M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. L’avis du Gouvernement sera évidemment défavorable, pour les motifs que j’ai exposés en discussion générale, mais également en raison des grands enjeux que vient de rappeler M. le rapporteur.
Il est absolument fondamental de poursuivre la discussion autour de ce sujet important et urgent qu’est la lutte contre le terrorisme, son actualisation et la manière d’atteindre l’objectif que nous partageons, me semble-t-il.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 5, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 16.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, et modifiée par la commission des lois du Sénat, relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (n° 695, 2020-2021).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, au préalable, je souhaite être très claire sur un point : le Gouvernement et la majorité sénatoriale de droite n’ont pas le monopole du souci de la sécurité, comme nous n’avons pas, à gauche, celui de la protection des libertés. Tâchons de ne pas considérer ceux qui critiquent le texte comme des ennemis de la sécurité et ceux qui ne souhaitent pas l’améliorer comme des ennemis de la liberté !
Qui ne souhaite pas prévenir les actes de terrorisme dans notre pays ? Personne. Il est nécessaire de rappeler ici que les crimes odieux qui nous ont endeuillés ces dernières années en France sont des actes commis pour la quasi-totalité au nom d’un islamisme politique qui alimente la peur et attise la haine de l’autre pour propager les idéologies les plus mortifères.
À partir du 8 septembre prochain se tiendra le procès des quatorze accusés des attentats qui ont frappé Paris et Saint-Denis le 13 novembre 2015, dont le seul membre encore en vie des commandos. Ce procès viendra réveiller des blessures profondes pour les familles endeuillées et pour notre pays.
Dans ce cadre, et en parallèle à l’action nécessaire à mener, il est de la responsabilité du politique, et plus encore des acteurs issus de la gauche progressiste, de se montrer rassurant, en réaffirmant certaines valeurs et en éclairant les débats.
Il m’est aujourd’hui difficile de constater que, s’agissant de certains débats politiques, ma formation est contrainte d’expliquer en quoi les idées progressistes qui l’animent sont à l’exact opposé de cet obscurantisme au service duquel évoluent les terroristes qui portent atteinte à notre Nation.
Mes chers collègues, madame la ministre, nous partageons la même intransigeance issue du même constat : nos concitoyennes et nos concitoyens ont le droit de vivre en paix sur notre territoire.
Nous divergeons, en revanche, sur la réponse à apporter à cette menace terroriste. Votre vision n’est pas nouvelle : la philosophie qui la sous-tend a traversé toutes les lois antiterroristes établies au moins depuis 1986. Plusieurs gouvernements se sont succédé sans s’interroger sur les vraies réponses à apporter à cette menace diffuse.
Certes, depuis quelques années, les actes de terrorisme commis en France n’ont plus forcément de lien direct avec la mouvance djihadiste à l’étranger, à l’image de l’attentat de Rambouillet. Nous avons affaire à des terroristes isolés, sans affiliation, et indétectables, ainsi que l’a expliqué M. le ministre Darmanin dans sa présentation du projet à l’Assemblée nationale.
Nous partageons ce constat, mais nous n’en tirons pas les mêmes conclusions. Celui-ci soulève tout d’abord une interrogation que je vous soumets : les attentats diffus que nous connaissons ces dernières années ne sont-ils pas, pour certains, des passages à l’acte d’individus dont la folie se cristallise sur la haine de l’autre que véhicule le terrorisme islamiste ?
Un début de réponse à ce phénomène est amorcé avec l’article 6 de ce projet de loi mettant en œuvre une perméabilité dans la communication des informations sur des individus faisant l’objet de mesures de soins psychiatriques sans consentement.
Cette extension du nombre de personnes ayant accès à une information médicale contrevient au principe du droit au respect à la vie privée et au secret des informations médicales. En outre, comme le dénoncent des syndicats, parmi lesquels le Syndicat de la magistrature, « ces dispositions ne font finalement qu’entériner des pratiques d’un autre âge reposant sur l’idée qu’un fou est par nature dangereux ».
