Sommaire
Présidence de Mme Nathalie Delattre
Secrétaires :
Mmes Jacqueline Eustache-Brinio, Victoire Jasmin.
2. Candidature à une délégation sénatoriale
3. Mesures de justice sociale. – Discussion en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées
4. Souhaits de bienvenue à de jeunes citoyens en tribune
5. Mesures de justice sociale. – Suite de la discussion en deuxième lecture et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale (suite) :
M. Philippe Mouiller, rapporteur de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 2 de M. Martin Lévrier. – Rejet.
Adoption de l’article.
Adoption, par scrutin public n° 2, de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
6. Droit de visite en établissements. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi
7. Souhaits de bienvenue à de jeunes citoyens en tribune
8. Droit de visite en établissements. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale (suite) :
Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption, par scrutin public n° 3, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée
9. Mise au point au sujet d’un vote
Suspension et reprise de la séance
10. Implantation locale des parlementaires. – Adoption d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié
M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de loi organique
Demande de renvoi à la commission
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
Mme Nadia Hai, ministre déléguée
Clôture de la discussion générale.
Articles additionnels avant l’article 1er
Amendement n° 15 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 16 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 18 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 17 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 19 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendements nos 6, 5, 14 et 8 de M. Jean Louis Masson. – Devenus sans objet.
Amendement n° 2 rectifié de Mme Christine Lavarde. – Devenu sans objet.
Amendements nos 13, 12, 11, 10 et 9 de M. Jean Louis Masson. – Devenus sans objet.
Amendement n° 21 rectifié de Mme Françoise Gatel. – Devenu sans objet.
Article additionnel après l’article 1er
Amendement n° 23 rectifié de M. Cyril Pellevat. – Retrait.
Amendement n° 3 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Intitulé de la proposition de loi organique
Amendement n° 7 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Adoption, par scrutin public n° 6, de la proposition de loi organique dans le texte de la commission, modifié.
11. Ordre du jour
Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale
compte rendu intégral
Présidence de Mme Nathalie Delattre
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio,
Mme Victoire Jasmin.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 7 octobre 2021 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Candidature à une délégation sénatoriale
Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
3
Mesures de justice sociale
Discussion en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, portant diverses mesures de justice sociale (proposition n° 700 [2020-2021], texte de la commission n° 17, rapport n° 16).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, depuis quatre ans, la politique du handicap, priorité du quinquennat, a mobilisé l’ensemble du Gouvernement.
Le secrétariat d’État aux personnes handicapées est en effet rattaché de façon inédite au Premier ministre. Nous avons pu ainsi tenir cinq comités interministériels du handicap, depuis 2017, sous l’égide du Premier ministre.
Pour assurer la société du choix et du plein accès aux droits que nous appelons de nos vœux, nous avons conduit depuis l’élection du président Emmanuel Macron des réformes concrètes, avec et pour les personnes en situation de handicap. Nous n’avons pas à rougir de ce qui a été fait collectivement pour le handicap. Rappelons-nous aussi que nous l’avons fait tous ensemble.
Permettez-moi de reprendre rapidement les avancées que nous avons réalisées, comme je le soulignais, collectivement. Grâce à la mobilisation de chacun, nous avons changé la donne pour non seulement renforcer la participation des personnes handicapées, mais également leur garantir leur juste place de citoyens à part entière et non à part.
Ce n’est pas un hasard si cette politique a été construite, plébiscitée et soutenue par tous – vous compris, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, pour les acteurs de terrain que vous représentez.
En effet, c’est l’affaire de tous de faire progresser la participation des personnes en situation de handicap. Nous l’avons fait avec le soutien – je le rappelle – de l’ensemble des syndicats dans le dialogue social, avec des signatures engagées de l’ensemble des départements, notamment de l’Association des départements de France, ainsi qu’avec des employeurs, publics ou privés, et des associations.
C’est un succès collectif. Toutes ces briques ne sont pas isolées, nous avons créé une société de l’autodétermination et non de l’assignation à résidence, une société inclusive. Ce terme peut être parfois dévoyé, mais la conviction que je porte, chevillée au corps, et qui est vraiment au fondement de notre engagement, de notre richesse, c’est que la diversité est une force.
Dans la période actuelle, où souvent l’on agite les peurs et la défiance de l’autre, permettez-moi de redire ce message de cohésion sociale, de société inclusive selon lequel la différence fait la richesse de notre société.
Cette société de l’autodétermination et de la confiance implique de ne plus demander aux personnes dont le handicap est irréversible de renouveler constamment leurs droits. Nous sommes le premier gouvernement à avoir simplifié massivement les démarches administratives des personnes et de leurs familles par la mise en œuvre des droits à vie en 2019.
Cette société de la confiance est aussi celle qui place la personne au cœur de ses préoccupations. Parvenir à une véritable société du choix est le fil rouge qui a guidé les actions menées par l’ensemble du Gouvernement afin d’améliorer le quotidien des personnes en situation de handicap, de leur rendre leur pleine citoyenneté et de leur donner des outils pour les aider à devenir les acteurs principaux des décisions qui les concernent.
Rappelons que notre pays consacre chaque année près de 52 milliards d’euros aux politiques du handicap, soit 2,3 % du PIB, ce qui nous place au troisième rang européen des budgets les plus importants pour nos concitoyens en situation de handicap.
Cet investissement de la Nation est totalement fondé, justifié et légitime. Il nous permet de conduire des réformes ambitieuses pour que les personnes handicapées puissent vivre une citoyenneté comme les autres : avoir, par exemple, le droit de voter, avoir droit à l’éducation dès le plus jeune âge, avoir le droit de suivre une formation et de travailler, avoir le droit d’être parents, de se loger décemment – c’est le cœur d’une vraie politique de justice sociale.
Nous avons ainsi ouvert de nouveaux droits, comme en témoigne le rétablissement, en mars 2019, du droit de vote pour tous les majeurs protégés, visant à leur assurer une pleine citoyenneté.
Ainsi, 350 000 Français peuvent désormais voter et participer à la vie démocratique de notre pays. Vous avez massivement contribué au vote de cette loi qui était demandée depuis trente ans par les familles et les associations, lesquelles attendaient, comme tout citoyen, cet acte fort de respect des droits humains.
Je le dis de nouveau, notre Gouvernement est celui qui fait le choix de l’autodétermination et non celui de l’assignation à résidence.
Il est celui qui place une pleine confiance dans la capacité des personnes à être décisionnaires à toutes les étapes de leur parcours de vie. Pour y parvenir, nous développons un accompagnement adapté et personnalisé.
À cette fin, nous déployons les solutions d’habitat inclusif, pour donner aux personnes qui le souhaitent la possibilité de vivre chez elles en colocation, tout en étant accompagnées en tant que de besoin. Nous l’avons fait ensemble, avec vous et avec les départements, chefs de file des politiques de solidarité.
Nous prenons également en compte les personnes dont les troubles sont les plus sévères en déployant des lieux de vie spécifiquement adaptés aux adultes qui ont des besoins complexes.
C’est ce gouvernement qui a profondément transformé le modèle scolaire de notre pays, afin que l’école de la République soit en mesure de scolariser l’ensemble des enfants handicapés. Ainsi, près de 400 000 élèves en situation de handicap, dont 41 000 enfants autistes, ont pris le chemin de l’école à la rentrée 2020 – soit près de 20 % d’élèves scolarisés de plus qu’en 2017.
Ces changements s’accompagnent également de la mise en œuvre d’une formation initiale à la diversité des types de handicap, de 25 heures, pour les nouveaux enseignants, ainsi que de la sécurisation et du renforcement du statut des accompagnants d’élèves en situation de handicap, par le recours, désormais exclusif, à un contrat à durée déterminée, renouvelable une fois, avant la signature d’un contrat à durée indéterminée.
Cette société de la confiance, c’est aussi une société dans laquelle l’État est profondément convaincu par la capacité des personnes à travailler, et par le talent et la richesse qu’elles peuvent apporter à notre société.
Oui, je le dis avec la conviction la plus profonde, nous devons être en mesure de garantir l’accès à l’emploi, mais aussi à toute activité contribuant à l’épanouissement de la personne, quels que soient ses besoins et surtout son envie.
Pour que cette phrase ne soit pas une incantation vide de sens, nous mettons en place l’accompagnement adéquat de la personne et de l’employeur – public ou privé – sur le terrain, en proximité : job coaching, emploi accompagné, mise en place de référents handicap dans les entreprises, etc.
Oui, l’activité professionnelle est bien au cœur des demandes des personnes en situation de handicap et de notre projet de société. Comment, sinon, expliquer que le taux de chômage baisse ? En effet, malgré la crise, le nombre de demandeurs d’emploi en situation de handicap a baissé de 4 % depuis 2020.
Comment expliquer que, depuis la mise en place de l’aide au recrutement des personnes en situation de handicap, de 4 000 euros, nous en sommes à plus de 20 000 contrats signés, dont 70 % en CDI ? Oui, c’est possible et ça marche !
Cette politique témoigne d’une vision ambitieuse de la société, qui prône le pouvoir, l’autodétermination et l’émancipation par le travail, pour les personnes. Cette vision politique, mesdames, messieurs les sénateurs du groupe Les Républicains, nous la partageons. En tout cas, nous la partagions, encore hier.
Maintenant, venons-en au sujet de la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH).
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Bien sûr, en tant que secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, ma position naturelle serait d’y être pleinement favorable.
Cependant, permettez-moi de vous dire qu’il s’agit d’une fausse bonne idée. Je le dis et je l’assume. Notre société est fondée sur la solidarité nationale et familiale. Ce ne sont pas de vains mots. À six mois des élections, tout le monde, tous les partis s’emparent de cette déconjugalisation et réclament une modification de cette valeur si forte.
Dois-je vous rappeler que ce principe de conjugalisation ne résulte pas d’une initiative de notre gouvernement ? C’est une situation dont nous avons hérité, qui a été construite depuis 1975. Cet héritage, nous l’assumons.
Or, cette situation, vous l’assumiez également. En effet, le 24 octobre 2018, sur les bancs de cet estimable hémicycle, vous avez repoussé cette déconjugalisation lors de la discussion de la proposition de loi défendue par Mme Laurence Cohen.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous, nous ne l’avons pas repoussée !
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Vous ne l’avez pas fait parce que vous êtes sans cœur, et je n’y suis pas opposée non plus parce que je suis une femme sans cœur – comme je l’entends souvent dire –, mais nous agissons ainsi, car nous sommes les garants de cette solidarité.
Oui, ce 24 octobre 2018, vous étiez 145 sénateurs du groupe Les Républicains – soit la totalité des membres de votre famille politique présents ce jour-là – à voter à l’unisson contre une mesure qui allait, selon les mots de votre groupe, conduire à « penser l’individu en dehors des structures dans lesquelles il est incorporé », c’est-à-dire en dehors de la cellule familiale, et même « à considérer la société comme une simple addition d’individus autonomes aux intérêts propres ». (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Plus encore, vous considériez que la proposition de loi posait davantage de questions qu’elle n’en résolvait et vous ajoutiez que « les allocations – minima sociaux, allocation aux adultes handicapés, RSA – [étaient] des allocations de subsidiarité, qui prennent en compte les ressources du foyer » et qu’il fallait « remettre tout à plat ».
Vous vous opposiez dès lors, comme un rempart, à cette vision à laquelle je ne souscrirai jamais, qui fait des personnes en situation de handicap des objets de soin et non des sujets de droit, niant leur pleine capacité à travailler et à avoir une vie professionnelle comme tout un chacun.
Vous étiez encore, dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2020, défavorable aux amendements relatifs à la déconjugalisation de l’AAH, assumant vouloir rester cohérents avec le vote de votre assemblée à la fin de 2018.
Je m’arrête sur 2018, mais votre attache à la conjugalisation des minima sociaux n’est pas récente.
Vous avez toujours défendu le fait que la solidarité nationale puisse s’articuler avec les solidarités familiales, parce que le foyer est la cellule protectrice de notre société (Mme Cathy Apourceau-Poly proteste.), et parce que c’est le fondement même de notre système que d’assurer la juste redistribution de l’effort de solidarité vers ceux qui en ont le plus besoin.
M. Alain Richard. Bien sûr !
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Nous défendions jusqu’alors ensemble ce principe fondateur de notre pays, fondement même du code civil qui consacre, à l’article 220, la solidarité entre époux.
D’ailleurs, vous vous indigniez alors de cette « volonté de nier la situation familiale du bénéficiaire pour individualiser l’allocation » – volonté qui, selon votre groupe, « participe de cette vision individualiste de l’homme et de la société qui tend vers un éclatement du lien social et une déconstruction de la famille ».
Si tel n’était pas le cas, en pleine cohérence avec votre ADN politique, vous auriez réalisé cette réforme lorsque vous étiez vous-mêmes au pouvoir.
Je le rappelle de nouveau : l’allocation aux adultes handicapés, créée par la loi du 30 juin 1975, est destinée à assurer des conditions de vie dignes aux personnes en situation de handicap dont les ressources sont les plus faibles, comme tout minimum social de droit commun, à l’image du revenu de solidarité active (RSA), de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) et de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), l’AAH est fondée sur la solidarité nationale et, plus spécifiquement, sur la solidarité entre époux rappelée par le code civil.
Oui, c’est un minimum social, je le redis et le rappelle. D’ailleurs, dans l’ensemble des rapports que vous avez rendus pour la préparation des différents projets de loi de finances, vous la définissez également comme telle.
C’est un minimum social, malgré son rattachement au code de la sécurité sociale – tout comme l’allocation de solidarité aux personnes âgées, qui repose sur ce même principe de conjugalisation.
Pourquoi les mêmes débats ne s’ouvrent-ils pas sur l’allocation de solidarité aux personnes âgées ? Même niveau d’allocations, même plafond, même calcul conjugalisé ! Pourquoi ?
Les personnes âgées, tout comme les personnes en situation de handicap ne choisissent pas leur situation. Ouvrons alors le débat, pour tous. Vous conviendrez comme moi qu’il faut prendre acte, dans ces trois ans, d’un changement de position sur les notions si importantes que sont le travail, la famille et la gestion des finances publiques.
Face à ces constats, le Gouvernement fait pour sa part le choix de renforcer le pouvoir d’achat des personnes sans toucher aux principes fondateurs de notre système, car c’est de cette manière que nous changeons le quotidien des personnes.
Depuis 2017, nous avons enfin agi pour le pouvoir d’achat des personnes et pour leur autonomie. Cette volonté s’est traduite par l’augmentation de 100 euros par mois de l’allocation aux adultes handicapés, faisant passer le niveau de l’AAH de 800 euros à 904 euros pour 1,2 million de bénéficiaires. C’est un gain important dont tout le monde a pu bénéficier, et un investissement massif de la Nation de près de 2 milliards d’euros.
Aujourd’hui, l’allocation aux adultes handicapés représente plus de 12 milliards d’euros dans le budget de l’État.
Face à ces actions, qu’apporterait vraiment cette proposition de loi ?
En premier lieu, vous semblez conscients du problème intrinsèque de la déconjugalisation, puisque dans 30 % des couples, c’est la personne en situation de handicap qui travaille. C’est elle qui assume financièrement les besoins de son foyer.
Or ce sont précisément ces personnes-là, fières d’être des citoyens à part entière qui assument leur famille comme tout un chacun, qui verront leur pouvoir d’achat diminuer. De plus, parmi ces 44 000 personnes, certaines en viendront à perdre totalement leur allocation.
Alors, pour pallier cette injustice contenue dans le principe même de la déconjugalisation, vous proposez un droit d’option qui complexifie le choix des personnes sans régler la situation des nouveaux entrants.
Où est la justice sociale, mesdames, messieurs les sénateurs communistes et socialistes, quand votre proposition fait augmenter le pouvoir d’achat des couples les plus aisés pour le faire diminuer pour les plus pauvres, qui travaillent ? (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Où est la justice sociale, mesdames, messieurs les sénateurs de gauche, quand vous faites entrer dans notre système de solidarité de nouveaux couples aisés pour en faire sortir ceux qui se lèvent le matin pour aller travailler ?
Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas ce que nous disent les associations !
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Il ne s’agit plus ni de justice ni de social, quand vous devez expliquer aux personnes en situation de handicap qui travaillent, dont le foyer est actuellement protégé par la conjugalisation des revenus, qu’elles perdront cette protection demain. Ce n’est pas incitatif à la recherche d’emploi ni à la poursuite d’une activité professionnelle.
La justice sociale consiste à flécher l’argent de la solidarité nationale vers ceux qui en ont le plus besoin.
Nous faisons ce choix en toute responsabilité. Je vous rappelle en effet que l’individualisation d’un minimum social que vous soutenez aujourd’hui représenterait, si elle était étendue à l’ensemble des minima sociaux, un coût de 20 milliards d’euros pour les finances publiques.
Cependant, je le répète : pourquoi ne pas étendre ce débat au RSA, à l’ASPA et à l’ASS ?
M. Philippe Mouiller, rapporteur de la commission des affaires sociales. Ce n’est pas l’idée !
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. L’ensemble de ces valeurs que je viens d’évoquer, nous les partageons encore, j’en suis certaine. Toutefois, nous, la majorité présidentielle, nous les mettons en œuvre avec rapidité, efficacité, pragmatisme, en responsabilité. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
C’est tout l’enjeu de la réforme sociale voulue par la majorité présidentielle, qui grâce à la mise en place d’un abattement forfaitaire de 5 000 euros permettra à 120 000 personnes de bénéficier d’une augmentation mensuelle de 110 euros en moyenne, pouvant aller jusqu’à 186 euros.
Nous ne parlons pas ici d’une petite réforme, nous parlons de la moitié des bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés qui sont en couple et qui verront demain leur pouvoir d’achat augmenter, sans que le pouvoir d’achat de quiconque soit entamé. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Il s’agit d’un investissement supplémentaire de l’État de 185 millions d’euros, juste et redistributif, tendant vers plus de justice sociale, qui permettra par ailleurs à 60 % des bénéficiaires en couple de conserver l’allocation à taux plein.
Nous nous y étions engagés, et nous le faisons dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022. Nous réinscrirons en outre ce principe dans chacune des propositions de loi qui seront présentées sur le sujet.
Enfin, j’ai entendu plusieurs d’entre vous, et des associations également, souligner le fait que les personnes ne pourraient pas sortir d’une situation d’emprise en raison de la conjugalisation de l’AAH.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Tout à fait !
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Je le rappelle, grâce aux dispositions que nous avons définies avec la caisse d’allocations familiales, qui sont opérationnelles, ces femmes et ces hommes peuvent récupérer la totalité de leur AAH sous dix jours sans avoir à justifier leur situation.
Si vos fondements politiques ont évolué, soyons ambitieux et ne reculons pas devant le débat : ouvrons la voie de l’individualisation de toutes les allocations, pour tous.
Mme Michelle Meunier. Chiche !
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Le groupe Les Républicains le disait d’ailleurs à propos de la déconjugalisation en 2018 : « Cela ne peut se faire au travers d’une proposition de loi. Il faut une réflexion globale sur le modèle social du XXIe siècle. »
Alors, pourquoi pas ? Ouvrons un vrai débat de société, car, vous en conviendrez, ce sujet ne peut être abordé à travers le prisme d’une situation particulière, au risque de stigmatiser une partie de nos concitoyens, loin du pacte social qui nous est à tous très cher. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
4
Souhaits de bienvenue à de jeunes citoyens en tribune
Mme la présidente. Mes chers collègues, je voudrais que nous saluions la présence dans nos tribunes du conseil municipal des jeunes de Caumont-sur-Durance, dans le Vaucluse, invité par notre collègue Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements.)
5
Mesures de justice sociale
Suite de la discussion en deuxième lecture et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée avec modifications en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, portant diverses mesures de justice sociale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Mouiller, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les amateurs de débat démocratique trouveront sans doute décevant le traitement infligé à cette proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale.
En première lecture, souvenez-vous, nous avions saisi l’occasion offerte par la première pétition en ligne à obtenir 100 000 signatures pour entériner le changement de logique dans l’attribution de l’allocation aux adultes handicapés demandé par les associations de personnes en situation de handicap.
Nous l’avons fait en inscrivant à l’ordre du jour ce texte, qui venait d’être adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, et dont les dispositions principales déconjugalisent la prestation. Ce sont ces dispositions qui restent en discussion.
Nous ne pouvions, hélas, pas adopter conforme le texte transmis par les députés en première lecture, car sa rédaction intéressante aurait eu de multiples conséquences. Elle supprimait tout plafond de ressources pour prétendre à l’allocation et pénalisait du jour au lendemain plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Nous avons donc tâché d’y remédier, en rétablissant le plafond de ressources et en prévoyant un mécanisme transitoire destiné à amortir les effets de la réforme pour les perdants, à l’article 3 bis.
De retour à l’Assemblée nationale en deuxième lecture, le Gouvernement, n’étant pas sûr du vote de sa majorité, a fait usage des outils réglementaires les moins recommandables pour faire adopter une rédaction qui revient sur cette avancée et rétablit la prise en compte des revenus du conjoint selon un nouveau mécanisme.
L’abattement proportionnel applicable aujourd’hui aux revenus du conjoint serait remplacé par un abattement forfaitaire, dont le Gouvernement s’engage à porter le montant à 5 000 euros par an, auquel s’ajouterait un abattement supplémentaire de 1 100 euros par enfant à charge. Le Gouvernement défend une rédaction censément plus juste, car « résolument redistributive », et qui « ne fait aucun perdant ».
Des perdants, notre rédaction n’en faisait pas non plus, mais le Gouvernement a estimé à l’Assemblée nationale qu’« aucun système informatique ne permettrait sa mise en œuvre ».
Je ne prétends certainement pas que le mécanisme transitoire de l’article 3 bis soit la meilleure solution, notamment au regard du passage d’un régime de calcul à un autre et, s’il est effectivement mauvais, je serais le premier à souhaiter que l’on en trouve un autre.
Je voudrais toutefois rappeler, madame la secrétaire d’État, qu’il s’inspire de celui qui a été introduit par le même gouvernement dans la loi de finances pour 2019 lors de la fusion du complément de ressources et de la majoration pour la vie autonome.
J’ajoute qu’aucun adversaire de Jean-Jacques Rousseau n’avait encore osé invoquer l’informatique pour faire obstacle à la volonté générale qu’exprime la loi.
Que le mécanisme proposé par le Gouvernement ne fasse pas de perdants, c’est par ailleurs une question de point de vue. D’après la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), il profiterait à 120 000 ménages, pour un gain mensuel moyen d’environ 110 euros, et un coût de 150 millions d’euros.
Toutefois – sans vouloir ressortir les dossiers qui fâchent, comme vous l’avez fait, madame la secrétaire d’État –, la fusion du complément de ressources et de la majoration pour la vie autonome à compter du 1er décembre 2019, motivée par un souci de lisibilité et d’économies budgétaires, avait fait faire à l’État une économie estimée à 5,7 millions d’euros en 2020 et les années suivantes.
En outre, la baisse du coefficient multiplicateur pour les allocataires en couple, passé de 2 à 1,89 au 1er novembre 2018 puis à 1,81 au 1er novembre 2019, que j’avais dénoncée dans mon avis sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du projet de loi de finances pour 2019, a permis une économie estimée à 12 millions d’euros en 2018, 157 millions d’euros en 2019, puis 287 millions d’euros en 2020.
Autrement dit : les économies faites sur le dos des couples depuis trois ans ne leur sont qu’en partie rendues. Et voilà qui fait aussi un sort à l’argument de la justice sociale : il faut vraiment, pour présenter ces ajustements comme une politique de redistribution, avoir de la redistribution une conception très originale !
Si le Gouvernement s’engage sur le terrain de la supériorité technique et redistributive de sa rédaction, c’est qu’en réalité il peut difficilement invoquer l’argument de la pertinence – et pour cause, le dispositif passant complètement à côté de la demande sociale qui lui est adressée.
En effet, les bénéficiaires de l’AAH ne demandaient pas un surcroît de prestation. Ils demandaient que le mode de calcul de la prestation la rende plus propice à leur autonomie, en soutenant leur indépendance financière dans leur couple, ce qui exigeait la déconnexion de son montant d’avec les revenus de leur conjoint, qui sont souvent plus élevés.
En allant dans ce sens, le Sénat ne faisait d’ailleurs que prendre acte des changements intervenus ces dernières années dans le paysage de la politique de soutien à l’autonomie de nos concitoyens. Telles sont les évolutions qui ont modifié notre position, notamment par rapport à 2018, et dont il faut prendre acte.
Je pense d’abord aux progrès de la connaissance des réalités sociales, puisque nous ne disposons que depuis peu de données chiffrées sur les conséquences qu’aurait un tel changement de règles de calcul. Ces données sont encore insuffisantes, et la Cour des comptes n’a pas tort d’insister sur la difficulté de pilotage d’une prestation fondamentale pour plus d’un million de personnes.
En outre, nous connaissons mieux, grâce aux associations, la réalité des mécanismes de dépendance financière au sein du couple qui peuvent pénaliser les personnes en situation de handicap – singulièrement les femmes, plus souvent victimes de violences.
Toutefois, le changement le plus décisif a été la clarification, au plus haut niveau, des principes qui sous-tendent la politique du handicap. À l’Assemblée nationale, la semaine dernière, le Gouvernement s’est opposé à la déconjugalisation en qualifiant l’AAH de « minimum social de droit commun, à l’image du RSA ». La députée Jeanine Dubié, que je salue, auteure du texte, a répondu au soutien de sa rédaction qu’il s’agissait au contraire d’une « prestation à vocation spéciale ».
N’en déplaise aux amateurs de jardins à la française : c’est Mme Dubié qui a raison. L’AAH a toujours été une prestation d’un genre particulier, et cela ne tient pas seulement à sa localisation dans le code de la sécurité sociale. Les conditions pour y prétendre, l’assiette des ressources considérées, l’habitude prise par les gouvernements de décider des revalorisations spécifiques, tout l’a en réalité toujours distinguée des minima sociaux parmi lesquels d’aucuns souhaitent l’enfermer.
Que l’AAH ne soit pas un minimum social comme les autres, c’est non pas Mme Dubié, ou M. Mouiller, qui le dit, mais le Président de la République lui-même. Emmanuel Macron a en effet décidé, après avoir poursuivi sa revalorisation spécifique, de retirer l’AAH du chantier de refonte des minima sociaux dans le revenu universel d’activité au motif que le handicap, contrairement à la précarité liée au chômage, « n’est pas une situation transitoire ».
À cette prise de position politique s’ajoutait un nouveau cadre de gestion et de débat parlementaire, puisque nous entrions en 2021 dans le premier exercice d’une cinquième branche de sécurité sociale que l’on nous disait en construction.
Nous y avons vu l’occasion de pousser à la transformation de notre modèle. Le rapport de préfiguration de la cinquième branche rendu par M. Laurent Vachey en septembre dernier préconisait d’ailleurs le transfert de l’AAH dans la branche autonomie au motif que « l’AAH n’est pas un pur minimum social, mais comporte une part de compensation de la situation particulière des personnes en situation de handicap, notamment pour l’accès à un revenu d’activité ».
Voilà le contexte qui explique que la commission, puis le Sénat, aient accepté de déconjugaliser l’AAH, donc de réaffirmer son caractère en partie compensatoire de moindres chances de percevoir un revenu d’activité du fait d’un handicap, tout en prémunissant les ménages perdants contre une transition brutale par le mécanisme de l’article 3 bis, qui leur laissait, pendant dix ans, le bénéfice des règles aujourd’hui en vigueur.
Par fidélité à l’esprit du texte, qui répond plus adéquatement à la demande qui nous est adressée et qui pallie les conséquences négatives du changement de régime, la commission a rétabli la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture.
Plus profondément, nous manquons d’une vision cohérente de la politique de soutien à l’autonomie, de nature à agencer correctement les différents cadres d’intervention dont nous disposons désormais et à rendre plus efficaces les outils qui s’y trouvent.
Hélas, le temps de quinquennat disponible commence à manquer pour se doter d’une doctrine plus solide en la matière.
Le Gouvernement ayant également introduit sa rédaction à l’article 43 du projet de loi de finances pour 2022, il nous faudra à présent le suivre sur un autre terrain, qui n’est certes pas celui où la latitude d’action des parlementaires est la plus grande.
C’est pourquoi je disais en introduction que cet épisode resterait comme une curiosité dans notre histoire démocratique. La volonté de faire de l’AAH une prestation déconjugalisée pour faciliter le soutien à l’autonomie a été exprimée par 100 000 citoyens par voie de pétition, par les deux chambres du Parlement – quoique dans des rédactions différentes – et elle tire les conséquences d’une décision présidentielle.
Faire obstacle à une telle expression de volontés pourvues de la plus souveraine légitimité témoigne d’une bien singulière obstination. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a sept mois, nous débattions déjà de cette proposition de loi.
Nous nous réjouissions de l’adoption – enfin, après des années de mobilisations de la société civile et des associations… – d’un texte qui marque une étape historique pour l’autonomie et la dignité des personnes en situation de grave handicap.
Tout a été dit de cet impératif et rappelé par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la Défenseure des droits et, cet été, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies statuant sur l’application par la France de la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées.
Tout a été dit, mais le Gouvernement persiste et a entrepris un minutieux travail de sape lors de la navette parlementaire, allant jusqu’à vider le texte de son sens à l’Assemblée nationale en remplaçant la déconjugalisation par un abattement forfaitaire sur les revenus du conjoint, privant ainsi la loi de sa portée émancipatrice, et semblant concéder quelques dépenses supplémentaires dans une sorte de compromis financier.
Mais une telle obstination, une telle rigidité au risque de l’impopularité, a forcément d’autres motivations profondes. De quoi ce refus de la déconjugalisation est-il le nom ?
Ce débat s’inscrit dans le prolongement des concessions que le Président de la République a dû faire, lors des travaux préparatoires sur le revenu universel d’activité. Il a ainsi admis que, dans la mesure où l’AAH ne fait pas partie des minima sociaux, on ne peut pas la fusionner avec eux. Il s’agit donc d’éviter que nous ne tirions aujourd’hui toutes les conséquences de ce constat.
En effet, l’idée que l’on puisse bénéficier d’un revenu individuel d’existence, lorsqu’on n’est pas en mesure d’exercer une activité ou très peu, qu’on est exclu du marché de l’emploi de manière durable, voire définitive, pour des raisons de rentabilité ou d’organisation du travail, se heurte à une très forte résistance idéologique. Ce droit, attaché à la personne et que seul l’État peut garantir donne à chacun les ressources propres et pérennes dont il a besoin pour assurer les conditions de sa sécurité, de son autonomie et de sa dignité. Or ces critères fondent également le droit d’existence citoyenne, si important pour ceux qui se trouvent durablement déconnectés de la société, faute de pouvoir remplir les conditions nécessaires pour s’insérer sur le marché du travail. Tels sont les enjeux que le Gouvernement refuse de prendre en compte dans son projet de refonte de tous les minima sociaux à l’aune du seul critère de l’activité.
L’AAH n’est pas plus un minimum social qu’un revenu de remplacement de nature assurantielle. Elle est, par nature, un revenu d’existence, qui relève d’un droit forcément individuel, propre à la personne en situation de handicap, quels que soient ses choix de vie. La garantie de ce droit ne doit pas être reportée sur le partenaire, car il en résulterait une dépendance et une asymétrie délétère dans le couple. L’adulte en situation de handicap ne dépend pas de la solidarité de ses parents ; il ne doit pas non plus dépendre de celle de l’adulte avec lequel il vit.
Une fois encore, la condition des personnes en situation de handicap nous incite à nous interroger sur la manière dont nous faisons société. Quand bien même ces personnes seraient en incapacité partielle ou totale de travailler, on doit leur reconnaître le droit d’exister et de disposer de ressources propres, pour assurer leur indépendance.
C’est la raison pour laquelle, la commission des affaires sociales, dont je remercie le rapporteur, a adopté le rétablissement de la déconjugalisation de l’AAH. Le Sénat avait déjà voté cette mesure en première lecture. Nous ne doutons qu’il la votera de nouveau.
Par ailleurs, madame la secrétaire d’État, j’ai bien compris que, selon vous, le devoir de redistribution s’impose entre les ménages pauvres ou modestes, et que les plus aisés en sont exemptés.
De plus, vous ne pouvez pas reprocher aux écologistes de ne pas avoir voté la déconjugalisation de l’AAH en 2018, car nous n’avions pas, alors, de groupe politique au Sénat. En revanche, nous votons cette mesure, aujourd’hui, et nous l’appliquerons, demain. Nous appelons donc nos collègues députés à voter ce texte conforme et le Gouvernement à être enfin au rendez-vous pour satisfaire cette aspiration majoritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat est de nouveau amené à se prononcer sur une question importante pour les personnes en situation de handicap, à savoir le mode de calcul de l’allocation aux adultes handicapés.
Dès 2018, le groupe communiste avait demandé l’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de loi de notre collègue députée Marie-George Buffet, qui prévoyait la suppression des revenus du conjoint dans le calcul de l’allocation aux adultes handicapés.
Je rappelle à mes collègues de droite qui soutiennent désormais cette proposition – tant mieux pour les personnes auxquelles elle bénéficie ! – que ceux qui siégeaient à l’époque sur leurs travées avaient rejeté notre texte.
La mobilisation des associations et des bénéficiaires de l’AAH, notamment par le biais de la pétition ouverte à signature sur la plateforme en ligne du Sénat, a permis de proposer un mécanisme qui garantit non seulement l’individualisation de l’allocation, mais aussi l’absence de perdants dans le nouveau système.
Nous saluons le changement de position de la majorité sénatoriale, qui démontre que, sur ce sujet, nous sommes capables de dépasser nos divergences politiques.
Nous regrettons d’autant plus que le Gouvernement se soit jusqu’à présent enfermé dans une posture idéologique. Nous continuons d’espérer qu’il acceptera de reconnaître l’individualisation de l’allocation aux adultes handicapés.
Madame la secrétaire d’État, l’obstination dont vous faites preuve pour ne pas modifier le mode de calcul des ressources prises en compte pour l’allocation aux adultes handicapés relève du dogmatisme.
En 2018, le Gouvernement avait refusé notre proposition, sous prétexte qu’elle aurait rendu perdants 57 000 ménages sur les 270 000 allocataires en couple.
En 2021, il a refusé la proposition de nos collègues députés communistes pour des raisons informatiques.
Madame la secrétaire d’État, il est temps de sortir des postures idéologiques et d’entendre le message que tous les acteurs vous adressent. Reconnaissez l’AAH comme une prestation de compensation du handicap dont le calcul ne doit pas reposer sur les ressources du conjoint ! Reconnaissez aux personnes en situation de handicap le droit de se marier et respectez leur autonomie !
Détachez-vous des notes administratives qui vous viennent de Bercy, car l’individualisation de l’AAH ne remet en cause ni le calcul des minima sociaux ni le système fiscal ! J’en veux pour preuve que l’allocation est déjà individualisée lorsque les deux membres d’un couple en bénéficient.
L’AAH est une prestation qui relève du code de la sécurité sociale et non pas du code de l’action sociale et des familles.
Mme Laurence Cohen. Tout à fait !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la secrétaire d’État, le 14 septembre dernier, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies vous a demandé de réformer la réglementation de l’AAH, afin de séparer les revenus des personnes handicapées de ceux de leur conjoint.
Le 30 septembre dernier, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a appelé la France à déconjugaliser l’AAH.
Et mardi dernier, vingt-deux organisations et associations, dont APF France handicap, ont adressé un courrier au Président de la République pour qu’il reconnaisse l’AAH comme un revenu d’existence.
Madame la secrétaire d’État, il est temps d’accepter l’évidence et de soutenir cette proposition de loi avec les parlementaires du groupe CRCE. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons en seconde lecture cette proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale.
Il est difficile de ne pas se répéter après les débats qui ont déjà eu lieu en séance et en commission. Cependant, l’excellent rapport de notre collègue Philippe Mouiller et les travaux menés à l’Assemblée nationale ont été des lectures inspirantes.
À la réflexion, je me demande si les conseils avisés que certains hauts fonctionnaires ont prodigués au Gouvernement n’ont pas été inspirés par la maxime bien connue : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » Il s’agit de la devise des Shadoks. (Sourires.) J’ai hésité à la citer dans ce débat, mais rien n’interdit de faire allusion à cette célèbre série d’animation, à laquelle Claude Piéplu prêtait sa voix.
Mes chers collègues, n’allons pas pour autant nous transformer en Shadoks ! Lorsque, pour répondre à la demande simple des personnes en situation de handicap, qui souhaitent que l’on comprenne leurs difficultés et que l’on déconjugalise l’AAH, on leur propose un système d’abattement forfaitaire complexe, qui plus est détaillé par décret, n’est-ce pas faire compliqué quand on peut faire simple ?
Plus grave encore, on se méprend sur la demande qui a été formulée. Les personnes en situation de handicap souhaitent que l’on favorise leur autonomie en leur garantissant une plus grande indépendance financière dans leur vie de couple. Ce souhait est légitime et nous pouvons tous le comprendre. Nous avons le devoir d’y répondre en adoptant la mesure proposée. Je crois qu’il s’agit là d’une position que nous partageons sur toutes les travées.
Mon deuxième argument en faveur d’un retour à la rédaction initiale du texte se nourrit de mon expérience d’élu local, puis de parlementaire. J’y ai appris que la politique ne se nourrit, voire n’existe qu’à travers des gestes forts et compréhensibles. Il n’y a de grandeur en politique que dans des choix ambitieux et des décisions assumées.
Toute réalité reste complexe et le rôle de la Haute Assemblée est d’être la voix de la raison. Notre devoir envers nos concitoyens est aussi de répondre à une exigence de clarté.
Plus de 100 000 personnes se sont mobilisées pour nous sensibiliser au problème qu’elles rencontrent et pour nous signifier qu’elles attendent que nous votions cette mesure. Nous ne pouvons pas négliger leur sollicitation.
