compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa,
M. Pierre Cuypers.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Gestion de la crise sanitaire
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du Gouvernement, la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique (projet n° 327, texte de la commission n° 333, rapport n° 332, avis n° 331).
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de ce texte ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Mes chers collègues, je vous rappelle que le port du masque est obligatoire dans l’hémicycle, y compris pour les orateurs qui s’expriment à la tribune, conformément à la décision de la conférence des présidents, réunie le 1er décembre dernier. Chacun veillera au respect des gestes barrières.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque je vous avais présenté, en octobre dernier seulement, le projet de loi qui est devenu la loi du 10 novembre 2021, j’avais appelé à un effort collectif de vigilance sanitaire – la situation était alors pourtant beaucoup plus favorable –, compte tenu des risques de reprise épidémique liés à la période hivernale et à l’apparition probable de nouveaux variants.
Un peu moins de trois mois se sont écoulés et vous voici réunis aujourd’hui afin d’examiner un douzième projet de loi consacré à la lutte contre la pandémie de covid-19.
Ce texte vous est présenté par le Gouvernement dans une période incontestablement difficile, marquée ces derniers jours par des records de contamination : 350 000 contaminations, voire un peu plus, seront encore annoncées ce soir. Nous n’avions jamais observé de tels chiffres depuis le début de la crise sanitaire.
J’ai parlé de raz-de-marée, car ce terme me semble bien rendre compte du niveau des contaminations. Durant plusieurs jours consécutifs, le nombre de contaminations a dépassé les 200 000 ou 300 000 cas quotidiens. Aujourd’hui ne fera pas exception : nous atteindrons également un nombre aussi impressionnant.
Le système hospitalier est également mis à rude épreuve : plus de 22 000 patients sont hospitalisés pour covid, dont 3 900 dans des services de soins critiques et de réanimation. En outre, la période est également marquée, cela ne vous aura pas échappé, par une dynamique forte de la grippe et les suites de l’épidémie de bronchiolite, laquelle a été particulièrement forte cette année.
Cette situation, aussi vertigineuse qu’elle puisse être, exige que nous prenions nos responsabilités avec sang-froid afin de poursuivre la gestion d’une épidémie sans précédent, qui dure depuis bientôt deux ans.
Les Français ont été courageux, tout le monde s’accorde à le dire. Ils ont fait face et je veux leur rendre hommage parce que les sacrifices qui leur sont demandés sont colossaux. Je comprends la fatigue, la lassitude, mais j’ai toujours dit que cette crise sanitaire serait une épreuve d’endurance.
Le texte qui vous est soumis renforce plusieurs mesures existantes, lesquelles nous ont d’ores et déjà permis de contenir l’épidémie et d’éviter d’avoir à faire des choix plus radicaux. Je pense bien entendu à des fermetures d’établissements recevant du public ou à des confinements, comme on peut en voir dans beaucoup de pays de l’Union européenne, notamment dans certains qui sont proches de nous.
Ce texte s’appuie ainsi sur ce que nous savons du virus et sur ce que nous avons à notre disposition pour le combattre efficacement. Aujourd’hui, malgré la présence d’un variant extrêmement virulent, si nous pouvons envisager de vivre le plus normalement possible, sans empêcher ou fermer massivement les activités du quotidien, c’est parce que nous avons le vaccin.
Les Français ne s’y sont pas trompés, puisque 53 millions d’entre eux ont reçu au moins une dose. Le rythme des primo-vaccinations a augmenté récemment, à la faveur, notamment, du débat sur le passe vaccinal, comme cela s’était déjà produit au moment du débat sur le passe sanitaire : plus de 12 millions de Français supplémentaires avaient alors fait le choix de la vaccination. Il faut le saluer, parce que le choix de la science et du savoir est toujours le bon.
Il faut appeler tous les Français éligibles à aller faire leur rappel, la troisième dose conférant une protection bien plus forte encore contre les risques de forme grave et d’hospitalisation.
Nous devons poursuivre nos efforts et aller vers ceux, qui, parce qu’ils sont un peu éloignés de l’information ou de notre système de santé, n’ont pas encore eu accès à ce vaccin.
De la même manière, nous devons inciter ceux qui ne sont pas hostiles au vaccin, mais qui, tantôt par indifférence, tantôt par nonchalance, ne franchissent pas le pas.
