Sommaire
Présidence de M. Pierre Laurent
Secrétaires :
M. Joël Guerriau, Mme Marie Mercier.
lutte contre les constructions illégales en zone naturelle
Question n° 1657 de M. Alain Cazabonne. – Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville ; M. Alain Cazabonne.
revitalisation des centres-villes
Question n° 1629 de M. Bruno Rojouan. – Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville.
reconstruction des vallées des alpes-maritimes après la tempête alex
Question n° 1691 de M. Philippe Tabarot. – Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville ; M. Philippe Tabarot.
lisibilité de la réforme de la fiscalité locale sur l’avis d’imposition des contribuables
Question n° 1635 de Mme Pascale Gruny. – M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; Mme Pascale Gruny.
application du crédit d’impôt sur les investissements en corse
Question n° 1603 de M. Jean-Jacques Panunzi. – M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.
situation de la société argicur
Question n° 1640 de M. Serge Mérillou. – M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; M. Serge Mérillou.
présence postale dans les territoires
Question n° 1553 de Mme Cathy Apourceau-Poly. – M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; Mme Cathy Apourceau-Poly.
Question n° 1681 de Mme Dominique Estrosi Sassone. – M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; Mme Dominique Estrosi Sassone.
participation des employeurs territoriaux à la prévoyance
Question n° 1541 de Mme Élisabeth Doineau. – M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics ; Mme Élisabeth Doineau.
reconduction du dispositif « vacances apprenantes »
Question n° 1587 de M. Jean-Jacques Michau. – Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire.
fermeture des classes et diminution des heures de cours
Question n° 1609 de Mme Béatrice Gosselin. – Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire.
suite de la conférence nationale du handicap
Question n° 1664 de Mme Jacky Deromedi. – Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire.
hyper-fréquentation et sur-tourisme dans les petites communes
Question n° 1628 de M. Pascal Martin, en remplacement de Mme Agnès Canayer. – Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire.
prise en charge des conséquences pour les agriculteurs des foyers d’encéphalite à tiques
Question n° 1703 de M. Patrick Chaize. – M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Patrick Chaize.
apaisement des conflits familiaux et rôle de l’avocat-médiateur
Question n° 1600 de Mme Hélène Conway-Mouret. – M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Hélène Conway-Mouret.
sort des derniers oubliés du ségur de la santé
Question n° 1562 de M. Gilbert Favreau, en remplacement, M. Philippe Mouiller. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
sécurité des enfants en famille d’accueil
Question n° 1623 de M. Hugues Saury. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; M. Hugues Saury.
vers une télémédecine interdépartementale pérenne
Question n° 1593 de Mme Nicole Duranton. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
application du ségur de la santé et suites de la mission sur les métiers de l’autonomie
Question n° 1643 de M. Michel Canévet. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; M. Michel Canévet.
accès aux traitements adaptés pour le cancer du sein triple négatif métastatique
Question n° 1659 de M. Jean-Luc Fichet. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles ; M. Jean-Luc Fichet.
accès aux soins en seine-saint-denis et situation de l’hôpital de montreuil
Question n° 1695 de M. Fabien Gay. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles > ; M. Fabien Gay.
Question n° 1523 de M. Jean-Yves Roux. – M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
projet de reconstruction du commissariat de police de cognac
Question n° 1580 de Mme Nicole Bonnefoy. – Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
effectifs supplémentaires de police
Question n° 1705 de M. Didier Marie. – Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Didier Marie.
attribution d’une prime pour les secouristes des compagnies républicaines de sécurité en montagne
Question n° 1706 de M. Didier Rambaud. – Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Didier Rambaud.
stationnement de caravanes sur des terrains classés
Question n° 1700 de M. Didier Mandelli. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Didier Mandelli.
Question n° 1663 de M. Jean-Baptiste Blanc. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Jean-Baptiste Blanc.
Question n° 1598 de M. Pascal Martin. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Pascal Martin.
Question n° 1602 de Mme Sabine Drexler. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; Mme Sabine Drexler.
précisions quant à la réforme du code minier
Question n° 1606 de M. Jean-Marie Mizzon. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Jean-Marie Mizzon.
sauvegarde du patrimoine riparien
Question n° 1624 de M. Vincent Segouin. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Vincent Segouin.
déviation du taillan-médoc et risque de pollution de l’eau
Question n° 1528 de Mme Monique de Marco. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; Mme Monique de Marco.
aménagement de l’aéroport nantes-atlantique
Question n° 1613 de Mme Laurence Garnier. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; Mme Laurence Garnier.
rétrocession des ponts-routes aux communes par la sncf
Question n° 1674 de M. Jean-Pierre Decool. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Jean-Pierre Decool.
Question n° 1333 de M. Laurent Lafon. – Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement ; M. Laurent Lafon.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
3. Candidature à une commission
4. Abrogation de lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Texte élaboré par la commission
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques
Mme Marie-Pierre de La Gontrie
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
5. Régulation des Gafam. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Jean-Raymond Hugonet, pour le groupe Les Républicains
M. Thierry Cozic ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; M. Thierry Cozic.
M. Yves Bouloux ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.
M. Pierre-Jean Verzelen ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.
M. Thomas Dossus ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.
M. André Gattolin ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.
M. Bernard Fialaire ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.
M. Éric Bocquet ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; M. Éric Bocquet.
M. Jean-Pierre Moga ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; M. Jean-Pierre Moga.
Mme Claudine Lepage ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.
M. Guillaume Chevrollier ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; M. Guillaume Chevrollier.
Mme Anne-Catherine Loisier ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.
M. Rémi Cardon ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; M. Rémi Cardon.
M. Vincent Segouin ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.
Mme Anne Ventalon ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie ; Mme Anne Ventalon.
M. Stéphane Le Rudulier ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.
Mme Céline Boulay-Espéronnier ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie.
M. Gérard Longuet, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
6. Rétablissement du contrôle aux frontières nationales depuis 2015 : bilan et perspectives. – Débat organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires
Mme Sophie Taillé-Polian, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté
M. Roger Karoutchi ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Roger Karoutchi.
M. Pierre-Jean Verzelen ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
Mme Raymonde Poncet Monge ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Nicole Duranton ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
M. Bernard Fialaire ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Bernard Fialaire.
Mme Éliane Assassi ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
M. Olivier Cigolotti ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Olivier Cigolotti.
M. Jean-Yves Leconte ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Jean-Yves Leconte.
M. Serge Babary ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Serge Babary.
M. Yves Détraigne ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
Mme Claudine Lepage ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté.
M. Stéphane Le Rudulier ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Stéphane Le Rudulier.
M. Jean-Yves Leconte ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Jean-Yves Leconte.
M. Marc Laménie ; Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; M. Marc Laménie.
M. Thomas Dossus, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires
Nomination d’un membre d’une commission
compte rendu intégral
Présidence de M. Pierre Laurent
vice-président
Secrétaires :
M. Joël Guerriau,
Mme Marie Mercier.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
lutte contre les constructions illégales en zone naturelle
M. le président. La parole est à M. Alain Cazabonne, auteur de la question n° 1657, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Alain Cazabonne. Ma question, qui s’adressait à Mme Gourault, est simple, mais porte sur un problème compliqué : la construction sans permis sur des terrains protégés.
La maire du Taillan-Médoc m’a ainsi saisi des difficultés qu’elle rencontre dans sa commune : des constructions sont bâties, sans permis, sur des terrains protégés ayant souvent été vendus à des gens du voyage. Or il est très compliqué, une fois une construction achevée, de la faire démolir, car il faut au préalable reloger la famille qui y vit.
La maire du Taillan-Médoc a également saisi la préfète, qui lui a répondu que la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique lui permettait de mettre fin aux travaux par arrêté municipal, sous peine d’une astreinte de 200 euros par jour de retard, et, le cas échéant, d’envisager la démolition. Toutefois, je le répète : la démolition est difficile à mettre en œuvre quand une famille vit dans la construction.
La préfète reconnaît également que cette procédure est longue et qu’il est difficile d’obtenir des résultats, notamment le paiement des astreintes. J’ignore si c’est du fait du Trésor public ou de la justice, mais il y a un véritable problème.
Il est prévu dans le futur schéma d’accueil et d’habitat des gens du voyage de régulariser des installations illicites, ce qui inquiète les maires, car il leur sera dès lors difficile de s’opposer à de futurs projets de cette nature.
Enfin, le plan local d’urbanisme intercommunal prévoira la création de terrains familiaux, notamment pour sédentariser les gens du voyage.
Ma question est simple, madame la ministre : que peut faire un maire pour s’opposer en amont soit à la vente d’un terrain, soit à une construction sur ledit terrain ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur, les constructions illégales sont un sujet particulièrement préoccupant dans les territoires, dans les zones naturelles comme partout ailleurs.
Au fond, c’est le projet de territoire des élus locaux qui se trouve remis en cause. Or ce projet a été traduit dans des règles d’urbanisme après beaucoup d’études et de concertation, pour définir ce que seront les formes urbaines, l’architecture et les paysages du territoire. C’est essentiel dans l’attachement et la relation de nos concitoyens à leur territoire.
Ces constructions illégales portent atteinte à ce projet et peuvent être source de risques importants pour les biens comme pour les personnes.
Comme vous le relevez, l’action pénale est un instrument essentiel de lutte contre ces constructions. Une instruction ministérielle du 3 septembre 2014 vise à accompagner les maires dans l’exercice de leurs missions de contrôle en mobilisant toute la chaîne d’acteurs.
Le Gouvernement a souhaité aller plus loin, sur l’initiative de votre collègue Alain Richard. La loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a mis en place un nouveau mécanisme administratif de traitement des infractions aux règles d’urbanisme, qui complète fort utilement les poursuites pénales. Ce nouveau mécanisme est prévu aux articles L. 481-1 à L. 481-3 du code de l’urbanisme.
Concrètement, une fois le procès-verbal d’infraction au code de l’urbanisme dressé, le maire a la faculté de mettre en demeure l’auteur de cette infraction, soit de procéder aux travaux nécessaires à la mise en conformité de la construction, soit de déposer une demande d’autorisation visant à les régulariser.
Cette décision peut être assortie d’une astreinte de 500 euros maximum par jour de retard, dont le produit revient à la commune ou à l’établissement public de coopération intercommunale lorsque son président est l’autorité compétente. Ce nouveau pouvoir permet ainsi une action plus rapide du maire pour traiter les infractions en matière d’urbanisme.
Il me semble donc préférable d’avoir un peu de recul sur la mise en œuvre de ce nouveau dispositif, avant d’envisager de nouvelles modifications législatives.
M. le président. La parole est à M. Alain Cazabonne, pour la réplique.
M. Alain Cazabonne. Madame la ministre, vous me rappelez ce que prévoit la loi de 2019, en l’occurrence des sanctions a posteriori. Or ce que souhaitent savoir les maires, c’est s’il existe un moyen d’anticiper ou d’empêcher ces ventes, ce qui résoudrait le problème.
Je sais bien qu’il s’agit d’un problème compliqué. Mais comme nous ne parvenons pas à trouver de solution localement, nous vous repassons la patate chaude, si vous me permettez cette expression, madame la ministre !
revitalisation des centres-villes
M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, auteur de la question n° 1629, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Bruno Rojouan. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur la dévitalisation des centres-villes.
À une époque où l’on parle de smart cities, de développement urbain et de la ville de demain, il faut réaffirmer le rôle essentiel des centres-villes, sans lesquels ces notions n’ont aucun sens. Nos centres-villes et centres-bourgs sont victimes d’un délaissement qui touche non seulement les petites villes, mais également les communes de taille moyenne.
Les causes de ce délaissement sont nombreuses. J’en évoquerai une en particulier : la dévitalisation commerciale.
Les élus peinent de plus en plus à maintenir une vie commerçante dans leur commune. Les commerces alimentaires, vestimentaires et de vente de biens en tout genre ont tendance à disparaître, laissant place à des institutions de services à la recherche d’une façade publicitaire, telles que les banques, assurances et agences immobilières.
Ces mutations modifient peu à peu, mais en profondeur, la qualité de vie des habitants, la promenade « lèche-vitrine » n’ayant plus grand intérêt, et menacent l’attractivité des villes. En effet, les habitants jugent utiles et attractifs avant tout les commerces de bouche et les artisans.
Par ailleurs, qu’ils soient français ou étrangers, de nombreux touristes viennent chercher l’authenticité d’un centre-ville commerçant.
Certes, des programmes visant à renforcer l’attractivité de nos centres-villes existent déjà. Le programme Petites Villes de demain prévoit notamment la création de postes de managers de centre-ville. Malheureusement, ces programmes ne concernent que certains territoires sélectionnés. Dans mon département, l’Allier, seules quinze communes ont été retenues pour en bénéficier.
La relance d’une dynamique des commerces de proximité a déjà été entamée par de nombreux élus locaux, qui, par la mise en place de règlements d’urbanisme spécifiques, limitent l’installation des mêmes institutions de services dans un certain périmètre. Certains favorisent également l’installation de nouveaux commerces lorsqu’un commerçant quitte le centre-ville, notamment en interdisant le changement de destination des locaux commerciaux. Il est nécessaire de les soutenir et d’adopter un plan d’action national en faveur de la relance du commerce de centre-ville.
Aussi, madame la ministre, je souhaite connaître les intentions du Gouvernement à ce sujet et savoir de quelle manière vous comptez intensifier la revitalisation des centres-villes, qui participent à l’attractivité de nos territoires ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Rojouan, je partage évidemment votre constat sur le rôle majeur que joue le commerce de proximité dans la dynamique des centres-villes.
C’est pour cela que le développement commercial constitue l’un des axes prioritaires du programme Action cœur de ville porté par Jacqueline Gourault.
Depuis 2018, le travail engagé dans les 222 villes sélectionnées a ainsi permis d’amorcer une baisse de la vacance commerciale, qui est passée de 13 % en 2017 à 12,4 % en 2019. Cette inflexion, après des années de hausse, est le reflet de l’exceptionnelle mobilisation des élus et des services de l’État.
Le programme Petites Villes de demain concourt également à l’objectif de revitalisation commerciale. Il s’appuie pour cela sur l’expérience capitalisée dans le cadre d’Action cœur de ville, tout en adaptant les outils aux centralités de plus petite taille.
Dans le cadre de ces deux programmes, la Banque des territoires a développé une offre destinée à soutenir les collectivités dans leur action en faveur de la transformation des commerces de proximité.
Cette offre prévoit notamment le financement d’un manager de centre-ville, à hauteur de 20 000 euros sur deux ans, d’une aide en ingénierie pour réaliser un diagnostic flash sur les effets de la crise et d’une subvention pour soutenir la réalisation de plateformes numériques.
Grâce aux financements du plan de relance, nous avons décidé de décliner une partie de ce dispositif pour les collectivités qui ne bénéficient pas des programmes Petites Villes de demain ou Action cœur de ville. Au total, 37 dossiers complets ont déjà été reçus par la Banque des territoires, dont 22 pour le financement de postes de managers de centre-ville.
Dans les mois à venir, nous allons encore intensifier nos efforts pour la revitalisation des centralités.
Tout d’abord, les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain continueront d’être déployés. Ainsi, 400 conventions d’adhésion au programme Petites Villes de demain ont déjà été signées. Ces programmes s’appuient notamment sur les opérations de revitalisation de territoire, les ORT, qui offrent des outils renforcés aux préfets pour limiter les projets commerciaux en périphérie.
Ensuite, le plan France relance prévoit des actions ambitieuses en faveur de la restructuration commerciale, notamment la création du fonds de restructuration des locaux d’activité, qui mobilise 60 millions d’euros pour soutenir la réhabilitation de 6 000 commerces.
reconstruction des vallées des alpes-maritimes après la tempête alex
M. le président. La parole est à M. Philippe Tabarot, auteur de la question n° 1691, transmise à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
M. Philippe Tabarot. Madame la ministre déléguée, la tempête Alex a été un immense traumatisme dans les Alpes-Maritimes, dans les vallées de la Tinée, de La Vésubie et de la Roya mais aussi dans le haut pays de Grasse et certaines communes de la vallée du Var.
Ces vallées portent toujours les stigmates d’un phénomène naturel sans précédent, qui a causé de terribles drames sur un plan humain, matériel et social.
La question est désormais de trouver comment indemniser et reloger les habitants et les entreprises. Se pose également la question du financement global de la reconstruction des vallées.
En effet, alors que sept mois se sont écoulés depuis la tempête, les engagements financiers pris par l’État suscitent encore et toujours des interrogations. Le Président de la République avait promis d’apporter « plusieurs centaines de millions d’euros » pour reconstruire ces vallées.
Or, à la mi-avril 2021, seuls 26 millions d’euros ont été attribués à l’ensemble des collectivités territoriales des Alpes-Maritimes par l’État. Cette somme apparaît largement insuffisante au regard de l’importance des besoins de reconstruction, estimés par un préfet à plus d’un milliard d’euros.
À l’inverse, le département des Alpes-Maritimes, la métropole Nice Côte d’Azur, la région et les communes ont pour leur part immédiatement engagé tous les moyens financiers dont ils disposent.
L’Union européenne a également fait savoir qu’elle serait au rendez-vous et qu’elle mobiliserait plus de 60 millions d’euros issus du Fonds européen de solidarité, dont nous ignorons toujours la ventilation.
Par ailleurs, certains sinistrés attendent toujours de savoir si le Fonds Barnier, qui est l’unique compensation, interviendra sur leur bien exposé dans le cadre d’une procédure d’acquisition.
Enfin, face à la croissance économique balbutiante de ces territoires, il convient dès aujourd’hui de créer des zones franches de montagne et d’accorder des prêts à taux zéro, maintes fois réclamés par les maires, pour permettre aux entreprises existantes ou à venir de se relancer. Il est indispensable que le Gouvernement prenne immédiatement toutes les mesures nécessaires.
Aussi, je vous demande, madame la ministre, de préciser le montant et le calendrier des sommes qui seront versées, afin que l’État tienne l’engagement qu’il a pris de se tenir aux côtés des sinistrés.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Tabarot, je tiens tout d’abord à réitérer le soutien de l’ensemble du Gouvernement aux sinistrés et aux victimes de la tempête Alex.
Dès les premières heures et les premiers jours de la crise, l’État a répondu présent auprès des collectivités : le Premier ministre s’est rendu sur place, puis le Président de la République a effectué une longue visite et a indiqué que la solidarité nationale serait au rendez-vous.
Dès le 14 octobre, un préfet délégué à la reconstruction des vallées a été nommé par le Président de la République. L’État a mobilisé des moyens salués par la population : renforts de la sécurité civile, de sapeurs-pompiers, de militaires, rotations d’hélicoptères.
Nous avons octroyé près de 26 millions d’euros de subventions aux collectivités faisant face à des travaux urgents, avant même la fin de l’année 2020.
Après le temps de l’urgence, nous avons sans délai commandé une mission chargée d’évaluer les dégâts subis par les biens non assurables des collectivités. Le travail constructif de la mission a été unanimement salué par les élus locaux.
L’ensemble des modalités financières, pour ce qui concerne l’État, sera présenté dans les prochains jours par le Président de la République, mais je puis d’ores et déjà vous faire part de la mobilisation d’une dotation de solidarité visant à financer les réparations et de moyens de droit commun, comme le fonds Barnier, pour un montant estimé à 120 millions d’euros.
En revanche, pour répondre à votre question, ce fonds n’a pas vocation à indemniser les particuliers en cas de modification des règles de construction : d’ailleurs, quand une commune modifie son plan local d’urbanisme pour rendre des terrains inconstructibles, personne n’est indemnisé pour cela.
Par ailleurs, le Fonds de compensation de la TVA remboursera 16 % de toutes les dépenses d’équipement des collectivités.
En outre, une aide sera apportée par le Fonds de solidarité de l’Union européenne, à hauteur de 60 millions d’euros.
Dans l’intervalle, le Gouvernement a confié au préfet des Alpes-Maritimes le soin de préparer la répartition de ces crédits, destinés principalement aux dépenses d’urgence engagées par les différents acteurs.
Enfin, un cadre contractuel partagé avec les collectivités est mis en place, pour unir nos forces et bâtir des vallées de la Roya, de la Tinée et de La Vésubie résilientes.
L’engagement pris par le Président de la République sera tenu ; l’effort de l’État sera à la hauteur des événements.
M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, pour la réplique.
M. Philippe Tabarot. Malgré le travail inlassable du préfet Pelletier, l’attentisme n’est pas une option, madame la ministre.
Sept mois après la tempête, la situation demeure fragile ; sept mois après, c’est tout un territoire, des maires, des collectivités qui attendent plus de moyens. La situation étant exceptionnelle, nous demandons des moyens exceptionnels !
lisibilité de la réforme de la fiscalité locale sur l’avis d’imposition des contribuables
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, auteur de la question n° 1635, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.
Mme Pascale Gruny. Jeudi dernier, j’étais à Laon avec mon collègue Antoine Lefèvre, pour remettre au préfet plus de 250 courriers de maires de l’Aisne, qui jugent la réforme de la fiscalité locale illisible pour le contribuable.
Monsieur le ministre, vous avez choisi de compenser dès 2021 la suppression de la taxe d’habitation par une réaffectation de la taxe foncière départementale dans le budget des communes.
Concrètement, sur la feuille d’impôt du contribuable ne figurera plus la colonne « département », puisque le taux prélevé par cette collectivité sera désormais intégré au taux communal.
La taxe foncière dans l’Aisne étant l’une des plus élevées de France, nos communes vont devoir rendre le surplus, en raison du coefficient correcteur institué, à des communes plus riches situées hors du département. Le produit de la taxe foncière est supérieur de 66,7 millions d’euros à celui de la taxe d’habitation levée par les communes de l’Aisne.
