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Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer la présence, dans notre tribune d’honneur, de Mme Iliana Iotova, vice-présidente de la République de Bulgarie, et de Son Excellence M. Nikolay Milkov, ambassadeur de Bulgarie. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, se lèvent.)
En visite en France, Mme Iliana Iotova a été reçue cette après-midi par le groupe d’amitié France-Bulgarie. Elle est accompagnée par notre collègue Loïc Hervé, qui est le président de cette instance.
Les relations bilatérales entre la France et la Bulgarie ont des racines historiques profondes. Ainsi Victor Hugo, qui siégea dans cet hémicycle, défendit-il la cause du peuple bulgare dans son combat pour la liberté et l’indépendance à l’époque de l’occupation ottomane.
Depuis lors, les liens ont été encore renforcés par l’adhésion de la Bulgarie à l’Union européenne et à la communauté francophone, dans laquelle elle prend une part active.
Nos deux groupes d’amitié travaillent ensemble à une relation toujours plus proche entre le Sénat et le Parlement bulgare. Qu’ils soient assurés de notre plein soutien.
Mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à Mme Iliana Iotova la plus cordiale bienvenue au Sénat de la République française ! (Applaudissements prolongés.)
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Prévention d’actes de terrorisme et renseignement
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons l’examen du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.
Discussion générale (suite)
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 24 juillet 2015 fixait pour la première fois le cadre légal de l’action des agents de la communauté du renseignement français. Notre rapporteur Philippe Bas affirmait, à l’occasion des débats parlementaires, qu’elle était « le signe de la maturité de notre démocratie ».
Cette maturité repose sur un subtil équilibre entre la recherche de l’efficacité des services de renseignement, qui sont essentiels à la défense de notre souveraineté, et la protection des droits et libertés constitutionnels, au premier rang desquels se situe la protection de la vie privée.
Six ans plus tard, il convient de consolider cet équilibre, afin de faire face à une double évolution : d’une part, celle de la menace qui pèse sur la sécurité intérieure et la défense de notre pays ; d’autre part, celle qui est liée à l’essor des nouvelles technologies.
Les derniers attentats, ceux de Conflans-Sainte-Honorine et de Rambouillet par exemple, ont montré que le risque terroriste évoluait vers un « djihadisme d’atmosphère », comme le qualifie Gilles Kepel, nécessitant de nouvelles méthodes pour détecter les « signaux faibles » du passage à l’acte. S’y ajoute une menace exogène persistante et la montée en puissance de certaines mouvances contestataires, via l’exacerbation d’actions subversives violentes.
Par ailleurs, les nouvelles techniques de communication, comme la 5G ou les communications satellitaires, imposent de doter les services de la communauté du renseignement français des moyens adaptés à l’évolution des pratiques des terroristes et des criminels.
Si le caractère contraint des délais encadrant l’examen de ce texte nous paraît regrettable, il est justifié par une double menace juridique.
Le terme de l’expérimentation du recours aux algorithmes a tout d’abord été reporté au 31 décembre 2021, ce qui risque de priver les services du renseignement d’une technique prometteuse. Limité à la finalité de la lutte contre le terrorisme, le traitement automatisé des données de connexion a montré tout son potentiel.
C’est pourquoi nous vous proposerons de pérenniser cette technique dans son principe, tout en limitant son extension aux URL à une expérimentation d’une durée de quatre ans, à l’issue de laquelle nous espérons avoir davantage de recul sur son utilisation. Le rapport sur les algorithmes promis au Parlement avant demain fait toujours défaut, ce qui n’aide pas à éclairer nos travaux.
L’autre menace juridique qui pèse sur les techniques de renseignement provient directement de l’application des normes européennes ! L’arrêt La Quadrature du Net de la Cour de justice de l’Union européenne du 6 octobre 2020, ainsi que celui du Conseil d’État, French Data Network, qui en tire les conséquences, fragilise le système de conservation généralisée et indifférenciée des données de trafic et de localisation.
