est soumise dans ce projet de loi – le passe vaccinal – et refuser aux personnes non vaccinées l’accès aux principaux lieux publics. Il convient de le faire à la fois pour leur propre protection, comme l’a bien souligné notre rapporteur, et pour freiner la circulation du virus.
Je ferai observer à ceux de nos collègues qui ont réclamé, avec de bons arguments, le passage à l’obligation vaccinale que, pour qu’une telle mesure s’impose dans les faits, il faudrait évidemment prévoir des conditions d’application qui se révéleraient, comme par hasard, être rigoureusement identiques à celles que nous allons adopter au travers du passe vaccinal ! (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
M. Bernard Jomier. Ce serait plus cohérent !
M. Alain Richard. Cela me laisse en tout cas bien augurer de leur vote sur ce texte !
Nous allons nous pencher sur quelques exceptions et dérogations, concernant principalement les enfants et les adolescents. Pour notre part, nous préférerions que la règle commune s’applique dès 16 ans, plutôt que de prévoir une dispense trop générale s’appliquant jusqu’à 18 ans.
Le problème de la fraude mérite notre vigilance. Si les enquêtes menées par la police ont d’ores et déjà établi l’existence de 180 000 faux passes sanitaires, les constatations de la Société française d’anesthésie et de réanimation font quant à elles apparaître un tout autre chiffre : environ 5 % des personnes hospitalisées détiendraient un faux passe sanitaire. Cette proportion résulte d’un sondage effectué par des scientifiques dans plus d’un tiers des services de réanimation de notre pays : si elle est vérifiée, cela signifie que le nombre de faux passes sanitaires utilisés par leurs détenteurs est plutôt de l’ordre de 2 millions !
Les risques induits par la fraude doivent donc être pris au sérieux. C’est pourquoi la vérification de la conformité de l’identité du titulaire du passe vaccinal est nécessaire ; elle n’est pas plus intrusive que celle à laquelle on est soumis pour acheter un paquet de cigarettes quand on a un abord juvénile ou pour payer avec un chèque. Le risque d’être pris en faute réduira significativement le recours à ces faux passes, qui sont un véritable danger. Il nous semble donc qu’il convient de maintenir cette disposition prévue dans le texte adopté par l’Assemblée nationale.
Nous souhaitons aussi maintenir la faculté pour l’inspection du travail de prononcer des amendes administratives en cas de réelle prise de risque pour le personnel d’une entreprise. Soulignons, d’une part, que la proposition faite par la commission des affaires sociales de lui retirer cette faculté ne supprime pas les sanctions pénales, qui peuvent pourtant se révéler plus graves et plus pénalisantes pour l’entreprise. Rappelons-nous, d’autre part, que de telles sanctions administratives comptent parmi les facultés statutaires normales de l’inspection du travail dans tous les domaines liés à la sécurité au travail.
Cette crise, encore en cours d’accentuation pour une période que j’espère limitée, met une fois de plus en lumière le courage des soignants et des autres professionnels des services au public : enseignants, personnels de sécurité, travailleurs de l’espace public, et j’en oublie. Ils sont un rappel vivant à notre obligation d’être vigilants et efficaces dans notre mission de législateur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, contrairement à ce que prétendent depuis des mois les trafiquants de fake news, les résistants des boulevards, les has not been de la chanson française et les Sakharov de la dictature sanitaire, nous avons aujourd’hui trois certitudes : premièrement, le vaccin empêche l’immense majorité des formes graves ; deuxièmement, la probabilité d’un séjour en réanimation est dix fois supérieure chez les non-vaccinés ; troisièmement, les services d’urgence sont remplis par la petite minorité qui refuse la vaccination. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et RDPI. – M. Stéphane Demilly applaudit également.)
La conclusion est d’une simplicité biblique : il faut vacciner le plus de monde possible, le plus vite possible. Cela, 92 % des Français l’ont compris, mais pas les antivax. Depuis un an, ils nous tannent avec leur « convaincre plutôt que contraindre » ; ils nous disent de faire de la pédagogie et de ne pas stigmatiser, eux qui stigmatisent tous les autres. Il faudra bientôt vacciner en cachette et raser les murs pour ne pas les déranger. (Sourires.) Eh bien, nous n’allons pas raser les murs, nous allons répondre !
Nous répondrons aux politiciens aux abois qui essaient de se refaire la cerise, aux philosophes de comptoir qui confondent liberté et irresponsabilité, aux agités du télébocal qui crient à la démocratie bafouée ! (Sourires.)
