M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Le contrôle aux frontières et le défi migratoire doivent nécessairement susciter une réflexion technique et pratique sur les démarches relatives aux droits au séjour et aux naturalisations auxquelles sont confrontées les personnes arrivant dans notre pays.
Comme nos concitoyens, les personnes qui demandent un titre de séjour sont confrontées à une nouvelle pratique administrative : la dématérialisation !
Notre assemblée a déjà montré sa sensibilité à la question de l’illectronisme, qui creuse certaines fractures et constitue un handicap majeur dans une société toujours plus numérisée.
Dans ces circonstances, nous imaginons facilement dans quelle précarité peuvent être plongées les personnes faisant une demande de titre de séjour lorsqu’il est nécessaire pour y parvenir de verser en ligne des pièces jointes au format PDF compressé, après avoir complété, via des portails numériques, des formulaires préalables à toute prise de rendez-vous. Encore faut-il qu’elles aient accès à internet dans des conditions convenables…
Une telle question avait été soulevée par un arrêt du Conseil d’État rendu le 11 novembre 2019, à la suite d’une requête formée par la Cimade, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), la Ligue des droits de l’Homme et le Syndicat des avocats de France. Le Conseil d’État souligna alors que les difficultés rencontrées par les ressortissants étrangers pour prendre rendez-vous dans les préfectures trouvaient leur origine dans les décisions rendant obligatoire la prise de ces rendez-vous sur internet.
Aussi, madame la ministre, quelles mesures comptez-vous prendre afin de vous assurer que les personnes immigrant en France puissent être en mesure d’effectuer dignement leurs démarches en vue de régulariser leur situation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, Fialaire, la dématérialisation des procédures ne saurait se traduire pas une baisse de la qualité du service rendu à l’usager. Les procédures relatives au droit des étrangers font partie de celles qui ont été le moins dématérialisées. Les guichets demeurent dans toutes les préfectures.
Pour répondre plus précisément à votre question, l’accès à des rendez-vous en ligne pour obtenir un titre de séjour a été mis en œuvre pour répondre aux contraintes sanitaires. Il ne doit pas être confondu avec la dématérialisation des demandes de titres en ligne. Pour l’instant, seuls sont concernés les titres étudiants, les autorisations de travail et les passeports talents. À ce stade, cela ne pose pas de difficultés majeures.
Pour l’accès à la nationalité, un plan est prévu pour accompagner les étrangers dans leurs démarches. Ainsi, les demandeurs d’accès à la nationalité française pourront bénéficier de la mission d’accompagnement numérique des usagers étrangers en préfecture. Par ailleurs, sur les sites des préfectures, des vidéos didactiques sont mises à disposition des usagers afin de leur permettre de bien se repérer dans le déroulé des grandes étapes administratives de leur dossier et d’être guidés dans la phase préparatoire du dépôt de leur demande. En outre, le Centre de contact citoyens de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) sera mobilisé pour répondre aux demandes des postulants à la nationalité française.
De manière générale, la dématérialisation des procédures « étrangers » s’est faite autour de l’usager : le numéro de dossier unique le suit désormais tout au long de son parcours, les délais d’instruction ont été réduits, tout comme le nombre de passages obligatoires en préfecture. Enfin, des moyens alternatifs d’accompagnement sont prévus pour les étrangers pour lesquels les moyens actuels ne seraient pas adaptés.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour la réplique.
M. Bernard Fialaire. Il semblerait que certaines administrations n’aient pas tenu compte de ces avertissements. Un certain nombre de recours juridictionnels ont en effet été introduits afin de contester des arrêtés de préfecture imposant aux personnes étrangères de déposer en ligne leur demande de titre de séjour. Je pense par exemple à la décision du tribunal administratif de Rouen en date du 18 février 2021.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la ministre, la tenue de la COP21 et les attentats de novembre 2015 qui ont endeuillé la France ont donné le coup d’envoi à de multiples dérogations au code frontières Schengen. En pratique, la libre circulation des personnes au sein de la zone ne s’applique plus dans la pratique.
