Mme Florence Parly, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous vous avons écoutés ; à nous de nous exprimer dans le silence.
M. Gérard Longuet. Nous avons été élus, nous !
M. Cédric Perrin. Nous n’avons pas été insultants !
M. Jean-Raymond Hugonet. Eux aussi savent à quoi s’en tenir !
M. Cédric Perrin. Ils vont peut-être écrire une tribune !
Mme Florence Parly, ministre. Car s’abstenir ou voter contre une loi qui améliore leurs conditions de vie ne me semble pas à la hauteur de leur engagement. (Nouvelles protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Le 14 juillet approche, mesdames, messieurs les sénateurs. L’attachement à nos armées ne se clame pas uniquement ce jour-là.
J’en viens à la question qui m’est posée.
Mme Marie-Arlette Carlotti. Allez-y !
Plusieurs sénateurs Les Républicains. Il était temps !
Mme Florence Parly, ministre. Pourquoi n’y a-t-il pas d’actualisation ? (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gilbert Roger. Oui, pourquoi ?
Mme Florence Parly, ministre. L’objectif fixé par le Président de la République est clair : vous l’avez rappelé, il s’agit d’atteindre 2 % du PIB à l’horizon 2025 pour nos armées.
Or, si les ressources financières ont été fixées pour la première partie de la loi de programmation militaire, jusqu’en 2023 inclus, vous vous souvenez sans doute que l’exacte trajectoire reste à définir pour les deux dernières années, 2024 et 2025.
Si l’on s’en tenait, comme vous le préconisez, à la lettre de la LPM et de son article 7, que se passerait-il ? L’objectif de 2 % ayant été atteint dès 2020 – nous l’avons constaté –, cela signifie-t-il qu’il faudrait interrompre nos efforts ? Bien sûr que non ! Il faut les poursuivre – je n’ai entendu personne dire le contraire. Faut-il considérer que nos forces sont réparées et que nous pouvons en rester là ? Nous savons que le chemin à parcourir est encore long et que nous avons beaucoup à faire. Si vous soutenez la défense, comme vous venez de le réaffirmer avec force, il faut donc à l’évidence soutenir cette loi de programmation militaire : c’est un choix de cohérence.
Recourir à un texte législatif, mesdames, messieurs les sénateurs, eût été inopérant, car nous ne disposons pas de prévisions macroéconomiques fiables pour les années 2024 et 2025. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Souhaiteriez-vous prendre le risque de pénaliser nos armées devant l’incertitude de la conjoncture économique ? (Mêmes mouvements.)
Pour autant, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne restons pas l’arme au pied, selon l’expression consacrée. Nous avons conduit en début d’année un travail important d’actualisation stratégique, dont je vous ai présenté les conclusions en détail le 17 mars dernier ; ce travail confirme toute la pertinence de l’ambition fixée pour notre défense.
S’y trouve toutefois souligné aussi que nous n’avions pas anticipé l’accélération de certaines menaces et de certaines tendances. Des inflexions sont donc nécessaires, autour de trois axes
Premier axe : « mieux détecter et contrer », c’est-à-dire renforcer la priorité donnée au renseignement en développant notamment nos capacités défensives et offensives dans le champ du cyber et du numérique.
Deuxième axe : « mieux se protéger », en accélérant l’effort porté sur la résilience, c’est-à-dire la protection de nos forces et des Français sur le territoire national, en ce qui concerne en particulier les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC), la santé et la lutte anti-drones.
Troisième axe : « mieux se préparer », concerne l’entraînement et la préparation opérationnelle. Les conflits d’aujourd’hui montrent que nos armées doivent être prêtes à riposter dans tous les champs de la conflictualité, qu’ils soient matériels ou immatériels, ce qui suppose un entraînement plus conséquent et plus sophistiqué ; l’effort en cours sur la disponibilité des matériels y contribue directement.
Nous sommes donc bien en marche (Sourires.) vers l’actualisation : nous travaillons à ce qu’elle puisse intervenir en temps utile.
En attendant, j’entends beaucoup de choses qui me semblent relever du mythe, à moins qu’il ne s’agisse par là de tester les capacités de lutte contre la désinformation que nous développons. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je voudrais couper court à certaines rumeurs ou, à tout le moins, aux mauvaises interprétations.
