Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte de notre collègue Bruno Retailleau crée un droit de visite pour les malades et pour les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissement. Il part du constat que la crise sanitaire de la covid-19 s’est accompagnée de mesures particulièrement difficiles pour les Français les plus fragiles, souvent isolés et privés du contact de leurs proches, voire de leur liberté d’aller et venir.
Pour les protéger d’un virus que l’on connaissait mal, des restrictions de visite parfois drastiques ont en effet été décidées dans les établissements médico-sociaux, principalement les Ehpad, et dans les établissements de santé.
Prises dans l’urgence d’une situation nouvelle, les restrictions ont porté leurs fruits : accompagnées de mesures strictes de protection et de prévention, elles ont permis d’éviter les contaminations en chaîne et, dans la plupart des cas, ont empêché que le pire n’advienne.
Néanmoins, ces dispositions exceptionnelles ont été à l’origine d’une profonde souffrance, pour les patients, qui se sont trouvés séparés de leurs proches du jour au lendemain, et qui pendant des mois n’ont pu compter que sur de rares visites, comme pour les soignants, qui se sont mobilisés pour que ce lien subsiste malgré tout.
Pour les familles, les restrictions ont été d’autant plus difficiles à accepter qu’elles ont parfois été décidées « en dehors des cadres prévus à cet effet », comme l’a constaté la Défenseure des droits dans son rapport sur les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad.
Trop fréquentes, trop contraignantes et parfois sans réel fondement médical, les limitations de visites ont suscité la colère et l’incompréhension de nombreuses familles. En témoigne le nombre de réclamations formées contre ces établissements, dont la Défenseure des droits s’est fait l’écho.
Face à ce constat, face à ces drames, on nous propose « d’instaurer […] un droit de visite pour garantir dans les faits que les résidents en Ehpad, en foyers pour personnes handicapées ou soignées dans les établissements de santé ne soient pas abandonnés à l’isolement ».
Je le dis en toute sincérité : de prime abord, il paraît séduisant de conforter le cadre légal en vigueur, afin d’éviter, autant que faire se peut, que ces situations ne perdurent et ne se reproduisent.
Pourtant, ce cadre existe déjà. Dans les établissements médico-sociaux, il est garanti notamment par les articles L. 311-3 et L. 311-9 du code de l’action sociale et des familles, relatifs au droit des personnes accueillies dans ces établissements d’aller et venir librement et au maintien des liens sociaux et familiaux.
La charte de la personne hospitalisée concentre, quant à elle, l’ensemble des droits qui protègent les personnes en établissement de santé. Elle leur garantit notamment le respect de la vie privée et de la vie familiale, ainsi que le droit de recevoir de la visite.
L’article R. 1112-68 du code de la santé publique prévoit que les proches d’une personne en fin de vie sont admis à rester auprès d’elle et à l’assister dans ses derniers instants.
À l’évidence, si les personnes en établissement disposent bel et bien d’un droit de visite, beaucoup reste à faire pour le rendre effectif : en ce sens, je fais mien le constat dressé par les auteurs de cette proposition de loi.
Dans son analyse, la Défenseure des droits énonce deux recommandations au sujet des visites de proches en Ehpad.
Premièrement, elle invite le ministère des solidarités et de la santé à « veiller à ce que les décisions liées au renforcement des mesures de contrainte sanitaire […] soient prises pour une durée déterminée et limitée dans le temps ». Elle préconise également que ces décisions soient individualisées.
Deuxièmement, à l’intention des agences régionales de santé (ARS) et des conseils départementaux, elle rappelle la nécessité pour les directions d’Ehpad de proposer aux résidents des modalités de commutation à distance, notamment par le biais de la vidéoconférence.
C’est aussi le constat de ces insuffisances qui a présidé à la création d’un groupe de travail interministériel chargé d’identifier les principales mesures restrictives de la liberté d’aller et venir dans les établissements sociaux et médico-sociaux, ce dont nous nous réjouissons.