Censés être transitoires, les contrôles aux frontières sont devenus permanents, malgré les rappels à l’ordre de l’Union européenne, la crise de la covid-19 fournissant une nouvelle occasion d’utiliser la clause de sauvegarde par les États membres.
Après ces six années de régime d’exception en matière de politique migratoire, le bilan est pour le moins déplorable : la politique sécuritaire en la matière, la criminalisation de la solidarité et la pénurie de moyens nous éloignent toujours plus d’une coopération réelle et du respect des droits fondamentaux des personnes migrantes.
Dans un avis rendu sur la situation à la frontière franco-italienne, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) déclarait avoir « été profondément choquée par les violations des droits des personnes migrantes constatées et par les pratiques alarmantes observées sur ces deux zones frontalières, où la République bafoue les droits fondamentaux, renonce au principe d’humanité et se rend même complice de parcours mortels ». Il semblerait que la situation se répète actuellement à la frontière espagnole.
Madame la ministre, à moins d’un an de la présidence française de l’Union européenne, n’est-il pas temps de rompre avec ces mauvaises pratiques et de renouer avec nos valeurs et nos principes républicains en la matière ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Assassi, j’ai rappelé dans mon intervention liminaire que la politique de contrôle aux frontières s’effectuait dans le respect du droit et sous le contrôle du juge. À la frontière italienne, le Conseil d’État n’a pas jugé illégaux les dispositifs de mise à l’abri des migrants dans des décisions de 2017 puis de 2021, mais a enjoint à l’administration d’y apporter des améliorations, ce qui est d’ores et déjà en cours.
Le principe, c’est qu’un État doit savoir qui entre sur son territoire. Mieux contrôler les personnes qui tentent d’entrer irrégulièrement sur le territoire, ce n’est, somme toute, que les contrôler au moins aussi bien que les personnes qui franchissent les frontières régulièrement tous les jours par voie terrestre, maritime ou aéroportuaire, qui sont contrôlées et passées au fichier pour vérifier que la sécurité des Français n’est pas menacée.
Cette attention légitime à la sécurité de nos concitoyens n’est pas incompatible avec le réel effort de solidarité que nous assumons. La France est l’un des États qui accueillent le plus grand nombre de demandeurs d’asile – 133 000 enregistrements par l’Ofpra en 2019 – au sein de l’Union européenne.
Nous nous adaptons à cette réalité. Le parc d’hébergement des demandeurs d’asile a doublé en cinq ans, avec plus de 110 000 places aujourd’hui. La France, par solidarité avec les pays européens, a relocalisé plus de 5 000 personnes depuis la Grèce et l’Italie entre 2015 et 2018, 1 000 de plus depuis la Grèce pour la seule année 2020. Elle a aussi été à l’initiative du mécanisme dit de La Valette pour les secours en mer, qui représente 1 200 relocalisations dans ce cadre.
La France n’a donc pas à rougir des réels efforts de solidarité qu’elle mène à cet égard.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti.
M. Olivier Cigolotti. Madame la ministre, dans sa Lettre aux Européens publiée au printemps 2019, le Président de la République notait : « aucune communauté ne crée de sentiment d’appartenance si elle n’a pas des limites qu’elle protège », avant d’ajouter : « la frontière, c’est la liberté en sécurité ».
Même si je souscris à ce constat, il me paraît important de souligner que nous devons remettre à plat l’espace Schengen, déjà sérieusement remis en question depuis l’accentuation de la menace terroriste et, depuis peu, avec la crise de la covid.
Tous ceux qui veulent y participer doivent assumer leurs obligations, avec notamment un contrôle rigoureux aux frontières, mais aussi leurs responsabilités, avec le devoir de solidarité qui nous incombe via la politique d’asile qui gagnerait à être harmonisée.
Mon interrogation concerne le projet de réforme de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, appelée couramment Frontex. Depuis 2018, il est question de doter cette agence de ses propres navires, avions et véhicules, et d’un corps permanent de l0 000 agents. Selon le Parlement européen, cette réforme devrait être « pleinement opérationnelle d’ici à 2027 ».