Les différents intervenants ont fait de multiples références au rapport d’information de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat. À l’exception d’une synthèse de quelques pages, ce rapport demeure introuvable pour ceux qui le cherchent, ce qui n’empêche pas certains de le saluer. N’ayant pas eu la chance d’en être destinataire, il m’est difficile – vous en conviendrez – d’y répondre systématiquement, point par point.
Ce que j’ai pu en lire révèle une vision centrée sur les 5 % vides d’un verre à 95 % plein. Permettez-moi de vous le redire : nous sommes au rendez-vous et le verre est bien à 95 % plein !
On fait état de surcoûts ; ils s’élèveraient, dit-on, à 8,6 milliards d’euros ! À ce propos, tout de même, votre synthèse est des plus ambiguës : bien qu’elle ne soit pas longue, il faut patienter jusqu’au milieu de la cinquième page pour y lire, entre deux phrases en gras, que « ces montants ne représentent en aucun cas un surcoût net sur l’enveloppe de la LPM ». Nous voilà rassurés ! Je vais vous le dire, quant à moi, de manière plus claire : il n’y a pas de surcoût de 8,6 milliards !
Comme je vous l’ai dit, la programmation est un plan de bataille ; or, à la guerre, on s’adapte ! La LPM n’est donc pas un objet figé : nous avons fixé un cap sur une longue période et nous procédons à l’exécution en nous adaptant à la réalité, celle de la « vie des programmes », comme on dit, et celle de la conjoncture économique. La crise sanitaire, par exemple, a entraîné certaines difficultés pour nos industriels : certains n’ont pas toujours été en mesure de livrer les équipements dus à bonne date quand d’autres étaient en capacité de le faire.
Cet exercice n’a rien de théorique. Il a lieu chaque année – vous le savez très bien – et conduit à des ajustements de trajectoire capacitaire dont vous êtes informés à travers les documents budgétaires et les rapports d’exécution que nous produisons chaque semestre à votre attention.
Il semble que ce rapport de votre commission fasse référence à certains décalages. Mais, s’ils existent – j’y reviendrai dans un instant –, ces décalages résultent d’une analyse détaillée et d’une priorisation que les forces armées assument totalement.
Je voudrais relever un certain nombre d’erreurs. Vous évoquez par exemple le surcoût induit par le programme des FDI, les frégates de défense et d’intervention ; or il n’y a là aucun surcoût ! Nous avons simplement décidé d’anticiper d’une année la commande de la troisième frégate, qui était prévue avant la fin de la loi de programmation militaire. Où est donc le surcoût ? Il s’agit d’une décision qui permet d’assurer la continuité du plan de charge de Naval Group, à Lorient.
En ce qui concerne les dépenses liées au covid, je me félicite de l’agilité dont le ministère des armées a su faire preuve en se mobilisant pleinement pour que tous les crédits qui ne pouvaient être dépensés en raison des retards de certains travaux puissent être redéployés.
Nous avons donc accéléré la dépense partout où cela était possible, non pour le plaisir de dépenser l’argent public, mais bien pour répondre aux besoins de nos armées et pour soutenir notre économie au moment où elle en avait le plus besoin, en y injectant 1 milliard d’euros supplémentaires. Il ne s’agit pas d’un surcoût, mais de la mise en œuvre d’un système de vases communicants entre dépenses anticipées et dépenses retardées.
Je voudrais, dans un autre domaine, lever des inquiétudes qui ont été exprimées de manière récurrente : alors que nous enregistrons des succès historiques à l’exportation concernant le Rafale, je trouve extraordinaire qu’une excellente nouvelle pour nos emplois, pour nos entreprises et pour notre influence à l’international soit considérée par certains comme un problème.
M. Cédric Perrin. Ce n’est pas ce que nous avons dit ! (M. le président de la commission se joint à cette dénégation.)
Mme Sophie Primas. Tout va bien, il n’y a pas de problème !
Mme Florence Parly, ministre. Pour ce qui est de l’export de Rafale à la Grèce, vous savez que cette commande se traduira par la production par Dassault de dix-huit avions neufs. Et, comme je l’ai déjà souligné, une cadence de production d’un Rafale par mois représente 7 000 emplois, non seulement chez Dassault, mais aussi dans les 500 petites et moyennes entreprises qui contribuent à la chaîne de valeur du Rafale.
L’intérêt n’est pas moindre lorsqu’il s’agit de vendre des appareils d’occasion : nous avons déjà passé la commande qui permettra de compenser l’impact de la cession d’appareils d’occasion aux armées grecques pour notre armée de l’air et de l’espace.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Nous ne le nions pas !