Nous ne pouvons laisser croire aux contribuables que nos communes percevront cette somme qui, de fait, ne leur reviendra pas ! Autrement dit, ne leur donnons pas l’impression que la commune a augmenté son taux d’impôt foncier pour compenser la suppression de la taxe d’habitation décidée par l’État.
Avec mes collègues parlementaires de l’Aisne, nous vous avons écrit, ainsi qu’à votre collègue Jacqueline Gourault, pour vous proposer deux écritures possibles de la taxe foncière qui prennent en compte ces éléments. Monsieur le ministre, quelle solution proposez-vous pour permettre à nos concitoyens de disposer d’une feuille d’impôt claire et transparente ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice Gruny, vous l’avez dit, la suppression de la taxe d’habitation est compensée pour les communes par l’attribution de la part de taxe foncière sur les propriétés bâties que percevaient les départements.
Cette compensation est accompagnée d’un coefficient correcteur, de manière à assurer la neutralité du transfert commune par commune et à garantir le financement de l’intégralité de la compensation à l’échelon national.
Certaines communes auraient pu percevoir une taxe foncière supérieure à ce qu’elles recevaient de taxe d’habitation et sont ainsi écrêtées. Celles qui auraient pu percevoir une taxe foncière inférieure à ce qu’elles recevaient de taxe d’habitation se voient compensées et majorées.
Le système fonctionne bien et garantit une compensation à 100 %. Je précise que nous travaillons encore pour rattraper quelques retards concernant des rôles complémentaires, sujets sur lesquels certains de vos collègues m’ont interpellé.
Des difficultés de lecture se posent dans des territoires dont la fiscalité est quelque peu atypique. Vous l’avez dit, le département de l’Aisne fait partie des départements dont le taux de taxe foncière sur les propriétés bâties est le plus élevé.
En 2010, le taux de cette taxe a été augmenté de 61 % dans le département et le taux de taxe d’habitation de la part départementale, avant qu’elle ne soit transférée aux intercommunalités dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle, avait, lui, été baissé de 45 %. Ce choix fiscal, qui a été démocratiquement acté par le conseil départemental de l’époque, crée une situation atypique et les difficultés que vous avez évoquées.
Jacqueline Gourault et moi-même souhaitons que la lecture par le contribuable soit juste. La nouvelle présentation de l’avis d’imposition foncier qui s’appliquera à l’imposition de 2021 apportera les précisions utiles à cette compréhension du transfert de la part départementale.
Cet avis sera présenté de façon à prévenir tout malentendu et à préserver l’effet utile des politiques de taux conduites par le passé.
Ainsi, à l’identique de ce qui a été effectué lors de la création en 2015 de la métropole de Lyon et en 2019 de la ville de Paris, la part départementale ne figurera plus sur le tableau détaillant le calcul de la cotisation. L’avis présentera, pour 2020 et 2021, la somme des taux communal et départemental, pour que le contribuable puisse s’assurer de la neutralité de la réforme lorsqu’il n’y a pas eu d’augmentation de taux.
Aucun contribuable ou particulier et aucune entreprise ne constatera donc de ressaut de sa taxe foncière lié à la réforme, sauf si des augmentations ont été décidées par ailleurs.
En revanche, je ne souhaite pas favoriser la confusion entre la refonte du schéma de financement des collectivités et la suppression de la taxe d’habitation. Ainsi, nous n’inscrirons pas le montant des compensations. La présentation, accompagnée d’un encart didactique, permettra au contribuable de s’assurer de la neutralité de la réforme.
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.
Mme Pascale Gruny. Monsieur le ministre, je puis vous assurer que le contribuable ne lit pas les notices : il regarde le montant qui figure sur son avis d’imposition !
Ce que nous voulons, c’est que le contribuable ne puisse pas penser que nous avons augmenté les impôts. Nous voulons que figure clairement la part que l’État affecte ensuite aux communes plus riches que nous.
Notre taux de taxe foncière est très élevé ; il est de l’ordre de 30 %, quand celui de Paris est de 5 %. Nous allons donc donner de l’argent à Paris ! Sincèrement, si vous laissiez au département de l’Aisne, qui est l’un des plus pauvres de France, quelques-uns des 66 millions d’euros qui lui seront pris, cela l’aiderait bien.
Aujourd’hui, les maires ne se sentent pas du tout aidés en termes de lisibilité. Mme Macarez, l’actuelle maire de Saint-Quentin, qui a succédé à Xavier Bertrand et à Pierre André, fait des camemberts tous les ans pour expliquer que le taux du département n’est pas le taux de la commune. Les contribuables trouvent néanmoins toujours que les impôts à Saint-Quentin sont élevés.
Vous allez encore accroître l’illisibilité sur ce sujet, monsieur le ministre.
application du crédit d’impôt sur les investissements en corse
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi, auteur de la question n° 1603, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.
M. Jean-Jacques Panunzi. Monsieur le ministre, permettez-moi d’attirer votre attention sur les difficultés du monde économique s’agissant de l’application du crédit d’impôt sur les investissements en Corse dans le cadre des investissements hôteliers.
J’ai déposé un amendement en première partie du projet de loi de finances pour 2021 visant à ne pas pénaliser l’hôtellerie de plein air par rapport à l’hôtellerie classique dans l’éligibilité au crédit d’impôt alors que les prestations offertes sont identiques. Cet amendement de précision tendait à clarifier l’éligibilité des investissements ouvrant droit à la mobilisation du crédit d’impôt.
Lors des travaux à l’origine de l’article 244 quater E du code général des impôts, les parlementaires et le Gouvernement ont entendu retenir une position non restrictive des investissements hôteliers, comme en atteste le compte rendu des débats de l’Assemblée nationale publié au Journal officiel du 17 mai 2001 : « La notion d’investissement hôtelier doit être entendue au sens large : elle comprend les investissements nécessaires aux prestations d’hébergement fournies par les hôtels classés de tourisme proprement dits, mais également les centres classés, les villages de vacances, les résidences de tourisme, ainsi que les installations fixes en dur des terrains de campements ».
Or, dans les faits, la direction générale des finances publiques, la DGFiP, exclut les exploitants de camping du dispositif. Je vous propose donc de corriger cette rupture d’égalité, pour que l’interprétation restrictive de l’administration fiscale ne finisse pas par prévaloir sur la loi.
L’amendement a été retiré en séance, le Gouvernement ayant considéré qu’il était satisfait, que le problème était une question d’interprétation par les services fiscaux et qu’une contrainte législative n’était pas nécessaire. Il est même allé jusqu’à indiquer que « la doctrine administrative allait être adaptée à la suite de l’adoption et de la promulgation de la loi de finances. »
Le texte a été promulgué le 28 décembre 2020. Depuis lors, je ne cesse de solliciter le cabinet du ministre pour savoir quelle forme prendra cette évolution. Je n’ai reçu aucune réponse à ce jour, pas même à mon courrier en date du 18 février 2021.
Dans un contexte économique aussi morose, la position attentiste de la DGFiP est insoutenable.
Monsieur le ministre, je vous le redemande : quand sera adaptée la doctrine administrative concernant la mobilisation du crédit d’impôt en faveur des investissements en Corse pour les structures relevant de l’hôtellerie de plein air, et quelle forme cette adaptation prendra-t-elle ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Panunzi, comme vous le savez, les petites et moyennes entreprises corses peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt au titre des investissements exploités en Corse pour les besoins d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, sous certaines conditions.
Deux catégories d’investissements sont susceptibles d’ouvrir droit au crédit d’impôt. Il s’agit, d’une part, des biens d’équipement qui sont amortissables selon le mode dégressif, et, d’autre part, des agencements et installations de locaux commerciaux habituellement ouverts à la clientèle, créés ou acquis à l’état neuf.
Or l’interprétation de la notion d’investissements hôteliers a évolué dans la jurisprudence récente. Le Conseil d’État a jugé il y a quelques mois, en novembre 2020, que l’activité des campings ne pouvait être assimilée à de l’hôtellerie, si bien que les investissements réalisés par un exploitant de camping ne sont plus éligibles au régime de l’amortissement dégressif.
En revanche, la cour administrative d’appel de Marseille a jugé au même moment, pour le cas des cliniques, que les locaux dans lesquels étaient fournies des prestations d’hôtellerie pouvaient être considérés comme des locaux commerciaux habituellement ouverts à la clientèle, donc éligibles au crédit d’impôt pour les investissements réalisés en Corse.
Même si elle n’a pas jugé précisément du cas qui nous occupe, il semble que cette dernière jurisprudence soit transposable à certains investissements réalisés dans les campings, notamment aux habitations légères de loisirs.
En tout état de cause, de tels investissements ne peuvent être éligibles au crédit d’impôt pour des investissements réalisés en Corse que s’ils remplissent toutes les conditions posées par la loi et la jurisprudence. Cela implique notamment que les équipements soient acquis à l’état neuf et que la fourniture de prestations hôtelières permette de qualifier ces locaux de locaux commerciaux. Le respect de ces conditions, qui s’appliquent à tous les bénéficiaires du crédit d’impôt, est vérifié au cas par cas par les services fiscaux.
Dans ces circonstances, et afin de tenir compte de ces jurisprudences contradictoires, mes services travaillent actuellement à la mise à jour de la doctrine administrative relative au crédit d’impôt pour les investissements réalisés en Corse. Celle-ci devrait être publiée dans les toutes prochaines semaines.
Vous l’avez compris, monsieur le sénateur, la complexité de cette jurisprudence nous oblige à faire preuve de prudence et à effectuer ce travail préparatoire.
situation de la société argicur
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, auteur de la question n° 1640, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.
M. Serge Mérillou. Monsieur le ministre, la crise que nous traversons depuis mars 2020 est d’une violence inédite pour nos concitoyens, mais aussi pour nos entreprises.
Je sais votre détermination à soutenir notre économie, monsieur le ministre, et je salue les différents dispositifs mis en place. Cependant, ils ne sont pas suffisants, car il subsiste des trous dans la raquette.
Depuis mon élection au Sénat, j’ai été sollicité à différentes reprises par des entrepreneurs périgourdins, qui peinent à garder la tête hors de l’eau.
J’attire votre attention aujourd’hui sur la situation de la société Argicur, dont l’usine est située dans la commune du Buisson-de-Cadouin, dans mon département, la Dordogne. Seule société française spécialisée dans la vente d’argile à destination des établissements thermaux depuis 1985, elle fait aujourd’hui face à une crise sans précédent. Ses clients sont en effet fermés depuis des mois pour des raisons sanitaires évidentes.
Malgré la souscription d’un prêt garanti par l’État et le recours au chômage partiel, la situation est alarmante. Argicur a perdu plus de 50 % de son chiffre d’affaires et enregistré un déficit de 400 000 euros en 2020. La reprise des activités thermales, réduite à une jauge de 50 % de curistes, ne lui permettra pas de se relever.
La responsable du site a tenté d’obtenir une aide en déposant une demande sur la plateforme dédiée, mais il lui a été répondu que son entreprise n’était pas éligible.
Monsieur le ministre, je sais votre attachement au développement économique des zones rurales.
Cette société emploie aujourd’hui de six à huit personnes et elle est une référence dans son secteur. Elle a d’ailleurs récemment réalisé de lourds investissements sur une ligne biosourcée, afin de réduire les déchets de boue thermale.
Monsieur le ministre, est-il possible d’accorder à cette entreprise indirectement affectée par la covid des facilités qui lui permettraient d’éviter la fermeture ? Je pense ainsi à des allégements de cotisations auprès de l’Urssaf ou à des facilités de remboursement du prêt garanti par l’État. Mieux encore : ne pourrait-elle pas être éligible aux aides réservées aux entreprises touchées par la covid-19 ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Monsieur le sénateur Mérillou, la société Argicur, vous l’avez dit, est spécialisée dans la fabrication d’argiles thermales, utilisées par les établissements thermaux dans le cadre des cures qu’ils dispensent. La fermeture des établissements thermaux a entraîné un fort ralentissement de son activité.
Cette société l’a signalé au ministère de l’économie, des finances et de la relance dans des courriers datés de janvier et d’avril 2021.
Je précise que toutes les entreprises de moins de 50 salariés ayant perdu plus de 50 % de leur chiffre d’affaires et qui n’appartiennent pas aux secteurs du tourisme, de l’hôtellerie-restauration, de l’événementiel, de la culture et du sport dits « S1 », ou aux secteurs connexes peuvent bénéficier d’une aide mensuelle égale au montant de la perte de chiffre d’affaires.
Cette entreprise en a bénéficié, pour des montants très certainement inférieurs à son chiffre d’affaires, puisque cette aide est plafonnée, pour les mois de mars et d’avril 2020. Elle n’a pas, en tout cas à ma connaissance, déposé de nouvelles demandes en matière de fonds de solidarité.
D’autres dispositifs ont également été mis en place : l’activité partielle et le soutien à la trésorerie – la société Argicur a contracté un PGE. Nous avons accordé à toutes les entreprises des délais de paiement, voire des exonérations d’échéances de cotisations sociales. Nous travaillons évidemment avec les médiateurs, avec les représentants de la Banque de France et avec l’ensemble des chefs des services financiers mobilisés dans chaque département.
Vous me sollicitez, monsieur le sénateur, pour savoir si cette entreprise peut faire l’objet d’un traitement particulier. Je ne puis vous répondre par l’affirmative ; ce n’est pas une décision discrétionnaire de ma part.
En revanche, cette entreprise peut voir sa situation examinée par le comité départemental d’examen des problèmes de financement des entreprises, le Codefi, réunissant l’ensemble des services de l’État, qu’elle doit saisir par l’intermédiaire de la direction départementale des finances publiques. Au sein de ce Codefi, des mesures spécifiques peuvent être prises, d’étalement, mais parfois aussi d’exonération et de suppression de certaines créances publiques.
J’ajoute que ce travail potentiel du Codefi sera complété par les dispositions du plan anti-faillite que nous mettons en place avec Bruno Le Maire, avec notamment la volonté d’apporter une aide en fonds propres aux entreprises qui en ont besoin dans une période de redémarrage de l’activité, plus encore dans une période de redémarrage progressif, puisque vous avez noté que les établissements thermaux étaient ouverts avec une jauge limitée à 50 %.
J’engage l’entreprise, par votre intermédiaire, à se rapprocher de mon cabinet, pour que nous puissions ensemble, avec le préfet du département et le directeur départemental des finances publiques, explorer les voies et les moyens pour l’accompagner.
M. le président. La parole est à M. Serge Mérillou, pour la réplique.
M. Serge Mérillou. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse. Cette société n’arrive pas à accéder aux aides prévues dans le fonds de solidarité pour les entreprises touchées par la covid-19. Je ne manquerai pas de prendre contact avec vos services pour qu’il soit remédié à ce problème.
présence postale dans les territoires
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, auteure de la question n° 1553, transmise à M. le ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le ministre, le président du groupe La Poste a demandé à l’État d’amender le contrat de présence postale territoriale, sans attendre 2023.
Même si la partie courrier a subi une baisse d’activité en 2020 à cause du covid, le groupe s’en sort toujours très bien, avec un bénéfice net historique de plus de 2 milliards d’euros entre janvier et juin 2020.
Sous prétexte de crise sanitaire et de digitalisation de l’économie, c’est un nouveau pan entier des missions de service public qui risque de disparaître. En effet, derrière cette volonté de revoir le contrat de présence postale territoriale, il y a des fermetures d’agences postales et des guichets de la banque postale. Nous en faisons, comme d’autres, l’amère expérience dans le département du Pas-de-Calais.
Les transferts de compétences aux agences postales communales représentent des charges supplémentaires pour les communes qui souhaitent conserver un service public de proximité. De plus, la compensation accordée par le groupe La Poste n’est souvent pas à la hauteur de la dépense.
Ces communes, souvent rurales dans mon département, engagent des frais pour la rénovation des locaux et embauchent des personnels pour assurer une présence continue pour les administrés. De même, les relais postaux commerçants ne garantissent absolument pas la confidentialité parfois nécessaire aux correspondances écrites, tout en marchandant le service public.
La disparition des guichets de la Banque Postale associée à celle des agences de la Caisse d’Épargne, dont le groupe est en pleine restructuration, et la remise en cause de la présence des distributeurs automatiques de billets, ou DAB, pour des questions de coûts n’augurent pas un avenir sain pour la dispense d’un service public bancaire de proximité.
Or, les activités courriers et bancaires du groupe La Poste, dans des locaux appartenant à ce groupe, restent nécessaires pour nos territoires et nos concitoyens. Dans ce contexte, nous devrions au contraire œuvrer à renforcer le service public et sa proximité.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour que le contrat de présence postale territoriale garantisse que les territoires conservent des agences postales et bancaires, mais aussi des DAB du groupe La Poste, afin d’assurer la mission de service public à laquelle nos concitoyens ont le droit de prétendre ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice Apourceau-Poly, le maintien d’un maillage fin du territoire par un réseau dense de points de contact postaux est garanti par la loi, qui fixe à La Poste une obligation de maintenir au moins 17 000 points répartis sur le territoire, de sorte que 90 % au moins de la population d’un département ait accès à un point de contact postal à moins de 5 kilomètres ou 20 minutes de trajet automobile.
La Poste traverse des difficultés au sein de ses différentes activités : l’activité courrier connaît une baisse importante de son volume, et nous savons que le développement de la digitalisation est de nature à amoindrir encore le volume de courrier. Nous menons des discussions sur l’activité de service universel dite « courrier », en lien avec la question de la présence postale territoriale.
Le contrat de présence postale conclu entre l’État, La Poste et l’Association des maires de France précise le cadre dans lequel la mission d’aménagement du territoire est mise en œuvre. Il prévoit que l’État contribue à hauteur de 174 millions d’euros par an, soit 522 millions d’euros sur la période 2020-2022, à la consolidation et à l’adaptation de la présence postale dans les zones rurales, les zones de montagne, les quartiers de politique de la ville et les départements d’outre-mer.
Je suis très attentif à ce que les adaptations menées par La Poste soient conçues et conduites de façon à garantir un haut niveau de qualité de service aux usagers, en concertation avec les élus concernés. Nous y veillons de près avec les instances de gouvernance de la mission d’aménagement du territoire de La Poste, et plus précisément encore avec l’Observatoire national de la présence postale, présidé par le sénateur Chaize.
Le contrat actuel couvrant la période 2020-2022, la prochaine échéance est celle de la négociation du contrat pour la période 2023-2025. Le contenu de ce nouveau contrat et son financement s’appuieront sur une concertation approfondie avec les élus locaux.
Nous menons ces travaux. Nous entendons les demandes formulées aujourd’hui par La Poste du fait de la difficulté rencontrée dans son activité. Nous nous appuierons aussi sur les conclusions du rapport que nous avons demandé à Jean Launay au sujet du service universel postal et des modalités de compensation.
J’ai eu l’occasion d’indiquer hier devant la commission des finances de l’Assemblée nationale que la nature – subvention budgétaire ou recette fiscale – comme le montant de cette compensation nouvelle n’étaient pas arrêtés. En lien avec le Premier ministre, j’aurai l’occasion de m’exprimer et de préciser la position du Gouvernement à la suite de la remise du rapport de Jean Launay, dans les jours à venir.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la réplique.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Après la réforme des finances publiques, c’est à celle de La Poste que votre Gouvernement s’attelle. Nous constatons, avec les maires et les citoyens, que cela conduit à toujours moins de services publics dans notre pays, et nous le regrettons !
antenne 5g à berre-les-alpes
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, auteur de la question n° 1681, adressée à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le ministre, ma question porte sur le déploiement d’une antenne 5G dans la commune de Berre-les-Alpes, dans les Alpes-Maritimes.
Le déploiement de la 5G est un enjeu majeur pour la France. Ce déploiement pose toutefois la question du nombre d’antennes nécessaires à la couverture en 5G du territoire, qui est fixé à 10 500 sites d’ici à 2025 par l’Arcep, Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.
Certaines communes, sans contester l’installation de ces antennes devenues indispensables pour la couverture numérique, souhaitent pouvoir les implanter dans la concertation et en adéquation avec l’aménagement de leur territoire.
Depuis la loi du 9 février 2015 relative à la sobriété, à la transparence, à l’information et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques, dite « loi Abeille », l’obligation d’information du maire existe. La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, ou loi ÉLAN, a en outre consacré un délai d’un mois entre le dépôt du dossier d’information auprès du maire et la demande d’autorisation d’urbanisme permettant de consulter les habitants.
À Berre-les-Alpes, cette procédure s’est bien déroulée, mais la population, forte d’une pétition recensant plus de 200 signataires sur 1 200 habitants, bien entendu soutenue par le maire et les élus municipaux, demande le déplacement du lieu, initialement prévu à proximité de la nouvelle école qui accueillera des élèves en septembre 2021.
Dans son rapport sur le déploiement de la 5G, l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail estime « peu vraisemblable, à ce stade, que le déploiement de la 5G dans la bande de fréquence autour de 3,5 gigahertz constitue un nouveau risque pour la santé ». Elle estime toutefois nécessaire de poursuivre les recherches. Enfin, en septembre 2020, le secrétaire d’État chargé du numérique avait déclaré : « Je suis totalement prêt à discuter avec les maires pour qu’ils sachent quand une antenne va arriver chez eux ».