Les articles 15 et 16 du projet de loi, profitant du « chemin de crête » tracé par le Conseil d’État, précisent et encadrent la conservation de ces données. Ils la conditionnent à une « menace grave, actuelle et prévisible » et limitent l’utilisation des données à la sauvegarde de la sécurité nationale et à la lutte contre la criminalité grave.
Bien que les dispositions visées risquent de réduire les capacités d’enquête des autorités judicaires en cas d’infractions pénales ordinaires, je vous propose d’adopter ces articles qui maintiennent les capacités opérationnelles des services de renseignement.
Néanmoins, afin d’en atténuer l’impact, je vous soumettrai un amendement visant à préciser que les données de trafic et de localisation peuvent être utilisées pour la recherche des auteurs d’actes de criminalité et de délinquance grave.
Le corollaire de l’extension des moyens des services de renseignement est le renforcement du contrôle.
Le secret qui entoure naturellement le travail quotidien des agents des services de renseignement, auquel je veux rendre hommage pour leur dévouement et pour la protection qu’ils nous garantissent, est souvent source de fantasmes. Ces services sont pourtant soumis à de nombreux contrôles, par ailleurs renforcés dans ce texte : contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, dont les pouvoirs seront dorénavant contraignants, en vertu de l’article 16 ; contrôle de la délégation parlementaire au renseignement, dont les capacités de surveillance sont élargies.
Quant à la difficile question de l’accès aux archives intéressant la défense nationale, elle a fait l’objet d’échanges nombreux entre les commissions des lois, de la défense et des affaires culturelles du Sénat.
Le choix est fait, à l’article 19, d’une large ouverture des archives intéressant la défense nationale, mais, en contrepartie, le même article crée certaines exceptions au délai de cinquante ans prévu pour les documents d’une particulière sensibilité et dont la communication prématurée serait de nature à nuire aux intérêts fondamentaux de la Nation.
À condition – nous y insisterons – que les services détenteurs de ces documents sensibles fassent leur inventaire dans des délais raccourcis, l’équilibre entre la protection du secret-défense et le libre accès aux archives est, selon nous, assuré par ce texte.
Mes chers collègues, je vous demanderai de soutenir ce texte qui, par l’équilibre trouvé en commission des lois, renforcera les deux piliers de notre République que sont la liberté et la sécurité. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s’est saisie pour avis des articles 7 à 19 du présent projet de loi.
Ces articles concernent les services de renseignement, les techniques d’investigation qu’ils peuvent utiliser, la lutte contre les drones présentant une menace, ainsi que les archives intéressant la défense nationale.
Le contexte sécuritaire national reste marqué par le terrorisme, et le continuum sécurité-défense constitue toujours un enjeu crucial pour la sécurité de nos concitoyens, quoique la menace soit plus endogène que par le passé.
Nos armées affrontent sans relâche une menace terroriste globale. La fin annoncée de Barkhane, sur laquelle nous aurions aimé avoir des indications lors du débat qui a eu lieu ici même, ne signifie pas la fin de toute présence militaire au Sahel. L’opération Chammal se poursuit, ainsi que, sur notre territoire, l’opération Sentinelle.
Si le terrorisme constitue la première des menaces, nos services ne cessent de faire face également aux agissements de puissances étrangères de plus en plus décomplexées, qui utilisent tous les moyens fournis par les nouvelles technologies et par le cyber.
Dans ce contexte, il était important que les services de renseignement, ceux du ministère des armées comme ceux des autres ministères, continuent de disposer des moyens les plus efficaces et les plus performants pour mener leur action.
La création d’un régime des interceptions satellitaires, la possibilité de solliciter les opérateurs de télécommunications en matière d’IMSI catching, afin de s’adapter à la 5G, ou encore l’extension des algorithmes aux URL, permettront ainsi aux services de rester dans la course technologique.
