M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre groupe partage le constat d’une justice trop incomprise et éloignée des Français, d’une justice trop lente et donc perdant de son efficacité. Pour autant, nous craignons la réflexion qui se résumerait ainsi : « La justice est trop lente ; court-circuitons-la ! »
Ce projet de loi texte nous semble finalement apporter une réponse incomplète à de vrais besoins. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires n’adhère pas au mouvement qui verrait comme seule réponse aux difficultés de la justice le fait de rogner sur les droits de la défense et sur l’initiative des magistrats enquêteurs ou d’acter l’éloignement des justiciables du juge.
En outre, ce texte n’est pas l’aboutissement d’une réflexion concertée : l’ouverture le 18 octobre, après le début de l’étude de ce texte, des États généraux de la justice, ainsi que le dépôt tardif par votre gouvernement de plusieurs amendements sur le texte issu de la commission mixte paritaire l’ont bien prouvé.
Avec ce projet de loi, présenté comme le résultat d’une réflexion qui devait couronner la fin du mandat en matière de justice, nous restons sur notre faim.
Vous avez certainement noté, monsieur le garde des sceaux, l’audace du ministre de l’intérieur dans la course à l’amélioration des chiffres et dans l’affichage de ceux-ci, puisqu’il s’est dernièrement félicité de la baisse des cambriolages sur une période – ces derniers mois – qui comprenait confinement, couvre-feu et restrictions de déplacements…
Il nous semble que la réponse n’est pas dans l’éloignement des justiciables du juge. Sous couvert de la recherche du compromis et de l’efficacité – « c’est plus simple de passer uniquement par des accords devant un avocat » –, vous rendez en quelque sorte optionnel l’accès à un juge en matière civile.
À vouloir afficher un changement radical, vous ne permettez d’amélioration profonde ni des conditions d’accès à la justice ni des conditions de travail des magistrats.
Nous ne pouvons pas nous associer à ce véritable changement de philosophie du droit que vous semblez opérer. Loin d’une vision de la justice pénale qui, en plus de juger les faits, personnalise la peine au travers du principe essentiel du jugement par ses pairs, votre désir – majoritairement partagé dans cet hémicycle – d’expérimenter, sous couvert de simplification, dans la durée les cours criminelles nous semble démontrer votre déconnexion par rapport à ce qu’une démocratie est en droit d’attendre de la justice.
Cette dérive, similaire à la problématique de correctionnalisation de certaines infractions sexuelles, nous paraît constituer un nouveau recul.
Faire plus simple, c’est bien. Mais faire plus juste, c’est mieux !
Je regrette les lacunes de ce texte concernant la justice des mineurs qui, vous le savez, est en souffrance, ainsi que les mesures sur l’exécution des peines qui sont toujours en trompe-l’œil et révèlent une pure volonté d’affichage.
De manière générale, les mesures touchant à l’exécution des peines ne découlent pas d’une réflexion profonde. La prison n’est pas la seule sanction efficace dans notre arsenal. Encore faudrait-il juger de l’efficacité d’une sanction non seulement comme réponse à une demande de punition, mais aussi comme étape permettant une réinsertion sociale, une fois l’aspect d’expiation et de protection de la société échu.
Cette ambition de sanctionner plus fort, et forcément par de la prison, ne s’accompagne pourtant d’aucune avancée sur les conditions des détenus. Je ne saurais trop rappeler les condamnations répétées de notre pays sur les conditions de détention.
Je comprends la volonté de remplacer le rappel à la loi, que vous qualifiez de sanction inefficace – je vous cite : « il n’impressionnait plus que les honnêtes gens » –, par des sanctions affichant une plus grande sévérité. Mais cela sert aussi, vous devez le savoir, à apporter de l’eau au moulin de ceux qui disent que la justice ne condamne pas assez.
Par ailleurs, nous trouvons aussi certaines propositions conservées dans ce texte un peu éloignées de la réalité du terrain. Par exemple, si la valorisation de la participation à des activités culturelles ou de l’acquisition de connaissances universitaires pour l’examen d’une réduction de peine est positive, ce sont des activités qui ne sont pas matériellement accessibles à tous dans un grand nombre de lieux de détention.
L’un des aspects clairement positifs de ce projet de loi est le traitement du travail en détention, zone particulièrement grise de notre système carcéral, même si le texte semble consolider l’idée que le droit du travail, particulièrement en termes de rémunération et de droits sociaux, s’arrête à l’entrée des prisons.