Aussi, monsieur le ministre, le Gouvernement est-il prêt à ouvrir le dialogue avec les élus de Berre-les-Alpes et l’opérateur SFR, afin de revoir le lieu d’implantation de cette antenne 5G et de pouvoir ainsi rassurer la population ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice Estrosi Sassone, Cédric O vous prie de bien vouloir l’excuser, il est mobilisé ce matin au sujet des difficultés rencontrées hier dans le domaine des télécommunications. Nous sommes également convaincus que le déploiement de la 5G est un enjeu majeur pour notre pays, et nous avons fait le choix d’une feuille de route ambitieuse, puisque l’objectif est de couvrir notre territoire en réseau 5G.
Dans ce cadre, l’un des chantiers porte sur la transparence et le dialogue au sujet du déploiement de la 5G et l’exposition du public. Nous avons considéré, et peut-être anticipé, que le succès de ce déploiement réside d’abord dans la confiance que leur accorde le public, confiance – ou méfiance, pour le coup – qui est au cœur de votre question.
Nous sommes convaincus que nous devons assurer collectivement la transparence totale sur ces déploiements. C’est en ce sens que nous avons saisi au début de 2019 l’Anses d’une demande d’expertise sur les effets sanitaires éventuels de la 5G.
Les conclusions de cette expertise ont été publiées en avril dernier. Vous les mentionnez en indiquant que « les niveaux d’exposition seront vraisemblablement comparables entre la 5G et les technologies précédentes » et qu’il est « peu vraisemblable que le déploiement de la 5G […] constitue un nouveau facteur de risque pour la santé ».
Nous souhaitons bien évidemment suivre les préconisations de l’Agence et poursuivre les efforts de recherche sur l’identification et l’analyse d’éventuels effets sanitaires, notamment pour ce qui concerne la bande de 26 gigahertz plusieurs fois citée.
Nous avons engagé un plan de renforcement des mesures de l’exposition aux ondes prévoyant un triplement pour 2021 des contrôles réalisés par l’Agence nationale des fréquences. La moitié sera consacrée à des mesures spécifiques de la puissance d’émission des antennes avant et après le déploiement de la 5G dans des configurations diverses.
Nous considérons comme vous que la 5G ne peut se faire sans les élus locaux, qui sont au cœur de la stratégie de déploiement et doivent disposer d’informations de qualité.
Nous examinons le dispositif dit « de la loi Abeille », que vous avez évoqué et que nous trouvons utile. Les maires peuvent demander une simulation de l’exposition et solliciter l’Agence nationale des fréquences pour la réalisation de mesures de terrain. Il existe aussi des instruments de concertation à destination des élus, avec le comité de transparence 5G et les dispositions de la loi ÉLAN que vous avez rappelées.
Dès lors que l’installation respecte les seuils d’émission autorisés, la seule voie est celle de la médiation et du dialogue, puisque nous ne pouvons pas contraindre un opérateur sur le choix du site si celui-ci est respectueux des dispositions en vigueur.
Cédric O m’a chargé de vous dire qu’il est évidemment à la disposition des élus de la commune et que le préfet du département est missionné pour ouvrir un dialogue, afin d’améliorer la confiance et l’acceptabilité, mais aussi de voir avec l’opérateur concerné si une solution de substitution reste possible, dans le respect de la loi et des prérogatives et des droits de chacun.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour la réplique.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse.
Sur ces sujets, nous le savons, l’irrationnel l’emporte bien souvent. Il est donc important, vous l’avez rappelé, de privilégier le dialogue et la concertation entre les élus, les habitants et bien entendu le Gouvernement, via les services de l’État. Aujourd’hui, ces derniers ont la main sur de telles décisions, et le maire ne peut pas refuser l’implantation d’une antenne 5G.
Cette pétition a été adressée à M. le préfet des Alpes-Maritimes, mais il importe aussi d’écouter les habitants et de voir ce qui peut être mis en place, en concertation avec l’opérateur, afin de permettre une meilleure couverture numérique du territoire, mais aussi de rassurer les parents inquiets que l’antenne puisse être installée à proximité de l’école.
participation des employeurs territoriaux à la prévoyance
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, auteure de la question n° 1541, adressée à Mme la ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur la participation des employeurs territoriaux à la prévoyance. Dans le cadre de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, une ordonnance relative à la protection sociale complémentaire des agents publics devrait être présentée au conseil des ministres.
Au travers du principe d’une participation obligatoire et progressive des employeurs publics au financement de la complémentaire de santé de leurs agents, le projet d’ordonnance actuel marque une avancée pour la protection des agents territoriaux, qui, comme les données publiques l’attestent, connaissent une dégradation progressive de leur état de santé depuis plusieurs années.
Cependant, cette réforme ne saurait être efficace auprès des agents territoriaux sans intégrer la question de la prévoyance. En effet, en cas d’arrêt long, un agent territorial sur deux n’est pas couvert en prévoyance. Cela signifie qu’après trois mois d’arrêt maladie, il ne percevra plus que 50 % de son traitement. Cela entraîne aujourd’hui des situations de grande précarité, étant donné que 75 % des agents territoriaux sont issus de la catégorie C et disposent donc de salaires très peu élevés.
Finalement, une partie des agents territoriaux en arrêt long renonce à cotiser à leur complémentaire santé, quand bien même leur collectivité la finance déjà à 50 %.
Pour éviter qu’une partie des agents ne soit pas en mesure de souscrire une complémentaire de santé, il est donc indispensable que le dispositif mis en œuvre par le Gouvernement permette une amélioration sensible de la protection des agents sur le risque prévoyance. Pour ce faire, la participation des employeurs en prévoyance devrait être au même niveau que celle qui concerne la santé, dès 2022.
C’est d’autant plus important que le risque en prévoyance est encore plus sensible au phénomène d’anti-sélection. Cette mesure permettrait par ailleurs une meilleure mutualisation du risque sur un socle minimal de garanties incapacité-invalidité, dont les bases doivent être définies.
Aussi, quelles mesures comptez-vous mettre en œuvre, monsieur le ministre, afin de prévenir le phénomène de précarisation des agents territoriaux lié aux arrêts longs ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics. Madame la sénatrice Doineau, la protection sociale complémentaire des agents publics est un sujet majeur.
J’ai eu l’honneur de porter devant vous la loi de transformation de la fonction publique, et je connais, en tant qu’ancien maire, les disparités de protection entre les agents, notamment les plus précaires, en matière de santé et de prévoyance.
La loi du 6 août 2019 prévoit une habilitation à légiférer par ordonnance sur le sujet. Depuis lors, Amélie de Montchalin, ma collègue chargée de la fonction publique, a mené toutes les concertations nécessaires.
Je tiens à signaler, pour ce qui concerne la fonction publique territoriale, que les associations représentant les employeurs territoriaux réunies autour de Philippe Laurent dans le comité de liaison des employeurs territoriaux se sont unanimement accordées sur leur intérêt pour ce sujet et sur leur volonté de participer au financement de la protection sociale complémentaire des agents publics.
Les situations sont disparates : certaines collectivités la financent déjà à hauteur de 50 %, d’autres ont des contrats collectifs, d’autres encore ne font rien. La situation au sein des administrations de l’État est tout aussi disparate.
Une ordonnance du 17 février dernier fixe l’obligation de financement de la protection sociale complémentaire. Concrètement, après une montée en charge progressive commençant en 2022, tous les agents publics bénéficieront en 2026 d’une prise en charge par leur employeur de 50 % du coût de la complémentaire de santé.
Le choix a été fait, à l’issue des concertations, de commencer par le chantier, passez-moi l’expression, de la complémentaire de santé. Celui de la complémentaire prévoyance devra aussi être abordé. Toutefois, les organisations syndicales et les représentants des employeurs publics ont choisi de différer la mise en œuvre de ces deux aspects.
L’amélioration de la couverture santé est de nature à limiter les risques et à participer à une forme de prévention, mais elle ne ferme pas ce sujet majeur de la prévoyance que vous avez évoqué.
Il faut préciser que cette réforme représentera, pour l’ensemble des employeurs publics, un coût de 500 millions d’euros en 2022, pour atteindre 1 milliard d’euros en 2024, au rythme de la montée en charge du dispositif d’accompagnement.
Nous aurons l’occasion, dans les mois et les années à venir, d’ouvrir le chantier de la prévoyance. Pour les raisons indiquées, le choix a été fait de séquencer les chantiers, mais aussi, par cette ordonnance, de rétablir une forme d’égalité : une égalité de droits pour les agents publics de bénéficier d’une participation de l’employeur à hauteur de 50 % ; une égalité de devoirs pour les employeurs publics, puisque, sur ce sujet comme sur d’autres – je pense à la prime de précarité pour les contrats courts –, les employeurs publics, dans leur collégialité, s’étaient exonérés des obligations pesant sur les employeurs privés. Ainsi, l’équité est rétablie.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour la réplique.
Mme Élisabeth Doineau. Je remercie M. le ministre, qui a beaucoup travaillé sur le sujet. Je serai très attentive à l’équité qui est nécessaire pour les complémentaires de santé comme pour la prévoyance des agents territoriaux.
reconduction du dispositif « vacances apprenantes »
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau, auteur de la question n° 1587, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
M. Jean-Jacques Michau. Madame la secrétaire d’État, j’attire votre attention sur le dispositif « Vacances apprenantes », lancé par le ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports dans le cadre du plan d’urgence face à la crise sanitaire et inscrit dans la loi de finances rectificative du 30 juillet 2020.
Ce dispositif s’est révélé d’une utilité cruciale et décisive dans le secteur des accueils collectifs de mineurs à but non lucratif et à caractère éducatif que sont les colonies de vacances, les camps de scoutisme et les accueils de loisirs.
Créé à la fin du premier confinement, il a été conçu comme une double réponse publique et d’intérêt général au problème récurrent d’accès aux vacances et aux loisirs collectifs et au contexte de rupture de continuité pédagogique lié au confinement.
Mis en place dans des délais très courts, qui ont, de fait, limité sa portée, il a cependant permis aux communes, aux organisateurs d’accueils collectifs de mineurs et aux parents de proposer aux enfants et aux jeunes des activités éducatives et collectives, complémentaires des apprentissages scolaires.
Quelque 125 000 enfants et jeunes ont été concernés. Valorisant notamment la découverte du patrimoine et l’éducation à l’environnement, les centres de loisirs et les colonies apprenantes ont été une source de dynamisme pour leur territoire d’implantation. Grâce à ce dispositif, des centres d’accueil à caractère éducatif ont pu rouvrir l’été dernier et limiter la dégradation de la situation précaire pour des milliers d’enfants et de jeunes.
Ce dispositif a mis en exergue l’importance et la nécessité d’améliorer l’accès aux vacances et aux loisirs collectifs, vecteur de construction de l’individu et de cohésion sociale et nationale. Alors que 4 millions d’enfants sont privés chaque année de vacances et que la crise économique et sociale s’aggrave, la pérennité des actions en faveur des vacances et loisirs éducatifs relève de l’utilité publique.
De même, l’instauration d’un « pass colos » doté d’un montant de 300 euros pour tous les enfants de CM2, à l’instar de ce qui existe déjà pour la culture ou le sport, doit être envisagée pour remédier aux difficultés que connaissent trop d’enfants.
Madame la secrétaire d’État, je souhaite donc connaître les intentions du Gouvernement en ce qui concerne la reconduction de ce dispositif pour l’année 2021 et au-delà, et savoir si le principe d’une pérennisation des différentes actions relatives aux « Vacances apprenantes » est envisagé, afin de permettre une véritable politique nationale de soutien à l’accès aux vacances et aux loisirs collectifs pour tous.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire. Monsieur le sénateur Jean-Jacques Michau, vous l’avez dit, la crise sanitaire liée à l’épidémie de la covid-19 a fortement mis à mal l’épanouissement de nos enfants et fragilisé économiquement de nombreuses familles.
En outre, l’ensemble de l’activité des accueils collectifs de mineurs a été pénalisé par la crise sanitaire, fragilisant considérablement ce secteur économique et touristique.
Nous avons donc mis en place le dispositif « Vacances apprenantes » pour répondre à deux objectifs : d’une part, offrir aux enfants un véritable « droit aux vacances » pour s’épanouir, apprendre et grandir autrement ; d’autre part, soutenir le secteur économique de l’éducation populaire, qui agit en complémentarité avec l’école pour l’éducation des enfants.
En 2020, les « Vacances apprenantes » ont été déployées à l’été puis à l’automne au travers de différents volets, tels que l’École ouverte, l’École ouverte buissonnière ou encore les Colonies apprenantes et les Stages de réussite, ce qui a permis à près d’un million d’enfants de renforcer leurs connaissances, de s’aérer, de partager des expériences avec d’autres enfants. Cela a été rendu possible, monsieur le sénateur, je veux le souligner, par la mobilisation de tous les agents du ministère et des collectivités territoriales.
Je rappelle également que le fonds d’urgence pour les colonies de vacances et les classes de découverte a soutenu, au cours des mois de novembre et décembre dernier, près de 600 structures organisatrices de séjours pour les élèves mineurs.
Ce succès, monsieur le sénateur, n’est pas seulement quantitatif ; il est aussi qualitatif. Pour ne citer qu’un seul exemple, celui des Colos apprenantes, un enfant sur deux était primo partant. Cette réussite et les besoins qui perdurent nous ont conduits à reconduire cette opération à l’été 2021. Après avoir été annoncée par le Premier ministre le 30 janvier dernier, la reconduction en 2021 du dispositif « Vacances apprenantes » est donc acquise.
Ainsi, quelque 120 millions d’euros sont mobilisés : 35 millions d’euros pour l’École ouverte, 45 millions d’euros pour les Stages de réussite et 40 millions d’euros pour les Colonies apprenantes. S’y ajoutent les Quartiers d’été, portés par le ministère de la ville, pour des activités près de chez soi pour les familles, et l’opération Été culturel, portée par le ministère de la culture.
Au total, ce sont 180 millions d’euros qui permettront d’offrir aux enfants et à leurs familles des temps éducatifs et culturels, des moments de partage et de bonheur après une crise sanitaire qui nous a tous affectés. Il s’agit, je le répète, d’un véritable « droit aux vacances », que nous créons avec un objectif renouvelé d’un million d’enfants concernés.
fermeture des classes et diminution des heures de cours
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, auteure de la question n° 1609, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Mme Béatrice Gosselin. Madame la secrétaire d’État, la diminution constante, depuis plusieurs années, du nombre de classes ou d’heures de cours mettant en péril la qualité de l’enseignement dans de nombreux établissements est inquiétante, notamment en zone rurale.
Certes, le nombre d’enfants scolarisés accuse une diminution, qui coïncide avec la baisse de la natalité, mais il existe une contradiction entre les préconisations de différenciation pédagogique de l’éducation nationale et le nombre croissant des groupes classe de nos établissements scolaires. Dans nos départements ruraux, il existe peu de réseaux d’éducation prioritaire, ou REP, mais la différence des niveaux sociaux et culturels est une réalité.
L’éducation nationale préconise l’école inclusive, dont l’objectif est d’accueillir tous les enfants. Il est demandé aux enseignants de mettre en place une pédagogie permettant aux enfants en difficultés d’être épaulés, soutenus. En même temps, les enseignants doivent faire progresser davantage les enfants ayant des facilités et le besoin d’apprendre.
Cet enseignement à l’écoute des besoins de l’élève nécessite une pédagogie différenciée, individuelle ou en groupes restreints. Dans le même temps, on impose à ces professionnels des effectifs croissants. J’ajoute que la crise sanitaire, ces deux dernières années, a encore accentué l’hétérogénéité de nos élèves.
L’actuel Gouvernement a rendu l’instruction obligatoire à partir de l’âge de 3 ans, et c’est une sage décision. Mais permettons à nos enfants, dès leur jeune âge, d’avoir la possibilité de suivre un enseignement adapté à leurs besoins dans des classes aux effectifs contrôlés. La volonté de diminuer les effectifs des classes de CP-CE1 est un effort important qu’il faut saluer. Il doit être poursuivi dans les autres niveaux.
Certains pays de l’Europe du Nord ont une politique différente de l’enseignement : un nombre d’élèves qui varie en fonction des matières, parfois des enseignants supplémentaires en soutien dans des classes pour les acquis fondamentaux.
Nos professeurs, pour la majorité d’entre eux, ont choisi ce métier et l’exercent passionnément, avec la volonté de mettre en place des projets pédagogiques. Les réformes de l’enseignement, les programmes mis en place ces dernières années ne peuvent être applicables dans des établissements où le nombre d’élèves par classe est constamment en augmentation.
Les enseignants savent se remettre en question pour ce qui concerne leurs pratiques, mais ils ne peuvent travailler sereinement quand les réformes pédagogiques se succèdent et sont conjuguées à des effectifs sans cesse croissants, alors que les moyens financiers sont en régression.
J’aimerais savoir, madame la secrétaire d’État, s’il est prévu de limiter la fermeture des classes ou la réduction du nombre d’heures au collège, afin que les enseignants accompagnent au mieux nos enfants dans leurs apprentissages.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire. Madame la sénatrice Béatrice Gosselin, vous avez souligné l’engagement des professeurs. Pour les rencontrer chaque semaine sur le terrain, je partage votre constat : ils sont mobilisés et très engagés, plus encore depuis le début de la crise sanitaire.
Le budget du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports est, rappelons-le, le premier budget de l’État, en augmentation de 1,6 milliard d’euros pour la seule éducation nationale, et les emplois y sont stabilisés. La rentrée scolaire 2021 sera celle d’une priorité réaffirmée en faveur du premier degré et de la maîtrise des savoirs fondamentaux que sont lire, écrire, compter et respecter autrui.
Cela passe, vous l’avez dit, par l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans et par des moyens supplémentaires. Dans l’enseignement scolaire public du premier degré, entre les rentrées de 2017 et de 2020, quelque 11 900 postes ont été créés, dans un contexte de forte baisse démographique, marqué par la perte de 150 000 élèves.
Cela passe aussi par le dédoublement des classes, mesure emblématique à destination de l’éducation prioritaire, où 100 % des classes de CP et de CE1 ont été dédoublées. Nous sommes en train de dédoubler les classes de grande section de maternelle.
Cela passe encore par le plafonnement des effectifs des classes de grande section, de CP et de CE1 à 24 élèves sur tout le territoire. Pour votre information, cette mesure sera effective à 87 % à la rentrée 2021 et devrait être généralisée à la rentrée 2022.
Concernant plus particulièrement la Manche, la prise en compte du caractère rural de ce département s’exprime dans des taux d’encadrement plus favorables qu’au plan national, qu’il s’agisse du nombre moyen d’élèves par classe ou du nombre de professeurs pour 100 élèves, le fameux P/E, qui a augmenté et qui devrait encore s’améliorer à la prochaine rentrée.
Dans l’enseignement scolaire public du second degré, le volume d’heures d’enseignement sera abondé en 2021. Les heures supplémentaires ainsi créées permettront d’apporter une réponse souple aux besoins réels des établissements tout en améliorant sensiblement la rémunération individuelle des enseignants qui les assurent.
En milieu rural, le nombre moyen d’élèves par division – c’est le fameux E/D – en collège public pour cette année scolaire présente, lui aussi, un taux sensiblement plus favorable que la moyenne nationale.
M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Ces taux d’encadrement reflètent la capacité des autorités académiques à assurer la mise en œuvre d’un accompagnement des élèves et la différenciation pédagogique.
suite de la conférence nationale du handicap
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, auteur de la question n° 1664, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées.
Mme Jacky Deromedi. Aujourd’hui, 7 000 adultes et 1 500 enfants, dont une large proportion sont concernés par les troubles du spectre de l’autisme, ne trouvent pas sur le territoire français les réponses que nécessite leur état et sont dans des établissements wallons.
Le 11 février 2020, lors de la Conférence nationale du handicap, le Président de la République a annoncé que les personnes en situation de handicap seraient dorénavant accueillies dans des établissements spécialisés à construire en France.
Sans attendre, dès le 21 janvier 2021, la France et la Belgique ont mis en place un moratoire pour suspendre la possibilité de transférer les enfants et adultes français en situation de handicap en Belgique.
L’effet s’est immédiatement fait sentir pour les régions les plus concernées par les orientations en Belgique et pour les Français résidant à l’étranger. La prise en charge en Belgique des personnes françaises en situation de handicap représente un coût annuel de 500 millions d’euros. Or le budget envisagé pour cette adaptation serait de 90 millions d’euros sur trois ans, ce qui, de toute évidence, est en totale inadéquation avec les montants nécessaires.
Pour remédier à une telle situation, des initiatives privées de construction de centres spécialisés ont émergé dans certains départements, mais elles n’ont reçu aucune suite.
L’urgence est de créer en France les réponses adaptées aux problématiques de ces personnes handicapées, dont la majorité sont des adultes avec trouble du spectre de l’autisme. Les empêcher d’aller en Belgique sans leur proposer de réponse en France aggrave la situation des familles concernées, auxquelles aucune solution n’est offerte.
Les mesures proposées dans le plan de prévention des départs non souhaités en Belgique ne sont pas à la hauteur des besoins, d’un point de vue tant quantitatif que qualitatif.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer ce qui a été fait depuis le 11 février 2020 ? Quand les familles pourront-elles disposer de places dans des établissements spécialisés en France ?
Actuellement, les enfants que les familles ne peuvent pas garder à la maison sont placés dans des hôpitaux ou dans des centres inadaptés à leur pathologie, où ils ne bénéficient pas de soins appropriés, ce qui ne leur donne aucune chance d’évolution positive.
Serait-il au moins possible de suspendre le moratoire, afin que les familles puissent à nouveau envoyer leurs enfants en Belgique, où des structures extrêmement bien adaptées aux différents besoins existent, en attendant que des structures de remplacement à la hauteur soient disponibles en France ? Il faudrait dans le même temps examiner les offres qui nous sont adressées par des professionnels expérimentés pour construire des établissements privés.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire. Madame la sénatrice, je vous prie d’excuser l’absence de Sophie Cluzel. Je répondrai en son nom.