Par ailleurs, nous nous félicitons de la possibilité nouvelle de brouiller les drones menaçants. En effet, cette menace est loin d’être théorique. La gendarmerie nationale est d’ailleurs en pointe sur ce sujet.
Il fallait en outre, pour encadrer cette évolution, des règles juridiques répondant à deux nécessités : premièrement, la continuité avec le cadre fixé par la loi du 24 juillet 2015, car les services ont formé leurs agents à ce cadre et ont désormais besoin de stabilité ; deuxièmement, des garanties suffisantes pour que les libertés, en particulier la vie privée, ne subissent pas d’atteinte excessive.
Le projet de loi, nous semble-t-il, répond bien à ces deux exigences, et les modifications introduites par la commission des lois consolident encore cet équilibre.
Concernant les interceptions satellitaires, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a souhaité, en concertation avec la commission des lois, restreindre l’expérimentation aux services du premier cercle.
Il s’agit en effet d’une technologie à large spectre et pour le moment très expérimentale ; d’où la nécessité d’encadrer et de centraliser son usage autant que possible. Il sera toujours temps ensuite de l’ouvrir à d’autres services – je pense en particulier à la gendarmerie nationale, qui pourrait à l’avenir en avoir besoin.
Grâce aux amendements adoptés à l’Assemblée nationale, le projet de loi renforce par ailleurs les prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement, la DPR. Ainsi se trouve conservée la proportionnalité entre les pouvoirs des services et l’étendue du contrôle parlementaire, qui constitue un élément clé de notre système.
À cet égard, notre commission a souhaité enrichir le texte par deux amendements tendant à renforcer la protection du secret de la défense nationale pour ce qui concerne les travaux de la DPR et ceux de la commission de vérification des fonds spéciaux, la CVFS.
Quant au nouveau régime de communication des archives, enfin, nous avons conscience qu’il suscite des débats, mais l’équilibre atteint nous semble solide.
Je rappelle notamment que le réexamen des délais de communicabilité est très fréquent dans les services d’archives. Un tel réexamen a par exemple eu lieu sans aucune difficulté dans le sillage de la promulgation de la loi de 2008, alors que les systèmes d’information archivistique n’étaient pas aussi performants qu’aujourd’hui. La modification des informations relatives à la communicabilité de documents d’archives s’effectue désormais en temps réel et toujours au profit de l’usager.
Sous réserve de ces remarques et des amendements qui ont été adoptés par la commission des lois lors de l’élaboration de son texte, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a approuvé le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Pierre Ouzoulias, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous devons à la Révolution française le principe selon lequel les archives, leur gestion et leur communication sont des éléments constitutifs de l’État de droit, de la citoyenneté démocratique et de la construction de la mémoire de la Nation.
Dans un rapport rendu au Premier ministre en 1996, Guy Braibant décrivait ainsi ces relations : « Il n’y a pas d’Histoire sans archives […] ; il n’y a pas d’Administration sans archives […] ; il n’y a pas de République sans archives. »
Pourtant, l’application de ces sages principes a toujours été empêchée par les réticences, les obstructions et les dissimulations d’administrations qui se considéraient comme les seules propriétaires des actes publics qu’elles produisaient et qui s’arrogeaient la licence de décider de leur publicité.
Les lois de 1978 sur l’accès aux documents administratifs et de 1979 sur les archives ont eu pour objet d’organiser les droits des citoyens à connaître de leur administration au présent et dans le temps.
La loi de 2008 a conforté ces dispositifs. Portée par le gouvernement de l’époque, elle a bénéficié des travaux et des apports essentiels de la commission des lois du Sénat et de son rapporteur, le sénateur René Garrec,…
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
M. Pierre Ouzoulias, rapporteur pour avis. … ainsi que de la commission de la culture de la Haute Assemblée, sur l’initiative de la sénatrice Catherine Morin-Desailly.