Si, selon vous, cette nouvelle menace diffuse doit aboutir à un système de surveillance et de répression plus fin, plus complet et plus dur, cela nous semble, pour notre part, être un leurre, d’abord, parce qu’il sert le modèle de ceux qui réfutent notre État de droit, ensuite, parce que ce système est inefficace.
Concernant les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas, que vous souhaitez pérenniser, au moment de leur mise en œuvre et des premiers débats parlementaires, l’ancien juge antiterroriste, Marc Trévidic, s’exprimait en ces termes : « Face à des jeunes qui sont tangents, […] si vous défoncez leur porte à quatre heures du matin, si vous les assignez à résidence [ou ici à commune] pendant des mois », au départ pour trois mois renouvelables et jusqu’à douze puis vingt-quatre mois avec ce texte, cela « a pour conséquence que certains perdent leur boulot. »
Il ajoutait : « Expliquez-moi en quoi ils sont moins dangereux ensuite ? Tout homme sensé comprend que l’on attise le feu avec de telles méthodes. On tape n’importe qui, n’importe comment. »
Comme l’ont illustré les travaux de la commission des lois du Sénat, qui s’est attachée une fois de plus à un rôle de correctrice de la loi, le texte présenté par le Gouvernement avait la particularité de cumuler un nombre remarquable de risques d’inconstitutionnalités.
Sur les mesures administratives, pourquoi le Gouvernement persiste-t-il, notamment, à porter la durée maximale des Micas de douze à vingt-quatre mois, alors même que le Conseil d’État n’a pas retenu cette disposition, estimant qu’elle soulève une difficulté d’ordre constitutionnel, sans que son efficacité soit suffisamment établie ?
Une inconstitutionnalité plus lourde encore pèse sur les mesures de sûreté : le Gouvernement a repris à son compte, sous un habillage de réinsertion, le dispositif porté par Yaël Braun-Pivet, lequel avait été censuré presque intégralement par le Conseil constitutionnel en août 2020.
Le 4 mai dernier, le président de notre commission des lois, François-Noël Buffet, réécrivait lui aussi ces dispositifs en les épurant des points qui avaient motivé les réserves du Conseil constitutionnel.
Aucune de ces réécritures ne nous convainc, puisque l’économie générale des dispositifs est conservée et porte atteinte à notre État de droit, en cherchant à aiguiser davantage notre arsenal répressif par de douteux motifs visant la dangerosité supposée de certains individus ayant déjà purgé leur peine, indépendamment de la commission d’infractions.
Il faut tout de même rappeler que la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale de 2016, dite « loi Urvoas », s’était attaquée aux dispositifs d’aménagement de peine pour les détenus coupables d’infractions terroristes, réduisant au maximum les remises de peine et conduisant finalement à un problème de sorties sèches.
C’est ce problème que vous cherchez à résoudre depuis maintenant plus d’un an, et vous semblez être dans l’impasse. En effet, une fois la peine purgée, que faire de ces personnes ? Instaurer une sorte de peine après la peine avec les nombreuses mesures de sûreté que vous souhaitez mettre en œuvre, c’est faire l’aveu de l’échec de notre système pénitentiaire et du traitement de ces condamnés.
De la détention au suivi post-carcéral, en passant par la répression, rien, dans le système que vous venez consolider, ne peut éviter actes de terrorisme ou récidives.
En outre, le système de pseudo-prévention que vous imaginez n’est ni efficient ni souhaitable pour notre démocratie.
Une fois encore, vous vous inscrivez dans les pas du gouvernement précédent, qui avait fait beaucoup de mal avec sa loi relative au renseignement de 2015, en promouvant ce qui ressemble à une « loi Renseignement II », contenant l’extension du champ des activités du renseignement et la légalisation de techniques de surveillance intrusives, tout en maintenant à distance l’autorité judiciaire.
