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Droit de visite en établissements
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissements, présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues (proposition n° 543 [2020-2021], texte de la commission n° 19, rapport n° 18).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi.
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vous le savez aussi bien que moi, la crise sanitaire a été un énorme choc collectif ainsi que, pour notre nation française, une épreuve de vérité, parce qu’elle a révélé un certain nombre de nos faiblesses : trop de centralisme, trop de bureaucratie, trop d’hésitations et, parfois aussi, un manque d’anticipation.
Mais au-delà de ces défaillances, je veux souligner que le pire, dans cette gestion parfois chaotique de la crise, a été le manque d’humanité. Si j’évoque ce défaut que la crise a mis au jour, c’est parce que, pendant de longs mois, et bien après le premier confinement d’ailleurs, des personnes vulnérables, fragiles, se sont retrouvées privées de tout contact avec leurs proches dans leurs établissements d’accueil.
Derrière ces portes closes s’est noué en réalité un drame terrible, notamment et surtout pour les personnes en fin de vie, qui ont été laissées seules dans leurs derniers instants, seules face à la mort, seules malgré le dévouement, que je veux évidemment souligner, de personnels soignants bien entendu débordés.
Ce drame a aussi été terrible pour les familles, qui ont été très souvent privées de l’accompagnement de leurs proches dans ces derniers instants, du rite de passage, et parfois même du rite funéraire, en tout cas, d’un rite digne de ce nom.
J’ai croisé la route de Stéphanie Bataille et de Laurent Frémont, qui ont créé, comme vous le savez, madame la ministre, le collectif Tenir ta main. J’ai été très ému, comme beaucoup d’autres, par leur témoignage.
En réalité, ce qu’ils ont vécu n’est pas admissible, tellement peu admissible que le Conseil d’État, dans une décision rendue en mars dernier, a dû rappeler un certain nombre d’évidences, que la Défenseure des droits s’en est émue dans son rapport de mai dernier et que le chef de l’État lui-même, le Président de la République Emmanuel Macron, en est arrivé à écrire cette phrase que je reprends au mot près : « Pour protéger nos aînés, la vigilance ne doit pas signifier l’isolement. »
Je pense que l’on doit tenir compte des alertes qui nous ont été transmises. Avec d’autres collègues, j’ai donc souhaité partir de ce constat pour instaurer un véritable droit de visite.
Ce droit de visite que nous voulons vous proposer apporte une triple garantie.
La première, c’est une garantie d’effectivité : nous voulons faire en sorte qu’un droit qui n’est aujourd’hui que virtuel devienne réel, autrement dit qu’il soit consacré dans le code de la santé publique et le code de l’action sociale et des familles. Nous voulons également que les dispositions de cette loi, pour qu’elles soient vraiment effectives et puissent s’imposer aux règlements, et notamment à ceux des établissements médico-sociaux ou des établissements de santé, soient d’ordre public.
La deuxième garantie, c’est une garantie de bon sens. Il s’agit de confier la charge du droit que nous souhaitons consacrer non pas à l’autorité administrative des établissements concernés, mais aux autorités médicales.
En effet, à nos yeux, les médecins sont mieux à même de déterminer le bon équilibre entre ce droit et la protection des personnes hébergées dans les établissements ; les autorités administratives se doivent évidemment d’obéir à des circulaires souvent trop uniformes, qui tombent de Paris. L’objectif est donc également de dresser un rempart contre la logique froide d’une mécanique bureaucratique.
La troisième garantie, c’est une garantie de solidarité et même de fraternité vis-à-vis de celles et ceux qui sont en fin de vie.
C’est en ce sens que le texte fait de ce droit une obligation inconditionnelle. La fin de vie est un moment trop grave pour laisser de côté les personnes qui vivent leurs derniers jours et, surtout, les couper de leurs liens affectifs. C’est fondamental !
Ainsi que vous le voyez, le texte n’est pas du tout partisan. Ce n’est pas non plus un texte inspiré par l’émotion, même si je pense qu’en la matière, l’émotion est nécessaire et parfaitement légitime.
La présente proposition de loi vise simplement à rappeler ce qui pourrait rester une évidence, mais qui – on le voit bien –, dans des situations d’urgence ou des situations extrêmes, doit être considéré comme un devoir d’humanité.
Ce qui est en jeu derrière, c’est la place que, dans nos sociétés dites « avancées », nous voulons attribuer aux plus fragiles, aux plus vulnérables. Ce qui est aussi en jeu, peut-être, c’est l’idée que l’on se fait de la vie. Bien entendu, chaque fois que des dispositions ont pu être prises au cœur de l’épidémie, nous avons voulu en toute bonne foi protéger des vies humaines. Mais, en voulant protéger des vies humaines, n’avons-nous pas été parfois conduits à réduire la vie humaine à sa seule dimension biologique, physique ?