Aujourd’hui, 8 000 Français sont accueillis en Belgique, et les départs se poursuivent. Certains ont choisi de partir ; d’autres, trop nombreux, ont accepté ce choix faute de solution en France.
Nous ne pouvons plus tolérer une telle situation. Nous devons permettre aux familles de se rapprocher.
En application de l’accord franco-wallon signé en 2011, nous avons décidé de lancer, avec Christie Morreale, l’homologue de Sophie Cluzel, un moratoire sur la création de places d’accueil. Celui-ci consiste à arrêter le nombre de places désormais financées par l’assurance maladie au nombre de places occupées au 28 février 2021 ; c’est ce qui a déjà été fait en 2015 pour les enfants. Il ne remet pas en cause les places existantes ni leur financement par l’assurance maladie. Il nous ouvre cependant la possibilité de mieux réguler l’offre.
Ainsi, une centaine d’établissements belges pour adultes financés en tout ou partie par l’assurance maladie ont déjà signé la convention d’objectifs transfrontalière. Ce conventionnement permettra d’échanger avec eux sur les bonnes pratiques et, surtout, de travailler sur la qualité de l’accueil et de l’accompagnement, ainsi que sur le projet de vie des personnes.
À très court terme, Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées a pris l’engagement qu’aucun départ prévu et respectant les procédures en vigueur avant la mise en œuvre du moratoire ne serait remis en cause. Les consignes ont été passées à l’ensemble des services concernés. Notre première priorité est bien de créer toutes les solutions possibles en France.
Comme vous l’indiquez, 90 millions d’euros sont accordés aux trois régions, Hauts-de-France, Île-de-France et Grand Est, dans lesquelles 650 nouvelles places sont d’ores et déjà programmées. D’ici à 2023, ce seront a minima 1 000 solutions nouvelles.
Afin de mieux répondre à la situation très complexe en France, des unités de vie de six personnes seront également créées pour les adultes atteints de troubles du spectre de l’autisme en situation très complexe. Les premières devraient ouvrir d’ici à la fin de l’année.
Je tiens toutefois à vous confirmer que, entre 2017 et 2019, ce sont plus de 8 600 nouvelles solutions médico-sociales qui ont été créées. Nous devons agir sans relâche pour que se mettent en œuvre des accompagnements plus inclusifs, tant pour les enfants que pour les adultes, en transformation de l’offre existante.
hyper-fréquentation et sur-tourisme dans les petites communes
M. le président. La parole est à M. Pascal Martin, en remplacement de Mme Agnès Canayer, auteur de la question n° 1628, adressée à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du tourisme, des Français de l’étranger et de la francophonie.
M. Pascal Martin. J’interviens en remplacement de ma collègue Agnès Canayer.
Étretat suffoque. Elle suffoque comme de nombreuses petites communes françaises face à la saturation touristique. En effet, Étretat est enclavée entre deux falaises de quatre kilomètres carrés et accueille près de 1,2 million de visiteurs par an. Cette pression touristique n’est plus tenable.
Les Étretatais, locaux et estivants, sont inquiets des conséquences de cet afflux de touristes, notamment lors des vacances scolaires, alors que la commune ne dispose pas de moyens pour y faire face.
Les riverains de l’Aiguille creuse sont excédés face aux embouteillages, aux dépôts sauvages, aux stationnements gênants provoqués par une telle fréquentation, qui privent cette petite commune littorale de son calme et de son charme.
Une telle dégradation des conditions de vie à Étretat a suscité le départ de 400 habitants en dix ans, réduisant ainsi le nombre d’habitants, aujourd’hui inférieur à 1 300, et, par voie de conséquence, les dotations de l’État.
De plus, l’attractivité d’Étretat a encore été valorisée par la série Lupin, dont la deuxième saison sortira dans une semaine.
Aujourd’hui, cette problématique d’ampleur ne peut plus être gérée à l’échelle de la ville seule, voire à celle de la communauté urbaine Le Havre Seine Métropole. Les élus locaux n’ont plus les moyens d’agir pour endiguer cette hyper-fréquentation avec une diminution permanente de moyens et d’habitants.
Pourtant, en 2019, le Sénat a adopté une proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l’hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux, dite Bignon. Malheureusement, ces dispositions sont toujours perdues dans la navette parlementaire. Je me félicite qu’elles aient été reprises dans le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Je forme le vœu qu’elles figureront dans le texte promulgué.
De plus, sous la pression constante de l’afflux de population, les élus locaux réfléchissent à des solutions via l’opération Grand Site (OGS), lancée par le département de la Seine-Maritime. Toutefois, face à un problème d’une telle ampleur, les solutions doivent être rapides et efficaces.
En effet, les beaux jours reviennent et les touristes avec eux : le risque d’une nouvelle hyper-fréquentation est inéluctable. Des solutions aussi pérennes que rapides doivent donc être trouvées par l’État. Accompagner matériellement et financièrement la commune d’Étretat est une nécessité et une urgence.
Que compte faire le Gouvernement pour accompagner durablement et efficacement les communes soumises à l’hyper-fréquentation, dont Étretat est aujourd’hui l’un des symboles ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de l’éducation prioritaire. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser l’absence de Jean-Baptiste Lemoyne. Je répondrai en son nom.
Tout d’abord, il convient de se réjouir de l’importance de la fréquentation touristique dans nos territoires. Dans le contexte lié à la crise sanitaire, où les professionnels du tourisme sont aujourd’hui encore empêchés dans leurs activités, nous travaillons évidemment tous à un retour rapide des clientèles.
Cela étant, je mesure les nuisances que peut provoquer l’hyper-fréquentation touristique à certains endroits du pays. Elle induit même parfois des phénomènes de rejet des touristes par les populations locales, voire un dépeuplement graduel, bien que la tendance soit pour le moment plus limitée en France que dans certaines destinations européennes.
Des initiatives sont prises localement pour tenter d’y apporter des limites : obligation de réservation préalable, contingentement des visiteurs, extension des horaires d’ouverture, hausse des tarifs ou encore fermeture temporaire de sites.
La proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l’hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux entend créer une nouvelle police spéciale pour le maire, en l’autorisant à réglementer l’accès et la circulation des personnes à certaines voies ou à certains secteurs de la commune, dès lors que cet accès est de nature à compromettre la tranquillité publique, la qualité de l’air, la protection des espaces naturels, des paysages ou des sites. Ce texte répond en effet à des préoccupations croissantes des maires sur les questions de sur-fréquentation touristique.
Dans le même ordre d’idées, le réseau des Grands Sites de France, qui bénéficie d’un soutien constant de l’État, conduit une politique de préservation et de valorisation des qualités environnementales et paysagères de sites touristiques. Cela passe par des actions fortes en matière de mobilités et de stationnement, de qualité de l’accueil et de redistribution sur l’ensemble du territoire de la manne liée à la fréquentation d’un site.
À la lumière de ces constats et des résultats obtenus sur d’autres grands sites très fréquentés, l’opération Grand Site des falaises d’Étretat-Côte d’Albâtre est porteuse d’espoir et saura apporter des solutions pérennes sur le long terme.
L’État n’est pas en reste dans la lutte contre le phénomène de sur-fréquentation touristique. Il met en œuvre des politiques qui contribuent à prévenir et à contenir le phénomène, notamment en cherchant à structurer l’offre touristique.
Il soutient également le développement de nouvelles offres touristiques répondant aux attentes actuelles des clientèles dans nos territoires, notamment les destinations rurales. Je pense à l’itinérance, à l’œnotourisme, à la visite d’entreprises et à ce que l’on appelle le slow tourisme. À cet égard, un appel à projets national visant à accompagner financièrement des projets de slow tourisme vient d’être lancé.
M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Dans le cadre de travaux du contrat de filière tourisme, une réflexion conduite au sein de la commission Tourisme durable a porté sur l’amélioration de la gestion des flux de touristes sur le territoire.
L’ensemble des dispositions engagées par l’État et des mesures qui figurent dans la proposition de loi devraient permettre de vous apporter des réponses.
prise en charge des conséquences pour les agriculteurs des foyers d’encéphalite à tiques
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, auteur de la question n° 1703, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Patrick Chaize. Monsieur le ministre, je tiens à vous interpeller sur des phénomènes sanitaires nouveaux qui peuvent toucher nos exploitations agricoles. Le cas des foyers d’encéphalites à tiques, ou virus TBE, pour Tick-Borne Encephalitis, fait figure d’exemple dès lors qu’il porte sur la contamination par voie alimentaire, et non par des piqûres.
Ces derniers mois, plusieurs personnes ont ainsi été malades, certaines gravement, en Europe de l’Est et du Nord. En France, c’est malheureusement dans l’Ain, au printemps 2020, qu’un premier épisode a été identifié par la consommation de produits au lait cru de chèvre.
Le virus TBE n’est aujourd’hui pas une maladie réglementée au titre du code rural et de la pêche maritime ouvrant droit à indemnisation réglementaire. Dès lors, aucune prise en charge des frais ou pertes de l’exploitant ne semble possible. Ces charges financières se rapporteraient aux obligations portant sur la sécurité sanitaire des aliments, qui sont de la responsabilité du metteur sur le marché.
Or le virus TBE constitue un danger émergent face auquel les exploitants agricoles sont aujourd’hui impuissants et insuffisamment aidés. Le risque est pourtant bien présent et élevé tant sur le plan sanitaire que pour l’économie agricole. Dans l’Ain, les exploitants victimes de cette situation se trouvent aujourd’hui en très grande difficulté.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, pouvez-vous m’indiquer les mesures urgentes que vous envisagez de prendre pour anticiper de nouvelles situations et faire en sorte que nos exploitants touchés soient efficacement aidés d’un point de vue tant technique que financier face à cette problématique récente du virus TBE qu’ils ne doivent pas supporter seuls ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, je vous remercie d’appeler l’attention du Gouvernement et de la représentation nationale sur les foyers d’encéphalite à tiques.
Cette maladie n’est pas suffisamment connue. Vous l’avez souligné, elle est surtout présente dans certains pays d’Europe de l’Est, mais elle a malheureusement été détectée voilà plusieurs mois dans votre département, l’Ain.
Je salue votre détermination et votre action sur ce dossier. La cause des infections a été détectée et des mesures ont été prises à la source. Je pense notamment à la pasteurisation du lait.
Vous me demandez à juste titre comment accompagner les éleveurs touchés par la crise sanitaire.
Les maladies infectieuses et les crises sanitaires qui concernent le monde de l’élevage sont soumises à différents types de réglementations. Le cadre réglementaire européen distingue celles qui relèvent de la responsabilité et de la gestion de l’État et celles qui relèvent de la responsabilité et de la gestion des filières. L’encéphalite à tiques a été classée comme ne relevant pas de l’État.
Cela a pour conséquence non pas une absence de vigilance de la part de l’État – vous savez combien il est au contraire vigilant sur ce dossier –, mais une absence de dispositif d’indemnisation à l’image, par exemple, de celui qu’il a activé cet hiver face à l’influenza aviaire.
Face à cette situation, et je sais que vous êtes en lien avec mes équipes, nous pouvons agir de deux manières. D’abord, je mène un combat à l’échelon européen, notamment en compagnie de mes homologues des pays concernés. Ensuite, des accompagnements ad hoc peuvent exister, par exemple de la part de la Mutualité sociale agricole (MSA).
J’en suis conscient, ce n’est pas entièrement satisfaisant. Toutefois, compte tenu de l’état actuel du droit et du contexte, nous sommes contraints d’envisager des mesures ad hoc plutôt qu’un régime dédié. Nous continuerons à travailler en ce sens et à vos côtés – je vous remercie une nouvelle fois de votre mobilisation face à une telle situation – pour accompagner nos éleveurs.
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.
M. Patrick Chaize. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.
Certes, il y a les textes, l’encadrement administratif et juridique, mais il y a aussi la réalité de terrain. Les exploitants attendent, je vous l’assure, un soutien de votre part ; leur situation devient dramatique. Dans ce contexte de crise sanitaire, où l’on pourrait presque dire que les aides coulent à flots pour d’autres secteurs, ils se sentent un peu abandonnés, alors qu’ils n’ont aucune responsabilité dans l’apparition de la maladie.
Je vous remercie d’accorder une attention toute particulière à ce dossier et d’y consacrer du temps, afin que nous puissions trouver des solutions ad hoc et accompagner nos éleveurs.
apaisement des conflits familiaux et rôle de l’avocat-médiateur
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la question n° 1600, adressée à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Hélène Conway-Mouret. La période sanitaire exceptionnelle que vit notre pays a bouleversé la vie de millions de familles dans leur organisation quotidienne.
C’est en particulier le cas des parents séparés de leurs enfants, qui ont dû s’adapter aux restrictions de déplacements. L’année dernière, pendant le premier confinement, j’appelais dans une tribune les parents à des dialogues constructifs, afin qu’ils aménagent dans l’intérêt de leurs enfants les règles prévues dans les conventions de divorce.
Le dialogue et la recherche du compromis sont nécessaires à tout moment et peuvent être grandement facilités par la médiation. J’ai d’ailleurs déposé une proposition de loi relative à la médiation familiale et au principe de résidence alternée des enfants de parents séparés le 13 juillet 2020, notamment afin de rendre obligatoire partout en France l’entretien d’information préalable sur la médiation familiale avant toute saisine du juge aux affaires familiales.
La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a instauré à titre expérimental une tentative de médiation familiale obligatoire avant la saisine du juge. Onze ressorts ont été choisis pour cette expérimentation. L’article 237 de la loi du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 prolonge cette expérimentation jusqu’au 31 décembre 2022.
La proposition de loi que j’ai déposée généralise une telle expérimentation, mais le caractère obligatoire se limiterait à l’entretien d’information préalable et exclurait les situations de violence parentale et conjugale ; cet ajout me semble essentiel. Le dispositif proposé aurait pour mérite de favoriser la « culture de la médiation », insuffisamment développée en France, avec, à l’appui, des formations pour nos juges et avocats.
Enfin, nous savons que la médiation peut favoriser la recherche d’un temps de partage équilibré lorsque cela est possible. En effet, la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale a fait entrer la résidence alternée dans le code civil. Pourtant, près de vingt ans après le vote de cette loi, seuls 12 % des enfants de parents séparés sont en résidence alternée, d’après l’Institut national de la statistique et des études économiques. C’est l’un des chiffres les plus faibles en Europe. Comment expliquer une telle situation ? N’est-il pas nécessaire de compléter le dispositif législatif, afin de respecter l’esprit de la loi de 2002 ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, vous appelez l’attention du garde des sceaux, dont je vous prie de bien vouloir excuser l’absence, sur la proposition de loi que vous avez déposée le 13 juillet 2020. Celle-ci a trois objets.
Premièrement, vous souhaitez rendre obligatoire l’entretien d’information préalable sur la médiation dans toute procédure familiale, sauf en cas de violence. Cette généralisation risque d’alourdir et d’allonger les procédures. Elle imposerait de multiplier les permanences d’information à la médiation, car les séances d’information collectives se révèlent souvent moins efficaces que les entretiens individuels. Il convient d’achever l’expérimentation de la tentative de médiation familiale obligatoire, actuellement en cours dans onze juridictions et prochainement élargie à d’autres juridictions, afin d’avoir de premiers résultats.
M. le garde des sceaux est, comme vous, favorable au développement de la médiation, comme en témoignent les amendements qu’il a déposés sur le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Ceux-ci ont également été défendus par le secrétaire d’État Adrien Taquet.
Deuxièmement, vous invitez à légiférer sur la résidence alternée, afin de mettre fin à l’aléa judiciaire. Le taux de 12 % d’enfants en garde alternée que vous évoquez s’applique toutefois à l’ensemble des situations de séparation, qu’elles soient judiciaires ou non. De nombreux parents séparés organisent en effet la vie de leurs enfants sans recourir au juge. Dans le cadre judiciaire, dans 80 % des situations, les parents s’accordent et ne choisissent la résidence alternée que dans 19 % des cas.
En cas de désaccord, le juge applique les critères fixés par l’article 373-2-11 du code civil, tels que la pratique antérieure des parents, les sentiments exprimés par l’enfant, l’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre, etc.
Il n’est donc pas opportun de définir un cadre rigide comportant un seuil d’âge ou une distance géographique. Les situations familiales sont par nature complexes et le juge doit pouvoir apprécier au cas par cas l’intérêt de l’enfant. En pratique, les juges motivent tout particulièrement ces décisions sensibles sans que la loi ait à l’imposer.
Le recours à la résidence alternée, qui a augmenté de 15 % sur les quatre dernières années, évolue avec la société.
Troisièmement, en cas de déplacement durable de l’un des parents, vous souhaitez que soit favorisé le maintien des repères de l’enfant. Cette orientation est conforme à la pratique des juridictions, qui veillent, dans le cadre de l’article 373-2-11 du code civil, au maintien de la stabilité du cadre de vie de l’enfant. Il n’est donc pas nécessaire de légiférer en la matière.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour la réplique.
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le ministre, je vous remercie des précisions et des éclaircissements que vous venez d’apporter sur la position du Gouvernement.
Il me semble important de toujours garder à l’esprit la Convention internationale des droits de l’enfant, qui consacre le droit d’être élevé par ses deux parents. Je pense donc que le sujet mérite un traitement approfondi de la part de M. le garde des sceaux.
Nous avons, me semble-t-il, besoin d’en finir avec un certain nombre d’idées reçues et de promouvoir un débat apaisé sur un sujet malheureusement un peu trop passionnel.
Pour ma part, je continuerai à défendre la médiation et un temps parental aussi équilibré que possible – il n’est évidemment pas indispensable de parvenir à une stricte parité –, et ce dans l’intérêt des enfants.
sort des derniers oubliés du ségur de la santé
M. le président. La parole est à M. Gilbert Favreau, en remplacement de M. Philippe Mouiller, auteur de la question n° 1562, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Gilbert Favreau. La question que je pose au nom de Philippe Mouiller porte sur les revendications salariales des derniers oubliés du Ségur.
Le 13 juillet 2020, à l’issue du Ségur de la santé, les agents de la fonction publique hospitalière des établissements de santé et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ont bénéficié d’une augmentation salariale de 183 euros. Les personnels de ces établissements du secteur privé ont obtenu une hausse salariale de 160 euros.
Le 11 février 2021, cette revalorisation a été étendue aux personnels des établissements publics du secteur social et médico-social, à la suite des négociations menées par M. Laforcade.
Les personnels travaillant dans le secteur privé non lucratif étaient toujours exclus de toute augmentation salariale, malgré leur engagement auprès des plus fragiles tout au long de cette crise sanitaire.
Après les annonces faites le vendredi 28 mai dernier, le Gouvernement semble enfin s’être rendu compte de l’iniquité qu’il avait créée par ces mesures en défaveur des salariés du secteur privé à but non lucratif.
Il est en effet temps de mettre fin à cette différence de traitement, qui conduit à traiter différemment des professionnels exerçant le même métier dans le même établissement. Nous avons constaté combien une telle situation avait été fortement préjudiciable en termes d’attractivité des services exclus de la revalorisation salariale auprès des jeunes diplômés et avait été à l’origine d’une hémorragie de départs de professionnels vers d’autres métiers ou des secteurs plus favorables.
Les récentes annonces du Gouvernement doivent toutefois être précisées, afin de ne pas créer de faux espoirs.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous m’indiquer quels sont les nouveaux professionnels concernés par la revalorisation salariale et m’en préciser le périmètre, ainsi que le calendrier de mise en œuvre ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur, je vous remercie d’appeler notre attention sur la situation de l’ensemble des professionnels du secteur social et médico-social privé non lucratif, dont la crise a encore confirmé le rôle indispensable, vous l’avez souligné. Le secteur est confronté à d’importantes difficultés de recrutement et de fidélisation des professionnels depuis de nombreuses années.
À l’occasion des accords du Ségur de la santé du mois de juillet dernier, le Gouvernement a institué un complément de traitement indiciaire (CTI) de 183 euros nets par mois pour les personnels des établissements de santé et des Ehpad. Dans le même temps, il s’est engagé à mener des travaux complémentaires concernant les professionnels du secteur social et médico-social.
Ainsi que vous y avez fait référence, une mission a été confiée à Michel Laforcade, ancien directeur général de l’agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine. Elle a permis de prendre en compte les spécificités de chaque secteur.
Dans un premier temps, la majorité des organisations syndicales, la Fédération hospitalière de France et le Gouvernement sont parvenus à un accord pour revaloriser l’ensemble des professionnels non médicaux des structures rattachées aux établissements publics de santé et aux Ehpad autonomes relevant de la fonction publique hospitalière.
À la suite de cette première étape importante, les négociations menées dans le cadre de la mission de Michel Laforcade, dont l’ensemble des acteurs concernés ont salué le travail, ont abouti à la signature de deux protocoles d’accord le vendredi 28 mai dernier.
Le premier accord permet d’ouvrir le CTI aux personnels paramédicaux, ainsi qu’aux aides médico-psychologiques, aux auxiliaires de vie sociale et aux accompagnants éducatifs et sociaux dans les structures publiques autonomes.
Le second accord, qui est un accord de méthode, étend le bénéfice du CTI à l’ensemble des personnels paramédicaux, aides médico-psychologiques, auxiliaires de vie sociale et accompagnants éducatifs et sociaux, exerçant dans les établissements pour personnes handicapées, les établissements accueillant des publics en difficulté spécifique et dans les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) ne relevant pas de la branche de l’aide à domicile du secteur privé non lucratif. Il s’agit dans un premier temps de stabiliser les conditions de la revalorisation des professionnels soignants pour lesquels il convient d’agir en priorité face aux démissions et aux tensions de recrutement qui sont observées.