Cette loi de 2008 réaffirme le principe fondamental de la libre communication des archives publiques, auquel ne peuvent être opposées que des dérogations consenties et garanties par le législateur. Dans la pratique, elle confère au ministère de la culture une mission interministérielle de coordination, de contrôle et de promotion des politiques publiques des archives.
Cet édifice législatif a été ébranlé en 2011 et en 2020 par deux instructions générales interministérielles qui ont imposé, sous la forme administrative subalterne de l’arrêté, la prééminence du code pénal sur le code du patrimoine et qui ont organisé l’incommunicabilité de documents produits voilà plus de cinquante ans parce qu’ils étaient classés au titre du secret de la défense nationale.
Ainsi, des documents qui étaient librement disponibles ont dû faire l’objet de procédures de déclassification pour être de nouveau accessibles.
Examinant un recours déposé auprès du Conseil d’État contre cette obligation de déclassification préalable, le rapporteur public a considéré que cet arrêté était illégal. Selon lui, la communication des documents classés de plus de cinquante ans est organisée par le seul code du patrimoine ; ceux-ci sont donc communicables de plein droit à l’expiration de ce délai.
Néanmoins, il considère que, exceptionnellement, les administrations peuvent ne pas autoriser leur divulgation quand celle-ci représente « une menace grave pour la sécurité nationale ».
Comme le rapporteur du Conseil d’État, je regrette que des moyens humains très considérables aient été consacrés à la déclassification d’environ un million de pièces, que des travaux d’historiens aient été entravés et que des domaines entiers de la recherche historique aient été délaissés à la suite d’une analyse juridique aussi peu assurée.
Persistant à arguer de la nécessité d’une harmonisation législative entre le code du patrimoine et le code pénal, le Gouvernement a quelque peu cavalièrement introduit dans le présent projet de loi l’article 19, qui institue un nouveau régime dérogatoire pour certains des documents déjà soumis au délai d’incommunicabilité de cinquante ans.
Peut-être eût-il été de bonne politique d’attendre la décision du Conseil d’État et de ne pas légiférer dans l’extrême urgence alors que le rapporteur public considère que l’administration peut toujours appliquer les dispositions du code du patrimoine « à la lumière de l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation ».
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Pierre Ouzoulias, rapporteur pour avis. Par ailleurs, notre commission regrette que le Conseil supérieur des archives et la Commission d’accès aux documents administratifs n’aient pas été consultés sur cette révision importante de la loi de 2008.
À l’unanimité de ses membres, la commission de la culture du Sénat a exprimé ses fortes réticences à voter en l’état un article qui révise le principe de la loi de 2008 en faisant porter sur les lecteurs et les services des archives la charge de la détermination de la communicabilité des documents.
La commission de la culture a formulé plusieurs propositions, dans le respect du principe constitutionnel de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, pour que les administrations réalisent le récolement de leurs fonds en fonction des nouvelles normes de communication et en informent les usagers des archives. Nous regrettons que ces propositions n’aient pas été entendues.
Aussi notre commission en restera-t-elle à l’opposition exprimée par tous ses membres. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – M. Laurent Lafon applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme Benbassa, MM. Gontard, Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme Taillé-Polian et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, d’une motion n° 5.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement adopté par la commission des lois le 16 juin 2021 (n° 695).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la motion.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires tient tout d’abord à affirmer, face au présent texte, son sentiment premier, à savoir une grande inquiétude. Nous remarquons en effet que, depuis quelques années maintenant, la France est le théâtre d’une succession de lois sécuritaires, qui se veulent antiterroristes, mais qui sont surtout liberticides.
Ces lois ont toutes pour objet de faire entrer dans notre droit commun un certain nombre de mesures qui, si l’on pouvait entendre leur légitimité en temps de danger imminent pour la sécurité intérieure, juste après les attentats par exemple, n’ont pourtant rien à faire dans le quotidien des Français.
Cette observation se vérifie particulièrement sous ce quinquennat : au motif de la crise sanitaire, puis au nom de la « sécurité globale » et de la lutte contre de prétendus « séparatismes », ce gouvernement a constamment diminué, petit bout par petit bout, les libertés individuelles des Français.