Une autre avancée réelle du texte est la possibilité de filmer les procès, ce qui permettra de mieux faire connaître le fonctionnement des tribunaux ou le déroulé d’un procès. Mon groupe s’est montré très vigilant sur ce sujet, s’agissant notamment de l’encadrement de cette pratique. C’est pourquoi je me félicite qu’un amendement que nous avions déposé sur la possibilité de mieux rendre anonymes les parties à la procédure ait été retenu lors de la commission mixte paritaire.
Monsieur le garde des sceaux, nous avons eu l’occasion et le plaisir d’échanger à plusieurs reprises et j’apprécie, depuis votre nomination, votre positionnement sur le budget de la justice, qui est en augmentation.
Mais cette réforme nous semble manquer d’une vision globale ancrée dans des principes aussi vieux que forts de notre système judiciaire. Nous estimons qu’elle risque d’aggraver la dérive vers une justice répondant essentiellement à une demande de plus de fermeté.
L’accroissement de l’éloignement entre les citoyens et les juges n’améliorera ni la confiance ni l’efficacité de la justice. C’est pour cela que le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre ce texte.
M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement, l’ensemble du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 45 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 329 |
Pour l’adoption | 235 |
Contre | 94 |
Le Sénat a adopté définitivement le projet de loi.
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets maintenant aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi organique pour la confiance dans l’institution judiciaire.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 46 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 249 |
Contre | 93 |
Le Sénat a adopté définitivement le projet de loi organique.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures trente, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.)
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Candidatures à une mission d’information et à deux commissions d’enquête
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation des membres d’une mission d’information et de deux commissions d’enquête.
En application des articles 8 et 8 ter, alinéa 5, du règlement, les listes des candidats remises par les groupes politiques pour la désignation des membres de la mission d’information sur le thème « Comment redynamiser la culture citoyenne ? », de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques et de la commission d’enquête « afin de mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France et d’évaluer l’impact de cette concentration sur la démocratie » ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées, si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
En accord avec le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, la désignation des dix-neuf membres de la mission d’information sur le thème « Protéger et accompagner les individus en construisant la sécurité sociale écologique du XXIe siècle » aura lieu mardi 23 novembre, à quatorze heures trente, le délai limite pour la remise des listes de candidats étant fixé le même jour, à dix heures.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
5
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire et à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2021 et au sein de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées, si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
6
Loi de finances pour 2022
Discussion d’un projet de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 2022, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 162, rapport général n° 163).
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour un rappel au règlement.
M. Éric Bocquet. Monsieur le ministre, je viens de lire un article du journal Le Monde paru ce jour, où il est fait référence à votre dernier ouvrage dans lequel vous suggérez, à propos de la réforme des institutions et des pouvoirs du Parlement, de « limiter les compétences du Sénat en matière budgétaire à des observations et à une approbation finale, et non plus une lecture complète »… (Exclamations et applaudissements sur les travées des groupes CRCE, GEST et Les Républicains.)
Mme la présidente. Acte est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Discussion générale
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la relance. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le ministre délégué – cher Olivier Dussopt –, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous propose de laisser à une prochaine séance, qui risque d’être longue et houleuse, la discussion sur l’organisation institutionnelle du pays. Je suis gaulliste, j’ai des convictions gaullistes (Exclamations sur les travées du groupe CRCE et sur des travées du groupe Les Républicains.) et, en ce qui concerne la place du Sénat et le fonctionnement de nos institutions, j’ai des convictions qu’il ne me paraît pas utile de rappeler à l’occasion de la présentation d’un projet de loi de finances.
M. Bruno Retailleau. Cela pourrait néanmoins être utile !
M. Pascal Savoldelli. C’est du double langage !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je vais donc me concentrer sur ce qui nous intéresse particulièrement aujourd’hui : les résultats économiques de la France.
Nos résultats économiques sont là : 6,25 % de croissance prévue pour 2021, 4 % pour 2022. J’ai reçu ce matin le secrétaire général de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui fait une évaluation plus optimiste de la croissance française : il l’évalue à 6,8 % pour cette année et à 4,2 % pour l’année prochaine. Les investissements des entreprises redémarrent, la consommation est forte. Nous avons donc devant nous une perspective de redressement économique dynamique, avec une France qui tire les autres économies de la zone euro.