Leur demande, simple, vise à ce que l’allocation aux adultes handicapés soit déconjugalisée. Il ne s’agit pas de créer un abattement, un écrêtement, une quelconque niche fiscale, ou une nouvelle allocation. Rien de tout cela. Il nous faut répondre à cette exigence de simplicité, en adoptant une position lisible.
Sommes-nous favorables ou non à la déconjugalisation de l’AAH ? La question est limpide, il faut une réponse simple, quitte à assumer nos choix. Or, madame la secrétaire d’État, il semble que vous ayez quelque difficulté à le faire – c’est du moins ce que je perçois dans votre discours.
Si nous ne faisons pas l’effort de respecter une exigence de simplicité envers nos concitoyens, comment leur faire reproche de ne plus avoir confiance dans les institutions ?
Le rapporteur Philippe Mouiller a entendu et compris la demande qui nous est faite. Nos collègues de la commission des affaires sociales partagent son analyse et ont unanimement soutenu la proposition de réécriture du texte. En revenant à la rédaction initiale de la proposition de loi, ils ont fait le choix de la raison et de la cohérence.
Au nom du groupe Union Centriste, j’appelle le Gouvernement à envoyer un message à nos concitoyens les plus fragiles, au travers de cette proposition de loi. Il leur témoignera son soutien en approuvant cette disposition, et il leur donnera de l’espoir, en leur montrant qu’ils ont été entendus.
En nous mobilisant pour que cette mesure soit adoptée, nous espérons pouvoir influer sur les débats qui auront lieu à l’Assemblée nationale.
Madame la secrétaire d’État, nous considérons que l’AAH ne peut pas être réduite à un minimum social. C’est un travers propre à notre époque que de transformer toutes les prestations sociales en minima sociaux. J’aurai l’occasion d’y revenir, lors du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, notamment au sujet de la branche famille.
En conclusion, notre groupe a entendu la demande légitime que les personnes en situation de handicap nous ont adressée pour obtenir davantage d’autonomie et de justice sociale. Il la soutient pleinement et votera le texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Artano. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Stéphane Artano. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans un courrier adressé au Président de la République, le 5 octobre dernier, plus d’une vingtaine d’associations et d’organisations, dont APF France handicap, ont appelé le chef de l’État à considérer l’allocation aux adultes handicapés comme un revenu individuel d’existence.
Créée en 1975, l’AAH est destinée à compenser l’incapacité de travailler de plus 1,2 million de personnes, dont 270 000 sont en couple.
Selon les estimations du secrétariat d’État chargé des personnes handicapées, 25 % des allocataires en couple ne bénéficieraient d’aucune revalorisation de leur allocation et 15 % d’entre eux toucheraient un montant partiellement revalorisé. Comme le précise le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), dont je partage l’avis, ces manquements contribuent à renforcer la « relation de dépendance entre les conjoints, concubins ou pacsés, qui est […] incompatible avec la nécessaire émancipation et le droit à l’autodétermination des personnes en situation de handicap ».
En mars dernier, lors de l’examen du texte en première lecture, nous avions largement voté la déconjugalisation de l’AAH. Il s’agissait, je le crois, d’une avancée majeure pour l’autonomie et l’émancipation des personnes en situation de handicap.
Les parlementaires ont été nombreux à s’offusquer de ce que ces personnes, déjà fragilisées par un handicap, aient à choisir entre une vie de couple au risque de voir leur allocation diminuer, ou le maintien de l’allocation, mais en renonçant à leur union, sur le plan légal.
Permettez-moi, à ce sujet, d’avoir une pensée toute particulière pour les femmes handicapées, victimes de violence, qui n’ont pas d’autre choix que de rester avec leur bourreau, car elles sont dépendantes financièrement.
Faut-il déconjugaliser ou non l’AAH ? Plus précisément, devons-nous considérer cette allocation comme une véritable prestation sociale de compensation au regard de la situation personnelle du demandeur ?
J’entends bien, madame la secrétaire d’État, l’argument du Gouvernement qui souhaite que l’AAH reste conditionnée, au même titre que les autres minima sociaux. C’est pourquoi, au cours d’un débat particulièrement houleux à l’Assemblée nationale, vous avez souhaité remplacer la mesure phare de cette proposition de loi par un abattement forfaitaire, permettant au bénéficiaire de l’allocation dont le conjoint est rémunéré au SMIC de la conserver à taux plein.
Pourtant, comme l’a rappelé à plusieurs reprises notre rapporteur, l’AAH a toujours eu un caractère hybride, entre minimum social et prestation de compensation. Le Président de la République, lors de la conférence nationale du handicap, en février 2020, a décidé de retirer l’AAH du chantier relatif au revenu universel d’activité (RUA), confirmant ainsi que cette allocation n’était pas un minimum social comme les autres.
Par ailleurs, je crains que votre proposition ne suffise pas à résoudre la question de fond. Le fait de se mettre en couple prive en effet brusquement les allocataires de l’AAH de ressources propres, leur assignant un statut d’« assistés » et renforçant parfois un sentiment de dévalorisation.
Vous comprendrez donc que notre assemblée s’indigne – le mot n’est pas trop fort – que nous soyons de nouveau amenés à débattre de ce que nous sommes nombreux à appeler le « prix de l’amour ».
L’ensemble du groupe du RDSE soutient cette mesure de justice sociale, tant espérée, qui met fin au lien de dépendance financière entre le bénéficiaire de l’AAH et son conjoint, et qui permet d’offrir une plus grande autonomie aux personnes concernées. Il s’agit de répondre à l’inégalité qui subsiste entre les différents bénéficiaires de l’AAH selon leur statut marital et de réaffirmer la primauté de la solidarité nationale sur la solidarité familiale.
Aussi, c’est tout naturellement que notre groupe soutiendra à l’unanimité la version adoptée par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons porte, pour l’essentiel, sur le mode de calcul de l’allocation aux adultes handicapés. Nous connaissons la position du Sénat, que nous avons défendue sur ces travées, en mars dernier.
La Haute Assemblée avait alors franchi un cap symbolique, en changeant de regard sur l’AAH. Nous avions en effet estimé qu’il fallait en finir avec la vision réductrice de cette prestation d’aide sociale et donner raison aux personnes en situation de handicap, qui sont les premières concernées dans cette affaire.
Celles-ci clamaient haut et fort qu’elles aspiraient à davantage d’autonomie au sein du couple. Soutenues par l’ensemble du secteur associatif, elles ont convaincu nos collègues de l’Assemblée nationale de la nécessité d’agir en ce sens, de sorte qu’ils ont adopté la proposition de loi contre l’avis du Gouvernement.
Continuant à se mobiliser, les personnes en situation de handicap ont maintenu la pression sur les parlementaires et obtenu, grâce au soutien des nombreux signataires de la pétition déposée sur la plateforme en ligne du Sénat, que le texte soit inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée.
En mars dernier, le rapporteur avait déjà évolué dans sa réflexion sur cette allocation, n’y voyant plus une prestation en espèces pour laquelle « le foyer sert de base fiscale », conception que certains d’entre nous défendaient encore, en octobre 2018, au moment de l’examen de la proposition de loi du groupe CRCE.
Je salue ce changement de doctrine, au nom de mes collègues socialistes. L’AAH est désormais considérée comme une forme de compensation individuelle de la perte de revenus liée au handicap. C’est donc sans surprise que j’apporte mon soutien et celui de mon groupe au texte issu des travaux de la commission des affaires sociales, qui reprend cette position.
Madame la secrétaire d’État, il y a deux semaines, répondant à une question d’actualité au Gouvernement que je vous posais, vous avez affirmé que « la déconjugalisation aurait pour effet de favoriser les couples plus aisés ». En réalité, vous signifiiez ainsi votre refus d’accorder une allocation pleine à une personne en situation de handicap qui perçoit une AAH réduite, au motif que les revenus de son conjoint sont élevés.
Or, précisément, ce refus heurte de nombreux allocataires et, pour le contrer, plus de 100 000 personnes ont signé la pétition déposée sur le site internet du Sénat, l’hiver dernier. Les signataires estiment qu’il n’est pas justifié de priver de ressources autonomes la personne handicapée dont le conjoint ou la conjointe gagne bien sa vie.
Je ne développe pas davantage le danger et les risques de violence auxquels donnent lieu l’enfermement économique et la dépendance financière. Un collectif d’une vingtaine d’associations résume le combat en ces termes : « Stop à la dépendance financière dans le couple ! »
Madame la secrétaire d’État, vous avez également soutenu que notre réforme « aurait fait des perdants », ce qui est faux. En vous obstinant à refuser toute évolution, vous perdez de vue l’intérêt de la proposition.
La commission des affaires sociales avait introduit un principe de faveur, pour que le montant de l’AAH le plus favorable soit versé durant une période transitoire de dix ans. Grâce à ce mécanisme, il n’y a ni perdantes ni perdants. En outre, l’État dispose d’un temps assez long pour mener une étude fine des situations, qui pourrait aboutir – pourquoi pas ? – à la création d’un revenu individuel d’existence pour les personnes handicapées.
Vous avez aussi rappelé que vous aviez augmenté l’AAH de 100 euros depuis 2017. Certes, nous saluons ce geste, mais je rappelle que vous avez, en même temps, nivelé par le bas les montants de la majoration pour la vie autonome et du complément de ressource, et augmenté fortement la participation forfaitaire pour actes lourds, en 2018.
Ces rééquilibrages n’ont pas échappé à la Commission nationale consultative des droits de l’homme qui rappelle que les mesures s’opèrent à coût constant pour la solidarité nationale, alors que les statistiques de la Drees détaillent l’augmentation de la population éligible.
Enfin, vous nous avez dit craindre « que cette déconjugalisation [ne] fasse des personnes handicapées des citoyens à part ». Pourtant, je rappelle que le montant de l’AAH reste figé sous le seuil de pauvreté. Un collectif de douze associations entend profiter des débats budgétaires à venir pour inscrire dans la loi que le montant de l’AAH ne peut être inférieur au seuil de pauvreté. Il s’agit d’une question de dignité à laquelle nous souscrivons.
C’est bien le moins que nous devons aux personnes en situation de handicap si nous ne voulons pas en faire des citoyens à part.
Comme vous pouvez le voir, madame la secrétaire d’État, les difficultés financières des personnes en situation de handicap méritent mieux que des joutes verbales. Elles nécessitent qu’on y consacre des moyens importants, au terme d’un débat assumé aboutissant à la concrétisation législative des mesures proposées.
Pour les personnes en perte d’autonomie, ce quinquennat n’aura pas été à la hauteur. Les cordons de la bourse restent serrés pour l’AAH. Le chantier d’une prestation universelle d’autonomie n’a pas été ouvert, faute d’un projet de loi sur le grand âge et l’autonomie, qui avait pourtant été annoncé. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comment examiner ce texte portant diverses mesures de justice sociale sans évoquer la politique ambitieuse menée, depuis le début du quinquennat, pour l’accompagnement et l’émancipation individuels des personnes en situation de handicap ?
Les chiffres en témoignent. Plus de 51 milliards d’euros sont consacrés chaque année à l’amélioration et à la simplification du quotidien de ce public, dont 11,1 milliards servent à alimenter l’AAH, soit 2 milliards d’euros supplémentaires pendant ce quinquennat, et une augmentation de plus de 3 milliards d’euros par rapport au quinquennat précédent. Nous sommes le troisième pays européen à consacrer un budget aussi important à ce poste.
Le montant de l’AAH s’élève aujourd’hui à 902 euros contre 810 euros en avril 2018, ce qui représente une augmentation de près de 12 % du pouvoir d’achat de 1,2 million de nos concitoyens. Tel est le fruit du travail du Gouvernement qui a fait de cette cause une priorité nationale.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Cela ne se voit pas !
M. Martin Lévrier. Notre action ne s’arrête pas là. Nous avons également mis en place des plateformes de repérage des troubles autistiques et investi 2 milliards d’euros supplémentaires dans le budget annuel pour développer une école inclusive. Jamais le ministère de l’éducation nationale n’a été aussi impliqué.
Quant à l’emploi, les initiatives ont également été nombreuses, qu’il s’agisse de l’aide à l’embauche des personnes handicapées, de la transformation des établissements et services d’aide par le travail (ÉSAT) pour favoriser la fluidité des parcours vers l’emploi ordinaire, ou encore de la hausse de 71 % du nombre d’apprentis en situation de handicap entre 2019 et 2020.
En matière de simplification, nous avons procédé à la structuration des communautés 360 et à la transformation des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Nous avons également mis en place un congé indemnisé pour les proches aidants.
Toutes ces avancées, mes chers collègues, répondent aux attentes de la majorité de ceux qui siègent sur ces travées.
Lundi dernier, Mme la secrétaire d’État annonçait l’ouverture de la prestation de compensation du handicap (PCH) aux personnes présentant un handicap psychique, mental, cognitif, ou souffrant d’un trouble du neurodéveloppement. Celle-ci était auparavant réservée aux personnes en situation de handicap physique.
Ces réformes sont très éloignées des postures idéologiques ou « shadokiennes »… C’est dans ce contexte qu’il faut apprécier le texte que nous examinons.
Non, l’AAH ne place pas les personnes handicapées en situation de dépendance financière. Cette allocation offre un minimum de ressources pour vivre, même lorsque l’on est célibataire, sans avoir à dépendre de sa famille ou de ses proches.
Non, les paramètres de l’AAH n’incitent pas les personnes handicapées à rester en couple pour des raisons financières.
Le véritable problème ce sont les violences conjugales, y compris d’ordre financier, contre lesquelles le Gouvernement se bat au moyen d’outils spécifiques, renforcés à un niveau sans précédent pendant le quinquennat.
Par ailleurs, nous maintenons que cette mesure remettrait en cause l’ensemble de notre système socio-fiscal, fondé sur une solidarité familiale à laquelle nous tenons. Elle creuserait les inégalités sociales en faisant des perdants parmi les ménages les plus modestes et des gagnants parmi les plus aisés.
Pour rendre l’AAH plus redistributive, nous déposerons un amendement visant à rétablir l’article 3 dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.
En outre, nous proposerons dans le projet de loi de finances pour 2022 un nouveau mode de calcul pour l’AAH, qui sera mis en œuvre dès le mois de janvier prochain. En remplaçant l’abattement de 20 % sur les revenus du conjoint par un abattement forfaitaire de 5 000 euros, nous permettrons à 120 000 de nos concitoyens de bénéficier d’une augmentation mensuelle de leur allocation à hauteur de 110 euros en moyenne.
Quant aux personnes sans activité dont le conjoint perçoit le salaire minimum, elles conserveront l’allocation à taux plein. Nous procéderons ainsi à un investissement supplémentaire de 185 millions d’euros.
Mes chers collègues, vous martelez que l’État doit faire des économies et vous nous proposez un texte dont le coût s’élèverait à 750 millions d’euros. Ce n’est pas notre conception du « en même temps ».
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, UC et RDSE.)
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’allocation aux adultes handicapés est un revenu de solidarité, créé en 1975, qui permet aux adultes en situation de handicap dans l’impossibilité de travailler de disposer d’un minimum de ressources pour vivre. Elle est actuellement versée à 1,2 million de personnes, dont 270 000 sont en couple, pour un budget annuel de 11 milliards d’euros.
Le versement de l’allocation prend actuellement en compte les revenus du foyer, en accord avec le principe selon lequel la solidarité nationale complète la solidarité familiale, mais ne la remplace pas.
Cependant, les associations représentant les personnes en situation de handicap se font l’écho d’une forte demande de changement pour favoriser l’autonomie financière des bénéficiaires. Elles ont d’ailleurs adressé une lettre au Président de la République, l’appelant à une « réforme historique pour considérer cette allocation avant tout comme un revenu individuel d’existence ».
Il s’agit donc de supprimer la prise en compte des ressources du conjoint, afin de garantir aux personnes en situation de handicap une pleine indépendance financière.
Cette demande s’appuie sur des études alarmantes qui mettent en évidence une surexposition des personnes handicapées aux violences physiques, morales ou sexuelles. Les femmes, en particulier, sont deux fois plus souvent agressées à leur domicile ou à ses abords, souvent par une personne de leur entourage.
Renforcer l’indépendance financière des femmes en situation de handicap est donc un moyen de limiter le risque de violences conjugales. C’est la raison pour laquelle j’ai voté en faveur de cette mesure lors de l’examen du texte en première lecture.
Malgré la proposition du Gouvernement d’opérer un abattement annuel de 5 000 euros sur les revenus du conjoint, ma position n’a pas changé. Cette réforme est attendue de longue date par des milliers de personnes placées dans une situation de dépendance vis-à-vis de leur conjoint, compte tenu de leur handicap. Leur accorder une certaine indépendance financière me paraît un progrès important à cet égard.
En première lecture, la commission des affaires sociales avait contribué à limiter les effets de bord, en prévoyant un mécanisme transitoire pour les 44 000 foyers qui seraient perdants, soit le cas de figure où une personne handicapée occupant un emploi est en couple avec une personne sans emploi. Par ailleurs, celle-ci était revenue sur le déplafonnement des ressources, réduisant ainsi le coût de la déconjugalisation à 560 millions d’euros. Enfin, elle avait rétabli la modulation de ce plafonnement selon le nombre d’enfants à charge, ce que le dispositif initial prévoyait de supprimer.
Il me semble que la proposition de loi, telle que la commission des affaires sociales l’a amendée, est bien de nature à rétablir une certaine justice sociale pour des personnes déjà fragilisées par leur handicap, car elle sécurise leurs ressources. Il s’agit d’une disposition importante qui vient renforcer les efforts du Gouvernement dans ce domaine. Aussi, à titre personnel, je voterai en faveur de cette mesure. (Applaudissements sur des travées des groupes INDEP, UC et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Édouard Courtial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Édouard Courtial. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat que nous entamons aujourd’hui à l’occasion de l’examen en deuxième lecture de la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale, dont le dispositif se restreint aux articles 3 et 3 bis, fait naturellement écho à celui qui a eu lieu à l’Assemblée nationale jeudi dernier dans le cadre de la « niche parlementaire » du groupe Les Républicains.
Les textes examinés, là-bas comme ici, ont un point commun : leurs auteurs demandent la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés pour mettre fin à une forme d’injustice persistante qui n’est pas acceptable, tout en répondant à une attente forte des bénéficiaires, de leurs familles et du tissu associatif qui les accompagne, que je tiens évidemment ici à saluer.
M. Guillaume Chevrollier. Très bien !
M. Édouard Courtial. En effet, l’actuel mode de calcul de cette allocation et son plafonnement entravent l’autonomie des bénéficiaires : ils les maintiennent dans une dépendance financière vis-à-vis de leur conjoint, qui est particulièrement difficile à vivre, qui renforce chez eux un sentiment d’inutilité et porte atteinte à leur dignité. Ce mode de calcul implique souvent un « prix de l’amour » insupportable pour les personnes handicapées : nombre d’entre elles refusent d’ailleurs de se mettre en couple ou de vivre avec leur conjoint, car elles risquent de voir diminuer leur allocation ou d’en perdre le bénéfice.
Il s’agit en quelque sorte d’une double peine, à laquelle le législateur se doit de répondre, à plus forte raison lorsque la France viole tous ses engagements en matière de défense des droits humains en maintenant un mode de calcul et de plafonnement de l’allocation aux adultes handicapés fondé sur les revenus du foyer.
Il y a donc urgence à remédier à cette situation.
En première lecture, le Sénat a engagé un changement de logique par rapport au droit actuel, tout en appelant à une réflexion plus large. Cependant, le texte a été modifié par la majorité à l’Assemblée nationale sur proposition du Gouvernement.
Dans cette nouvelle rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, le texte instaure un nouveau mécanisme de prise en compte des revenus du conjoint : l’abattement proportionnel qui leur est applicable aujourd’hui serait remplacé par un abattement forfaitaire, dont le Gouvernement s’engage à porter le montant à 5 000 euros par an, avec un abattement supplémentaire de 1 100 euros par enfant à charge.
Or, en cherchant à jouer sur les deux tableaux, le Gouvernement ne contente finalement personne. C’est donc à raison que notre rapporteur a proposé de revenir à la version du texte adoptée par le Sénat.
Le dispositif adopté par les députés est en effet doublement insatisfaisant.
D’une part, il ne fait que rendre aux allocataires ce qui leur a été retiré depuis 2019 par la fusion du complément de ressources et de la majoration pour la vie autonome, qui a permis une économie d’environ 5,7 millions d’euros en 2020, puis par les modifications du coefficient applicable aux personnes en couple. Ce dernier est en effet passé de 2 à 1,89 au 1er novembre 2018, puis à 1,81 au 1er novembre 2019.
Philippe Mouiller s’inquiétait déjà, en tant que rapporteur pour avis des crédits de la mission « Solidarités, insertion et égalité des chances » du projet de loi de finances pour 2019, des conséquences sur les allocataires d’une mesure ayant permis de réaliser des économies évaluées à 12 millions d’euros en 2018, 157 millions d’euros en 2019, puis 287 millions d’euros en 2020.
D’autre part, ce mécanisme ne répond pas fondamentalement au souhait des personnes en situation de handicap, qui demandent aux pouvoirs publics un soutien à l’autonomie par l’indépendance financière. Une telle revendication s’entend d’autant plus quand elle émane de femmes en situation de handicap, dont les revenus sont encore relativement plus faibles que ceux de leur conjoint, et qui sont plus souvent victimes de violences conjugales.
Pour des raisons de justice sociale, adopter conforme le texte transmis par l’Assemblée nationale n’est donc pas possible. Une disposition qui tient de la « faveur fiscale » ne peut en aucun cas corriger une injustice fondamentale.
Ajoutons qu’une telle évolution suppose, comme cela est prévu, un système transitoire : lors de l’examen du texte en commission, le rapporteur a donc fait adopter un amendement tendant à rétablir l’article 3 bis pour supprimer les effets indésirables d’une déconjugalisation brutale.
Madame la secrétaire d’État, vous nous direz que, d’une certaine façon, nous ouvrons là une boîte de Pandore et que, ce que nous faisons pour l’AAH, nous devrions le faire pour toutes les autres prestations sociales.
Mais c’est oublier un peu vite que l’AAH est une prestation d’assistance assez particulière : l’assiette des revenus pris en compte est moins large que pour les autres minima sociaux ; le mode de calcul des ressources personnelles est relativement plus avantageux ; surtout, depuis les revalorisations significatives décidées par les présidents de la République successifs en 2008 puis en 2017, le niveau de cette prestation est plus élevé que celui des autres minima sociaux.
Madame la secrétaire d’État, j’espère sincèrement que vous écouterez l’appel que nous lançons, car il est partagé par les sénateurs de nombreux groupes politiques. Vous ne pouvez pas avoir raison seule contre tous.
Certains sujets méritent mieux que les débats politiciens et les conflits stériles. Celui qui nous occupe aujourd’hui en est indéniablement un. Ne répétez pas la même erreur qu’il y a trois ans avec la proposition de loi visant à améliorer l’accueil des enfants en situation de handicap à l’école et le statut des accompagnants. Madame la secrétaire d’État, aidez-nous à transformer ce texte, de sorte qu’il mérite pleinement son titre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale
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Article 3
I. – Au premier alinéa de l’article L. 821-3 du code de la sécurité sociale, les mots : « et, s’il y a lieu, de son conjoint, concubin ou partenaire d’un pacte civil de solidarité » et les mots : « est marié, concubin ou partenaire d’un pacte civil de solidarité et » sont supprimés.
II. – (Supprimé)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Arlette Carlotti, sur l’article.
Mme Marie-Arlette Carlotti. Madame la secrétaire d’État, je me permets de m’adresser directement à vous, car je connais votre engagement de très longue date sur la question du handicap. Vous avez ce sujet chevillé au corps, nous avez-vous dit tout à l’heure, ce qui est vrai.
C’est pourquoi je ne peux pas imaginer que vous assimiliez l’AAH à une prestation sociale. Cette allocation est le moyen pour toute personne en situation de handicap d’accéder à un minimum d’autonomie financière, une sorte de compensation donnée par la société qui, malgré la détermination de nombreuses associations depuis des années, n’est toujours pas inclusive et dans laquelle les personnes en situation de handicap doivent faire face à de nombreuses difficultés.
Vous connaissez d’ailleurs certainement aussi bien que nous la situation de ces personnes au quotidien. Je ne peux donc pas imaginer que vous acceptiez que des femmes et des hommes vivant en couple perdent leur autonomie et, donc, leur dignité à cause de cette mesure injuste qu’est le mode de calcul de l’AAH en fonction des revenus du conjoint.
Je parle ici de personnes à qui l’on va demander de se contenter de vivre dans l’ombre de leur partenaire, avec les situations difficiles et parfois douloureuses que cela peut engendrer. Il s’agit d’une deuxième dépendance en quelque sorte.
Pour justifier votre position, vous invoquez une injustice par rapport aux bénéficiaires des autres prestations sociales. Mais voter la déconjugalisation de l’AAH, ce n’est pas remettre en cause le système de protection sociale, puisque cette allocation n’est pas une prestation sociale !
J’en ai conclu que c’est Bercy qui décidait, et pas vous, puisque je vous sais très engagée auprès des personnes en situation de handicap. Je sais que vous ne pouvez qu’adhérer – vous l’avez d’ailleurs vous-même un peu dit tout à l’heure – aux revendications des milliers de personnes qui se battent pour cette juste cause.
Je me réjouis de voir que la commission des affaires sociales du Sénat a maintenu sa position initiale sur la déconjugalisation de l’AAH : c’est une mesure de justice et un pas de plus vers la société inclusive que nous appelons de nos vœux.
Vous nous demandiez tout à l’heure pourquoi nous ne l’avions pas fait par le passé. Soit ! Nous ne l’avons pas fait, mais nous avons tout de même permis de nombreuses avancées sur la question du handicap.
Alors, madame la secrétaire d’État, faisons-le, faisons-le ensemble, faisons-le maintenant ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.
Mme Laurence Cohen. Cette mesure reprend une revendication des associations de soutien aux personnes en situation de handicap et vise à mettre fin à l’injustice que subissent les couples qui perdent le bénéfice de l’AAH ou voient le montant de celle-ci diminuer en cas de mariage, de pacte civil de solidarité (PACS) ou même de simple concubinage.
Comme vous l’avez indiqué, madame la secrétaire d’État, notre groupe reste fidèle à ses convictions, celles qui ont été défendues dès 2018 par Marie-George Buffet à l’Assemblée nationale – ma collègue Cathy Apourceau-Poly le mentionnait tout à l’heure –, et que nous n’avons cessé de défendre depuis lors.
Ce que l’on a appelé le « prix de l’amour » n’est pas acceptable, car cela rend des personnes dépendantes économiquement de leur conjoint. Cette dépendance économique est d’autant plus grave que 34 % des femmes en situation de handicap ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part d’un partenaire ou d’un ex-partenaire.
Pour garantir l’indépendance financière des personnes handicapées, la Défenseure des droits, maintes fois saisie à ce sujet, recommande d’exclure les ressources du conjoint pour l’attribution de cette allocation. Un tel mode de calcul de l’AAH est donc à proscrire.
J’en profite, madame la secrétaire d’État, pour vous interpeller sur une autre limite qu’instaure ce mode de calcul : comment pouvez-vous justifier que le montant de l’AAH diminue lorsque le conjoint ou la conjointe d’une personne handicapée part en retraite ? Ainsi, une personne qui touchait 354 euros par mois au titre de l’AAH s’est retrouvée à toucher seulement 81 euros par mois à compter du mois de janvier, soit une perte de 3 276 euros par an, tout cela parce que son mari a été admis à la retraite. C’est scandaleux !
Le système actuel est injuste et source de précarité financière. Le Gouvernement doit revenir totalement sur ces modes de calcul de l’AAH, ce que j’ai réaffirmé ici même, jeudi dernier, lors du débat sur les personnes en situation de handicap organisé sur l’initiative du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Non, madame la secrétaire d’État, vous n’avez pas raison envers et contre tout. Entendez enfin cette revendication des personnes en situation de handicap et de leurs proches ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par MM. Lévrier, Iacovelli, Théophile, Patriat, Bargeton et Buis, Mme Cazebonne, M. Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Haye, Kulimoetoke, Marchand, Mohamed Soilihi et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Richard et Rohfritsch, Mme Schillinger et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Le premier alinéa de l’article L. 821-3 du code de la sécurité sociale est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les revenus perçus par le conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité qui n’est pas allocataire de l’allocation aux adultes handicapés font l’objet d’un abattement forfaitaire dont les modalités sont fixées par décret. »
II. – Le présent article s’applique à compter des allocations dues au titre du mois de janvier 2022.
La parole est à M. Martin Lévrier.
Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est du lourd ! (Rires.)
M. Martin Lévrier. Mais non, ma chère collègue, c’est tout simplement cohérent ! (Sourires.) Comme vous vous en doutez, notre amendement vise en effet à rétablir l’article 3 dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.
Le sujet est, vous le savez, très complexe. L’AAH est destinée à assurer des conditions de vie dignes aux personnes en situation de handicap dont les ressources sont les plus faibles. En ce sens, elle représente un minimum social.
Sa déconjugalisation aurait des conséquences certaines sur tout notre système de solidarité – je l’ai déjà dit. C’est pourquoi, plutôt que d’ouvrir une perspective qui engagerait bien d’autres changements, nous proposons une solution plus efficace qui s’imbriquerait dans le système de solidarité sans le mettre en cause.
Le mécanisme sera plus juste, parce qu’il cible directement ceux qui en ont le plus besoin, à l’inverse du dispositif prévu par le texte de la commission. Actuellement, les revenus pris en compte pour le calcul de l’allocation ne le sont pas en totalité et font l’objet d’un abattement de 20 %. Si cet abattement améliore la situation des foyers allocataires de l’AAH, il n’est pas totalement satisfaisant, parce qu’il n’engendre pas une meilleure redistribution.
C’est pourquoi nous proposons d’instaurer un nouveau dispositif qui substitue un abattement forfaitaire de 5 000 euros sur les revenus à cet abattement proportionnel.
Ainsi, le présent amendement tend à renforcer le caractère redistributif de la mesure, afin de répondre aux besoins de chacun, tout en assurant la pérennité de notre système de solidarité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Mouiller, rapporteur. Mon cher collègue, vous le comprendrez, je ne reprendrai pas tous les arguments avancés lors de la discussion générale. La commission est évidemment défavorable à votre amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Vous comprendrez bien que, pour des raisons inverses, je suis favorable à cette mesure de justice sociale qui pourrait être directement introduite – nous l’avons dit et redit – dans le projet de loi de finances pour 2022 et, donc, être applicable rapidement. Cette disposition nous permettrait de mieux flécher les moyens de la solidarité nationale vers les personnes en couple qui en ont le plus besoin.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 est adopté.)
Article 3 bis
Jusqu’au 31 décembre 2031, toute personne qui, à la date de la promulgation de la présente loi, a des droits ouverts à l’allocation aux adultes handicapés peut, à sa demande et tant qu’elle en remplit les conditions d’éligibilité, continuer d’en bénéficier selon les modalités prévues aux articles L. 821-1 et L. 821-3 du code de la sécurité sociale en vigueur à cette date. – (Adopté.)
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Mme la présidente. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Comme ma collègue Laurence Cohen l’a rappelé et comme je l’ai déjà dit dans mon propos liminaire, nous allons évidemment voter cette proposition de loi.
Les associations représentant les personnes handicapées la réclament depuis des années. Plus de 108 000 signatures, faut-il le rappeler, ont été recueillies sur le site du Sénat : il s’agit d’une mobilisation citoyenne extraordinaire.
Ne perdons plus de temps, madame la secrétaire d’État : nous en avons déjà assez perdu. Dès 2018, notre groupe avait déposé une proposition de loi pour rendre justice à toutes les personnes en situation de handicap, en supprimant la prise en compte des revenus du conjoint.
Nous n’étions pas, vous en conviendrez, madame la secrétaire d’État, en période électorale, puisque c’était il y a trois ans. Trois ans, madame la secrétaire d’État ! Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, il faut bien le dire.
Je pense à la période dramatique que nous venons de vivre avec la crise du covid-19, qui a frappé durement les familles et encore plus les personnes en situation de handicap. Ainsi, 19 % des personnes en situation de handicap vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, et 82 % d’entre elles déclarent s’en sortir très difficilement. Nous les rencontrons tous les jours dans nos villes.
Madame la secrétaire d’État, si je n’avais qu’un vœu à formuler, ce serait que vous arrêtiez d’entendre et que vous commenciez à écouter. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.
Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Union Centriste votera cette proposition de loi. Je voudrais saluer à cette occasion les auteurs de la proposition de loi initiale, ainsi que notre collègue Philippe Mouiller, pour son travail.
En réalité, chacun est conscient aujourd’hui que l’on n’en fait jamais trop pour les personnes handicapées et leurs familles, pour lesquelles obtenir quelque chose relève souvent du parcours du combattant. Je tiens à faire savoir à Mme la secrétaire d’État, comme au groupe RDPI, que je salue, à titre personnel, toutes les avancées et toutes les mesures prises pour les personnes handicapées et leurs familles durant ce mandat.
Cela étant, je pense qu’il nous faut avancer sur la question de l’AAH, et ce pour deux raisons.
La première tient à l’existence de nombreuses pétitions et manifestations sur le site du Sénat. Beaucoup de présidents d’associations nous ont également écrit en ce sens et ont, dans une parfaite unanimité, exposé le contexte et critiqué le calcul de cette allocation – et croyez-moi, ce n’est pas toujours facile de le comprendre et de le comparer avec celui qui prévaut pour d’autres aides !
C’est donc une question de démocratie : entendre la parole des usagers dans tous les domaines est une nécessité aujourd’hui. S’agissant du mode de calcul de l’AAH, il y a une véritable injustice à corriger.
La seconde, c’est qu’il s’agit d’un enjeu de justice sociale. Vous avez parlé de « juste place », madame la secrétaire d’État. Pour ma part, je parlerai de juste place dans le couple, car dépendre de l’autre est aliénant. C’est la raison pour laquelle il faut absolument que nous franchissions ce pas et que nous votions ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 2 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 320 |
Contre | 23 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP, SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Droit de visite en établissements
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissements, présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues (proposition n° 543 [2020-2021], texte de la commission n° 19, rapport n° 18).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi.
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, vous le savez aussi bien que moi, la crise sanitaire a été un énorme choc collectif ainsi que, pour notre nation française, une épreuve de vérité, parce qu’elle a révélé un certain nombre de nos faiblesses : trop de centralisme, trop de bureaucratie, trop d’hésitations et, parfois aussi, un manque d’anticipation.
Mais au-delà de ces défaillances, je veux souligner que le pire, dans cette gestion parfois chaotique de la crise, a été le manque d’humanité. Si j’évoque ce défaut que la crise a mis au jour, c’est parce que, pendant de longs mois, et bien après le premier confinement d’ailleurs, des personnes vulnérables, fragiles, se sont retrouvées privées de tout contact avec leurs proches dans leurs établissements d’accueil.
Derrière ces portes closes s’est noué en réalité un drame terrible, notamment et surtout pour les personnes en fin de vie, qui ont été laissées seules dans leurs derniers instants, seules face à la mort, seules malgré le dévouement, que je veux évidemment souligner, de personnels soignants bien entendu débordés.
Ce drame a aussi été terrible pour les familles, qui ont été très souvent privées de l’accompagnement de leurs proches dans ces derniers instants, du rite de passage, et parfois même du rite funéraire, en tout cas, d’un rite digne de ce nom.
J’ai croisé la route de Stéphanie Bataille et de Laurent Frémont, qui ont créé, comme vous le savez, madame la ministre, le collectif Tenir ta main. J’ai été très ému, comme beaucoup d’autres, par leur témoignage.
En réalité, ce qu’ils ont vécu n’est pas admissible, tellement peu admissible que le Conseil d’État, dans une décision rendue en mars dernier, a dû rappeler un certain nombre d’évidences, que la Défenseure des droits s’en est émue dans son rapport de mai dernier et que le chef de l’État lui-même, le Président de la République Emmanuel Macron, en est arrivé à écrire cette phrase que je reprends au mot près : « Pour protéger nos aînés, la vigilance ne doit pas signifier l’isolement. »
Je pense que l’on doit tenir compte des alertes qui nous ont été transmises. Avec d’autres collègues, j’ai donc souhaité partir de ce constat pour instaurer un véritable droit de visite.
Ce droit de visite que nous voulons vous proposer apporte une triple garantie.
La première, c’est une garantie d’effectivité : nous voulons faire en sorte qu’un droit qui n’est aujourd’hui que virtuel devienne réel, autrement dit qu’il soit consacré dans le code de la santé publique et le code de l’action sociale et des familles. Nous voulons également que les dispositions de cette loi, pour qu’elles soient vraiment effectives et puissent s’imposer aux règlements, et notamment à ceux des établissements médico-sociaux ou des établissements de santé, soient d’ordre public.
La deuxième garantie, c’est une garantie de bon sens. Il s’agit de confier la charge du droit que nous souhaitons consacrer non pas à l’autorité administrative des établissements concernés, mais aux autorités médicales.
En effet, à nos yeux, les médecins sont mieux à même de déterminer le bon équilibre entre ce droit et la protection des personnes hébergées dans les établissements ; les autorités administratives se doivent évidemment d’obéir à des circulaires souvent trop uniformes, qui tombent de Paris. L’objectif est donc également de dresser un rempart contre la logique froide d’une mécanique bureaucratique.
La troisième garantie, c’est une garantie de solidarité et même de fraternité vis-à-vis de celles et ceux qui sont en fin de vie.
C’est en ce sens que le texte fait de ce droit une obligation inconditionnelle. La fin de vie est un moment trop grave pour laisser de côté les personnes qui vivent leurs derniers jours et, surtout, les couper de leurs liens affectifs. C’est fondamental !
Ainsi que vous le voyez, le texte n’est pas du tout partisan. Ce n’est pas non plus un texte inspiré par l’émotion, même si je pense qu’en la matière, l’émotion est nécessaire et parfaitement légitime.