Oui, lutter efficacement contre la menace terroriste est un objectif que nous visons tous. Mais cela ne peut se faire au prix de l’affaiblissement des droits et libertés garantis par notre Constitution.
Cette longue suite de textes liberticides aboutit aujourd’hui à ce projet de loi.
Venons-en donc aux faits. La présente motion vise à déclarer irrecevable le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement en raison des risques d’irrecevabilité constitutionnelle que présentent certaines de ses dispositions portant atteinte à la liberté d’aller et de venir, au secret des correspondances, au secret professionnel, à la vie privée et familiale de nos concitoyens – autant de libertés que nous nous devons, nous, législateurs, de ne pas mettre en péril par la loi.
En premier lieu, ce projet de loi reprend, dans son article 5, des dispositions précédemment censurées par le Conseil constitutionnel.
En effet, la loi n° 2020-1023 du 10 août 2020, dite « Mesures de sûreté », a fait l’objet d’une large censure de la part du juge constitutionnel dans sa décision n° 2020-805 DC du 7 août 2020, au motif que ces mesures contrevenaient à la liberté d’aller et de venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale d’une manière qui n’était ni adaptée ni proportionnée à l’objectif de prévention d’actes terroristes.
Il n’est pas concevable que le Parlement introduise de nouveau dans un projet de loi une disposition précédemment jugée attentatoire aux libertés individuelles et écartée par le Conseil constitutionnel.
En second lieu, la pérennisation des dispositions de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ou loi SILT, prévue aux articles 1er à 4 du projet de loi, revient à introduire dans notre ordre juridique des mesures liberticides exorbitantes du droit commun, telles que la perquisition administrative, l’assignation à résidence, les périmètres de protection.
La récurrence des états d’urgence, la prorogation de ces mesures, puis leur pérennisation, ont pour effet de limiter nos libertés publiques individuelles sous couvert des impératifs de sécurité de nos concitoyens. Mais que protègent-elles réellement, ces mesures qui affaiblissent tant les libertés des Français ?
Le recours intensif à des procédures administratives, jugées plus rapides que les procédures judiciaires, doit nous alerter : de telles procédures contournent le contrôle du juge judiciaire, garant des libertés individuelles conformément à l’article 66 de la Constitution. Cette déjudiciarisation en marche doit, là encore, sérieusement nous alerter.
En troisième lieu, la surveillance généralisée des URL prévue aux articles 13 et 14 porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, pourtant reconnu comme principe à valeur constitutionnelle depuis la décision n° 99-416 DC du Conseil constitutionnel en date du 23 juillet 1999.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, estime en ce sens que le recueil des URL est susceptible de faire apparaître des informations relatives au contenu des éléments consultés ou aux correspondances échangées.
Sur l’ensemble des dispositifs qui concernent le déploiement des mesures de renseignement, une procédure de validation par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement a été instituée, sans aucun caractère contraignant.
Le Premier ministre peut ainsi toujours déroger à l’avis de cette commission, ce qui nous semble problématique. La préservation d’un strict équilibre entre la sécurité publique, la protection des intérêts fondamentaux de la Nation et le respect de la vie privée nécessite des garanties, ainsi que le contrôle par une autorité indépendante du pouvoir politique.
Enfin, les restrictions à l’accès aux archives prévues à l’article 19 du présent texte contreviennent au droit d’accès aux documents administratifs, pourtant consacré par la décision n° 2020-334 QPC – question prioritaire de constitutionnalité – du Conseil constitutionnel en vertu de l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La défense nationale ne peut justifier que l’on entrave le travail des chercheurs.
Observons tout de même que la majorité sénatoriale avait déjà tenté de réécrire les dispositifs les plus liberticides de la loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés. Cela n’a pas empêché leur censure par le Conseil constitutionnel. De tels procédés témoignent de l’intention d’affichage politique qui préside seule à l’écriture de ces lois sécuritaires, laquelle se fait en dépit de toute réflexion sur leur validité juridique.