Afin de préserver la stabilité des effectifs dans ces structures et de favoriser la mobilité des professionnels, le Gouvernement s’engage à financer la revalorisation des personnels concernés. Ce financement sera établi à compter du 1er janvier 2022 dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.
Avec l’ensemble de ces mesures, qui bénéficieront à plus de 90 000 professionnels, pour un montant en année pleine de près de 500 millions d’euros, nous aurons tenu nos engagements.
sécurité des enfants en famille d’accueil
M. le président. La parole est à M. Hugues Saury, auteur de la question n° 1623, adressée à M. le secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles.
M. Hugues Saury. Dans mon département, le Loiret, l’accueil par un assistant maternel ou familial à son domicile représente le premier mode de garde du jeune enfant.
Dans ce contexte, un agrément attestant de la capacité de ces professionnels à assurer la santé, la sécurité, l’éveil et le développement des enfants, pendant le temps d’accueil, doit être délivré par le président du conseil départemental.
Afin de garantir que les candidats à l’agrément ne représentent pas un danger pour les enfants qui seront accueillis, les départements paraissent légitimes à disposer d’informations pénales les concernant.
En ce sens, des dispositifs légaux existent, qu’il s’agisse de l’obtention de l’extrait du bulletin n° 2 du casier judiciaire ou de la consultation des fichiers judiciaires nationaux – fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais) et fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (Fijait) – par l’intermédiaire des préfets.
Outre la lourdeur et la lenteur de ces démarches, cet arsenal juridique, qui a le mérite d’exister, présente toutefois des limites et des lacunes. Il ne prend notamment pas suffisamment en compte la spécificité de l’exercice de cette profession à domicile, en présence potentielle d’autres majeurs susceptibles d’avoir un impact sur la sécurité des enfants accueillis.
Ainsi, les départements se trouvent particulièrement démunis pour l’obtention d’informations pénales sur la situation des personnes vivant au domicile de l’assistant maternel.
Sans créer de nouveaux dispositifs, ceux qui existent déjà mériteraient de voir leur portée étendue ou leur mise en œuvre simplifiée.
À titre d’exemple, la consultation du Fijait et du Fijais pourrait être étendue à l’ensemble des majeurs vivant au domicile de l’assistant maternel, éventuellement aux mineurs de plus de 16 ans. Une consultation directe de ces fichiers par des agents départementaux habilités simplifierait et accélérerait la procédure d’agrément.
Enfin, l’élargissement de la transmission par le parquet d’informations pénales concernant les personnes majeures vivant au domicile des personnes agréées serait de nature à renforcer la protection des enfants, qui doit être une absolue priorité.
Garantir cet impératif de sécurité, protéger des menaces de toute nature le jeune enfant accueilli au domicile d’un professionnel : les présidents de conseils départementaux ont nécessairement ces préoccupations en tête lorsqu’ils évaluent les demandes d’agrément.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, envisagez-vous des évolutions législatives ou réglementaires sur ce sujet à court terme ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur, la question de la protection des enfants contre les violences sexuelles est une priorité absolue de ce gouvernement, et c’est l’un des axes majeurs de la politique que je mène depuis deux ans et demi.
Un certain nombre de dispositions ont déjà été prévues dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants, présenté le 20 novembre 2019 à l’occasion du trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant.
Comme vous l’avez rappelé, la question des antécédents judiciaires est évidemment majeure. Trois problèmes se posent.
Premièrement, les employeurs connaissent-ils la possibilité qu’ils ont, voire l’obligation qui leur incombe de consulter le Fijais ?
Deuxièmement, le consultent-ils effectivement ?
Troisièmement, enfin, quelle est l’opérabilité de cette consultation, c’est-à-dire, en pratique, les délais de réponse ? Quand on interroge les départements, par exemple dans le cadre des foyers de l’enfance, certains présidents de conseils départementaux nous indiquent qu’il leur faut attendre six mois pour obtenir une réponse à leur demande d’interrogation du fichier dans le cadre d’un recrutement…
C’est la raison pour laquelle a été lancé au mois de novembre 2019, avec l’ensemble des ministères, un audit dans toutes les administrations et tous les établissements relevant de la responsabilité des collectivités locales – l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) et l’Assemblée des départements de France (ADF) sont évidemment associées à ce travail – pour voir dans quelle mesure nous pourrions mettre en place un système plus automatisé, plus efficace et plus opérationnel, qui s’inspirerait de celui qui est en vigueur depuis de nombreuses années dans les administrations de l’éducation nationale et de la jeunesse et des sports, qui passent chaque année des millions de personnes au crible.
Il s’agirait d’automatiser la consultation pour l’ensemble des intervenants, quel que soit le secteur, afin d’améliorer la sécurité des enfants. Nous menons donc actuellement un important travail d’audit et une réflexion sur les systèmes d’information, car les dispositions législatives et réglementaires ne pourront pas se concrétiser sans un appui technique. Pour autant, il est impossible d’« industrialiser » la procédure actuelle, qui passe par le préfet, et l’on ne peut pas non plus permettre à n’importe qui d’accéder à ces données personnelles et sensibles.
S’agissant plus particulièrement des assistants familiaux, dont je salue l’engagement pendant la crise sanitaire, nous menons depuis un an des concertations avec eux pour réformer leur statut et améliorer l’attractivité de leur profession.
Le projet de loi visant à améliorer la protection de l’enfance et la prévention devrait être présenté en conseil des ministres le 16 juin prochain, pour un examen à l’Assemblée nationale probablement au début du mois de juillet. Certaines mesures de ce texte auront pour objet d’améliorer et d’étendre les conditions de contrôle des antécédents judiciaires de toutes les personnes travaillant auprès des enfants, notamment les assistants familiaux.
Sachez que nous allons aussi créer une base nationale des agréments des assistants familiaux, pour que chaque département puisse connaître les éventuelles difficultés que ces professionnels auraient pu rencontrer par le passé dans un autre département.
M. le président. La parole est à M. Hugues Saury, pour la réplique.
M. Hugues Saury. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien entendu que vous meniez une réflexion sur les différents dispositifs. Je suis convaincu que vous êtes attaché à la sécurité des enfants et que votre gouvernement cherche à simplifier les différentes procédures.
La logique et la recherche d’efficience plaident pour que les agents habilités des conseils départementaux aient un accès plus direct aux fichiers nationaux. J’insiste sur ce point.
vers une télémédecine interdépartementale pérenne
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton, auteure de la question n° 1593, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le secrétaire d’État, aujourd’hui, les Français sont inégaux dans l’accès aux soins, alors qu’il s’agit d’un droit fondamental. En la matière, il y a urgence à rétablir une égalité pour tous.
À cette carence grave de l’accès aux soins, la téléconsultation est une réponse opérationnelle possible, sans qu’il faille pour autant relâcher les efforts mis en place pour les consultations en présentiel. La téléconsultation permet en effet de mettre en contact des patients des zones sous-dotées avec des médecins des zones sur-dotées.
Or, à ce jour, en France, toutes les téléconsultations ne sont pas remboursées sans condition.
Entre 6 et 8 millions de personnes n’ont pas accès à un généraliste et, sauf en cas de covid, elles ne peuvent pas se faire rembourser leurs téléconsultations hors département, comme le prescrit pourtant l’avenant n° 6 à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie du 14 juin 2018. Il s’agit, pour elles, d’une double peine.
Mon département de l’Eure est celui qui compte le moins de médecins par habitant en France : on y dénombre 94 médecins pour 100 000 habitants, alors que la moyenne nationale se situe autour de 151. Actuellement, sur 600 000 habitants, près de 10 % n’ont même pas de médecin traitant et les délais de consultation avoisinent les dix jours. Les Eurois sont en détresse depuis des années et ils désespèrent de voir la couverture médicale s’améliorer à court ou à moyen terme.
Malheureusement, selon certaines prévisions, la situation nationale devrait même s’aggraver, avec une baisse de 30 % de l’offre de soins d’ici à 2027.
Je déplore que, en vertu d’accords passés entre l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam) et les syndicats de médecins libéraux, les téléconsultations ne soient remboursables que si elles émanent d’une « organisation territoriale de soins », c’est-à-dire si elles sont pratiquées par les médecins du territoire de résidence du patient. En temps normal, si celui-ci consulte un médecin d’un autre département, il n’est pas remboursé.
Durant la crise sanitaire, le Gouvernement a heureusement levé cet obstacle.
Avec cet assouplissement des conditions de remboursement, les Eurois sont de plus en plus nombreux à avoir recours à ce service, qui leur permet l’accès aux soins.
Monsieur le secrétaire d’État, dans quelle mesure serait-il envisageable de faciliter le remboursement sans condition des téléconsultations interdépartementales pour couvrir, même une fois la crise sanitaire passée, les besoins de la population ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Madame la sénatrice, le déploiement de la télémédecine représente évidemment un enjeu crucial pour la modernisation et le renforcement de notre système de santé. Il y a là une opportunité majeure pour améliorer l’accès aux soins, comme en témoigne de façon assez éclatante la crise que nous venons de traverser.
C’est bien pour cela que le Gouvernement a, dans le cadre du plan Ma santé 2022 – c’est-à-dire bien avant la crise –, fait entrer dans le droit commun la tarification des actes de téléconsultation et de téléexpertise. C’est aussi la raison pour laquelle, dès le début de la crise sanitaire, il a pris des mesures dérogatoires d’assouplissement pour la prise en charge des téléconsultations et ouvert les prises en charge des activités de télésoin.
Vous proposez de rendre permanentes ces dispositions prises durant la crise. Si la prise en charge de téléconsultations hors parcours de soins était déjà possible avant la crise, au travers d’organisations validées par les commissions paritaires locales ou via les expérimentations dites « avenant 8 » de la CNAM, l’expérience des derniers mois doit sans doute nous inciter à revoir le cadre conventionnel de prise en charge des téléconsultations.
Il faut noter qu’au plus fort de la crise, malgré les dérogations permises, plus de 80 % des téléconsultations respectaient le parcours de soins, avec une connaissance par le patient du médecin téléconsultant.
Même si une reproduction à l’identique des mesures dérogatoires ne semble ni nécessaire ni souhaitable, dès le lancement du Ségur de la santé, le ministre des solidarités et de la santé a souhaité, d’une part, que le principe de connaissance préalable du patient pour les téléconsultations soit assoupli, d’autre part, que des téléconsultations hors parcours de soins coordonné puissent être prises en charge dans des conditions plus souples.
Des propositions ont été faites aux représentants des médecins en ce sens dès la fin de l’année 2020. Elles n’ont pas encore abouti, mais le Gouvernement reste confiant sur une prochaine issue positive.
Nous devons également nous appuyer sur les infirmiers et pharmaciens de nos territoires, qui peuvent accompagner les patients, ainsi que sur les nouvelles pratiques de télésoin, qui devraient pouvoir s’inscrire dans un cadre conventionnel pérenne.
L’essentiel est bien de tirer le plein bénéfice de la télésanté, en coordination avec l’ensemble des autres pratiques. Vous le savez, la télésanté ne saurait être l’unique réponse aux problématiques de désertification médicale ; ce n’est d’ailleurs pas le sens de votre question, madame la sénatrice. Je ne crois pas d’ailleurs que ce soit le souhait des habitants de l’Eure et ce n’est pas non plus conforme à la réalité des parcours de soins.
De nombreux autres leviers sont ainsi mobilisés pour renforcer la démographie médicale, que ce soit via le développement de l’exercice coordonné ou encore la création du service d’accès aux soins. C’est un chantier long et important qu’il nous faut mener tous ensemble.
application du ségur de la santé et suites de la mission sur les métiers de l’autonomie
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, auteur de la question n° 1643, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Michel Canévet. Le 1er décembre dernier, j’ai interrogé le Gouvernement sur la mise en œuvre du Ségur de la santé et l’attribution de la prime de 183 euros. La ministre chargée de l’autonomie m’a alors signalé qu’une mission avait été confiée à Michel Laforcade.
En effet, si les agents de la fonction publique hospitalière ont pu bénéficier de cette prime, ceux de services analogues gérés par le secteur privé non lucratif ou par des collectivités territoriales en restent exclus. J’ai notamment en tête des services de soins infirmiers à domicile gérés par les villes de Quimper et de Pont-L’Abbé ou par la communauté de communes du Haut-Pays Bigouden. Où en est-on sur le sujet ? Qui pourra bénéficier de cette prime ?
Il paraît logique que les personnels des résidences autonomie bénéficiaires d’un forfait soins puissent également percevoir cette prime, dès lors que ces établissements reçoivent des financements de la sécurité sociale.
Ces métiers doivent être rendus plus attractifs. Ils ne le seront que si les conditions de rémunération sont satisfaisantes. Nous aurons besoin, demain, de bras pour accompagner les personnes âgées dépendantes, mais aussi les personnes valides nécessitant des soins quotidiens.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur Canévet, votre question est très proche de celle que m’a m’adressée Gilbert Favreau au nom de Philippe Mouiller sur la revalorisation des salaires d’un certain nombre de personnels.
Tout d’abord, les accords du Ségur de la santé du mois de juillet dernier ont permis au Gouvernement d’instituer un complément de traitement indiciaire (CTI) de 183 euros nets par mois pour les personnels des établissements de santé et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou Ehpad.
Ensuite, les travaux de Michel Laforcade ont abouti à la signature de deux protocoles d’accord le vendredi 28 mai dernier, visant respectivement à ouvrir le CTI aux personnels paramédicaux, aux aides médico-psychologiques, aux auxiliaires de vie sociale et aux accompagnants éducatifs et sociaux dans les structures publiques autonomes, à compter du 1er octobre 2021, et à étendre le bénéfice de ce complément à ces mêmes catégories de personnels exerçant dans les établissements pour personnes en situation de handicap, les établissements accueillant des publics en difficulté spécifique et les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) ne relevant pas de la branche de l’aide à domicile du secteur privé non lucratif.
S’agissant plus précisément de la revalorisation structurelle des professionnels intervenant à domicile, une mesure forte a été décidée dans le cadre de l’article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, qui instaure une dotation de 200 millions d’euros par an, versée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et destinée à construire avec les départements les jalons de la revalorisation des rémunérations de ces personnels. Ces crédits représentent un appui sans précédent au financement par l’État de telles gratifications.
Cette mesure permettra l’entrée en vigueur, le 1er octobre 2021, de l’avenant 43 de la branche de l’aide à domicile, déposé pour son agrément par les partenaires sociaux. La ministre déléguée chargée de l’autonomie, Brigitte Bourguignon, a annoncé au début du mois d’avril dernier le prochain agrément de cet avenant, qui prévoit une refonte complète des grilles conventionnelles se traduisant par une augmentation salariale comprise entre 13 % et 15 % pour les salariés concernés.
Cet accord s’appliquera également aux Ssiad et aux services polyvalents d’aide et de soins à domicile (Spasad) de la branche de l’aide à domicile, financés par l’assurance maladie.
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour la réplique.
M. Michel Canévet. Il convient en effet de traiter à parité l’ensemble des services, quel que soit leur mode de gestion, pour des raisons d’équité. Nous regrettons qu’il faille attendre le 1er octobre prochain pour que les services de soins infirmiers à domicile relevant de la fonction publique territoriale puissent bénéficier de ces dispositions.
La question des résidences autonomie, que j’ai évoquée précédemment, demeure. J’ai notamment en tête la structure de Plozévet, qui comprend aussi une partie Ehpad. Les personnels de l’Ehpad bénéficient de la prime, mais pas ceux de la résidence autonomie, alors que celle-ci bénéficie d’un forfait soins financé par la sécurité sociale ! Comment voulez-vous gérer de tels établissements, alors que ces mêmes professionnels interviennent auprès de l’ensemble des publics de la structure ? Il faut appréhender ces métiers dans leur globalité.
accès aux traitements adaptés pour le cancer du sein triple négatif métastatique
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, auteur de la question n° 1659, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Jean-Luc Fichet. Je souhaite alerter le Gouvernement sur la prise en charge des patientes atteintes d’un cancer spécifique et particulièrement agressif, le cancer du sein triple négatif métastatique.
Chaque année, environ 11 000 femmes, le plus souvent très jeunes, sont touchées par cette maladie. Leur pronostic vital est fréquemment engagé à court terme et 30 % d’entre elles connaîtront une récidive dans les trois ans avec développement de métastases.
Les cancers du sein triple négatif sont très difficiles à traiter en raison du peu de solutions thérapeutiques qui existent à ce jour.
Un vif espoir est né de la mise sur le marché d’un nouveau traitement commercialisé par le laboratoire Gilead, le Trodelvy, qui a bénéficié d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) à la fin de l’année 2020.
Le taux de réponse de ce traitement est important, puisqu’il représente une réduction de 49 % du risque de décès.
Malgré ces résultats prometteurs, l’autorisation temporaire d’utilisation a été suspendue à la fin du mois de janvier 2021 pour toute nouvelle demande de Trodelvy, en raison de difficultés de production du laboratoire Gilead, qui ne prévoit pas de mise à disposition de ce traitement en France avant le mois de décembre 2021.
Vous imaginez bien qu’une telle décision crée une injustice profonde et constitue une perte de chances considérable pour toutes les patientes qui se trouvent en situation d’impasse thérapeutique et pour lesquelles chaque jour compte.
Monsieur le secrétaire d’État, alors que ce traitement est accessible dans d’autres pays, notamment chez certains de nos voisins européens, pouvez-vous nous indiquer les mesures que vous comptez mettre en œuvre en urgence à l’échelon national afin d’assurer un approvisionnement des hôpitaux français en Trodelvy dans les plus brefs délais et ainsi permettre à l’ensemble des patientes concernées de bénéficier de ce médicament véritablement porteur d’espoir ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur Fichet, au mois de mai dernier, votre collègue Anne-Catherine Loisier a déjà posé une question similaire sur ce sujet sensible et douloureux.
Je vous assure tout d’abord que le Gouvernement dans son ensemble, à commencer par le ministre des solidarités et de la santé, partage votre préoccupation.
Nous entendons la mobilisation et les pétitions et nous mettons tout en œuvre pour assurer les meilleurs traitements possible pour ces cancers du sein triple négatif, qui touchent environ 10 000 personnes par an et dont la spécificité les rend difficiles à traiter par chimiothérapie ou hormonothérapie.
Des traitements innovants commencent à se développer. Vous faites référence au Trodelvy et évoquez les difficultés actuelles d’accès à ce médicament en autorisation temporaire d’utilisation.
Je tiens tout d’abord à rappeler que le dispositif d’ATU fait actuellement l’objet d’une réforme, en application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Les textes devraient être publiés cet été.
Concernant spécifiquement le traitement Trodelvy de la biotech Immunomedics, je rappelle qu’il est disponible depuis le mois de novembre dernier via une ATU dite nominative, c’est-à-dire dans un cadre où le médecin doit valider et proposer le traitement pour un patient spécifiquement identifié.
À la fin de l’année 2020, après le rachat d’Immunomedics par Gilead, la production de cette spécialité est devenue temporairement insuffisante pour couvrir les besoins globaux. Gilead a donc informé l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qu’il ne pouvait plus fournir d’ATU nominative en France et qu’il réservait sa production aux patientes résidant aux États-Unis, jusqu’à ce que ses capacités de production soient suffisantes pour permettre de nouveau un accès en France.
Je précise que ces difficultés de production et d’approvisionnement concernent toute l’Europe, même s’il y a peut-être quelques exceptions dans certaines cliniques en Allemagne.
L’ANSM a donc décidé de réserver les unités disponibles aux patientes qui en bénéficiaient déjà, afin de prévenir toute rupture de traitement.
Le 4 mars 2021, le laboratoire Gilead a déposé une demande d’autorisation de mise sur le marché en procédure accélérée auprès de l’Agence européenne du médicament. Le dossier est en cours d’évaluation. En réponse à un courrier signé par le ministre Olivier Véran, le laboratoire Gilead a assuré tout mettre en œuvre pour augmenter la capacité de production du Trodelvy et mettre à disposition ce produit en France. C’est évidemment indispensable pour éviter aux patientes une perte de chances.
Le ministère des solidarités et de la santé reste pleinement mobilisé sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.
M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le secrétaire d’État, je ne doute pas de votre volonté de voir aboutir ce dossier rapidement. Je suis persuadé que vous comprenez les difficultés des personnes atteintes de ce terrible mal, qui savent qu’un médicament existe, mais qui ne peuvent en bénéficier en France. Leur vie est en jeu !
Je souhaite que l’on puisse très vite proposer de nouveau ce traitement aux patientes qui en ont urgemment besoin.
accès aux soins en seine-saint-denis et situation de l’hôpital de montreuil
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, auteur de la question n° 1695, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Fabien Gay. Monsieur le secrétaire d’État : 100 000 ! C’est le nombre de lits d’hôpitaux qui ont été fermés ces vingt dernières années.
On voudrait aujourd’hui appliquer à l’hôpital public les logiques de gestion et de rentabilité qui prennent le pas partout dans notre société.
La qualité des soins, pourtant indispensable, coûte cher ? Il faut donc faire davantage d’actes, plus vite, coûter moins, réduire le temps d’occupation, accélérer le turnover et, bien entendu, fermer des lits.
Ce genre de logique entraîne une hausse des soins ambulatoires, donc un accroissement des risques de mauvaise guérison pour les patients, une prise en charge de moindre qualité, mais aussi un épuisement généralisé et une tension croissante pour les personnels, surchargés de travail et à bout de forces.
La pandémie de la covid-19 a mis au jour les failles de ces logiques, de manière brutale, et aggravé le phénomène.