Madame la ministre, le déploiement du premier contingent de garde-frontières Frontex était annoncé pour le 1er janvier 2021 : pouvez-vous nous confirmer si ce calendrier a bien été respecté et quelles sont les prochaines étapes ? Plus largement, dans le cadre des réflexions autour de l’évolution du système Schengen, devons-nous redouter une dépossession supplémentaire de notre souveraineté en matière de contrôle des frontières ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, la montée en puissance de l’agence européenne Frontex est fondamentale pour accompagner la nouvelle stratégie Schengen que nous évoquions précédemment, dont la clé de voûte doit être le contrôle des frontières extérieures.
Pour rappel, Frontex a été créée en 2004 et, depuis sa création, a vu ses moyens et ses compétences se renforcer considérablement. Sur la réorganisation administrative, l’agence est dans les délais ; elle est même en avance au regard de la feuille de route qui lui a été fixée. La réorganisation sera finalisée à la suite du recrutement des trois directeurs exécutifs adjoints qui prendront leur poste en septembre 2021, à l’issue de la procédure de recrutement dont est chargée la Commission européenne.
Cette réorganisation s’accompagne d’une augmentation considérable de ses moyens humains, avec la création d’un corps de garde-frontières et de garde-côtes européens de 10 000 effectifs à l’horizon de 2027. Le corps permanent sera composé, à cette échéance, de trois catégories de personnels : des agents statutaires que l’Agence engage, forme et rémunère directement, avec un objectif de 3 000 en 2027 ; des personnels qui continueront à être rémunérés par leur administration nationale et seront mis à disposition de l’Agence pour une période de deux ans renouvelable une fois, avec un objectif de 1 500 en 2027 ; des personnels mis à disposition par les États membres pour une courte durée, la capacité théorique de personnels pouvant être déployée en cinq jours.
J’ajoute que le budget sera porté à 5,6 milliards d’euros sur la période allant de 2021 à 2027.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour la réplique.
M. Olivier Cigolotti. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. Toutefois, si l’Europe veut éviter de se retrouver à la merci des politiques de certains États sans scrupules, elle doit impérativement imaginer et mettre en œuvre rapidement des mécanismes permanents et solidaires visant à assurer une véritable régulation des flux migratoires, certes respectueuse des valeurs d’accueil, mais stricte sur le contrôle des frontières extérieures.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, ce que nous avons vécu en 2015 en matière d’entrées illégales sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, mais aussi en matière de risque terroriste, a illustré les limites de la construction de l’espace Schengen. Cependant, tant le gouvernement de l’époque que la commission d’enquête conduite par le Sénat ont considéré que Schengen n’était pas le problème, mais la solution, qu’il était illusoire de reconstruire des frontières intérieures pour les surveiller et qu’il fallait au contraire renforcer la surveillance des frontières extérieures ainsi que la coopération et les fichiers interopérables.
C’est finalement sur cette base qu’un certain nombre de choses ont été réalisées. À partir de 2015, le gouvernement français a ainsi formulé des propositions et obtenu de nos partenaires que les négociations aboutissent sur le renforcement du mandat de Frontex et de ses moyens, sur des évaluations systématiques de la manière dont les États contrôlent leurs frontières extérieures, sur la mise en place du PNR (fichier des données des dossiers passagers), sur l’interopérabilité des fichiers, sur l’instauration d’un contrôle biométrique systématique à l’entrée et à la sortie de l’espace Schengen, et sur le système européen d’autorisation d’entrée dans la zone Schengen Etias (European Travel Information and Authorization System), qui sera opérationnel en 2022.
Alors, madame la ministre, ma question est simple : votre gouvernement s’inscrit-il dans cette continuité ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, nous pensons, dans la droite ligne de mon propos liminaire et de mes réponses précédentes, qu’il y a un véritable travail partenarial à mener. La présidence française de l’Union européenne sera l’occasion de mener cette discussion et d’agir de façon résolue.