La présente proposition de loi vise simplement à rappeler ce qui pourrait rester une évidence, mais qui – on le voit bien –, dans des situations d’urgence ou des situations extrêmes, doit être considéré comme un devoir d’humanité.
Ce qui est en jeu derrière, c’est la place que, dans nos sociétés dites « avancées », nous voulons attribuer aux plus fragiles, aux plus vulnérables. Ce qui est aussi en jeu, peut-être, c’est l’idée que l’on se fait de la vie. Bien entendu, chaque fois que des dispositions ont pu être prises au cœur de l’épidémie, nous avons voulu en toute bonne foi protéger des vies humaines. Mais, en voulant protéger des vies humaines, n’avons-nous pas été parfois conduits à réduire la vie humaine à sa seule dimension biologique, physique ?
J’entends par là qu’en coupant les liens affectifs des personnes, notamment des plus fragiles et des plus vulnérables, on leur ôte souvent une raison de vivre. On les prive d’une affection susceptible de leur rappeler qu’elles ne sont pas uniquement des corps souffrants, des corps taraudés par la maladie, des corps affaiblis par le grand âge, mais qu’elles sont aussi des cœurs aimants et aimés
En tant qu’individus, lorsque nous sommes confrontés personnellement à de telles situations, nous y répondons tout à fait spontanément et naturellement. Mais, en tant que législateurs, chargés de la règle commune, souhaitons-nous en tirer toutes les conséquences ? Sommes-nous prêts à ne pas sacrifier, au nom de la sécurité pour tous, la dignité de chacun, ce « chacun » pouvant être demain un proche, un parent ou un ami ?
Je le sais, la question n’est pas simple. Elle mérite une très grande attention. Nous ne voulons accuser ou faire le procès de personne. Simplement, il faut tirer les leçons de cette pandémie. Il serait tout de même paradoxal de les tirer en termes sanitaires, administratifs et de gestion, mais pas pour ce qui concerne l’humain.
Telle est la raison d’être de la présente proposition de loi. Nous ne devons pas, me semble-t-il, laisser une forme d’hygiénisme sanitaire dénouer les liens entre les personnes. La crise sanitaire – c’est une de ses leçons – nous a permis de redécouvrir une forme d’interdépendance humaine. Nous sommes des personnes, non des individus. Nous avons besoin les uns des autres. D’ailleurs, la vaccination s’est, elle aussi, inscrite dans ce cadre. Comme le disait Victor Hugo : « Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une ».
Ne laissons pas ces liens humains se dénouer ! Ne laissons pas confiner la compassion par un excès de prudence et de précaution !
J’ai évoqué au début de mon intervention le collectif Tenir ta main. Nous devons saisir cette main aujourd’hui. Ainsi, demain, les plus fragiles, nos aînés, les personnes handicapées, les personnes en fin de vie sauront que, indépendamment de l’urgence et de la situation, il y aura toujours d’autres mains pour les tenir, les secourir, les accompagner. Quoi qu’il arrive ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc de la commission. – M. Daniel Chasseing et Mme Laurence Cohen applaudissent également.)
7
Souhaits de bienvenue à de jeunes citoyens en tribune
Mme la présidente. Mes chers collègues, après avoir accueilli le conseil municipal des jeunes de Caumont-sur-Durance, dans le Vaucluse, saluons ensemble la présence dans nos tribunes, sur mon invitation, du conseil municipal des jeunes de la ville de Gujan-Mestras, située au cœur du bassin d’Arcachon, en Gironde. (Applaudissements.)
8
Droit de visite en établissements
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissements.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi a été cosignée par le président et plus d’une centaine de sénateurs du groupe Les Républicains. Mais, au-delà, son contenu me semble de nature à nous rassembler très largement, comme il nous a déjà rassemblés en commission.
L’objet de ce texte est aussi simple que son titre. Il s’agit de mieux préciser les modalités d’application du droit qu’ont les personnes prises en charge à l’hôpital ou accueillies en établissement médico-social de recevoir la visite de leurs proches et de rendre ce droit inconditionnel pour les personnes en fin de vie.
Vous devinez, mes chers collègues, quels événements récents ont motivé sa rédaction : l’interruption des visites, à partir de la première vague de covid-19, qui a placé des milliers de personnes hospitalisées ou résidant en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) à l’isolement forcé.
Nous savons que cet isolement a été difficile à vivre pour les personnes concernées et leur entourage. Nous savons qu’il leur a parfois été fatal. Ce que la gériatrie appelle pudiquement un « glissement » désigne tout bonnement un désir de mourir.
Voilà de quoi s’augmente notre intelligence collective en 2021 : les humains peuvent mourir de nouveaux virus, comme de ne plus être considérés comme des humains.
Je veux cependant être claire : comme Bruno Retailleau l’a rappelé, il ne s’agit pas de montrer quiconque du doigt ni de refaire la commission d’enquête sur la gestion de la crise. Les directeurs d’établissement ont tout fait pour protéger les patients ou les résidents, avec les moyens dont ils disposaient à chaque instant, et encore ne faisaient-ils le plus souvent qu’appliquer des directives nationales ou suivre les éléments de la communication officielle qu’une navigation sans visibilité – on peut le reconnaître – ne pouvait que rendre fluctuants, erratiques ou contradictoires.
Ce n’est pas même nécessairement remettre en cause les décisions qui ont été arrêtées que de le dire : la restriction sans précédent de la vie sociale des personnes prises en charge en établissement a été une véritable catastrophe sur le plan de la psychologie individuelle, mais aussi collective.
Sur ce dernier point, nous manquons encore de recul, même si nous savons que les proches des personnes décédées vivent à présent avec l’angoisse, la culpabilité et travaillent à faire un impossible deuil. Il appartiendra aux historiens et aux anthropologues d’en dire plus, mais les fondateurs du collectif Tenir ta main, Stéphanie Bataille et Laurent Frémont, n’ont sans doute pas tort de parler d’un « recul de civilisation sans précédent » pour désigner ces trop nombreuses semaines du printemps 2020, où des centaines de personnes décédées ont été mises en sac – je pèse mes mots – sans avoir vu leurs proches ni même reçu les derniers soins que l’humanité doit aux défunts.
Bref, nous sommes sans doute entrés dans une nouvelle époque en matière de conception de la vie sociale en établissement de santé et médico-social. La question ne se posait guère avant – il faut le reconnaître – sans toutefois que l’on puisse dire si le faible nombre de réclamations antérieures à 2020 indique une gestion sans faille ou l’intériorisation par les familles de contraintes jugées difficilement contestables.
Mais, pour l’avenir, le texte tend à parer au risque de déséquilibre entre la protection du droit à recevoir des visites et la nécessité de protéger le plus grand nombre. Ce risque, la Défenseure des droits l’a étayé récemment, car l’organisation des visites en établissement suscite encore des incompréhensions chez les usagers et leurs familles : soit parce que, le pic épidémique passé, les directeurs d’établissement font toujours preuve d’une prudence excessive, soit parce que l’on se rend compte à présent que les plages horaires de visites avaient jadis été trop étroitement délimitées, par mauvaise habitude ou par contrainte de personnel.
La commission des affaires sociales a donc jugé opportun le mécanisme proposé dans le texte.
Celui-ci introduit d’abord dans la loi le droit des patients et résidents qui le souhaitent de recevoir des visites quotidiennes, et en précise les limites, car il va de soi qu’un tel droit ne saurait être absolu. L’administration et un certain nombre de juristes objectent, pour s’y opposer, que ce droit est déjà garanti au plus haut niveau de notre ordre juridique.
Il est exact que les usagers qui s’estimeraient injustement privés de visite pourraient invoquer devant le juge des principes rangés aux derniers étages de la pyramide des normes, tels le droit à la vie privée ou le droit à la santé, et que la Cour européenne des droits de l’homme fait de la convention européenne une interprétation très favorable à la liberté individuelle.
Tout cela est sans doute très rassurant, mais je crois que nous pouvons convenir que, si l’on peut préciser la loi plutôt que de laisser les usagers demander au juge l’autorisation de voir leur père ou leur mère à l’hôpital, cela vaut le coup d’essayer !
On objecte encore que de tels principes sont déclinés dans de nombreux documents de rang inférieur à la loi, comme la charte de la personne hospitalisée ou le livret d’accueil du résident en Ehpad, et que cela suffit. C’est possible, mais ces documents de droit souple sont plus ou moins précis. De ceux-là, les usagers ne peuvent pas se prévaloir devant un juge. Et, à nouveau, il convient de s’assurer qu’ils correspondent à la situation nouvelle.
Non seulement il appartient naturellement à la loi de préciser le régime des droits et libertés, mais, en l’espèce, la loi semble un véhicule approprié pour clarifier un principe important de gestion des établissements prenant en charge un public fragile. D’ailleurs, la loi s’autorise déjà à être plus explicite sur d’autres composantes du droit à la vie privée. À l’hôpital, elle s’attarde sur les contours du droit au secret médical et, en établissement médico-social, sur le respect de l’intimité et la liberté d’aller et venir. Y accoler, par souci de précision, le droit de recevoir des visites et en préciser le régime n’aurait donc rien d’aberrant.
Que s’agit-il précisément de ranger dans la loi ? Le texte que j’ai proposé à la commission des affaires sociales et que celle-ci a adopté est très proche du texte initial. Il ne fait que le préciser ou l’alléger sur certains points.
Il repose sur un trépied solide : l’inscription dans la loi d’un principe fondamental qui y fait défaut et laisse en conséquence les usagers dans l’ignorance de leurs droits et les établissements face à la tentation de la surprotection ; la responsabilité toutefois laissée aux directions d’établissement de le mettre en œuvre sans formalisme excessif ; l’introduction, enfin, de garde-fous contre les situations d’inhumanité que nous avons connues au printemps 2020, en sanctuarisant le droit de visite dans les cas extrêmes.
L’article 1er vise à introduire dans le code de la santé publique la mention d’un droit de visite quotidien pour les patients des établissements de santé, qui ne peut être subordonné à une information préalable de l’établissement.
Il précise en outre les motifs possibles de refus de visite, qui sont au nombre de deux : le risque d’une menace pour l’ordre public à l’intérieur ou aux abords de l’établissement et le risque sanitaire pour les autres patients, les visiteurs ou les professionnels. Ces motifs sont ceux qui ont déjà été invoqués en pratique et acceptés par le juge chargé de contrôler l’exercice par les directeurs d’établissement de leur pouvoir de police des visites. La possibilité de les invoquer serait appréciée par le chef du service où se trouve le patient ou, sur sa délégation, tout autre professionnel de santé.
Un refus devrait être motivé et notifié sans délai aux intéressés. C’est le formalisme minimal qu’il semblait nécessaire d’imposer à une telle décision.
L’article 3 procède de même pour les établissements médico-sociaux. Les dispositions initiales de la proposition de loi ont été codifiées dans le code de l’action sociale et des familles et allégées pour ne pas alourdir le formalisme imposé aux directions d’établissement.
Par ailleurs, la procédure a été légèrement précisée : en disposant que l’avis sur le risque sanitaire pouvant fonder un refus de visite peut être rendu par tout professionnel de santé désigné par le directeur en l’absence de médecin coordonnateur, car les Ehpad ne sont pas les seuls établissements concernés, et tous les Ehpad n’ont d’ailleurs pas de médecin coordonnateur ; en poussant à la formalisation de la décision de refus, qui devra être motivée et notifiée sans délai aux intéressés ; en précisant enfin que le règlement de fonctionnement de l’établissement, établi après consultation du conseil de la vie sociale, fixe les modalités de respect de ce droit de visite.
L’article 4 rendait inconditionnel le droit de visite des personnes en phase terminale d’une affection mortelle incurable pour certains de leurs proches. La commission a également codifié ce dispositif, et l’a élargi à deux égards : d’une part, en visant les personnes « en fin de vie ou dont l’état requiert des soins palliatifs », notion que le code de la santé publique connaît déjà ; d’autre part, en élargissant le périmètre des visites à un cercle plus étendu de proches, car emprunté à celui des personnes pouvant justifier la prise d’un congé de proche aidant. Pourquoi en effet restreindre la visite des personnes en fin de vie aux seuls membres de leur famille proche, à l’exclusion de leurs amis ?
L’article 5 tente de préserver les mesures qui précèdent de la menace que pourrait faire peser sur elles l’état d’urgence sanitaire. Il soumet les mesures réglementaires prises sous ce régime qui restreindraient le droit de visite à l’avis conforme motivé du conseil scientifique et il précise que ces mesures ne sauraient faire obstacle au droit de visite inconditionnel prévu à l’article 4. La commission a ajouté le Comité consultatif national d’éthique parmi les organes à consulter, afin d’éclairer les décisions prises d’une lumière éthique, précisément, et non seulement scientifique ou épidémiologique.
L’article 6 tend à préciser que les dispositions du présent texte sont d’ordre public. Cela empêchera les stipulations contractuelles, par exemple celles qui lient les cliniques privées à leurs patients, de les contredire.
Mes chers collègues, le droit de visite est un enjeu majeur pour les personnes hospitalisées ou accueillies en établissement médico-social. Il faut le savoir, aujourd’hui, en octobre 2021, certains patients en fin de vie refusent d’aller à l’hôpital. Craignant de ne pas pouvoir recevoir la visite de leurs proches, ils préfèrent être pris en charge en hospitalisation à domicile, ce qui exige une grande présence de leur famille, aux côtés des professionnels de santé.
Ce texte se fixe donc, avec des moyens bien proportionnés, des ambitions très justement circonscrites, dans l’intérêt de tous les usagers de notre système sanitaire et médico-social.
Il y aura un « avant » et un « après » pandémie. J’ose l’espérer, madame la ministre, pour l’« après », vous reconnaîtrez ce droit de visite inconditionnel.
Pour ma part, mes chers collègues, je vous invite à adopter la proposition de loi dans la rédaction issue des travaux de la commission. La dignité humaine et la dignité des malades nous obligent ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Daniel Chasseing et Mme Laurence Cohen applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le sujet qui nous réunit aujourd’hui, le droit de visite des familles à leur proche malade ou en perte d’autonomie, touche à quelque chose de fondamental, qui concerne la possibilité même de relations familiales sereines et apaisées par-delà les âges et les générations.
Nous sommes réunis pour parler de liberté, d’intimité, face à des enjeux de protection, de sécurité. Nous sommes là pour répondre à cette question redoutablement difficile : comment réussir à concilier deux droits, apparemment contradictoires, mais chacun légitime, celui d’être libre et celui d’être protégé ?
Cette question n’est pas nouvelle ; elle n’est pas née avec la pandémie. Mais force est de constater que la crise sanitaire, avec les confinements successifs et les mesures vécues avec douleur, nous oblige à penser à nouveau cette articulation sensible entre la liberté qu’il faut défendre et la sécurité qu’il faut garantir.
C’est donc avec beaucoup d’humilité que je prends la parole. Face à ce qui concerne à la fois le plus intime et le plus collectif, il n’y a évidemment pas de place pour l’arrogance et la certitude. Je ne prétends donc pas détenir une vérité absolue, et nul ne la détient d’ailleurs en ce domaine, qui n’additionne pas des chiffres et des lignes comptables, mais qui aide chacun à vivre sa vie, donc sa vie familiale, par-delà les obstacles.
Je tiens à vous remercier, monsieur Retailleau. La proposition de loi que vous avez déposée, avec le soutien de vos collègues, est une chance. Elle nous permet d’ouvrir un espace dans lequel le débat peut exister, vivre, se déployer.
En revanche, je ne peux pas me résoudre à entendre parler de « défaut d’humanité ». Je peux témoigner, ayant recueilli le retour d’expérience des aides-soignants et des médecins, qu’il est difficile pour eux d’entendre ces mots. Ils se sont beaucoup engagés au service des plus vulnérables, y compris dans les derniers instants. Ils l’ont fait avant la crise, pendant la crise, et ils continuent de le faire aujourd’hui. C’est pourquoi je veux leur rendre hommage à l’occasion de ce débat.
Je crois sincèrement que l’ambition de votre proposition de loi est empreinte d’humanisme, et je salue votre engagement pour les malades, pour les personnes âgées vivant en Ehpad et pour toutes celles et tous ceux qui doivent, à un moment ou à un autre de leur vie, pour quelques jours ou quelques semaines, vivre dans des établissements de santé.
Vous le savez, le droit de visite est d’ores et déjà un principe législatif, à la fois pour les établissements de santé et les établissements médico-sociaux.
Votre proposition de loi vise en premier lieu les établissements de santé. Je vous rappelle qu’il n’y a pas eu d’interdiction générale et absolue des visites, en dehors de la première vague de l’épidémie, de mars 2020 à mai 2020. Dans un objectif de contrôle des flux pour éviter la contamination des patients, du personnel et de l’environnement, les visites étaient temporairement limitées, et leur déroulement encadré.
Les établissements de santé sont des lieux de soin accueillant des personnes malades, à qui l’on doit avant tout la protection de la santé. Le droit de visite est donc un droit du patient d’être visité ; celui-ci peut refuser la visite sur le fondement du respect du droit à la vie privée et aux termes de la charte de la personne hospitalisée. Ce droit s’appuie sur le principe général du droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, affirmé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Les patients et leurs visiteurs disposent donc de droits, mais aussi de devoirs envers les autres patients et les professionnels de santé, d’autant plus importants en période de pandémie, par exemple lorsqu’ils occupent une chambre double.
Le droit de visite est donc un principe établi et déjà garanti.
Faire des visites en établissement de santé un « droit opposable » ne serait pas réaliste, compte tenu du nombre d’exceptions et de violations potentielles en fonction du type d’activité, qu’il s’agisse de santé mentale, maternité, réanimation, infectiologie, urgences ou encore soins de suite. Cette question se pose également en matière de situations associées, sociales ou psychologiques, de configuration des locaux et conditions d’hébergement, et, plus généralement, au regard des nécessités d’organisation des services.
Chacun peut en convenir, un médecin chef de service ou son délégataire, en particulier en situation d’urgence, est pleinement mobilisé autant par son activité de soin et d’organisation de service que par des notifications individuelles à chaque patient, y compris ceux qui ne restent que quelques heures aux urgences, des décisions motivées en cas d’interdiction liée à un risque ponctuel d’infection nosocomiale, par exemple.
Je tiens également à préciser que l’accompagnement des personnes en fin de vie n’est pas une visite comme les autres. Il fait l’objet de mesures organisationnelles adaptées, ainsi que le prévoit de manière explicite l’article R. 1112-68 du code de la santé publique, dont la rédaction semble plus ouverte aux proches, aux bénévoles ou encore aux membres du culte.
Plus généralement, il me semble préférable de privilégier les dispositifs de médiation organisés à l’échelon local, plutôt que la judiciarisation des conflits.
Ce que j’ai entendu aussi, pendant et après cette crise, c’est que des familles demandaient elles-mêmes de préserver leurs personnes âgées du virus et allaient jusqu’à menacer d’engager des procédures pour mise en danger de la vie d’autrui avec circonstance aggravante s’agissant de personnes vulnérables, que notre devoir oblige à protéger particulièrement.
La proposition de loi vise également à créer un droit de visite pour les personnes résidant en Ehpad et pour les personnes malades en établissement sanitaire.
Elle trouve évidemment son origine dans la crise sanitaire et s’enracine dans les souffrances endurées par celles et ceux qui ont été privés des visites de leurs proches, à l’hôpital comme en Ehpad. Je veux ici rendre hommage à toutes ces familles qui ont souffert de ne pas pouvoir accompagner leur proche au cours des derniers instants. J’ai entendu leurs retours. Croyez bien que je mesure quelle a été leur douleur et comprends parfois leur colère.
Au début de cette crise, les autorités sanitaires et les directeurs d’établissements ont eu à prendre des décisions très difficiles pour faire face à une situation complètement inédite.
Oui, lors de la première vague, alors que nous ne connaissions pas le virus, des mesures strictes d’isolement se sont imposées. Elles ont été guidées par des recommandations scientifiques.
Pour un certain nombre de citoyens, les portes ont été fermées du jour au lendemain, ce qui n’était jamais arrivé. Nous avons eu à cœur de protéger les plus vulnérables, en premier lieu les personnes âgées, au risque parfois de les isoler, avec les conséquences que l’on sait désormais.
Nous sommes ici pour faire en sorte que ces événements douloureux ne se répètent jamais plus.
Je tiens à insister sur un point essentiel : il ne s’agit en aucun cas de stigmatiser ou juger des équipes, des professionnels, des directeurs, qui ont fait preuve d’un engagement sans faille et ont mis en place des mesures, au mieux de ce qu’ils pouvaient faire, dans ce temps, d’ailleurs pas complètement derrière nous, où la mort était omniprésente et l’incertitude si grande.
Dès ma nomination à l’été 2020, appelée aux côtés du ministre de la santé au cœur de la crise – j’ai déjà eu l’occasion de venir vous rendre compte de mon action sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs –, je me suis particulièrement impliquée pour défendre l’application d’un principe fort dans les Ehpad : protéger sans isoler.
Dès que nous avons pu rouvrir les Ehpad, nous l’avons fait – c’était à l’été 2020 –, mais la deuxième vague est arrivée. Nous avons vu le nombre de clusters augmenter considérablement. Conformément aux recommandations sanitaires des autorités scientifiques, nombre de directions d’établissement ont dû réactiver des mesures de protection ; je pense notamment aux visites sur rendez-vous.
Dès lors, notre objectif a été de maintenir à toute force le lien des résidents avec leur famille, leur lien social, tout en les protégeant. C’était évidemment une vraie ligne de crête. La tenir a entraîné chaque jour pour les directions d’établissement des dilemmes, des interrogations éthiques et pratiques.
Face à ces difficultés, nous avons cherché à donner aux professionnels opérant dans les établissements un cadre, des directions à suivre. Et, dès que la situation sanitaire le permettait, nous avons essayé d’alléger les protocoles, par exemple à Noël.
Après la décision du Conseil d’État du 4 mars dernier, nous avons saisi le Haut Conseil de la santé publique, ou HCSP, pour avoir des réponses sur les conséquences de la vaccination. Nous avons été en mesure d’envoyer un nouveau protocole pour engager, dès le 13 mars, un retour progressif à la vie normale. Le 12 mai, nous avons notamment rouvert les accueils de jour. Le 21 juillet, nous avons assoupli les protocoles pour un retour au droit commun.
Sans relâche, nous avons tiré les conséquences de ce que nous étions en train de vivre pour adapter les mesures de gestion dans les établissements, en prenant en compte à la fois la situation sanitaire et le souhait, tellement légitime, des familles de se retrouver.
Je vous le dis, à titre personnel, et contre des vents contraires parfois puissants, je me suis battue pour que la liberté dans ces établissements reste le principe, et l’isolement l’exception.
Nous avons aussi dû faire face à un enjeu d’accompagnement des professionnels des établissements, pour les orienter et ne pas les laisser seuls face à des décisions difficiles.
Au mois de septembre 2020, j’ai donc lancé un groupe de réflexion éthique sur le thème de la liberté et de la protection des personnes, réunissant des représentants d’établissement, des familles, des juristes, des éthiciens, des médecins, des psychologues et, naturellement, des professionnels. Nous avons également compté avec la participation de la Défenseure des droits et des associations précédemment citées.
Ce groupe de travail nous a permis de mettre en relation des acteurs qui n’avaient pas l’habitude de se parler et nous a aidés dans la construction des différents protocoles, comme le protocole de Noël, que j’ai défendu avec force, dans un contexte inquiétant de reprise épidémique sévère. Ce protocole, tout en étant sécurisant pour les établissements, a permis à de nombreuses familles de profiter de moments importants avec leurs proches en ces fêtes de fin d’année si particulières.
Nous avons également conçu des outils dédiés aux familles pour leur permettre de mieux appréhender les diverses recommandations s’agissant des visites en Ehpad.
Nous avons construit ensemble la partie « consentement à la vaccination » des personnes âgées en Ehpad.
L’ensemble des protocoles dont j’ai parlé ont également été élaborés avec l’aide de ce groupe de réflexion éthique et grâce au travail mené par Fabrice Gzil, chercheur en éthique et philosophie, membre du Comité consultatif national d’éthique, que je remercie une fois encore. Au mois de novembre, je lui ai confié une mission ayant un double objet. D’abord, produire un document pour proposer, avec modestie, des repères, des pistes de réflexion, un guide pour l’action des professionnels dans les établissements ; cette ressource nous a été précieuse. Ensuite, réaliser une charte éthique d’accompagnement du grand âge, qui m’a été remise le 2 septembre ; nous travaillons actuellement à en soutenir la diffusion et l’appropriation par les établissements.
J’en suis convaincue, si ces travaux ont été très utiles pendant la crise, ils le seront tout autant après. Ils répondent à des dilemmes auxquels sont confrontés les professionnels, que nous devons collectivement écouter et accompagner.
Car c’est bien d’éthique, et même d’éthique appliquée, que nous parlons aujourd’hui ! Vous allez débattre dans quelques minutes d’une proposition de loi, mais j’aimerais rappeler que l’éthique est première ; elle précède la norme et lui succède.
La réflexion éthique est une réflexion difficile, exigeante, mais elle est nécessaire. Ainsi que Fabrice Gzil nous le rappelle dans sa charte, il n’y a pas d’éthique d’exception : nous ne devons jamais déroger aux principes essentiels de l’accompagnement des personnes âgées. Je le rejoins complètement à cet égard.
Le débat ce jour se structure autour d’un conflit, d’une antinomie, que j’ai rappelée en introduction. Comment préserver la liberté individuelle des résidents et les protéger en même temps ? Comment trouver la juste mesure ?
Avant de voter une norme supplémentaire pour essayer de répondre définitivement à la question, regardons l’état actuel du droit s’agissant du droit de visite des résidents.
La Constitution garantit par son article 66 la liberté individuelle, dont le droit de visite est intrinsèque.
L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit, quant à lui, que toute personne « a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
Un peu plus bas dans la pyramide des normes, l’article L. 311-3 du code de l’action sociale et des familles garantit le droit à la liberté d’aller et venir et le droit à une vie privée.
Dans le cadre d’un recours spécifique, il appartient au juge de concilier les deux principes fondamentaux que sont le respect des libertés individuelles et la sécurité des personnes dont les établissements médico-sociaux sont responsables.
Je tiens d’ailleurs à le rappeler, dans un référé-liberté du 15 avril 2020, le Conseil d’État a déclaré que, si les visites de personnes extérieures aux Ehpad, notamment des membres des familles et de l’entourage des résidents, sont suspendues, des autorisations exceptionnelles de visite peuvent être accordées, entre autres, aux proches des résidents dont la vie prend fin, avec l’accord, le cas échéant, du médecin coordonnateur, dès lors que peuvent être prises des mesures propres à protéger la santé des résidents et du personnel, ainsi que des visiteurs.
Cette décision montre bien qu’il est déjà possible de faire valoir un droit de visite en établissement devant le juge. De fait, nombreux sont les textes ou les décisions de jurisprudence rappelant que la liberté d’aller et venir est une liberté fondamentale. D’un point de vue strictement juridique, le droit de visite est donc déjà garanti par les textes.
Je vous pose donc la question suivante, mesdames, messieurs les sénateurs : l’édiction d’une nouvelle norme est-elle la meilleure réponse pour faire avancer et progresser le droit des personnes concernées ? Autrement dit, la loi est-elle à elle seule suffisante ? Le seul moyen de s’en assurer est de veiller à ce qu’elle soit connue et appliquée. Je le sais, la Haute Assemblée est particulièrement attentive tant à la qualité du droit qu’à son application.
Faire connaître ses droits, faire connaître la loi, c’est un travail de chaque instant. C’est notre rôle, c’est votre rôle. La tenue d’un tel débat est cruciale à cet égard.
Vous le savez, je suis une ministre de terrain. On ne pourra pas me faire le reproche de ne pas être allée à la rencontre et en soutien de ces hommes et de ces femmes, principalement des femmes d’ailleurs, qui prennent soin tous les jours des personnes âgées. Des échanges que j’ai pu avoir – je rappelle qu’ils n’ont pas commencé avec la crise – et que je continue d’avoir sur de tels sujets, j’ai pu dresser un constat : malgré l’adhésion de principe au cadre juridique et l’impulsion donnée à la lutte contre la maltraitance et à la promotion de la bientraitance, des atteintes aux droits des usagers restent évidemment possibles dans le quotidien des établissements et des services, pour des raisons de sécurité ou de protection des personnes, y compris contre elles-mêmes, comme si la primauté des droits individuels sur de telles considérations n’était toujours pas intégrée dans les pratiques.
Parfois, les frontières et les arbitrages entre droits, devoirs et obligations des usagers sont établis au sein d’une structure dans l’objectif de faire au mieux pour les personnes accueillies, mais sans une maîtrise suffisante de notions juridiques complexes ou difficiles à replacer précisément en situation.
Si les orientations nationales sont fortes, elles laissent une marge d’interprétation et d’adaptation. La méconnaissance de leurs droits par les personnes elles-mêmes et leur faible repérage des ressources ou des points de comparaison extérieurs ajoutent au risque de voir entériner comme un état de fait, parfois cautionné dans des écrits institutionnels, des atteintes plus ou moins graves aux droits des personnes accueillies.
On constate souvent du côté des professionnels ou des responsables une peur d’être mis en cause à titre personnel quand l’exercice des droits par les intéressés s’accompagne d’une prise de risque.
Aussi est-ce souvent par des impératifs de sécurité, individuels ou collectifs, que sont justifiés divers contraintes, interdictions ou empêchements de fait.
J’en suis convaincue, il s’agit donc, au-delà de la loi, de penser des outils, des guides, des formations, des projets, des partenariats pouvant permettre d’aider, et d’accompagner à la fois les professionnels dans leur pratique et les personnes elles-mêmes dans la compréhension et dans l’appropriation de leurs droits. Je n’appelle évidemment pas à l’écriture d’un slogan supplémentaire. J’appelle bel et bien à s’inspirer du concret, des situations vécues, des expériences, heureuses ou douloureuses, dont on nous fait régulièrement le témoignage.
Ce travail, le Gouvernement l’a déjà engagé bien avant le débat que nous entamons ici. Avec mes collègues Éric Dupond-Moretti, Olivier Véran et Sophie Cluzel, nous avons en effet missionné un groupe de travail interministériel réunissant la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice et la direction générale de la cohésion sociale du ministère des solidarités et de la santé. Il s’est vu confier l’identification, la définition des mesures de restriction de la liberté d’aller et venir dans les établissements médico-sociaux, l’élaboration, sur une base juridique, d’un cadre clair, cohérent, opérationnel pour la mise en œuvre de ces mesures et, le cas échéant, pour leur contestation.
L’objectif est double : rassurer et accompagner les professionnels ; assurer le respect des droits fondamentaux des résidents.
Un État responsable, c’est un État qui accompagne ceux qui font, ceux qui agissent et qui sont amenés à prendre des décisions, fussent-elles difficiles. Ce rôle est d’autant plus grand en temps de crise. Quand il s’agit de rendre des comptes, nous le faisons. C’est là un rôle tout à fait fondamental en démocratie.
Je crois aussi qu’il faut prendre la mesure du moment. Ce que je retiendrai de ces derniers mois, c’est que nous avons des professionnels dévoués corps et âme, habitués à des protocoles rodés dans leurs établissements. Ils ont été soudain confrontés à l’incertitude, à la mort, à la maladie pour eux-mêmes, pour leurs proches, pour ceux dont ils avaient la charge.
Nul ne ressortira indemne de cette année 2020 tant elle fut éprouvante. Je veux avoir une pensée pour toutes celles et tous ceux qui nous ont quittés. Le rôle de l’État, le rôle qui est le mien, et que j’ai tenu à endosser dès ma nomination, c’est celui d’une ministre nommée en temps de crise, qui épaule un secteur responsable, organisé, mais ayant besoin d’être guidé. Ma responsabilité, elle est là : avoir écouté et essayer de guider et d’adapter les réponses au gré de l’évolution sanitaire.
Évidemment, il ne faut pas sombrer – et tel n’est pas votre propos, me semble-t-il – dans un procès en inhumanité qui ne grandirait personne, et certainement pas la Haute Assemblée. Dans l’adversité, nous devons faire face à des questions qui nous engagent toutes et tous, en tant qu’homme et femme, en tant que citoyen et citoyenne et en tant que responsable.
Avant de céder la parole, j’aimerais rappeler un propos de Kant, qui définissait le droit comme « l’ensemble des conditions qui permettent à la liberté de chacun de s’accorder avec la liberté de tous ». Le droit existe. À nous maintenant de faire en sorte d’accorder réellement les libertés de chacun avec les libertés de tous. Assurer la mise en œuvre concrète et réelle d’un cadre juridique exigeant constitue un travail essentiel sur lequel le Gouvernement s’engage et veut avancer avec les familles et les directeurs. J’y tiens plus que tout.
C’est pourquoi, en dépit des excellentes intentions que je prête à votre texte, aux membres de cette Haute Assemblée, je ne peux pas soutenir l’adoption de la présente proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le début de la pandémie de covid-19, et au plus fort de celle-ci, nous avons toutes et tous été confrontés, dans notre entourage direct ou indirect, à des situations dans lesquelles les visites de patients hospitalisés étaient restreintes, voire interdites.
Vouloir protéger les patients et les résidents du virus, population par définition plus vulnérable que le reste de la société, pouvait paraître légitime. Mais cet isolement contraint a créé des problèmes, des situations de grande souffrance. En effet, si le risque de contamination a été plutôt maîtrisé, ces privations de liberté ont suscité de nombreux traumatismes, tant pour les patients, notamment des vécus d’emprisonnement, des syndromes de glissement et un sentiment d’abandon, que pour leurs proches, avec des deuils traumatiques et des vécus d’angoisse et de culpabilité.
Les personnels soignants du secteur médical, les personnels du secteur médico-social ont été exemplaires de ce point de vue, mais eux aussi ont été traumatisés par ces mesures contraignantes traduisant un manque cruel d’empathie.
Pour pallier l’absence de visites, certains Ehpad ou services hospitaliers ont mis en place des alternatives numériques, mais ces outils n’étaient pas forcément adaptés à toutes les situations. On le sait, rien ne remplace le contact physique direct.
Comment par exemple gérer l’accompagnement de fin de vie ? Avec un an de recul, on sait combien cette question a été particulièrement douloureuse. Le maintien de la relation prend évidemment tout son sens dans les situations de fin de vie.
L’interdiction d’avoir un dernier échange a été vécue comme une violence faite aux mourants et aux proches, entraînant chez ces derniers des traumatismes et des deuils impossibles.
En Ehpad, des mesures de limitation des visites ont parfois été appliquées de manière disproportionnée et mises en place de façon autoritaire par certaines directions.
Dans le secteur hospitalier, les pratiques ont été très variables et le droit de visite a pu changer d’un établissement à un autre, voire d’un service à un autre.
Le ministre de la santé avait pourtant déclaré le 9 février dernier : « Les visites à l’hôpital doivent être et sont autorisées dans toutes les situations, avec des protocoles sanitaires bien sûr […]. En priver quelqu’un serait extrêmement douloureux. »
En réalité, faute de texte contraignant, les directions d’Ehpad, de foyers et d’hôpitaux demeurent libres pour édicter leurs règles de visites.
Pourtant, les témoignages de drames personnels et la dénonciation de reculs éthiques dans les lieux de prise en charge des plus fragiles continuent de se multiplier.
Ainsi, le Conseil national professionnel de gériatrie alertait au mois de février dernier sur la surmortalité de patients ou de résidents du fait de mesures prises pour les protéger d’une infection au moins équivalente à celle de la covid-19.
Les sentiments d’abandon, d’infantilisation et la disparition des relations sociales ont favorisé des syndromes de glissement.
A contrario, les études scientifiques soulignent l’apport d’une politique de visite qui procure au patient un sentiment de sécurité, réduit les complications cardiovasculaires et diminue la durée de séjour en réanimation.
La présente proposition de loi vise à garantir le respect d’un droit de visite dans les hôpitaux, les Ehpad et les foyers de personnes en situation de handicap.
Si la charte de la personne hospitalisée du mois d’avril 2006 accorde déjà un droit aux visites extérieures, celui-ci est actuellement limité par le pouvoir de police laissé aux directeurs d’établissement.
Le président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées estimait qu’une centaine d’Ehpad pratiquent une politique liberticide et gardent encore leurs portes closes.
L’adoption de la proposition de loi permettrait donc d’encadrer le pouvoir des directeurs d’établissement et de garantir ainsi un droit de visite aux malades, en particulier aux personnes en fin de vie.
Ce texte ne règle pas tout, puisque les questions des moyens financiers pour renforcer la présence humaine, de la participation des usagers aux instances et la réflexion sur l’architecture des locaux des établissements demeurent.
Mais ce n’est pas l’objet de cette proposition de loi, qui, pour le groupe CRCE, dépasse les clivages politiques tout en améliorant les droits des patients et des accompagnants. À ce titre, je veux en remercier les auteurs et notre rapporteure Corinne Imbert.
Pour toutes ces raisons, le groupe CRCE soutiendra et votera la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le droit de visite, c’est le droit de dire : « Au revoir et à bientôt. » C’est un message d’espoir simple, mais profondément humain.
Nous remercions notre collègue Bruno Retailleau, l’auteur de ce texte, de son initiative, ainsi que Mme la rapporteure Corinne Imbert de la qualité de son travail.
Tout d’abord, les sénateurs du groupe Union Centriste tiennent à saluer le courage et l’engagement des maillons de la chaîne de soins – je pense aux personnels des Ehpad –, qui, depuis le début de l’épidémie, sont allés travailler. Ils sont allés travailler tantôt « la peur au ventre », faute de moyens de protection nécessaires, tantôt « les larmes aux yeux », confrontés à des situations difficiles à vivre, comme parfois des syndromes de glissement. Malgré de nombreuses difficultés structurelles et des dysfonctionnements, ces professionnels ont réussi à faire face de manière admirable à la crise sanitaire.