Avec l’ensemble de ces techniques, le Gouvernement se dote d’un arsenal de surveillance de masse. Or nos concitoyennes et concitoyens n’entendent pas renoncer à leur liberté individuelle, non plus qu’échanger leur vie privée contre un illusoire État sécuritaire sans faille.
Enfin, sur le texte même, nous désapprouvons l’article 19 relatif au droit d’accès aux archives publiques, sur la forme, parce qu’il s’agit d’un cavalier législatif, comme sur le fond. Cet article entrave l’accès aux archives et menace la recherche sur notre histoire contemporaine et, de ce fait, le droit d’accéder à sa vérité. Cela pose question quant à la logique qui préside à ce type de mesures.
Rappelons, comme l’a fait dans son avis la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, que l’accès aux archives est un droit reconnu dès la Révolution à tout citoyen, fondé sur l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui a valeur constitutionnelle et qui dispose que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »
En défendant cette motion de rejet préalable, l’objectif du groupe CRCE est, avant tout, de lutter contre d’idée que la technique ne serait pas politique. En effet, la technique est bien politique, et il convient de remettre le débat sur le terrain des valeurs.
La lutte contre le terrorisme ne sera efficace et effective que lorsque nous commencerons par traiter non ses symptômes, mais ses causes. De nombreuses questions restent, selon nous, en suspens pour traiter sérieusement le sujet.
Quel bilan tirons-nous de toutes les lois antiterroristes votées ces dernières années ? Leur échec flagrant ne doit-il pas nous inviter à revisiter la méthode engagée ? La prévention ne devrait-elle pas prendre le pas sur la répression, la déflation carcérale sur l’inflation carcérale et la police de proximité, de prévention et de dissuasion sur la police uniquement répressive ?
Nous répétons inlassablement notre attachement à ce modèle de police républicaine, car nous sommes persuadés que le renseignement français sortirait grandi d’une coopération renforcée avec des policiers, au plus proche de nos concitoyens.
Enfin, au niveau diplomatique, ne faudrait-il pas cesser tout échange avec des pays dont l’attitude envers les factions terroristes est parfois trouble ?
À jeter en pâture nos libertés publiques, notre pays ne sortira pas grandi, et notre sécurité collective ne se trouvera aucunement renforcée. Ce que veulent nos ennemis obscurantistes, c’est le recul de nos démocraties, la mise à mal de nos droits et de nos libertés publiques, pour revenir à cet état primitif de la loi du plus fort.
La France doit se ressaisir et rester fidèle aux idéaux qu’elle porte depuis le siècle des Lumières, en renonçant au chemin de la surenchère sécuritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, contre la motion.
M. Stéphane Le Rudulier. Le groupe Les Républicains souhaite tout naturellement examiner le projet de loi soumis à notre assemblée, et cela pour trois raisons essentielles.
La première tient à la nécessité de faire preuve de responsabilité vis-à-vis de nos concitoyens à l’heure où les mesures de la loi SILT, dont la pérennisation est prévue à l’article 1er du présent texte, arrivent à expiration le 31 juillet 2021. Ces mesures de police administrative ont fait la preuve de leur efficacité, et nous sommes dans l’obligation de les inscrire dans la loi.
La deuxième raison repose sur le fait que la commission des lois a fait des propositions constructives, qui nous semblent seules susceptibles d’assurer au texte la robustesse juridique dont il a besoin et que nous entendons soutenir avec ferveur et détermination en séance.
C’est, en particulier, le cas du dispositif de suivi des personnes condamnées pour des actes de terrorisme ayant purgé leur peine, initialement proposé par notre président François-Noël Buffet. Chacun ici peut mesurer l’importance et la portée de ce sujet.
La troisième et dernière raison tient à l’exigence de donner aux différents acteurs de la communauté du renseignement les moyens de lutter efficacement contre les menaces renouvelées ou émergentes auxquelles notre pays doit faire face demain et dans les années à venir.
