M. le président. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec le logement, les dépenses d’alimentation constituent la principale charge des étudiants.
En fonction de leurs moyens financiers et des charges fixes auxquelles ils ne peuvent se soustraire, parmi lesquelles figurent notamment les frais de téléphonie et d’internet, les achats de nourriture, essentiels par définition, deviennent une variable d’ajustement qui se traduit souvent par de petites quantités et une mauvaise qualité, ou bien rien !
Les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire que nous avons vécue n’ont en rien arrangé la situation des étudiants. Cette crise a accentué les inégalités au sein de cette population très hétérogène, affectant tout particulièrement les étudiants ne bénéficiant pas d’un soutien financier familial et/ou exerçant une activité rémunérée pour subvenir à leurs besoins.
Les confinements successifs et la fermeture des restaurants universitaires les ont souvent privés d’un repas équilibré par jour. Un quart des étudiants dont les difficultés financières se sont aggravées pendant le confinement ont déclaré ne pas toujours avoir pu manger à leur faim pour des raisons financières.
La hausse de la fréquentation des épiceries sociales et solidaires dans les campus et l’affluence constatée lors des distributions de colis alimentaires organisées par les acteurs associatifs témoignent de l’aggravation du phénomène de précarité étudiante qui préexistait à la crise.
Le 25 janvier dernier, le Gouvernement a mis en place le repas à 1 euro pour tous les étudiants, qu’ils soient boursiers ou non. Si nous avons salué cette mesure, force est de constater qu’il existe, un peu à l’image de la cartographie des réseaux téléphoniques, des « zones blanches ». Une part trop significative d’étudiants est exclue de ce dispositif. Comme mon collègue Pierre-Antoine Levi, auteur de ce texte, aime à le rappeler, les étudiants peuvent télétravailler, mais ils ne peuvent pas « télémanger » !
Nous avons tous, dans nos circonscriptions, des territoires sous-dotés en structures de restauration universitaire. En Vendée, par exemple, la faculté d’Angers propose une formation pour les L3 située aux Sables-d’Olonne ; le Crous le plus proche est à 30 kilomètres, à La Roche-sur-Yon, ce qui rend impossible toute restauration universitaire pour ce type d’étudiants.
Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi au service de ces derniers : elle vise à améliorer leurs conditions d’accès à une restauration au tarif étudiant. Comment ? En dupliquant un dispositif social accessible aux salariés, c’est-à-dire en créant un ticket restaurant à destination des étudiants, qui leur permettra d’accéder à une offre de restauration de proximité à moindre coût.
Cette idée n’est pas nouvelle, mon jeune (Sourires.) collègue Jean Hingray la défendait déjà sur les bancs de l’université, avant de la porter dans notre assemblée. Au regard des conséquences de la crise sanitaire, une telle mesure devient urgente.
Ce ticket restaurant permettra un élargissement du cadre de la restauration étudiante à la fois géographique et temporel. De nombreux Crous, en effet, n’ouvrent que pendant la pause méridienne et seulement quelques mois dans l’année. Ce dispositif donnera également plus de souplesse aux étudiants, qui pourront utiliser ces tickets au restaurant ou bien pour faire leurs courses et cuisiner chez eux.
L’amendement proposé par le rapporteur lors de l’examen du texte par la commission, que nous avons adopté, a permis de réajuster le dispositif qui se concentre uniquement, désormais, sur les étudiants éloignés de toute structure. Je ne doute pas du fait que les étudiants qui assistent aujourd’hui à notre séance partagent cette perspective !
Une telle clarification permet de contrer les abus éventuels. Elle s’inscrit dans une démarche d’offre complémentaire et non concurrentielle avec le réseau des œuvres universitaires et scolaires, évitant ainsi tout risque de déstabilisation de ce dernier.
Pour conclure, je souhaite saluer notre collègue Pierre-Antoine Levi, auteur de cette proposition de loi, ainsi que le rapporteur Jean Hingray, pour leurs travaux précis et efficaces au service de l’amélioration des conditions de vie de nos étudiants, lourdement affectés par la crise sanitaire et trop souvent oubliés ces derniers mois.