La présente proposition de loi vise à instaurer dans notre législation un droit de visite, afin de garantir que les personnes résidant en Ehpad, les malades et les personnes en situation de handicap dans les établissements hospitaliers publics et privés ne soient pas coupés de tout lien avec leurs proches.
Dans le contexte pandémique, les mesures de confinement liées à la crise de covid-19 ont entraîné l’isolement des malades séjournant dans les hôpitaux ou ceux accueillis dans les établissements de soins de suite et de réadaptation, qui sont essentiellement les plus gravement handicapés d’un point de vue moteur ou neurologique.
Ces patients, dont l’autonomie ne permet pas un retour à domicile, même provisoire, sont ceux pour qui la présence des proches, stimulation affective et émotionnelle, est primordiale. Hélas ! Ils en étaient périodiquement privés.
La situation était aussi critique pour des personnes hébergées dans les Ehpad, qui représentaient plus d’un quart des personnes décédées de la covid-19 en France. L’urgence de la crise sanitaire a conduit à mettre les Ehpad sous cloche.
Le virus, particulièrement agressif pour nos aînés, a nécessité dans un premier temps des réponses fortes, sous l’autorité des directeurs d’établissement : confinement, interdiction des visites, isolement obligatoire en chambre pour une semaine après toute sortie à l’extérieur, maintien d’une seule visite par famille et par semaine, avec une durée limitée à trente minutes.
Ces mesures, bien que nécessaires pour éviter la propagation du virus, ont rendu inhumaine et indigne la fin de vie de ces nombreux résidents privés du soutien de leurs proches dans leurs derniers instants.
Psychologiquement, la présence des membres de la famille aux côtés du mourant est importante, car elle permet à cette personne de mourir dans la sérénité et à la famille de ne pas culpabiliser sur un abandon qu’elle aurait commis.
Dans son rapport, la Défenseure des droits pointe la mise à mal des droits et libertés des résidents. Le vécu, l’isolement et la solitude de nos aînés au sein des Ehpad, ainsi que le ressenti de leurs familles étaient mortifères.
L’environnement familial ou amical est le seul lien qui rattache de nombreux résidents au monde extérieur. C’est leur raison essentielle de vivre. Le fait de vieillir enfermé entraîne un véritable risque de glissement pouvant conduire jusqu’à la mort.
Dépitées par le sentiment d’abandon, nombre de personnes âgées refusent de communiquer, de s’alimenter et de recevoir des soins, malgré le dévouement exemplaire des professionnels. Nos aînés méritaient une autre fin de vie : les regards et la voix qui rassurent, les mains qui s’entrecroisent.
Hélas ! la covid a rendu impossibles ces précieux gestes et a modifié le statut et la définition même de l’Ehpad : un lieu pour passer une fin de vie au mieux est devenu désormais un lieu fermé, prêtant le flanc à bien des interrogations éthiques.
Des résidents nous livrent des témoignages bouleversants : « Je suis enfermée toute la journée ; ce n’est pas une vie à 97 ans. Mes enfants me disent : “Tiens le coup jusqu’au bout.”» Cet isolement pèse aussi bien aux seniors qu’aux familles, qui s’alarment de voir leurs parents perdre tout simplement l’envie de vivre.
Les proches endeuillés des résidents déplorent le manque de transparence ou dénoncent une certaine brutalité dans l’annonce de la mort de leurs parents. Ils auraient aimé avoir le temps de se recueillir et de tout simplement leur dire « Au revoir » autrement. Bref, c’est l’histoire d’une double peine.
Des deuils « sans contact » ou « sans visage » sont aussi douloureux que des deuils « sans corps », comme dans le cas d’un avion qui s’écrase dans l’Atlantique, puisque le cerveau ne peut pas enregistrer une dernière image. On ne mesure absolument pas ces détresses, colères, angoisses, sentiments d’injustice.
Le 3 mars 2021, le Conseil d’État suspend l’interdiction générale et absolue de sortie des résidents d’Ehpad. Au-delà de l’atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir, cette interdiction a été jugée disproportionnée, car la majorité des résidents ont été vaccinés, et la vaccination a démontré ses effets positifs.
Le choix de telles restrictions à la liberté d’aller et de venir ne peut pas être laissé à la seule appréciation des directions d’Ehpad, selon la Défenseure des droits.
Dans un contexte de haute couverture vaccinale, l’assouplissement des mesures sanitaires dans les Ehpad depuis le mois d’août a favorisé la mise en œuvre d’un protocole allégé permettant des visites sans rendez-vous.
Néanmoins, certains responsables continuent toujours à appliquer des modes de visite sur rendez-vous.
Il est temps aujourd’hui de rompre avec cette protection maximale potentiellement étouffante, de prendre en compte, au-delà des seuls risques viraux, les risques psychosociaux et affectifs qui pèsent sur nos aînés et de mettre un terme à leur isolement. Très concrètement, un résident bénéficiant d’une couverture vaccinale complète ne doit pas être isolé lorsqu’il rentre d’une sortie en famille.
Les connaissances acquises sur le virus, l’usage du passe sanitaire, le stock à présent suffisant d’équipements de protection, le déploiement de tests et une vaste opération de vaccination permettent aujourd’hui un assouplissement des restrictions et des conditions de visite.
Les établissements disposent de tous les outils pour prévenir l’apparition de clusters et l’immense majorité des résidents en Ehpad sont protégés.
En l’état actuel du droit, aucun texte ne garantit concrètement le droit de visite. Celui-ci est limité par le pouvoir de police laissé aux seuls directeurs d’établissement. Il est bien inscrit dans la charte de la personne hospitalisée, mais ne figure dans aucun texte de loi.
Cette proposition de loi vise donc à combler un vide juridique pour garantir le principe d’un droit de visite journalier pour tous les malades ou résidents d’Ehpad ou d’établissements pour personnes handicapées.
Le texte permet d’énoncer des lignes de conduite très claires pour orienter de manière cohérente les décisions des directeurs, qui ne sont jamais simples à prendre. Il s’agit de mieux préciser les modalités d’application du droit de visite.
Ainsi, l’interdiction de ce droit dans un établissement de santé ne serait plus le fait du directeur de l’établissement, mais directement du médecin-chef ou, sur sa délégation, d’un autre professionnel de santé, qui, plus proche des patients et mieux informé des dossiers de santé de chacun, serait le plus à même de se prononcer sur les droits de visite.
Ce droit ne peut être refusé par l’établissement qu’en cas de menace à l’ordre public. Dans les Ehpad ou les foyers pour personnes handicapées, le refus doit être motivé au cas par cas, individuellement en fonction des circonstances et par le médecin référent de l’établissement ou, à défaut, tout autre professionnel de santé consulté par le directeur.
Concernant les personnes en fin de vie, tous les établissements sont tenus d’assurer les visites et d’en garantir le déroulement dans des conditions adéquates.
En tirant des enseignements de cette crise inédite, qui alerte sur la prise en charge de nos aînés, ce texte cherche en résumé à concilier deux principes clés : la liberté et la protection. Le « tout sanitaire » a atteint ses limites. Il est important de trouver la balance entre la protection du droit à recevoir des visites et la nécessité de protéger le plus grand nombre.
Les sénateurs du groupe Union Centriste estiment que des solutions plus humaines devraient être envisagées pour éviter les déchirements et les situations familiales tragiques, éviter de voir les résidents sombrer et mourir, non pas du coronavirus, mais de chagrin et de solitude. Nous ne devons pas oublier ces familles endeuillées conservant de durables blessures.
L’heure est arrivée de protéger sans isoler en permettant aux familles d’être auprès de leurs proches, et singulièrement jusqu’à leur décès lorsqu’il advient. Il est désormais urgent de choisir entre protéger ou laisser mourir avec un sentiment d’abandon.
Ce texte, tel qu’enrichi par la commission des affaires sociales, est utile et équilibré. Le groupe Union Centriste le votera sans hésitation. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’épidémie de covid-19 connaît un recul significatif, étroitement lié au succès de la vaccination et du passe sanitaire. Ce moment de répit nous offre l’occasion de débattre sur la base des premiers bilans de la crise, en l’occurrence sur les restrictions de liberté particulièrement sévères imposées aux personnes accueillies en établissements de santé et médico-sociaux.
La solitude et l’isolement ont eu des conséquences importantes sur la santé physique et psychologique des malades, des personnes âgées et handicapées. Et il est fort probable, mais difficile à démontrer d’un point de vue médical, que cela ait conduit un certain nombre de nos aînés à un syndrome de glissement, c’est-à-dire, tout simplement, à se laisser mourir.
En effet, leur droit de visite a été restreint dans des proportions jamais atteintes. Soignants et familles ont également pâti d’une telle situation, vécue comme une privation de liberté, et n’ont pas manqué d’alerter sur les effets délétères du confinement.
Cette proposition de loi, qui vise à inscrire un droit de visite aux personnes malades, âgées ou handicapées en établissement, tente d’y apporter une réponse.
Oui, la santé n’est pas qu’une question de biologie. Elle est également liée à des facteurs humains, environnementaux et sociaux au moins aussi importants.
Oui, des erreurs ont été commises au début de la pandémie : un grand nombre d’erreurs. La Défenseure des droits a publié un rapport sur les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad, qui conclut que « le droit à la vie privée et familiale a été grandement entravé au cours de la crise sanitaire, et de façon bien plus importante pour les personnes résidant en Ehpad que pour le reste de la population ».
J’ai encore le souvenir de situations terribles, où des familles ne pouvaient pas dire au revoir à leur proche en fin de vie dans certains services covid. Nous devons tout mettre en œuvre pour à l’avenir éviter de tels drames. Ces constats et ces enseignements sont, je crois, largement admis et partagés.
S’il est sain de se pencher avec un œil critique sur cette période, notamment pour se préparer à une éventuelle reprise de l’épidémie ou à une nouvelle pandémie, il est aussi indispensable de se remettre dans le contexte du début de crise.
À l’époque, nous ne connaissions rien du virus. Nous avions très peu d’informations sur son mode de transmission et sur son taux de contamination, qui était particulièrement élevé. Dans certains Ehpad, c’était quasiment une hécatombe : à la maison de retraite de Mars-la-Tour, près de chez moi, 47 % des pensionnaires ont été emportés par la covid en mai 2020. Si les visites avaient été maintenues, je ne sais pas ce que l’on aurait dit.
Pour y faire face, pour empêcher la propagation du virus, mais aussi pour protéger les plus fragiles, l’accès à certains lieux a été restreint, voire interdit. Comme l’a justement rappelé France Assos Santé, interdire les visites participait du respect des principes de solidarité et de responsabilité. Il était en effet impératif, à ce moment-là, de faire en sorte de garantir la continuité des soins, alors que les services hospitaliers étaient sous tension, et de préserver la santé des personnels soignants. Rappelons enfin que le matériel de protection – masques, gel, solution hydroalcoolique et surblouses – n’était pas disponible à cette époque.
Il est toujours difficile de juger a posteriori de mesures prises dans l’urgence et dans un contexte complètement différent. Toutefois, cela ne doit pas nous empêcher d’être critiques et de nous améliorer, afin que le maintien du lien social par tous les moyens, et encore plus dans des situations de fin de vie, demeure un objectif.
Notre groupe est partagé : une large majorité du RDSE votera en faveur de la proposition de loi, tandis qu’une autre partie s’abstiendra. Elle s’abstiendra tout simplement, parce qu’il nous faut avant tout renforcer la collégialité au sein de nos établissements de santé et de nos établissements médico-sociaux. Les visites doivent être traitées comme une question éthique. Elles doivent donc être discutées entre les membres de l’équipe et les représentants des usagers. Dans les Ehpad et les unités de soins de longue durée, par exemple, il serait pertinent de relancer les conseils de la vie sociale, qui sont insuffisamment sollicités, alors que tous les acteurs y sont pourtant représentés.
La démocratie sanitaire doit permettre de dire si, au nom du soin, les libertés peuvent être entravées ou pas. C’est une question, je le redis, éminemment éthique, à laquelle il est difficile de donner une réponse simple.
C’est pourquoi le débat en temps normal et en temps de crise doit être privilégié, se poursuivre et ainsi aboutir à des chartes éthiques collégialement rédigées, acceptées et communiquées.
Le dialogue et ces chartes permettent de ne pas laisser le directeur d’établissement ou le médecin référent face à des responsabilités énormes qui les pousseraient à restreindre exagérément le droit de visite pour des problèmes de protection et de sécurité.
Enfin, en cette période où la déclinaison du Ségur de la santé est discutée dans tous les territoires, il nous faut aussi penser à la restructuration des établissements sur le plan de l’investissement, afin de les adapter aux futures crises sanitaires. Cela pourrait en effet permettre de continuer à assurer des visites de proches dans les meilleures conditions tout en évitant le plus possible les brassages de populations, afin de garantir la sécurité des patients et des soignants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Annie Le Houerou. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous réunit sur l’initiative du groupe Les Républicains tend à mieux préciser les modalités d’application du droit des personnes prises en charge à l’hôpital ou accueillies en établissement médico-social de recevoir la visite de leurs proches et de rendre ce droit inconditionnel pour les personnes en fin de vie.
La crise sanitaire provoquée par l’épidémie de covid-19 a conduit les autorités sanitaires à prendre des mesures exceptionnelles et inédites, du fait d’une situation elle-même exceptionnelle et inédite.
Je tiens ici à saluer le travail et le dévouement sans faille des professionnels de santé, des directeurs et des directrices d’établissement et des médecins tout au long de la crise sanitaire, et encore aujourd’hui, face à cette épidémie imprévisible et meurtrière. Ils ont été confrontés à un dilemme : nécessité de protéger contre le virus méconnu versus nécessité de respecter la liberté d’aller et venir des patients ou résidents.
Le premier confinement a été particulièrement brutal pour les personnes âgées et malades du fait de leurs fragilités face au virus.
Ainsi, les personnes séjournant en établissement et leurs familles ont été confrontées à de nombreuses épreuves : parentalité et liens intergénérationnels entravés, isolement des aidants familiaux, deuils impossibles.
Parant à l’urgence, la prise en charge des patients en établissement de santé s’est faite d’un point de vue technique et biologique, négligeant trop souvent l’aspect global, humaniste et psychologique de la personne par manque de moyens, de temps et de personnels.
Chez certaines personnes, la solitude, le désespoir et le chagrin ont été si forts qu’elles ont cessé de s’alimenter et se sont laissé glisser vers la mort. Certaines sont décédées dans la solitude la plus totale.
Le fait qu’une décision politique et sanitaire soit venue empêcher les familles de dire adieu à leur proche est totalement inédit dans l’histoire de l’humanité. C’est ce que le neuropsychiatre français Boris Cyrulnik a qualifié de « rupture anthropologique ».
Le président du conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, l’avait affirmé : il existe un droit fondamental de tout individu à avoir une vie intime et affective. Vivre en établissement ou connaître un contexte de crise sanitaire ne devrait pas constituer un obstacle au droit de visite. Le Comité consultatif national d’éthique l’a rappelé au mois de mai 2021 : le respect de la dignité humaine inclut le maintien du lien social, y compris en contexte de crise sanitaire.
À la suite de nombreux témoignages de proches empêchés de voir un parent en établissement, le collectif Tenir ta main a été créé pour défendre l’inscription dans la loi d’un droit de visite dans les établissements de santé et les Ehpad. Le collectif a reçu plus de 10 000 témoignages, et 45 000 personnes ont signé la pétition demandant la création d’un droit de visite.
La Défenseure des droits dresse également un constat sévère dans son rapport concernant les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad, datant de mai 2021. Elle observe des restrictions de libertés effectives pendant la crise sanitaire : confinement en chambre, interdiction de visite ou de sortie, et ce de manière trop souvent disproportionnée au regard de l’évolution de la pandémie. Ces mesures ont été permises par l’absence de cadre normatif. Elles résultent de l’adossement à un droit souple.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui entend répondre aux drames causés par les restrictions que le premier confinement a rendues nécessaires. Elle vise à combler un vide juridique. Il s’agit de faire en sorte que ces drames soient pleinement reconnus, mais surtout d’apporter des garanties d’humanité pour que de telles situations ne se reproduisent plus.
Le texte tend donc à inscrire dans la loi un droit de visite garanti pour les résidents en Ehpad et en foyer pour personnes handicapées, ainsi que pour les personnes soignées dans les établissements de santé. Il prévoit également qu’un patient en phase terminale ne puisse pas se voir interdire un droit de visite quotidien.
Faut-il légiférer sur le droit de visite en établissement de santé ou en établissement d’accueil des personnes âgées ou handicapées ? Est-ce réellement nécessaire ?
Le droit de visite est déjà sous-jacent dans la loi. L’article L. 311-3 du code de l’action sociale et des familles précise que l’exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par ces établissements. Lui sont assurés le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité, de sa sécurité et son droit d’aller et venir librement.
La charte des droits et libertés de la personne âgée en situation de handicap ou de dépendance, de la Fondation nationale de gérontologie (FNG), datant de 1987 et réactualisée en 2007, précise en son article 4 : « Le maintien des relations familiales, des réseaux amicaux et sociaux est indispensable à la personne âgée en situation de handicap ou de dépendance. »
De même, à propos de la fin de vie, cette charte prévoit que « soins, assistance et accompagnement doivent être procurés à la personne âgée en fin de vie et à sa famille ».
Les circonstances ont pu justifier des restrictions du droit de visite dans les établissements, au nom de la sécurité des patients et des visiteurs. Toutefois, passé l’urgence extrême, la responsabilité de l’appréciation laissée aux directeurs d’établissement par le ministère des solidarités et de la santé a fait prospérer des restrictions, voire des interdictions de visite disproportionnées au regard de la situation sanitaire.
Il convient de le rappeler : si les visites ont été interdites temporairement dans les établissements de santé, c’était avant tout pour protéger les patients. De surcroît, c’était dans un contexte marqué par l’afflux de malades, la méconnaissance du virus, l’angoisse face à la contagiosité et, parfois, par le manque de personnel et de matériel pour bien accompagner les patients. Il faut donc distinguer le droit de visite en période normale et en période de crise sanitaire aiguë. En l’occurrence, il s’agit de mieux encadrer les refus de visite.
En vertu de l’article 3 de la proposition de loi, lorsque le visiteur informe l’établissement d’une visite au moins vingt-quatre heures avant l’heure prévue, le directeur dispose de vingt-quatre heures pour s’y opposer.
Dans une situation d’urgence telle que nous l’avons connue au début de la crise sanitaire, l’instauration d’un tel délai paraît complexe, avec un risque de rigidification des pratiques. Elle pourrait également être source de nouveaux contentieux. Hors période d’urgence, cette formalisation paraît excessive si l’on considère que le droit de visite est par principe inconditionnel, sauf troubles avérés à l’ordre public.
L’examen en commission des affaires sociales a permis l’adoption de dispositions qui préservent l’esprit du texte tout en le précisant. Les amendements intégrés dans la proposition de loi visent à préciser les motifs justifiant du refus de visite, en imposant la formalisation du refus, en élargissant le dispositif de droit de visite inconditionnel des personnes en fin de vie ou dont l’état requiert des soins palliatifs et en soumettant au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) les mesures réglementaires faisant obstacle au droit de visite qui seraient prises sous le régime de l’état d’urgence sanitaire. Ces ajouts vont dans le bon sens.
L’inscription du droit de visite dans la loi permettra d’assurer une garantie d’humanité quelles que soient les circonstances exceptionnelles auxquelles nous pourrions être confrontés.
Le texte permet d’affirmer le droit de visite de nos proches en établissement et d’apporter un certain nombre de réponses à des difficultés auxquelles nous avons été confrontés dans notre intimité, du fait d’une restriction excessive du droit d’aller et venir.
Il permet également aux professionnels de santé, aux directeurs d’établissement et aux médecins, qui ont connu l’angoisse de devoir prendre des décisions face à des contaminations et des décès, de se doter d’un cadre clair et précis pour définir les conditions de refus de visite.
Certes, le pic de l’épidémie de covid-19 semble désormais derrière nous, grâce au déploiement massif de la vaccination et à une meilleure prise en charge de virus. Mais nous ne sommes pas pour autant à l’abri d’une nouvelle épidémie.
Ainsi, je salue le travail de la rapporteure, Mme Corinne Imbert, qui permet d’apporter une réponse pragmatique tant aux professionnels de santé qu’aux patients et à leurs familles.
En conséquence, ce texte ne suscite pas d’opposition de la part des membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Il clarifie les droits de l’usager. Le droit de visite est inscrit noir sur blanc dans la loi : cette proposition de loi recevra le soutien de notre groupe ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Daniel Chasseing et Bernard Fialaire applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte de notre collègue Bruno Retailleau crée un droit de visite pour les malades et pour les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissement. Il part du constat que la crise sanitaire de la covid-19 s’est accompagnée de mesures particulièrement difficiles pour les Français les plus fragiles, souvent isolés et privés du contact de leurs proches, voire de leur liberté d’aller et venir.
Pour les protéger d’un virus que l’on connaissait mal, des restrictions de visite parfois drastiques ont en effet été décidées dans les établissements médico-sociaux, principalement les Ehpad, et dans les établissements de santé.
Prises dans l’urgence d’une situation nouvelle, les restrictions ont porté leurs fruits : accompagnées de mesures strictes de protection et de prévention, elles ont permis d’éviter les contaminations en chaîne et, dans la plupart des cas, ont empêché que le pire n’advienne.
Néanmoins, ces dispositions exceptionnelles ont été à l’origine d’une profonde souffrance, pour les patients, qui se sont trouvés séparés de leurs proches du jour au lendemain, et qui pendant des mois n’ont pu compter que sur de rares visites, comme pour les soignants, qui se sont mobilisés pour que ce lien subsiste malgré tout.
Pour les familles, les restrictions ont été d’autant plus difficiles à accepter qu’elles ont parfois été décidées « en dehors des cadres prévus à cet effet », comme l’a constaté la Défenseure des droits dans son rapport sur les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad.
Trop fréquentes, trop contraignantes et parfois sans réel fondement médical, les limitations de visites ont suscité la colère et l’incompréhension de nombreuses familles. En témoigne le nombre de réclamations formées contre ces établissements, dont la Défenseure des droits s’est fait l’écho.
Face à ce constat, face à ces drames, on nous propose « d’instaurer […] un droit de visite pour garantir dans les faits que les résidents en Ehpad, en foyers pour personnes handicapées ou soignées dans les établissements de santé ne soient pas abandonnés à l’isolement ».
Je le dis en toute sincérité : de prime abord, il paraît séduisant de conforter le cadre légal en vigueur, afin d’éviter, autant que faire se peut, que ces situations ne perdurent et ne se reproduisent.
Pourtant, ce cadre existe déjà. Dans les établissements médico-sociaux, il est garanti notamment par les articles L. 311-3 et L. 311-9 du code de l’action sociale et des familles, relatifs au droit des personnes accueillies dans ces établissements d’aller et venir librement et au maintien des liens sociaux et familiaux.
La charte de la personne hospitalisée concentre, quant à elle, l’ensemble des droits qui protègent les personnes en établissement de santé. Elle leur garantit notamment le respect de la vie privée et de la vie familiale, ainsi que le droit de recevoir de la visite.
L’article R. 1112-68 du code de la santé publique prévoit que les proches d’une personne en fin de vie sont admis à rester auprès d’elle et à l’assister dans ses derniers instants.
À l’évidence, si les personnes en établissement disposent bel et bien d’un droit de visite, beaucoup reste à faire pour le rendre effectif : en ce sens, je fais mien le constat dressé par les auteurs de cette proposition de loi.
Dans son analyse, la Défenseure des droits énonce deux recommandations au sujet des visites de proches en Ehpad.
Premièrement, elle invite le ministère des solidarités et de la santé à « veiller à ce que les décisions liées au renforcement des mesures de contrainte sanitaire […] soient prises pour une durée déterminée et limitée dans le temps ». Elle préconise également que ces décisions soient individualisées.
Deuxièmement, à l’intention des agences régionales de santé (ARS) et des conseils départementaux, elle rappelle la nécessité pour les directions d’Ehpad de proposer aux résidents des modalités de commutation à distance, notamment par le biais de la vidéoconférence.
C’est aussi le constat de ces insuffisances qui a présidé à la création d’un groupe de travail interministériel chargé d’identifier les principales mesures restrictives de la liberté d’aller et venir dans les établissements sociaux et médico-sociaux, ce dont nous nous réjouissons.
Pour ce qui concerne les établissements de santé, il pourrait être pertinent de procéder à l’actualisation de la charte de la personne hospitalisée, document déjà vieux de quinze ans. Il s’agit à la fois d’améliorer la lisibilité de ce texte et d’accroître, pour les patients comme pour leurs proches, la facilité d’accès aux représentants des usagers et à la commission des usagers (CDU), instance dont le rôle a d’ailleurs été renforcé par la loi du 26 janvier 2016.
Mes chers collègues, nous ne pouvons évidemment pas nous satisfaire du sort qui a pu être réservé à nos concitoyens les plus fragiles. Toutefois, nous estimons que le cadre juridique en vigueur garantit déjà un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées : notre mission consiste surtout à en assurer l’effectivité.
Ainsi, la présente proposition de loi nous semble à la fois prématurée et susceptible de complexifier le cadre existant, notamment pour les établissements de santé. C’est pourquoi nous nous abstiendrons.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi aborde un sujet difficile, mais d’une très grande importance.
Ces derniers mois ont été particulièrement éprouvants pour les personnes âgées hébergées en établissement, pour les personnes hospitalisées et pour leurs proches. Nous avons tous été touchés, de près ou de loin, par la détresse d’hommes et de femmes vivant leurs derniers instants dans la solitude sans pouvoir dire adieu à ceux qui leur sont chers.
Cette détresse, c’est aussi celle des familles, traumatisées de ne pas avoir pu accompagner leurs proches jusqu’au dernier moment.
Cela étant, je tiens à remercier et à féliciter les directeurs, les médecins et l’ensemble des personnels des établissements médico-sociaux et des hôpitaux, qui ont fait de leur mieux pour gérer la crise sanitaire en synergie avec les familles et pour éviter les contaminations au sein des établissements.
Souvenons-nous qu’en 2020 nous avons vu déferler un virus très contagieux, entraînant beaucoup de décès, et que nous n’avions ni traitement ni vaccin.
La proposition de loi de notre collègue Bruno Retailleau encadre le droit de visite des personnes hébergées en Ehpad, en établissement de santé et dans les secteurs réservés aux personnes handicapées. L’article 4 précise que ce droit de visite sera absolu pour les personnes en fin de vie.
Je félicite notre rapporteure, Corinne Imbert, d’avoir apporté des précisions salutaires à cette proposition de loi.
Tout d’abord, dans les établissements de santé, c’est le chef de service qui prendra les décisions relatives aux visites, en lien avec la direction. Dans les établissements médico-sociaux, notamment les Ehpad, le médecin coordonnateur ou le médecin traitant pourra motiver les refus de visites, en lien avec la direction également.
Pendant l’épidémie de covid-19, les directeurs et les professionnels de santé ont été dans l’obligation de restreindre les visites, afin d’éviter la propagation du virus dans leurs établissements, qui hébergent des personnes particulièrement fragiles. Avant la vaccination, c’était leur première source d’angoisse.
Les amendements de Corinne Imbert sont à la fois clairs et pragmatiques. Ils permettent de bien préciser les limites au droit de visite.
Effectivement, à l’arrivée de la période hivernale, nous ne sommes pas à l’abri d’un nouveau variant résistant à la vaccination. Le cas échéant, certains établissements seront contraints de limiter de nouveau le nombre de visiteurs pour des raisons de sécurité sanitaire. Les conditions de visite doivent donc être claires et applicables à ces situations d’urgence.
De même, le droit de visite pour les personnes en fin de vie a été précisé, étendu et encadré. Grâce au travail de la commission des affaires sociales, le texte offre désormais un cadre législatif précis et adapté, sur lequel pourront s’appuyer les directeurs, les chefs de service et les médecins coordonnateurs des établissements.
La proposition de loi contribue à replacer l’humain au cœur de notre système de soins, fidèle au serment d’Hippocrate : « Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. »
De nombreuses personnes l’ont éprouvé lors des derniers mois : la qualité du lien social est déterminante pour que chacun puisse traverser le mieux possible les épreuves de l’épidémie et, plus généralement, les épreuves de la vie.
En parallèle, gardons à l’esprit que, dans un établissement d’hébergement collectif, la contamination d’une seule personne par un proche lui rendant visite peut entraîner la contamination et la mort de dizaines d’autres patients ou résidents. À tout le moins, c’était le cas avant l’arrivée du vaccin.
Il faut donc comprendre la rigueur et la vigilance dont le personnel encadrant a fait preuve. Ces professionnels ont dû veiller à la sécurité de l’ensemble des pensionnaires tout en maintenant les visites autant que faire se pouvait.
À mon sens, la proposition de loi de M. Retailleau, précisée par le travail de la commission, atteint un juste équilibre entre sécurité sanitaire et préservation du lien social. Les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront ce texte ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tout au long de la crise sanitaire, nous avons tous été bouleversés par les appels au secours de nos administrés, pour qui il devenait insupportable de ne plus pouvoir rendre visite à leurs proches hospitalisés, âgés en Ehpad ou handicapés en foyers de vie.
Les interdictions de rendre visite aux proches en établissement dès le début de la crise sanitaire ont créé un véritable traumatisme chez nos compatriotes, qu’ils aient eu à subir ces contraintes personnellement ou non.
Privées de leurs proches, des personnes âgées en établissement sont tombées en dépression sévère, et leur santé, voire leur vie ont parfois été mises en danger.
Les enfants n’ayant pas pu accompagner leurs parents en fin de vie éprouvent un fort sentiment de culpabilité. Ils n’arrivent pas à faire leur deuil. J’ai en mémoire les témoignages bouleversants d’enfants n’ayant pas pu saluer leurs parents à l’aube de la mort ou même revoir leur visage avant l’inhumation.
Surtout, face au refus qui leur était opposé de voir leurs proches, les familles se sont trouvées démunies, faute d’une possibilité de recours contre des décisions qu’elles ont vécues comme injustes ou disproportionnées.
L’article R. 1112-7 du code de la santé publique donne compétence aux directeurs pour décider d’interdire les visites en établissement.
Compte tenu de la grande vulnérabilité des personnes concernées en raison de leur âge et de leur état de santé, et des taux de mortalité élevés constatés dès le début de la crise sanitaire, des mesures contraignantes ont dû être prises. Les directeurs d’établissement ont ainsi décidé d’interdire les visites en application des directives gouvernementales, donc d’entraver la liberté d’aller et venir. Ces mesures étaient légitimes, car il s’agissait de préserver la santé et même la vie des usagers.
Il convient de se replacer dans le contexte du début de la pandémie, en mars 2020. Nous avions peu d’informations sur le virus du covid-19. En outre, nous ne disposions ni de masques ni de gel. Le manque de personnels dans les établissements n’a pas non plus été étranger à la prise de telles décisions. Faute de personnel en nombre suffisant pour accueillir les familles dans des conditions sanitaires optimales, les directeurs n’ont pas voulu faire courir de danger aux usagers ou voir leur responsabilité mise en cause.
Faute d’être réglementé précisément, le droit de visite a été appliqué de manière différente dans les établissements, certains directeurs faisant preuve de plus de latitude, de mansuétude ou d’humanité que d’autres.
Je saisis l’occasion qui m’est offerte aujourd’hui pour saluer le courage et le dévouement des personnels soignants et, plus largement, de tous ceux qui travaillent dans les établissements médico-sociaux. La plupart d’entre eux ont fait preuve d’abnégation et ont comblé le vide affectif des proches par leur mobilisation personnelle.
Madame la rapporteure, rappelons-nous des personnels de cet Ehpad charentais, qui ont décidé de se confiner sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec les résidents, afin de les protéger au mieux. (Mme la rapporteure le confirme.)
La crise sanitaire aura mis en lumière un certain nombre de défaillances et de dysfonctionnements dans beaucoup de domaines, notamment dans les secteurs hospitalier et médico-social.
Aujourd’hui, après les décisions prises dans l’urgence, nous avons la responsabilité d’apporter des réponses et de prévoir des garde-fous pour l’avenir.
Le droit de visite est une composante du droit à une vie privée et familiale. À ce titre, il est reconnu et protégé par la convention européenne et la Cour européenne des droits de l’homme. Il figure dans la charte de la personne hospitalisée comme dans la charte des droits et libertés de la personne âgée en situation de handicap ou de dépendance.
Dès lors, madame la ministre, on peut effectivement s’interroger sur l’opportunité de légiférer en la matière ? Personnellement, je pense que oui.
En effet, ce qui apparaît à première vue comme une évidence relevant du bon sens – quoi de plus naturel que de rendre visite à un proche hospitalisé ou résidant en Ehpad ? – a cessé de l’être pendant la phase la plus critique de la crise sanitaire que nous traversons. (Mme la ministre déléguée manifeste son désaccord.)
Dans un rapport de 4 mai 2021 intitulé Les Droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad, la Défenseure des droits a pointé les abus et les restrictions de droits constatés durant la crise sanitaire.
Le flou juridique entourant la notion de droit de visite plaide en faveur d’une clarification. C’est pourquoi je salue l’initiative de notre collègue Bruno Retailleau, que je remercie d’avoir déposé cette proposition de loi. Ce texte a le grand mérite de rendre effectif le droit de visite et d’en préciser les modalités d’application.
Les patients pris en charge à l’hôpital, comme les usagers d’établissements médico-sociaux, auront la garantie de ne pas être coupés de tout lien social et affectif, quelle que soit la situation. Ainsi précisé, le droit de visite sera appliqué de manière uniforme sur l’ensemble du territoire, quel que soit l’établissement.
Le droit de visite deviendra le principe. Le refus sera l’exception. Il devra être motivé de manière spécifique, suivant qu’on se trouve dans un établissement de santé, dans un Ehpad ou dans un foyer pour personnes en situation de handicap : la proposition de loi apporte un certain nombre de précisions à cet égard.
Dans les établissements de santé, le droit de visite ne peut être refusé qu’en cas de menace à l’ordre public. Le refus doit être prononcé par le médecin chef de service et non plus par le directeur administratif, si les raisons invoquées sont liées à la santé du patient, des visiteurs ou du personnel. Seul le chef de service peut invoquer des raisons médicales.
Dans les Ehpad et les foyers pour personnes handicapées, le refus doit être motivé au cas par cas, individuellement et en fonction des circonstances de fait. Là encore, s’il est lié à la protection de la santé, l’accord du médecin est toujours nécessaire.
Par ailleurs, pour les personnes en fin de vie, cette proposition de loi institue un véritable droit de visite inopposable.
Je salue d’ailleurs l’excellent travail de notre rapporteure, Corinne Imbert, qui a proposé des évolutions bienvenues. Le principal apport de la commission des affaires sociales tient précisément au droit de visite inconditionnel aux personnes en fin de vie ou dont l’état requiert des soins palliatifs. Initialement prévu pour certains proches – descendants, ascendants, conjoints, membres de la fratrie ou personne de confiance –, ce droit de visite a été étendu aux proches aidants.
Mes chers collègues, ce texte transpartisan a fait l’objet d’un vote unanime des membres de la commission des affaires sociales. J’espère qu’il fera également l’unanimité en séance ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire a agi comme un révélateur non seulement des inégalités sociales et territoriales, mais également de la capacité de résilience de nos organisations face à un choc exogène.
Ce qui s’est passé ici ou là lors du premier confinement restera comme un traumatisme national, malgré l’engagement des professionnels, sur lequel je ne reviens pas.
Certes, les circonstances étaient exceptionnelles, et il a fallu se contenter d’une gestion en mode dégradé. Mais elle s’est parfois révélée défaillante faute de suffisamment s’appuyer sur les principes forts régissant les droits fondamentaux des personnes accueillies.
Le droit de visite dans les établissements médico-sociaux, lieux de vie des résidents, peut aussi être formalisé comme un droit de recevoir. C’est une expression du droit fondamental à la vie privée. Divers documents internes, faisant souvent l’objet de concertations avec le conseil de la vie sociale (CVS), en précisent les modalités tout en les adaptant aux nécessités d’une structure collective.
Toutefois, à l’occasion des événements exceptionnels que nous avons connus lors de la crise du coronavirus, un certain nombre de directives imposées aux organisations ont été l’occasion d’une mise à l’épreuve. Elles ont nourri une logique de surprotection sanitaire des personnes âgées ou en situation de handicap, dont certaines conséquences irréversibles se font encore sentir aujourd’hui.
Le constat a fait l’objet de plusieurs communications. Retenons en particulier les travaux de la Défenseure des droits, laquelle a reçu nombre de témoignages et de réclamations faisant état « de personnes ayant perdu le goût de la vie, souffrant de dépression, exprimant le sentiment d’être emprisonnées ou encore leur envie de ne plus vivre ».
Des mesures restrictives exceptionnelles ont été maintenues, quelquefois inutilement, sans que l’on cherche à obtenir le consentement ou seulement l’approbation des personnes concernées. Cela interroge sur la méconnaissance des droits fondamentaux auxquels ces mesures exceptionnelles, même justifiées, portaient atteinte. Parmi eux figure le droit au maintien des liens familiaux, dont le droit de visite en établissement est l’une des déclinaisons.
À première vue, il peut paraître étonnant que ce droit de visite fasse l’objet d’une proposition de loi spécifique. Mais, comme la crise sanitaire l’a montré, en période exceptionnelle, il faut toujours rappeler ce que la dérogation temporaire doit au droit fondamental qu’il suspend en quelque sorte.
Un article du présent texte rappelle précisément les situations – fin de vie, soins palliatifs, etc. – dans lesquelles la dérogation n’est pas autorisée, comme les motifs précis, justifiés et notifiés du non-respect du droit d’être visité.