J’entends par là qu’en coupant les liens affectifs des personnes, notamment des plus fragiles et des plus vulnérables, on leur ôte souvent une raison de vivre. On les prive d’une affection susceptible de leur rappeler qu’elles ne sont pas uniquement des corps souffrants, des corps taraudés par la maladie, des corps affaiblis par le grand âge, mais qu’elles sont aussi des cœurs aimants et aimés
En tant qu’individus, lorsque nous sommes confrontés personnellement à de telles situations, nous y répondons tout à fait spontanément et naturellement. Mais, en tant que législateurs, chargés de la règle commune, souhaitons-nous en tirer toutes les conséquences ? Sommes-nous prêts à ne pas sacrifier, au nom de la sécurité pour tous, la dignité de chacun, ce « chacun » pouvant être demain un proche, un parent ou un ami ?
Je le sais, la question n’est pas simple. Elle mérite une très grande attention. Nous ne voulons accuser ou faire le procès de personne. Simplement, il faut tirer les leçons de cette pandémie. Il serait tout de même paradoxal de les tirer en termes sanitaires, administratifs et de gestion, mais pas pour ce qui concerne l’humain.
Telle est la raison d’être de la présente proposition de loi. Nous ne devons pas, me semble-t-il, laisser une forme d’hygiénisme sanitaire dénouer les liens entre les personnes. La crise sanitaire – c’est une de ses leçons – nous a permis de redécouvrir une forme d’interdépendance humaine. Nous sommes des personnes, non des individus. Nous avons besoin les uns des autres. D’ailleurs, la vaccination s’est, elle aussi, inscrite dans ce cadre. Comme le disait Victor Hugo : « Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une ».
Ne laissons pas ces liens humains se dénouer ! Ne laissons pas confiner la compassion par un excès de prudence et de précaution !
J’ai évoqué au début de mon intervention le collectif Tenir ta main. Nous devons saisir cette main aujourd’hui. Ainsi, demain, les plus fragiles, nos aînés, les personnes handicapées, les personnes en fin de vie sauront que, indépendamment de l’urgence et de la situation, il y aura toujours d’autres mains pour les tenir, les secourir, les accompagner. Quoi qu’il arrive ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc de la commission. – M. Daniel Chasseing et Mme Laurence Cohen applaudissent également.)
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Souhaits de bienvenue à de jeunes citoyens en tribune
Mme la présidente. Mes chers collègues, après avoir accueilli le conseil municipal des jeunes de Caumont-sur-Durance, dans le Vaucluse, saluons ensemble la présence dans nos tribunes, sur mon invitation, du conseil municipal des jeunes de la ville de Gujan-Mestras, située au cœur du bassin d’Arcachon, en Gironde. (Applaudissements.)
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Droit de visite en établissements
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissements.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi a été cosignée par le président et plus d’une centaine de sénateurs du groupe Les Républicains. Mais, au-delà, son contenu me semble de nature à nous rassembler très largement, comme il nous a déjà rassemblés en commission.
L’objet de ce texte est aussi simple que son titre. Il s’agit de mieux préciser les modalités d’application du droit qu’ont les personnes prises en charge à l’hôpital ou accueillies en établissement médico-social de recevoir la visite de leurs proches et de rendre ce droit inconditionnel pour les personnes en fin de vie.
Vous devinez, mes chers collègues, quels événements récents ont motivé sa rédaction : l’interruption des visites, à partir de la première vague de covid-19, qui a placé des milliers de personnes hospitalisées ou résidant en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) à l’isolement forcé.
Nous savons que cet isolement a été difficile à vivre pour les personnes concernées et leur entourage. Nous savons qu’il leur a parfois été fatal. Ce que la gériatrie appelle pudiquement un « glissement » désigne tout bonnement un désir de mourir.
Voilà de quoi s’augmente notre intelligence collective en 2021 : les humains peuvent mourir de nouveaux virus, comme de ne plus être considérés comme des humains.
Je veux cependant être claire : comme Bruno Retailleau l’a rappelé, il ne s’agit pas de montrer quiconque du doigt ni de refaire la commission d’enquête sur la gestion de la crise. Les directeurs d’établissement ont tout fait pour protéger les patients ou les résidents, avec les moyens dont ils disposaient à chaque instant, et encore ne faisaient-ils le plus souvent qu’appliquer des directives nationales ou suivre les éléments de la communication officielle qu’une navigation sans visibilité – on peut le reconnaître – ne pouvait que rendre fluctuants, erratiques ou contradictoires.
Ce n’est pas même nécessairement remettre en cause les décisions qui ont été arrêtées que de le dire : la restriction sans précédent de la vie sociale des personnes prises en charge en établissement a été une véritable catastrophe sur le plan de la psychologie individuelle, mais aussi collective.