Restent, enfin, ceux que nous aurons du mal à convaincre par des mesures pédagogiques et par des entretiens avec des médecins, des pharmaciens, des infirmiers, ceux qui pensent encore qu’on leur veut du mal en leur proposant un vaccin qui protège. Une partie d’entre eux se laissera peut-être convaincre par la mise en place du passe vaccinal, mais, pour beaucoup, le registre rationnel a été mobilisé en vain. Toutefois, nous ne devons pas relâcher nos efforts.
À court terme, de nouvelles mesures de freinage ont été décidées. Je pense notamment au nombre minimal de trois jours de télétravail par semaine lorsque cela est possible, au port du masque à l’intérieur dès l’âge de 6 ans ou encore à la mise en place de jauges pour les spectacles culturels et les événements sportifs.
Nous avons également décidé d’adapter les règles en matière d’isolement et de quarantaine, afin de tenir compte de la diffusion extrêmement rapide du variant omicron et des données virologiques disponibles, mais également de maintenir la vie socioéconomique du pays et le fonctionnement des services publics. Sur le fondement d’un avis rendu par le Haut Conseil de santé publique le 31 décembre 2021, ces règles ont été harmonisées et simplifiées depuis lundi dernier.
Enfin, et c’est précisément l’objet du présent projet de loi, nous souhaitons renforcer plusieurs outils de gestion de la crise sanitaire déjà prévus par la loi.
Nous proposons ainsi un approfondissement des mesures de protection et la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal, afin non seulement de renforcer les incitations à la vaccination, mais aussi, je le répète, de réduire les risques de contamination. À ce sujet, une étude française de qualité, dont j’ai pris connaissance ce matin, montre que la charge virale expirée par les personnes atteintes du covid est moindre lorsqu’elles sont totalement vaccinées.
M. Loïc Hervé. C’est intéressant ! Il faudra nous la transmettre.
M. Olivier Véran, ministre. Après la promulgation de la loi, il sera donc nécessaire de présenter un justificatif vaccinal pour accéder aux activités de loisirs, aux restaurants, aux débits de boissons, aux foires, aux séminaires, aux salons professionnels et aux transports interrégionaux.
J’y insiste, pour les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, et sauf en cas d’urgence, le texte maintient le dispositif actuel du passe sanitaire pour les patients accueillis pour des soins programmés, les accompagnants et les visiteurs. En cas d’urgence, vous le savez, rien ne s’applique.
Le projet de loi proroge également jusqu’au 31 mars 2022 l’état d’urgence sanitaire à La Réunion et en Martinique. En effet, la situation sanitaire, qui y est préoccupante, justifie le maintien de mesures de freinage renforcées. Le texte tel qu’il a été adopté hier en commission au Sénat prévoit de même pour la Guadeloupe, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, la Guyane et Mayotte.
Par ailleurs, le projet de loi renforce encore les mesures permettant de lutter contre la fraude. Nous savons combien la pratique des faux passes peut être dangereuse pour les personnes qui s’y adonnent. Toute personne habilitée à demander la présentation d’un passe pourra ainsi exiger également celle d’un document permettant de vérifier la concordance d’identité. Nous aurons sans doute un débat, comme à l’Assemblée nationale, sur cette question, mais je préfère le marteler dès à présent : la vérification de la concordance d’identité n’est pas un contrôle d’identité !
Les sanctions encourues par un gestionnaire d’établissement pour manquement à l’obligation de contrôle du passe seront également renforcées, ainsi qu’en cas de fraude.
Nous proposons également, et c’est important, que les services préfectoraux puissent connaître des données strictement nécessaires à leur mission de contrôle des mesures de quarantaine et d’isolement, afin de vérifier que chaque personne concernée a bien réalisé le test négatif conditionnant la levée de la mesure dont elle fait l’objet. C’est en effet la condition indispensable d’une maîtrise des chaînes de transmission.
Enfin, et je précise qu’il s’agit là d’un sujet bien distinct de la crise sanitaire, nous vous proposons de reprendre les dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 qui ont été retoquées par le Conseil constitutionnel au motif qu’elles constituaient des cavaliers. Il s’agit de renforcer l’intervention du juge des libertés et de la détention dans le cadre d’un régime de contention et d’isolement en psychiatrie.