Madame la ministre, je tiens à réagir à votre intervention. À mes yeux, dans un débat éthique, il faut toujours de s’interroger sur ce que dit le droit. Le droit n’exclut ni le dilemme ni le conflit éthique ; il en est au contraire la condition. Dans un débat éthique, il n’est donc jamais inutile, tant s’en faut, de formaliser le droit ! (Mme la ministre déléguée manifeste son incompréhension.)
Ces circonstances exceptionnelles nous apportent un autre enseignement, d’une portée plus générale, celui de la minoration, pour ne pas dire de la non-prise en compte de la santé mentale et sociale dans la santé globale.
Un certain nombre de personnes sont mortes non de la covid, dont elles ont été protégées, mais du sentiment d’abandon et du syndrome de glissement, sur lequel les précédents orateurs ont beaucoup insisté.
Or, les considérations médicales mises à part, l’entrée en établissement est conçue comme une réponse à l’isolement et à ses conséquences délétères. Pourtant, en la matière, une gestion uniquement médicale a primé, interdisant toute prise de risque, surprotégeant les personnes du fait de leur vulnérabilité et ignorant un grand nombre de marges de manœuvre. (Mme la ministre déléguée exprime son désaccord.)
Il reste donc à travailler, hors du cadre normatif, sur les bonnes pratiques en cas d’urgence sanitaire et à s’assurer de l’effectivité des droits. Ne l’ignorons pas, les défaillances d’hier et les obstacles à l’effectivité des droits aujourd’hui tiennent aussi au manque de moyens humains.
Ce qui s’est passé ne doit plus se reproduire. La formalisation du droit de visite y contribuera. Néanmoins, la question des moyens alloués aux Ehpad demeure. Ces établissements ne disposent pas du personnel médical et soignant nécessaire pour garantir le respect des droits fondamentaux des personnes accueillies, en tant que sujets de droits et non objets de soins.
Au-delà des premières mesures, nous avions besoin d’une réforme ambitieuse et d’une grande loi dédiée à l’autonomie pour engager des transformations profondes en faveur de l’amélioration de la qualité de vie de toutes les personnes âgées ou en situation de handicap, en établissement ou à domicile. Manifestement, cela ne figure plus à l’agenda.
Cela étant, les élus du groupe écologiste voteront la proposition de loi de notre collègue Bruno Retailleau, en espérant qu’elle prenne place dans une réforme systémique à la hauteur des enjeux ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Yves Bouloux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier notre collègue Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, d’avoir pris l’initiative de ce texte bienvenu.
Avant l’épidémie de covid-19, nous n’avions jamais eu à nous pencher sur l’accès des proches aux établissements de santé et encore moins à débattre d’un droit au maintien des liens familiaux.
Ainsi que cela a déjà été souligné, il s’agit non pas de pointer la responsabilité de tel ou tel établissement, mais bien de penser à l’avenir, de poser un cadre législatif efficace là où la législation existante s’est révélée défaillante.
Le droit des personnes hospitalisées ou accueillies en établissement médico-social de recevoir des visites n’est pas expressément consacré par la loi. Ce droit découle du respect du droit à la vie privée. Il figure dans la charte du patient hospitalisé ou dans le livret d’accueil de l’établissement. Il revient donc aux directions des établissements de l’organiser et de le limiter.
Or, en dépit du caractère décentralisé de l’application de ce droit, la crise sanitaire a conduit à une interdiction générale sur l’ensemble du territoire. Une suspension du droit de visite s’est appliquée uniformément sans tenir compte des indicateurs épidémiologiques locaux. De nombreux malades sont ainsi décédés seuls sans avoir été accompagnés par leurs proches.
Les autres personnes hospitalisées ou accueillies dans des établissements médico-sociaux dont la vie n’était pas en jeu n’ont eu, pendant plusieurs mois, aucun contact avec le monde extérieur.
Cette interdiction générale et absolue, abusive, s’est révélée catastrophique pour les patients et leurs proches. Les conséquences de ces entraves à la vie privée et familiale ont été dramatiques pour les personnes résidant en Ehpad. Ce fut le cas de ma propre mère.
Particulièrement vulnérables, de nombreux résidents n’ont plus reconnu leurs proches au moment des retrouvailles. Murés dans leurs chambres durant de longs mois, ces personnes âgées sont désormais dans le silence.
Au mois de mai dernier, le rapport de la Défenseure des droits intitulé Les Droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad l’affirmait : la vulnérabilité au covid 19 de ces résidants a justifié « l’adoption de mesures restrictives rigoureuses, dérogatoires au droit commun, hors cadre normatif spécifique ».
Mais, selon elle, la crise sanitaire s’est contentée de mettre en lumière des défaillances existantes en matière de droit au maintien des liens familiaux, ainsi que de liberté d’aller et de venir.
Sa trente-cinquième recommandation est d’ailleurs d’inscrire dans la loi le droit de visite quotidien du résident par ses proches s’il le souhaite. S’est alors posée la question de la nécessité de légiférer.
Mes chers collègues, inutile de vous le rappeler, nous n’avons pas et nous n’aurons jamais le dernier mot sur les moyens accordés. En revanche, si nous créons un droit de visite, il pourrait être effectif demain !
Vous êtes-vous rendu compte que les libertés des détenus ont été moins entravées que celles des personnes hospitalisées ou accueillies en Ehpad ?
Le droit de visite des détenus n’a en effet été suspendu sur l’ensemble du territoire que durant le premier confinement, alors que celui des personnes hospitalisées et les résidents en Ehpad a été limité durant de longs mois, et l’est parfois encore aujourd’hui. Peut-être est-ce dû au fait que le droit de visite des détenus relève du code de procédure pénale ?
Enfin, aucun passe sanitaire n’est exigé pour visiter des détenus alors qu’il l’est lorsque l’on visite un malade ou un résident en Ehpad pourtant vacciné !
Pour toutes ces raisons, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est essentielle. Vous l’aurez compris, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissements
Article 1er
Après l’article L. 1112-2 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 1112-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1112-2-1. – Les établissements de santé garantissent le droit des personnes qu’ils accueillent de recevoir chaque jour tout visiteur qu’elles consentent à recevoir.
« Le directeur de l’établissement ne peut s’opposer à une visite que si le médecin chef du service dont dépend le patient ou, sur sa délégation, tout autre professionnel de santé, estime qu’elle constitue une menace pour la santé du résident, celle des autres patients ou celle des personnes qui y travaillent, ou une menace pour l’ordre public à l’intérieur ou aux abords de l’établissement. Une telle décision, motivée, est notifiée sans délai au patient et à la personne sollicitant la visite.
« Sauf si le patient en exprime le souhait, aucune visite ne peut être subordonnée à une information préalable de l’établissement. »
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
(Supprimé)
Article 3
Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 311-5-1, il est inséré un article L. 311-5-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 311-5-1-1. – Les établissements mentionnés aux 6° et 7° du I de l’article L. 312-1 garantissent le droit des personnes qu’ils accueillent de recevoir chaque jour tout visiteur qu’elles consentent à recevoir. Sauf si le résident en exprime le souhait, aucune visite ne peut être subordonnée à l’information préalable de l’établissement.
« Le directeur de l’établissement ne peut s’opposer à une visite que si elle constitue une menace pour l’ordre public à l’intérieur ou aux abords de l’établissement, ou si le médecin coordonnateur ou, à défaut, tout autre professionnel de santé consulté par le directeur de l’établissement, estime qu’elle constitue une menace pour la santé du résident, celle des autres résidents ou celle des personnes qui y travaillent. Une telle décision, motivée, est notifiée sans délai à la personne sollicitant la visite et au résident. » ;
2° Le premier alinéa de l’article L. 311-7 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il fixe les modalités de respect du droit prévu au premier alinéa de l’article L. 311-5-1-1. » – (Adopté.)
Article 4
Après le troisième alinéa de l’article L. 1112-4 du code de la santé publique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans ces établissements, la personne en fin de vie ou dont l’état requiert des soins palliatifs ne peut se voir refuser une visite quotidienne de son conjoint, concubin, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, ascendant, descendant, collatéral jusqu’au quatrième degré, de l’enfant dont il assume la charge au sens de l’article L. 512-1 du code de la sécurité sociale, de l’ascendant, descendant ou collatéral jusqu’au quatrième degré de son conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité, ni de toute personne avec laquelle elle réside ou entretient des liens étroits et stables. Les établissements mentionnés à cet article définissent les conditions qui permettent d’assurer ces visites. »
Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par Mme Imbert, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2, dernière phrase
Supprimer les mots :
mentionnés à cet article
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Avis défavorable, dans la mesure où le Gouvernement ne soutient pas la présente proposition de loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 4, modifié.
(L’article 4 est adopté.)
Article 5
Le III de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les mesures ayant pour objet ou effet de faire obstacle à l’exercice du droit mentionné aux articles L. 1112-1-1 du présent code et L. 311-5-1-1 du code de l’action sociale et des familles sont prises après avis motivé des comités prévus aux articles L. 3131-19 et L. 1412-1 du présent code.
« Aucune mesure ne peut avoir pour objet ou pour effet de faire obstacle à l’application de l’article L. 1112-4. » – (Adopté.)
Article 6
La présente loi est d’ordre public. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Je souhaite remercier l’ensemble des groupes. Certains s’abstiendront ; je le comprends. Mais beaucoup voteront la proposition de loi.
De toute évidence, il existe un équilibre fragile à préserver entre, d’un côté, la sécurité sanitaire face aux risques de contamination et, de l’autre, la sauvegarde d’une forme d’humanité face à un risque de déshumanisation.
Je l’ai souligné, il ne s’agit pas de mettre quiconque en accusation, surtout pas les soignants – j’en connais tellement ! –, d’autant qu’ils ont peut-être été les premiers à souffrir d’une telle situation.
Je n’ai pas non plus de doute sur votre engagement personnel, madame la ministre. Durant toute cette période, j’ai suivi vos déclarations, et je sais que vous vous êtes battue.
Vous avez évoqué la norme. Vous n’imaginez pas ici les centaines de normes inutiles soumises à notre vote, y compris parfois par le Gouvernement !
Nous ne votons pas ce texte avec le cœur léger, mais nous avons relevé trop de manquements. Mes chers collègues, au printemps dernier, on imposait encore trop souvent un quota de deux visites, sous le regard d’une tierce personne, dans des Ehpad où pourtant 100 % des résidents et des personnels avaient reçu deux injections de vaccin, et ce alors même que les visiteurs étaient vaccinés. C’est insupportable !
Il faut que cela change. Quand le droit est aussi flou, il convient de normaliser, de codifier et de préciser les choses. Tel est notre objectif aujourd’hui. Face à autant de dysfonctionnements, il n’est pas possible de ne pas vouloir tenter de faire entrer ce droit essentiel dans la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissements.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 3 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 318 |
Pour l’adoption | 318 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et CRCE.)
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Je remercie infiniment la Haute Assemblée de la qualité de ce débat. Le sujet le méritait.
Encore une fois, ne pas soutenir la présente proposition de loi, ce n’est pas ne pas soutenir pas le droit de visite ; je remercie M. Retailleau de l’avoir rappelé. Je salue également la qualité du travail de Mme la rapporteure.
Nous continuerons d’agir. Je préfère que le droit de visite soit vraiment applicable dans les textes, comme il l’est aujourd’hui. Nous poursuivrons le travail éthique que nous menons en y associant – nous le faisons déjà – toutes les personnes que vous avez mentionnées.
C’est un engagement que je prends devant vous. Nous inviterons toutes les personnes intéressées à se joindre à nous. Notre objectif est le même que le vôtre : en finir avec toutes les expériences blessantes qui ont pu être vécues pendant la crise sanitaire.
9
Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, mes collègues Jean-Pierre Decool, Jean-Louis Lagourgue, Claude Malhuret, Pierre Médevielle et Dany Wattebled souhaitaient s’abstenir sur la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale.
Mme la présidente. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures quinze.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
10
Implantation locale des parlementaires
Adoption d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi organique favorisant l’implantation locale des parlementaires, présentée par M. Hervé Marseille et plusieurs de ses collègues (proposition n° 804 [2020-2021], texte de la commission n° 24, rapport n° 23).
Organisation des travaux
Mme la présidente. Mes chers collègues, en accord avec le Gouvernement et la commission, et compte tenu du nombre d’amendements déposés sur ce texte, nous pourrions achever son examen en prolongeant notre séance au-delà de vingt heures sans avoir à suspendre.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Hervé Marseille, auteur de la proposition de loi organique. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ceux qui, comme moi, appartenaient déjà à notre Haute Assemblée en 2013 se rappellent sans doute des débats enflammés qu’avait suscités le projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.
À l’époque déjà, le Sénat n’avait pas hésité à s’ériger contre une réforme dictée avant tout par la volonté de plaire à l’opinion. Il était facile de livrer à la vindicte populaire ces « cumulards », que certains n’hésitaient pas à qualifier de profiteurs. En creux, nous n’étions pas si loin du « tous pourris », dont les gilets jaunes étaient si friands !
Force est de constater que, malgré cette réforme adoptée voilà plus de sept ans, les accusations contre les élus, en particulier contre les parlementaires, n’ont malheureusement pas disparu. On a même franchi un seuil supplémentaire, puisqu’il n’est plus rare que des élus soient agressés et des permanences dégradées.
Pour ceux qui se livrent à ce type de comportements, le non-cumul, ce n’est évidemment pas assez ! Ce qu’ils veulent en réalité, c’est supprimer la démocratie représentative.
Au demeurant, notre ancien collègue François Rebsamen, maire de Dijon, ressort la vieille lune visant à faire du Sénat un Bundesrat, comme en Allemagne. Non-cumul et dégradation supplémentaire du Sénat… Formidable !
Il faut donc ainsi se méfier d’une inclination facile à vouloir satisfaire ce que l’on pense être l’opinion dominante à un moment donné. « Les gens sont contre le cumul : supprimons le cumul », disait Manuel Valls, alors ministre.
En effet, plusieurs études ont montré que nos concitoyens étaient, à titre général, contre le cumul. Mais quand la question portait sur leurs propres élus, ils étaient favorables à ce que leur maire puisse être également parlementaire.
Récemment, notre groupe a commandé un sondage à l’institut IFOP sur ce thème. À la question : « Seriez-vous favorable ou non à la possibilité pour les députés et les sénateurs de pouvoir en parallèle de leur mandat national être maire d’une commune de moins de 10 000 habitants, mais sans le cumul des indemnités ? », 57 % des sondés répondaient favorablement. Ce résultat peut surprendre. Il a au moins un mérite : il montre que, sur ce sujet, il y a encore débat, et pas uniquement chez les élus.
La proposition de loi organique que j’ai l’honneur de vous présenter a d’abord pour objet de faire vivre ce débat devant le Parlement. Il est naturel, plusieurs années après l’entrée en vigueur d’une réforme, de s’interroger sur sa pertinence et ses conséquences.
La question que l’on doit se poser aujourd’hui est : le non-cumul a-t-il amélioré le fonctionnement de notre démocratie ? Elle me semble légitime. Le Président de la République reconnaissait lui-même voilà peu que le sujet méritait d’être débattu.
On constate d’ailleurs à travers les résultats des dernières élections locales que l’existence du non-cumul n’a pas ramené aux urnes beaucoup d’électeurs.
En revanche, on continue inlassablement de déplorer des élus « déconnectés », des parlementaires « hors sol », et j’en passe… Nous considérons le fait que l’instauration du non-cumul, loin d’être une solution magique, a sans doute accentué le phénomène depuis 2014.
J’ai entendu certains collègues nous expliquer qu’avec le droit en vigueur, les parlementaires pouvaient parfaitement continuer à détenir un mandat local et que, grâce à cela, ils n’étaient pas « déconnectés ».
Nous sommes nombreux ici à avoir exercé un mandat de maire, à avoir occupé des fonctions exécutives au sein d’une collectivité. Nous savons tous que ce n’est pas du tout la même chose d’être conseiller municipal, conseiller général ou conseiller régional et maire, président d’un département ou président d’une région.
En 2014, le gouvernement de l’époque justifiait sa réforme dans son exposé des motifs par le fait que la dernière révision constitutionnelle avait « rénové l’exercice de la fonction législative et renforcé les pouvoirs des deux assemblées ». Autrement dit, les missions du Parlement ont été tellement renforcées qu’il n’est plus possible d’être député et maire d’un village de 500 habitants.
Avez-vous le sentiment, mes chers collègues, en 2021, que le rôle du Parlement soit renforcé ? Que l’on pèse plus sur le débat démocratique ? Que l’équilibre entre pouvoir législatif et exécutif est satisfaisant ? Pour ma part, je ne le pense pas.
Les parlementaires n’ont pas vu leur rôle renforcé depuis l’entrée en vigueur du non-cumul. Oui, les maires qui ne sont plus parlementaires ont souvent bien plus de mal à faire entendre leur voix. Faut-il en rester là ou revenir sur la loi organique du 14 février 2014 ? Plus précisément, faut-il aménager ou abroger intégralement ce texte ?
Nous vous proposons aujourd’hui un simple aménagement, puisqu’il s’agit d’ouvrir la possibilité aux parlementaires d’être maire ou maire adjoint d’une commune de moins de 10 000 habitants. Nous avons donc choisi d’exclure cette faculté pour les communes les plus peuplées. Nous reconnaissons que la charge de travail n’est pas la même selon la taille de la commune. Il ne s’agit pas, avec notre texte, d’être de nouveau, par exemple, sénateur et maire d’une grande ville de plus de 100 000 habitants.
Inévitablement, j’entends des interrogations sur le niveau du seuil. Pourquoi 10 000 habitants ? Pourquoi pas 1 000 ou 20 000 ?
Comme l’a rappelé notre rapporteur en commission, ce seuil est déjà utilisé au sein du code général des collectivités territoriales. Il nous semblait donc pertinent. Je saisis d’ailleurs cette occasion pour saluer l’excellent travail réalisé par notre collègue Stéphane Le Rudulier. La tâche que lui a confiée notre commission n’était pas facile tant le sujet déchaîne les passions ! Je salue la qualité de son écoute et des propositions qu’il a formulées la semaine dernière.
Je ferai une remarque sur la principale modification adoptée en commission.
Nous avions souhaité éviter que ce débat visant à favoriser l’implantation locale des parlementaires ne soit immédiatement source de polémiques sur d’hypothétiques motivations financières. Naturellement, il n’a jamais été question d’une course aux indemnités. Vous savez les uns et les autres que nous sommes plafonnés.
Pour couper court à toute polémique inutile, nous avions décidé à l’article 2 de la proposition de loi organique d’interdire tout cumul d’indemnité pour le parlementaire qui déciderait d’être maire d’une commune de moins de 10 000 habitants. Cela avait le mérite de la clarté.
Je me rallie malgré tout à l’argument constitutionnel défendu par le rapporteur, et qui a entraîné la suppression de l’article 2, en espérant que cela permettra d’échapper aux polémiques inutiles.
Enfin, il est difficile d’évoquer le régime des incompatibilités applicable aux parlementaires sans évoquer celui qui s’applique aux élus locaux. Nous avons été nombreux lors de l’examen en commission à évoquer ce que l’on a coutume d’appeler le « cumul horizontal ».
La différence de traitement entre ce qui s’applique aux parlementaires, d’un côté, et aux élus locaux ne disposant pas d’un mandat national, d’un autre côté, est frappante.
Je ne résiste pas au plaisir de vous citer l’étude d’impact du texte de 2014, qui indiquait que les fonctions exécutives au sein des collectivités territoriales représentaient « des fonctions de responsabilité à part entière » et supposaient « un engagement continu de leur titulaire ».
C’est savoureux, car cette même loi n’a pas du tout fait évoluer les règles du cumul horizontal, permettant ainsi des situations de cumul très étendues !
Je pense que les échéances politiques des prochains mois doivent être l’occasion d’un débat de fond sur la nécessaire réforme de nos institutions. La question que nous abordons aujourd’hui en fait partie.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter en faveur de la présente proposition de loi organique. Si notre Haute Assemblée devait l’adopter, j’invite d’ores et déjà le Gouvernement à l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, afin de poursuivre ce débat important. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la question de la limitation du cumul des mandats est extrêmement délicate et complexe.
Dans cet hémicycle, nous sommes d’ailleurs tous conscients que des cumuls excessifs sont aussi néfastes au Parlement qu’aux collectivités territoriales elles-mêmes.
L’interdiction absolue d’exercer une fonction exécutive locale paraît aussi excessive et absurde que la liberté absolue qui prévalait avant 1985. Le Sénat a toujours été très ouvert sur cette question. Il a d’ailleurs contribué à la limitation du cumul des mandats et a ainsi voté les lois de 1985 et de 2000, qui ont établi et étendu le régime des incompatibilités entre mandats locaux et mandats nationaux. Ces lois ont donc fait l’objet d’un très large consensus.
Mais, après plus d’une décennie de débats, la loi organique de 2014 a envoyé le balancier vers un extrême qui s’est révélé être mortifère pour le pouvoir législatif. Elle a en effet rendu incompatible le mandat de député ou de sénateur avec toute fonction exécutive au sein d’une collectivité territoriale.
Plusieurs arguments étaient alors avancés à l’appui de cette réforme.
Il s’agissait d’abord, disait-on, de « libérer » les parlementaires de fonctions locales devenues trop absorbantes, alors que le Parlement avait vu ses pouvoirs accrus par la révision constitutionnelle de 2008. Symétriquement, il s’agissait de « libérer » les maires et les autres chefs d’exécutifs locaux, après trois décennies de décentralisation qui avaient élargi les compétences des collectivités et quelque peu complexifié le rôle de l’élu local.
Les promoteurs de la réforme y voyaient également le moyen d’assurer le renouvellement du personnel politique.
Ces arguments, déjà sujets à caution lors des débats de 2013-2014, ne se sont pas vérifiés depuis.
Ainsi, aucune corrélation n’a jamais pu être empiriquement établie entre le non-cumul des mandats et la qualité du travail parlementaire.
De même, le fort taux de renouvellement de l’Assemblée nationale observé en 2017 me semble davantage lié à l’émergence d’un nouveau parti politique, devenu majoritaire dans le sillage de l’élection du Président de la République, qu’à l’application de la règle du non-cumul.
M. Rémy Pointereau. C’est juste !
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. À l’inverse, les faits semblent donner raison à ceux qui craignaient que les effets pervers du non-cumul des mandats ne l’emportent sur ses effets vertueux.
L’interdiction du cumul aggraverait le déséquilibre des pouvoirs au profit de l’exécutif, nous avait-on dit en 2013 en privant notamment les parlementaires d’une assise locale susceptible de renforcer leur autorité, leur expertise et leur indépendance. Faudrait-il donner raison à cette thèse ? Je constate du moins que le quinquennat actuel, comme le précédent d’ailleurs, n’a pas été marqué par un renforcement du Parlement. Tout au contraire : on parle d’affaiblissement, contraire à la volonté du constituant de 2008.
Mais, ce qui est peut-être plus préoccupant encore pour l’avenir, c’est l’incidence du non-cumul sur l’attractivité du mandat parlementaire.
Lors de l’entrée en vigueur de la réforme, on a constaté que bon nombre d’élus en situation de cumul choisissaient de conserver leur mandat local plutôt que national, comme si le premier était plus gratifiant que le second. Tout cela contribue incontestablement à une dévalorisation du mandat parlementaire, qui se révèle dangereuse pour l’équilibre de nos institutions.
Enfin, le fait que députés et sénateurs ne puissent plus exercer de fonctions exécutives locales n’est pas étranger – cela a été souligné par M. Marseille – au sentiment actuel de « déconnexion » entre les Français et leurs représentants.
La connaissance des grands enjeux de la politique nationale à travers l’exercice d’un mandat parlementaire est profitable aux territoires et à leurs habitants.
Inversement, je continue de penser que la responsabilité opérationnelle de services publics locaux est utile à l’exercice de mandats parlementaires. Elle favorise des approches peut-être un peu moins idéologiques, moins militantes, mais beaucoup plus indépendantes, plus pragmatiques et plus responsables permettant de mieux saisir les attentes des citoyens, voire d’anticiper les crises. En 2019, madame la ministre, votre collègue Olivia Gregoire, alors députée, déclarait que les députés qui avaient été maires avaient senti « beaucoup plus tôt » – ce sont ses termes – arriver la crise des gilets jaunes. (Marques d’approbation sur les travées du groupe UC.)
Il n’est donc pas étonnant que des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour remettre en cause la réforme de 2014, y compris au sein de la majorité présidentielle. Le Président de la République s’est lui-même interrogé ouvertement sur l’opportunité d’un assouplissement lors d’une réunion avec les maires de Normandie, le 6 janvier 2019. Et le débat a ressurgi à la suite des élections départementales et régionales du printemps dernier au vu du record de l’abstention.
J’observe également que trois ministres de haut rang de ce gouvernement n’ont pas jugé nécessaire, sans doute à juste titre, de s’appliquer à eux-mêmes la règle du non-cumul (Marques d’ironie sur les travées des groupes Les Républicains et UC.), dont la valeur n’est, certes, que coutumière s’agissant des membres de l’exécutif. (Applaudissements sur les mêmes travées.) Ils n’ont d’ailleurs, à ma connaissance, jamais exprimé une quelconque contrition ou un quelconque remords à cet égard. Ils n’ont pas non plus donné de signe particulier public d’épuisement. Ils ont au contraire toujours justifié cette position avec beaucoup d’enthousiasme et d’énergie !
Aussi, force est de reconnaître que le texte de 2014 a été mal bâti et a procédé d’une réaction instinctive, voire quelque peu démagogique. Il était donc de notre responsabilité de trouver un dispositif plus raisonnable, de retrouver en quelque sorte un certain équilibre. C’est tout l’objet de la proposition de loi organique que nous examinons aujourd’hui, sur l’initiative de notre collègue Hervé Marseille. Elle vise à apporter un assouplissement modéré à la règle du non-cumul, sans revenir totalement sur la réforme de 2014.
Son article unique prévoit en effet – cela a été souligné – de supprimer l’incompatibilité entre le mandat de député ou de sénateur et les fonctions de maire ou d’adjoint au maire ou de Maire délégué dans les communes de 10 000 habitants ou moins, soit 97 % des communes françaises.
Comme tout seuil, le plafond de 10 000 habitants peut être discuté. Néanmoins, le Conseil constitutionnel a toujours admis que le législateur organique puisse subordonner l’application de règles d’incompatibilité à des seuils de population, à condition que ceux-ci ne soient pas arbitraires. En l’espèce, le seuil proposé paraît pertinent. En effet, fréquent en droit des collectivités territoriales, il correspond à une différence de situation réelle, notamment s’agissant des charges et obligations imposées aux autorités municipales. Il correspond en quelque sorte à une frontière entre le monde urbain et le monde rural.
Mes chers collègues, je pense qu’une fonction exécutive locale et un mandat parlementaire ne sont pas antinomiques et peuvent se compléter utilement, et ce dans l’intérêt de nos concitoyens. Je remercie M. Marseille de son initiative. Je ne doute pas qu’elle suscitera des discussions parmi nous. Mais il me paraît effectivement impératif de rapprocher l’exercice du pouvoir de la réalité des territoires et de mettre fin au sentiment que les élus nationaux sont totalement déconnectés. Ce texte est un moyen, parmi tant d’autres, d’y parvenir. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi organique favorisant l’implantation locale des parlementaires qui est présentée aujourd’hui au Sénat par le groupe Union Centriste vise à instaurer la possibilité d’un cumul entre le mandat de parlementaire et les fonctions exécutives de maire, de maire délégué et d’adjoint au maire dans les communes de moins de 10 000 habitants.
Malgré les interrogations que la question suscite, le Gouvernement émettra un avis défavorable sur cette proposition de loi organique, et ce pour plusieurs raisons. (Marques de déception sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Le texte met en discussion le dispositif d’incompatibilités applicable aux mandats parlementaires, défini à l’article L.O. 141-1 du code électoral introduit par la loi organique du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.
La principale motivation de la présente proposition de loi organique consiste à dire qu’il existe une attente de la part de nos concitoyens de ne plus avoir de représentants nationaux « déconnectés du réel » ou des élus « hors sol ».
Monsieur Marseille, vous évoquez le grand débat national engagé dans tous les territoires par le Président de la République. Il est vrai que nos concitoyens ont exprimé un besoin de proximité dans leurs relations avec les autorités publiques, élus et administrations. Ils ont également souligné l’importance de l’échelon communal et de la figure du maire dans leur quotidien. Ce que nous venons de traverser avec la crise sanitaire le démontre parfaitement.
Mais nos concitoyens ont également exprimé fortement, toujours dans le cadre de ce grand débat national, une exigence envers les élus. Ils ont par exemple particulièrement critiqué les absences des élus lors des séances et des votes au sein des assemblées où ils sont élus.
Dès lors, il ne nous semble pas que le cumul des mandats soit une bonne réponse aux besoins exprimés par nos concitoyens. (Vives protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Brouhaha.)
Nos concitoyens demandent à être représentés à l’échelon tant local que national par des femmes et des hommes pleinement engagés dans leurs missions, présents là où leurs fonctions les requièrent pour apporter des réponses aux attentes et aux problèmes des Français.
Vous évoquez aussi la nécessité pour les élus nationaux de disposer d’une connaissance concrète des enjeux, des difficultés et des compétences exercées par les élus locaux, municipaux notamment.
Le Gouvernement partage évidemment une telle vision, mais la solution n’est pas nécessairement le cumul de la fonction de maire avec celui de parlementaire. La loi permet déjà aux parlementaires de conserver un ancrage local. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe UC.)
L’article L.O. 141 du code électoral dispose en effet qu’un parlementaire ne peut détenir qu’un mandat parmi ceux de conseiller régional, conseiller à l’assemblée de Corse, conseiller départemental, conseiller de Paris, conseiller à l’assemblée de Guyane et de Martinique et de conseiller municipal d’une commune de plus de 1 000 habitants.
Les parlementaires peuvent donc pleinement prendre part à la vie de nos collectivités locales et s’impliquer par leur rôle délibératif dans les décisions prises au sein des conseils municipaux notamment.
À ce titre, ce sont 145 parlementaires, dont 80 sénateurs, qui ont également un mandat de conseiller municipal au sein des communes de moins de 10 000 habitants.
Le mandat de parlementaire et la fonction de maire demandent à celles et ceux qui les occupent d’être pleinement disponibles pour assumer ces responsabilités. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le travail parlementaire s’est intensifié. Le travail en commission, devenu une étape essentielle, sur lequel se fonde le vote en séance, requiert une implication accrue des parlementaires. Le Parlement s’est aussi pleinement saisi de ses fonctions de contrôle du Gouvernement et d’évaluation des politiques, un travail qui demande également une forte disponibilité de ses membres. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Je peux d’autant plus en témoigner que, si je fais aujourd’hui partie de l’exécutif, j’étais voilà encore peu de temps élue à l’Assemblée nationale. Ce travail de contrôle du Gouvernement et de l’évaluation des politiques publiques est très important, et je m’en réjouis évidemment, car il est au cœur du fonctionnement de nos institutions et du débat démocratique. (« Hors sol ! » sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Boyer. Vous avez déjà exercé un mandat ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Oui, de députée. (Exclamations ironiques sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Les maires sont pleinement impliqués au sein des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dont leur commune fait partie. Leur disponibilité est essentielle au bon fonctionnement de ces institutions.
Au-delà de ces considérations d’ordre technique, le maire représente dans une petite commune un point de référence, un interlocuteur du quotidien. Sa présence sur son territoire est essentielle pour assurer la continuité des services rendus par la commune à ses habitants, pour gérer les petites et grandes crises qui peuvent survenir à tout moment, pour assurer le lien fondamental avec les services de l’État présents sur le territoire. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Brouhaha.)
M. Daniel Gremillet. Remboursé !
Mme la présidente. Mes chers collègues, il serait souhaitable que Mme la ministre déléguée puisse s’exprimer sans ce brouhaha incessant. Je sais que certains d’entre vous désapprouvent son propos, mais j’aimerais que chacun puisse intervenir dans le calme.
Veuillez poursuivre, madame la ministre.
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Effectivement, madame la présidente, nous en sortirions tous grandis si ce débat était serein. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) J’ai presque terminé mon propos, mesdames, messieurs les sénateurs : nous pourrons ensuite débattre du fond du texte.
Sur le plan juridique, le seuil de 10 000 habitants défini dans la proposition de loi organique peut être questionné.
Dans sa décision n° 2024-689 DC du 13 février 2014, le Conseil constitutionnel a rappelé le principe d’égalité devant la loi des règles applicables aux interdictions de cumul entre le mandat de parlementaire et des fonctions exécutives locales. Il a par ailleurs admis qu’il était loisible au législateur d’établir et d’appliquer une règle de non-cumul à partir d’un certain seuil de population, « à condition que le seuil retenu ne soit pas arbitraire ».
Or, dans le domaine électoral, le seuil de 10 000 habitants envisagé dans la proposition de loi organique est inédit et sans lien avec une quelconque autre disposition d’ordre électoral existante.
Vous l’avez rappelé dans votre propos, monsieur le rapporteur, la question du cumul des mandats est très complexe. Je me réjouis, malgré nos désaccords sur le sujet, que nous puissions avoir ce débat démocratique au sein de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Masson, d’une motion n° 25.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi organique (n° 24, 2021-2022) favorisant l’implantation locale des parlementaires.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.
M. Jean Louis Masson. Madame la ministre, je n’ai pas pour habitude de soutenir le Gouvernement, mais, sur ce dossier, je suis totalement d’accord avec la position que vous avez défendue. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Mes chers collègues, je n’ai pas interrompu ceux qui sont intervenus pour les cumuls ; par correction, il faudrait peut-être laisser parler ceux qui sont contre.
À chaque fois qu’on parle de ce sujet, on peut être certain que les cumulards, ou ceux qui espèrent le devenir, vont se précipiter pour défendre le système ! (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) On l’a vu lors du vote de la loi organique sous le quinquennat de François Hollande.
Je voudrais dire – j’ai toujours défendu cette position, même quand j’étais député, voilà bien longtemps – que le cumul des mandats et son corollaire direct, l’absentéisme parlementaire, sont deux particularités bien françaises : deux particularités affligeantes qui nuisent au bon fonctionnement de la démocratie. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Par le passé, les tentatives de limitation des cumuls se sont malheureusement heurtées à l’obstruction de ceux qui profitent et qui abusent du système. Le Premier ministre Édouard Balladur résumait parfaitement la situation en indiquant dans Le Figaro du 7 mai 2010 : « Il n’y a pas d’enthousiasme dans la classe politique, ni à droite ni à gauche, pour prohiber le cumul. Si on veut progresser, il ne faut pas se référer à la bonne volonté, il faut que la loi intervienne. » M. Balladur avait, je le crois, tout à fait raison !
Non sans mal, le président Hollande et son gouvernement sont cependant parvenus à faire voter la loi organique du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives avec le mandat de parlementaire. C’est un point très positif à mettre à l’actif du bilan de M. Hollande ; comme il n’en a pas beaucoup, laissons-lui au moins celui-là !
Malheureusement, ceux qui ont conduit hier un combat d’arrière-garde contre la loi anti-cumul veulent aujourd’hui essayer d’ouvrir une brèche au profit des cumulards. Je le regrette profondément. Je pense qu’il faudrait au contraire aller beaucoup plus loin.
Ainsi, pour l’application de la limitation des cumuls de mandats, il convient aussi de prendre en compte le mandat de conseiller communautaire. Il est en effet anormal de comptabiliser un mandat de conseiller municipal de base dans une commune de quelques milliers d’habitants si on ne le fait pas pour un mandat de conseiller d’une communauté urbaine ou d’une métropole de plusieurs centaines de milliers d’habitants.
C’est d’autant plus vrai que la montée en puissance des intercommunalités confère aux élus communautaires des responsabilités considérablement plus importantes que celles des élus municipaux.
Un intervenant a évoqué précédemment le cumul horizontal. C’est un véritable problème, et il est injuste qu’il y ait de larges facilités de cumul pour les élus territoriaux et qu’il y en ait beaucoup moins pour les parlementaires.
À mon sens, la solution consiste non pas de permettre aux parlementaires de cumuler, mais au contraire à réduire les possibilités de cumul pour les élus territoriaux Il est honteux que l’on puisse être maire d’une grande ville de 200 000 ou 300 000 habitants, président d’une métropole et vice-président d’un conseil général ou d’un conseil régional. (Marques d’impatience sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) C’était sur ce point qu’il fallait agir ! Là, les cumulards essayent de dénaturer le débat pour recommencer à profiter du système, comme c’était le cas par le passé.
M. Laurent Lafon. C’est fini !
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Avis défavorable au regard des arguments que j’ai pu défendre précédemment.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. J’ai expliqué à la tribune pourquoi nous étions défavorables à la proposition de loi organique, mais j’ai également indiqué que la question présentait un intérêt particulier et qu’elle méritait un débat démocratique.
Nous sommes donc opposés à la motion, car nous souhaitons que les échanges sur le sujet puissent se poursuivre.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 25, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi organique.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 4 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 245 |
Pour l’adoption | 1 |
Contre | 244 |
Le Sénat n’a pas adopté. (Rires et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Demande de renvoi à la commission
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Masson, d’une motion n° 26.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission la proposition de loi organique (n° 24, 2021-2022) favorisant l’implantation locale des parlementaires.
La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la motion.
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Encore !
M. Pierre Louault. C’est un cumulard ! (Sourires.)
M. Jean Louis Masson. Si les sénateurs non inscrits avaient autant de temps de parole que les sénateurs appartenant à un groupe, j’aurais disposé de dix minutes et je n’aurais pas été obligé de tronçonner mon intervention en deux fois trois minutes ! (Exclamations sur les travées du groupe UC.)
Un mandat de député ou de sénateur correspond à un travail à temps plein. Il en est de même, selon moi, pour une fonction de maire de ville moyenne, de 10 000 habitants par exemple, compte tenu de ses fonctions annexes ; je pense notamment à la participation aux intercommunalités.