Mme Florence Parly, ministre. Ces avions seront au rendez-vous en 2025.
Nous avons également rencontré un grand succès en Croatie, puisque nous allons y exporter douze avions. Là encore, contrairement à ce que j’ai pu entendre, et je m’en suis personnellement entretenue avec M. le président de la commission, ces appareils seront évidemment compensés à l’armée de l’air et de l’espace.
Certes, ils ne partent pas immédiatement : ils partent moins vite que les avions grecs. Mais nous allons passer cette commande ; où est donc le problème ?
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Mais dites-le-nous !
M. Cédric Perrin. S’il y avait eu un débat en bonne et due forme, nous l’aurions su !
Mme Florence Parly, ministre. Mais je vous l’ai dit, monsieur le président de la commission, et je vous le répète solennellement à cette tribune.
Vous le voyez, il y a finalement peu à redire sur cette loi de programmation militaire. (On se gausse sur les travées de droite. – M. Jean-Raymond Hugonet lève les bras au ciel.) Et il est d’autant plus difficile d’y redire quand tant a manqué à nos armées sous les mandatures précédentes.
Cela a été fort bien rappelé : entre 2007 et 2015, le budget de la défense a été durablement maintenu autour de 30 milliards d’euros, ce qui ne permettait même pas de préserver le pouvoir d’achat de nos armées.
Entre 2009 et 2013, ce ne sont pas moins de 3,8 milliards d’euros qui ont manqué à l’appel si l’on compare les budgets exécutés à ce que prévoyait une LPM pourtant calculée au plus juste.
Entre 2008 et 2015, 60 000 emplois ont été supprimés au sein du ministère de la défense. Ces suppressions ont pesé sur toutes les armées et sur tous les services de soutien à un moment où ils étaient particulièrement mis à contribution, ce qui a remis en cause la capacité des armées à conduire les opérations dans la durée.
Des réductions temporaires de capacité majeures avaient été consenties à l’occasion des lois de programmation militaire précédentes : patrouilleurs de la marine, avions ravitailleurs et de transport… La dernière LPM s’emploie non seulement à combler ces réductions temporaires de capacité, mais aussi à renouveler des équipements anciens dont le maintien en condition opérationnelle aurait été extrêmement coûteux.
Je m’étonne que l’on puisse s’offusquer du décalage d’un an du lancement du programme Capacité hydrographique et océanographique future quand notre marine a subi les conséquences des coupes budgétaires des périodes précédentes.
À cet égard, je vous renvoie à un excellent rapport du Sénat, dont la publication remonte à 2007 ; il y était déjà souligné que le programme des frégates multi-missions (Fremm) avait accumulé un retard de trois ans. Faut-il rappeler qu’ensuite le nombre de Fremm prévues a été ramené de dix-sept à huit, mais que le coût du programme, lui, n’a pas varié ? Autrement dit, la marine nationale a acquis ces bateaux à un coût unitaire multiplié par deux.
M. André Gattolin. Les chiffres sont là !
Mme Florence Parly, ministre. Le Sénat, je le sais, j’en suis témoin, sait se distinguer, quand il le veut, par la qualité de ses travaux. Sur ce sujet on ne peut plus sérieux, celui de la programmation militaire, s’il vous plaît, retrouvez votre sérieux ! (Protestations indignées sur les travées des groupes Les Républicains et SER. – M. François Patriat applaudit.)
M. Philippe Mouiller. C’est insultant !
M. Bruno Retailleau. Quel mépris du Parlement !
M. Cédric Perrin. Vous n’aviez qu’à organiser un débat !
M. Yves Bouloux. Encore faut-il qu’il y ait un État en face !
Mme Florence Parly, ministre. Vous l’avez prouvé en votant largement cette loi de programmation militaire ; vous l’avez prouvé en votant les budgets annuels qui en permettent l’exécution. Alors, ressaisissez-vous. (Les protestations redoublent sur les travées des groupes Les Républicains et SER.)
M. Bruno Retailleau. Ça suffit !
Mme Florence Parly, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs (Au revoir ! sur les travées du groupe Les Républicains.), vous l’avez compris,…
M. Laurent Duplomb. Pour comprendre, on a compris !
Mme Florence Parly, ministre. … la LPM est un engagement pleinement respecté par le Gouvernement. Nous ne dévions pas de la cible ; le cap est fermement tenu.