C’est tout particulièrement le cas en Seine-Saint-Denis, où la population a été en première ligne, y compris pendant les confinements, au travail et dans les transports en commun, et où 20 % des logements sont surpeuplés.
Notre département est le douzième avec le moins de médecins généralistes, le troisième avec le moins de lits de médecine dans les hôpitaux publics et le dixième avec le moins de lits médicalisés pour les plus de 75 ans.
Entre le 1er mars et 19 avril 2020, la surmortalité y a été de 134 %.
En matière de santé, comme dans les secteurs de la justice et de l’éducation, la Seine-Saint-Denis souffre d’une rupture de l’égalité républicaine.
Le centre hospitalier intercommunal André-Grégoire de Montreuil fait face à des difficultés financières, avec 98 millions d’euros de dette et un taux d’endettement de 78 %.
Je rappelle que cet hôpital compte seulement 12 lits de réanimation, alors qu’il couvre 9 villes et 400 000 habitants. Son bon fonctionnement, tout comme les investissements pour le développer afin qu’il ait les capacités pleines et entières de remplir sa fonction de service public, est essentiel.
C’est en ce sens que la ville de Montreuil, sous la houlette de son maire Patrice Bessac, a lancé une campagne de soutien qui a déjà recueilli plus de 10 000 signatures.
Monsieur le secrétaire d’État, à la suite des annonces gouvernementales concernant la reprise de la dette des hôpitaux, pouvez-vous nous dire dans quelles proportions sera reprise celle de l’hôpital de Montreuil ? Comment prévoyez-vous de relancer l’investissement dans les hôpitaux de Seine-Saint-Denis, tout particulièrement dans cet établissement ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur Gay, les constats que vous faites sont justes et interpellent bien évidemment quant aux difficultés du centre hospitalier intercommunal André-Grégoire, à Montreuil. Ce CHI compte de fait parmi les établissements les plus lourdement endettés de la région d’Île-de-France.
Au-delà de cette situation particulière, nous savons que l’hôpital public dans son ensemble fait face à un certain nombre d’enjeux pressants. Le Gouvernement en est parfaitement conscient et son action depuis 2017, en particulier ces derniers mois au travers du Ségur de la santé et de son volet « investissement », montre bien sa détermination.
Élément phare de notre stratégie, la mesure relative à la restauration des marges financières, destinée à alléger le poids de la dette qui pèse sur les établissements de santé, est mise en œuvre dès cette année. Elle doit passer par un contrat entre l’agence régionale de santé (ARS) et l’établissement, dont la signature doit intervenir au plus tard le 31 décembre 2021.
Les montants précis seront connus progressivement, au rythme de la signature de ces contrats. Je peux néanmoins d’ores et déjà vous indiquer que l’aide versée au CHI de Montreuil devrait se situer aux alentours de 20 millions d’euros.
Je tiens par ailleurs à rappeler que ce CHI fait l’objet depuis déjà de nombreuses années d’une attention toute particulière de la part des pouvoirs publics. Cette attention se traduit concrètement par le déploiement annuel d’aides financières de grande ampleur. Une aide pérenne depuis 2014 de 2 millions d’euros par an a ainsi été débloquée pour soulager l’établissement du poids d’un ancien emprunt toxique, de même que des aides en trésorerie, dont le montant annuel se situe entre 3 millions d’euros et 5 millions d’euros. La rénovation du service des urgences est également financée à 100 %, incluant le coût des équipements, pour un montant de 13 millions d’euros. Enfin, ce CHI bénéficie d’aides historiques à l’investissement, pour 1,9 million d’euros par an.
Le groupement hospitalier de territoire Grand Paris Nord-Est, dont fait partie le CHI de Montreuil, finalise par ailleurs actuellement, en coopération étroite avec l’ARS, son projet de transformation immobilière afin d’offrir aux personnels une meilleure qualité de vie au travail et un cadre de prise en charge rénové pour la population.
Cette vaste opération immobilière, d’un montant estimé à plus de 600 millions d’euros, fait partie des projets prioritaires soutenus par l’ARS en Île-de-France. Elle est bien entendu liée à l’opération de rénovation globale des sites des hôpitaux universitaires de Seine-Saint-Denis, qui assurera une modernisation de l’offre de soins sur ce territoire de santé. Les habitants et les élus l’attendent ; le ministère des solidarités et de la santé s’y attelle.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.
M. Fabien Gay. Monsieur le secrétaire d’État, en Seine-Saint-Denis, on ne fait pas l’aumône, on souhaite simplement l’égalité républicaine.
Si vous êtes véritablement attentif à ce territoire, arrêtez de fermer des lits en pleine pandémie – Jean-Verdier, Bichat-Beaujon – et investissez au moins autant que dans les autres départements franciliens. Nous voulons juste la même chose que les autres – pas plus !
conséquence des nouvelles sectorisations du service d’aide médicale urgente des alpes-de-haute-provence
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, auteur de la question n° 1523, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Jean-Yves Roux. Monsieur le secrétaire d’État, les élus du département des Alpes-de-Haute-Provence viennent d’être informés du projet de transfert de la zone de Sisteron, gérée par le SAMU 04, vers le SAMU 05. Le SAMU 04 a déjà fait l’objet par le passé du projet de mutualisation avec le SAMU 05, mais l’opposition des élus a toujours été farouche, d’autant que les motifs n’ont jamais été clairement établis.
Rappelons-le, le SAMU 04 est actuellement implanté sur le site du centre hospitalier de Digne-les-Bains, chef-lieu du département. Il est reconnu comme un opérateur de régulation de qualité et rigoureux, en dépit d’effectifs réduits. Il assure également la médicalisation de l’hélicoptère de gendarmerie basé à Digne-les-Bains, en charge des secours en montagne sur le département et les secteurs limitrophes.
Il faut souligner que notre département a déjà fait face à la fermeture, durant de longs mois, des urgences de nuit de l’hôpital de Sisteron, décision qui a mobilisé l’intervention importante et réussie du SAMU 04. Il faut saluer également son rôle au cœur de la deuxième vague du covid-19. Aujourd’hui, ce projet de mutualisation des ressources au profit du SAMU 05, sous couvert d’une meilleure organisation, aurait des conséquences fâcheuses sur l’ensemble de l’offre de soins de premiers secours, mais aussi sur le fonctionnement du centre hospitalier de la préfecture du département des Alpes-de-Haute-Provence. Nous ne pouvons pas l’accepter.
Les SAMU ayant toute latitude pour adresser les patients dans le centre hospitalier de leur choix, le centre hospitalier de Digne-les-Bains serait de facto très fragilisé par ce transfert. Nous ne pouvons nous y résoudre.
Les élus du département sont pour autant ouverts à la réalisation d’une plateforme commune de réception des appels dirigés vers le 15, le 18 et le 112. Elle serait utile pour nos concitoyens sans pour autant menacer l’équilibre de l’offre de soins d’urgence du département, bien au contraire.
Monsieur le secrétaire d’État, dans leur rapport Pour un pacte de refondation des urgences, MM. Mesnier et Carli expliquent, dès leur première recommandation, que l’organisation de l’accueil des soins non programmés doit être adaptée à chaque territoire. C’est ce que nous proposons.
Nous connaissons déjà les conséquences néfastes d’un transfert d’activités du SAMU 04 sur l’ensemble des forces d’urgence du département. Ni la santé de nos concitoyens, ni la qualité des services publics, ni la confiance dans notre système de santé en milieu rural n’en sortiront grandies.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, nous vous demandons d’écouter les élus, le SDIS 04 et le groupement hospitalier de territoire (GHT), qui proposent des solutions raisonnables, et de suspendre ce projet de partage des ressources entre le SAMU 04 et le SAMU 05, qui se fait au détriment du SAMU 04.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Monsieur le sénateur Roux, vous évoquez des enjeux cruciaux pour l’efficacité de notre système de santé et pour sa réactivité face aux situations d’urgence auxquelles sont quotidiennement confrontés certains de nos concitoyens. L’incident qui s’est produit cette nuit le montre bien ; le service est rétabli, mais reste sous surveillance.
Grâce à la mobilisation constante d’équipes dévouées, la régulation médicale des appels par les SAMU fait l’objet d’une recherche d’amélioration constante de la qualité afin de garantir la plus grande sécurité aux patients. Cela se fait à l’échelon tant national que local. La prochaine certification qualité des SAMU a ainsi conduit, sur votre territoire, les équipes des SAMU des Alpes-de-Haute-Provence et celles des Hautes-Alpes à se rapprocher pour améliorer leurs procédures et leur démarche qualité.
Cela s’est notamment fait sur la base d’un audit qualité, réalisé par deux experts extérieurs à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Tout le monde, de l’agence régionale de santé (ARS) aux équipes concernées, est en effet soucieux de renforcer la professionnalisation des services ; je sais que c’est également votre cas.
Récemment encore, des responsables du ministère des solidarités et de la santé ont discuté avec l’ensemble des acteurs mobilisés ; il apparaît désormais clairement que certaines améliorations peuvent et doivent être envisagées. Le travail précis entre les deux SAMU est toujours en cours, je ne peux donc vous en dévoiler les conclusions. Je pense qu’il appartiendra à ces équipes et à l’ARS de le faire en temps voulu.
Sachez cependant que, parmi les sujets actuellement étudiés, la question de la régulation du secteur d’intervention de la structure mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) de Sisteron fait l’objet d’un examen particulier. En effet, l’hôpital de Sisteron et sa SMUR font partie du centre hospitalier des Alpes-du-Sud, dont le siège est situé à Gap, dans les Hautes-Alpes. Il est donc nécessaire de définir de façon plus opérationnelle comment la régulation de cette SMUR peut se réaliser.
Quel que soit le résultat des travaux actuellement conduits par les deux équipes, je rappelle en conclusion que les modalités d’intervention d’urgence sont analysées afin de garantir systématiquement l’accès le plus rapide à une offre de soins adaptée aux besoins du patient. Les règles sont simples : sécurité, proximité de l’appel du requérant, orientation du patient vers la filière de soins la plus adaptée.
C’est sur la base de ces critères incontournables que les décisions ont toujours été prises et continueront à l’être pour assurer les meilleurs soins d’urgence à ceux qui en ont besoin, partout sur le territoire.
projet de reconstruction du commissariat de police de cognac
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, auteure de la question n° 1580, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
Mme Nicole Bonnefoy. Depuis plusieurs années, le commissariat de police de Cognac est abrité dans une vieille maison de centre-ville de 1947, dont la surface au sol est de 750 mètres carrés et qui est dans un état de vétusté totalement indigne de notre République.
Les locaux sont inadaptés pour accueillir un commissariat, puisqu’ils sont exigus, inconfortables et non conformes aux normes. Les branchements électriques sont ainsi défectueux. Les couloirs sont extrêmement étroits, au point qu’il est difficile de s’y croiser. On dénombre une unique douche dans le vestiaire masculin. Pour le personnel féminin, le vestiaire est situé dans une cave. Les sanitaires sont dans un état déplorable. Les bureaux ne sont pas fonctionnels et le sont d’autant moins depuis l’augmentation des effectifs.
Les policiers de Cognac, qui accomplissent leur tâche au quotidien avec courage, abnégation et un sens élevé de l’intérêt général, méritent de pouvoir travailler et accueillir du public dans de bonnes conditions. Les Cognaçais sont en droit d’attendre de l’État un commissariat de police à la hauteur des exigences d’un service public moderne et respectueux de ses agents et de leur engagement quotidien.
Depuis plusieurs mois, les élus de la ville de Cognac, ceux de l’ancienne équipe municipale comme ceux de la nouvelle, proposent de mettre à disposition à titre gratuit un terrain sur le site de l’ancien hôpital pour permettre la reconstruction du commissariat de police. Une délibération du conseil municipal de Cognac a été adoptée en ce sens à l’unanimité le 19 novembre 2020.
Le ministère de l’intérieur a fait connaître son intention d’inscrire l’étude technique de ce projet dans le cadre du budget triennal 2021-2023 et d’examiner ensuite la possibilité de lancer le chantier. Pour autant, les crédits d’étude qui avaient été envisagés n’ont pas été obtenus à ce stade et nous le regrettons.
Madame le ministre, le Gouvernement entend-il prendre un engagement ferme en faveur de la reconstruction du commissariat de police de Cognac ? Compte-t-il engager les crédits d’étude sur le prochain exercice, c’est-à-dire dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022 ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, vous l’avez rappelé, chaque jour, les policiers accomplissent un travail remarquable sur le terrain. Ils méritent respect et reconnaissance. Ils méritent aussi de pouvoir travailler dans des locaux dignes d’un service public moderne et respectueux de ses agents.
Cette exigence est au cœur de l’action du ministère de l’intérieur, puisque nous avons fait de l’amélioration des conditions de travail des policiers une priorité.
La situation des locaux représente une attente forte et légitime de la part de beaucoup de policiers dans de nombreux endroits. D’importants efforts ont été engagés depuis 2017 : pour la police, une dotation annuelle de l’ordre de 200 millions d’euros a été engagée en investissement et en fonctionnement sur une période de trois ans.
Parce que les besoins sont nombreux et urgents dans beaucoup d’endroits, nous avons également lancé dès le mois d’août dernier un plan dit Poignées de portes, doté de près de 26 millions d’euros grâce aux crédits votés par le Parlement. Ces crédits visent des opérations d’entretien et de petits travaux, modestes certes, mais si nécessaires pour le quotidien des policiers. Près de deux mille opérations d’urgence ont déjà été engagées.
Des opérations de plus grande envergure sont aussi nécessaires. C’est pourquoi la loi de finances prévoit une hausse du budget immobilier de 10 %, avant même les résultats de l’appel à projets France Relance pour lequel la police nationale candidate à hauteur de 740 millions d’euros.
J’en viens maintenant à la situation des locaux du commissariat de police de Cognac. L’intérêt du projet présenté par les élus de Cognac est parfaitement identifié et le ministère de l’intérieur a bien décidé de mener cette année les études de faisabilité à hauteur de 30 000 euros. Je rappelle qu’en 2019 ce projet était estimé à 5,5 millions d’euros.
Madame la sénatrice, vous pouvez compter sur notre volonté de poursuivre et d’amplifier les efforts pour offrir aux policiers des locaux dignes des missions qu’ils accomplissent chaque jour au bénéfice des Français et au service de la République.
effectifs supplémentaires de police
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, auteur de la question n° 1705, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
M. Didier Marie. En avril 2019, le ministre de l’intérieur de l’époque, de passage à Rouen, annonçait aux maires de la métropole l’arrivée imminente de trente-six policiers supplémentaires pour la circonscription de police Rouen–Elbeuf-sur-Seine.
Le 15 décembre 2020, n’ayant rien vu venir et constatant que les départs à la retraite n’étaient pas remplacés et que la situation sécuritaire se dégradait, vingt-deux maires et moi-même interpellions le ministre de l’intérieur pour que les effectifs soient renforcés d’urgence. Cette lettre est restée sans réponse.
Le 20 avril dernier, le ministre annonçait l’arrivée d’agents supplémentaires en Seine-Maritime : quarante-huit au Havre – une excellente nouvelle – et treize à Lillebonne–Bolbec. Aucun pour la métropole Rouen-Normandie, la huitième de France avec plus de 500 000 habitants ! Trente-cinq maires prenaient alors de nouveau la plume pour manifester leur incompréhension et alerter une nouvelle fois le ministre de l’intérieur. Là encore, ils n’ont reçu aucune réponse à ce jour, même pas un accusé de réception.
Depuis 2017, ce sont près de deux cents policiers qui ont disparu de l’effectif départemental. Le commissariat de ma ville, Elbeuf-sur-Seine, deuxième pôle de la métropole, est l’un des plus concernés. Alors que les syndicats et les élus demandent des postes, nous constatons un phénomène inverse : sous l’effet d’une réforme visant à dissocier les filières d’investigation de celles de la voie publique, ce sont quinze officiers de différents services judiciaires qui ont été transférés à Rouen. La brigade Accidents et délits a été fermée et la sûreté urbaine, à vocation généraliste, déplacée.
Pendant ce temps, les jets de pétards et les tirs de mortiers se multiplient chaque nuit, les trafics et la violence augmentent. Les habitants sont exaspérés.
Madame la ministre, le Président de la République annonçait le mois dernier que chaque circonscription de police aurait plus de policiers à la fin du quinquennat qu’au début. Chez nous, nous en sommes loin ! À quand l’arrivée de nouveaux effectifs dans la métropole de Rouen et au commissariat d’Elbeuf-sur-Seine ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, en matière de sécurité, les attentes des Français sont fortes et le Gouvernement met tout en œuvre pour y répondre.
Avec des crédits en hausse de 1,7 milliard d’euros depuis 2017 et une enveloppe de 621 millions d’euros issue du plan France Relance, nous ne cessons de renforcer et de moderniser les moyens des forces de l’ordre, d’abord avec le renfort au cours du quinquennat de 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires, 6 200 ayant déjà été recrutés. Chaque Français verra ainsi plus de forces sur le terrain en 2022 qu’en 2017. Notre décision de créer une réserve opérationnelle de la police nationale va dans le même sens.
Nous renforçons aussi les moyens matériels, par exemple avec le renouvellement de 50 % du parc automobile de la police et de la gendarmerie nationales et le déploiement, dès le 1er juillet prochain, de 30 000 caméras-piétons de nouvelle génération.
Dans les zones sensibles, les quartiers de reconquête républicaine se traduisent par des moyens massifs pour lutter contre la délinquance du quotidien, tandis que nous intensifions notre combat contre la drogue, en mobilisant tous les services concernés grâce à la création d’un nouvel office spécialisé, l’Ofast, pour office anti-stupéfiant, et à une lutte sans relâche pour déstabiliser les points de deal.
J’en viens maintenant plus précisément à votre question, monsieur le sénateur.
Nos concitoyens comme les élus locaux sont légitimement attachés à la présence rassurante des forces de l’ordre. Je connais à cet égard les attentes des élus de la métropole rouennaise et je tiens à les rassurer : au 30 avril dernier, la sécurité publique – notre police du quotidien – disposait à Rouen de 1 015 agents, dont 764 gradés et gardiens de la paix.
Je rappelle également que la ville bénéficie d’un quartier de reconquête républicaine de deuxième vague pour le quartier Les Hauts de Rouen, fléché à vingt agents du corps d’encadrement et d’application (CEA) par la direction générale de la police nationale.
Vous pouvez compter sur l’engagement total de ces policiers pour assurer aux Rouennais le droit à une vie paisible. Dans des conditions souvent difficiles, confrontés dans certains quartiers à des prises à partie et à des violences récurrentes, ils sont chaque jour à l’œuvre sur le terrain, en s’attachant à entretenir des liens avec tous les acteurs concernés – population, commerçants, associations et élus locaux.
Nos policiers sont donc bien mobilisés, monsieur le sénateur. L’État consacre les moyens nécessaires pour qu’ils réalisent leurs missions et il doit aussi pouvoir compter sur la mobilisation, si importante, des collectivités. C’est ensemble, de manière complémentaire et coordonnée, dans un continuum de sécurité, que nous ferons reculer la délinquance grâce à l’engagement des policiers, mais aussi des élus de terrain et des polices municipales.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour la réplique.
M. Didier Marie. Madame la ministre, vous évoquez les moyens qui existent aujourd’hui sur le territoire de la métropole de Rouen-Normandie, mais les élus comme les syndicats de police demandent des effectifs supplémentaires. Malheureusement, sur ce point, vous ne m’avez pas répondu !
La République est forte, lorsque l’État honore ses engagements. Madame la ministre, nous attendons que les engagements qui ont été pris de renforcer les effectifs sur ce territoire soient suivis d’effets.
attribution d’une prime pour les secouristes des compagnies républicaines de sécurité en montagne
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, auteur de la question n° 1706, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
M. Didier Rambaud. Le mardi 8 décembre 2020, un hélicoptère du Service aérien français de Savoie se crashait lors d’un exercice. Sur les six passagers, cinq ont trouvé la mort dans ce tragique accident, dont deux policiers du détachement de secours en montage de la compagnie républicaine de sécurité (CRS) des Alpes basé à Albertville : Amaury Lagroy de Croutte, capitaine de police et chef de ce détachement, et Stéphane Lemeur, brigadier de police et secouriste en montagne.
Une telle tragédie doit nous alerter sur les conditions de travail de la profession de secouriste CRS en montagne. Au mois d’octobre 2019, Nicolas Revello, secouriste à la CRS des Alpes située à Grenoble, décédait au cours d’une opération de secours au sommet de la barre des Écrins.
Ces accidents démontrent le caractère dangereux de ce métier et je souhaite aujourd’hui rendre hommage et témoigner ma reconnaissance à ceux qui l’exercent. J’ai eu l’occasion d’effectuer à titre personnel un stage en immersion auprès de ces secouristes.
Le secours en milieu montagneux requiert une qualification technique de haut niveau et un investissement total des agents, qui acceptent de risquer leur vie lors des missions.
À la suite d’une formation initiale de gardien de la paix, les agents suivent un long parcours technique, sélectif et exigeant : 53 semaines de formation sur une durée de sept à dix ans en moyenne sont nécessaires pour obtenir la qualification. Après son affectation, un secouriste effectuera plus de 95 % de ses interventions en hélicoptère.
Madame la ministre, les CRS du secours en montagne déplorent l’absence de reconnaissance des risques liés à leur activité. À ce jour, il n’existe malheureusement aucune prime associée à la prise de risque, qui est constante pour ces agents. La profession renouvelle sa demande d’attribution d’une telle prime.