Pour l’ensemble de ces raisons, notre groupe votera contre la motion tendant à opposer la question préalable présentée par nos collègues communistes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Mme Assassi souhaite opposer la question préalable à ce texte, c’est-à-dire en reporter la discussion, alors que celle-ci nous paraît essentielle.
Si nous partageons un certain nombre de constats qu’elle expose, à notre sens, les mesures qu’il contient, même imparfaites, doivent être discutées et adoptées ici au Sénat, parce que ce texte apporte un certain nombre de solutions et des moyens importants pour lutter contre le terrorisme et pour défendre notre sécurité intérieure.
Tout d’abord, il pérennise des dispositions du code de sécurité intérieure, comme les Micas, dont la validité arriverait sinon à terme en 2021. Il introduit également certains dispositifs, même si nous ne sommes pas d’accord, concernant la sortie des personnes condamnées qui sont actuellement en détention ; il s’agit, on le voit bien, d’un enjeu fort.
Enfin, il donne à nos services de renseignements des moyens pour faire face à l’évolution de la menace et au progrès des nouvelles technologies. Il est vital que nos services de renseignement puissent anticiper cette nouvelle menace et nous en protéger ; c’est pourquoi nous leur donnons les moyens d’agir grâce à ces nouveaux dispositifs.
Pour toutes ces raisons, et parce qu’il me paraît important que le Sénat soit responsable, c’est-à-dire discute et adopte ces dispositions, nous émettons un avis défavorable sur cette motion visant à opposer la question préalable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le Gouvernement sera évidemment défavorable à cette motion, pour l’ensemble de raisons que j’ai évoquées précédemment.
Pour répondre plus précisément aux propos tenus lors de la présentation de cette motion, nous considérons que ce texte est d’abord nécessaire et utile pour les femmes et les hommes qui travaillent dans les services de sécurité intérieure et dans les services de renseignement. Il est issu d’un travail concret avec les acteurs de terrain, d’échanges avec les services, avec la DGSI, avec le parquet national antiterroriste, que votre commission a également longuement auditionnés.
Ce texte est absolument nécessaire et présente un équilibre entre la préservation des libertés et les éléments dont nous avons besoin pour mieux lutter contre le terrorisme au quotidien de manière efficace.
Il respecte la totalité des règles constitutionnelles. Les décisions prises le sont sous le contrôle du juge, dans le respect le plus scrupuleux de nos libertés. Nous avons donc trouvé un équilibre. Il s’agit d’un texte efficace, loin des caricatures – je suis obligé de le dire ! – qui en ont été faites lors de la présentation de cette motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 16, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. Ludovic Haye. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est un texte non de circonstance, mais de fond, préparé depuis plusieurs mois et élaboré à partir d’une double nécessité.
D’une part, il s’agit de l’échéance prochaine de cinq mesures, auxquelles il avait été conféré un caractère expérimental au sein de la loi Renseignement de 2015 et de la loi SILT de 2017 et dont le terme a été repoussé par l’adoption d’une loi à la fin de l’année dernière.
D’autre part, ces mesures sont utiles pour faire face à une menace terroriste persistant à un niveau élevé sur le territoire national et présentant un caractère endogène et évolutif. Cet état de fait impose que les services de renseignement et les forces de sécurité disposent de moyens opérationnels et d’un cadre juridique adapté à la réalisation de leurs missions, notamment au regard des évolutions et des usages technologiques.
À partir de ce constat, assez largement partagé sur ces travées, me semble-t-il, se pose la question du choix des moyens juridiques à mettre en œuvre. L’utilité opérationnelle de certaines mesures ne saurait éluder la nécessité de s’assurer que celles-ci concilient efficacité dans la poursuite de l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public et respect des droits et des libertés.
Le projet de loi opère à ce titre plusieurs choix opportuns, dont certains suscitent une convergence dans cet hémicycle.
Il propose tout d’abord de pérenniser les cinq mesures précitées au regard de leur utilité démontrée et de leur mise en œuvre équilibrée, relevée notamment dans les rapports d’information parlementaires, dont celui de la mission pluraliste de la Haute Assemblée.