Cette loi de programmation militaire, vous le savez mieux que quiconque, est une première étape vers l’Ambition 2030, vers le modèle d’armée complet, durable et équilibré qui permettra de protéger la France et les Français des menaces futures.
Cet effort de remontée en puissance de nos armées, nous le poursuivrons bien évidemment au cours de l’année 2021 et à travers le budget pour 2022. Il est essentiel que la représentation nationale y apporte son plein soutien, envoyant par là un signal fort à nos armées et aux femmes et aux hommes qui les font vivre ; ils vous écoutent, et ils apprécieront. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
M. le président. À la demande du Gouvernement, le Sénat est appelé à se prononcer par un vote sur cette déclaration.
Conformément à l’article 39, alinéa 6, de notre règlement, il va donc être procédé à un scrutin public ordinaire dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement ; aucune explication de vote n’est admise.
M. Bruno Retailleau. Malheureusement !
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?… Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 135 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 282 |
Pour l’adoption | 46 |
Contre | 236 |
Le Sénat n’a pas approuvé la déclaration du Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)
PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
Lutte contre le dérèglement climatique
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (projet n° 551, texte de la commission n° 667, rapport n° 666, avis nos 634, 635, 649 et 650).
Demande de priorité
Mme la présidente. En application de l’article 44, alinéa 6 du règlement du Sénat, le Gouvernement demande la priorité sur les chapitres IV et V du titre IV, ainsi que sur les titres VI et VII, afin qu’ils soient examinés après le titre III.
Quel est l’avis de la commission sur cette demande de priorité formulée par le Gouvernement ?
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Avis favorable, madame la présidente.
Mme la présidente. La priorité est ordonnée.
Dans la discussion du texte de la commission, nous en sommes parvenus, au sein du chapitre Ier du titre V, appelé en priorité, à l’examen des amendements tendant à insérer des articles additionnels après l’article 60 quater.
TITRE V (priorité) (SUITE)
SE NOURRIR
Chapitre Ier (priorité) (suite)
soutenir une alimentation saine et durable pour tous peu émettrice de gaz à effet de serre
Articles additionnels après l’article 60 quater (priorité)
Mme la présidente. L’amendement n° 34 rectifié ter, présenté par M. Menonville, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Chasseing, Médevielle, Wattebled, Bonnecarrère et Kern, Mme Saint-Pé, MM. J.M. Arnaud, Chauvet, Hingray et Bascher, Mme Guillotin et M. Malhuret, est ainsi libellé :
Après l’article 60 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 20° du I de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime est ainsi rédigé :
« 20° De veiller à ce que tout produit agricole ou alimentaire importé soit issu d’un système de production respectant les normes de production imposées par la réglementation européenne sur le plan sanitaire, environnemental et du bien-être animal, en vue d’une protection toujours plus forte des consommateurs et d’une préservation des modèles agricoles européens ; ».
La parole est à M. Dany Wattebled.
Mme la présidente. L’amendement n° 34 rectifié ter est retiré.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 826 rectifié, présenté par M. Gay, Mme Varaillas et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 60 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le dernier alinéa du I de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Pour l’atteinte des finalités de la politique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation mentionnées au présent I, la France soutient au niveau international et européen les principes de souveraineté et de sécurité alimentaires des peuples. Elle défend le principe d’un traitement différencié dans le cadre des négociations commerciales internationales du secteur agricole, en l’excluant de tout accord commercial global ou de libre-échange. »
La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. On sait que l’intégration de l’agriculture dans l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), puis dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a conduit à sa banalisation.
Cet amendement a pour objet d’introduire la reconnaissance de l’exception agricole dans le code rural et de la pêche maritime.
Mme la présidente. L’amendement n° 1542 rectifié, présenté par MM. Montaugé, Gillé, J. Bigot et Kanner, Mmes Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy et Tissot, Mme Bonnefoy, MM. Dagbert et Devinaz, Mme M. Filleul, MM. Houllegatte et Jacquin, Mme Préville et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 60 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le dernier alinéa du I de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime est complété par une phrase ainsi rédigée : « Compte tenu de la nature particulière de l’agriculture au regard des enjeux relatifs à la souveraineté alimentaire, à la sécurité des consommateurs, à la qualité de notre alimentation et à la préservation de l’environnement, la France promeut, dans les relations internationales, un traitement différencié par la reconnaissance d’une exception agri-culturelle dans les échanges commerciaux tant au sein de l’Union européenne que dans le cadre des négociations commerciales internationales. »
La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Cet amendement vise également à introduire dans le code rural et de la pêche maritime le principe d’une exception « agriculturelle ».