Comme les agents du RAID, l’unité de recherche, d’assistance, d’intervention et de dissuasion, ou les démineurs, les CRS du secours en montagne souhaitent pouvoir bénéficier d’un statut de spécialité, qui permettrait aux agents de prétendre à un régime dérogatoire en termes de salaire ou d’avancement.
Madame la ministre, pour que la Nation apporte sa reconnaissance à ces professionnels de la montagne qui exercent un métier à haut risque, quelle réponse pouvez-vous apporter à leur demande de prime mensuelle de risque ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, les CRS sont une force indispensable. Dans plusieurs domaines – ordre public, sécurité routière, etc. –, elles exercent des missions qui sont essentielles à la sécurité de nos concitoyens. Leur professionnalisme et leur efficacité sont reconnus.
Le ministre de l’intérieur est déterminé à leur fournir, comme à l’ensemble des forces de l’ordre, tous les moyens nécessaires pour accomplir leurs missions dans les meilleures conditions d’efficacité et de sécurité. Tout aussi importante est la reconnaissance de leur engagement et de leur dévouement, qui appellent respect et gratitude.
Il en est ainsi des policiers affectés dans les unités de montagne des CRS, qui disposent d’un très haut niveau de formation et de technicité. Leur emploi nécessite des capacités et des qualifications leur permettant d’accomplir tant des missions de police que des missions de secours et de sécurité dans les massifs montagneux, zones souvent difficiles d’accès.
Cette exigence implique une mise en condition permanente et un investissement personnel important, demandant des agents qu’ils maintiennent leur potentiel physique au plus haut niveau et qu’ils suivent un entraînement adapté et continu dans leurs unités. Ce haut niveau d’exigence n’est pourtant pas reconnu à ce jour – vous avez raison de le souligner, monsieur le sénateur – par l’attribution du statut de spécialiste.
La succession de drames qui ont endeuillé les unités alpines des CRS a constitué un cruel rappel du niveau de risque très élevé dans lequel interviennent ces policiers. Ainsi, le 12 octobre 2019, un policier affecté à la CRS des Alpes décédait en service à la suite d’une chute accidentelle, alors qu’il portait secours à une cordée d’alpinistes dans le massif des Écrins. Le 8 décembre 2020, un hélicoptère s’écrasait au cours d’un entraînement avec à son bord deux fonctionnaires de la CRS des Alpes et trois employés du Secours aérien français.
Ce contexte a une nouvelle fois souligné la nécessité d’une reconnaissance de la spécialité montagnarde. Le ministère de l’intérieur a donc décidé de reconnaître le métier spécifique de ces fonctionnaires, qui portent secours et sauvent des vies dans des conditions souvent périlleuses.
La reconnaissance de la spécialité « secours en montagne » sera donc acquise d’ici à l’année prochaine pour les CRS de montagne, ainsi que pour les gendarmes des pelotons de gendarmerie de haute montagne.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour la réplique.
M. Didier Rambaud. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse particulièrement positive, que les compagnies républicaines de sécurité en montagne attendaient ardemment.
stationnement de caravanes sur des terrains classés
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli, auteur de la question n° 1700, transmise à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.
M. Didier Mandelli. Très récemment, la communauté des gens du voyage a acquis en Vendée, à Talmont-Saint-Hilaire, une parcelle de terrain de 6 458 mètres carrés située en zone naturelle dans le périmètre du futur espace Grand Site de France, label qui promeut la bonne conservation et la mise en valeur des sites naturels classés de grande notoriété.
La commune a découvert que le nouveau propriétaire de cette parcelle avait pour objectif d’accueillir ponctuellement entre cinquante et cent caravanes de sa communauté.
Malgré la labellisation du terrain et l’impossibilité de construire un habitat fixe sur ce dernier, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont confirmé qu’il était impossible de priver un propriétaire du droit de stationner sur un terrain qu’il possède. La communauté des gens du voyage peut donc librement s’installer dans le cadre de périodes définies légalement, alors que la Vendée est exemplaire en matière d’accueil avec des aires de grand rassemblement disponibles.
Afin de préserver le site, la commune a été contrainte de négocier le rachat de ce terrain pour la somme de 125 000 euros, soit quinze fois le prix initial payé quelques mois plus tôt.
Le droit de préemption urbain n’est pas applicable sur ce type d’espaces ; il ne s’agit pas d’un terrain à vocation agricole spécifique.
Aussi, madame la ministre, je souhaite savoir si le Gouvernement travaille sur des dispositions particulières en la matière. En lien avec la société d’aménagement foncier et d’établissement rural, la Safer, et les notaires, nous sommes prêts à y contribuer.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Didier Mandelli, vous appelez mon attention sur la question du stationnement, dans des zones naturelles, des caravanes qui constituent l’habitat traditionnel des gens du voyage.
Comme vous l’avez rappelé, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage ne permettaient pas de s’opposer au stationnement de gens du voyage sur un terrain dont ils sont propriétaires.
Pour autant, l’installation de caravanes sur un terrain, pour des personnes dont c’est l’habitat principal, qu’elles en soient ou non propriétaires, est soumise au droit de l’urbanisme et à différentes formalités préalables : une déclaration préalable en cas d’installation de plus de trois mois et un permis d’aménager en cas d’installation de plus de deux caravanes. Ces installations peuvent donc être refusées par l’autorité compétente, si elles ne sont pas compatibles avec le règlement d’urbanisme.
Par conséquent, je considère que le droit actuel permet de réglementer une installation, quel que soit le type de terrain concerné.
En outre, dans le cas de parcelles se situant sur un site naturel inscrit au code de l’environnement, comme c’est le cas de la commune de Talmont-Saint-Hilaire, les propriétaires de ce type de terrain ne peuvent procéder à des travaux d’aménagement sans avoir avisé l’administration, quatre mois à l’avance, de leur intention.
Concernant les terrains situés en zone naturelle, il existe un droit de préemption du département et du Conservatoire du littoral, une fois qu’une zone de préemption a été créée par le département ou le Conservatoire.
Enfin, la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a mis en place un nouveau mécanisme administratif de traitement des infractions d’urbanisme. Une fois le procès-verbal d’infraction au code de l’urbanisme dressé, l’autorité compétente, la plupart du temps le maire, peut mettre en demeure l’auteur de l’infraction et lui demander de procéder aux travaux nécessaires à la mise en conformité ou procéder à une demande de régularisation. Cette décision peut être assortie d’une astreinte de 500 euros par jour. Ce nouveau pouvoir permet une action plus rapide du maire pour traiter les infractions en matière d’urbanisme.
Monsieur le sénateur, le sujet que vous soulevez est sensible, j’y suis particulièrement attentive, mais il me semble que la législation existante permet précisément de concilier droit à l’installation des gens du voyage et respect des règles d’urbanisme. Il ne me semble donc pas opportun d’envisager de nouvelles évolutions législatives.
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.
M. Didier Mandelli. Madame la ministre, je ne partage pas votre analyse.
Il existe un angle mort juridique pour les implantations de moins de trois mois et pour les sites qui n’ont pas fait l’objet d’un zonage par le département, ce zonage permettant de mettre en œuvre le droit de préemption.
C’est d’ailleurs ce qui a conduit le maire de Talmont-Saint-Hilaire à engager cette acquisition et il a dû le faire dans des conditions préjudiciables pour les finances publiques. Je le rappelle, le prix de rachat a été quinze fois supérieur à celui qui a été payé par l’acquéreur issu de cette communauté des gens du voyage.
Je crois que nous devons travailler sur cette question pour éviter que ne se reproduise sur notre magnifique territoire, en particulier sur des sites classés Grand Site de France, ce genre d’incident qui est préjudiciable aux finances publiques, je le répète, et qui pose des problèmes en termes de tranquillité pour les riverains.
loyers impayés
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, auteur de la question n° 1663, adressée à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.
M. Jean-Baptiste Blanc. La crise du covid-19 est une crise sanitaire sans précédent, dont les impacts sur notre économie sont majeurs, plus particulièrement pour les plus fragiles et les plus précaires. Nombre d’entre eux ont perdu leur emploi ou ont subi une baisse de leurs revenus, ce qui a entraîné des difficultés dans le paiement des loyers.
Face à cette situation, madame la ministre, votre gouvernement a pris de nombreuses mesures pour accompagner ces locataires en difficulté. Vous avez prolongé la trêve hivernale. Vous avez mobilisé vos partenaires afin que les aides existantes, notamment celles des fonds de solidarité pour le logement (FSL), placés sous la responsabilité des conseils départementaux, puissent être déployées en faveur des plus fragiles. Vous avez constitué des cellules d’accompagnement. Vous avez créé la plateforme « SOS Loyers impayés ».
En tant qu’élu de Vaucluse, permettez-moi de vous parler de l’agence départementale d’information sur le logement (ADIL) de mon département qui accomplit un travail formidable, mais qui se trouve aujourd’hui bien démunie devant la flambée du nombre de consultations : 8 072 consultations en 2020 contre 4 312 en 2015. Certains dossiers atteignent des niveaux sans précédent, avec des dettes qui s’élèvent à 10 000 euros.
Madame la ministre, nous en sommes tous ici convaincus : il faut tout mettre en œuvre pour accompagner et protéger les plus fragiles d’entre nous. Il est cependant tout aussi impératif de lutter contre les locataires indélicats qui profitent de ces mesures. Derrière chaque locataire, il y a un propriétaire, un petit épargnant, qui, par le fruit de son travail, a investi dans un logement et qui se trouve aujourd’hui dans l’incapacité de rembourser son prêt immobilier ou de compléter sa maigre retraite.
Madame la ministre, quels moyens le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour rassurer et protéger ces bailleurs avant qu’ils ne retirent leurs biens du marché de l’immobilier ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Jean-Baptiste Blanc, la question de la prévention des expulsions locatives et des impayés de loyers est un sujet délicat, auquel le Gouvernement s’emploie à apporter des solutions efficaces et utiles afin de préserver à la fois les locataires vulnérables et les propriétaires.
Après avoir pris des mesures exceptionnelles en 2020, nous devons désormais réussir la sortie de la trêve hivernale et assurer un retour progressif au cadre de la loi. Il est en effet essentiel de prendre en compte la situation des petits propriétaires, dont le loyer constitue une source importante de revenus.
Nous préparons depuis plusieurs mois cette sortie de trêve avec toutes les grandes associations et les réseaux d’accompagnement – je profite de cette occasion pour saluer le travail de l’Agence nationale pour l’information sur le logement (ANIL) et celui des ADIL –, avec cette priorité : continuer à protéger les populations précaires et vulnérables.
Ainsi, si une expulsion a lieu après le 1er juin, elle sera assortie d’une proposition de relogement ou a minima d’hébergement. Surtout, un travail sera mené le plus en amont possible de l’expulsion afin de proposer un accompagnement social et de trouver une solution réelle de relogement.
Nous souhaitons également protéger les propriétaires. Le ministère de l’intérieur et celui en charge du logement ont ainsi décidé d’abonder à hauteur des besoins le fonds d’indemnisation des propriétaires bailleurs qui est géré par les préfets. Il sera doté dès le mois de juillet prochain de 10 millions d’euros supplémentaires et des dotations complémentaires seront apportées au fur et à mesure des demandes des préfets.
Nous avons aussi mis en place un fonds national d’aide aux impayés de loyer, pour apporter un soutien aux locataires en difficulté. Ce fonds de 30 millions d’euros vient abonder les fonds de solidarité pour le logement (FSL) mis en place par les collectivités locales, pour permettre à davantage de ménages de bénéficier d’aides et de se maintenir dans leur logement.
Au-delà de ces soutiens financiers, nous avons choisi de mener un travail de fond, dans le cadre du plan d’actions interministériel de prévention des expulsions locatives, afin d’objectiver la notion de mauvaise foi en matière d’impayés. Sur ce sujet comme sur d’autres, je travaille en étroite coopération avec l’ANIL et le réseau des ADIL, qui sont des partenaires de premier plan et que nous soutenons pleinement.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement est engagé à la fois auprès des locataires en difficulté pour les aider à passer les moments difficiles et auprès des propriétaires, qui ont besoin de retrouver confiance dans le marché locatif pour y maintenir leurs biens.
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour la réplique.
M. Jean-Baptiste Blanc. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir rappelé le travail des FSL et des ADIL. Je prends bonne note de vos éléments d’information.
Nous serons extrêmement vigilants en ce qui concerne l’abondement du fonds d’indemnisation – c’est une décision heureuse – et sur les travaux qui seront menés sur la notion de mauvaise foi.
application de la loi visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation
M. le président. La parole est à M. Pascal Martin, auteur de la question n° 1598, adressée à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement.
M. Pascal Martin. Ma question porte sur la loi du 9 mars 2010 visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation, dont l’article 5 prévoit qu’un rapport sur l’application et l’évaluation des dispositions de celle-ci est transmis au Parlement à l’issue d’un délai de cinq ans.
Dans une enquête de 2017, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) indiquait que « dix millions de détecteurs autonomes avertisseurs de fumée auraient été installés en 2015 » et que « des anomalies et une hétérogénéité des performances des produits qui avaient déjà été mises en lumière par les enquêtes réalisées depuis 2012 persist[ai]ent ». Il semble que ce rapport soit resté lettre morte, puisqu’à ce jour il n’a toujours pas été communiqué au Parlement.
La presse se fait pourtant régulièrement l’écho de l’utilité de ces détecteurs, lesquels permettent, grâce à leur alarme sonore, de réveiller les occupants endormis dans un logement confronté à un incendie nocturne.
L’actualité récente nous a rappelé la dangerosité des incendies et de nombreuses victimes du feu sont à déplorer ces dernières années. Selon les statistiques du ministère de l’intérieur, 250 000 incendies domestiques se déclarent chaque année en France, soit un incendie toutes les deux minutes, causant le décès de près de 500 personnes et en blessant 10 000 autres. Ces chiffres ont doublé en vingt ans !
Rappelons également que les incendies les plus meurtriers se déclenchent la nuit : plongés dans leur sommeil, les habitants sont moins réactifs et risquent l’asphyxie liée aux gaz de combustion, notamment le monoxyde de carbone.
L’absence de remise de ce rapport empêche que des mesures adéquates soient prises pour sensibiliser nos concitoyens sur la nécessité et l’obligation d’installer et de maintenir au moins un détecteur autonome dans les parties privatives des habitations. Ce manquement laisse peser sur les pouvoirs publics un risque de responsabilité en cas de survenance de tragédies liées à l’incendie.
Madame la ministre, je vous demande de bien vouloir m’indiquer dans quel délai ce rapport sera transmis au Parlement. Quelles mesures comptez-vous prendre pour informer l’ensemble de la population sur cette obligation d’équipement de toutes les habitations, qu’elles soient collectives ou individuelles, occupées ou libres ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Pascal Martin, vous avez raison, la question de la détection de fumée dans nos logements est un sujet important pour la sécurité de nos concitoyens.
La loi du 9 mars 2010, que vous avez mentionnée, a rendu obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans les lieux d’habitation. Elle prévoit qu’au plus tard cinq ans après, soit le 8 mars 2015, tous les logements soient équipés d’au moins un détecteur autonome avertisseur de fumée. Le rapport d’évaluation prévu à l’article 5 de cette loi n’a pas été remis par le gouvernement précédent au Parlement. Néanmoins, le pouvoir exécutif n’est pas resté inactif.
En effet, pour accompagner l’obligation d’installation des détecteurs de fumée, plusieurs campagnes nationales de prévention contre les incendies domestiques ont été lancées, tant par l’État que par les parties prenantes. Je pense notamment aux pompiers et aux compagnies d’assurance.
Le site internet du ministère de la transition écologique a par ailleurs été actualisé dans sa partie « détecteur de fumée », avec la présence de questions-réponses permettant à tous les publics d’accéder rapidement aux informations clés, notamment les obligations réglementaires. De nombreuses actions locales sont également menées par les acteurs de la sécurité incendie.
Le Gouvernement reste pleinement mobilisé face à cet enjeu de sécurité domestique. Il poursuivra les actions d’information et de prévention contre ce type d’incendie, en rappelant notamment les obligations liées à l’installation de détecteurs de fumée.
M. le président. La parole est à M. Pascal Martin, pour la réplique.
M. Pascal Martin. Madame la ministre, vous m’avez répondu sur la partie information et communication auprès du grand public, mais pas sur l’obligation qui vous est faite, en application de la loi, de transmettre un rapport au Parlement.
stocamine
M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler, auteur de la question n° 1602, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.
Mme Sabine Drexler. Madame la ministre, l’État français a décidé en début d’année de confiner définitivement 42 000 tonnes de déchets toxiques sous la plus grande nappe d’eau potable d’Europe.
Cette décision de confiner StocaMine discrédite les déclarations, ici même, dans cet hémicycle, lors du débat sur la pollution des sols, de Mme la ministre de la transition écologique, qui affirmait que l’État s’engagerait à « préparer l’avenir, tout en réparant le passé ».
Cette décision est un scandale écologique et démocratique, que certains qualifient déjà de premier délit d’écocide européen. D’ailleurs, nos collègues parlementaires allemands ont récemment écrit au Président de la République pour lui faire part de leurs propres inquiétudes.
On sait aujourd’hui que l’instabilité des sols et les secousses sismiques, fréquentes dans la région, finiront par noyer la mine et dissoudre les déchets toxiques qui s’y trouvent, avant de les expulser vers la nappe, quelles que soient les techniques de confinement.
Ma question est double.
Afin de pouvoir assurer un suivi minutieux de l’évolution du site, le Gouvernement peut-il s’engager à publier en temps réel les données exactes sur l’ennoiement des mines adjacentes de StocaMine, qu’il mesure ?
Par ailleurs, au vu des enjeux écologiques et des risques pour la santé de 7 millions de personnes, la transparence est une donnée essentielle pour les Alsaciens, les Suisses et les Allemands. Madame la ministre, la commission de suivi du site ne s’étant plus réunie depuis deux ans, le Gouvernement peut-il s’engager à la réunir avant cet été ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Madame Drexler, vous interrogez Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, qui, ne pouvant être présente, m’a chargée de vous répondre.
Le Gouvernement attache une attention particulière à cette installation, d’abord exploitée pour son gisement de potasse, qui a ensuite accueilli des déchets de 1999 à 2002, date à laquelle un incendie a arrêté tout apport.
La ministre de la transition écologique a conscience des craintes des élus locaux, qui sont notamment motivées par la présence de la nappe phréatique d’Alsace 500 mètres au-dessus du stockage.
Comme vous le savez, de très nombreuses études ont été réalisées à la demande de l’État sur le déstockage partiel ou complet du site. Récemment, une étude de faisabilité technique et économique sur la poursuite d’un déstockage supplémentaire a été réalisée, et ses résultats ont été présentés aux parlementaires et aux élus locaux le 3 décembre dernier. Celle-ci conclut notamment que tous les scénarii de déstockage étudiés exposent les travailleurs à des risques professionnels élevés et que le bénéfice environnemental pour la nappe d’Alsace d’un déstockage complémentaire n’est pas démontré.
Mme Barbara Pompili s’est rendue sur place le 5 janvier 2021 pour visiter le site et débattre avec les élus, les associations et les citoyens de la meilleure solution pour protéger la nappe d’Alsace et les opérateurs. À l’issue de la visite, il lui a semblé que les conditions d’un déstockage complémentaire posées par la mission d’information parlementaire de 2018 n’étaient pas réunies.
Les avantages potentiels d’une telle opération ne sont pas démontrés et celle-ci présenterait des risques significatifs pour les travailleurs, tandis que la réalisation du confinement dans des conditions optimales est, en tout état de cause, indispensable pour assurer la protection de la nappe d’Alsace.
Au regard de ces éléments, le Gouvernement a décidé la réalisation du confinement du site sans déstockage complémentaire. En parallèle, une enveloppe financière de 50 millions d’euros, sous pilotage de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), sera dédiée à un plan de protection de la nappe d’Alsace sur les cinq prochaines années afin de dépolluer plusieurs anciens sites industriels situés à proximité.
Le 30 avril dernier, le préfet du Haut-Rhin a installé une commission de suivi de la nappe d’Alsace, à laquelle participent les élus et des associations de protection de l’environnement. Voilà qui, je crois, madame la sénatrice, répond à votre exigence légitime de transparence.
M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler, pour la réplique.
Mme Sabine Drexler. Madame la ministre, il faut savoir que l’État n’a jamais rien contrôlé et que trop de promesses n’ont pas été tenues.
Dans ce dossier, les pouvoirs publics ont préféré, pour des raisons financières, sacrifier la santé des populations et hypothéquer l’avenir de toute une région. Pour les Alsaciens, la seule logique qui vaille, c’est l’application stricte du principe de précaution en remontant le plus de déchets possible.
Les 50 millions d’euros annoncés concernent les sites pollués situés au-dessus de la nappe, mais pas le site de StocaMine, qui se révèle potentiellement beaucoup plus dangereux.
Si, comme vous l’affirmez, madame la ministre, le problème du déconfinement est le risque lié au chantier, et non son financement, donnez aux Alsaciens les moyens financiers de le prendre en charge. Acceptez la proposition de Frédéric Bierry, président de la Collectivité européenne d’Alsace (CEA), d’en assurer la maîtrise d’ouvrage.
précisions quant à la réforme du code minier
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, auteur de la question n° 1606, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.
M. Jean-Marie Mizzon. Madame la ministre, en 2018, dans sa réponse à ma question orale portant sur la réforme du code minier, la secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire de l’époque annonçait cette réforme pour la fin de l’année 2018 ou, au plus tard, pour le premier semestre 2019.
Or nous sommes en 2021 et la vraie réforme du code minier, c’est-à-dire celle qui traite également du volet relatif à l’après-mine, n’est toujours pas à l’ordre du jour.