Sur ce dernier point, nous manquons encore de recul, même si nous savons que les proches des personnes décédées vivent à présent avec l’angoisse, la culpabilité et travaillent à faire un impossible deuil. Il appartiendra aux historiens et aux anthropologues d’en dire plus, mais les fondateurs du collectif Tenir ta main, Stéphanie Bataille et Laurent Frémont, n’ont sans doute pas tort de parler d’un « recul de civilisation sans précédent » pour désigner ces trop nombreuses semaines du printemps 2020, où des centaines de personnes décédées ont été mises en sac – je pèse mes mots – sans avoir vu leurs proches ni même reçu les derniers soins que l’humanité doit aux défunts.
Bref, nous sommes sans doute entrés dans une nouvelle époque en matière de conception de la vie sociale en établissement de santé et médico-social. La question ne se posait guère avant – il faut le reconnaître – sans toutefois que l’on puisse dire si le faible nombre de réclamations antérieures à 2020 indique une gestion sans faille ou l’intériorisation par les familles de contraintes jugées difficilement contestables.
Mais, pour l’avenir, le texte tend à parer au risque de déséquilibre entre la protection du droit à recevoir des visites et la nécessité de protéger le plus grand nombre. Ce risque, la Défenseure des droits l’a étayé récemment, car l’organisation des visites en établissement suscite encore des incompréhensions chez les usagers et leurs familles : soit parce que, le pic épidémique passé, les directeurs d’établissement font toujours preuve d’une prudence excessive, soit parce que l’on se rend compte à présent que les plages horaires de visites avaient jadis été trop étroitement délimitées, par mauvaise habitude ou par contrainte de personnel.
La commission des affaires sociales a donc jugé opportun le mécanisme proposé dans le texte.
Celui-ci introduit d’abord dans la loi le droit des patients et résidents qui le souhaitent de recevoir des visites quotidiennes, et en précise les limites, car il va de soi qu’un tel droit ne saurait être absolu. L’administration et un certain nombre de juristes objectent, pour s’y opposer, que ce droit est déjà garanti au plus haut niveau de notre ordre juridique.
Il est exact que les usagers qui s’estimeraient injustement privés de visite pourraient invoquer devant le juge des principes rangés aux derniers étages de la pyramide des normes, tels le droit à la vie privée ou le droit à la santé, et que la Cour européenne des droits de l’homme fait de la convention européenne une interprétation très favorable à la liberté individuelle.
Tout cela est sans doute très rassurant, mais je crois que nous pouvons convenir que, si l’on peut préciser la loi plutôt que de laisser les usagers demander au juge l’autorisation de voir leur père ou leur mère à l’hôpital, cela vaut le coup d’essayer !
On objecte encore que de tels principes sont déclinés dans de nombreux documents de rang inférieur à la loi, comme la charte de la personne hospitalisée ou le livret d’accueil du résident en Ehpad, et que cela suffit. C’est possible, mais ces documents de droit souple sont plus ou moins précis. De ceux-là, les usagers ne peuvent pas se prévaloir devant un juge. Et, à nouveau, il convient de s’assurer qu’ils correspondent à la situation nouvelle.
Non seulement il appartient naturellement à la loi de préciser le régime des droits et libertés, mais, en l’espèce, la loi semble un véhicule approprié pour clarifier un principe important de gestion des établissements prenant en charge un public fragile. D’ailleurs, la loi s’autorise déjà à être plus explicite sur d’autres composantes du droit à la vie privée. À l’hôpital, elle s’attarde sur les contours du droit au secret médical et, en établissement médico-social, sur le respect de l’intimité et la liberté d’aller et venir. Y accoler, par souci de précision, le droit de recevoir des visites et en préciser le régime n’aurait donc rien d’aberrant.
Que s’agit-il précisément de ranger dans la loi ? Le texte que j’ai proposé à la commission des affaires sociales et que celle-ci a adopté est très proche du texte initial. Il ne fait que le préciser ou l’alléger sur certains points.
Il repose sur un trépied solide : l’inscription dans la loi d’un principe fondamental qui y fait défaut et laisse en conséquence les usagers dans l’ignorance de leurs droits et les établissements face à la tentation de la surprotection ; la responsabilité toutefois laissée aux directions d’établissement de le mettre en œuvre sans formalisme excessif ; l’introduction, enfin, de garde-fous contre les situations d’inhumanité que nous avons connues au printemps 2020, en sanctuarisant le droit de visite dans les cas extrêmes.
L’article 1er vise à introduire dans le code de la santé publique la mention d’un droit de visite quotidien pour les patients des établissements de santé, qui ne peut être subordonné à une information préalable de l’établissement.