J’ai déjà répondu sur les objectifs, la durée, les moyens, y compris humains, que nous voulons mettre en œuvre pour pouvoir atteindre cet objectif commun. Nous avons là une ligne de crête à trouver avec nos partenaires européens et avec les instances européennes pour répondre à ces grands enjeux, continuer à garantir la sécurité de chaque État membre, dans le respect de sa politique nationale, et bien sûr dans le calendrier que j’évoquais précédemment.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.
M. Jean-Yves Leconte. Le problème, madame la ministre, c’est que le Président de la République passe son temps à dire qu’il faut refonder Schengen, mais que la France ne gagne plus aucune négociation européenne sur ce sujet.
Pourquoi ? Parce qu’elle n’est plus crédible ! Force est de constater que, quoi qu’elle obtienne, elle maintient ses frontières fermées. De plus, elle ne veut rien entendre en matière de solidarité. Votre réponse à notre collègue Poncet Monge l’illustre parfaitement : rien sur Dublin ! On cherche à durcir le pacte migratoire de la Commission européenne. Enfin, la France parle d’Eurodac, mais lorsqu’elle est face à ses responsabilités et doit enregistrer des personnes en situation irrégulière, elle ne le fait pas parce qu’elle ne souhaite pas recevoir des « dublinés ».
Voilà la position de la France, voilà sa crédibilité aujourd’hui ! Le problème, ce n’est pas Schengen, qui est la solution, c’est le comportement du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Serge Babary.
M. Serge Babary. Madame la ministre, pensée sous le seul prisme économique, l’Europe s’est construite autour de la notion de libre circulation des personnes et des marchandises. La suppression des contrôles aux frontières intérieures devait alors être compensée par la mise en place d’un contrôle unique aux frontières extérieures de l’Europe. Inconscients des enjeux sécuritaires et dorénavant sanitaires, les États membres ont, inégalement, mis en œuvre ce contrôle.
L’Union européenne, ce sont 12 000 kilomètres de frontières extérieures terrestres, 32 000 kilomètres de frontières extérieures maritimes, avec au total près de 1 900 points de passages autorisés. Chaque année, plus de 700 millions de citoyens européens et de ressortissants de pays tiers franchissent les frontières extérieures de l’Union européenne. C’est dire l’ampleur de la tâche de surveillance et de contrôle à assurer !
La prise de conscience de la nécessité d’une protection efficace des frontières est née des attentats de 2015 et de la crise migratoire de 2017. La France n’a pas fermé ses frontières nationales, mais en a rétabli le contrôle le 13 novembre 2015. Cette mesure temporaire s’inscrit dans la durée.
Pourtant, dès 2017, les franchissements illégaux détectés aux frontières de l’Union avaient baissé de 60 %. Cela représentait cependant toujours 204 000 personnes !
L’Europe est-elle en mesure de mettre en place une politique de l’immigration, de doter Frontex de moyens financiers, matériels et humains, mais aussi d’une gouvernance énergique permettant d’assurer un contrôle efficace de ses frontières extérieures ? À défaut, l’État français est-il prêt à renforcer le contrôle de ses propres frontières ? (M. Yves Bouloux applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur les moyens concrets, humains et financiers, de Frontex et affirmez la nécessité d’une « gouvernance énergique ». Nul ne peut dire que le Président de la République n’a pas fait de l’Europe l’une des priorités de son agenda. Parmi les priorités fixées à son gouvernement figurent l’Europe, le travail européen et la manière dont nous pouvons améliorer les dispositifs existants. Cette gouvernance énergique, je ne peux donc que vous répondre, sans aucune objectivité, qu’elle est présente, que c’est le travail que nous menons avec nos partenaires.
Sur les moyens humains et financiers, j’ai répondu précédemment. Vous avez rappelé les enjeux multiples, y compris les chiffres colossaux illustrant l’immensité des frontières. La réorganisation administrative de Frontex, avec un corps permanent, de nouveaux moyens humains, ainsi que son budget, porté à 5,6 milliards d’euros sur la période 2021-2027, permettront d’avancer dans ce sens. C’est inédit, et cela nous montre comment la gouvernance énergique que vous évoquiez se traduit concrètement dans les moyens et dans les actes.