Le texte a été modifié par l’Assemblée nationale sur plusieurs points en matière de police sanitaire, afin de s’assurer du respect par les employeurs de leurs obligations de prévention, notamment en matière de télétravail ; pour adapter l’application du passe vaccinal aux mineurs ou encore pour faciliter l’engagement dans un parcours vaccinal des personnes ayant commis une fraude au passe sanitaire.
Le projet de loi a également été complété par plusieurs mesures visant à soutenir le système de santé, telles que la prolongation de la garantie de financement des établissements de santé et du dispositif d’indemnisation de la perte d’activité des médecins ; des adaptations des règles de cumul emploi-retraite pour les professionnels de santé ; la prolongation de la prise en charge à 100 % des actes de téléconsultation.
Enfin, le texte qui vous est soumis réactive des mesures adoptées lors de phases précédentes de la crise sanitaire, qu’il s’agisse des règles de réunion des assemblées générales de copropriétaires, de la constitution des jurys d’assises ou encore de l’organisation des concours de la fonction publique.
Le projet de loi a été significativement modifié sur l’initiative de votre commission des lois et de votre commission des affaires sociales.
Parmi les principales modifications adoptées en commission, je relève en particulier que vous avez souhaité définir des seuils de déclenchement du passe vaccinal à l’échelon national ou, à défaut, à l’échelon local, en inscrivant dans la loi un nombre d’hospitalisations cible. Nous aurons l’occasion d’en débattre.
Vous avez également proposé d’exclure l’application du passe vaccinal aux mineurs, alors que l’Assemblée nationale avait souhaité en exempter les seuls 12-15 ans pour toutes les activités extra et périscolaires, de nature culturelle ou sportive par exemple.
Vous avez également souhaité exclure la possibilité d’appliquer le passe vaccinal ou le passe sanitaire aux centres commerciaux et aux grands magasins.
Vous avez supprimé le dispositif inséré à l’Assemblée nationale, sur l’initiative du Gouvernement, visant à faciliter l’engagement dans un parcours vaccinal des personnes ayant commis une fraude au passe. C’est ce que l’on a appelé le droit au remords ou à la repentance, peu importe la terminologie.
Vous avez écarté le dispositif de sanction adopté par les députés pour assurer le respect par les employeurs récalcitrants de leurs obligations de prévention en matière de santé et restreint la prise en charge à 100 % de la téléconsultation aux actes s’inscrivant dans un parcours de soins coordonnés.
Nous aurons l’occasion de revenir sur ces modifications lors de la discussion des articles. Les amendements présentés par le Gouvernement n’épuisent pas l’ensemble des sujets de discussion, mais nous avons souhaité nous concentrer sur les points les plus saillants à ce stade.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, le présent projet de loi ne bouleverse pas l’économie générale de la gestion de l’épidémie, mais il vient renforcer et enrichir les outils mobilisés pour maîtriser au mieux l’évolution de la situation sanitaire.
Il demeure tout entier guidé par la recherche de cet équilibre difficile, avec le souci premier de protéger les Français, tout en assurant la continuité de la vie de la Nation et en nous évitant collectivement d’avoir à prendre des mesures plus contraignantes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout a été fait pour que le débat sur ce texte soit perturbé par des polémiques. Vous me permettrez de ne pas y prendre part.
À ceux qui sont certains d’avoir toujours raison, dans leurs raisons d’ailleurs successives (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.), j’opposerai simplement mes propres doutes et les quelques convictions qui ont pu s’en détacher.
Je vous prie également de m’excuser de ne pas recourir à un vocabulaire fracassant pour me faire entendre. J’ai toujours pensé que les Français ressentaient la vulgarité venant de leurs représentants comme une humiliation et non comme une marque de proximité. (Applaudissements nourris sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et CRCE.) Mais je ne prétends pas exercer la police du langage !
La vitesse de propagation du virus est sans précédent. Paradoxalement, ce texte n’a pourtant pas pour objet de répondre à l’urgence sanitaire. Pour la quasi-totalité des Français, le passe sanitaire est déjà un passe vaccinal. En outre, nous disposons d’un arsenal législatif considérable, que le Gouvernement ne souhaite mobiliser qu’avec parcimonie. Par ailleurs, il s’est hâté avec lenteur depuis l’annonce faite par le Premier ministre, le 17 décembre dernier.
Quand il avait fallu mettre fin à la crise des gilets jaunes en décembre 2018, l’affaire avait été bouclée en trois jours à la veille de Noël, et nous avions coopéré. De même, le Parlement avait su adopter en trois jours la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 et créant le régime de l’état d’urgence sanitaire. Là aussi, nous avions coopéré.