Il précise en outre les motifs possibles de refus de visite, qui sont au nombre de deux : le risque d’une menace pour l’ordre public à l’intérieur ou aux abords de l’établissement et le risque sanitaire pour les autres patients, les visiteurs ou les professionnels. Ces motifs sont ceux qui ont déjà été invoqués en pratique et acceptés par le juge chargé de contrôler l’exercice par les directeurs d’établissement de leur pouvoir de police des visites. La possibilité de les invoquer serait appréciée par le chef du service où se trouve le patient ou, sur sa délégation, tout autre professionnel de santé.
Un refus devrait être motivé et notifié sans délai aux intéressés. C’est le formalisme minimal qu’il semblait nécessaire d’imposer à une telle décision.
L’article 3 procède de même pour les établissements médico-sociaux. Les dispositions initiales de la proposition de loi ont été codifiées dans le code de l’action sociale et des familles et allégées pour ne pas alourdir le formalisme imposé aux directions d’établissement.
Par ailleurs, la procédure a été légèrement précisée : en disposant que l’avis sur le risque sanitaire pouvant fonder un refus de visite peut être rendu par tout professionnel de santé désigné par le directeur en l’absence de médecin coordonnateur, car les Ehpad ne sont pas les seuls établissements concernés, et tous les Ehpad n’ont d’ailleurs pas de médecin coordonnateur ; en poussant à la formalisation de la décision de refus, qui devra être motivée et notifiée sans délai aux intéressés ; en précisant enfin que le règlement de fonctionnement de l’établissement, établi après consultation du conseil de la vie sociale, fixe les modalités de respect de ce droit de visite.
L’article 4 rendait inconditionnel le droit de visite des personnes en phase terminale d’une affection mortelle incurable pour certains de leurs proches. La commission a également codifié ce dispositif, et l’a élargi à deux égards : d’une part, en visant les personnes « en fin de vie ou dont l’état requiert des soins palliatifs », notion que le code de la santé publique connaît déjà ; d’autre part, en élargissant le périmètre des visites à un cercle plus étendu de proches, car emprunté à celui des personnes pouvant justifier la prise d’un congé de proche aidant. Pourquoi en effet restreindre la visite des personnes en fin de vie aux seuls membres de leur famille proche, à l’exclusion de leurs amis ?
L’article 5 tente de préserver les mesures qui précèdent de la menace que pourrait faire peser sur elles l’état d’urgence sanitaire. Il soumet les mesures réglementaires prises sous ce régime qui restreindraient le droit de visite à l’avis conforme motivé du conseil scientifique et il précise que ces mesures ne sauraient faire obstacle au droit de visite inconditionnel prévu à l’article 4. La commission a ajouté le Comité consultatif national d’éthique parmi les organes à consulter, afin d’éclairer les décisions prises d’une lumière éthique, précisément, et non seulement scientifique ou épidémiologique.
L’article 6 tend à préciser que les dispositions du présent texte sont d’ordre public. Cela empêchera les stipulations contractuelles, par exemple celles qui lient les cliniques privées à leurs patients, de les contredire.
Mes chers collègues, le droit de visite est un enjeu majeur pour les personnes hospitalisées ou accueillies en établissement médico-social. Il faut le savoir, aujourd’hui, en octobre 2021, certains patients en fin de vie refusent d’aller à l’hôpital. Craignant de ne pas pouvoir recevoir la visite de leurs proches, ils préfèrent être pris en charge en hospitalisation à domicile, ce qui exige une grande présence de leur famille, aux côtés des professionnels de santé.
Ce texte se fixe donc, avec des moyens bien proportionnés, des ambitions très justement circonscrites, dans l’intérêt de tous les usagers de notre système sanitaire et médico-social.
Il y aura un « avant » et un « après » pandémie. J’ose l’espérer, madame la ministre, pour l’« après », vous reconnaîtrez ce droit de visite inconditionnel.
Pour ma part, mes chers collègues, je vous invite à adopter la proposition de loi dans la rédaction issue des travaux de la commission. La dignité humaine et la dignité des malades nous obligent ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Daniel Chasseing et Mme Laurence Cohen applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le sujet qui nous réunit aujourd’hui, le droit de visite des familles à leur proche malade ou en perte d’autonomie, touche à quelque chose de fondamental, qui concerne la possibilité même de relations familiales sereines et apaisées par-delà les âges et les générations.
Nous sommes réunis pour parler de liberté, d’intimité, face à des enjeux de protection, de sécurité. Nous sommes là pour répondre à cette question redoutablement difficile : comment réussir à concilier deux droits, apparemment contradictoires, mais chacun légitime, celui d’être libre et celui d’être protégé ?
Cette question n’est pas nouvelle ; elle n’est pas née avec la pandémie. Mais force est de constater que la crise sanitaire, avec les confinements successifs et les mesures vécues avec douleur, nous oblige à penser à nouveau cette articulation sensible entre la liberté qu’il faut défendre et la sécurité qu’il faut garantir.