Enfin, un travail de diplomatie est mené par Jean-Yves Le Drian et Clément Beaune, qui préparent assidûment la présidence française de l’Union européenne. Je puis vous assurer que Gérald Darmanin et moi-même avons la volonté d’inscrire ce sujet en haut de l’agenda.
M. le président. La parole est à M. Serge Babary, pour la réplique.
M. Serge Babary. Madame la ministre, la lenteur de la mise en place des moyens que vous évoquez nous fait forcément douter d’une volonté énergique : douze ans séparent 2015 de 2027…
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Madame la ministre, la question de l’immigration clandestine et de la protection des groupes vulnérables est devenue un sujet de préoccupation majeur dans l’Union européenne, notamment depuis 2015 et le début de la crise migratoire. L’incendie qui a ravagé le plus grand camp de réfugiés d’Europe sur l’île de Lesbos est venu rappeler à tous la nécessité urgente de réformer le système d’asile et de migration.
Alors que le dossier était au point mort, la Commission européenne a présenté, en septembre dernier, son « Pacte sur la migration et l’asile », un premier pas pour une évolution de la politique européenne en la matière.
Comme par le passé, celle-ci se heurte à de nombreux défis. Parmi eux, on compte notamment une asymétrie marquée du nombre de demandes d’asile, sollicitant surtout les États frontaliers de l’Union européenne et certains États cibles, dont l’Allemagne. L’actuel système, fondé sur le règlement de Dublin, ne compense pas ces asymétries, à cause du manque partiel d’homogénéité entre les différents États membres dans la mise en œuvre du régime d’asile européen commun (RAEC).
Si l’Europe a toujours été une terre d’immigration en raison de sa relative prospérité économique et de sa stabilité politique, les suites de la crise sanitaire font désormais douter de sa capacité à faire face à une augmentation du nombre des demandeurs d’asile.
Au total, la réforme en profondeur de l’espace Schengen, engagée en 2015, reste un chantier inachevé. Les négociations se focalisent sur le mécanisme de répartition des demandeurs d’asile en cas de crise : doit-il être obligatoire ou non ? La solidarité peut-elle prendre d’autres formes, financières notamment, que l’accueil ? Quelle sera la position de la France dans le débat à venir sur une harmonisation des pratiques nationales en matière d’asile ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, je ne reviens pas sur les orientations générales de la réforme de l’espace Schengen, précédemment évoquées.
S’agissant plus précisément de la gestion des demandeurs d’asile, la Commission européenne, en septembre 2020, a présenté son nouveau Pacte sur la migration et l’asile. Beaucoup d’approximations voire de fausses informations ont circulé à ce sujet, je veux donc rappeler ici qu’il s’agit d’un ensemble de textes dont l’objet est bien de réformer en profondeur la politique migratoire européenne.
Dans ce cadre, la Commission a réalisé un exercice de simulation – il s’agit bien d’un simple exercice – sur l’un des aspects du Pacte, l’effort de solidarité, afin d’évaluer l’impact sur les États membres d’un mécanisme de répartition obligatoire visant à assurer la solidarité entre ces derniers.
À ce stade, les simulations de la Commission omettent de prendre en compte des éléments fondamentaux de la pression migratoire que nous subissons. Je pense à l’absence de considération des flux secondaires, que la France, comme d’autres pays de destination, subit particulièrement, ou encore à l’absence de prise en compte de la pression sur la demande d’asile. Nous défendons par ailleurs l’idée qu’il faudrait y ajouter la question de ceux qui auraient pu faire l’objet d’un « transfert Dublin » et qui, faute de coopération de la part d’autres États membres, ont abouti à des requalifications, concernant environ 40 000 personnes en 2019.
Sous ces hypothèses, la France et l’Allemagne totaliseraient à elles seules plus de 55 % du volume de relocalisations et des prises en charge de retour. C’est un chiffre équivalant à celui des engagements franco-allemands dans le cadre du mécanisme de La Valette : nous sommes évidemment opposés à cette solution.