Depuis lors, le Sénat a constamment assumé ses responsabilités et s’est engagé dans la lutte contre l’épidémie en conjuguant exigence sanitaire, respect des libertés et contrôle parlementaire. Il a toujours accordé aux autorités sanitaires les pouvoirs nécessaires en posant ses propres conditions. C’est dire combien serait inacceptable toute mise en cause de notre esprit de responsabilité dans un contexte d’instrumentalisation politique de la lutte contre le covid par l’exécutif. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Alors que nous sommes confrontés à 100 000, 200 000 ou 300 000 contaminations par jour, voire plus, une réponse sous forme essentiellement d’incitation vaccinale sous contrainte, qui entrera en vigueur à partir de la mi-janvier, mais ne produira ses premiers effets qu’à partir de la fin du mois de février – il faudra du temps pour que les nouveaux convertis à la vaccination soient pleinement protégés – n’est en aucun cas à la hauteur du problème. D’ici là, si les contaminations se poursuivent au rythme actuel, une dizaine de millions de Français, très majoritairement vaccinés, auront sans doute été contaminés, ce qui aura des retombées certaines sur le système de soins.
Il est vrai que, sans que l’on puisse encore en déterminer la mesure exacte, le variant omicron, qui évince désormais le variant delta, semble beaucoup moins offensif et ouvre l’espoir d’une sortie du tunnel épidémique. Je veux le croire ! Mais ici et maintenant, nous sommes confrontés à une urgence sanitaire à laquelle le passe vaccinal, aussi utile qu’il puisse être, ne répond pas.
Le désordre à l’école, dans le travail et, surtout, à l’hôpital, auquel le Gouvernement n’a pas préparé le pays, ne sera pas réparé par des imprécations contre les non-vaccinés, qu’il faut convaincre au lieu de les montrer du doigt, au risque de les braquer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je suis fermement partisan de la vaccination, et ce depuis le début ! Elle a déjà sauvé de nombreuses vies humaines et elle en sauve encore tous les jours. Ses effets indésirables doivent être rapportés au risque épidémique auquel nous sommes confrontés, que le vaccin réduit sans pouvoir l’éliminer.
Il y a un large consensus médical en faveur du vaccin. S’il y a des voix scientifiques discordantes, auxquelles il convient, bien sûr, de prêter attention, il n’y a pas de choix plus raisonnable que de s’appuyer avec humilité sur ce consensus, d’autant que les résultats positifs du vaccin pour la santé publique sont tangibles : il atténue fortement le risque d’être malade ou de développer une forme grave de la maladie. Ce sont des faits !
L’un des enjeux essentiels est donc bien aujourd’hui encore de convaincre les hésitants de changer d’idée sur la vaccination, d’abord pour eux-mêmes et pour leur famille, ensuite pour l’ensemble de la collectivité nationale. Mais comment faire ?
Pouvons-nous imaginer réussir à convaincre ceux de nos compatriotes qui craignent le vaccin plus que le covid en les outrageant ? Ou même simplement en essayant de les circonvenir : « Vaccinez-vous et vous pourrez aller au restaurant et au cinéma ! » Pardonnez-moi, monsieur le ministre, mais cela révèle une piètre opinion des Français que de leur mettre en main un tel marché. On ne peut à la fois faire appel à la responsabilité de chacun de nos concitoyens et les traiter de manière aussi infantilisante en situant l’ordre de leurs priorités de manière aussi dégradante.
Beaucoup de nos compatriotes qui refusent le vaccin le font par conviction. Nous sommes en désaccord avec eux, sans doute, car ils se mettent en danger et leur imprudence aggrave les tensions sur notre système de soins fragilisé, mais comment faire évoluer leur conviction sans leur montrer d’abord un peu de respect ?
Il n’est pas juste de les accuser d’être à l’origine de la flambée de l’épidémie, puisque les trois quarts des personnes actuellement contaminées sont vaccinées. On ne peut davantage leur reprocher de saturer l’hôpital, car les malades du covid hospitalisés en soins critiques sont pour près de la moitié des personnes vaccinées. (Murmures réprobateurs sur les travées du groupe RDPI.)