C’est donc avec beaucoup d’humilité que je prends la parole. Face à ce qui concerne à la fois le plus intime et le plus collectif, il n’y a évidemment pas de place pour l’arrogance et la certitude. Je ne prétends donc pas détenir une vérité absolue, et nul ne la détient d’ailleurs en ce domaine, qui n’additionne pas des chiffres et des lignes comptables, mais qui aide chacun à vivre sa vie, donc sa vie familiale, par-delà les obstacles.
Je tiens à vous remercier, monsieur Retailleau. La proposition de loi que vous avez déposée, avec le soutien de vos collègues, est une chance. Elle nous permet d’ouvrir un espace dans lequel le débat peut exister, vivre, se déployer.
En revanche, je ne peux pas me résoudre à entendre parler de « défaut d’humanité ». Je peux témoigner, ayant recueilli le retour d’expérience des aides-soignants et des médecins, qu’il est difficile pour eux d’entendre ces mots. Ils se sont beaucoup engagés au service des plus vulnérables, y compris dans les derniers instants. Ils l’ont fait avant la crise, pendant la crise, et ils continuent de le faire aujourd’hui. C’est pourquoi je veux leur rendre hommage à l’occasion de ce débat.
Je crois sincèrement que l’ambition de votre proposition de loi est empreinte d’humanisme, et je salue votre engagement pour les malades, pour les personnes âgées vivant en Ehpad et pour toutes celles et tous ceux qui doivent, à un moment ou à un autre de leur vie, pour quelques jours ou quelques semaines, vivre dans des établissements de santé.
Vous le savez, le droit de visite est d’ores et déjà un principe législatif, à la fois pour les établissements de santé et les établissements médico-sociaux.
Votre proposition de loi vise en premier lieu les établissements de santé. Je vous rappelle qu’il n’y a pas eu d’interdiction générale et absolue des visites, en dehors de la première vague de l’épidémie, de mars 2020 à mai 2020. Dans un objectif de contrôle des flux pour éviter la contamination des patients, du personnel et de l’environnement, les visites étaient temporairement limitées, et leur déroulement encadré.
Les établissements de santé sont des lieux de soin accueillant des personnes malades, à qui l’on doit avant tout la protection de la santé. Le droit de visite est donc un droit du patient d’être visité ; celui-ci peut refuser la visite sur le fondement du respect du droit à la vie privée et aux termes de la charte de la personne hospitalisée. Ce droit s’appuie sur le principe général du droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, affirmé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Les patients et leurs visiteurs disposent donc de droits, mais aussi de devoirs envers les autres patients et les professionnels de santé, d’autant plus importants en période de pandémie, par exemple lorsqu’ils occupent une chambre double.
Le droit de visite est donc un principe établi et déjà garanti.
Faire des visites en établissement de santé un « droit opposable » ne serait pas réaliste, compte tenu du nombre d’exceptions et de violations potentielles en fonction du type d’activité, qu’il s’agisse de santé mentale, maternité, réanimation, infectiologie, urgences ou encore soins de suite. Cette question se pose également en matière de situations associées, sociales ou psychologiques, de configuration des locaux et conditions d’hébergement, et, plus généralement, au regard des nécessités d’organisation des services.
Chacun peut en convenir, un médecin chef de service ou son délégataire, en particulier en situation d’urgence, est pleinement mobilisé autant par son activité de soin et d’organisation de service que par des notifications individuelles à chaque patient, y compris ceux qui ne restent que quelques heures aux urgences, des décisions motivées en cas d’interdiction liée à un risque ponctuel d’infection nosocomiale, par exemple.
Je tiens également à préciser que l’accompagnement des personnes en fin de vie n’est pas une visite comme les autres. Il fait l’objet de mesures organisationnelles adaptées, ainsi que le prévoit de manière explicite l’article R. 1112-68 du code de la santé publique, dont la rédaction semble plus ouverte aux proches, aux bénévoles ou encore aux membres du culte.
Plus généralement, il me semble préférable de privilégier les dispositifs de médiation organisés à l’échelon local, plutôt que la judiciarisation des conflits.
Ce que j’ai entendu aussi, pendant et après cette crise, c’est que des familles demandaient elles-mêmes de préserver leurs personnes âgées du virus et allaient jusqu’à menacer d’engager des procédures pour mise en danger de la vie d’autrui avec circonstance aggravante s’agissant de personnes vulnérables, que notre devoir oblige à protéger particulièrement.
La proposition de loi vise également à créer un droit de visite pour les personnes résidant en Ehpad et pour les personnes malades en établissement sanitaire.