Pour ce qui concerne les établissements de santé, il pourrait être pertinent de procéder à l’actualisation de la charte de la personne hospitalisée, document déjà vieux de quinze ans. Il s’agit à la fois d’améliorer la lisibilité de ce texte et d’accroître, pour les patients comme pour leurs proches, la facilité d’accès aux représentants des usagers et à la commission des usagers (CDU), instance dont le rôle a d’ailleurs été renforcé par la loi du 26 janvier 2016.
Mes chers collègues, nous ne pouvons évidemment pas nous satisfaire du sort qui a pu être réservé à nos concitoyens les plus fragiles. Toutefois, nous estimons que le cadre juridique en vigueur garantit déjà un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées : notre mission consiste surtout à en assurer l’effectivité.
Ainsi, la présente proposition de loi nous semble à la fois prématurée et susceptible de complexifier le cadre existant, notamment pour les établissements de santé. C’est pourquoi nous nous abstiendrons.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi aborde un sujet difficile, mais d’une très grande importance.
Ces derniers mois ont été particulièrement éprouvants pour les personnes âgées hébergées en établissement, pour les personnes hospitalisées et pour leurs proches. Nous avons tous été touchés, de près ou de loin, par la détresse d’hommes et de femmes vivant leurs derniers instants dans la solitude sans pouvoir dire adieu à ceux qui leur sont chers.
Cette détresse, c’est aussi celle des familles, traumatisées de ne pas avoir pu accompagner leurs proches jusqu’au dernier moment.
Cela étant, je tiens à remercier et à féliciter les directeurs, les médecins et l’ensemble des personnels des établissements médico-sociaux et des hôpitaux, qui ont fait de leur mieux pour gérer la crise sanitaire en synergie avec les familles et pour éviter les contaminations au sein des établissements.
Souvenons-nous qu’en 2020 nous avons vu déferler un virus très contagieux, entraînant beaucoup de décès, et que nous n’avions ni traitement ni vaccin.
La proposition de loi de notre collègue Bruno Retailleau encadre le droit de visite des personnes hébergées en Ehpad, en établissement de santé et dans les secteurs réservés aux personnes handicapées. L’article 4 précise que ce droit de visite sera absolu pour les personnes en fin de vie.
Je félicite notre rapporteure, Corinne Imbert, d’avoir apporté des précisions salutaires à cette proposition de loi.
Tout d’abord, dans les établissements de santé, c’est le chef de service qui prendra les décisions relatives aux visites, en lien avec la direction. Dans les établissements médico-sociaux, notamment les Ehpad, le médecin coordonnateur ou le médecin traitant pourra motiver les refus de visites, en lien avec la direction également.
Pendant l’épidémie de covid-19, les directeurs et les professionnels de santé ont été dans l’obligation de restreindre les visites, afin d’éviter la propagation du virus dans leurs établissements, qui hébergent des personnes particulièrement fragiles. Avant la vaccination, c’était leur première source d’angoisse.
Les amendements de Corinne Imbert sont à la fois clairs et pragmatiques. Ils permettent de bien préciser les limites au droit de visite.
Effectivement, à l’arrivée de la période hivernale, nous ne sommes pas à l’abri d’un nouveau variant résistant à la vaccination. Le cas échéant, certains établissements seront contraints de limiter de nouveau le nombre de visiteurs pour des raisons de sécurité sanitaire. Les conditions de visite doivent donc être claires et applicables à ces situations d’urgence.
De même, le droit de visite pour les personnes en fin de vie a été précisé, étendu et encadré. Grâce au travail de la commission des affaires sociales, le texte offre désormais un cadre législatif précis et adapté, sur lequel pourront s’appuyer les directeurs, les chefs de service et les médecins coordonnateurs des établissements.
La proposition de loi contribue à replacer l’humain au cœur de notre système de soins, fidèle au serment d’Hippocrate : « Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. »
De nombreuses personnes l’ont éprouvé lors des derniers mois : la qualité du lien social est déterminante pour que chacun puisse traverser le mieux possible les épreuves de l’épidémie et, plus généralement, les épreuves de la vie.
En parallèle, gardons à l’esprit que, dans un établissement d’hébergement collectif, la contamination d’une seule personne par un proche lui rendant visite peut entraîner la contamination et la mort de dizaines d’autres patients ou résidents. À tout le moins, c’était le cas avant l’arrivée du vaccin.