Ces résultats économiques sont, d’abord, dus au travail de fond que nous avons engagé en début de quinquennat, notamment la baisse des impôts sur les ménages comme sur les entreprises qui incite à consommer et à investir. Ils sont dus, ensuite, à la vigueur du plan de relance que nous avons mis en place, dont 70 milliards d’euros seront engagés dès la fin de l’année 2021. Ils sont dus, enfin, au plan d’investissement que nous avons commencé à déployer.
Il existe néanmoins des risques que je voudrais rappeler à cette tribune.
Le premier risque, chacun en a conscience, c’est le retour de la pandémie. Je voudrais une nouvelle fois appeler chacun au sens des responsabilités, à la vaccination, dont le rappel vaccinal, et au respect des gestes barrières pour éviter que nous ayons à revivre en fin d’année 2021 ce que nous avons connu l’année dernière.
Je me souviens très bien de ces semaines de l’année dernière, où nous étions tous confrontés à des fermetures de commerces et aux difficultés des artisans, des indépendants, des grands magasins, des grandes surfaces, etc. Je ne voudrais pas qu’à quelques semaines de Noël, alors que tous ces secteurs d’activité redémarrent remarquablement bien, que les restaurants embauchent et cherchent des employés, que les commerces préparent les fêtes de Noël, la pandémie nous oblige de nouveau à des restrictions qui pèseraient sur la vie de nos compatriotes.
Je crois que c’est aujourd’hui le risque principal. Il dépend de chacun d’entre nous et de notre sens des responsabilités.
Le deuxième risque qui pèse sur la croissance française, c’est le risque de pénurie de main-d’œuvre et de composants, notamment de composants électroniques et de semi-conducteurs. Vous vous en êtes tous fait l’écho au cours des dernières semaines.
L’ajustement prendra du temps – on ne règle pas les problèmes de main-d’œuvre du jour au lendemain –, en particulier sur les semi-conducteurs qui sont essentiels pour toute industrie, automobile comme aéronautique.
La seule bonne réponse consiste à mener une politique d’investissement de long terme pour que la France puisse disposer des semi-conducteurs dont elle a besoin pour son industrie, ses transports, ses télécommunications. C’est exactement ce que nous avons commencé à engager avec le plan France 2030. La question des semi-conducteurs m’occupe au quotidien : nous devons réussir à faire venir de nouveaux investissements en France.
Enfin, le troisième risque, celui dont on débat beaucoup, c’est celui de l’inflation.
Je veux le confirmer à cette tribune, notre évaluation est que l’inflation est temporaire. Elle est tirée principalement par les prix de l’énergie et, dans le fond, la véritable difficulté est moins la hausse des prix que la forte augmentation des prix spécifiques de l’énergie, qui appelle des réponses fortes et rapides comme celles que le Gouvernement a apportées.
Pour le coup, cette augmentation des prix de l’énergie s’inscrit sur plusieurs mois. En effet, la demande est très dynamique en Chine, aux États-Unis et partout en Europe. En outre, l’épuisement des ressources fossiles, les moindres financements en faveur de ces énergies ou encore la transition vers des énergies renouvelables ou de l’énergie nucléaire sont des affaires de mois et d’années, beaucoup plus que de semaines.
Nous sommes donc confrontés à une augmentation durable des prix de l’énergie qui tire l’inflation, même si nous estimons cette inflation temporaire.
J’ajoute en ce qui concerne l’inflation, parce que j’entends les craintes sur ce qui se passe aux États-Unis, que le modèle américain n’est pas le modèle européen. Les politiques monétaire et budgétaire obéissent à une autre logique que celle qui préside aux choix faits en Europe. Par conséquent, il n’y a pas à craindre de contagion automatique de l’augmentation de l’inflation des États-Unis vers l’Union européenne.
En somme, mieux vaut une analyse lucide que d’exagérer la gravité de la situation ; mieux vaut garder son sang-froid sur ce sujet très sensible de l’inflation.
C’est ce qui nous a amenés à apporter deux réponses spécifiques : l’une sur l’énergie et l’autre en direction des ménages les plus modestes.
Sur l’énergie, d’abord, le Premier ministre a annoncé le gel des prix du gaz et le plafonnement des prix de l’électricité, qui est absolument vital, puisque, aujourd’hui, à l’heure où je vous parle, nous sommes confrontés à une augmentation des prix de l’électricité qui pourrait atteindre plus de 15 % à la fin du mois de janvier. Nous avons garanti aux Français que l’électricité n’augmenterait pas de plus de 4 % à cette échéance : nous prendrons à notre charge la différence entre ces 4 % et l’augmentation automatique.