Les échanges au niveau technique vont se poursuivre et la France, soutenue par plusieurs États membres d’importance, y contribuera activement, afin que soient pris en compte les nouveaux paramètres. Si nous prônons la solidarité, nous n’acceptons pas que celle-ci mette en péril nos dispositifs d’accueil et notre politique migratoire en la matière.
Enfin, en matière de compensations financières, la question reste ouverte, puisque le Pacte prévoit que les contributions de solidarité dépendront des négociations en cours sur le mécanisme de relocalisation.
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Madame la ministre, depuis 2015, la question des frontières et de leur contrôle a envahi de nouveau le débat public en France et en Europe, à la suite notamment des attentats de novembre 2015, des conséquences migratoires de la guerre en Syrie, mais également de la pandémie de la covid-19. Pour ma génération qui a connu la construction européenne, avec en point d’orgue la chute du mur de Berlin, le retour à la frontière marque, c’est certain, un net retour en arrière.
Ces dernières années, la vision humaniste d’accueil de notre pays, mais également du continent européen, a été sérieusement écornée par une gestion uniquement sécuritaire des migrations. Cette gestion a occasionné et occasionne toujours de terribles drames humains. Nous avons pu le voir encore récemment avec ces images de réfugiés, pour la plupart marocains, tentant de rejoindre l’enclave de Ceuta ; et nous pouvons malheureusement l’observer, chaque mois, chaque semaine, en Méditerranée, où des dizaines de milliers de réfugiés ont péri noyés depuis 2015.
Ces drames à répétition montrent bien qu’une gestion uniquement sécuritaire n’a que peu de conséquences sur la venue des réfugiés, qui préféreront toujours prendre tous les risques pour rejoindre l’Europe plutôt que de rester dans leur pays d’origine.
Cette déshumanisation de la question migratoire s’illustre également dans la gestion des centres de rétention administratifs, en Europe, mais également en France : je pense notamment au centre du Mesnil-Amelot, que j’ai visité plusieurs fois et où les conditions de rétention sont plus que difficiles, pour employer un euphémisme…
Madame la ministre, la réponse à la crise migratoire sera européenne, mais la position française restera-t-elle uniquement sécuritaire ? À quand, enfin, une dimension solidaire et humaniste ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, la France reste une terre d’accueil pour ceux qui sont menacés dans leur pays. L’attention que nous portons à la sécurité de nos concitoyens n’est évidemment pas incompatible avec les efforts de solidarité consentis par la France, dans la grande tradition de notre pays. La France est l’un des États membres qui accueillent le plus grand nombre de demandeurs d’asile, avec, je l’ai dit, 133 000 enregistrements par l’Ofpra en 2019. La France est ainsi positionnée haut dans ces classements, si l’on peut le dire de cette manière arithmétique, au sein de l’Union européenne.
D’ailleurs, nous avons renforcé considérablement les moyens correspondants, et nous nous y attelons régulièrement : j’ai lancé la semaine dernière le plan « vulnérabilité » pour augmenter les dispositifs d’hébergement destinés aux demandeurs d’asile souffrant de persécutions LGBTphobes dans leur pays, aux femmes persécutées ou victimes de violences conjugales. Plus largement, le parc d’hébergement des demandeurs d’asile a doublé en cinq ans, avec plus de 110 000 places aujourd’hui.
On ne peut donc pas dire que la France est absente de la solidarité, bien au contraire. La France a d’ailleurs, par solidarité avec les pays européens, relocalisé plus de 5 000 personnes depuis la Grèce et l’Italie entre 2015 et 2018, 1 000 de plus depuis la Grèce pour la seule année 2020. Le Président de la République a été à l’initiative du mécanisme dit de La Valette sur les secours en mer, vous le savez. Nous sommes évidemment aussi bouleversés par les images que vous avez mentionnées concernant ce qui se passe entre le Maroc et l’Espagne. La France, chaque fois, prend sa part, et toute sa part.