Nous répondrons aux Philippot, Asselineau, Le Pen, Dupont-Aignan ou Mélenchon, ce pacte germano-soviétique de la désinformation ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – Protestations sur plusieurs travées à gauche.) Ils ont été successivement pour la chloroquine, contre le vaccin, contre le passe sanitaire et maintenant contre le passe vaccinal, avec une infaillibilité absolue dans l’aveuglement.
Ces amoureux des dictatures, il faut quand même qu’ils soient gonflés pour accuser le Gouvernement et le Parlement de prendre des mesures liberticides ! S’ils avaient été au pouvoir, la vaccination aurait perdu des mois et les morts auraient été bien plus nombreux, comme chez leurs amis Bolsonaro l’antivax ou Poutine, dont le vaccin inopérant était réclamé à grands cris par Mélenchon alors que même les Russes n’en veulent pas ! (Rires. – Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Les Français n’auraient eu droit qu’aux remèdes bidons d’un gourou rocambolesque, validés par la Twitter School of Medicine et la Facebook University ! Ces stakhanovistes de l’erreur et du cynisme sont opposés au passe vaccinal, non pas pour préserver la santé de nos concitoyens, mais pour récupérer les voix des extrémistes.
Quoi que vous fassiez, monsieur le ministre, pour eux vous ferez mal ! Je vous suggère une idée : pour vacciner les 5 millions qui manquent à l’appel, interdisez le vaccin, ils exigeront que tout le monde se le fasse injecter ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Maintenant, cela suffit ! À 300 000 cas par jour, il est temps de répondre ; il est aussi plus que temps de faire front. La démocratie, ce n’est pas s’agenouiller devant une minorité inconsciente qui peuple aujourd’hui les services d’urgence et qui fait pleurer de rage et d’épuisement les soignants voyant leurs lits remplis de patients qui n’auraient jamais dû s’y trouver et qui en chassent tous les autres. La démocratie, ce n’est pas écouter des rebelles de supermarché sauter comme des cabris avec leurs pancartes en criant : « Liberté ! »
Des quinze ans de ma vie que j’ai passés comme médecin dans les guerres ou les épidémies, j’ai tiré une leçon simple : ce sont les virus qui bafouent les libertés et non les vaccins. Et si l’on ne prend pas les mesures qui s’imposent, c’est l’épidémie seule qui en décide, toujours de la façon la plus violente et la plus létale. (Applaudissements sur des travées du groupe INDEP.)
Comme il n’y a pas de liberté absolue, il faut trouver un équilibre entre des libertés contradictoires et prendre les bonnes décisions, même si elles ne plaisent pas à tous. C’est ce que vous proposez aujourd’hui, monsieur le ministre, et c’est ce que nous allons faire avec vous.
Oui, le passe vaccinal est une façon de pousser à la vaccination. Pour tout dire, l’idéal serait la vaccination obligatoire : il en existe onze autres sans que personne ne hurle à la tyrannie ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Pierre Sueur. Enfin !
M. Claude Malhuret. Vous ne la proposez pas, monsieur le ministre, parce que vous craignez que les boutefeux ne finissent par déchirer un pays exténué et parce qu’en démocratie il n’y a pas de moyen infaillible de l’imposer ; vous avez sans doute raison.
Alors, va pour le passe vaccinal ! Les offusqués professionnels diront que vous créez deux catégories de Français, alors que ce sont eux qui se placent en marge et nous mettent en danger. Ils diront que vous les stigmatisez, alors que depuis un an ils traitent les vaccinés de moutons et les soignants de collabos, alors qu’ils menacent de mort les élus et saccagent leurs permanences.
Mais nous allons poursuivre ensemble, calmement, la lutte contre l’épidémie, malgré eux et avec l’immense majorité des Français ! Oui, car en dépit des campagnes incessantes sur les réseaux antisociaux, les Français ont montré une remarquable compréhension, une remarquable patience et une remarquable responsabilité. Malgré les intox, la France est dans le peloton de tête des pays les plus vaccinés.
Les réseaux ont même eu une vertu : après deux ans de bobards, nos concitoyens ont fini, devant l’énormité des fake news, par se faire une solide opinion sur ceux qui les diffusent et je préfère ne pas répéter ici les épithètes dont ils les gratifient.