Il faut donc comprendre la rigueur et la vigilance dont le personnel encadrant a fait preuve. Ces professionnels ont dû veiller à la sécurité de l’ensemble des pensionnaires tout en maintenant les visites autant que faire se pouvait.
À mon sens, la proposition de loi de M. Retailleau, précisée par le travail de la commission, atteint un juste équilibre entre sécurité sanitaire et préservation du lien social. Les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront ce texte ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tout au long de la crise sanitaire, nous avons tous été bouleversés par les appels au secours de nos administrés, pour qui il devenait insupportable de ne plus pouvoir rendre visite à leurs proches hospitalisés, âgés en Ehpad ou handicapés en foyers de vie.
Les interdictions de rendre visite aux proches en établissement dès le début de la crise sanitaire ont créé un véritable traumatisme chez nos compatriotes, qu’ils aient eu à subir ces contraintes personnellement ou non.
Privées de leurs proches, des personnes âgées en établissement sont tombées en dépression sévère, et leur santé, voire leur vie ont parfois été mises en danger.
Les enfants n’ayant pas pu accompagner leurs parents en fin de vie éprouvent un fort sentiment de culpabilité. Ils n’arrivent pas à faire leur deuil. J’ai en mémoire les témoignages bouleversants d’enfants n’ayant pas pu saluer leurs parents à l’aube de la mort ou même revoir leur visage avant l’inhumation.
Surtout, face au refus qui leur était opposé de voir leurs proches, les familles se sont trouvées démunies, faute d’une possibilité de recours contre des décisions qu’elles ont vécues comme injustes ou disproportionnées.
L’article R. 1112-7 du code de la santé publique donne compétence aux directeurs pour décider d’interdire les visites en établissement.
Compte tenu de la grande vulnérabilité des personnes concernées en raison de leur âge et de leur état de santé, et des taux de mortalité élevés constatés dès le début de la crise sanitaire, des mesures contraignantes ont dû être prises. Les directeurs d’établissement ont ainsi décidé d’interdire les visites en application des directives gouvernementales, donc d’entraver la liberté d’aller et venir. Ces mesures étaient légitimes, car il s’agissait de préserver la santé et même la vie des usagers.
Il convient de se replacer dans le contexte du début de la pandémie, en mars 2020. Nous avions peu d’informations sur le virus du covid-19. En outre, nous ne disposions ni de masques ni de gel. Le manque de personnels dans les établissements n’a pas non plus été étranger à la prise de telles décisions. Faute de personnel en nombre suffisant pour accueillir les familles dans des conditions sanitaires optimales, les directeurs n’ont pas voulu faire courir de danger aux usagers ou voir leur responsabilité mise en cause.
Faute d’être réglementé précisément, le droit de visite a été appliqué de manière différente dans les établissements, certains directeurs faisant preuve de plus de latitude, de mansuétude ou d’humanité que d’autres.
Je saisis l’occasion qui m’est offerte aujourd’hui pour saluer le courage et le dévouement des personnels soignants et, plus largement, de tous ceux qui travaillent dans les établissements médico-sociaux. La plupart d’entre eux ont fait preuve d’abnégation et ont comblé le vide affectif des proches par leur mobilisation personnelle.
Madame la rapporteure, rappelons-nous des personnels de cet Ehpad charentais, qui ont décidé de se confiner sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec les résidents, afin de les protéger au mieux. (Mme la rapporteure le confirme.)
La crise sanitaire aura mis en lumière un certain nombre de défaillances et de dysfonctionnements dans beaucoup de domaines, notamment dans les secteurs hospitalier et médico-social.
Aujourd’hui, après les décisions prises dans l’urgence, nous avons la responsabilité d’apporter des réponses et de prévoir des garde-fous pour l’avenir.
Le droit de visite est une composante du droit à une vie privée et familiale. À ce titre, il est reconnu et protégé par la convention européenne et la Cour européenne des droits de l’homme. Il figure dans la charte de la personne hospitalisée comme dans la charte des droits et libertés de la personne âgée en situation de handicap ou de dépendance.