Le groupe Union Centriste votera unanimement cette proposition de loi. Madame la ministre, entendez l’appel des étudiants éloignés des sites ! Ils sont aujourd’hui dans les tribunes, et je les salue. Ce texte pourrait aboutir rapidement, si vous vous en saisissez. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la détresse dans laquelle se trouvent plongés bon nombre d’étudiants depuis le début de la crise sanitaire que nous traversons s’est singulièrement illustrée par les images de longues files d’attente occasionnées par la distribution de repas gratuits.
Ce phénomène, certes largement conjoncturel, a mis en exergue les difficultés matérielles rencontrées par les étudiants, dont la vie est loin d’être un long fleuve tranquille. Se nourrir, au même titre que se loger, ressemble pour certains à un véritable parcours du combattant, dans lequel on cherche plus des mesures palliatives qu’un confort idéal. C’est une situation dans laquelle on se satisfait de conditions juste acceptables pour poursuivre ses études.
Au travers de la proposition de loi déposée au Sénat par Pierre-Antoine Levi et à l’Assemblée nationale par ma collègue du Maine-et-Loire Anne-Laure Blin, il s’agit de prendre en considération la précarité alimentaire, dont souffrent certains étudiants, et de proposer, pour l’estomper, une mesure de ticket restaurant, dont chacun connaît le fonctionnement pour les salariés du secteur privé.
Comment adapter un tel dispositif au public estudiantin ? La question n’est pas si simple, et je veux saluer le travail de M. le rapporteur, Jean Hingray, qui, tout au long des auditions qu’il a menées, a bien mesuré les écueils, les difficultés d’application et les impacts d’une telle mesure.
Une instauration généralisée des tickets restaurant pour tous les étudiants, quel que soit le campus fréquenté, comportait à mon sens un potentiel risque de déstabilisation du réseau des Crous qui, rappelons-le, a la charge à la fois des restaurants et des résidences universitaires.
Mon dernier rapport budgétaire mettait en lumière les pertes financières des Crous, qui sont concentrées sur la partie restauration. De plus, de nouvelles exigences en matière d’approvisionnements locaux et en aliments bio, liées notamment à l’application de la loi Égalim, engendreront un surcoût non négligeable. Il me semble par conséquent délicat de les solliciter davantage sans une augmentation de la subvention pour charges de service public. Nous pourrons avoir ce débat lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.
Cependant, il reste les fameuses zones blanches évoquées par M. le rapporteur, soit, pour l’essentiel, les antennes universitaires non pourvues de resto U, où chacun doit se débrouiller pour accéder à une alimentation à un tarif raisonnable et, si possible, équilibrée.
Je félicite M. le rapporteur d’avoir trouvé, via un amendement largement adopté par la commission, une nouvelle rédaction de l’article 1er qui introduit une judicieuse territorialisation de la mesure. Le décret d’application devra préciser les modalités de mise en œuvre de ce ticket restaurant étudiant, notamment son périmètre et son usage.
Il subsiste toutefois, semble-t-il, quelques interrogations, voire certains griefs contre cette initiative législative. C’est bien connu, quand on veut se débarrasser de son chien, on dit qu’il a la rage…
J’estime ainsi que le coût de la mesure est largement surévalué. La subvention de 3,30 euros par repas ne saurait être multipliée par le nombre d’étudiants – quasiment 2,8 millions – et le nombre de repas que compte une année universitaire. D’une part, la territorialisation évoquée précédemment réduit considérablement « l’assiette », si je puis dire. D’autre part, les habitudes des étudiants sont diverses, et une étude montre que moins d’un étudiant sur deux fréquente les restaurants universitaires. Rappelons-le également, comme pour les salariés du secteur privé, il s’agit d’une possibilité que chaque étudiant exercera à sa guise – il n’y a donc rien de systématique.
Par ailleurs, la mesure est considérée par certains comme une faveur, dont il conviendrait de faire le procès, accordée aux chaînes de restauration rapide, comme si chaque étudiant, muni de son ticket restaurant dûment acquis, achètera et avalera, jour après jour, son hamburger favori, sans aucune considération diététique. Curieusement, il n’a pas été mis en avant que ces tickets pourraient aussi être utilisés chez les restaurateurs, qui souffrent depuis maintenant dix-huit mois.