M. Pierre Laurent. Ça n’empêche pas certains de les utiliser !
M. Claude Malhuret. Quant aux discussions dans les repas de famille où se trouvait un antivax pendant les fêtes, elles ont définitivement vacciné des millions de Français contre les absurdités. Or ce vaccin-là, par chance, est d’une grande efficacité ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2020, nous avions du mal à croire à une seconde vague. Or nous voici, au début de 2022, encore en pleine pandémie : notre peuple fait face avec courage, mais aussi lassitude et résignation.
Oui, il faut lutter frontalement contre l’épidémie ! Oui, il faut vacciner et protéger la population ! Mais deux ans après le début de l’épidémie, monsieur le ministre, vous ne pouvez plus dissimuler la réalité : c’est l’insuffisance des moyens alloués à la santé publique qui pousse à la mise en œuvre de politiques autoritaires et de contraintes qui portent lourdement atteinte aux libertés publiques. C’est l’hôpital public, la médecine de ville mais aussi l’assurance maladie qui sont défaillants, du fait non pas du personnel, lequel est exemplaire de dévouement et de courage, mais des choix libéraux de ces dernières années, choix maintenus, malgré la pandémie, par Emmanuel Macron et le gouvernement auquel vous appartenez.
Nous ne sommes pas d’accord avec votre stratégie du rideau de fumée. Vous masquez par des mesures coercitives, comme le passe sanitaire, puis le passe vaccinal, et par l’état d’urgence permanent, l’incurie d’un système qui a ravalé la santé au rang de marchandise.
Je le souligne d’emblée : si le passe sanitaire a boosté la vaccination, force est de constater qu’il n’a pas ralenti la propagation du virus.
M. Loïc Hervé. Bien sûr !
Mme Éliane Assassi. Pour preuve, 300 000 personnes sont testées positives chaque jour : quelle est donc l’utilité de ces sésames ?
Ce rideau de fumée, c’est aussi l’agression verbale du Président de la République contre des millions de personnes qui ne sont pas vaccinées, souvent non pas par choix, mais par éloignement, faiblesse ou incompréhension.
Quelle est cette France où l’on sonde les gens pour savoir si les soins doivent toujours être accordés à ceux qui refusent le vaccin ? Vous fabriquez des parias pour détourner le débat. Nous dénonçons ce jeu dangereux !
Nous proposerons par voie d’amendement, dès l’ouverture de la discussion du texte, que l’entrée en vigueur du passe vaccinal soit conditionnée à la remise par le Gouvernement au Parlement d’un rapport sur l’impact de sa politique sur le recul de la propagation de l’épidémie de covid-19. En effet, si ce passe a pu être utile, faute de politique de santé publique efficace pour inciter à la vaccination, on peut aujourd’hui se demander ce qui légitime sa prolongation et son durcissement.
À cet instrument s’ajoute un traçage numérique étatique banalisé, qui tend lui-même à s’amplifier et à se durcir comme cela est proposé à l’article 2, qui étend aux services préfectoraux l’accès aux données personnelles médicales.
Il est temps de mettre fin à ce système de passe, à la fois inutile du point de vue sanitaire et dangereux pour les libertés publiques. Bien d’autres solutions sont possibles, des solutions d’ordre véritablement sanitaire et non sécuritaire, comme l’accentuation des gestes barrières et la mise en œuvre des moyens permettant réellement de lutter contre la propagation : le déploiement des purificateurs d’air, la distribution de masques FFP2, le recours effectif au télétravail, lorsque cela est possible, ou encore l’organisation de roulements dans les entreprises ou dans les établissements scolaires.
Plus globalement, il conviendrait, comme nous n’avons de cesse de le réclamer, d’investir davantage dans la médecine de ville et la médecine scolaire et de réarmer l’hôpital public. En bref, il faudrait prendre des mesures pratiques pour répondre à la crise sanitaire et protéger nos concitoyens, plutôt que de les punir !
Enfin, nous faisons face non pas à une épidémie, mais bien à une pandémie ; le problème est donc mondial et la seule réponse efficace sera à cette échelle. C’est pourquoi, je le redis, il est plus urgent que jamais de lever les brevets sur les vaccins si l’on veut éviter l’émergence de nouveaux variants.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
Mme Éliane Assassi. Seule la moitié de la population mondiale est vaccinée : un plan de vaccination massif doit être déployé à l’échelle mondiale.
Plutôt que de taper du poing sur la table en insultant toute une partie de nos concitoyens, Emmanuel Macron aurait tout intérêt à profiter de la présidence française du Conseil de l’Union européenne pour convoquer un sommet international et engager un bras de fer salutaire autour de la levée des brevets sur les vaccins et d’un gigantesque effort d’aide au développement. En France, nous avons débloqué des centaines de milliards d’euros pour l’économie, mais combien pour la santé, combien pour la solidarité internationale ?