Elle trouve évidemment son origine dans la crise sanitaire et s’enracine dans les souffrances endurées par celles et ceux qui ont été privés des visites de leurs proches, à l’hôpital comme en Ehpad. Je veux ici rendre hommage à toutes ces familles qui ont souffert de ne pas pouvoir accompagner leur proche au cours des derniers instants. J’ai entendu leurs retours. Croyez bien que je mesure quelle a été leur douleur et comprends parfois leur colère.
Au début de cette crise, les autorités sanitaires et les directeurs d’établissements ont eu à prendre des décisions très difficiles pour faire face à une situation complètement inédite.
Oui, lors de la première vague, alors que nous ne connaissions pas le virus, des mesures strictes d’isolement se sont imposées. Elles ont été guidées par des recommandations scientifiques.
Pour un certain nombre de citoyens, les portes ont été fermées du jour au lendemain, ce qui n’était jamais arrivé. Nous avons eu à cœur de protéger les plus vulnérables, en premier lieu les personnes âgées, au risque parfois de les isoler, avec les conséquences que l’on sait désormais.
Nous sommes ici pour faire en sorte que ces événements douloureux ne se répètent jamais plus.
Je tiens à insister sur un point essentiel : il ne s’agit en aucun cas de stigmatiser ou juger des équipes, des professionnels, des directeurs, qui ont fait preuve d’un engagement sans faille et ont mis en place des mesures, au mieux de ce qu’ils pouvaient faire, dans ce temps, d’ailleurs pas complètement derrière nous, où la mort était omniprésente et l’incertitude si grande.
Dès ma nomination à l’été 2020, appelée aux côtés du ministre de la santé au cœur de la crise – j’ai déjà eu l’occasion de venir vous rendre compte de mon action sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs –, je me suis particulièrement impliquée pour défendre l’application d’un principe fort dans les Ehpad : protéger sans isoler.
Dès que nous avons pu rouvrir les Ehpad, nous l’avons fait – c’était à l’été 2020 –, mais la deuxième vague est arrivée. Nous avons vu le nombre de clusters augmenter considérablement. Conformément aux recommandations sanitaires des autorités scientifiques, nombre de directions d’établissement ont dû réactiver des mesures de protection ; je pense notamment aux visites sur rendez-vous.
Dès lors, notre objectif a été de maintenir à toute force le lien des résidents avec leur famille, leur lien social, tout en les protégeant. C’était évidemment une vraie ligne de crête. La tenir a entraîné chaque jour pour les directions d’établissement des dilemmes, des interrogations éthiques et pratiques.
Face à ces difficultés, nous avons cherché à donner aux professionnels opérant dans les établissements un cadre, des directions à suivre. Et, dès que la situation sanitaire le permettait, nous avons essayé d’alléger les protocoles, par exemple à Noël.
Après la décision du Conseil d’État du 4 mars dernier, nous avons saisi le Haut Conseil de la santé publique, ou HCSP, pour avoir des réponses sur les conséquences de la vaccination. Nous avons été en mesure d’envoyer un nouveau protocole pour engager, dès le 13 mars, un retour progressif à la vie normale. Le 12 mai, nous avons notamment rouvert les accueils de jour. Le 21 juillet, nous avons assoupli les protocoles pour un retour au droit commun.
Sans relâche, nous avons tiré les conséquences de ce que nous étions en train de vivre pour adapter les mesures de gestion dans les établissements, en prenant en compte à la fois la situation sanitaire et le souhait, tellement légitime, des familles de se retrouver.
Je vous le dis, à titre personnel, et contre des vents contraires parfois puissants, je me suis battue pour que la liberté dans ces établissements reste le principe, et l’isolement l’exception.
Nous avons aussi dû faire face à un enjeu d’accompagnement des professionnels des établissements, pour les orienter et ne pas les laisser seuls face à des décisions difficiles.
Au mois de septembre 2020, j’ai donc lancé un groupe de réflexion éthique sur le thème de la liberté et de la protection des personnes, réunissant des représentants d’établissement, des familles, des juristes, des éthiciens, des médecins, des psychologues et, naturellement, des professionnels. Nous avons également compté avec la participation de la Défenseure des droits et des associations précédemment citées.
Ce groupe de travail nous a permis de mettre en relation des acteurs qui n’avaient pas l’habitude de se parler et nous a aidés dans la construction des différents protocoles, comme le protocole de Noël, que j’ai défendu avec force, dans un contexte inquiétant de reprise épidémique sévère. Ce protocole, tout en étant sécurisant pour les établissements, a permis à de nombreuses familles de profiter de moments importants avec leurs proches en ces fêtes de fin d’année si particulières.
Nous avons également conçu des outils dédiés aux familles pour leur permettre de mieux appréhender les diverses recommandations s’agissant des visites en Ehpad.