Je rappelle que nous parlons ici de jeunes adultes, régulièrement sensibilisés à la problématique de l’alimentation et de ses conséquences sur leur santé, de jeunes gens dotés d’une certaine capacité à avoir une attitude responsable.
Si je reprends cet argument, faudrait-il envisager que toute mesure d’aide sociale, des allocations logement au RSA, en passant par les indemnités chômage, soit accompagnée d’un mode d’emploi, d’un règlement pour son usage, voire d’un conseiller délivrant les autorisations de décaissement ? Je ne souscris évidemment pas à une telle vision de mise sous tutelle.
Pour les raisons que je viens d’invoquer, les sénateurs du groupe Les Républicains ont choisi de faire confiance à ce dispositif novateur et aux étudiants pour son usage. Par conséquent, ils voteront pour l’adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant
Article 1er
Le chapitre Ier du titre II du livre III du code de l’éducation est complété par un article L. 821-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 821-5. – Le ticket restaurant étudiant est un titre spécial de paiement remis aux étudiants n’ayant pas accès à une structure de restauration universitaire pour leur permettre d’acquitter en tout ou en partie le prix d’un repas consommé ou acheté auprès d’un organisme ayant conventionné, sur le territoire considéré, avec les établissements d’enseignement supérieur, les collectivités territoriales ou le réseau des œuvres universitaires et scolaires.
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article. »
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par Mmes Van Heghe et S. Robert, MM. Kanner, Antiste et Assouline, Mme Lepage, MM. Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Sabine Van Heghe.
Mme Sabine Van Heghe. La mise en place d’un ticket restaurant universitaire, même restreint au bénéfice des seuls étudiants éloignés des centres universitaires, permettra à l’initiative privée de se substituer partiellement au service public de restauration universitaire, tout en bénéficiant de financements publics.
La mise en place de ce ticket risque d’entraîner une diminution de la fréquentation des restaurants universitaires et, donc, une baisse de leurs moyens, qui sera lourde de conséquences sociales et sur la pérennité de leur réseau.
Le dispositif est en outre extrêmement flou quant aux financeurs et à leur participation respective dans le dispositif. Il ne présente aucune garantie d’exigence de qualité nutritive des repas accessibles grâce au ticket. Ce dernier ne sera vraisemblablement pas accessible aux étudiants les plus précaires, puisqu’il apparaît, à la lecture de l’exposé des motifs de la proposition de loi, qu’une part non négligeable restera à la charge des destinataires.
Il aurait été préférable de rediriger les fonds publics prévus pour financer ce ticket restaurant étudiant vers le renforcement des aides sociales.
Par conséquent, nous demandons la suppression de l’article 1er.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Hingray, rapporteur. La commission est bien entendu défavorable à cet amendement.
Pour répondre à votre intervention à la tribune, ainsi qu’à nos échanges en commission, madame la sénatrice, j’aurais préféré, au lieu de cet amendement de suppression, un amendement prévoyant la mise en place d’un critère social. Si vous teniez à ce critère, nous aurions pu en discuter, voire y être favorables.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. Je profite de l’opportunité qui m’est donnée pour remercier l’ensemble des sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, de leur hommage appuyé, auquel je m’associe, aux Cnous et aux Crous, et à leurs agents, qui seront très sensibles à la reconnaissance du rôle essentiel qu’ils jouent auprès de nos étudiants.
Je veux également remercier l’auteur du texte et le rapporteur de la commission d’avoir mis un coup de projecteur sur ce sujet, qui est bien réel. Je salue, enfin, la très grande qualité des débats.
Plus précisément sur cet amendement, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
(Supprimé)
Article 3
I. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
II. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par Mmes Van Heghe et S. Robert, MM. Kanner, Antiste et Assouline, Mme Lepage, MM. Lozach et Magner, Mme Monier, M. Stanzione et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Sabine Van Heghe.
Mme Sabine Van Heghe. Cet amendement de coordination n’ayant plus de raison d’être, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 2 est retiré.
Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi visant à créer un ticket restaurant étudiant.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quarante-cinq, est reprise à onze heures cinquante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
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Nommer les enfants nés sans vie
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie, présentée par Mme Anne Catherine Loisier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 189, texte de la commission n° 655, rapport n° 654).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la proposition de loi.
Mme Anne-Catherine Loisier, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui est le fruit de rencontres et d’échanges avec des familles durement éprouvées par la perte d’un enfant né sans vie. Je salue celles qui sont présentes ce matin en tribune.
Ce texte vise à donner un nom de famille à ces enfants afin d’accompagner le deuil des parents et de figer ainsi dans la loi les premiers éléments d’une reconnaissance sociale. La disposition proposée n’emporte pas de droits supplémentaires, mais elle permet aux familles comme à tous les professionnels qui les accompagnent dans ces moments si pénibles, les sages-femmes, le personnel médical et les agents de l’état civil, des services funéraires, mais aussi des caisses d’allocations familiales ou de la Mutualité sociale agricole, de s’appuyer sur un cadre juridique à même – je l’espère – de faire évoluer les pratiques et de résorber les trop nombreuses inégalités territoriales constatées.
Je voudrais ici remercier les juristes et les sociologues que j’ai sollicités pour qu’ils m’éclairent dans la compréhension de ce dossier. Je salue le travail d’analyse et de sensibilisation qu’ils réalisent sur ce sujet délicat. J’attire d’ailleurs l’attention de ceux qui ne le connaîtraient pas sur le rapport Périsens (périnatalité, statuts, enregistrement, statistiques), publié en juin 2019 dans le cadre de la mission de recherche « Droit et justice ».
En matière de reconnaissance des enfants sans vie, la situation est bel et bien préoccupante. Leur nombre est estimé à 8 000 par an, mais leur recensement est difficilement fiable puisque certains parents choisissent, semble-t-il, de ne pas faire enregistrer leurs enfants.
En l’absence de personnalité juridique, la loi ne reconnaît pas socialement ces enfants, pas plus qu’elle ne reconnaît le deuil périnatal.
Nous entendons franchir ce pas, en permettant aux parents qui le souhaitent d’attribuer un nom de famille à ces enfants et en inscrivant dans la loi la possibilité de choisir un prénom. Cette dernière faculté est reconnue aux parents par un texte normatif, la circulaire du 19 juin 2009, aux termes de laquelle « un ou des prénoms peuvent être donnés à l’enfant sans vie, si les parents en expriment le désir », mais elle n’est jusqu’à présent pas prévue à l’article 79-1, alinéa 2, du code civil. J’ajoute que l’ouverture d’une telle possibilité se ferait sans créer de personnalité juridique ni de lien de filiation.
La disposition que nous soumettons au débat a été formulée sous forme de recommandation, dès 2005, par le Médiateur de la République.
La situation des enfants nés sans vie pose de nombreuses questions qui restent en suspens d’un point de vue juridique : au motif qu’il n’a pas de personnalité juridique, l’enfant né sans vie doit-il être juridiquement considéré comme l’enfant de personne ? Pourquoi ne pas attribuer un nom et un lien de filiation à un enfant né sans vie, alors qu’il peut être inscrit sur le livret de famille et se voir attribuer un prénom ? Qui porte un prénom sans avoir de nom ?
Inversement, malgré la non-reconnaissance d’un lien de filiation, l’acte d’enfant sans vie doit énoncer l’identité des père et mère en application de l’article 79-1 du code civil.
Il y a là autant de questions auxquelles cette proposition de loi ne répond que partiellement.
En ce sens, elle constitue à mes yeux une étape dans la prise de conscience juridique de ces situations, mais également dans l’organisation d’un accompagnement des familles qui reste à construire.
Je remercie notre rapporteur, Marie Mercier, pour le travail d’ajustement qu’elle a accompli, ainsi que mes collègues pour leurs propositions, en particulier l’amendement visant à ce que soit remis chaque année au Parlement un rapport sur la protection sociale à laquelle ont droit les parents d’enfants nés sans vie.
Ces dispositions constituent de réelles avancées sur le chemin de la reconnaissance des enfants nés sans vie et de l’accompagnement social du deuil des familles.