Cependant, les élus qui souhaitent profiter du système sont aussi nombreux à droite qu’à gauche, comme je l’ai souligné. Je crois que c’est l’explication du combat faussement anodin engagé aujourd’hui au Sénat par ceux qui cherchent à rétablir progressivement les cumuls que nous avons connus par le passé.
Pour cela, tous les prétextes sont bons. Dans Le Figaro du 9 juillet 2012, un cumulard avait prétendu que les sénateurs ne cumulant pas leur mandat de parlementaire avec une fonction exécutive ne sont « que des élus hors sol coupés de la gestion quotidienne des collectivités ». Merci pour ceux qui, comme moi, refusent le principe du cumul avec une fonction exécutive !
En la matière, je fais ce que je dis, car à la suite de mon élection comme sénateur en 2001, j’avais démissionné de la fonction de vice-président du conseil régional, précisément pour ne pas conserver une fonction exécutive, alors qu’à l’époque, c’était encore possible !
Un autre sénateur a aussi prétendu dans la presse que faute de pouvoir cumuler des fonctions exécutives, les parlementaires étaient devenus des apparatchiks des appareils politiques. Depuis 2001, je suis élu sénateur sans jamais avoir eu le soutien d’un parti politique ! N’étant pas un apparatchik, je suis donc seulement un élu « hors sol » !
Il n’empêche que, lors des élections sénatoriales de 2011, j’ai largement devancé les deux autres listes de droite qui, elles, avaient une investiture et étaient conduites par des élus super-cumulards. Pour quelqu’un qui est hors sol, ce n’est pas mal !
Qui plus est, ma liste est même arrivée en tête en 2017 devant toutes les autres, que ce soit celle de LR ou celle du parti socialiste. C’est vraiment la preuve que quand on fait son travail correctement, on n’est pas obligatoirement un élu hors sol et qu’on n’a pas besoin d’être un super-cumulard, profiteur du système, pour bien connaître les problèmes des communes et s’y rendre ! C’est d’ailleurs ainsi que j’ai procédé : j’ai fait le tour de toutes les communes de Moselle, j’ai rendu visite aux maires et j’ai discuté avec eux, alors qu’en général, celui qui est aussi le maire d’une ville importante ne s’occupe que de sa commune, et pas des autres. C’est ce qui a souvent expliqué, dans de nombreux départements, le résultat des élections.
Mon exemple prouve donc qu’un simple conseiller municipal ou départemental peut bien connaître ses dossiers, à condition de faire l’effort de travailler. La vraie problématique est là.
Mme Éliane Assassi. On l’a assez entendu !
Mme la présidente. Mon cher collègue, votre temps de parole est épuisé.
M. Jean Louis Masson. Je reviendrai, madame la présidente !
Mme la présidente. Je n’en doute pas !
Y a-t-il un orateur contre la motion ?...
Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Il est vrai que le débat est passionnant et passionné, mais il serait tout de même bon de faire preuve de retenue dans les propos tenus à la tribune. Car à force de trop caricaturer et dénigrer, on finit par nous dénigrer nous-mêmes.
Mme Françoise Gatel. Absolument !
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Je ne sais pas ce que signifie la notion de « cumulard ». Comme je l’ai dit dans mon propos, il s’agit pour moi de complémentarité.
Monsieur Masson, nous pouvons avoir des désaccords, mais il faut s’exprimer avec retenue pour la qualité de nos débats et, surtout, pour l’image de notre institution.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Avis défavorable. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Je partage totalement le propos de M. le rapporteur. Vous le savez, le ministère de la ville est rattaché au ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Dans la fonction qui est la mienne, je ne peux pas rester sans réaction quand j’entends parler d’élus qui « profitent » du système.
Je ne connais pas d’élus qui profitent du système ; je connais des élus qui sont engagés pour l’intérêt général, des élus qui se retroussent les manches pour leur commune et leurs administrés. Je connais également les élus des assemblées, qu’il s’agisse de l’Assemblée nationale ou du Sénat, qui font la loi avec cet esprit qui anime chacune et chacun d’entre vous : œuvrer pour l’intérêt général et la construction de politiques publiques efficaces.
On peut effectivement avoir des désaccords, comme vient de le rappeler M. le rapporteur – je suis bien placée pour le savoir, puisque nous sommes opposés à cette proposition de loi organique –, mais il faut raison garder. Soyons vraiment à la hauteur des débats qui doivent être les nôtres ce soir et respectons chacune et chacun d’entre nous, ainsi que les élus qui agissent quotidiennement sur les territoires. Je tiens vraiment à leur rendre un hommage appuyé ce soir au sein de cette assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
Mme Françoise Gatel. Très bien !
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 26, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Gatel. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Marie-Pierre Richer applaudit également.)
Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier M. le rapporteur pour la qualité de son travail et de ses propositions sur ce sujet quelque peu difficile.
Je veux également saluer le président de mon groupe, Hervé Marseille, pour son initiative, qui peut apparaître aux yeux de certains comme une audace politiquement incorrecte, mais aux yeux de beaucoup de nos concitoyens comme une proposition pertinente et sage, car elle permettra de contribuer à l’efficacité de l’action publique.
La loi de 2014 sur le non-cumul des mandats est née, nous a-t-on dit, d’une volonté de « modernité », afin de mettre fin à une antique extravagance française.
Chacun connaît le poids des mots. Comme l’ont rappelé M. le rapporteur et Mme la ministre, celui de « cumul » est entaché de suspicion et de culpabilité. Il s’est diffusé comme un poison populiste et démagogique, extrapolant ce qui était plutôt une critique de l’addition des indemnités des élus.
En 2014, les promoteurs de l’interdiction du cumul avaient alors expliqué que ce dernier était la cause de la grave crise de confiance entre les citoyens et les élus. La loi nous guérirait de tous les maux et régénérerait la démocratie.
Où en sommes-nous sept ans plus tard ? La loi guérisseuse n’a rien guéri, eu égard à la constante augmentation du taux d’abstention à chaque élection.
La double fonction élective serait une aberration antique comparée à d’autres pays comme l’Allemagne. Dire cela, c’est nier les réalités et oublier que l’Allemagne est un pays fédéral quand la France est une République très centralisatrice, voire concentrée. C’est également oublier que, dans une petite collectivité, il est extrêmement difficile de freiner les injonctions d’une administration fort contraignante.
Les auteurs de la loi organique de 2014 expliquaient savamment qu’il était humainement impossible d’assumer en même temps une fonction d’exécutif local et une fonction élective nationale, considérant sans doute que les 35 heures étaient la norme du temps de travail des parlementaires.
Mais, curieusement, cette même loi a permis de cumuler l’exercice d’un mandat national et une activité professionnelle à plein temps. Tout aussi curieusement, elle a laissé la possibilité d’être maire d’une grande ville, président d’une métropole et président de nombreux syndicats. Cette règle de 2014 était somme toute fort partiale, oubliant qu’une fonction exécutive locale s’exerce en équipe, qu’un maire ou un président d’EPCI est un chef d’orchestre qui fixe le cadre, mais pratique la délégation et la responsabilisation de l’ensemble de son exécutif.
L’interdiction d’un double mandat aurait permis le renouvellement de la classe politique ? J’en doute. En fait, la loi a renforcé le pouvoir de partis politiques, qui ont, dès les élections municipales de 2014, favorisé l’implantation locale d’hommes et de femmes du sérail.
Cette interdiction aurait aussi renforcé la démocratie, nous disait-on. C’était oublier qu’un électeur reste toujours libre de son vote et du choix de son candidat et que, très souvent, des citoyens dont le maire était parlementaire le reconduisaient dans ses fonctions municipales, car ils trouvaient que son efficacité était renforcée et que cela servait la commune.
On nous dit que le parlementaire garde un lien avec le terrain et n’est en rien hors sol, puisqu’il peut toujours exercer un mandat délibératif de conseiller.
Mais, chers collègues, qui ici peut nous faire croire que la fréquentation assidue et fort louable des inaugurations suffit à conférer la connaissance de la gestion des collectivités ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Marques d’agacement sur les travées des groupes CRCE et SER.) Qui peut ici affirmer qu’un mandat délibératif est comparable à une fonction exécutive ? L’interdiction a-t-elle servi l’efficacité et l’intelligence de la loi et de l’action publique ? Je le dis clairement : non ! Car qui n’entend pas régulièrement nos concitoyens ou des élus dire que les lois sont trop souvent hors sol, sans doute généreuses dans l’idée, mais parfois impossibles à mettre en œuvre ? De nombreux sénateurs ont encore aujourd’hui une expérience exécutive, qui leur permet d’affûter, d’enrichir et de perfectionner des lois trop souvent dépourvues d’étude d’impact préalable.
Mes chers collègues, le groupe UC soutiendra avec forte conviction la présente proposition de loi organique, pas seulement parce qu’elle émane de son président, mais surtout parce qu’elle est pertinente. Elle est pertinente, parce qu’elle naît de l’évaluation des effets d’une loi censée restaurer la confiance dans la démocratie, mais qui n’a pas tenu ses promesses. Elle est pertinente, parce qu’elle est mesurée, acceptable et comprise par l’opinion publique, contrairement à ce que j’entends ici ou là.
Certains la trouvent inacceptable, alors que d’autres la trouvent trop restrictive. C’est sans doute la preuve qu’elle est extrêmement mesurée, parce qu’elle est justement calibrée, avec le recours à un seuil. Je ne suis pas fanatique des seuils, qui sont toujours frustrants, voire castrateurs. Mais ce seuil est nécessaire et satisfaisant, car il tire sagement les leçons des critiques faites aux élus, qui sont parfois justifiées, mais aussi savamment et démagogiquement amplifiées par les fervents apôtres du populisme.
Osons, par cette proposition de loi organique, réaffirmer la valeur de l’engagement des élus, qui sont les essentiels de la République et d’une démocratie où chaque citoyen peut, lui aussi, devenir librement un élu ! Affirmons clairement que, si les élus sont naturellement soumis aux lois de la République, nous refusons l’éternelle suspicion et le procès en culpabilité, ce poison du populisme et de la démagogie qui menace, bien au-delà de nos petites personnes, notre démocratie !
Nous regagnerons la confiance de nos concitoyens par l’efficacité de l’action publique. Cette proposition de loi organique y contribue, avec raison et sagesse.
Madame la ministre, je vous invite à porter au Président de la République, qui réfléchit à des nécessités d’évolution, cette excellente proposition du Sénat, qui doit aller au-delà d’un simple débat entre nous. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis les lois de 1985, 2000 et 2014, les possibilités de cumul des mandats et des rémunérations des fonctions parlementaires ont été considérablement réduites.
Toutes ces lois répondaient à la même volonté sincère de moderniser et de moraliser la vie publique, en tous cas de la rendre plus transparente, afin de donner plus d’efficacité au mandat parlementaire.
L’objectif est-il atteint ? Les auteurs de la proposition de loi organique semblent répondre par la négative, puisqu’il est envisagé de revenir partiellement sur l’une des lois les plus emblématiques en la matière, la loi organique du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.
L’article 1er de la proposition de loi organique modifie ainsi l’article L.O. 141-1 du code électoral en rendant les mandats de député ou de sénateur compatibles avec les fonctions de maire, de maire d’arrondissement, de maire délégué et d’adjoint au maire pour les villes de moins de 10 000 habitants.
Il faut le souligner, ce nouvel article ne revient pas sur une éventuelle possibilité de cumul avec une fonction exécutive locale intercommunale ou au sein d’un syndicat mixte, pourtant elles aussi garantes d’une certaine « réalité des territoires », appelée de ses vœux par Hervé Marseille dans l’exposé des motifs.
Mes chers collègues, au RDSE, nous avons la proximité et l’efficacité territoriale chevillées au corps. À ce titre, nous sommes attachés au fait que les parlementaires, et a fortiori les sénateurs, puissent s’appuyer sur une expérience locale passée ou continuer de siéger dans des exécutifs locaux, dans des conseils municipaux, des syndicats mixtes, des EPCI pour nourrir leur travail, comme le permet le code électoral.
Toutefois, nous devons constater que, depuis sept ans, la fin du couple sénateur-maire ou député-maire est plutôt bien acceptée par nos concitoyens et qu’un retour en arrière dans un contexte d’abstention importante serait contre-productif.
Par ailleurs, le travail des maires, adjoints ou délégués de villes de moins de 10 000 habitants est très intense, d’autant plus que ces élus disposent en proportion d’une administration territoriale en moindre effectif pour épauler leur action.
L’article 2 de la proposition de loi organique initiale prévoyait que les sénateurs ou députés-maires ne bénéficient pas de rémunération pour leur mandat local. Je suis en accord avec sa suppression par la commission des lois. Je le sais bien, vous souhaitiez préciser que les sénateurs ou députés concernés ne tireraient aucun avantage financier d’une telle mesure. Je crains cependant que nous n’adressions un mauvais message à l’ensemble des élus dépositaires d’un mandat public, pour lesquels nous demandons une juste rémunération et la reconnaissance de leur travail.
Je terminerai en formulant deux remarques.
Rappelons d’abord que le paysage de la décentralisation a considérablement changé depuis 2014. La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a modifié les lieux d’exercice du pouvoir et de l’efficacité territoriale. Aujourd’hui, le cumul des mandats auquel nous assistons est horizontal et – il faut le dire – assez silencieux, puisqu’il concerne des désignations internes aux conseils municipaux, départementaux et exécutifs intercommunaux.
Il est temps aujourd’hui d’ouvrir la question de la régulation du cumul horizontal, car il existe aussi quelques cumuls de fonctions des plus chronophages.
Mes chers collègues, nous pouvons introduire davantage de transparence et d’équité dans ces multiples fonctions. Ne nous en privons pas.
Ma dernière remarque concerne l’expression de parlementaires ou d’élus « hors sol ». Est-il du ressort de la loi de décider qui est un élu ou un parlementaire « hors sol » ? N’est-ce pas au candidat de faire valoir sa parfaite connaissance du territoire, ses liens avec les élus et d’en faire un argument d’efficacité ? N’est-ce pas à l’électeur qu’il reviendra de se prononcer ?
Mme Françoise Gatel. Justement !
M. Jean-Yves Roux. C’est aussi cela la grandeur de la démocratie représentative.
Vous l’avez compris, les membres du groupe RDSE voteront majoritairement contre la présente proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Je voudrais tout d’abord faire une mise au point. Je n’ai jamais mis en cause le travail des maires. Ce que j’ai mis en cause, ce sont les parlementaires qui veulent cumuler leur mandat avec des fonctions exécutives. C’est ce cumul qui n’est pas normal !
Comme l’ensemble des collègues dans cet hémicycle, je suis tout à fait conscient de l’énorme travail des maires et, étant à leur contact, je me garderai bien de formuler un avis négatif à leur égard.
En revanche, j’ai formulé un avis extrêmement négatif contre ceux qui, à l’époque, étaient sénateur-maire ou député-maire et profitaient du système. Et je ne retire strictement rien de ce que j’ai dit !
Que cela fasse plaisir aux uns ou aux autres, je ne vois pas pourquoi certains pourraient accuser les parlementaires refusant le cumul d’être des élus hors sol sans que ces élus prétendument hors sol ne puissent pas dire ce qu’ils pensent aux cumulards ou à ceux qui aspirent à en devenir !
Je me réjouis que tous les intervenants dénoncent le cumul horizontal, car c’est effectivement un vrai scandale. Que des gens puissent cumuler un stock de fonctions et de mandats électifs locaux sans qu’il y ait de véritable limite, c’est un scandale ! J’ai donné l’exemple tout à l’heure de maires de très grandes villes également présidents de métropole, vice-président de grande région ou de grand département.
Dans ces conditions, au lieu d’une proposition de loi permettant aux parlementaires de cumuler, il aurait fallu faire une proposition de loi pour qu’à l’échelon territorial et local, des règles strictes s’appliquent à tous ces petits féodaux. La décentralisation a du bon, mais nous avons aussi créé des petits féodaux, qui cumulent de très grosses fonctions exécutives locales. Cela pose d’énormes problèmes. Il aurait fallu faire une proposition de loi pour limiter les cumuls horizontaux !
Aujourd’hui, nous examinons une proposition de loi qui sert d’abord les députés et les sénateurs. Vous me répondrez qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, mais je ne suis pas du tout d’accord avec cette logique-là !
Au lieu de régler le problème des cumuls horizontaux, sur lequel tout le monde est d’accord, il valait mieux se servir soi-même, en espérant devenir maire d’une ville de 10 000 habitants, siéger dans une intercommunalité, et revenir à l’état antérieur.
Mme la présidente. Votre temps de parole est écoulé, mon cher collègue.
La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Éric Kerrouche. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, Jules Simon, alors sénateur, déclarait en 1892 que le cumul des mandats avait pour effet qu’un citoyen d’une démocratie assume à lui seul plus de pouvoir qu’aucune aristocratie ne pourrait lui donner.
Qu’est-ce que le cumul des mandats ? Pour faire simple, il s’agit de la monopolisation de la représentation politique par un groupe réduit d’individus caractérisés par une multipositionnalité qui nuit à l’efficacité du travail local ou parlementaire et au contrôle démocratique.
Depuis désormais des décennies, cette exception française a été décrite, disséquée et critiquée dans la littérature tant parlementaire que scientifique.
Plus précisément, depuis 1985 et le lancement du mouvement de décentralisation, des lois ont tenté d’encadrer ce cumul, majoritairement sur l’initiative de gouvernements de gauche, sans que ces avancées aient été remises en cause.
Par un sens du timing surprenant, tant le cumul de mandat est un symbole pour l’opinion publique, la proposition de loi organique que nous examinons vise à revenir sur ces avancées démocratiques. Bref, aujourd’hui, nous sommes en plein retour vers le futur !
L’argument principal est classique : l’affaiblissement local des parlementaires en ferait des élus déconnectés. Pour feindre de rendre cette proposition acceptable, les auteurs cantonnent le dispositif aux communes de moins de 10 000 habitants, et avaient initialement supprimé l’indemnité élective, dans une disposition retirée du texte en commission.
D’une part, les lois en vigueur ne prévoient pas de mandat unique. Les parlementaires peuvent toujours cumuler.
M. Joël Bigot. Très bien !
M. Éric Kerrouche. D’autre part, le seuil arbitraire de moins de 10 000 habitants se justifierait par une « charge de travail réaliste ». Cette disposition concernerait donc 97 % des communes françaises. Dans le dernier baromètre AMF-Cevipof au mois de novembre 2019, les maires des communes de 1 000 à 3 500 habitants déclarent consacrer 35 heures hebdomadaires à leur mandat, contre 45 heures hebdomadaires pour les maires des villes de 3 500 à 10 000 habitants. Ils apprécieront la valorisation de leur travail, d’autant que les premiers sont généralement moins dotés en services.
À cet argument de risque de déconnexion, qui pourrait concerner toutes les démocraties, mais ne s’applique bien entendu qu’à la nôtre, la sagesse populaire répondra : « Qui trop embrasse mal étreint. » La majorité sénatoriale fait sienne cette formule en critiquant certains cumuls de mandats horizontaux encore en vigueur.
Jean-Pierre Worms, alors député, après avoir été un chercheur reconnu, déclarait en 1985 que le cumulant doit essuyer la double critique permanente de ne pas être assez présent sur le terrain et d’être trop absent du Parlement et que le cumul représente une charge de travail qu’aucun élu, quels que soient son sens de l’organisation et ses capacités personnelles, ne peut prétendre assurer et maîtriser totalement.
Depuis, différents travaux de politistes et de sociologues, comme Laurent Bach, Abel François, Martial Foucault, Julien Navarro ou Raoul Magni-Berton, s’accordent sur les effets délétères du cumul sur la fonction législative, sur la fonction locale ou sur les deux.
Si l’expérience locale enrichit le travail parlementaire, pourquoi cela devrait-il se traduire par l’exercice simultané de plusieurs mandats ?
M. Jérôme Durain. Très bien !
M. Éric Kerrouche. Sommes-nous réellement déconnectés, isolés dans nos circonscriptions ? Non, je ne le crois pas !
Si l’absence de cumul nuit, faut-il considérer que les travaux du Sénat sont de piètre qualité depuis 2017 ? Avons-nous été de si mauvais législateurs ? Je ne le crois pas non plus ; je ne parle pas des cas où le Gouvernement rend notre travail difficile.
À l’inverse, si la fonction parlementaire est indispensable à l’avancement des dossiers locaux, comme certains le prétendent, faut-il par souci d’égalité donner un siège à tous les maires et responsables d’exécutif de France ? C’est, bien entendu, impossible. Faudrait-il alors entériner une inégalité de fait entre les territoires et consacrer la supériorité des intérêts particuliers de certains au détriment de tous les autres ? Je ne le crois pas non plus. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Quelles sont les causes de cette singularité française dont nous parlons ce soir ?
S’il est naturalisé, le cumul des mandats n’est pas une normalité. Il est historiquement une des caractéristiques majeures du système politique français, exacerbée après 1958 à cause de la faiblesse du Parlement sous la Ve République. En 2012, 75 % des parlementaires exerçaient une fonction exécutive locale, soit deux fois plus que sous la IIIe République. Comme le résume Jean-Éric Gicquel, les parlementaires diminués par le régime présidentialiste établi depuis 1958 ont trouvé un formidable exutoire dans l’exercice du pouvoir local. Dit autrement, on peut d’autant plus cumuler que le Parlement est faible. Nous déplorons suffisamment cette situation pour ne pas avoir à légiférer pour l’entretenir. (Marques d’agacement sur les travées du groupe UC).
Le cumul de mandats est une adaptation du système politique français à son système administratif. Il dénote surtout un rapport maladif à la centralisation. Michel Debré, le décrit en 1955 comme un des procédés de la centralisation française, et le rapport Guichard de 1976 le pointe comme l’agent de la centralisation.
Bref, cette proposition de loi organique va pour nous à rebours du titre qu’elle affiche. Elle consacre le rôle périphérique du Parlement, et elle contribue à l’affaiblissement des collectivités, en les considérant comme accessoires, hors du recours à la centralité. C’est tout ce que nous combattons sur ces travées.
Le cumul est une sorte de maladie auto-immune : nous nuisons nous-mêmes à notre propre santé démocratique. (Mme Françoise Gatel s’exclame.)
Alain Peyrefitte expliquait bien l’illusion représentée par un tel système, jugeant que celui-ci ne pouvait s’accomplir « qu’en raison de la minceur de ces fonctions électives » et avait « pour effet de la perpétuer. » Il ajoutait : « Apparemment, le cumul donne de la force à l’élu. En réalité, il affaiblit le pouvoir représentatif […]. »
Pourquoi alors souhaitons-nous le maintien des dispositions en vigueur ? Tout simplement pour assurer le bon fonctionnement de nos institutions démocratiques et conforter autant que faire se peut la confiance des citoyens dans les élus.
Les réponses ont été apportées depuis longtemps, du rapport Guichard au rapport Jospin en passant par les rapports Debarge, Léotard, Worms, Roman, Vedel ou Balladur.
De quoi la République a-t-elle besoin? Nous allons être d’accord. Elle a besoin d’un Parlement qui exerce pleinement ses missions, de collectivités locales reconnues et respectées et d’une vie politique qui se renouvelle.
Je fais volontiers mien le titre du rapport commis par nos collègues François-Noël Buffet et Georges Labazée en 2013 : Valoriser les mandats par le non-cumul.
C’est bien le Parlement et non le cumul qu’il faut renforcer, en dotant les parlementaires de plus de moyens pour leur permettre d’exercer leurs fonctions de contrôle et d’évaluation des politiques publiques. C’est un Parlement puissant qu’il nous faut, comme dans d’autres démocraties occidentales.
C’est bien le gouvernement local qu’il faut reconnaître et valoriser, notamment en consacrant un vrai statut de l’élu. Plus on décentralise, plus les fonctions exécutives requièrent du temps et des connaissances, et plus le problème des conditions matérielles d’exercice des mandats locaux se pose.
À défaut, c’est la logique assurantielle du cumul qui est privilégiée au détriment de la démocratisation des fonctions électives. La décentralisation portait en effet la promesse de la démocratie locale, et non pas celle de la construction de baronnies locales généralement masculines.
Pour décrire le cumul, Yves Mény parle de la « stratégie du baobab », cet arbre dont la majesté interdit aux autres plantes de grandir dans son ombre. Il illustre ainsi la concentration du pouvoir et l’assèchement de la compétition électorale, au détriment d’une démocratie pluraliste qui laisse vraiment une place aux femmes, aux jeunes, aux personnes issues des classes populaires et à la diversité. En 2014, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes qualifiait la limitation du cumul comme « un atout décisif pour la parité ».
Vous l’aurez compris, nous sommes formellement et strictement opposés à cette régression législative, qui donnera par ailleurs du Sénat l’image d’une institution conservatrice et déconnectée, ce que nous combattons. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et RDSE. – Protestations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous pouvons échanger des vues différentes sur ce sujet dans le respect mutuel.
Souvenons-nous que l’exercice de mandats électifs reçus des électeurs suppose un dévouement à la chose publique. Cette remarque s’applique tant aux mandats parlementaires qu’aux missions d’administration locale.
L’état du droit et des mœurs va aujourd’hui en faveur de la fin de cette situation ancienne longuement discutée. La loi en vigueur autorise le cumul des mandats, puisque les mandats parlementaires et électifs d’administration locale sont cumulables, dans la limite d’un mandat local.
Il n’est pas exact, et il est hâtif, me semble-t-il, d’argumenter en disant que l’absence d’accès des parlementaires aux missions exécutives locales les prive de la connaissance de la vie du terrain. D’ailleurs, nombre d’entre nous avons été à nouveau candidats, aux élections municipales en 2020 ou aux élections régionales et départementales en 2021, en ayant le sentiment que ces candidatures étaient de nature à enrichir notre mandat législatif et apporter une certaine utilité à nos collectivités territoriales.
Les capacités des parlementaires à exprimer leur besoin et à porter leur projet pour les collectivités territoriales sont maintenues, me semble-t-il, à condition que l’exercice du mandat soit tourné vers l’écoute et le contact local, dans une démarche coopérative et non d’autorité.
Cette proposition de loi organique vient tenter de rompre cette situation. Très respectueusement, je voudrais dire que si l’argumentaire développé est tout à fait soutenable, nous ne le trouvons pas convaincant.
Il nous semble que les parlementaires, y compris ceux qui ont fait le choix de ne pas exercer de mandat local, disposent de nombreuses possibilités pour se trouver au contact des électeurs, à l’écoute de leurs problèmes, et pour s’informer de toutes les difficultés du terrain. En utilisant les ressources légales substantielles qui sont les nôtres, toute une série d’interventions réelles proches du dialogue effectif avec les intéressés est possible dans l’exercice de notre mandat parlementaire lui-même.
L’exigence de disponibilité ne nous paraît pas permettre de rétablir un cumul du mandat parlementaire avec les fonctions exécutives. D’autres collègues l’ont rappelé, la charge de travail et l’exigence de disponibilité d’un élu exécutif dans une commune de moins de 10 000 habitants ne sont pas inférieures à celle du leader d’une grande collectivité qui dispose de moyens humains de soutien incomparablement supérieurs. L’idée de rétablir un cumul de fonctions exécutives dans des communes plus petites, dans lesquelles la mission serait censée être plus légère, ne nous paraît donc pas véritablement justifiée.
Nous ne suivrons donc pas cette proposition, qui ne nous semble pas de nature à rapprocher les citoyens des parlementaires.
Cela n’empêche pas, comme d’autres collègues l’ont dit, d’autres débats connexes.
D’une part, nous devons signaler l’absence totale de limitation, sauf par un biais financier, du cumul de responsabilités exécutives détenues par des élus locaux. Nous sommes parfois les témoins de situations d’accumulation de responsabilités, peut-être obtenues par les plus habiles des élus territoriaux, qui arrivent à un excès. Il faudra, me semble-t-il, légiférer sur le sujet.
D’autre part, après la suppression de la réserve parlementaire en 2017, nous avons vu se manifester dans toute une série d’assemblées départementales une pratique de cassettes mises à la disposition de chaque élu territorial, totalement libres d’emploi, qui ne nous paraît vraiment pas conforme au principe du bon emploi des deniers publics. Cette pratique devrait elle aussi faire l’objet d’une réglementation.
En définitive, le débat se résume à la conception que nous avons de notre propre mission de législateur. Comment concevons-nous notre mission de représentants du peuple ? Si nous l’exerçons avec plénitude, dévouement et guidés par une volonté de contact avec nos concitoyens, et si, lors de tous nos débats ici, nous tirons les conséquences de ce que nous entendons de nos concitoyens et suivons notre propre conscience, il me semble que la République peut être bien défendue par les parlementaires, et que nous n’avons pas besoin de les charger de missions maintenant bien exercées par d’autres.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Alain Marc. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens au préalable à saluer la qualité du travail de notre rapporteur.
Le cumul des mandats est l’une des nombreuses victimes de la démagogie. Son interdiction, en 2014, pendant le quinquennat socialiste, a été obtenue en cédant à une petite musique simple et facile – « les cumulards sont d’affreux profiteurs » –, jouée sur l’air de « les politiques, tous des pourris ! »
Nous savons bien, au sein de la chambre des territoires, que la réalité est beaucoup plus complexe. Nous avons presque tous exercé des mandats locaux avant notre mandat parlementaire. Nous savons à quel point ces fonctions peuvent permettre au parlementaire d’être connecté au terrain et de comprendre en profondeur la réalité vécue par les élus locaux et nos concitoyens.
Nous savons aussi que tous les cumuls ne sont pas logés à la même enseigne. Il est insupportable aux yeux de certains que les parlementaires puissent exercer pendant leur mandat une fonction exécutive au sein d’une collectivité territoriale, fût-ce une commune de moins de 100 habitants, mais il leur semble apparemment parfaitement normal que le cumul soit possible entre les différentes responsabilités et présidences d’exécutif local.
Les positions dogmatiques sont souvent préjudiciables aux réalités du terrain. Cela explique peut-être pourquoi l’enquête réalisée à la demande des auteurs de la proposition de loi organique laisse apparaître que 54 % des sondés se disent favorables au cumul des mandats tel qu’envisagé par le texte. Il est en revanche peu probable que les sondés aient compris que les communes de moins de 10 000 habitants représentaient en réalité la quasi-totalité, soit 97 %, des communes de France. Il est de même assez peu probable que ce score en faveur du cumul reste identique à présent que le non-cumul des indemnités doit être abandonné, quand bien même celles-ci seraient écrêtées. C’était constitutionnellement nécessaire, mais le non-cumul d’indemnités était politiquement indispensable.
Sur le terrain, beaucoup d’élus locaux regrettent l’interdiction du cumul. D’autres y sont fortement attachés. Il est bien difficile de déterminer avec précision les effets réels qu’entraîne cette interdiction pour notre démocratie.
Certains parmi nous ont rappelé que l’interdiction adoptée en 2014 l’avait été à la suite d’enquêtes d’opinion. À cet égard, plusieurs exemples sont venus enrichir, ces dernières années, une sagesse populaire qu’il nous faut faire nôtre, surtout en cette période sondagière : « Souvent sondage varie, bien fol est qui s’y fie. »
Enfin, la question se pose de savoir s’il est opportun de changer les règles quatre ans après leur entrée en vigueur.
Bien entendu, en liant plus étroitement les collectivités territoriales avec le Parlement, le cumul des mandats pourrait permettre de renforcer l’ancrage territorial des parlementaires. Certains cumuls ont effectivement nourri des mandats parlementaires, mais d’autres n’ont pas apporté grand-chose.
En l’état du droit, les parlementaires peuvent déjà exercer un mandat local non exécutif sans tomber sous le coup de l’interdiction du cumul. Certes, un tel mandat donne, lui aussi, accès à la réalité que vivent nos collectivités. Mais ce n’est probablement pas suffisant.
Nous comprenons le sens de la proposition de loi organique : maintenir vivant le lien entre les Français et leurs élus. C’est un sujet qui doit tous nous préoccuper. Au-delà de la question du cumul se trouvent celle de l’engagement de chaque élu et celle de la place que nous accordons à l’élu au sein de la République et du statut que nous voulons lui donner. Les parlementaires doivent pouvoir remplir au mieux leur mission de représentation de nos concitoyens.
Dans la lutte contre cette déconnexion, et au-delà des idées préconçues, il faut reconnaître qu’il existe des arguments favorables au cumul des mandats, mais également des arguments contre.
Ainsi, sur ce sujet, chacun des membres du groupe Les Indépendants votera en fonction de ses convictions. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Rémy Pointereau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi organique déposée par le président du groupe Union Centriste, Hervé Marseille, et nos collègues membres de ce groupe. Ce texte vise à corriger une erreur commise par la loi organique du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, qui a mis fin au cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de parlementaire. Et de quelle manière !
Cela s’est fait en présentant des arguments agréables aux oreilles des populistes, en dénonçant vulgairement les avantages et les indemnités associés, sans jamais préciser qu’il existait déjà une règle de plafonnement, en montrant du doigt un prétendu accaparement de pouvoirs, en laissant entendre que ceux qui cumulaient n’étaient pas élus démocratiquement. Le comble est que l’on a pris pour exemples des cas qui allaient peut-être trop loin – des élus étaient à la fois maires d’une grande ville, présidents d’une métropole et parlementaires – pour imposer cette fausse bonne idée à tout le monde, sans différenciation. Parce que la pulsion et la démagogie l’ont emporté sur la réflexion, nous sommes passés, comme souvent, d’un extrême à l’autre.
J’en veux pour preuve les paradoxes qui entourent la règle du non-cumul. Ainsi, en horizontal, on peut aujourd’hui être, simultanément, maire d’une très grande ville, président d’une métropole et vice-président d’une région.
M. Guy Benarroche. C’est scandaleux !
M. Rémy Pointereau. Mais on interdit à un parlementaire d’être maire d’une commune rurale de 500 habitants, adjoint au maire ou vice-président d’un conseil départemental. Cherchez l’erreur !
Nous avions pourtant tenté, par le passé, de moduler l’interdiction en fonction d’un seuil démographique, pour rappeler que le maintien d’un niveau de cumul permettait de ne pas tomber dans le « hors sol » ou la déconnexion du terrain, ce que nous observons aujourd’hui. Une fois de plus, nous avons eu tort d’avoir raison trop tôt.
Longtemps après la mise en place du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, qui a renforcé le régime présidentiel au détriment du Parlement, la règle du non-cumul et – j’irai plus loin – la fin de la réserve parlementaire…
M. Roger Karoutchi. Ah !
M. Rémy Pointereau. … sont venues achever ce long processus de dépouillement des parlementaires et ont diminué l’attractivité de cette fonction, comme l’a souligné notre excellent rapporteur, Stéphane Le Rudulier.
Il aura fallu attendre le mouvement des gilets jaunes et, plus précisément, le grand débat national pour que le sujet du cumul revienne à la charge.
M. Vincent Segouin. Tout à fait !
M. Rémy Pointereau. À cette occasion, ce sont les élus locaux et non les parlementaires qui ont interpellé le Président de la République, afin de lui demander à celui-ci de corriger la copie en rétablissant, au travers du cumul de mandat, une « République de proximité ».
M. Vincent Segouin. Absolument !
M. Rémy Pointereau. Le Président de la République avait répondu : « Je suis assez partisan de redonner du temps au législateur pour aller sur le terrain ». Il avait ajouté : « C’est à vous, maires, et aux parlementaires d’avoir ce débat. » Nous l’avons aujourd’hui.
Au lendemain de cette annonce, le 14 juin 2019, j’avais déposé une proposition de loi organique, cosignée par 85 sénateurs de la droite et du centre, qui donnait résonance à l’invitation d’Emmanuel Macron, en rendant possible la complémentarité – je préfère ce mot à celui de cumul, qui a une connotation péjorative – entre le mandat de parlementaire et celui de maire, avec un seuil de 9 000 habitants, ou de président d’une communauté de communes, avec un seuil de 15 000 habitants. Je regrette évidemment que mon initiative n’ait pas été inscrite, à l’époque, à l’ordre du jour du Sénat. Mais je me réjouis de l’inscription de celle de notre collègue Hervé Marseille.
La présente proposition de loi organique rend possible la complémentarité entre le mandat de député ou de sénateur et les fonctions de maire ou d’adjoint au maire dans les communes de 10 000 habitants ou moins, parce que je suis de ceux qui ont toujours été persuadés qu’un certain niveau de complémentarité entre ces mandats est nécessaire pour le bon fonctionnement de notre République, parce que je pense qu’un élu doit marcher sur ses deux jambes, le local et le national, pour mieux comprendre les difficultés du terrain et parce que je crois à la démocratie des libertés, c’est-à-dire celle qui laisse à l’électeur le soin de choisir en qui il place sa confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le groupe Les Républicains soutiendra cette proposition de loi organique telle qu’amendée par la commission des lois sur proposition de son rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous représentons les collectivités territoriales de la République. L’article 24 de notre Constitution exprime bien ce que nous sommes.
N’en déplaise à certains, l’interdiction du cumul d’un mandat de membre d’un exécutif local avec celui de député ou de sénateur est une bonne chose. Il n’est pas question de nier ou d’effacer l’apport d’un ancrage local. Il s’agit simplement d’éviter de concentrer les pouvoirs aux mains de certains. Il est paradoxal et incongru de penser qu’un ancrage local ne pourrait exister qu’au travers d’une position de membre d’un exécutif local. Le fait d’être un « simple » conseiller municipal, départemental ou régional ne serait pas, selon vous, suffisant.
Pour ma part, je suis conseiller municipal et ne suis plus maire ni adjoint. Pour autant, je reste à l’écoute de mes collègues, ancrés dans le territoire. Je ne crois pas avoir perdu de lien avec le terrain. Tout dépend de la manière dont on exerce son mandat !
M. Jérôme Durain. Très bien !
M. Guy Benarroche. Au vu de nos responsabilités de parlementaires, même si vous limitez, au travers de votre proposition, la taille des communes concernées, je reste plus que perplexe face à la nécessité d’exercer simultanément plusieurs fonctions.