Nous avons construit ensemble la partie « consentement à la vaccination » des personnes âgées en Ehpad.
L’ensemble des protocoles dont j’ai parlé ont également été élaborés avec l’aide de ce groupe de réflexion éthique et grâce au travail mené par Fabrice Gzil, chercheur en éthique et philosophie, membre du Comité consultatif national d’éthique, que je remercie une fois encore. Au mois de novembre, je lui ai confié une mission ayant un double objet. D’abord, produire un document pour proposer, avec modestie, des repères, des pistes de réflexion, un guide pour l’action des professionnels dans les établissements ; cette ressource nous a été précieuse. Ensuite, réaliser une charte éthique d’accompagnement du grand âge, qui m’a été remise le 2 septembre ; nous travaillons actuellement à en soutenir la diffusion et l’appropriation par les établissements.
J’en suis convaincue, si ces travaux ont été très utiles pendant la crise, ils le seront tout autant après. Ils répondent à des dilemmes auxquels sont confrontés les professionnels, que nous devons collectivement écouter et accompagner.
Car c’est bien d’éthique, et même d’éthique appliquée, que nous parlons aujourd’hui ! Vous allez débattre dans quelques minutes d’une proposition de loi, mais j’aimerais rappeler que l’éthique est première ; elle précède la norme et lui succède.
La réflexion éthique est une réflexion difficile, exigeante, mais elle est nécessaire. Ainsi que Fabrice Gzil nous le rappelle dans sa charte, il n’y a pas d’éthique d’exception : nous ne devons jamais déroger aux principes essentiels de l’accompagnement des personnes âgées. Je le rejoins complètement à cet égard.
Le débat ce jour se structure autour d’un conflit, d’une antinomie, que j’ai rappelée en introduction. Comment préserver la liberté individuelle des résidents et les protéger en même temps ? Comment trouver la juste mesure ?
Avant de voter une norme supplémentaire pour essayer de répondre définitivement à la question, regardons l’état actuel du droit s’agissant du droit de visite des résidents.
La Constitution garantit par son article 66 la liberté individuelle, dont le droit de visite est intrinsèque.
L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit, quant à lui, que toute personne « a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
Un peu plus bas dans la pyramide des normes, l’article L. 311-3 du code de l’action sociale et des familles garantit le droit à la liberté d’aller et venir et le droit à une vie privée.
Dans le cadre d’un recours spécifique, il appartient au juge de concilier les deux principes fondamentaux que sont le respect des libertés individuelles et la sécurité des personnes dont les établissements médico-sociaux sont responsables.
Je tiens d’ailleurs à le rappeler, dans un référé-liberté du 15 avril 2020, le Conseil d’État a déclaré que, si les visites de personnes extérieures aux Ehpad, notamment des membres des familles et de l’entourage des résidents, sont suspendues, des autorisations exceptionnelles de visite peuvent être accordées, entre autres, aux proches des résidents dont la vie prend fin, avec l’accord, le cas échéant, du médecin coordonnateur, dès lors que peuvent être prises des mesures propres à protéger la santé des résidents et du personnel, ainsi que des visiteurs.
Cette décision montre bien qu’il est déjà possible de faire valoir un droit de visite en établissement devant le juge. De fait, nombreux sont les textes ou les décisions de jurisprudence rappelant que la liberté d’aller et venir est une liberté fondamentale. D’un point de vue strictement juridique, le droit de visite est donc déjà garanti par les textes.
Je vous pose donc la question suivante, mesdames, messieurs les sénateurs : l’édiction d’une nouvelle norme est-elle la meilleure réponse pour faire avancer et progresser le droit des personnes concernées ? Autrement dit, la loi est-elle à elle seule suffisante ? Le seul moyen de s’en assurer est de veiller à ce qu’elle soit connue et appliquée. Je le sais, la Haute Assemblée est particulièrement attentive tant à la qualité du droit qu’à son application.
Faire connaître ses droits, faire connaître la loi, c’est un travail de chaque instant. C’est notre rôle, c’est votre rôle. La tenue d’un tel débat est cruciale à cet égard.
Vous le savez, je suis une ministre de terrain. On ne pourra pas me faire le reproche de ne pas être allée à la rencontre et en soutien de ces hommes et de ces femmes, principalement des femmes d’ailleurs, qui prennent soin tous les jours des personnes âgées. Des échanges que j’ai pu avoir – je rappelle qu’ils n’ont pas commencé avec la crise – et que je continue d’avoir sur de tels sujets, j’ai pu dresser un constat : malgré l’adhésion de principe au cadre juridique et l’impulsion donnée à la lutte contre la maltraitance et à la promotion de la bientraitance, des atteintes aux droits des usagers restent évidemment possibles dans le quotidien des établissements et des services, pour des raisons de sécurité ou de protection des personnes, y compris contre elles-mêmes, comme si la primauté des droits individuels sur de telles considérations n’était toujours pas intégrée dans les pratiques.