Ces nom et prénom individualisent l’enfant, lui accordent une place « officielle » dans la famille et dans son histoire, l’affirment aux yeux de l’administration, des services publics et des différents acteurs qui accompagnent la famille. Supports mémoriels et de deuil essentiels pour la famille, ils représentent un pas supplémentaire vers la reconnaissance sociétale de cette épreuve.
Ils permettront, je l’espère, d’avancer encore, à l’avenir, vers une plus grande considération sociale et surtout, monsieur le garde des sceaux, vers une meilleure uniformisation du traitement de ces situations et de l’accompagnement des familles sur l’ensemble du territoire.
Tels sont les objets de cette proposition de loi que vous me permettrez de qualifier d’humaniste et que je vous invite à voter. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et RDSE. – Mmes Éliane Assassi et Esther Benbassa applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’objet de la proposition de loi de notre collègue Anne-Catherine Loisier est volontairement très circonscrit : il s’agit de donner un nom aux enfants nés sans vie pour mieux accompagner les familles qui subissent un deuil périnatal. C’est cela, tout cela, mais rien que cela qui nous occupe ce matin.
La notion d’enfant sans vie est une notion juridique issue de l’article 6 de la loi du 8 janvier 1993 modifiant le code civil relative à l’état civil, à la famille et aux droits de l’enfant et instituant le juge aux affaires familiales, qui a distingué les enfants sans vie des enfants nés vivants et viables, dotés, eux, d’une personnalité juridique.
Bien que les enfants sans vie ne se voient reconnaître aucune personnalité juridique, le législateur a fait le choix d’accompagner les parents dans leur deuil, en permettant l’enregistrement de ces enfants à l’état civil.
L’acte d’enfant sans vie est directement inscrit dans le registre des décès. Il s’agit, pour les parents, d’un acte optionnel qui n’est soumis à aucun délai particulier, contrairement à l’acte de naissance qui doit être établi dans les cinq jours après l’accouchement.
Les parents sont désignés, dans l’acte, sous l’appellation de « père » et « mère », ce qui peut sembler paradoxal puisque l’enfant, n’ayant pas de personnalité juridique, n’a pas de filiation. Nous aurons un débat tout à l’heure sur cette notion de « père » et « mère » ; le sujet n’est pas là et cette question ne doit pas compliquer l’examen de la présente proposition de loi.
L’inscription à l’état civil vient ici donner l’apparence d’une existence juridique et l’apparence d’une filiation, bien que celles-ci ne soient en réalité que mémorielles. Il y va d’« un accompagnement bienveillant » par le droit, selon l’expression utilisée par un universitaire que nous avons auditionné, une sorte d’« accommodement raisonnable » du droit.
Depuis 2008, l’acte d’enfant sans vie est conditionné à la production d’un certificat médical attestant de l’accouchement de la mère, que celui-ci ait eu lieu de manière spontanée ou ait été provoqué pour raison médicale, selon un modèle défini par arrêté du ministre de la santé.
N’ouvrent pas la possibilité d’un tel certificat d’accouchement, et donc d’une inscription à l’état civil, les interruptions de grossesse du premier trimestre, c’est-à-dire les interruptions spontanées précoces – les fausses couches – et les interruptions volontaires de grossesse. Je précise qu’auparavant une circulaire imposait aux officiers de l’état civil d’appliquer les seuils de viabilité reconnus par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), soit un poids de 500 grammes ou une aménorrhée de vingt-deux semaines. Mais la Cour de cassation, par trois arrêts du 6 février 2008, a jugé qu’une simple circulaire ne pouvait limiter les droits des parents ni ajouter au texte des conditions qu’il ne prévoit pas. C’est donc désormais aux médecins qu’il revient de constater s’il y a eu ou non accouchement.
Depuis 2008, les couples non mariés dont le premier enfant est mort-né ou non viable peuvent également se faire délivrer un livret de famille par l’officier de l’état civil afin d’y inscrire leur enfant, ce qui n’était possible auparavant que pour les couples mariés ou ayant déjà un enfant.
Une circulaire du 19 juin 2009 a ensuite reconnu aux parents le droit de choisir un ou des prénoms pour leur enfant sans vie. Les parents peuvent également organiser des funérailles et bénéficier de certains droits sociaux tels que les congés de maternité et de paternité ou le congé de deuil.
L’auteure de cette proposition de loi veut autoriser l’inscription de l’enfant sans vie à l’état civil sous un nom. Elle souhaite par ailleurs inscrire dans la loi, et non plus dans une simple circulaire, la possibilité de lui donner un prénom.
L’intention de l’auteure est de limiter la portée de l’attribution d’un nom au seul acte d’enfant sans vie, afin d’éviter tout effet de bord potentiellement indésirable. La rédaction proposée précise à cette fin que l’acte d’enfant sans vie « emporte uniquement modification de l’état civil de l’enfant ».
La question qui se pose à nous est celle de savoir si nous souhaitons aller plus loin dans la reconnaissance de l’enfant sans vie. Les parents peuvent déjà inscrire leur enfant à l’état civil sous un prénom, l’inscrire sur leur livret de famille et organiser pour lui des funérailles. Faut-il leur accorder le droit supplémentaire de lui donner un nom ?
Oui, a répondu la commission des lois. Elle a estimé qu’il était légitime d’aller au bout du processus d’identification de l’enfant mort-né ou non viable pour mieux l’inscrire dans l’histoire familiale et matérialiser symboliquement le lien de filiation du père, ce dernier n’ayant pas le même rapport charnel avec l’enfant que la mère, qui a accouché.
Par ailleurs, donner un nom en plus du prénom rendrait plus cohérente la reconnaissance symbolique de l’enfant sans vie et procéderait de la même logique compassionnelle que celle qui présida à la création par le législateur de l’article 79-1 du code civil en 1993. Les familles ne comprennent pas « l’entre-deux » actuel, en vertu duquel on peut choisir un prénom, mais pas un nom.
Toutefois – c’est un point important –, la commission a souhaité inscrire expressément dans le texte le caractère symbolique de ce pas supplémentaire. Il ne s’agit pas d’ouvrir la voie à la reconnaissance d’une personnalité juridique à l’enfant sans vie via l’attribution de prénoms et d’un nom.
Le prénom et le nom sont des attributs de la personnalité juridique. C’est parce qu’il y a personnalité juridique que la personne peut avoir un prénom et un nom, puis une filiation, et ainsi entrer en ligne de succession.
À l’inverse, si le législateur décide de donner un prénom et un nom à une personne dépourvue de personnalité juridique, cette attribution lui confère-t-elle de facto une personnalité juridique ? Les professeurs de droit que j’ai entendus ont estimé que non. En droit français, seul le fait d’être né vivant et viable confère la personnalité juridique.
Néanmoins, pour éviter tout risque de construction prétorienne et dans la mesure où l’auteure de la proposition de loi s’était déjà engagée dans cette voie, la commission a ajouté la précision selon laquelle « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique ». Ainsi se trouverait expressément écarté tout éventuel effet, en matière de filiation et de succession notamment, sans qu’il soit fait mention, comme initialement proposé, d’un « état civil » dont l’enfant sans vie est dépourvu, car – je vous le rappelle – il n’a pas de personnalité juridique.
Compte tenu de la valeur simplement mémorielle de l’acte d’enfant sans vie, cette mention écarterait également l’application de l’alinéa 3 de l’article 311–21 du code civil en matière de dévolution du nom de famille – « le nom précédemment dévolu ou choisi vaut pour les autres enfants communs » –, ce qui n’empêcherait évidemment pas les parents de choisir le même nom de famille pour leurs enfants nés postérieurement.
Enfin, conformément à la volonté initiale de l’auteure, la rédaction adoptée par la commission marque de manière plus claire le caractère optionnel de l’attribution d’un ou de prénoms et d’un nom à l’enfant sans vie. Par ailleurs, elle précise les modalités du choix du nom par les parents.
Au bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose d’adopter la proposition de loi de notre collègue Anne-Catherine Loisier, ainsi modifiée avec son assentiment.
Je veux le répéter encore : il s’agit simplement d’offrir un accompagnement à ces familles qui sont et resteront pour toujours pleines de larmes. Aidons-les un tout petit peu dans ce deuil impossible qu’est le deuil de l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)