Vous avez évoqué les colères exprimées par les gilets jaunes et l’abstentionnisme croissant. Mais avez-vous entendu les griefs ? Comment pouvez-vous déduire que ce que les gens réclament est le retour du cumul des mandats ? En même temps, vous continuez de refuser toute initiative de développement de la démocratie citoyenne !
J’ai moi aussi entendu les revendications exprimées à l’époque et je ne pense pas me méprendre en retenant davantage la méfiance à l’égard de la professionnalisation des « carrières politiques », donc le sentiment justifié qu’il est impossible d’occuper en même temps ces différentes fonctions.
À ce titre, vous avez beau jeu d’invoquer le vote comme justification du maintien au pouvoir. Mais le cumul des mandats dans le temps est également un problème. Sans nier l’apport que peut représenter un mandat local, celui-ci n’est aucunement la garantie d’un meilleur dialogue avec le terrain, ainsi que vous le soutenez. S’impliquer dans nos communes sans y exercer le pouvoir exécutif est possible.
Cette proposition de loi organique n’a pour objet et n’aura pour conséquence que de rétablir une concentration des pouvoirs dont les citoyens ne veulent plus. Notre groupe ne peut pas s’y associer.
Vous le savez, c’est par des règles comme celles du non-cumul ou de la parité que de nouvelles personnes ont pu accéder à des responsabilités. Ces nouvelles personnes qui apportent leur expérience, leur point de vue, leur vision, leur relation avec le terrain, leur innovation. L’émergence de citoyens impliqués dans la politique ne peut se produire que si une place leur est laissée par une contrainte légale, comme avec la parité.
Dans ma commune de 6 500 habitants, j’ai été remplacé par un nouvel adjoint. Je me réjouis que celui-ci puisse ainsi exprimer son engagement, faire valoir ses idées et ses solutions nouvelles, qui s’ajoutent aux miennes ; elles ne s’y substituent pas.
Pourquoi concentrer tous les pouvoirs dans les mêmes mains ? Plus il y aura de citoyens qui peuvent le faire, plus nous arriverons à lutter contre le désengagement et le désenchantement à l’égard de notre démocratie représentative. Et je ne parle pas de la charge de travail d’un élu voulant accomplir sérieusement son mandat, souhaitant réellement s’investir dans ses fonctions ! Que représenterait par exemple la charge de travail d’un maire, même d’une commune de moins de 10 000 habitants, qui serait également sénateur ? Combien d’heures de travail, si l’on souhaite faire correctement les choses, cela représenterait-il ? Un tel cumul est impossible, vous le savez très bien.
Ce qui nous nuit et conduit à notre déconsidération, ce n’est pas de ne pas être présent tous les jours dans l’exécutif de nos villages ou de nos villes, c’est de prendre une charge sans en exercer la fonction ; c’est d’être absent soit de notre territoire, soit du Parlement. Mais comment faire autrement si le cumul entraîne une charge trop lourde ? Voilà une des fêlures qui expliquent la perte de confiance des électeurs envers les élus et l’élection.
Vous défendez également la suppression de cette règle en expliquant, à juste titre, qu’il existe encore des cumuls tolérés par la loi et plus nocifs pour notre fonctionnement démocratique, que vous qualifiez d’« horizontaux » : par exemple, le cumul de ceux qui assument en même temps des fonctions exécutives dans une commune, dans une intercommunalité, dans une métropole, dans un département – Martine Vassal – ou dans une région ou même le cumul d’une fonction exécutive locale et d’un portefeuille ministériel. Vous avez raison. Mais tirons-en la seule conclusion cohérente et logique : interdisons ces cumuls nocifs ! (M. Jérôme Durain applaudit.)
Il faut étendre le non-cumul des mandats, et non le restreindre. Certains partis politiques, spontanément et volontairement, imposent déjà cette règle à leurs élus. C’est le cas du mien, Europe Écologie Les Verts.
Notre groupe s’oppose donc avec fermeté à cette proposition de loi organique. Le retour du cumul des mandats n’est pas une solution à notre impasse démocratique. C’est une mesure rétrograde et incompréhensible pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
(Mme Pascale Gruny remplace Mme Nathalie Delattre au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après avoir lu le rapport de M. Le Rudulier sur la proposition de loi organique de M. Marseille, je tiens à affirmer que, si le constat est juste, celui d’un Parlement affaibli et d’une fonction parlementaire abîmée, le remède choisi, celui du rétablissement partiel du cumul des mandats, n’est pas le bon.
L’exposé des motifs de la proposition de loi organique établit d’entrée de jeu un lien entre, d’une part, la colère sociale et l’abstention massive et, d’autre part, la déconnexion supposée des élus avec le réel. Selon les auteurs du texte, cette déconnexion provient pour l’essentiel de l’instauration du principe de non-cumul des mandats, qui concerne – je le rappelle – le mandat de parlementaire et une fonction exécutive locale, un parlementaire pouvant exercer un mandat local, voire deux. Une telle analyse me paraît un peu courte.
En effet, qui peut affirmer ici que l’abstention massive proviendrait du cumul ou du non-cumul des mandats, ou encore d’une déconnexion des élus du réel ?
Si l’on suit le raisonnement des auteurs, l’abstention particulièrement forte lors des élections locales procéderait d’une déconnexion des élus territoriaux du réel, ce qui ne me semble pas être le cas. La crise de la démocratie, qui est évoquée de manière précise par M. le rapporteur, relève de causes beaucoup plus profondes et diverses : économiques, sociales et institutionnelles.
La question posée en filigrane est celle du rôle du Parlement, de son efficacité, de ses prérogatives et de la pertinence de l’action parlementaire.
Oui, l’affaiblissement des assemblées est un fait, et le mode d’élection et la représentativité de celles-ci sont à revoir. Le rapport rappelle la surreprésentation des classes les plus favorisées socialement et le doublement de la représentation, à l’Assemblée nationale, des chefs d’entreprise, dont la proportion est passée de 8 % à 14 %, alors que la présence des ouvriers et employés est quasiment nulle.
La proposition de loi organique ne s’intéresse pas à cette sous-représentation, de même que ses auteurs ne s’intéressent pas à la sous-représentation des jeunes, des personnes issues de l’immigration, comme on dit – certes, je n’aime pas cette formule –, et des femmes.
Mme Françoise Gatel. Pour les femmes, il y a la loi.
Mme Éliane Assassi. Madame Gatel, ce serait bien si vous pouviez écouter les autres. Ce serait respectueux.
Mme Françoise Gatel. Mais j’écoute !
Mme Éliane Assassi. La crise du Parlement n’est-elle pas plutôt à rechercher du côté de l’« hyperprésidentialisation » et de l’inversion du calendrier, qui soumet l’élection des parlementaires à l’effet de souffle de l’élection présidentielle ?
M. le rapporteur nous explique que détenir une fonction exécutive locale permettrait de mieux résister à l’exécutif. C’est un leurre. Il faut déconnecter l’élection législative de l’élection présidentielle et réduire de manière drastique l’influence du chef de l’État dans nos institutions. La verticalité folle, là est le problème. C’est à cette question qu’il faut s’attaquer.
Vous nous dites, monsieur le rapporteur, que l’implantation locale résoudra le problème. Mais 64 % des sénateurs sont des élus locaux, de même que 56 % des députés et même 78 % si l’on retire les députés La République en Marche. (Rires et applaudissements sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
Selon vous, l’implantation locale semble se limiter à la fonction élective. Mais les militants associatifs, syndicaux et politiques ne sont-ils pas implantés localement ?
L’un des arguments que l’on entend souvent est celui d’une baisse supposée de la qualité du travail parlementaire. Ce constat concerne surtout l’Assemblée nationale, du fait du mode de désignation des candidats de La République en Marche aux législatives, sur curriculum vitæ. Mais cela n’a rien à voir avec la question du non-cumul des mandats. C’est un choix politique, un choix d’affaiblissement du Parlement, destiné à assurer la prééminence du chef de l’État.
Chacun loue la qualité du travail sénatorial et l’expertise de la Haute Assemblée, même si cette expertise ne sert pas toujours les idées que je défends. Pourtant, l’application de la règle du non-cumul est la même ici qu’à l’Assemblée nationale. Notons de surcroît que c’est au sein de notre assemblée, où la proportionnelle est présente et même majoritaire, que le travail parlementaire est le plus efficace.
D’autres voies que le cumul des mandats sont donc à rechercher. La question de l’initiative citoyenne et de l’ouverture des institutions, si cruciale pour chercher un nouvel ancrage, non pas local, mais démocratique, est posée.
Mme le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Éliane Assassi. Je ne reviendrai pas, faute de temps, sur les raisons qui nous avaient amenés à voter pour la réforme du non-cumul des mandats. Il y a encore un long chemin à parcourir pour renouer le lien entre le peuple et la politique. Ce ne sera certainement pas en revenant en arrière que nous atteindrons cet objectif.
Le groupe CRCE votera majoritairement contre cette proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Boyer. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’implantation locale et l’ancrage sur le terrain sont essentiels. Ce sont des prérequis pour la construction de politiques publiques connectées aux réalités et au quotidien de nos citoyens.
Étymologiquement, s’implanter, c’est essaimer localement pour mieux gérer nationalement. L’ancrage local est un impératif. Il est essentiel au bon exercice de la fonction parlementaire.
Être parlementaire, c’est parlementer. Comment peut-on parlementer si l’on n’a pas de responsabilité locale ? Il est absolument nécessaire que les parlementaires puissent maintenir un lien de proximité avec le territoire. C’est grâce à leurs mandats locaux que la plupart des parlementaires sont attachés à un territoire. Et le mandat municipal est, sans conteste, le mandat de l’enracinement local.
Ainsi, les députés et les sénateurs seront à même de faire les remontées de terrain tellement nécessaires à la prise en compte des besoins des citoyens. La crise des gilets jaunes a mis en exergue cette problématique.
Le maintien de cet ancrage est encore plus primordial pour les sénateurs, la chambre haute étant, par essence, la représentante des territoires. Nos parlementaires ont besoin qu’un lien particulier soit conservé avec le fonctionnement même des collectivités locales, sauf à être des élus hors sol, sans enracinement. Cela est encore plus essentiel en milieu rural, où de nombreuses communes comptent moins de 1 000 habitants.
Être ancré localement, c’est aussi lutter contre la concentration des pouvoirs, contre la verticalité du Gouvernement, typique de la gouvernance macronienne, jupitérienne, qui a montré ses limites et surtout son inacceptabilité.
À cela s’ajoute le trop-plein de normes générales, dictées par la centralité jacobine, auxquelles doit succéder la confiance en nos élus locaux. Ces derniers ont la connaissance et l’expérience du terrain, que ne possède pas le pouvoir central. Ainsi, depuis 2017, la règle du non-cumul prive les parlementaires d’une assise territoriale personnelle et a pu entraîner leur soumission aux appareils partisans. Des parlementaires déconnectés du terrain, on en voit depuis quatre ans, et ils ne font pas leurs preuves !
Être parlementaire, c’est parlementer. Comment peut-on parlementer si nos citoyens ne peuvent plus nous faire confiance parce qu’il n’y a plus de proximité avec eux ?
La représentativité est en crise. Au besoin de proximité, c’est encore le sentiment d’éloignement qui règne aujourd’hui. Le sentiment d’abandon dans nos territoires, dans notre ruralité, est fort. Est-il normal qu’un parlementaire ne puisse plus être président d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou d’un hôpital local ?
Nos concitoyens retrouveront le chemin des urnes lorsqu’ils auront le sentiment que les décideurs, les élus, l’administration apportent des solutions à leurs préoccupations. Renouer le lien entre mandat de parlementaire et exécutif communal, c’est renouer avec la proximité, ainsi que le suggérait notre collègue Rémy Pointereau dans sa proposition de loi organique visant à garantir une République de proximité. Ce texte envisageait très justement la possibilité d’exercer de manière concomitante un mandat de parlementaire et celui de maire d’une commune de moins de 9 000 habitants ou de président d’une intercommunalité de moins de 15 000 habitants.
De même, la proposition de loi organique de notre collègue Laurent Duplomb relative à l’exercice d’un mandat municipal et d’un mandat local garantissant l’ancrage territorial des parlementaires vise à permettre que tous les parlementaires puissent être conseillers municipaux en plus de détenir un autre mandat local, comme le font aujourd’hui les parlementaires conseillers municipaux d’une commune de moins de 1 000 habitants.
Qu’en est-il du cumul des mandats pour les ministres et les secrétaires d’État ? (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Qu’en est-il de la réserve ministérielle laissée à la discrétion des ministres ? Quelle démagogie ! Quelle hypocrisie !
Mme Françoise Gatel. Eh oui !
M. Jean-Marc Boyer. La suppression de la réserve parlementaire procède de la même logique, celle de l’État jacobin, qui donne du pouvoir aux représentants de l’État et en enlève aux élus de terrain.
Cela est également mis en évidence par le fait que l’avis des parlementaires qui siègent dans les commissions pour la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) n’est que consultatif, et non décisionnel. Pourtant, les sénateurs et les députés sont en contact permanent avec les élus locaux. Leur connaissance des besoins du terrain est beaucoup plus fine que celle du représentant de l’État. Même des besoins correspondant à des montants peu élevés peuvent être très importants pour de petites communes aux moyens budgétaires limités.
Afin de mieux répondre aux besoins, nous proposons donc d’instituer dans l’enveloppe globale de la DETR une dotation parlementaire permettant, en toute transparence, aux députés et aux sénateurs de soutenir un projet de subvention d’un montant inférieur à 100 000 euros.
Je félicite la commission d’avoir conservé la possibilité de percevoir une indemnité dans le cas de cumul prévu par la proposition de loi organique.
Mme le président. Il faut conclure, cher collègue.
M. Jean-Marc Boyer. La question du cumul devrait plutôt être reliée à d’autres réflexions, comme la rénovation et l’amélioration du statut des élus.
Encore une fois, madame la ministre, remettons du lien entre les citoyens et les élus ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Cédric Vial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Vial. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pourquoi faire une nouvelle loi ? Parce que nous sommes nombreux ici à considérer que la situation actuelle n’est pas satisfaisante. Nous sommes nombreux ici à considérer que la loi organique de 2014, qui s’est appliquée en 2017 pour les parlementaires nationaux et en 2019 pour les parlementaires européens, a créé un certain nombre de problèmes en visant à en résoudre d’autres.
La proposition de loi organique que nous allons examiner aujourd’hui, sur l’initiative de nos collègues centristes et de leur président de groupe, Hervé Marseille, a vocation à venir corriger certains des effets jugés néfastes de la précédente loi organique sur le cumul des mandats.
On nous avait prévenus : « Attention, les Français sont contre » ; « Il ne faut pas en parler » ; « Ce n’est pas le bon moment ». Néanmoins, le rôle d’un élu n’est-il pas de mettre en œuvre ce dont la population a besoin plutôt que ce dont l’opinion publique a envie ? C’est cela, agir en responsabilité.
La question que l’on est tous en droit de se poser est de savoir si le cumul de certains mandats doit être possible, s’il est souhaitable ou s’il doit au contraire être rigoureusement interdit. Mon sentiment est qu’il doit être encadré.
De tels débats ne datent pas d’hier. Ils rejoignent ceux, beaucoup plus complexes, qui portent sur le statut de l’élu et sur la professionnalisation de la vie publique. Ils éludent encore la question du cumul des fonctions ou des activités, car nombre des élus locaux qui nous regardent savent qu’il est bien plus difficile de concilier une activité professionnelle avec un mandat d’élu local que de concilier deux mandats locaux. Est-ce une question de disponibilité, une question d’efficacité ou encore une question de pertinence ?
Si l’objectif de la loi organique de 2014 était bien de faire en sorte que les élus restent disponibles et efficaces dans les mandats qu’ils exercent, la question que l’on peut légitimement se poser est : cette loi organique a-t-elle permis de se rapprocher de l’objectif ?
C’est vrai, disons-le clairement, il y a eu des abus de cumuls de mandats et de fonctions. C’est vrai, l’opinion publique ne comprenait pas cette logique de cumul, y voyant d’abord une volonté d’additionner des indemnités, bien que ces dernières soient plafonnées.
Comme nous le concevons souvent en France, selon le fameux principe du balancier, nous sommes passés d’un extrême à l’autre.
M. Laurent Duplomb. Exactement !
M. Cédric Vial. Afin d’apporter une réponse à un problème bien réel, nous en avons créé d’autres, peut-être bien plus importants encore, car ils concernent la représentativité et la légitimité de nos représentants et, par extension, de notre système représentatif tout entier.
Nous ne pouvons pas occulter non plus le fait que le paysage public a changé. Les compétences sont désormais partagées entre plusieurs collectivités ou EPCI. Les intercommunalités ont pris de plus en plus de place sans que leurs fonctions exécutives soient considérées comme des mandats, échappant ainsi à toute règle relative au cumul.
Après l’application de cette loi organique, nous avons créé une nouvelle espèce d’élus, que nous appelons communément « hors sol » ou « déconnectés des réalités du terrain », non de leur propre fait, mais en raison de l’interdiction qu’on leur a opposée de s’impliquer dans la vie locale, comme ils le faisaient jusqu’à présent.
La qualité du travail législatif et des relations des élus avec leurs administrés s’en trouve affectée. Peut-on considérer comme un progrès le fait qu’un sénateur, représentant des collectivités locales, ait l’interdiction d’être membre d’un exécutif afin d’en connaître la vie quotidienne et les contraintes afférentes ? Peut-on considérer comme un progrès qu’il soit possible pour un parlementaire de rester conseiller régional ou conseiller départemental quand, dans le même temps, il lui est interdit d’être adjoint au maire d’une commune de 200 habitants ou de participer à l’exécutif d’un syndicat intercommunal chargé de l’eau potable ?
Notre responsabilité, c’est de proposer un équilibre : un juste équilibre. C’est aussi de prendre en compte les nouvelles attentes de nos concitoyens, qui aspirent à plus de renouvellement, mais aussi à plus d’efficacité de l’action publique. Ils veulent des représentants qui les comprennent et les représentent vraiment.
Nous devons aussi tenir compte du fait que la science n’est pas infuse, que les connaissances ne sont pas seulement académiques et que la légitimité n’est pas absolue.
Lorsque l’on vit la même chose que ceux que l’on représente, il n’est pas besoin de se faire raconter ce qu’ils vivent. C’est en faisant que l’on apprend encore le mieux.
Permettre aux législateurs, comme le prévoit ce texte, d’être à nouveau membres d’un exécutif local, au contact des réalités du terrain, de garder cet enracinement local, n’est pas un retour en arrière. C’est un progrès tiré de l’expérience que nous vivons actuellement.
Ce texte est-il parfait ? Je ne le crois pas.
Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Cédric Vial. Mais il représente une manche gagnée par le bon sens contre l’air du temps. Il permet un meilleur équilibre, sans faire redouter aucun des excès que nous avons connus par le passé.
Ce texte permet d’ouvrir un débat important, non pour ceux qui semblent directement concernés, …
Mme le président. Merci, monsieur Vial !
M. Cédric Vial. … mais pour le sens que nous voulons donner à notre système représentatif et démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous ai écoutés avec attention. J’ai entendu les arguments de ceux qui sont contre cette proposition de loi organique, à l’instar du Gouvernement, et de ceux qui y sont favorables.
J’appuie l’idée qu’il est nécessaire de marcher sur ses deux jambes, entre l’échelon local et l’échelon national. C’est exactement le rôle que nous concevons du parlementaire.
Je réfute l’expression « cumulards » ou celle d’élus « qui profitent du système ». De même, je récuse l’idée qu’un parlementaire sans mandat soit un élu « hors sol » ou « déconnecté du terrain ».
Un parlementaire, c’est un tisseur de lien entre le local et le national. C’est le technicien qui fait la loi, qui l’élabore, qui contrôle l’action du Gouvernement et qui évalue les politiques publiques. Un parlementaire entretient un lien permanent avec les acteurs du territoire qu’il représente. Il s’assure de l’adéquation entre les besoins de nos concitoyens et la loi votée au sein de nos institutions.
Je suis d’accord avec vous, madame Gatel : un parlementaire travaille bien davantage que 35 heures par semaine. C’est aussi la raison pour laquelle il ne nous semble pas opportun de revenir sur la limitation du cumul des mandats.
Il me semble enfin que la condescendance de la sénatrice Éliane Assassi à l’égard des députés de la majorité n’est pas digne d’un débat démocratique. Si nous voulons gagner la confiance de nos concitoyens, commençons par avoir du respect les uns envers les autres.
M. Alain Richard. Très bien ! Il fallait le dire !
Mme Éliane Assassi. Ce que j’évoquais est une réalité !
Mme le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi organique favorisant l’implantation locale des parlementaires
Articles additionnels avant l’article 1er
Mme le président. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 15, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après les mots : « conseiller municipal », la fin du premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral est ainsi rédigée : « , conseiller municipal, conseiller communautaire ou métropolitain. »
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Il s’agit d’intégrer la fonction d’élu communautaire dans le décompte des cumuls autorisés. Un mandat d’élu communautaire est souvent bien plus important qu’un simple mandat d’élu municipal d’une toute petite commune.
Mme le président. L’amendement n° 16, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral, les mots : « d’une commune soumise au mode de scrutin prévu au chapitre III du titre IV du présent livre » sont supprimés.
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Cet amendement vise également à renforcer la limitation des cumuls. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. L’amendement n° 18, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral est complété par les mots : « , conseiller d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre représentant une commune de 1 000 habitants ou plus, conseiller métropolitain ».
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Le présent amendement a pour objet de renforcer la limitation des cumuls de mandats en y intégrant le mandat de conseiller communautaire représentant une commune de 1 000 habitants ou plus et celui de conseiller métropolitain.
Mme le président. L’amendement n° 17, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral est complété par les mots : « , conseiller communautaire ou métropolitain ».
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Cet amendement tend à renforcer la limitation des cumuls de mandats en y intégrant le mandat de conseiller communautaire.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Monsieur Masson, vous proposez de durcir les règles d’incompatibilité entre mandats locaux et nationaux, notamment pour les communes de moins de 1 000 habitants. C’est contraire à l’esprit de cette proposition de loi organique.
Par ailleurs, vous souhaitez supprimer la compatibilité du mandat de conseiller communautaire ou métropolitain avec celui de membre d’un conseil municipal. Or vous oubliez de dire qu’il faut déjà être conseiller municipal pour devenir conseiller métropolitain ou communautaire. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.) L’adoption de vos amendements reviendrait à interdire l’exercice du mandat de conseiller communautaire ou métropolitain à un parlementaire. Cela ne ferait que renforcer le sentiment de nos concitoyens de se trouver face à des parlementaires hors sol.
Les métropoles sont encore naissantes. On constate certains problèmes et dysfonctionnements dans plusieurs métropoles à statut particulier. Peut-être est-il de bon aloi de permettre à un parlementaire de siéger au sein de la métropole de sa région ou de son département.
Pour ces raisons, la commission est défavorable à ces quatre amendements.
M. Vincent Segouin. Très bien !
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. L’amendement n° 19, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au 1° de l’article L.O. 141-1 du code électoral, les mots : « et d’adjoint au maire » sont remplacés par les mots : « d’adjoint au maire et de conseiller municipal délégué ».
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Contrairement à ce que d’aucuns pourraient croire, il est en effet encore possible de donner délégation à un parlementaire membre d’un conseil municipal. Je propose de supprimer cette possibilité.
Dans une réponse ministérielle à l’une de mes questions écrites, il est indiqué : « En matière d’interdiction de cumul d’un mandat parlementaire avec des fonctions exécutives locales, la loi organique […] a introduit la possibilité pour un parlementaire, membre d’un conseil municipal, de recevoir ou de conserver une délégation “si celle-ci porte sur les attributions exercées au nom de l’État mentionnées à la sous-section 3 de la présente section”, conformément à l’alinéa 3 de l’article L. 2122-18 du code général des collectivités générales (CGCT). De fait, ces conseillers municipaux exerçant un mandat de député, de sénateur ou de représentant au Parlement européen peuvent recevoir une délégation. »
Il ne me semble pas raisonnable de permettre à ces élus d’être conseillers municipaux délégués. Cette situation est tout à fait illogique dans la mesure où la fonction de conseiller délégué a un caractère exécutif.
M. Mathieu Darnaud. N’importe quoi !
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Je comprends la logique de M. Masson, qui souhaite durcir encore plus les règles d’incompatibilité.
Toutefois, être en charge d’une délégation permet à un parlementaire de garder les pieds sur terre et d’exercer son mandat de conseiller municipal.
L’adoption d’un tel amendement poserait des problèmes concrets d’application. Quelle date prendre en compte pour appliquer l’incompatibilité ? Celle de l’élection en tant que conseiller municipal, celle de la décision de confier une délégation ou celle de l’acceptation expresse ou tacite de la délégation ?
Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. La loi organique du 14 février 2014 a mis en place l’interdiction de consentir des délégations parlementaires à l’article L. 2122-18 du CGCT, afin d’être cohérent avec l’impossibilité faite aux parlementaires d’exercer des fonctions exécutives au sein d’une collectivité locale et d’éviter un contournement de ces règles.
Toutefois, des délégations pour des compétences exercées au nom de l’État ont été maintenues par cohérence avec le caractère national du mandat de député et de sénateur.
En outre, cet amendement n’est pas opérant en ce qu’il vise à modifier l’article L.O. 141-1 du code électoral, et non l’article L. 2122-18 du CGCT, qui permet cette dérogation.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 19.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
L’article L.O. 141-1 du code électoral est ainsi modifié :
1° Après la première occurrence du mot : « maire », la fin du 1° est ainsi rédigée : « , de maire délégué et d’adjoint au maire d’une commune de plus de 10 000 habitants, ainsi que de maire d’arrondissement ; »
2° Au 13°, le mot : « vice-président » est remplacé par le mot : « président ».
Mme le président. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 1 est présenté par MM. Kerrouche, Kanner, Marie et Bourgi, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, MM. Leconte et Sueur, Mme Artigalas, M. Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 4 est présenté par M. Masson.
L’amendement n° 22 est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, M. Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Éric Kerrouche, pour présenter l’amendement n° 1.
M. Éric Kerrouche. Cet amendement vise à supprimer le dispositif central de la proposition de loi organique, l’article 2 ayant été supprimé en commission.
Il existe une opposition philosophique forte entre ceux qui ont déposé cette proposition de loi organique et qui estiment que le retour du cumul des mandats, même tempéré, est une nécessité, et nous, qui considérons qu’il faut éviter de revenir à cette pathologie.
Les arguments avancés quant à la déconnexion des élus ne nous semblent absolument pas pertinents. Dans l’ensemble des démocraties occidentales, qu’il s’agisse d’États unitaires ou fédéraux, le cumul est soit une exception soit inexistant.
Nous devons continuer d’emprunter ce chemin pour bien séparer le monde local du monde parlementaire. Ne faisons pas croire qu’il est nécessaire d’appartenir aux deux pour bien les faire fonctionner ensemble.
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour présenter l’amendement n° 4.
M. Jean Louis Masson. Madame le ministre, vous m’avez reproché, dans mon précédent amendement, de viser une disposition relevant de la loi ordinaire et non de la loi organique.
Pour être tout à fait complète, vous auriez dû préciser que le Conseil constitutionnel a déclassé cette loi organique, une fois votée, en loi ordinaire. Si mon amendement avait été adopté, le Conseil constitutionnel aurait pu faire de même pour aligner cette disposition sur la loi ordinaire. Avant d’affirmer quoi que ce soit, madame la ministre, et pour éviter de se tromper, mieux vaut se pencher un peu sur l’historique !
Comme vous connaissez tous mon opposition à la proposition de loi organique, vous comprendrez que je demande la suppression de l’article 1er.
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 22.
M. Guy Benarroche. Notre groupe est opposé à la pratique ancienne du cumul des mandats.
Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, le cumul bloque le renouvellement de la représentation et témoigne d’une conception du politique dont l’objectif principal est de concentrer le maximum de pouvoir entre un nombre restreint de décideurs.
Le non-cumul permet d’accroître le nombre de personnes en responsabilités, de renforcer la vitalité de la démocratie, la diversité de la représentation politique et la confiance des citoyens.
Les parlementaires n’ont pas besoin de cumuler des responsabilités au sein des exécutifs des collectivités pour s’engager pleinement dans la vie politique locale de leur circonscription – chacun d’entre nous en est l’exemple – ni pour conserver une proximité avec le terrain et y mener des actions. Cela fait partie intégrante de nos missions, et nous les menons à bien quotidiennement.
Pour ces raisons, les auteurs de cet amendement proposent de supprimer l’article 1er.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. La commission est défavorable à ces amendements, qui visent à vider la proposition de loi organique de son contenu.
La crise de défiance de nos concitoyens envers le politique n’est pas exclusivement liée au cumul des mandats ; je pense à l’affaiblissement du Parlement (M. Jean-François Husson acquiesce.), à la prolifération des ordonnances, au passage du septennat au quinquennat.
Mais certains constats s’imposent. Souvenez-vous de cet amendement au projet de loi Climat et résilience, déposé par un parlementaire n’ayant jamais exercé de mandat local, qui visait à imposer aux flottes de véhicules des communes d’être à 100 % propres à partir 2025 pour s’aligner sur le privé. Nous nous y sommes tous opposés, forts de notre expérience non seulement d’élu local, mais aussi de maire ou de président de département.
Cet exemple montre combien il est utile d’avoir exercé, à un moment donné, une fonction exécutive locale pour éviter de tels écueils.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Par cohérence avec sa position sur le texte, le Gouvernement est favorable à ces amendements de suppression.
Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Je voudrais réagir, respectueusement, aux propos du rapporteur.
Il faut faire attention à ce que l’on dit : avoir été élu local n’est pas un prérequis pour être parlementaire. Je ne pense que telle était votre intention, monsieur le rapporteur, mais vos propos pourraient laisser penser que les élus de La République en Marche, que je n’ai pour habitude de défendre – je pense que tout le monde l’a contesté –, seraient illégitimes parce qu’ils n’ont pas été élus locaux. (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
Il faut faire attention à la façon dont on formule des observations. Il existe d’autres expériences enrichissantes que celle d’élu local. Un parlementaire apporte son individualité, son expérience professionnelle, sa trajectoire de vie particulière. Il est sans doute préférable, dans certains domaines, de disposer d’une expérience locale, mais cela ne remet aucunement en cause la légitimité de ceux qui n’ont pas cette expérience. On peut tout à fait être au courant de ce qui se passe localement sans être élu local.
L’histoire du cumul est particulièrement riche en France. Il n’en demeure pas moins que cette anomalie n’existe pas dans les démocraties occidentales, ce qui n’empêche pas les élus d’être connectés au terrain. On peut toujours dire que nous sommes exceptionnels en tout point, mais on peut aussi considérer que nous sommes atypiques sur cette question.
Il nous semble inutile de revenir sur la loi organique de 2014. Et ce d’autant plus qu’une fois cette porte ouverte, d’autres devront s’ouvrir, comme en témoignent l’amendement n° 20 de M. Paccaud et le sous-amendement de Mme Gatel, parce que cette mesure spécifique ne suffit pas.
Mme le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Vous n’en serez pas surpris, je suis en profond désaccord avec les auteurs de ces amendements.
Nous avons déplacé le débat, pour d’autres raisons, sur la question existentielle de savoir ce qu’est devenu le Parlement.
La proposition de loi organique ne vise pas seulement à permettre à un parlementaire de cumuler un mandat local avec son mandat national. Il s’agit aussi de permettre au maire d’une commune de 500 habitants de devenir parlementaire s’il le souhaite. Il n’est absolument pas exigé d’un parlementaire qu’il ait un mandat exécutif local.
La démocratie est tellement forte, tellement vraie, que les électeurs sont capables de savoir, en leur âme et conscience, si leur député-maire est efficace et s’ils souhaitent élire ce candidat plutôt qu’un autre. Je n’attaque personne en illégitimité à raison d’une absence de mandat local.
On reproche souvent un manque d’évaluation des lois. Cher Éric Kerrouche, la loi organique de 2014, annoncée comme un texte guérisseur, n’a rien guéri : parlementaires et élus ne sont pas contents, la confiance des électeurs n’est pas revenue et l’abstention est toujours aussi forte.
Je suis plus favorable à la limitation du nombre de mandats dans le temps qu’à votre vision enfermée dans la doctrine de 2014. En cela, mon cher collègue, vous n’avez rien de moderne.
Mme le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour explication de vote.
M. Jean-François Longeot. Je suis quelque peu étonné : j’ai entendu à plusieurs reprises que cette proposition de loi organique relevait de certaines anomalies.
Si j’ai bien compris, être parlementaire et conseiller régional d’une région de plus de 3 millions d’habitants ne serait pas une anomalie, mais être maire d’une commune de cinquante habitants et parlementaire, si ! Il y a un vrai souci.
Il m’est assez difficile d’entendre qu’un seul mandat suffit à garantir la proximité. (M. Éric Kerrouche s’étonne.) Si cela était vrai, je n’entendrais pas certains élus – peut-être ne rencontrons-nous pas les mêmes – nous reprocher les textes que nous avons votés.
Mme Éliane Assassi. Vous n’avez qu’à mieux voter ! (Rires sur les travées du groupe CRCE.)
M. Jean-François Longeot. Beaucoup des lois que nous adoptons ne correspondent pas du tout aux attentes de nos concitoyens !
Sans proximité, on peut comprendre et partager les difficultés dont les maires nous font part, mais on ne les vit pas au quotidien ! (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.) Ce serait bien de réfléchir à cette question et de chercher à résoudre cette anomalie-là !
Comme l’a souligné un des orateurs, on est passé de 360 degrés à zéro degré. Hier, on pouvait être maire de Paris, député et président de la région Île-de-France.
M. Laurent Duplomb. Exactement !
M. Jean-François Longeot. Et aujourd’hui, on ne pourrait plus être sénateur et maire d’une commune de 100 habitants ?
Réfléchissons-y, c’est le bon sens paysan ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour explication de vote.
M. Mathieu Darnaud. Je ne résiste pas à la tentation d’interpeller nos collègues socialistes, et singulièrement M. Kerrouche.
J’aimerais comprendre quelle philosophie a prévalu dans la loi anti-cumul. Avez-vous pris la quantité de travail pour juge de paix ? Je peux l’entendre, mais je vais alors faire miens les arguments que vient de développer M. Longeot : vous avez fait d’immenses régions et permis à un parlementaire d’être conseiller régional, et même président de commission, mais vous interdisez à un maire d’une commune rurale de 50 habitants d’être parlementaire !
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Mathieu Darnaud. Vous avez parlé de « pathologie » et d’« anomalie ». Dès lors, pourquoi ne pas être allé jusqu’au bout et ne pas avoir imposé un cumul strict ?
À force d’eau tiède, votre philosophie ne tient plus. Vous vous êtes arrêté à la moitié du chemin ; vous n’avez pas osé aller au bout, sûrement par clientélisme (M. Éric Kerrouche proteste vivement.), puisque vous n’avez pas traité la question du cumul horizontal. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Souffrez, monsieur Kerrouche, que l’on s’interroge sur vos motivations et sur les raisons pour lesquelles vous décidez aujourd’hui de placer le curseur à cet endroit. Oui, si l’on peut être conseiller régional, voire même président d’une commission dans un grand conseil régional, on peut être maire d’une commune de cinquante habitants ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Tissot. Je m’étonne des mots employés : on parle de « non-cumul des mandats » alors que l’on peut tout à fait – cela a été souligné – être sénateur et conseiller municipal, départemental ou régional.
Je ne doute pas de votre sincère envie, chers collègues de droite, de participer à la vie locale de votre pays. Vous le pouvez déjà, en travaillant dans des commissions municipales, départementales, régionales. Je suis moi-même conseiller municipal « de base », et rien ne m’interdit de siéger au sein du syndicat d’énergie, de la structure qui élabore le schéma de cohérence territoriale (SCoT) ou de la commission chargée des réflexions sur l’urbanisme. La loi nous interdit seulement d’être membres de l’exécutif.
En fait, ce que vous ne voulez pas partager, c’est le pouvoir. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Françoise Gatel. C’est caricatural !
M. Jean-Claude Tissot. On peut tout à fait faire confiance à un maire de la même sensibilité politique et le conseiller.
Vous avez une vision un peu rétrograde de la gestion de la collectivité. Je crois à votre sincérité quand vous évoquez votre désir de participer à la gestion quotidienne d’un territoire, comme nous le faisons déjà quasiment tous ici, mais il faut aussi accepter de laisser la présidence de l’exécutif local à d’autres. Il ne s’agit finalement que de cela.
Mme le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour explication de vote.
M. Bernard Fialaire. Je voudrais apporter le témoignage d’un parlementaire « hors sol », puisque je ne cumule plus aucun mandat depuis un an. Après avoir été maire pendant vingt-cinq ans et avoir présidé une intercommunalité pendant vingt ans, je ne pense pas être complètement déconnecté.
M. Rémy Pointereau. On en reparle dans vingt ans !
M. Bernard Fialaire. Et je ne pense pas non plus que mes interventions aient perdu de leur pertinence.
Un député m’a dit être déconnecté du terrain depuis qu’il n’était plus maire, alors qu’il a été remplacé par sa femme et qu’il est premier adjoint ! (Rires sur les travées des groupes SER et GEST.) Je me demande lequel de nous deux est le plus déconnecté de la réalité et le plus hors sol.
Voilà un peu plus d’un an, alors que nous étions en campagne pour les élections sénatoriales, nous avons rencontré des maires, mais aussi de grands électeurs qui ne sont pas maires. Certains discours témoignent d’un manque de respect à l’égard des élus de base qui, sans être maires, sont impliqués dans leur collectivité et savent ce qui s’y passe.
Depuis que j’ai laissé ma place, j’assiste aux conseils municipaux de ma commune, ainsi qu’au conseil communautaire de mon territoire, afin de ne pas être, dans cette assemblée, le lobbyiste d’un terrain. Nous l’avons entendu, certains voudraient que leur maire continue à être parlementaire pour faire du lobby en faveur de leur territoire ! (M. Vincent Segouin s’exclame.)