Dès lors, madame la ministre, on peut effectivement s’interroger sur l’opportunité de légiférer en la matière ? Personnellement, je pense que oui.
En effet, ce qui apparaît à première vue comme une évidence relevant du bon sens – quoi de plus naturel que de rendre visite à un proche hospitalisé ou résidant en Ehpad ? – a cessé de l’être pendant la phase la plus critique de la crise sanitaire que nous traversons. (Mme la ministre déléguée manifeste son désaccord.)
Dans un rapport de 4 mai 2021 intitulé Les Droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad, la Défenseure des droits a pointé les abus et les restrictions de droits constatés durant la crise sanitaire.
Le flou juridique entourant la notion de droit de visite plaide en faveur d’une clarification. C’est pourquoi je salue l’initiative de notre collègue Bruno Retailleau, que je remercie d’avoir déposé cette proposition de loi. Ce texte a le grand mérite de rendre effectif le droit de visite et d’en préciser les modalités d’application.
Les patients pris en charge à l’hôpital, comme les usagers d’établissements médico-sociaux, auront la garantie de ne pas être coupés de tout lien social et affectif, quelle que soit la situation. Ainsi précisé, le droit de visite sera appliqué de manière uniforme sur l’ensemble du territoire, quel que soit l’établissement.
Le droit de visite deviendra le principe. Le refus sera l’exception. Il devra être motivé de manière spécifique, suivant qu’on se trouve dans un établissement de santé, dans un Ehpad ou dans un foyer pour personnes en situation de handicap : la proposition de loi apporte un certain nombre de précisions à cet égard.
Dans les établissements de santé, le droit de visite ne peut être refusé qu’en cas de menace à l’ordre public. Le refus doit être prononcé par le médecin chef de service et non plus par le directeur administratif, si les raisons invoquées sont liées à la santé du patient, des visiteurs ou du personnel. Seul le chef de service peut invoquer des raisons médicales.
Dans les Ehpad et les foyers pour personnes handicapées, le refus doit être motivé au cas par cas, individuellement et en fonction des circonstances de fait. Là encore, s’il est lié à la protection de la santé, l’accord du médecin est toujours nécessaire.
Par ailleurs, pour les personnes en fin de vie, cette proposition de loi institue un véritable droit de visite inopposable.
Je salue d’ailleurs l’excellent travail de notre rapporteure, Corinne Imbert, qui a proposé des évolutions bienvenues. Le principal apport de la commission des affaires sociales tient précisément au droit de visite inconditionnel aux personnes en fin de vie ou dont l’état requiert des soins palliatifs. Initialement prévu pour certains proches – descendants, ascendants, conjoints, membres de la fratrie ou personne de confiance –, ce droit de visite a été étendu aux proches aidants.
Mes chers collègues, ce texte transpartisan a fait l’objet d’un vote unanime des membres de la commission des affaires sociales. J’espère qu’il fera également l’unanimité en séance ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire a agi comme un révélateur non seulement des inégalités sociales et territoriales, mais également de la capacité de résilience de nos organisations face à un choc exogène.
Ce qui s’est passé ici ou là lors du premier confinement restera comme un traumatisme national, malgré l’engagement des professionnels, sur lequel je ne reviens pas.
Certes, les circonstances étaient exceptionnelles, et il a fallu se contenter d’une gestion en mode dégradé. Mais elle s’est parfois révélée défaillante faute de suffisamment s’appuyer sur les principes forts régissant les droits fondamentaux des personnes accueillies.
Le droit de visite dans les établissements médico-sociaux, lieux de vie des résidents, peut aussi être formalisé comme un droit de recevoir. C’est une expression du droit fondamental à la vie privée. Divers documents internes, faisant souvent l’objet de concertations avec le conseil de la vie sociale (CVS), en précisent les modalités tout en les adaptant aux nécessités d’une structure collective.
Toutefois, à l’occasion des événements exceptionnels que nous avons connus lors de la crise du coronavirus, un certain nombre de directives imposées aux organisations ont été l’occasion d’une mise à l’épreuve. Elles ont nourri une logique de surprotection sanitaire des personnes âgées ou en situation de handicap, dont certaines conséquences irréversibles se font encore sentir aujourd’hui.