Si l’hôpital est aujourd’hui sous tension, c’est dû à la fatigue collective d’une institution éprouvée par le covid ; c’est lié aussi aux contaminations au sein même des équipes de soins, mais ce n’est pas sans rapport non plus avec une politique hospitalière qui n’a commencé à s’intéresser à l’usure de notre système de soins qu’avec la crise sanitaire.
De ce point de vue, les non-vaccinés ont bon dos ! En l’absence d’obligation vaccinale, les personnes non vaccinées sont donc dans leur droit, même si leur comportement soulève un réel problème de santé publique.
Par conséquent, le seul argument médical possible en faveur du passe vaccinal, c’est l’argument de la protection et non celui de la punition. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nos compatriotes non vaccinés sont plus exposés que les autres à une forme grave de covid, surtout quand ils appartiennent à des catégories médicalement vulnérables. Ils ont donc un intérêt majeur à se faire vacciner, mais s’ils tardent à le faire, ils doivent se protéger, plus encore que nos autres compatriotes : ils doivent opter pour le télétravail s’ils sont actifs, porter un masque, utiliser du gel, appliquer les gestes barrières, effectuer des tests réguliers, et, bien sûr, éviter de fréquenter les lieux qui les exposent le plus aux contaminations, à commencer par ceux où l’on mange et où l’on boit, parce qu’il n’est pas possible d’y porter un masque comme à cette tribune.
Le Sénat a déjà admis à trois reprises, en mai, en juillet et en octobre, l’utilité d’une contrainte sanitaire pour l’accès à des lieux qui exposent aux contaminations et accepté de l’adapter à l’évolution du contexte épidémique. Chaque fois, nous avons posé nos conditions et fait en sorte que l’exigence de contrôle de la représentation nationale soit respectée. Et nous avons refusé les chèques en blanc en imposant le retour devant le Parlement si les paramètres du passe sanitaire devaient évoluer. Nous y voilà de nouveau !
Ce débat législatif, que vous avez à toute force voulu éviter en octobre, lorsque nous avions fixé l’échéance de février, vous avez décidé de l’ouvrir en janvier !
Sans enthousiasme, je vais donc proposer au Sénat d’admettre ce durcissement du passe pour les motifs de protection sanitaire que j’ai énoncés, mais en assortissant notre accord de quatre conditions destinées à préserver les libertés et la responsabilité de chacun.
Le maintien de ce passe ne sera pas laissé à la discrétion du Gouvernement actuel et de ceux qui le suivront jusqu’au 31 juillet, puisque le passe s’éteindra de lui-même progressivement au fur et à mesure que les critères que nous aurons posés seront réunis.
Les entreprises accueillant du public ne seront pas contraintes d’effectuer des vérifications d’identité, mais seront en revanche protégées par la loi quand elles demanderont un document avec photographie pour vérifier qu’il correspond bien au passe.
L’inspecteur du travail ne pourra substituer son appréciation à celle de l’employeur sur la nature des postes « télétravaillables » ni infliger à l’entreprise de sanction pénale en fonction de cette appréciation.
Les règles applicables aux mineurs de plus de 12 ans pour leurs sorties scolaires et extrascolaires seront simplifiées et unifiées. Pas de passe vaccinal en dessous de 18 ans !
Si ces conditions sont respectées, je vous demanderai, mes chers collègues, d’approuver les propositions de vos commissions.
Nous adresserons aussi une double mise en garde au Gouvernement : face à la déferlante omicron, il doit sortir d’une posture attentiste susceptible d’amplifier la crise et de désorganiser la société, l’école, l’hôpital et l’économie ; face à l’émotion causée par les propos blessants tenus par le Président de la République la semaine dernière, il doit réparer au plus vite les torts faits à la cause de la vaccination en renouant le fil du dialogue avec nos concitoyens non vaccinés.
Dans ce domaine comme dans d’autres, il vaut mieux convaincre que stigmatiser !
M. Loïc Hervé. C’est vrai !
M. Philippe Bas, rapporteur. Le Président de la République le sait d’ailleurs par expérience, lui qui déclarait voilà moins d’un mois qu’« il y a des mots qui peuvent blesser », « que ce n’est jamais bon et que c’est même inacceptable », que « le respect fait partie de la vie politique » et qu’« on ne fait rien bouger si on n’est pas pétri d’un respect infini pour chacun ». On ne saurait mieux dire ! (Bravo ! et applaudissements nourris sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Chantal Deseyne, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les effets du variant delta et, depuis décembre, de la rapide propagation du variant omicron, conduisent notre pays à affronter une double vague épidémique.