Parfois, les frontières et les arbitrages entre droits, devoirs et obligations des usagers sont établis au sein d’une structure dans l’objectif de faire au mieux pour les personnes accueillies, mais sans une maîtrise suffisante de notions juridiques complexes ou difficiles à replacer précisément en situation.
Si les orientations nationales sont fortes, elles laissent une marge d’interprétation et d’adaptation. La méconnaissance de leurs droits par les personnes elles-mêmes et leur faible repérage des ressources ou des points de comparaison extérieurs ajoutent au risque de voir entériner comme un état de fait, parfois cautionné dans des écrits institutionnels, des atteintes plus ou moins graves aux droits des personnes accueillies.
On constate souvent du côté des professionnels ou des responsables une peur d’être mis en cause à titre personnel quand l’exercice des droits par les intéressés s’accompagne d’une prise de risque.
Aussi est-ce souvent par des impératifs de sécurité, individuels ou collectifs, que sont justifiés divers contraintes, interdictions ou empêchements de fait.
J’en suis convaincue, il s’agit donc, au-delà de la loi, de penser des outils, des guides, des formations, des projets, des partenariats pouvant permettre d’aider, et d’accompagner à la fois les professionnels dans leur pratique et les personnes elles-mêmes dans la compréhension et dans l’appropriation de leurs droits. Je n’appelle évidemment pas à l’écriture d’un slogan supplémentaire. J’appelle bel et bien à s’inspirer du concret, des situations vécues, des expériences, heureuses ou douloureuses, dont on nous fait régulièrement le témoignage.
Ce travail, le Gouvernement l’a déjà engagé bien avant le débat que nous entamons ici. Avec mes collègues Éric Dupond-Moretti, Olivier Véran et Sophie Cluzel, nous avons en effet missionné un groupe de travail interministériel réunissant la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice et la direction générale de la cohésion sociale du ministère des solidarités et de la santé. Il s’est vu confier l’identification, la définition des mesures de restriction de la liberté d’aller et venir dans les établissements médico-sociaux, l’élaboration, sur une base juridique, d’un cadre clair, cohérent, opérationnel pour la mise en œuvre de ces mesures et, le cas échéant, pour leur contestation.
L’objectif est double : rassurer et accompagner les professionnels ; assurer le respect des droits fondamentaux des résidents.
Un État responsable, c’est un État qui accompagne ceux qui font, ceux qui agissent et qui sont amenés à prendre des décisions, fussent-elles difficiles. Ce rôle est d’autant plus grand en temps de crise. Quand il s’agit de rendre des comptes, nous le faisons. C’est là un rôle tout à fait fondamental en démocratie.
Je crois aussi qu’il faut prendre la mesure du moment. Ce que je retiendrai de ces derniers mois, c’est que nous avons des professionnels dévoués corps et âme, habitués à des protocoles rodés dans leurs établissements. Ils ont été soudain confrontés à l’incertitude, à la mort, à la maladie pour eux-mêmes, pour leurs proches, pour ceux dont ils avaient la charge.
Nul ne ressortira indemne de cette année 2020 tant elle fut éprouvante. Je veux avoir une pensée pour toutes celles et tous ceux qui nous ont quittés. Le rôle de l’État, le rôle qui est le mien, et que j’ai tenu à endosser dès ma nomination, c’est celui d’une ministre nommée en temps de crise, qui épaule un secteur responsable, organisé, mais ayant besoin d’être guidé. Ma responsabilité, elle est là : avoir écouté et essayer de guider et d’adapter les réponses au gré de l’évolution sanitaire.
Évidemment, il ne faut pas sombrer – et tel n’est pas votre propos, me semble-t-il – dans un procès en inhumanité qui ne grandirait personne, et certainement pas la Haute Assemblée. Dans l’adversité, nous devons faire face à des questions qui nous engagent toutes et tous, en tant qu’homme et femme, en tant que citoyen et citoyenne et en tant que responsable.
Avant de céder la parole, j’aimerais rappeler un propos de Kant, qui définissait le droit comme « l’ensemble des conditions qui permettent à la liberté de chacun de s’accorder avec la liberté de tous ». Le droit existe. À nous maintenant de faire en sorte d’accorder réellement les libertés de chacun avec les libertés de tous. Assurer la mise en œuvre concrète et réelle d’un cadre juridique exigeant constitue un travail essentiel sur lequel le Gouvernement s’engage et veut avancer avec les familles et les directeurs. J’y tiens plus que tout.
C’est pourquoi, en dépit des excellentes intentions que je prête à votre texte, aux membres de cette Haute Assemblée, je ne peux pas soutenir l’adoption de la présente proposition de loi.