Le constat a fait l’objet de plusieurs communications. Retenons en particulier les travaux de la Défenseure des droits, laquelle a reçu nombre de témoignages et de réclamations faisant état « de personnes ayant perdu le goût de la vie, souffrant de dépression, exprimant le sentiment d’être emprisonnées ou encore leur envie de ne plus vivre ».
Des mesures restrictives exceptionnelles ont été maintenues, quelquefois inutilement, sans que l’on cherche à obtenir le consentement ou seulement l’approbation des personnes concernées. Cela interroge sur la méconnaissance des droits fondamentaux auxquels ces mesures exceptionnelles, même justifiées, portaient atteinte. Parmi eux figure le droit au maintien des liens familiaux, dont le droit de visite en établissement est l’une des déclinaisons.
À première vue, il peut paraître étonnant que ce droit de visite fasse l’objet d’une proposition de loi spécifique. Mais, comme la crise sanitaire l’a montré, en période exceptionnelle, il faut toujours rappeler ce que la dérogation temporaire doit au droit fondamental qu’il suspend en quelque sorte.
Un article du présent texte rappelle précisément les situations – fin de vie, soins palliatifs, etc. – dans lesquelles la dérogation n’est pas autorisée, comme les motifs précis, justifiés et notifiés du non-respect du droit d’être visité.
Madame la ministre, je tiens à réagir à votre intervention. À mes yeux, dans un débat éthique, il faut toujours de s’interroger sur ce que dit le droit. Le droit n’exclut ni le dilemme ni le conflit éthique ; il en est au contraire la condition. Dans un débat éthique, il n’est donc jamais inutile, tant s’en faut, de formaliser le droit ! (Mme la ministre déléguée manifeste son incompréhension.)
Ces circonstances exceptionnelles nous apportent un autre enseignement, d’une portée plus générale, celui de la minoration, pour ne pas dire de la non-prise en compte de la santé mentale et sociale dans la santé globale.
Un certain nombre de personnes sont mortes non de la covid, dont elles ont été protégées, mais du sentiment d’abandon et du syndrome de glissement, sur lequel les précédents orateurs ont beaucoup insisté.
Or, les considérations médicales mises à part, l’entrée en établissement est conçue comme une réponse à l’isolement et à ses conséquences délétères. Pourtant, en la matière, une gestion uniquement médicale a primé, interdisant toute prise de risque, surprotégeant les personnes du fait de leur vulnérabilité et ignorant un grand nombre de marges de manœuvre. (Mme la ministre déléguée exprime son désaccord.)
Il reste donc à travailler, hors du cadre normatif, sur les bonnes pratiques en cas d’urgence sanitaire et à s’assurer de l’effectivité des droits. Ne l’ignorons pas, les défaillances d’hier et les obstacles à l’effectivité des droits aujourd’hui tiennent aussi au manque de moyens humains.
Ce qui s’est passé ne doit plus se reproduire. La formalisation du droit de visite y contribuera. Néanmoins, la question des moyens alloués aux Ehpad demeure. Ces établissements ne disposent pas du personnel médical et soignant nécessaire pour garantir le respect des droits fondamentaux des personnes accueillies, en tant que sujets de droits et non objets de soins.
Au-delà des premières mesures, nous avions besoin d’une réforme ambitieuse et d’une grande loi dédiée à l’autonomie pour engager des transformations profondes en faveur de l’amélioration de la qualité de vie de toutes les personnes âgées ou en situation de handicap, en établissement ou à domicile. Manifestement, cela ne figure plus à l’agenda.
Cela étant, les élus du groupe écologiste voteront la proposition de loi de notre collègue Bruno Retailleau, en espérant qu’elle prenne place dans une réforme systémique à la hauteur des enjeux ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Yves Bouloux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier notre collègue Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, d’avoir pris l’initiative de ce texte bienvenu.
Avant l’épidémie de covid-19, nous n’avions jamais eu à nous pencher sur l’accès des proches aux établissements de santé et encore moins à débattre d’un droit au maintien des liens familiaux.