Face à celle-ci, et alors que la vaccination est aujourd’hui notre principal et plus efficace outil de lutte contre le virus, le Gouvernement nous invite à transformer le passe sanitaire en passe vaccinal.
L’objectif affiché est double : restreindre l’accès des non-vaccinés aux lieux identifiés comme étant propices à une contamination et les inciter par là même fortement à se faire vacciner. Il s’agit donc d’abord de protéger les non-vaccinés eux-mêmes, mais aussi de répondre à l’impératif fondamental qu’est la préservation de la santé des Français dans leur ensemble.
Alors que notre système de soins est sous tension et que nos soignants sont épuisés, garantir la santé de nos concitoyens, c’est aussi prévenir des hospitalisations évitables grâce à la vaccination. C’est aussi réduire les déprogrammations, la saturation de nos hôpitaux et, partant, limiter les pertes de chance.
Si nous regrettons que le Gouvernement n’assume pas clairement une obligation vaccinale de fait, notre commission a choisi de soutenir l’adoption de ce nouvel outil.
Parmi les articles dont la commission des affaires sociales s’est vu déléguer au fond l’examen, quatre prolongent des dispositifs dans le champ de la santé : l’article 1er bis prolonge la prise en charge intégrale par l’assurance maladie des téléconsultations ; l’article 1er quater prolonge le dispositif d’aide aux médecins libéraux des établissements de santé ; l’article 1er sexies ouvre la possibilité d’une nouvelle garantie de financement des établissements de santé pour le premier semestre 2022 ; enfin, l’article 1er quinquies étend une nouvelle fois la dérogation aux règles de cumul emploi-retraite pour les soignants.
Notre commission des affaires sociales s’est montrée réservée sur les nouvelles dérogations proposées à la hâte dix jours après la promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale, laquelle aurait légitimement pu les porter.
Aussi, même si elle a validé l’essentiel de ces dispositions, elle a souhaité encadrer la nouvelle exonération du ticket modérateur, alors que le retour au droit commun doit pouvoir se faire pour les téléconsultations.
Deux autres articles, issus d’amendements du Gouvernement adoptés en séance à l’Assemblée nationale, concernent le droit du travail.
L’article 1er bis A institue un régime de sanction administrative applicable aux employeurs qui ne respecteraient pas les principes de prévention des risques d’exposition de leurs salariés à la covid-19, le recours au télétravail étant visé par le Gouvernement.
Les employeurs, qui sont déjà soumis à l’obligation d’assurer la santé et la sécurité de leurs salariés sous peine de sanctions pénales, se sont très largement mobilisés depuis le début de la crise sanitaire. La commission a rejeté cette nouvelle logique coercitive, qui n’apparaît ni utile ni souhaitable, et qui donnerait une trop large marge de manœuvre à l’inspection du travail.
Par ailleurs, l’article 1er octies prévoit un nouveau report des visites médicales qui doivent être assurées par les services de santé au travail dans le cadre du suivi de l’état de santé des travailleurs.
L’accumulation des reports pouvant être préjudiciable, la commission a limité la portée de cette disposition aux visites et examens qui n’ont pas encore été reportés en application de précédentes mesures. En outre, afin de prévenir un risque d’engorgement des services de santé au travail à l’issue de la crise, nous avons renvoyé à 2023 l’entrée en vigueur de la nouvelle visite médicale de mi-carrière prévue par la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail.
J’en viens enfin à l’article 3, relatif aux mesures d’isolement et de contention dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement, qui vient pallier une triple censure constitutionnelle.
Du fait de la légèreté du Gouvernement lors de l’élaboration de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 et malgré les avertissements répétés de notre commission des affaires sociales, l’encadrement légal de ces mesures a été abrogé à compter du 1er janvier dernier. Il en résulte aujourd’hui un vide juridique, au détriment de toute sécurité juridique, mais surtout de la sécurité des patients et de la préservation de leurs droits.
L’article 3 prévoit désormais une saisine systématique du juge après un certain délai ; ce dernier peut ordonner la mainlevée de la mesure ou autoriser son maintien. La commission a adopté cet article, mais a souhaité notamment préserver la liste actuelle des personnes informées quand de telles mesures sont prises.
Au bénéfice de ces observations, la commission des affaires sociales s’est prononcée en faveur de l’adoption de ce projet de loi ainsi modifié. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)