Je veux insister aussi, toujours sur la réponse à apporter en matière d’énergie, sur la nécessité de modifier en profondeur le marché européen de l’énergie.
C’est un débat difficile, chacun connaît les positions de nos partenaires, mais je pense que personne ici ne peut accepter que les prix de production de l’électricité en France, qui sont modérés grâce aux choix énergétiques que nous avons faits depuis les années 1960, soient directement affectés par l’augmentation des prix du gaz, et que le coût marginal d’augmentation d’une centrale à gaz dans l’est de l’Europe définisse le prix de l’électricité produite dans une centrale nucléaire en France.
Je me bats pour la décorrélation entre le prix du gaz et le prix de l’électricité produite en France. Je me bats au fond pour l’indépendance énergétique de notre pays. Nous n’avons pas à dépendre des choix politiques ou économiques qui peuvent être faits par M. Poutine, lequel livre, je le rappelle, 40 % du gaz en Europe.
Sur la réponse apportée aux ménages les plus modestes, ensuite, nous avons décidé la mise en place d’une indemnité inflation réservée à chaque personne ayant un revenu inférieur à 2 000 euros.
De ce point de vue, je tiens à dire que nous regrettons, avec Olivier Dussopt, que vous ayez supprimé cette mesure simple et rapide qui concerne 38 millions de personnes et qui permet d’apporter une protection contre l’augmentation des prix pour toute personne, je le répète, ayant un revenu inférieur à 2 000 euros.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Nous l’avons remplacée par une mesure plus juste !
M. Bruno Le Maire, ministre. Votre mesure de remplacement, que j’ai évidemment étudiée soigneusement, exclut les retraités et les indépendants.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Non !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je considère donc qu’elle est moins juste et moins efficace. Par conséquent, la majorité rétablira en nouvelle lecture notre proposition initiale d’indemnité inflation pour chacun de nos compatriotes qui a un revenu inférieur à 2 000 euros. (M. Bruno Retailleau s’en désole.) C’est la protection que nous devons à nos compatriotes face à l’augmentation des prix.
Pour terminer, je voudrais m’intéresser quelques instants aux défis pour l’avenir qui vont aussi occuper nos débats sur ce texte. Je vois trois sujets majeurs sur lesquels le projet de loi de finances s’engage et qui doivent nous permettre de poursuivre sur la voie du redressement économique de notre pays et de renouer avec des performances économiques du meilleur niveau et – enfin ! – avec un plein-emploi que nous n’avons pas connu depuis un demi-siècle.
Le premier défi, c’est la réduction du chômage et des inégalités.
Ce combat, nous commençons à le gagner, mais la partie qui reste devant nous est la plus difficile, parce que, pour arriver enfin au plein-emploi que beaucoup de nos partenaires européens et occidentaux connaissent, pour sortir d’un demi-siècle de chômage de masse qui a fragilisé la société française tout entière, il faut poursuivre dans la voie d’un certain nombre de politiques qui sont courageuses et difficiles, mais qui donnent des résultats.
Réformer l’assurance chômage, lorsqu’il y a des propositions d’emplois qui se multiplient, qu’on a créé un million d’emplois en cinq ans, 500 000 au cours des dernières années, est une question d’efficacité et de justice.
Il est légitime de réformer l’assurance chômage, d’augmenter le nombre de mois de cotisations avant d’avoir accès à une indemnisation et d’être très strict sur le respect des règles. Il existe des règles pour pouvoir bénéficier d’une indemnisation du chômage. On peut refuser des offres d’emploi, mais, au bout d’un certain temps, si on ne prend pas un travail, si on ne respecte pas les règles, il est juste, comme l’a indiqué le Président de la République, de suspendre l’indemnisation du chômage.
Il faut également, en début de carrière professionnelle, multiplier les dispositifs qui permettent de développer l’apprentissage. Nous sommes en train de gagner cette bataille de l’apprentissage que beaucoup d’entre vous souhaitaient voir livrée depuis des années.
Nous sommes en train de devenir une grande nation d’apprentis. L’apprentissage, on le sait tous, c’est la meilleure voie d’entrée sur le marché du travail. C’est celle qui a été employée par nos partenaires allemands avec efficacité, et c’est celle que nous avons développée. Il faut poursuivre dans cette voie, car elle donne des résultats, d’autant que toutes les entreprises, même les plus petites, jouent parfaitement le jeu.
Le troisième instrument à déployer, c’est celui de la formation continue, qui doit être d’autant plus encouragée que des secteurs entiers de notre économie sont confrontés à des transitions comme elles n’en ont pas connu depuis un siècle. Le véhicule thermique se transformant progressivement en véhicule électrique, l’industrie automobile connaît la révolution technologique et industrielle la plus importante depuis le début du XXe siècle.
Aussi, il va falloir accompagner des dizaines de milliers de salariés pour leur permettre d’acquérir une nouvelle formation, une nouvelle qualification. On doit pouvoir dire à chaque ouvrier qui travaille aujourd’hui dans une fonderie, et qui sait parfaitement que le volume de commandes va diminuer – il y a quatre fois moins de pièces de fonte dans un moteur électrique que dans un moteur diesel ou essence –, que l’on va lui donner une nouvelle formation et l’accompagner vers un nouvel emploi. Il doit être assuré que, de la fonderie où il travaillait, il peut parfaitement basculer sur un emploi dans une gigafactory d’électrolyseurs que nous allons ouvrir, soit en Normandie, soit à Belfort, soit ailleurs.
L’accompagnement et la formation de chaque salarié confronté aux révolutions technologiques sont des impératifs absolus.
Enfin, pour gagner définitivement cette bataille du chômage, il faut évidemment engager une réforme des retraites, de sorte que nous ayons un âge légal de départ à la retraite plus tardif pour tenir compte de l’allongement de la durée de la vie, chacun étant incité à travailler plus longtemps.
Le deuxième défi, c’est celui d’une économie décarbonée. Nous voulons devenir la première grande économie mondiale à être totalement décarbonée : zéro émission de CO2 ! Cela suppose des investissements supplémentaires dans le nucléaire, avec l’ouverture de nouveaux réacteurs, comme l’a annoncé le Président de la République, l’investissement dans des réacteurs de nouvelle génération, le financement d’installations pour l’hydrogène vert, toutes choses que nous avons déjà engagées.
Je veux souligner à quel point ce défi est difficile à relever et demande beaucoup de constance dans nos choix.
M. Bruno Retailleau. Surtout de la constance !
M. Bruno Le Maire, ministre. Prenez l’exemple d’Ascoval, une entreprise que nous avons sauvée dans le nord de la France. Cette aciérie est confrontée aujourd’hui, alors qu’elle est parfaitement rentable, à une augmentation du prix des matières premières et de l’électricité.
Nous avons apporté une première réponse à cette entreprise au travers d’un amendement voté à l’Assemblée nationale pour toutes les entreprises fortement consommatrices d’énergie. Celui-ci prévoit une compensation financière de l’augmentation des coûts de CO2, à hauteur de 150 millions d’euros, dont une partie sera spécifiquement consacrée à Ascoval. Cette entreprise est particulièrement concernée, car elle fonctionne avec un four électrique qui émet certes moins de CO2, mais qui est évidemment plus coûteux lorsque le prix de l’électricité augmente.
Notre deuxième réponse, c’est la réception ce soir, par le cabinet de la ministre de l’industrie, des dirigeants de Saarstahl, qui se sont engagés à commander un volume minimum de rails au moment de la reprise d’Ascoval. Nous ferons respecter cet engagement, de façon à ce que l’entreprise puisse continuer à fonctionner dans de bonnes conditions. Pour écarter toute ambiguïté sur le sujet et, surtout, toute crainte et toute inquiétude des ouvriers et des salariés, je précise qu’une délocalisation d’Ascoval est totalement exclue.
Enfin, le troisième et dernier défi, c’est évidemment celui des finances publiques. Nous les avons rétablies lors des deux premières années du quinquennat. Nous avons ensuite fait le choix d’engager des dépenses massives pour protéger les salariés et des entreprises. L’Institut des politiques publiques vient de l’indiquer très clairement, il était moins coûteux de dépenser de l’argent pour protéger les salariés, éviter l’explosion du chômage et les faillites de masse, que de laisser faire et d’avoir une crise économique et sociale avec, derrière, des coûts absolument considérables. Nous avons une dette de 115 % au moment où je vous parle ; elle aurait été, selon cet institut, de 126 % si nous n’avions pas dépensé d’argent public pour protéger les salariés et les entreprises.
Nous continuerons à le faire, car la réduction de la dette, progressive et déterminée, est un impératif pour la Nation. Cela passe par de la croissance ; cela passe également par les réformes que j’ai indiquées – assurance chômage et réforme des retraites – ; cela passe enfin par un budget adopté sous une forme pluriannuelle, de façon à avoir de la visibilité et un calendrier clair sur la réduction de cette dette. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)