Ainsi que cela a déjà été souligné, il s’agit non pas de pointer la responsabilité de tel ou tel établissement, mais bien de penser à l’avenir, de poser un cadre législatif efficace là où la législation existante s’est révélée défaillante.
Le droit des personnes hospitalisées ou accueillies en établissement médico-social de recevoir des visites n’est pas expressément consacré par la loi. Ce droit découle du respect du droit à la vie privée. Il figure dans la charte du patient hospitalisé ou dans le livret d’accueil de l’établissement. Il revient donc aux directions des établissements de l’organiser et de le limiter.
Or, en dépit du caractère décentralisé de l’application de ce droit, la crise sanitaire a conduit à une interdiction générale sur l’ensemble du territoire. Une suspension du droit de visite s’est appliquée uniformément sans tenir compte des indicateurs épidémiologiques locaux. De nombreux malades sont ainsi décédés seuls sans avoir été accompagnés par leurs proches.
Les autres personnes hospitalisées ou accueillies dans des établissements médico-sociaux dont la vie n’était pas en jeu n’ont eu, pendant plusieurs mois, aucun contact avec le monde extérieur.
Cette interdiction générale et absolue, abusive, s’est révélée catastrophique pour les patients et leurs proches. Les conséquences de ces entraves à la vie privée et familiale ont été dramatiques pour les personnes résidant en Ehpad. Ce fut le cas de ma propre mère.
Particulièrement vulnérables, de nombreux résidents n’ont plus reconnu leurs proches au moment des retrouvailles. Murés dans leurs chambres durant de longs mois, ces personnes âgées sont désormais dans le silence.
Au mois de mai dernier, le rapport de la Défenseure des droits intitulé Les Droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad l’affirmait : la vulnérabilité au covid 19 de ces résidants a justifié « l’adoption de mesures restrictives rigoureuses, dérogatoires au droit commun, hors cadre normatif spécifique ».
Mais, selon elle, la crise sanitaire s’est contentée de mettre en lumière des défaillances existantes en matière de droit au maintien des liens familiaux, ainsi que de liberté d’aller et de venir.
Sa trente-cinquième recommandation est d’ailleurs d’inscrire dans la loi le droit de visite quotidien du résident par ses proches s’il le souhaite. S’est alors posée la question de la nécessité de légiférer.
Mes chers collègues, inutile de vous le rappeler, nous n’avons pas et nous n’aurons jamais le dernier mot sur les moyens accordés. En revanche, si nous créons un droit de visite, il pourrait être effectif demain !
Vous êtes-vous rendu compte que les libertés des détenus ont été moins entravées que celles des personnes hospitalisées ou accueillies en Ehpad ?
Le droit de visite des détenus n’a en effet été suspendu sur l’ensemble du territoire que durant le premier confinement, alors que celui des personnes hospitalisées et les résidents en Ehpad a été limité durant de longs mois, et l’est parfois encore aujourd’hui. Peut-être est-ce dû au fait que le droit de visite des détenus relève du code de procédure pénale ?
Enfin, aucun passe sanitaire n’est exigé pour visiter des détenus alors qu’il l’est lorsque l’on visite un malade ou un résident en Ehpad pourtant vacciné !
Pour toutes ces raisons, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est essentielle. Vous l’aurez compris, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissements
Article 1er
Après l’article L. 1112-2 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1112-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1112-2-1. – Les établissements de santé garantissent le droit des personnes qu’ils accueillent de recevoir chaque jour tout visiteur qu’elles consentent à recevoir.
« Le directeur de l’établissement ne peut s’opposer à une visite que si le médecin chef du service dont dépend le patient ou, sur sa délégation, tout autre professionnel de santé, estime qu’elle constitue une menace pour la santé du résident, celle des autres patients ou celle des personnes qui y travaillent, ou une menace pour l’ordre public à l’intérieur ou aux abords de l’établissement. Une telle décision, motivée, est notifiée sans délai au patient et à la personne sollicitant la visite.
« Sauf si le patient en exprime le souhait, aucune visite ne peut être subordonnée à une information préalable de l’établissement. »