Il fait ensuite plusieurs ajustements, en tenant compte des équilibres en matière de droits et de libertés. Certains d’entre eux sont rendus nécessaires pour des raisons opérationnelles, et la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, et le Conseil d’État n’ont pas émis d’objection à leur endroit.
C’est le cas de la technique expérimentale de captation des communications satellitaires, de l’extension aux URL de la technique des algorithmes pour détecter les signaux faibles, ou encore de la faculté de recourir à des dispositifs de brouillage radioélectrique à l’encontre de drones présentant une menace.
D’autres dispositions viennent, enfin, tirer les conséquences de récentes décisions, comme l’arrêt French Data Network rendu en avril dernier par le Conseil d’État, appuyé sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne sur la conservation des données de connexion.
Cette décision, par les limites qu’elle pose aux États membres, suscite la crainte d’un affaiblissement de nos capacités de lutte contre la délinquance ne relevant pas de la criminalité grave. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen d’un amendement des rapporteurs qui tend utilement à préciser cette notion.
Je m’arrêterai enfin un instant sur un point, au regard des positions qui viennent d’être exprimées en présentation des motions : le texte prévoit d’accroître un certain nombre de garanties en matière de sécurité intérieure et de renseignement, avec le renforcement de l’encadrement des modalités de transmission des informations entre services et aux services de renseignement et celui des garanties procédurales entourant la mise en œuvre des algorithmes ou encore celui du contrôle de la CNCTR, notamment par la généralisation du caractère suspensif des avis de cette instance.
Enfin, il affirme le contrôle parlementaire au travers, notamment, des prérogatives dont jouit la délégation parlementaire au renseignement.
L’ensemble de ces garanties affermies, ainsi que les différents dispositifs précités, a été confirmé lors de l’examen en commission, et je salue le travail de nos rapporteurs, qui nous permet aujourd’hui de constater une convergence sur un certain nombre de points.
Je dois toutefois évoquer une divergence s’agissant du suivi des personnes condamnées pour terrorisme sortant de détention, qui ne relève que d’un désaccord de méthode pour répondre à un constat partagé par le Gouvernement et les rapporteurs : il est nécessaire de renforcer ce suivi au regard des insuffisances du droit en vigueur, notamment de la durée trop faible des Micas.
Au double dispositif d’allongement de la durée maximale cumulée des mesures de police administrative que constituent les Micas, d’une part, et de la création d’une mesure judiciaire de réinsertion, d’autre part, les rapporteurs préfèrent donc une unique mesure judiciaire intégrant à la fois les finalités de réinsertion et de surveillance.
Ces deux propositions concurrentes nous imposent de choisir la moins risquée du point de vue constitutionnel et nous enjoignent donc au parti pris. Au regard de la censure du Conseil constitutionnel intervenue l’été dernier à propos d’une mesure judiciaire comportant un nombre d’obligations proche de la mesure retenue par la commission, il apparaît que le risque constitutionnel existe et pèse également sur cette version.
Enfin, nos débats s’achèveront par l’examen du régime de communicabilité des archives classifiées à l’article 19, une disposition qui a fait l’objet d’un certain nombre de modifications à l’Assemblée nationale pour en limiter les effets de bord.
Au-delà du cadre législatif, il semble important de mener une réflexion qui relève de l’organisation de l’État sur la qualité des personnes qui seront désignées pour apprécier le prolongement, au-delà de cinquante ans, de l’incommunicabilité des documents relevant des exceptions visées par le projet de loi.
Nos débats pourront continuer de clarifier certains points, et le groupe RDPI votera en faveur de ce projet de loi, qui vise à répondre à un enjeu de sécurité nationale dans la conciliation des différents principes en présence. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, voilà un sujet qui, depuis quelques années, nous réunit trop souvent. Les problématiques liées au terrorisme et, par conséquent, au renseignement, s’inscrivent désormais comme des préoccupations quotidiennes pour nos concitoyens, donc pour de nombreux services administratifs et judiciaires.