Notre véritable combat, c’est la revalorisation de l’ensemble des mandats municipaux, y compris sans fonction exécutive. Mais c’est aussi la revalorisation du travail parlementaire. Tels sont les propos d’un parlementaire hors sol ! (M. Éric Kerrouche applaudit.)
Mme le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1, 4 et 22.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 5 :
Nombre de votants | 329 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Pour l’adoption | 120 |
Contre | 201 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je suis saisie de cinq amendements et d’un sous-amendement faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 20, présenté par M. Paccaud, Mmes Lavarde, Berthet et Joseph, MM. Genet et Sautarel, Mme Gruny, MM. Cambon et J.P. Vogel, Mme Muller-Bronn, MM. Bouchet, Favreau et Savary, Mme Belrhiti, M. Saury, Mme Estrosi Sassone et MM. Pointereau, Calvet, Rietmann, Chauvet, D. Laurent et Belin, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L.O. 141-1 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L.O. 141-1. – Le mandat de député est incompatible avec :
« 1° Les fonctions de maire d’une commune de plus de 10 000 habitants ;
« 2° Les fonctions de président d’un établissement public de coopération intercommunale ;
« 3° Les fonctions de président de conseil départemental ;
« 4° Les fonctions de président de conseil régional ;
« 5° Les fonctions de président d’un syndicat mixte ;
« 6° Les fonctions de président du conseil exécutif de Corse et de président de l’assemblée de Corse ;
« 7° Les fonctions de président de l’assemblée de Guyane ou de l’assemblée de Martinique ; de président du conseil exécutif de Martinique ;
« 8° Les fonctions de président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; de président du congrès de la Nouvelle-Calédonie ; de président d’une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie ;
« 9° Les fonctions de président et de membre du Gouvernement de la Polynésie française ; de président de l’assemblée de la Polynésie française ;
« 10° Les fonctions de président de l’assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ;
« 11° Les fonctions de président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
« 12° Les fonctions de président de l’organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi ;
« 13° Les fonctions de président de l’Assemblée des Français de l’étranger.
Tant qu’il n’est pas mis fin, dans les conditions prévues au II de l’article L.O. 151, à une incompatibilité mentionnée au présent article, l’élu concerné ne perçoit que l’indemnité attachée à son mandat parlementaire. »
La parole est à M. Olivier Paccaud.
M. Olivier Paccaud. Cet amendement vise à compléter la proposition pertinente de notre ami Hervé Marseille, qui a souhaité assouplir la règle sur le cumul des mandats, en permettant qu’un exécutif municipal soit dirigé par un parlementaire. Une telle mesure me semble particulièrement pertinente.
Je vous propose d’aller un peu plus loin, en prévoyant qu’un parlementaire puisse aussi devenir vice-président d’un département ou d’une région.
Quelle est la situation actuelle ? La loi nous a permis de sortir des abus d’hier. Dans mon département, un sénateur de gauche avait cumulé jusqu’à dix-sept fonctions, ce qui fut relaté dans un article du Canard enchaîné, juste avant que la loi ne soit votée. Bien évidemment, les cumuls ont été observés de part et d’autre ; toujours est-il que ces situations étaient inacceptables.
Néanmoins, aujourd’hui, lorsque vous êtes conseiller municipal, départemental ou régional, vous avez un conseil par mois ou bien tous les deux ou trois mois, et vous siégez au sein d’une commission permanente. La véritable question est celle de l’intérêt des collectivités. Doivent-elles se passer de l’expérience et du savoir-faire d’un parlementaire ? Je ne le pense pas !
Permettez-moi de rappeler les propos tenus par l’un de nos éminents prédécesseurs. Pendant trente ans, il fut successivement député-maire, sénateur-maire, puis Premier ministre et maire de Lille.
Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Olivier Paccaud. Pour évoquer l’importance du mandat local pour le parlementaire, il évoquait joliment une « courroie d’enracinement ». Sans retomber dans les travers d’hier, nous essayons de donner toute la force du Parlement à nos collectivités.
Mme le président. Le sous-amendement n° 27, présenté par Mme Gatel, est ainsi libellé :
Amendement n° 20, alinéa 5
Compléter cet alinéa par les mots :
dont la population totale excède 10 000 habitants
La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Ce sous-amendement s’appuie sur la proposition raisonnable et raisonnée du président Marseille, laquelle a recueilli par voie de sondage auprès de nos concitoyens une majorité d’avis favorables. Il s’agit de permettre non seulement à un parlementaire de cumuler, mais aussi à un maire d’être parlementaire.
Le texte concernant les collectivités ou les EPCI de moins de 10 000 habitants, il semble nécessaire de prévoir qu’un maire d’une commune de moins de 10 000 habitants ou un maire délégué d’une commune nouvelle puisse être président d’un EPCI de moins de 10 000 habitants – il en existe près de 300 dans notre pays.
Je vous le rappelle, mes chers collègues, la loi NOTRe a fixé un seuil à 15 000 habitants. Toutefois, celui-ci était tellement théorique qu’il a fallu prévoir un certain nombre d’exceptions pour prendre en compte les territoires ayant une densité démographique très faible, les territoires de montagne et les territoires insulaires.
Mme le président. L’amendement n° 6, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après les mots : « conseiller municipal », la fin du premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral est ainsi rédigée : « , conseiller d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre. »
La parole est à M. Jean Louis Masson.
Je vous prie de bien vouloir mettre correctement votre masque, mon cher collègue !
M. Jean Louis Masson. Cet amendement reprend d’autres amendements qui ont été déjà évoqués.
La présentation qui vient d’être faite de l’amendement n° 20 et du sous-amendement n° 27 conforte ce que je pense : cette proposition de loi organique est l’arbre qui cache la forêt. Chacun est prêt à s’y engouffrer, en amputant encore davantage la loi contre les cumuls.
Dans cette affaire, c’est évident, tous ceux qui soutiennent ce texte voudraient bien revenir au système ancien, dans lequel on pouvait observer des super cumuls.
On nous explique que, s’il n’y avait pas la loi sur les cumuls, le Sénat se battrait mieux pour répondre aux aspirations des gens ! Avant 2017, le cumul des fonctions exécutives locales n’était pas interdit. Pourtant, la loi NOTRe a été votée par le Sénat… Une centaine de sénateurs seulement ont voté contre jusqu’au bout ; et ce n’était pas obligatoirement ceux qui cumulaient les mandats exécutifs : cela montre le non-sens de l’argument selon lequel les parlementaires sans mandat exécutif local ne connaîtraient pas bien les problèmes !
Mme le président. L’amendement n° 5, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Au premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral, les mots : « d’une commune soumise au mode de scrutin prévu au chapitre III du titre IV du présent livre » sont supprimés.
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Il est défendu, madame le président. Je préfère ne pas être persécuté à cause d’un masque qui descend ! (Sourires.)
Mme le président. L’amendement n° 14, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral est complété par les mots : « , conseiller d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre représentant une commune de 1 000 habitants ou plus, conseiller métropolitain ».
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Il est défendu.
Mme le président. L’amendement n° 8, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral est complété par les mots : « et conseiller d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ».
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Il est défendu.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Au travers de l’amendement n° 20, notre collègue Olivier Paccaud entend aller plus loin que la proposition de loi organique en levant l’incompatibilité du mandat de député ou de sénateur avec les fonctions d’adjoint au maire, de vice-président de l’assemblée délibérante d’une collectivité territoriale, de membre du bureau de l’Assemblée des Français de l’étranger et de président d’un conseil consulaire.
La commission s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée sur cet amendement, qui tend à perturber l’équilibre du texte proposé par M. Marseille, même si la demande est pleinement légitime pour les communes de plus de 10 000 habitants.
S’agissant du sous-amendement n° 27, lequel, en prenant en considération les communes de moins de 10 000 habitants, s’inscrit dans la lignée du texte, je partage pleinement l’avis de Mme Gatel. La commission émet donc également un avis de sagesse, avec un engouement plus marqué.
J’ajoute que je demande à M. Paccaud de bien vouloir retirer, au neuvième alinéa de l’amendement n° 20, les mots « et de membre du Gouvernement », qui n’ont rien à voir avec la philosophie défendue.
Mme le président. Acceptez-vous de modifier l’amendement en ce sens, monsieur Paccaud ?
M. Olivier Paccaud. Absolument, madame le président.
Mme le président. Je suis donc saisie d’un amendement n° 20 rectifié, présenté par M. Paccaud, Mmes Lavarde, Berthet et Joseph, MM. Genet et Sautarel, Mme Gruny, MM. Cambon et J.P. Vogel, Mme Muller-Bronn, MM. Bouchet, Favreau et Savary, Mme Belrhiti, M. Saury, Mme Estrosi Sassone et MM. Pointereau, Calvet, Rietmann, Chauvet, D. Laurent et Belin, et ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L.O. 141-1 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L.O. 141-1. – Le mandat de député est incompatible avec :
« 1° Les fonctions de maire d’une commune de plus de 10 000 habitants ;
« 2° Les fonctions de président d’un établissement public de coopération intercommunale ;
« 3° Les fonctions de président de conseil départemental ;
« 4° Les fonctions de président de conseil régional ;
« 5° Les fonctions de président d’un syndicat mixte ;
« 6° Les fonctions de président du conseil exécutif de Corse et de président de l’assemblée de Corse ;
« 7° Les fonctions de président de l’assemblée de Guyane ou de l’assemblée de Martinique ; de président du conseil exécutif de Martinique ;
« 8° Les fonctions de président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; de président du congrès de la Nouvelle-Calédonie ; de président d’une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie ;
« 9° Les fonctions de président de la Polynésie française ; de président de l’assemblée de la Polynésie française ;
« 10° Les fonctions de président de l’assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ;
« 11° Les fonctions de président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
« 12° Les fonctions de président de l’organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi ;
« 13° Les fonctions de président de l’Assemblée des Français de l’étranger.
Tant qu’il n’est pas mis fin, dans les conditions prévues au II de l’article L.O. 151, à une incompatibilité mentionnée au présent article, l’élu concerné ne perçoit que l’indemnité attachée à son mandat parlementaire. »
Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 6, 5, 14 et 8 ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Cela n’étonnera personne, je suis défavorable aux amendements présentés par M. Masson.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Le Gouvernement est défavorable à l’ensemble de ces amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Le régime issu de la loi de 2014 vise l’ensemble des fonctions exécutives. Or les fonctions de vice-président font partie intégrante des fonctions exécutives exercées au sein des EPCI.
Par ailleurs, si le régime des incompatibilités prévu par le code électoral fait obstacle à ce qu’un député ou sénateur exerce des fonctions exécutives locales d’une collectivité territoriale ou d’un EPCI, il n’exclut pas la possibilité, pour ces mêmes élus, de disposer d’un mandat local au sein des assemblées délibérantes des collectivités ou des établissements publics en question. Ainsi, un député ou un sénateur peut parfaitement occuper un siège de conseiller municipal ou de conseiller départemental.
J’ai bien entendu votre allusion, monsieur Paccaud, au regretté Pierre Mauroy. Toutefois, je ne crois pas que vous soyez sur la même longueur d’onde s’agissant d’autres interventions marquantes. Il disait aussi : « Face au chômage, la solution de la sagesse, c’est que les travailleurs travaillent moins. » (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. Je répondrai d’abord à Mme Gatel.
Non, chère Françoise, les Français ne sont pas pour, mais contre le cumul ! Dans le sondage que vous avez évoqué, la formulation, très particulière, laisse entendre qu’ils seraient pour. Toutefois, dans le temps et de manière structurelle, ils sont contre. Si nous confondons sondages et votations, nous serons tous très malheureux, eu égard aux récents sondages relatifs à l’élection présidentielle.
Par ailleurs, s’agissant des dérogations à la loi NOTRe liées à la densité, je rappelle que toutes les lois précédentes sur l’intercommunalité avaient prévu des procédures dérogatoires.
Cher collègue Mathieu Darnaud, je suis d’accord avec vous, on devrait aller plus loin ! Laissez-moi simplement vous rappeler que, en 1985, la gauche a interdit les super cumuls, qui étaient trop nombreux. En 2000, il a fallu revenir à l’attaque parce que des stratégies d’évitement avaient été mises en place.
D’une part, la loi de 2000 durcit les conditions du cumul ; d’autre part, elle interdit des pratiques qui s’étaient développées, comme celle de tirer les élus en tête de liste : ces « locomotives » se démettaient ensuite de leur mandat. Il convient donc de lutter de manière itérative contre le cumul des mandats.
Vous dites qu’il faudrait aller plus loin. Dont acte ! Vous êtes majoritaires dans cette assemblée, et j’attends bien sûr vos initiatives en la matière.
Quand on fixe un seuil ou une limite, cela ne convient à personne, et il y a toujours de bonnes raisons d’ajouter des conditions dérogatoires et d’ouvrir la boîte de Pandore.
Mme le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Éric Kerrouche. Je m’apprêtais à le faire, madame la présidente.
Au fond de la boîte de Pandore, il ne reste qu’une chose, l’espoir. Pour notre part, nous avons l’espoir d’une démocratie marquée par le non-cumul et le respect, d’une part, du mandat parlementaire et, d’autre part, du mandat d’élu local.
Mme le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Nos explications se doivent d’être claires !
Pour ma part, j’ai voté la loi NOTRe non par conviction, mais pour empêcher le pire. Sinon, le seuil retenu pour les intercommunalités n’aurait pas été fixé à 15 000 habitants. Plus grave, l’Assemblée nationale aurait adopté le scrutin universel direct pour les conseillers communautaires. J’assume, monsieur Masson, mon rôle de digue ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Par ailleurs, cher collègue Éric Kerrouche, je suis ravie d’avoir ce débat avec vous ! Vous avouez en effet votre culpabilité (M. Éric Kerrouche fait un signe de dénégation.) puisque, d’après vous, les seuils étranges qui ont été introduits l’ont été non par la loi NOTRe, mais bien avant.
La seule chose qui m’intéresse, c’est l’efficacité. Si la loi que vous défendez avec autant de conviction avait fonctionné, cela se saurait ! Nous aurions aujourd’hui une démocratie dans laquelle chacun serait heureux, avec des élus femmes ou ouvriers. Et les maires des communes de 50 habitants pourraient exprimer leur envie d’être parlementaires, tandis que les électeurs se verraient offrir le droit de choisir leur candidat. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Éric Kerrouche. Vous fixez le seuil à 10 000 !
Mme le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour explication de vote.
M. Mathieu Darnaud. Sans vouloir allonger les débats, je ne résiste pas à l’envie d’abonder dans le sens de notre excellente collègue Françoise Gatel.
Nous avons aussi fait œuvre utile, en votant les minorités de blocage et en évitant la disparition des départements.
J’entends ce que vous dites, cher collègue Éric Kerrouche. Pourquoi, à chaque fois que nous avons souhaité enraciner un peu plus les parlementaires, qu’ils soient sénateurs ou députés, dans la vie locale – je pense notamment aux amendements déposés sur les commissions DETR, la dotation d’équipement des territoires ruraux –, avez-vous balayé d’un revers de main ce sujet ?
Monsieur Tissot, vous semblez assimiler les élus des petites communes à des élus assoiffés de pouvoir, dès lors qu’ils intégreraient un exécutif local.
M. Jean-Claude Tissot. Ce n’est absolument pas ce que j’ai dit !
M. Mathieu Darnaud. On a le sentiment que le fait de détenir un mandat exécutif local serait la pire des choses d’un monde particulièrement vil. Il faut raison garder !
Sur les seuils, monsieur Kerrouche, convenez que votre explication est un peu grossière. Pour ce qui concerne les communes de moins de 10 000 habitants – je ne suis pas concerné puisque ma commune en compte 12 000 –, les parlementaires doivent, à mon avis, garder un lien de proximité. Françoise Gatel l’a dit avec justesse, si on veut faire œuvre utile en matière de loi territoriale, les parlementaires doivent vivre au quotidien les enjeux justifiant les textes de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Ce débat me paraît quelque peu surréaliste. Quoi qu’il en soit, nous venons d’apprendre que le Gouvernement est pour le partage du travail, ce dont je ne peux que me réjouir. (Sourires.)
Je le rappelle, le seuil a été fixé à 10 000 habitants. Or on parle beaucoup des communes de 50 ou 100 habitants. J’ai surtout l’impression que les petites communes sont, d’une certaine manière, dénigrées.
J’ai été maire d’une commune de 150 habitants, qui en compte désormais 200. Le travail d’un maire d’une petite commune est un travail et une présence de tous les jours. En effet, sans employé communal ni secrétariat de mairie, alors qu’on peut être appelé dans la semaine au sujet d’une fuite d’eau, il est difficile d’être présent au Parlement du mardi au jeudi. (Mme Françoise Gatel le conteste.)
Surtout, quand je me balade sur mon territoire, je n’ai jamais rencontré personne qui me dise : « Changez-moi ça ! Il faut absolument que nous ayons des cumulards ! » (M. Laurent Duplomb proteste.) C’est bien le mot, je suis désolé, mon cher collègue… On me parle des problématiques de santé, de déplacement, d’alimentation ou d’agriculture, mais on ne m’a jamais fait part d’un problème de non-cumul.
Après avoir démissionné de mes fonctions de maire, je n’ai pas l’impression d’avoir perdu le lien avec le conseil municipal. Je connais toujours la proximité et le travail de terrain, sans compter le bon sens paysan.
Mme le président. En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé, et les amendements nos 6, 5, 14, 8, 2 rectifié, 13, 12, 11, 10, 9 et 21 rectifié n’ont plus d’objet.
Article additionnel après l’article 1er
Mme le président. L’amendement n° 23 rectifié, présenté par MM. Pellevat et Genet, Mmes Puissat, Berthet et Noël, MM. Perrin, Panunzi et Cadec, Mme Muller-Bronn, MM. Meurant, Laménie et Sautarel, Mme Lassarade, MM. Charon et Savary, Mmes Belrhiti et Canayer, MM. Longuet, Houpert, B. Fournier, Calvet, Anglars, Lefèvre et Rietmann, Mme Dumont, MM. Bouchet et D. Laurent, Mmes Deroche, Bourrat et Thomas, M. Segouin, Mmes Procaccia et M. Mercier et MM. Grand, Belin et C. Vial, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L.O. 151 du code électoral est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« …. – Pour le remplaçant d’un député en application de l’article L.O. 176, le délai pour faire cesser une incompatibilité mentionnée au I ou II court à compter de la date du remplacement prévu par cet article. »
La parole est à M. Vincent Segouin.
M. Vincent Segouin. Cet amendement déposé par mon collègue Cyril Pellevat vise à simplifier la procédure à suivre lorsque le suppléant d’un parlementaire est appelé à le remplacer.
À l’heure actuelle, lorsqu’un parlementaire quitte ses fonctions prématurément, son suppléant est obligé de démissionner de ses mandats locaux incompatibles avec un mandat parlementaire, et ce même s’il compte in fine démissionner de son mandat de député. Si le suppléant ne souhaite pas conserver le mandat national, il doit démissionner, dans tous les cas, de ses mandats locaux, puis se faire réélire.
Il s’agit d’une formalité inutilement complexe pour les collectivités, qui doivent organiser des scrutins et bouleverser leur fonctionnement.
Cet amendement vise donc à simplifier la procédure, en prévoyant que le remplaçant dispose d’un délai de trente jours à compter du lendemain de l’événement causant le départ du titulaire.
Il a été rejeté en commission parce que vous considérez, monsieur le rapporteur, que s’il permet de simplifier le fonctionnement des collectivités, il complexifie en revanche celui du Parlement, en créant un risque de vacance du siège et en nécessitant l’organisation plus fréquente de scrutins partiels. Or, lors des dernières élections départementales et régionales, ce cas de figure ne s’est produit que dans trois départements. L’ampleur du risque est donc limitée.
Par ailleurs, vous avez également observé qu’une telle disposition ouvrirait un droit d’option au suppléant, alors que le titulaire ne dispose pas d’une telle possibilité. Mais les situations sont tout à fait différentes ! Le titulaire choisit de se présenter, et il semble normal qu’il soit obligé de garder le mandat le plus récent. En revanche, le suppléant n’a pas forcément cette ambition nationale et accepte souvent la suppléance pour aider le titulaire et lui signifier son soutien. Dès lors, il paraît injuste de l’obliger à quitter ses mandats locaux, lorsqu’il ne souhaite pas conserver le mandat de député.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. La commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Sur la forme, la rédaction retenue ne permet pas d’aboutir à l’objectif recherché, nous l’avons dit en commission. Cet amendement aurait donc dû être retravaillé.
Sur le fond, ce droit d’option encourage le fait de choisir le mandat local plutôt que le mandat national. Cela pose problème avant l’échéance de l’élection présidentielle, en favorisant, potentiellement, la vacance des sièges au sein des deux assemblées.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Pour les mêmes raisons, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Mme le président. L’amendement n° 23 rectifié est-il maintenu, monsieur Segouin ?
M. Vincent Segouin. Je le retire, madame le président.
Mme le président. L’amendement n° 3, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le troisième alinéa de l’article 4 de l’ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l’indemnité des membres du Parlement est complété par une phrase ainsi rédigée : « Un parlementaire ne peut toutefois percevoir aucune indemnité pour l’exercice des fonctions de maire ou d’adjoint au maire. »
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Vous pouvez noter, madame la présidente, que j’ai mis mon masque sur le nez ! (Sourires.)
Cet amendement vise à revenir à la version initiale. Tous l’affirment, la volonté de cumuler n’a rien à voir avec l’intérêt. Dans la suite logique de cette affirmation, prévoyons que les parlementaires souhaitant vraiment se dévouer pour leur commune ne perçoivent aucune indemnité à ce titre !
D’ailleurs, si j’avais su que l’amendement relatif aux vice-présidents des conseils départemental et régional serait adopté, je n’aurais pas manqué d’intégrer ce cas de figure dans le cadre de mon amendement, tout en sachant que, compte tenu des intérêts en présence, celui-ci a peu de chances d’être adopté.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Permettez-moi, monsieur Masson, de répéter ce que j’ai dit en début de discussion. Si l’article 2 a été supprimé, c’est parce qu’il présentait un risque d’inconstitutionnalité avéré.
Si nous appliquions votre philosophie, il faudrait aller jusqu’au bout de la démarche et mettre sur la table, par cohérence, l’indemnité que vous percevez au titre de votre mandat de conseiller régional !
Par conséquent, la commission, afin de préserver votre indemnité, a émis un avis défavorable sur cet amendement. (Sourires.)
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Dans la mesure où le Gouvernement est opposé au principe même du cumul des mandats, il est évidemment opposé au cumul des indemnités.
Nous sommes donc défavorables à cet amendement, par cohérence avec notre opposition à ce texte.
Mme le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Je suis favorable, quant à moi, à cette proposition de loi organique. Être maire ou adjoint, pour un jeune parlementaire notamment, c’est une expérience importante.
Puisqu’il s’agit d’améliorer l’efficacité de l’action des parlementaires, je voudrais dire un mot sur la réserve parlementaire, qui était utilisée à la satisfaction générale pour financer les petits projets des associations, avec honnêteté et justesse. L’utilisation de cette réserve était contrôlée ; on aurait pu imaginer d’en modifier un peu les modalités, en décidant par exemple qu’elle soit attribuée par le préfet sur avis des parlementaires. Il y avait là un lien très important entre la population, les associations et les communes.
Je souhaite voter pour cette proposition de loi organique, mais les dispositions de l’article 2 me paraissaient néanmoins intéressantes. J’entends la position exprimée par certains, par mon collègue du RDSE notamment : la suppression de l’indemnité affaiblirait ceux qui la perçoivent. Mais je ne suis pas d’accord. On parle ici d’un parlementaire qui décide d’exercer en même temps un mandat de maire ; or, pour démontrer à nos concitoyens le désintéressement des parlementaires, il est bon d’interdire le cumul des indemnités. À défaut, une suspicion pourrait naître chez certains de nos concitoyens, selon laquelle on cumulerait les mandats pour cumuler les indemnités…
J’ai bien compris néanmoins ce qu’a dit M. le rapporteur : une telle disposition est inconstitutionnelle. Je m’abstiendrai donc sur cet amendement.
Mme le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Je renouvelle mes remerciements à M. le rapporteur, qui a fait un excellent travail, avec des arguments très pesés, ainsi qu’à M. le président de la commission des lois, pour son écoute très attentive.
J’invite M. Kerrouche à relire tous les comptes rendus des débats sur la loi de 2013 ; il me semble que le président Buffet, comme, d’ailleurs, certains de vos amis, monsieur Kerrouche, avait alors un regard beaucoup plus nuancé que ne le suggère le titre du rapport qu’il avait commis avec un autre de nos collègues.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Absolument !
Mme Françoise Gatel. Cette proposition de loi organique déposée par Hervé Marseille heurte peut-être la bien-pensance, ou même les convictions de nos collègues, dont je ne remets pas en cause la sincérité. Malgré tout, si votre loi s’était montrée aussi efficace que vous le suggérez, cela se saurait et se verrait dans les urnes !
M. Bruno Retailleau. Bien sûr !
Mme Françoise Gatel. Sur ces sujets, nous avons chacun nos points de vue et nos convictions, que je vous invite à respecter tous. Mon cher collègue, je ne permets pas qu’on dise que nous dénigrerions certains élus locaux. Aucun d’entre nous n’a évoqué le conseiller municipal « banal » ou « lambda ». C’est une insulte ! Un élu, c’est un élu.
Nous n’avons pas dénigré les maires – vraiment, je suis choquée d’entendre une chose pareille.
Quant à notre collègue qui a affirmé que nous voulions être maires et parlementaires parce que nous étions assoiffés de pouvoir – à l’instar de Mathieu Darnaud, je ne suis pas du tout concernée par le texte puisque ma commune compte plus de 10 000 habitants… –, je lui réponds que c’est bien mal connaître ce qu’est l’exercice d’une fonction élective et oublier que chacun de nous est mortel et que nos fonctions le sont tout autant : elles ne sont qu’à durée déterminée et l’envie qui nous anime est plutôt de servir !
Je souhaite vraiment que cette proposition de loi organique soit adoptée. Madame la ministre, il y a là d’excellentes idées pour enrichir la réflexion du Président de la République. (Mmes Françoise Férat, Jocelyne Guidez et M. Vincent Segouin applaudissent.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Je rappelle que la règle de l’écrêtement des indemnités date de la loi organique de 1992, qui est venue modifier l’ordonnance de 1958. Le cumul n’est donc pas illimité.
Un mot sur la philosophie de nos travaux : on peut certes essayer de laver plus blanc que blanc mais, in fine, c’est le risque du suffrage censitaire qui se profile. Ne se présenteront aux élections que ceux qui en ont les moyens : à force de dévaluer les indemnités des parlementaires et des élus locaux, ce risque devient très criant.
C’est la raison pour laquelle, mon cher collègue, je vous invite à retirer votre amendement ; à défaut, comme je l’ai dit, l’avis de la commission serait défavorable.
Mme le président. Monsieur Masson, l’amendement n° 3 est-il maintenu ?
M. Jean Louis Masson. Je m’attendais à ce que M. le rapporteur émette un avis défavorable sur cet amendement.
Il n’y a absolument rien de censitaire dans ma proposition. Le député qui est soi-disant hors sol, on ne s’en occupe pas… Un grand pas a déjà été fait, ce soir : nous sommes passés de la possibilité pour un parlementaire d’être également maire d’une commune de moins de 10 000 habitants à la possibilité d’exercer la vice-présidence d’un conseil général ou d’un conseil régional. À ce rythme, avec deux ou trois heures supplémentaires de débats, nous arriverions à la suppression totale de la proposition de loi organique !
J’assume pleinement ma position ; il est évidemment hors de question, dans ces conditions, que je réponde favorablement à la sollicitation de M. le rapporteur.
Mme le président. En conséquence, l’article 2 demeure supprimé.
Intitulé de la proposition de loi organique
Mme le président. L’amendement n° 7, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi organique tendant à abroger en partie l’interdiction du cumul d’un mandat parlementaire avec une fonction de maire ou d’adjoint au maire
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Il faut avoir le courage de ses opinions, et appeler un chat un chat ! Cet amendement a pour objet de modifier le titre de la proposition de loi organique pour l’intituler « proposition de loi organique tendant à abroger en partie l’interdiction du cumul d’un mandat parlementaire avec une fonction de maire ou d’adjoint au maire ». Voilà en effet ce que contenait vraiment le texte lorsque j’ai déposé cet amendement, puisque nous n’avions pas encore adopté l’amendement sur les vice-présidents de conseil général et de conseil régional.
L’intitulé que je propose a le mérite d’expliquer très bien ce qu’est le texte que nous sommes en train de voter : nous sommes en train de rétablir les cumuls. Je suis, quant à moi, contre le rétablissement des cumuls ! Ce titre permettrait à tous nos concitoyens de bien comprendre ce que nous nous apprêtons à voter aujourd’hui.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. Avis défavorable.
M. Masson l’a dit : le titre qu’il propose n’est plus en cohérence avec ce que nous avons voté. En outre, j’aime la simplicité ; « l’implantation locale des parlementaires », c’est quelque chose de très concret.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi organique, je donne la parole à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. À l’évidence, deux positions très tranchées s’opposent de part et d’autre de l’hémicycle – c’est aussi cela, la démocratie.
La question, chère Françoise Gatel, est toute simple : la loi de 2014 est-elle mauvaise ? Faut-il la corriger ? Autrement dit, était-ce mieux avant ? (Oui ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
Ma réponse est tout aussi tranchée que la vôtre, mes chers collègues : sur le long terme, le cumul des mandats a eu un effet négatif à l’échelle nationale, tout simplement parce qu’il n’a pas été également réparti sur l’ensemble du territoire ; des territoires ont donc été privilégiés au détriment d’autres, certains élus étant parlementaires et d’autres non.
À l’échelle locale, le cumul a aussi participé à assécher la démocratie. Une enquête très connue l’a prouvé : les candidats étaient moins nombreux face à un élu sortant cumulant. Le bilan du cumul était donc globalement négatif ; c’est pourquoi nous nous y opposons.
Par ailleurs, il n’est absolument pas sérieux d’expliquer que la crise de la démocratie en France résulte de l’absence de cumul des mandats.
Mme Françoise Gatel. Nous n’avons pas dit ça !
M. Éric Kerrouche. Si ! Cela a été dit et répété, à mon grand étonnement. Mais rien n’est plus faux ! Ce sont là des considérations d’élus pour les élus ; la démocratie, elle, se fait avant tout pour les citoyens et le peuple ! (M. Olivier Jacquin applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Je voudrais simplement, au nom de mon groupe, dire les deux raisons pour lesquelles nous allons voter le texte proposé par notre collègue Hervé Marseille.
Première raison : il s’agit de dénoncer une formidable hypocrisie, qui est d’abord celle du Gouvernement. Celui-ci s’oppose avec une régularité presque métronomique à notre proposition alors même que des ministres, c’est-à-dire des membres de l’exécutif, cumulent !
M. Jean-Marc Boyer. Exactement !
M. Bruno Retailleau. Hypocrisie, encore : on peut, dans une région ou un département, présider une grande commission, mais on n’est pas autorisé à être vice-président.
Hypocrisie, toujours : le cumul « horizontal » d’un certain nombre de fonctions reste possible.
Deuxième raison, plus fondamentale : pensez-vous, mes chers collègues, que la démocratie française ait été réparée par la loi organique interdisant le cumul des mandats ? J’ai entendu le plaidoyer de Françoise Gatel à propos de la loi NOTRe ; curieusement, ces deux textes sont arrivés en même temps. Selon moi, ils révèlent et procèdent d’un esprit de système : ils ont construit une forme de société de l’éloignement. On nous a vendu l’idée selon laquelle avec de grandes régions, de grands cantons, de grandes intercommunalités, tout irait mieux. Mais, partant, on a construit l’éloignement, mes chers collègues !
M. Yves Détraigne. C’est vrai.
M. Bruno Retailleau. Quand on allonge la distance entre le citoyen et le lieu où sont prises les décisions, la confiance s’érode, car la relation est inverse entre la distance et la confiance ! La crise de la démocratie, c’est la crise de la confiance. Lorsqu’on coupe les racines d’un élu parlementaire national, lorsqu’on désarticule le local et le national, alors on prend le risque d’affaiblir la confiance.
Voilà, mes chers collègues, la raison pour laquelle nous souhaitons introduire un peu plus de liberté en cette matière. Nous refusons simplement de nous abandonner à ce que je considère comme des solutions de facilité, démagogiques, qui n’ont été proposées que pour aller dans le sens des sondages. Nous voulons la liberté pour nos concitoyens de choisir leurs élus ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Ce que vient d’expliquer notre collègue Bruno Retailleau contient une part de vérité, mais une part seulement.
La loi NOTRe, en agrandissant les collectivités, a certes eu des effets très néfastes ; mais n’ayons pas la mémoire courte ! À quoi ressemble, par exemple, le découpage des intercommunalités de la loi NOTRe ? Il ressemble exactement à ce que voulait faire Sarkozy ! Qui a engagé les premiers redécoupages autoritaires d’intercommunalités ? C’est bien Sarkozy ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Qui voulait, au départ, imposer le seuil de 15 000 habitants ? Souvenez-vous du projet de loi initial : c’était bien Sarkozy !
On peut reprocher à Hollande d’avoir fait ce que Sarkozy voulait faire, mais il ne faut tout de même pas oublier les responsabilités des uns et des autres. C’est la même chose en matière de lutte contre la criminalité : qui a réduit de 10 000 le nombre de postes de policiers ? C’est Sarkozy ! (« Masson président ! » sur des travées du groupe SER. – Sourires.)
J’aimerais donc que certains de nos collègues n’aient pas la mémoire courte.
M. Bruno Retailleau. Sarkozy, sors de ce corps ! (Nouveaux sourires.)
Mme le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Je ne ferai ni le bilan de Sarkozy ni celui de Hollande ; le sujet qui nous occupe ce soir me semble un peu plus restreint que cela…
Je suis très surpris par la teneur de certains propos. Que n’entend-on dans la bouche de certains élus, lorsqu’ils rencontrent un citoyen qui se montre critique de la vie politique locale : « Ce citoyen ne parlerait pas de cette manière s’il avait été élu local… » !
Effectivement, lorsqu’on a été élu local, on a une tout autre vision des politiques locales et de ce qui fait société. Or militer pour le cumul des mandats signifie priver tout un tas de citoyens de cette possibilité de s’inscrire dans la vie politique locale, ce que je trouve très regrettable !
Une telle position est en contradiction complète avec ce que nous défendons jour après jour. Nous déplorons que les citoyens s’intéressent peu à la vie locale. Il faut qu’ils participent davantage ; et comment mieux participer sinon en étant élu local ?
M. Olivier Paccaud. Il y en a 550 000, des élus locaux !
M. Daniel Salmon. Il faut donc lutter contre le cumul. Sans doute cette proposition de loi organique n’est-elle pas aboutie : il faut aller plus loin. Mais ce n’est surtout pas en adoptant des positions réactionnaires qu’on arrangera l’état du débat démocratique dans ce pays ! Nous avons vraiment besoin, aujourd’hui, que chaque citoyen s’investisse dans la vie locale.
Mme le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Nul besoin de longs développements pour conclure ce débat qui, je l’espère, en restera là.
Nous avons bien des motifs de nous interroger sur l’état de la démocratie française ; sur la relation des citoyens à ce que nous faisons quand nous pensons les représenter, il y a sans doute beaucoup de questions à se poser.
Simplement, mes chers collègues, vous ne nous avez vraiment pas convaincus que l’idée de rétablir un cumul partiel de fonctions était pertinente, alors que les outils légaux nous permettant d’être au contact des citoyens et des collectivités et d’entretenir avec eux une relation de proximité existent déjà – c’est être dans l’illusion, me semble-t-il, que de croire le contraire.
Nous ne manquerons évidemment pas, pendant la campagne électorale de 2022, de nous réinterroger sur ce qui fait l’adhésion à la démocratie. À cet égard, en tout cas, ce n’est pas l’arrangement institutionnel un peu bancal ici proposé qui pourrait nous aider. Par conséquent, je pressens que cette proposition sera vite oubliée.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Boyer. J’ai entendu l’un de nos collègues dire que le président Sarkozy avait fait beaucoup de mauvaises choses. Voici au moins une chose qu’il avait proposée et que beaucoup de parlementaires, à l’époque, avaient approuvée : la création du conseiller territorial.
Ce conseiller territorial aurait siégé à la fois dans un conseil départemental et dans un conseil régional. Or le découpage qui fut réalisé après, aboutissant aux grandes régions que nous connaissons aujourd’hui, supprimait une telle possibilité. C’est vraiment dommage ! On avait là l’occasion de réduire le fameux « millefeuille » dont tout le monde parle mais auquel personne n’a cherché à s’attaquer. Cette solution aurait permis non seulement d’éviter les cumuls, mais aussi d’accroître la proximité entre les élus et les citoyens.
Mme le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi organique favorisant l’implantation locale des parlementaires.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 6 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 316 |
Pour l’adoption | 197 |
Contre | 119 |
Le Sénat a adopté.
11
Ordre du jour
Mme le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 13 octobre 2021 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures trente à vingt heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe SER)
Proposition de loi instaurant la vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2, présentée par MM. Patrick Kanner, Bernard Jomier, Mmes Marie-Pierre de La Gontrie, Monique Lubin et plusieurs de leurs collègues (texte n° 811, 2020-2021)
Proposition de loi tendant à sécuriser l’intégration des jeunes majeurs étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, présentée par M. Jérôme Durain et plusieurs de ses collègues (texte n° 475, 2020-2021).
Le soir :
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 octobre 2021.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt et une heures vingt.)
nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants a présenté une candidature pour la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Samantha Cazebonne est proclamée membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, en remplacement de M. François Patriat, démissionnaire.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER