M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, en 2020, 740 000 naissances ont eu lieu dans notre pays.
Parfois, hélas, le chagrin est au rendez-vous d’un événement qui se voulait heureux. Je pense bien sûr à la peine des parents et des familles qui ne pourront pas entendre le premier cri de cet enfant attendu, né sans vie. L’année dernière, 8 747 actes d’enfant sans vie ont été dressés. Derrière ce chiffre se cachent des douleurs immenses. Ce deuil nécessite un accompagnement et beaucoup d’empathie de notre part.
Aujourd’hui, un acte juridique permet de reconnaître cet enfant : c’est l’acte d’enfant sans vie, créé par la loi du 8 janvier 1993 relative à l’état civil, à la famille et aux droits de l’enfant.
L’article 79-1 du code civil distingue ainsi deux hypothèses.
Lorsque le certificat d’accouchement atteste que l’enfant est né vivant et viable, mais que celui-ci décède avant l’établissement de l’acte de naissance, l’officier d’état civil dresse simultanément un acte de naissance et un acte de décès. L’enfant qui est né vivant et viable, même s’il n’a vécu que quelques instants, a été une personne avec tous les attributs de la personnalité juridique.
Au contraire, lorsqu’il n’est pas attesté par le certificat d’accouchement que l’enfant est né vivant et viable, un acte d’enfant sans vie peut être établi. Cet acte est enregistré seulement sur les registres de décès. L’enfant sans vie peut recevoir un prénom et être inscrit sur le livret de famille avec indication du nom de ses père et mère, alors même que la filiation n’est pas juridiquement établie.
Ceux que la loi désigne comme « enfants sans vie » sont, d’une part, les enfants qu’on appelait jadis « mort-nés » et, d’autre part, les enfants décédés peu après la naissance, car ils n’étaient pas viables.
Avec votre proposition de loi, madame la sénatrice Loisier, vous souhaitez donner un nom de famille aux enfants sans vie pour accompagner le deuil des parents.
Je veux saluer la grande humanité de votre démarche ; je partage avec vous l’objectif visant à mieux prendre en compte la situation des familles touchées par de tels drames. Il s’agit d’un enjeu essentiel pour nous tous, notamment pour le Gouvernement. L’implication de chacun est nécessaire pour accompagner ces familles à la hauteur de leur souffrance.
Je tiens à exprimer ici devant vous une pensée chaleureuse et particulière à l’attention de l’ensemble des familles qui ont été frappées par la douleur de la perte d’un enfant né sans vie. L’épreuve immense qu’elles traversent mérite toute notre attention ; nous nous devons de le leur dire.
Votre proposition de loi, madame la sénatrice Loisier, fait œuvre utile en ce qu’elle permet de poser le débat et de faire connaître des situations trop souvent ignorées.
J’entends être au rendez-vous des demandes légitimes qui s’expriment en faveur d’un traitement digne et respectueux des enfants nés sans vie et de leurs familles.
Je veux vous assurer que le ministère de la justice, le ministère des solidarités et de la santé et le ministère de l’intérieur, ainsi que le ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, s’emploient avec détermination à améliorer l’accompagnement des familles. Il s’agit de répondre à leur demande légitime d’un traitement digne et respectueux des enfants nés sans vie. Or, à cette demande, plusieurs réponses ont été apportées, dont je voudrais faire le bref rappel devant vous.
Tout d’abord, pour les familles qui le souhaitent, l’inscription dans l’histoire familiale des enfants nés sans vie est déjà possible.
Cette inscription passe en premier lieu, comme je l’ai dit, par l’établissement d’un acte officiel : l’acte d’enfant sans vie. Elle passe aussi par la mention du prénom de l’enfant dans un livret de famille remis aux parents, à leur demande, par l’officier d’état civil, et qui porte la mention des parents. Elle passe également par l’organisation de funérailles à la demande de la famille. Les communes peuvent d’ailleurs autoriser des funérailles, même en l’absence d’acte d’enfant sans vie.
Le travail mémoriel peut en outre se traduire par l’apposition d’un prénom, mais aussi d’un nom de famille, sur la sépulture. En effet, le code général des collectivités territoriales n’impose pas que l’identité gravée sur le monument funéraire soit strictement identique aux données de l’état civil. Les titulaires de la concession funéraire peuvent demander une inscription différente.
À notre connaissance, la mise en œuvre de l’article 79-1 du code civil ne donne lieu à aucune difficulté d’application, pour les officiers de l’état civil comme pour les professionnels de santé ou pour les communes – et je tiens à vous assurer que le Gouvernement est vigilant sur ce point.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les instructions qui ont été données vont dans le sens d’une appréhension des situations empreinte d’humanité. Les professionnels qui sont amenés à intervenir y sont évidemment sensibilisés.
Ensuite, l’accompagnement des familles a été renforcé. Des recommandations générales concernant la prise en charge du deuil périnatal ont été définies par la Haute Autorité de santé. En complément, certains réseaux de santé périnatale ont travaillé à la définition de recommandations régionales permettant d’harmoniser l’accompagnement du parcours de deuil.
Tous les efforts sont donc faits pour proposer à la famille un accompagnement individualisé et pour lui délivrer l’intégralité des informations nécessaires en matière d’investigations cliniques complémentaires, de procédures administratives, de droits aux prestations sociales ou aux congés parentaux, d’inscription à l’état civil ou d’obsèques.
Enfin, le droit actuel tient compte de toutes les sensibilités. En effet, chacun est libre de faire établir un acte d’enfant sans vie. Chacun est libre de donner un prénom à l’enfant. Chacun est libre d’organiser des funérailles ou de s’en remettre aux établissements de santé. Chacun est libre d’associer au prénom un nom sur la sépulture.
Faut-il aller plus loin et introduire dans le code civil la possibilité d’inscrire à l’état civil un nom de famille ? Cette proposition, dont je comprends et respecte les motivations, me conduit à émettre deux réserves, mesurées, que je voudrais partager avec vous.
La première est qu’une telle inscription peut être de nature à rigidifier les règles applicables en matière d’état civil. En effet, le cadre actuel, dans sa souplesse, permet à chacun de faire son deuil comme il l’entend face à l’épreuve terrible que constitue la perte de l’enfant tant attendu. Car je ne crois pas qu’il y ait une seule façon de faire son deuil. Certains souhaitent oublier ; ceux-là aussi doivent être pris en compte.
La seconde concerne le code civil et le droit des personnes : le risque existe d’un déplacement des équilibres acquis.
La proposition qui consiste à introduire dans le code civil la possibilité de donner un nom à l’enfant né sans vie pose une difficulté juridique : comment justifier que le nom soit dévolu sans qu’une filiation soit établie ? Et comment donner à l’enfant un nom à l’état civil, en lui déniant toute personnalité juridique ?
J’ai bien sûr relevé que les travaux de la commission menés par la rapporteure Marie Mercier, que je tiens à remercier pour son implication, avaient permis de préciser le texte, garantissant que les nouvelles propositions de rédaction ne consacrent pas la personnalité juridique de l’enfant, ce qui emporterait des conséquences très importantes en matière civile, en particulier en termes de dévolution successorale.
Les travaux de la commission sont de nature à encadrer la portée de ce texte, ou plutôt, ce qui peut d’ailleurs paraître paradoxal, à lui ôter sa pleine efficacité juridique ; mais – je souhaite y insister – le nom de famille est un attribut de la personnalité juridique et seules les personnes ont un nom de famille.
Or l’enfant sans vie n’a pas de personnalité juridique. Aussi son statut juridique ne relève-t-il pas du domaine de la loi et du code civil. Le rattachement dans la loi d’éléments de l’état civil à l’enfant sans vie est de nature à faire naître des incertitudes et de la confusion quant au cadre juridique applicable.
Ces équilibres, vous le savez, sont particulièrement sensibles et toujours fragiles ; il nous faut n’y toucher que d’une main des plus tremblantes – le cœur a ses raisons que la raison juridique ne connaît pas forcément. Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Marie Mercier, rapporteur. Merci !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis 1993, l’article 79-1 du code civil définit le cadre juridique applicable aux enfants nés sans vie ou non viables, qui les distingue des enfants nés vivants et viables, dotés d’une personnalité juridique. Ce même article permet aux parents de demander l’établissement d’un acte d’enfant sans vie.
Deux décrets, en 2008, ainsi qu’une circulaire, en 2009, sont venus compléter le dispositif, conditionnant notamment l’établissement d’un acte d’enfant sans vie à la production d’un certificat médical attestant de l’accouchement de la mère, que celui-ci ait été spontané ou provoqué pour raison médicale.
L’autrice de cette proposition de loi a souhaité aller plus loin dans l’individualisation de l’enfant sans vie et dans la reconnaissance de ses parents, en autorisant l’inscription d’un nom dans l’acte d’enfant sans vie.
La commission a abondé en ce sens : donner un nom à ces enfants rend plus cohérente leur reconnaissance symbolique, selon la même logique compassionnelle que le législateur a entendu faire prévaloir en 1993 à l’attention des parents, une précision importante étant dans le même temps apportée selon laquelle « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique ». Tout éventuel effet, en matière de filiation et de succession notamment, est ainsi écarté, ne s’agissant que d’une reconnaissance de filiation symbolique, et non juridique.
Cet apport à notre droit civil reste donc de l’ordre du symbole et doit être vu comme un accompagnement bienveillant des familles endeuillées – c’est à elles que nous pensons. Tout en ne bénéficiant toujours d’aucune personnalité juridique, l’enfant sans vie apparaîtra désormais nommé sur l’acte d’enfant sans vie et dans le livret de famille des parents.
Cette reconnaissance d’une filiation symbolique est bienvenue. La désignation des parents étant prévue depuis 1993, il s’agit en effet de reconnaître la réciprocité du lien : s’il y a un père et une mère, il y a un fils ou une fille.
C’est également à cette solution qu’invite la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci a en effet estimé, dans un arrêt du 2 juin 2005, que le refus d’admettre l’existence d’un lien de filiation entre un parent et un enfant mort-né constituait une violation du droit au respect de la vie privée et familiale.
Cependant, d’un point de vue sanitaire et « progressiste », je me permets d’insister : conserver cet apport au niveau du symbole, comme l’a précisé Mme la rapporteure, est primordial pour éviter toute éventuelle remise en cause de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) via la reconnaissance d’une personnalité juridique à l’enfant sans vie. L’IVG comme l’interruption spontanée précoce de grossesse, en tant qu’interruptions intervenant au premier trimestre, sont d’ailleurs expressément exclues du dispositif depuis le décret de 2008 précédemment évoqué.
De la même façon, il me semble qu’il faut se méfier des arguments à tendance quelque peu « réactionnaire », tel que celui de la commission consistant à justifier ce texte par la nécessité de « matérialiser symboliquement le lien de filiation du père qui n’a pas le même rapport charnel avec l’enfant que la mère ». Cette vision patriarcale de la filiation est paradoxale compte tenu des modalités de choix du nom définies dans le texte et précisées dans le rapport de la commission : qu’en est-il si seul le nom de la mère est choisi ? Qu’en est-il si les parents se contentent, dans le cas d’un premier enfant, d’un acte d’enfant sans vie sans demander de livret de famille ? Qu’en est-il des parents homosexuels ? Ceux-ci n’ont pas moins besoin que les parents hétérosexuels d’un accompagnement face à la douleur que représente la mort d’un nourrisson.
Le droit de la filiation évolue ; prenons-le en compte dans tous les textes que nous élaborons.
Quoi qu’il en soit, et sous réserve de ces quelques remarques, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste partage la lettre de ce texte et votera pour son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme le rapporteur et Mme Esther Benbassa applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre collègue Anne-Catherine Loisier, dont je tiens à saluer l’initiative, nous invite à débattre d’une proposition de loi visant à nommer les enfants mort-nés. Ce texte permet de clarifier le statut des enfants nés sans vie, qui demeure ambigu, et ainsi d’accompagner le deuil des parents.
L’année dernière a vu la naissance de 8 747 enfants mort-nés – quelle antinomie ! Autant de familles, donc, ont subi cette épreuve. L’adoption de cette proposition de loi permettrait d’accorder à l’enfant né sans vie une reconnaissance mémorielle, en donnant la possibilité aux parents de lui donner un nom. Une telle recommandation a d’ailleurs été formulée dès 2005 par le Médiateur de la République.
La possibilité de donner un nom à l’enfant mort-né existe déjà dans de nombreux pays tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Irlande ou les Pays-Bas.
Le droit positif français, en revanche, ne permet pas la reconnaissance d’un lien de filiation avec un enfant né sans vie. L’officier de l’état civil établit un acte d’enfant sans vie, si l’enfant est mort-né ou est né vivant, mais non viable et décédé avant la déclaration de naissance.
Cet acte d’enfant sans vie doit énoncer l’identité des père et mère ; ceux-ci ont le droit d’attribuer à l’enfant des prénoms qui peuvent être mentionnés, à leur demande, sur le livret de famille.
La possibilité de donner un nom à l’enfant sans vie est la continuité de tout ce processus législatif et réglementaire, comme l’ont rappelé les orateurs précédents.
L’objectif premier de cette proposition de loi reste donc de compléter la reconnaissance symbolique de l’enfant, en lui accordant un nom et en l’inscrivant dans l’acte d’enfant sans vie. Cela permet d’aller plus loin dans l’individualisation de l’enfant sans vie, en renforçant sa reconnaissance par ses parents.
Cette attribution a une portée limitée dans la mesure où elle n’entraîne aucun effet indésirable, en particulier sur le plan successoral, fiscal ou social. D’où le choix de la commission d’écrire expressément, à la fin de la deuxième phrase du second alinéa de l’article 79-1 du code civil, le fait que « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique ».
Notre collègue Anne-Catherine Loisier a clairement spécifié, au moment de déposer cette proposition de loi, que le fait de nommer l’enfant sans vie n’entraînerait aucun droit supplémentaire, aucune filiation et aucune reconnaissance de la personnalité juridique.
La proposition de Mme la rapporteure, suivie par la commission des lois, vise à préciser cette inscription, tout en sécurisant son caractère symbolique. Elle vient détailler la mention du nom de cette manière : « soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit les deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux ».
L’enfant mort-né peut ainsi s’inscrire de manière plus complète dans l’histoire familiale. Cette reconnaissance participe d’une logique compassionnelle et vient renforcer cette intention déjà promue par le législateur à l’occasion de la création de l’article 79-1 du code civil en 1993.
Je tiens à remercier une fois encore, au nom du groupe Union Centriste, notre rapporteure, Marie Mercier, pour l’écoute et l’implication qui ont été les siennes sur un sujet qui n’est pas facile.
Dans l’intérêt des familles, ce sujet ayant largement fait consensus et permettant une reconnaissance mémorielle à caractère purement symbolique, je ne doute pas que la Haute Assemblée adoptera cette proposition de loi.
Il s’agit de prendre en compte les souffrances de ces familles endeuillées ; cette proposition, empreinte d’humanité, est une réponse pour mieux les accompagner. Je remercie notre collègue Anne-Catherine Loisier d’avoir permis au Sénat de débattre de ce sujet qui est grave, ainsi que Mme la rapporteure qui nous a proposé d’améliorer la rédaction de ce texte.
Le groupe Union Centriste votera donc le texte issu des travaux de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie et Mme le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, parfois, le Parlement fait œuvre d’humanisme. C’est incontestablement le cas aujourd’hui.
Chacun l’a souligné, l’ambition de cette proposition de loi est non pas de faire une révolution juridique, mais bien de prendre en compte une situation. Il s’agit de poursuivre un travail, entamé depuis maintenant une trentaine d’années, de prise en compte de la douleur des parents par la reconnaissance de la naissance de l’enfant.
Nombre de mes collègues l’ont rappelé, ce travail a commencé en 1993, puis a été poursuivi en 2005 et en 2009. Peu à peu, grâce à l’inscription dans des documents officiels, la reconnaissance de l’existence d’un enfant mort-né a été rendue possible.
Certes, comme en attestent les chiffres évoqués tout à l’heure, nul ne connaît exactement le nombre d’enfants concernés par ces dispositifs, car aucune obligation n’est faite aux parents – et c’est sans doute bien ainsi – de s’engager dans la démarche ayant vocation à inscrire officiellement dans l’histoire familiale la naissance de cet enfant.
Le garde des sceaux et Mme la rapporteure l’ont souligné, les situations sont diverses. Il peut s’agir d’enfants nés sans vie, appelés autrefois mort-nés, ou d’enfants qui vivent quelques heures et décèdent avant le délai permettant leur déclaration à l’état civil. Il peut aussi s’agir d’enfants décédés dans le ventre de leur mère, d’où la nécessité de se montrer vigilant et de bien cantonner cette démarche à des enfants qui auraient pu, en raison de la durée de la grossesse, naître si tout s’était passé dans des conditions favorables.
Il me semble, au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, que la démarche proposée par ce texte complète ce travail et honore le Sénat. J’espère d’ailleurs que l’Assemblée nationale se saisira de cette proposition de loi pour la mener jusqu’au terme de son parcours législatif.
Nous avons eu un débat sur l’existence ou non, la nécessité ou non, de la personnalité juridique. Le problème est, en réalité, très complexe. On pourrait penser que, puisque l’enfant est décédé, la personnalité juridique disparaît. Mais il a semblé nécessaire de le préciser, ce qui est sans doute mieux pour bien marquer le caractère symbolique de cette démarche.
Mon groupe a déposé deux amendements. L’un d’entre eux a été évoqué par l’auteure de la proposition et tend – c’est le format du débat parlementaire qui l’impose – à demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur l’accompagnement proposé aux parents et sur sa mise en œuvre.
Depuis désormais plusieurs années, les parents bénéficient d’un certain nombre de droits en termes de congés, de fiscalité, de prime, etc. Il est possible que la mise en œuvre de ces dispositifs soit hétérogène sur l’ensemble du territoire. Par ailleurs, la question de la formation et de l’accompagnement des soignants n’est pas évoquée. Or quiconque a pu parler avec les soignants sait que c’est pour eux quelque chose de très particulier : ils sont certes formés à cette problématique depuis maintenant un certain nombre d’années, mais c’est néanmoins un sujet qui nécessite une grande vigilance.
C’est en ce sens qu’il nous a semblé intéressant de demander que le Parlement soit informé, afin qu’il puisse s’assurer que le Gouvernement reste attentif à la mise en œuvre de cet accompagnement qui est nécessaire aussi bien pour les parents que pour les soignants.
Le second amendement que nous avons déposé a vocation à remplacer dans l’article du code civil que cette proposition de loi vise à modifier les mots « père » et « mère » par le terme de « parents », conformément aux évolutions législatives de ces dernières années. D’ailleurs, d’autres articles du code civil utilisent le terme de « parents », sans recourir spécifiquement à l’expression de « père et mère ». Il serait problématique de revenir sur ce changement de terminologie qui vise à tenir compte de la diversité des situations. Qui pourrait considérer qu’une famille homoparentale souffre moins qu’une famille hétéroparentale de la perte d’un enfant ?
De ce point de vue, et afin d’éviter toute critique sur la façon dont le Sénat appréhende les évolutions de la forme des familles et du droit, il nous a semblé sain de mettre en phase avec ces évolutions les dispositions législatives concernées par les modifications qui sont aujourd’hui proposées.
Au-delà de ces deux modifications, que nous proposons d’introduire dans le texte, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est favorable à cette proposition de loi. Certes, elle peut sembler relativement limitée dans son objet, mais elle constitue une étape supplémentaire pour accompagner la souffrance des parents et des familles. C’est en ce sens que nous lui manifesterons notre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, jusqu’à récemment, les enfants nés sans vie étaient très souvent qualifiés de « pièces anatomiques », de « déchets hospitaliers », de « produits innommés » ou encore de « débris humains ». En tant que tels, ils étaient incinérés dans les services hospitaliers ad hoc, avec les autres pièces opératoires.
Dans le contexte de la perte d’un enfant, de telles formules, de telles classifications, ainsi que les procédures en découlant, étaient psychologiquement traumatisantes et ajoutaient à la douleur incommensurable des parents.
Prendre en compte la réalité d’une existence – même in utero, fugitive, elle est porteuse de l’espérance d’un couple –, est une démarche nécessaire, d’autant que nous avons très tôt au cours de la grossesse la possibilité technique d’avoir une représentation de la vie du fœtus, qu’elle soit visuelle ou sonore. L’interruption de cette vie en est ressentie encore plus douloureusement, et le travail de deuil est plus que jamais indispensable.
Aussi, en complétant la reconnaissance mémorielle de ces enfants nés sans vie, l’initiative de notre collègue Anne-Catherine Loisier est sensible et honorable.
Au cours de ces dernières années, beaucoup a été fait pour mieux prendre en compte la détresse de ces parents venant de perdre un enfant mort-né ou non viable.
Tout d’abord, la loi du 8 janvier 1993 a donné un cadre juridique à ces enfants. Elle permet aux parents d’obtenir un acte d’enfant sans vie qui figure dans le registre des décès.
Ensuite, deux décrets du 20 août 2008 ont apporté des précisions : l’un prévoit que l’acte d’enfant sans vie est conditionné à la production d’un certificat médical attestant de l’accouchement de la mère ; l’autre autorise les couples non mariés dont le premier enfant est né sans vie à faire inscrire celui-ci dans un livret de famille.
L’année suivante, la circulaire du 19 juin 2009 a permis aux parents de donner un ou plusieurs prénoms à leur enfant mort-né ou non viable.
L’établissement d’un acte d’enfant sans vie reconnaît aux parents la possibilité de faire jouer à l’état civil un rôle symbolique : désormais, il existe une trace de l’existence de leur enfant et une individualisation de celui-ci par l’attribution d’un ou de plusieurs prénoms.
Surtout, l’établissement d’un acte d’enfant sans vie permet aux parents de réclamer à l’établissement de santé, dans les dix jours de l’accouchement, le corps de leur enfant décédé et d’en obtenir la remise afin d’organiser, s’ils le souhaitent, des obsèques. Il donne aussi accès à certains droits sociaux, comme l’attribution d’un congé de maternité et de paternité.
La proposition de loi que nous examinons constitue une étape supplémentaire dans ce processus de reconnaissance symbolique de l’enfant mort-né ou non viable, en permettant de porter sur l’acte d’enfant sans vie le nom de l’enfant.
Il s’agirait d’une simple faculté offerte aux parents confrontés à un deuil périnatal, et non d’une obligation. L’attribution de ce nom serait limitée au seul acte d’enfant sans vie. Elle ne créerait donc aucune filiation. Elle ne reconnaîtrait aucune personnalité juridique à l’enfant mort-né ou non viable.
C’est pourquoi le groupe Les Indépendants – République et Territoires est favorable à cette évolution dans la reconnaissance mémorielle de l’enfant sans vie et votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Marc Laménie et Mme Maryse Carrère applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, devenir parent est un long processus. Il s’initie à la rencontre de deux personnes, qui décident de s’aimer, de construire ensemble, de faire famille. Ce processus est plein de réflexion, d’enthousiasme, de moments où l’on se projette, de doutes parfois aussi.
Devenir parent, c’est également comprendre la belle responsabilité qui nous incombe d’aimer inconditionnellement son enfant, avant même qu’il ne vienne au monde. Car devenir parent, c’est avant tout dévouer à un être autre une partie de son avenir, de ses projets, une partie de soi, et ce tout au long de sa vie.
Alors, perdre un enfant n’est jamais une épreuve vécue sans une grande souffrance. Et perdre son enfant avant qu’il ne vienne au monde ne rend pas la douleur moins forte ; cela ne change pas non plus le fait que l’on est déjà son parent.
En France, chaque année, ce sont 8 000 familles qui sont confrontées à la naissance d’un enfant sans vie.
La situation actuelle de notre droit est la suivante : conformément au deuxième alinéa de l’article 79-1 du code civil, l’enfant né sans vie n’acquiert pas la personnalité juridique. De ce fait, il peut recevoir un prénom, mais il n’y a ni filiation ni nom de famille, car il n’y a pas établissement d’un acte de naissance.
Je salue alors la visée de cette proposition de loi, qui entend aller plus loin dans l’individualisation de l’enfant sans vie et dans la reconnaissance de ses parents.
L’inscription d’un nom dans l’acte d’enfant sans vie, en plus des mentions déjà prévues au deuxième alinéa de l’article 79-1 du code civil, est d’une valeur symbolique forte pour ces parents et pour ces 8 000 familles françaises touchées chaque année par le drame.
Comme en Allemagne, au Royaume-Uni, en Irlande, aux Pays-Bas ou en Suisse, où un nom peut déjà être attribué à l’enfant né sans vie, le choix est ici fait de donner l’apparence d’un lien de filiation par la voie mémorielle, sans accorder de droits supplémentaires.
Ainsi que je l’ai souligné en introduction, devenir parent est un long processus. C’est le roman familial qui débute. Il s’agit maintenant d’inscrire l’enfant né sans vie dans l’histoire familiale et de matérialiser symboliquement le lien de filiation avec ses parents.
La proposition de loi que nous étudions touche à l’affect et à l’humain. Il s’agit d’un texte qui vise à apporter un peu de paix, là où la douleur prévaut.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutient cette proposition de loi et votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Michelle Meunier et Mme le rapporteur applaudissent également.)