Naturellement, le législateur s’implique pleinement, lui aussi, dans la lutte contre ce fléau barbare. Dès 2017, la loi SILT était venue introduire de manière temporaire dans notre droit diverses mesures inspirées des dispositions de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
Depuis lors, il nous revient, malheureusement, la tâche de pérenniser ces dispositifs, donc de nous confronter à une difficulté fondamentale : maintenir le respect et l’équilibre entre État de droit et libertés individuelles.
Bien entendu, le Conseil constitutionnel est là pour y veiller ; il l’a encore montré récemment dans sa décision du 7 août 2020 par laquelle il a censuré le dispositif adopté par notre Parlement cet été, lequel introduisait une nouvelle mesure judiciaire de suivi, à leur sortie de détention, des individus condamnés pour des faits de terrorisme.
Aussi, certaines dispositions du projet de loi examiné ce jour répondent à cette censure des juges. Je veux, à ce titre, saluer le travail du Sénat, qui s’est montré particulièrement réactif en adoptant, dès le 25 mai 2021, la proposition de loi renforçant le suivi des condamnés terroristes sortant de détention.
Pour faire fructifier efficacement ce travail parlementaire, il est évident que cette proposition doit s’intégrer au nouveau texte ; c’est ce que s’est attaché à faire notre commission, en proposant une nouvelle et bienvenue rédaction de l’article 5.
Plus largement, les autres dispositions du projet sont, pour la plupart, attendues et nécessaires.
En ce qui concerne le volet « terrorisme », le législateur s’était montré précautionneux lors de l’examen de la loi SILT, en adoptant des mesures temporaires, d’application limitée au 31 décembre 2020. Ce délai a dû être prorogé au 31 juillet 2021, mais il n’était pas possible de reporter cette pérennisation inlassablement, sauf à renoncer à ce que notre droit bénéficie d’une forme de stabilité.
Ce projet de loi permet ainsi d’aller au-delà de cette date, en ne retenant plus de limitation dans le temps, avec l’espoir qu’une telle disposition ne soit pas attentatoire aux garanties constitutionnelles exigées.
Cependant, les ajustements apportés par notre commission des lois devraient contribuer à atteindre l’équilibre espéré. Je pense en particulier à l’article 1er bis, qui a été introduit lors de l’examen du texte par l’Assemblée nationale et que la commission a amendé, en intégrant certaines réserves d’interprétation formulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 mars 2018.
Concernant le volet renseignement, ce projet de loi ajuste ou modifie un certain nombre de mécanismes institués par la loi du 24 juillet 2015.
Comme cela a déjà été souligné, il apparaît nécessaire, d’une part, de travailler à un meilleur encadrement de l’exploitation et de la transmission de renseignements entre services et aux services, et, d’autre part, d’œuvrer pour adapter les moyens de nos services de renseignement aux nouvelles formes de menaces toujours plus diffuses.
Enfin, ce projet de loi aborde un point délicat : la classification des archives. En effet, l’article 19 modifie le régime d’accès aux archives classées secret-défense en allongeant potentiellement au-delà de cinquante ans le délai pendant lequel ces archives peuvent ne pas être accessibles, notamment aux chercheurs, aux historiennes et historiens, et, plus généralement, aux citoyens.
Cette disposition pourrait créer dans notre droit l’un de ces déséquilibres que nous nous efforçons justement d’éviter. Aussi le groupe RDSE soutiendra-t-il plusieurs amendements que j’ai présentés, afin d’offrir des solutions face à ce que nous considérons, au côté du rapporteur public, comme un dysfonctionnement anachronique.
Il est indispensable que ces amendements recueillent votre assentiment, mes chers collègues, pour ne pas déséquilibrer notre droit.
Tout en demeurant vigilant quant au sort qui sera réservé à ces amendements, le groupe RDSE se montrera favorable à ce texte. (MM. François Patriat et Henri Cabanel applaudissent.)