Mes chers collègues, monsieur le ministre, vous en conviendrez, nous sommes prêts à être une force de proposition et à débattre des mesures de nature à gérer la crise sanitaire. Mais, pour l’heure, malgré les tentatives du rapporteur de la commission des lois d’atténuer certaines mesures, nous nous opposons à ce énième projet de loi sécuritaire, d’intimidation et d’infantilisation de nos concitoyens et de déresponsabilisation de nos dirigeants.
Emmanuel Macron avait annoncé, le 12 mars 2020, extraire la santé de la loi du marché. Or il fait aujourd’hui payer à notre peuple au quotidien, par ses décisions solitaires, le refus de s’attaquer aux dogmes libéraux qui étouffent l’hôpital, la santé et notre pays. Nous refusons cette impasse sanitaire, mais aussi démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. « Je serai au Parlement comme je l’ai été pour tous les autres textes qui portent sur l’urgence sanitaire… […] On associe énormément le Parlement, la démocratie compte. » Voilà ce que vous avez déclaré dans une célèbre matinale, le 22 décembre dernier, monsieur le ministre. Si je suis désolé de n’avoir pas remarqué votre présence toutes les fois précédentes, je suis ravi de vous voir aujourd’hui. (Sourires.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte n’aura pas d’effet sur les vagues en cours, sur la désorganisation de la société, sur le drame d’une école maintenue ouverte coûte que coûte au lieu d’être sécurisée coûte que coûte. Ce texte ne répond pas à une nouvelle urgence sanitaire ; il n’est pas destiné à freiner la propagation du virus. Ce n’est pas son objet.
Les écoles sont en souffrance. Monsieur le ministre, votre doctrine de maintien des écoles ouvertes doit évoluer vers leur maintien dans de bonnes conditions : masques FFP2 pour les professeurs, détecteurs de CO2, car, même si vous affirmez qu’un détecteur n’est pas nécessaire pour aérer, reconnaissez qu’il est plus simple de respecter les limitations de vitesse quand on a un compteur.
Agir maintenant, alors que les contaminations explosent, est au mieux peu efficace. Pourtant, tous les signes étaient là dès la fin du mois de novembre dernier, dès la montée en puissance du variant delta, dès les premières informations sur omicron. Rien n’a été fait à ce moment-là, malgré l’avis du conseil scientifique.
Comme souvent depuis le mois de février dernier, le Gouvernement cherche à réfléchir seul jusqu’au dernier moment, les conseils de défense sous secret se multiplient, les avis, comme le dernier avis du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) sur les masques FFP2, ne sont accessibles que selon votre calendrier.
La droite sénatoriale roumègue, mais vote toujours en essayant d’encadrer périmètre et durée. Nous sommes donc en état d’urgence perpétuel : sécuritaire hier, sanitaire aujourd’hui. Quoi d’autre demain ?
Vous vous focalisez sur des objectifs dérivés : lutter contre le reconfinement plutôt que contre l’épidémie, sauver Noël plutôt que notre système hospitalier.
Derrière vos « choix d’équilibre », il y a au mieux un attentisme optimiste, au pire un critiquable calcul politicien.
Revenons au passe sanitaire, puis vaccinal, c’est-à-dire à cette obligation vaccinale déguisée et pourtant « non obligatoire ».
Je vous rappelle que le groupe GEST a alerté dès le début, et régulièrement depuis, sur le risque d’une généralisation trop importante de ce passe, sur une extension de sa durée, mais aussi de son périmètre, que ce soit aux activités ou aux lieux qu’il toucherait, voire aux maladies ou aux causes qui entraîneraient son entrée en vigueur.
La situation actuelle accroît nos inquiétudes et justifie nos alertes. Elle nous laisse augurer d’une société du contrôle permanent, camouflée par des états d’urgence successifs et récurrents.
Le texte qui nous est soumis prévoit trois types de passes : un passe sanitaire, un passe vaccinal et un passe vaccinal +. C’est donc cela le pragmatisme dont vous vous réclamez sans cesse !
Qui plus est, dans sa version initiale, le texte rendait obligatoire le passe vaccinal dès 12 ans et instaurait, pour le dire autrement, une « obligation vaccinale déguisée » dès cet âge. Heureusement, cette disposition a été supprimée par la commission des lois, sous l’égide de son rapporteur, que je salue.