Les sénateurs de mon groupe avaient déjà défendu cette idée dans le cadre de l’examen de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim, et nous avons présenté pas plus tard que la nuit dernière un amendement sur la concurrence déloyale des produits importés.
Une telle idée nous semble toujours d’actualité, singulièrement après les deux années de crise sanitaire que nous venons de vivre, avec une économie mondiale qui tourne au ralenti et des échanges commerciaux paralysés.
La France doit se réapproprier son appareil de production ; c’est une nécessité vitale d’un point de vue alimentaire. Notre souveraineté alimentaire devrait être un objectif stratégique majeur. Vous nous direz, monsieur le ministre, ce qu’en pense le Gouvernement.
Conçue sur le modèle de l’exception culturelle, cette exception agriculturelle permettrait de consacrer le principe suivant : notre modèle agricole et alimentaire ne saurait être appréhendé comme une simple marchandise soumise aux règles d’un marché hyperconcurrentiel détruisant de plus en plus de valeur et ne permettant pas ou plus la création de valeur au plan national.
Nous tenons à rappeler que l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) a inscrit en 2010 le repas gastronomique des Français au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. C’est une preuve de la spécificité et de la qualité de ce repas, et donc de la nécessité de le préserver.
Il est temps de reconnaître également la singularité culturelle de l’agriculture dans la fonction si noble qui est la sienne de nourrir la population dans son ensemble.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. Mes chers collègues, comme vous, je regrette que le secteur agricole soit trop souvent, lors des négociations commerciales, une option défensive ou, pourrait-on dire, une variable d’ajustement. Comme vous également, je m’inquiète du manque de réciprocité des normes de production et j’estime que l’Union européenne doit faire évoluer ses pratiques afin de garantir, dans le cadre de ces négociations, le respect des normes sanitaires minimales requises en Europe pour les denrées importées.
Pour autant, pratiquer l’exception agriculturelle, pour reprendre votre formule, mettrait en difficulté une grande partie de nos agriculteurs européens et français qui exportent. Je pense bien sûr aux viticulteurs, aux producteurs fromagers, aux céréaliers et aux planteurs de betteraves.
Il faut évidemment que l’Europe muscle ses dispositifs pour ne pas avoir de déconvenues dans les négociations commerciales ; elle doit remettre la question de la souveraineté au cœur de ces problématiques. Mais qu’elle abandonne toute vocation exportatrice serait préjudiciable à nos agriculteurs – je rappelle que 25 % de leurs revenus dépendent des exportations.
Vous l’aurez compris, autant la commission est favorable à établir des échanges dans des conditions de concurrence loyale, autant elle ne pense pas qu’une exception agricole globale, telle que vous la proposez, soit opportune.
Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je partage en tout point le propos de Mme la rapporteure pour avis ; mon avis sera donc également défavorable.
Je développerai rapidement deux points.
Premièrement, lors de la prochaine présidence française de l’Union européenne, comme je l’ai indiqué hier, j’aurai trois priorités : les clauses miroirs, les clauses miroirs et les clauses miroirs !
Deuxièmement, à choisir entre ces deux amendements, je préfère celui de M. Montaugé. Accord de libre-échange ou non, la question n’est pas là ; il faut simplement, quel que soit le tarif douanier, refuser de se faire imposer les normes des autres. C’est à nous d’exporter nos normes ; c’est pourquoi il nous faut absolument avancer sur cette question des clauses miroirs.
Mme la présidente. L’amendement n° 1104 rectifié, présenté par M. Gay, Mme Varaillas et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 60 quater
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les objectifs à tenir en matière de diminution de la part des importations de produits agricoles et alimentaires nécessaires, filière par filière, et tenant compte des évolutions constatées ces vingt dernières années, pour réduire l’empreinte carbone des Français présentée par la stratégie nationale bas-carbone pour le poste de consommation « alimentation », et, le cas échéant, en présentant les mesures de consolidation des normes environnementales et en termes d’émissions de gaz à effet sur l’ensemble du cycle de production exigibles à l’entrée sur le marché français.
La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Avec cet amendement, nous souhaitons suggérer qu’il faudrait aller vers une diminution de la part des importations de produits agricoles et alimentaires afin de réduire l’impact carbone de l’alimentation.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?