Ce projet de loi avait initialement pour objet de renforcer l’arsenal pénal pour répondre à l’enjeu sécuritaire du terrorisme. Mais il perd de vue cet objet et tombe dans le piège où ont sombré toutes les précédentes lois attentatoires aux libertés individuelles.
Comme nous le déplorons régulièrement devant ce type de textes, force est de constater qu’aucune réflexion de fond n’est encore menée quant au problème réel que représente la radicalisation, particulièrement en détention.
Face à la menace terroriste, la réponse législative se démultiplie, au rythme de plus d’une loi par an depuis dix ans. L’efficacité des dispositifs votés est parfois hypothétique, alors qu’ils rognent sans ménagement les libertés fondamentales. Cette accumulation de lois sécuritaires complique le travail de l’autorité administrative et de l’autorité judiciaire.
Une telle loi n’est ni opportune ni proportionnée, tant au regard des besoins des services de renseignement que, plus encore, du point de vue de son efficience en matière de réduction du risque terroriste. L’objectif politique est manifestement de « cranter » les thématiques régaliennes avant la présidentielle, la sécurité étant devenue un thème omniprésent dans le débat public.
Inscrire dans notre droit commun des procédures d’exception affaiblit peu à peu notre État de droit ; nous ne saurions en être complices.
Ainsi, en application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires invite le Sénat à déclarer irrecevable le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, adopté par la commission des lois le 16 juin 2021. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Éliane Assassi et M. Pierre Laurent applaudissent également.)
M. le président. Personne ne demande la parole contre la motion ?…
Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Nos collègues écologistes souhaitent que le Sénat déclare irrecevable ce projet de loi.
Je rappelle que nous débattons de ces sujets pour la quatrième fois et que j’ai eu l’occasion de remettre deux rapports au nom de la commission des lois sur la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, la loi SILT, qui a pris le relais des dispositions d’état d’urgence. Je rappelle également que le Parlement a contrôlé, semaine après semaine, l’application de ces dispositifs.
S’agissant des articles 1 à 4 de ce texte, les dispositions issues de la loi SILT ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par le truchement de questions prioritaires de constitutionnalité. Chaque fois, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositifs conformes à la Constitution, dans des limites claires, qui ont été reprises dans la loi.
En ce qui concerne l’article 5 et la mesure de sûreté qu’il porte, Mme Benbassa évoque une mesure « liberticide ».
Cette disposition fait suite à la déclaration d’inconstitutionnalité qui a frappé une proposition de loi déposée par la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale.
Toutefois, le Conseil constitutionnel a fait valoir non pas qu’une mesure de sûreté serait inconstitutionnelle par principe, mais que celle-ci, telle qu’elle était présentée, n’était pas proportionnée ; il a, en outre, tracé le cadre qui lui permettrait de la valider, dans un équilibre bien compris.
Cela a motivé une réponse de la part du président de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet, qui a élaboré une proposition de loi répondant point par point au cadre fixé par le Conseil constitutionnel, et strictement inscrite dans ses limites. On ne peut donc que rejeter l’argumentation de notre collègue.
En ce qui concerne l’extension des algorithmes aux URL, Agnès Canayer vient d’indiquer dans son propos introductif que la commission avait bien pris en compte le risque pouvant en résulter pour ce qui concerne les atteintes portées à la vie privée. C’est la raison pour laquelle elle propose, par amendement, la mise en œuvre d’une expérimentation.
Enfin, s’agissant de l’article 19, que nos collègues rapporteurs pour avis ont évoqué, nous aurons l’occasion d’échanger abondamment à son sujet. Nous avons trouvé un équilibre qui nous semble judicieux et qui ne porte pas non plus atteinte aux principes constitutionnels.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission émet un avis défavorable sur cette motion.