Que de temps perdu !
Obsolète, ce code nécessite pourtant d’être totalement réformé et tout ce qui s’y rapporte ne peut être intégré au projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit Climat et résilience, prochainement débattu au Sénat, a fortiori au détour d’une habilitation à prendre des ordonnances.
Sa nouvelle version était plus qu’attendue dans les territoires concernés par l’après-mine, notamment la Moselle. Dans ce département, les dégâts engendrés par l’arrêt de l’exploitation minière sont si importants qu’à Rosbruck, par exemple, les maisons, fissurées de toute part, n’ont aujourd’hui plus aucune valeur. Or, pour la plupart des propriétaires, il s’agissait là de l’investissement de toute une vie et le préjudice financier, mais aussi moral, auquel ils sont confrontés, eux qui sont aujourd’hui tous âgés et si désemparés par leur situation matérielle, est particulièrement injuste et cruel.
Aussi, ce procédé interroge. Plutôt que de recourir à des ordonnances, pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas choisi de traiter la réforme du code minier dans le cadre d’un projet de loi ordinaire, comprenant notamment un titre supplémentaire relatif à l’après-mine et faisant l’objet d’un véritable débat parlementaire ?
Madame la ministre, quelles sont les raisons qui ont motivé ce choix particulièrement inacceptable ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Jean-Marie Mizzon, vous interrogez Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, qui, ne pouvant être présente, m’a chargée de vous répondre.
Le Gouvernement attache une attention particulière à la réforme du code minier et n’ignore pas les situations difficiles dans lesquelles se trouvent les personnes affectées par des dégâts miniers.
La réforme a été annoncée au conseil de défense écologique du 23 mai 2019. Elle vise à apporter des réponses concrètes pour améliorer les procédures minières et la prise en compte des enjeux environnementaux tout au long de la vie des projets imputables à l’activité minière. Elle a été intégrée au projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets pour permettre son vote avant la fin du quinquennat, faute d’autres créneaux parlementaires disponibles.
Lors de l’examen de ce projet de loi en première lecture à l’Assemblée nationale, plusieurs dispositions de modernisation du code minier ont d’ores et déjà été inscrites dans le corps du texte, alors qu’elles étaient précédemment incluses dans l’habilitation à légiférer par ordonnances donnée au Gouvernement.
L’ordonnance de révision de ce code s’attachera aussi à renforcer les dispositifs d’indemnisation et de réparation des dommages miniers en élargissant la notion de dommages.
L’État assume ses responsabilités en matière d’après-mine et consacre chaque année près de 40 millions d’euros pour assurer la surveillance des anciens sites miniers, la prévention des risques miniers et la réparation des dommages d’origine minière.
Les désordres survenus sur la commune de Rosbruck, que vous avez mentionnés, monsieur le sénateur, font bien l’objet d’une attention particulière. Les habitants victimes de dégâts miniers survenus après le 1er septembre 1998 ont été indemnisés par le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages. Les dégâts miniers antérieurs à cette date ont, quant à eux, été indemnisés par Charbonnages de France.
De plus, l’État continue à intervenir régulièrement chez les habitants qui en font la demande, dans le cadre d’une mission d’expertise des pentes, des désordres et des dommages affectant les biens des habitants, afin de déterminer le montant de l’indemnisation. Le préfet est particulièrement attentif à ce sujet.
En tout état de cause, monsieur le sénateur, soyez assuré que l’attention que le Gouvernement porte à la question de la réforme du code minier et de l’après-mine est entière.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.
M. Jean-Marie Mizzon. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, mais comment voulez-vous qu’elle me convainque, dès lors qu’il n’y a pas de volet « après-mine » ?
Pour bien comprendre certaines situations, il faut aller voir sur place, « avec les pieds », comme l’on dit en Moselle. Or personne n’est venu ! J’en profite pour souligner que, depuis 2017, la Lorraine ne compte plus un seul ministre. C’est un record !
Les réparations dont vous parlez sont des gouttes d’eau au regard des besoins des habitants.
Réparer le passé est souvent moins gratifiant que préparer l’avenir. Notre devoir de mémoire ne doit pas se limiter à célébrer quelques grandes dates et à commémorer quelques événements majeurs de notre histoire. Nous devons aussi nous souvenir du quotidien de nos concitoyens qui ont souffert et souffrent encore, en dépit des indemnisations, misérables, que vous avez rappelées, madame la ministre.
sauvegarde du patrimoine riparien
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, auteur de la question n° 1624, adressée à Mme la ministre de la transition écologique.
M. Vincent Segouin. Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur la politique de suppression des moulins menée au nom de la continuité écologique, notamment sur le cas précis des moulins de l’Orne, dont certains sont aujourd’hui fortement menacés par les arrêtés pris par la préfecture.
Déjà, au mois de juillet 2019, dans cet hémicycle, j’ai interpellé à ce sujet Mme Brune Poirson, alors secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, me faisant le relais d’associations de défense des moulins, comme l’association Les amis des moulins 61 ou le collectif de défense des rivières normandes, qui me font régulièrement part de leurs vives inquiétudes quant aux opérations de destruction concernant plusieurs moulins.
Comme je le craignais, les administrations déconcentrées n’ont pas suivi la réponse alors formulée par Mme la secrétaire d’État, qui m’assurait vouloir sauvegarder des moulins à forte valeur patrimoniale ou producteurs de petite hydroélectricité. Certains moulins appartenant à ces catégories étant pourtant en passe d’être détruits, je m’interroge logiquement aujourd’hui sur la constance de l’engagement du ministère à ce sujet ou sur le respect de la parole ministérielle dans les administrations de nos départements.
Je le répète, de nombreuses associations de mon département plaident pour la sauvegarde de notre patrimoine, de la faune et de la flore, dénonçant les atteintes à la biodiversité liées aux sécheresses et crues de cours d’eau provoquées par la destruction des moulins.
Ces opérations représentent également un coût important d’argent public, sans effet bénéfique sur l’environnement. Il serait préférable d’investir dans la restauration des moulins et de mieux contrôler leur entretien, plutôt que d’essayer de les détruire à n’importe quel prix. Nous aurions aussi intérêt à développer la production d’électricité à partir de ces petites installations hydrauliques.
Les moulins demeurant en péril, malgré la réponse que m’a donnée Mme Brune Poirson en 2019, je vous demande, madame la ministre, de clarifier la position du ministère au sujet de la politique de continuité écologique, ainsi que de la sauvegarde de notre patrimoine riparien, et de nous assurer de la stabilité de cette position dans le temps.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Segouin, vous interrogez Mme Barbara Pompili, qui, ne pouvant être présente, m’a chargée de vous répondre.
Permettez-moi de rappeler d’abord que la continuité des cours d’eau pour baisser la fragmentation des rivières et préserver la biodiversité d’eau douce est indispensable. Cette dernière est particulièrement menacée en France : on estime qu’environ 28 % des crustacés et 39 % des poissons d’eau douce sont menacés, 19 % des poissons présentant un risque de disparition.
Cette politique de continuité des cours d’eau est ciblée : elle concerne 11 % des cours d’eau français et vise, jusqu’à 2027, environ 5 000 ouvrages sur tous les obstacles recensés en France. Depuis 2018, le gouvernement a souhaité renforcer la logique de conciliation avec les usages des ouvrages existants : barrages, piscicultures, installations pour pratiquer du canoë-kayak, autres éléments du patrimoine à valoriser…
J’en viens aux moulins. La restauration de la continuité écologique est compatible avec la sauvegarde de notre patrimoine lié à l’eau. Différentes possibilités de restauration existent et, pour identifier la meilleure solution, le Gouvernement, avec le corps préfectoral et les services déconcentrés, a choisi de favoriser la concertation locale. Ainsi, c’est au cas par cas, en prenant en compte les contraintes et les opportunités locales, qu’il s’agisse de la valeur historique, touristique ou économique ou des usages de loisir, que la situation de l’ouvrage considéré est analysée.
Tous les moulins sont différents. Certains peuvent être remis en état de fonctionner sans exiger d’investissements trop importants, d’autres non ; certains font l’objet d’un projet territorial, d’un potentiel hydroélectrique rentable, d’autres non. Dans tous les cas, le propriétaire de l’ouvrage doit rester au centre de la décision.
Les débats parlementaires récents ont montré que le sujet nécessitait un climat de confiance et que la concertation était plus efficace dans certains territoires que dans d’autres. S’agissant plus particulièrement de la petite hydroélectricité, la programmation pluriannuelle de l’énergie affiche une priorité à l’équipement de seuils existants, dans le respect de la restauration des milieux aquatiques. De nombreux projets avancent, tandis que d’autres peinent à trouver leur équilibre financier ; des outils, tels que la désignation de référents au sein des services, devraient permettre de mieux les accompagner.
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin, pour la réplique.
M. Vincent Segouin. Madame la ministre, pour moi, votre réponse portant sur la continuité écologique, la biodiversité, l’eau douce, les politiques ciblées au cas par cas, c’est une réponse de Normand : peut-être bien que oui, peut-être bien que non… Bref, rien n’est clair !
Il me semble que les services ne connaissent pas la formule « au cas par cas ». En effet, les concertations avec les propriétaires, comme avec les associations de défense des moulins, sont parfois inexistantes : on leur demande des études dont le coût est nettement supérieur à leurs capacités financières. C’est un véritable drame pour le patrimoine historique et pour la production d’hydroélectricité.
Nous aurons sûrement l’occasion d’y revenir lors de l’examen du projet de loi Climat et résilience. Il faut que les choses soient plus claires pour les administrations, qui doivent mener une concertation dans le respect de toutes les parties.
déviation du taillan-médoc et risque de pollution de l’eau
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, auteure de la question n° 1528, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
Mme Monique de Marco. Madame la ministre, je vous alerte aujourd’hui sur le risque de pollution de l’eau induit par le chantier de la déviation du Taillan-Médoc, dans le département de la Gironde.
Le centre-ville du Taillan-Médoc est depuis longtemps perturbé par le trafic routier, avec la traversée de 1 000 poids lourds par jour. Un projet de déviation, engagé par le département, a donc été décidé voilà plusieurs dizaines d’années. Le tracé retenu, il y a vingt ans, n’a fait l’objet d’aucune étude alternative. Or il coupe en deux les derniers espaces boisés de la métropole bordelaise, qui abritent une zone extrêmement riche en biodiversité.
La compensation prévue n’est pas à la hauteur de la sixième extinction de masse des espèces. Elle ne respecte pas non plus la priorité absolue d’éviter ces destructions, obligation pourtant prévue par la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
La future déviation traversera surtout un champ captant, qui alimente dans une proportion importante l’agglomération bordelaise en eau potable. Cette nappe, extrêmement vulnérable, a été victime à trois reprises de pollutions, entraînant des arrêts de l’exploitation du captage.
Dernièrement, un effondrement du sol de cinq mètres de diamètre et de cinq mètres de profondeur a mis en exergue les risques d’accident de chantier et de grave pollution du champ captant. En urgence, il a fallu renforcer la sécurité par de nouveaux équipements et décider d’études complémentaires.
Un défaut d’anticipation des risques a été ainsi mis en évidence. Dans l’attente du résultat des nouvelles études géophysiques destinées à vérifier la présence d’éléments pouvant occasionner un nouvel effondrement, madame la ministre, je demande au Gouvernement de suspendre ce chantier par mesure de précaution.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Madame la sénatrice de Marco, vous interrogez le Gouvernement sur le projet de déviation du Taillan-Médoc, en Gironde, et sur ses impacts environnementaux.
Il est important de rappeler que cette déviation est sous maîtrise du département de la Gironde depuis 2007, même si elle a été lancée par l’État avant la décentralisation de 2004.
Un référé visant à suspendre les travaux a été déposé au mois de février 2020 devant le tribunal administratif de Bordeaux par une association et des riverains. Déboutés, ceux-ci se sont ensuite pourvus en cassation. À la fin de l’année dernière, le Conseil d’État a considéré qu’il n’y avait pas lieu de suspendre les travaux.
Je rappelle par ailleurs que l’autorisation de début de travaux de cette déviation a été accordée après l’obtention des autorisations administratives au titre du code de l’environnement sur les volets « loi sur l’eau » et « espèces protégées ». Ces autorisations tiennent bien compte du champ captant et des périmètres rapprochés et éloignés de protection. Dans le cadre de l’instruction du dossier déposé par le conseil départemental, l’agence régionale de santé (ARS) et l’hydrogéologue agréé ont été associés ; leurs préconisations ont été reprises dans les arrêtés autorisant les travaux.
Le premier arrêté préfectoral « loi sur l’eau » concernant la déviation du Taillan-Médoc a été signé le 19 mars 2012. Il a été modifié par un autre arrêté du 15 mars 2016 et sa partie relative aux espèces protégées a été complétée le 13 septembre 2019.
Des contrôles du chantier par les services compétents sont réalisés régulièrement pour s’assurer de la bonne prise en compte de leurs prescriptions par le conseil départemental.
S’agissant des mesures d’évitement, de réduction et de compensation des impacts sur la biodiversité, il ressort de l’instruction du dossier et de la décision du Conseil d’État du 17 décembre dernier que le projet d’aménagement routier a été précédé de l’examen approfondi de tracés alternatifs, dont aucun n’apparaît plus favorable en matière d’atteinte aux espèces protégées. Ce projet comporte des mesures d’évitement, de réduction et de compensation nombreuses et étayées permettant de limiter les atteintes occasionnées aux espèces animales et végétales protégées.
Ces mesures ont conduit le Conseil national de la protection de la nature (CNPN), à la suite des modifications apportées au projet après les avis négatifs qu’il avait initialement émis, à rendre, le 23 mai 2019, un avis favorable, sous réserve de mesures de compensation.
Madame la sénatrice, vous soulevez également les risques d’accident de chantier et de pollution de l’eau. Je rappelle que l’effondrement d’une partie du sol au mois de février 2021 s’est accompagné de la mise en place d’un protocole spécifique de protection pour sécuriser le chantier et protéger la ressource.
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour la réplique.
Mme Monique de Marco. Madame la ministre, tout cela remonte à vingt ans ! Aujourd’hui, nous sommes dans une démarche devant aboutir à une grande loi sur le climat, que j’espère ambitieuse.
Pour nous, ce projet de déviation n’a plus lieu d’être. En effet, il aura des conséquences irrémédiables sur la biodiversité de la Gironde. Il comporte également des risques de pollution de l’eau, que vous avez soulignés, et qui seront toujours présents, la nappe ayant une très faible profondeur à cet endroit. Or ces champs captants fragiles alimentent la métropole bordelaise.
aménagement de l’aéroport nantes-atlantique
M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier, auteure de la question n° 1613, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
Mme Laurence Garnier. Madame la ministre, voilà trois ans, le Président de la République a annoncé l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, contre l’avis de l’immense majorité des élus locaux, contre 200 décisions de justice et contre le vote des habitants de la Loire-Atlantique, qui s’étaient prononcés en faveur de ce transfert.
L’objectif de ce projet était simple : concilier la protection des riverains de l’aéroport et l’impératif de développement économique du Grand Ouest. Le résultat, aujourd’hui, on le connaît : les habitants de Bouguenais, de Rezé, de Saint-Aignan-de-Grandlieu savent que les avions survoleront leurs communes encore pendant de longues années. Par ailleurs, à partir du mois de janvier 2022, un changement de réglementation obligera les avions à changer leur trajectoire d’atterrissage, ce qui entraînera bruit et pollution pour des milliers de Nantais supplémentaires.
Madame la ministre, aujourd’hui, il vous revient la responsabilité de préparer l’avenir, et ce en lien avec les territoires concernés. Les premières annonces que vous avez faites vont dans le bon sens, mais elles restent insuffisantes pour assurer la protection des riverains de Nantes-Atlantique.
L’État a élaboré le plan de prévention du bruit dans l’environnement tout seul. C’est pourquoi la commission consultative de l’environnement a émis un avis défavorable sur ce plan et les communes concernées s’apprêtent à faire de même.
Aujourd’hui, madame la ministre, et cela me gêne beaucoup, on a le sentiment que cela n’est plus votre affaire. Le Gouvernement s’est débarrassé d’un problème politique, mais je peux vous dire que, sur place, en Loire-Atlantique, la question est loin d’être réglée, que ce soit pour les riverains ou pour le développement économique de notre territoire.
Ma question est donc simple. Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser les intentions du Gouvernement pour le réaménagement de Nantes-Atlantique ? Que prévoit-il en matière de calendrier, de trajectoire et d’angle d’atterrissage des avions, ainsi que de protection des riverains ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Madame la sénatrice Garnier, le projet de réaménagement de l’aéroport Nantes-Atlantique se poursuit selon le calendrier annoncé en 2018. Après une large concertation publique conduite en 2019, l’appel d’offres pour la future concession a été lancé sans attendre. Il est prévu que le futur concessionnaire de l’aéroport soit désigné au premier semestre 2022.
Pour ce projet, nous avons posé une triple exigence : protéger les populations et l’environnement, réaménager l’aéroport en conciliant sobriété et performance économique afin de répondre aux besoins de mobilité aérienne des territoires et des entreprises, assurer la transparence sur l’avancement du projet.
C’est ainsi que, pour protéger les populations contre le bruit, des mesures sans précédent ont été prises au profit des riverains de l’aéroport : instauration d’un droit de délaissement au profit des propriétaires d’un logement exposé à un bruit fort, mise en place d’une aide à la revente au profit des propriétaires d’un logement exposé à un bruit modéré. Ces dispositifs ont été présentés et ouverts au mois d’avril 2021.
D’autres mesures exceptionnelles sont en vigueur, comme la hausse de 10 % de l’aide de droit commun prévue par le plan de gêne sonore (PGS). Avec les 6 millions d’euros supplémentaires annoncés par le Premier ministre à Nantes, soit 19 millions d’euros au total, le dispositif d’aide aux riverains de Nantes-Atlantique est inédit et unique en France.
Pour répondre aux attentes de nos concitoyens et des élus des territoires, nous avons également, lancé la consultation publique en vue de la mise en place d’un couvre-feu. Cette consultation est en cours et cette mesure permettra de protéger les riverains du bruit durant la nuit.
Bien sûr, et vous le comprendrez, madame la sénatrice, nous ne pouvons pas nous exprimer sur la procédure concurrentielle en cours pour l’attribution du contrat de concession. Je vous assure toutefois que le Gouvernement sera vigilant pour que l’aéroport réaménagé soit performant et respectueux de l’environnement.
Enfin, vous évoquez les trajectoires d’approche des avions pour les atterrissages face au sud. Une fois que le scénario annoncé par l’État en 2019 aura été approuvé par les autorités compétentes, celui-ci sera soumis à enquête publique à l’automne prochain.
Le ministère des transports reste donc fortement mobilisé sur ce projet, afin qu’il se construise dans la concertation, par un dialogue apaisé, pour servir au mieux les intérêts de nos concitoyens et des territoires, ce qui est notre souhait commun.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier, pour la réplique.
Mme Laurence Garnier. Madame la ministre, au moment de l’abandon du projet de nouvel aéroport, le début des travaux était annoncé pour la fin de l’année 2021. Nous ne sommes donc pas du tout dans le calendrier.
Les élus du territoire attendent vivement que vous preniez vos responsabilités sur ce dossier, en vous attaquant rapidement au projet de réaménagement de l’aéroport Nantes-Atlantique.
rétrocession des ponts-routes aux communes par la sncf
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, auteur de la question n° 1674, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la ministre, le 22 décembre 2020, la communauté de communes de Flandre intérieure a saisi Mme la ministre de la transition écologique de la problématique de l’entretien des ponts-routes. J’ai également appelé son attention sur cette demande le 16 février dernier. N’ayant pas obtenu de réponse à ce jour, je profite de cette séance de questions orales au Gouvernement pour vous saisir, madame la ministre – cela tombe sur vous ! –, de cette demande à laquelle j’associe mon collègue Dany Wattebled.
L’entretien des ponts-routes est une problématique pour bon nombre de nos communes. Vous n’êtes pas sans connaître la jurisprudence constante en la matière, qui pose le principe selon lequel « la domanialité et la propriété d’un pont sont celles de la voie portée par l’ouvrage ». Aussi SNCF Réseau exige-t-elle aujourd’hui l’application stricte de ce principe.
Un certain nombre de maires du département du Nord m’ont fait savoir que leurs communes devaient prendre à leur charge des ouvrages de rétablissement de voies enjambant des voies ferrées, notamment la ligne TGV Nord, alors même que ces ouvrages ont été ou sont construits pour permettre le développement de ces voies ferrées.
Il va sans dire que le coût pour les communes de l’entretien de ces ponts-routes excède bien souvent leur capacité financière.
Bien que la loi du 7 juillet 2014 visant à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d’art de rétablissement des voies, dite loi Didier, ait permis de répartir les responsabilités et les charges financières selon un principe de conventions entre le gestionnaire de l’infrastructure de transport nouvelle et le propriétaire de la voie existante, elle n’a pas réglé la situation des ouvrages déjà existants. C’est pourquoi une lourde opération de recensement a été menée. Le ministère de la transition écologique a arrêté la liste des ouvrages de rétablissement non conventionnés le 22 juillet 2020.
Aujourd’hui, alors que s’ouvre une phase de négociation de ces conventions, nous sommes toujours dans l’attente des instructions ministérielles concernant les modalités d’écriture de ces conventions, ainsi que leurs modalités juridiques.
Madame la ministre, pourriez-vous nous apporter ces informations tant attendues, concernant les modalités d’élaboration et de conclusion de ces conventions ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Decool, vous interrogez M. le ministre délégué chargé des transports sur les ouvrages d’art enjambant la ligne TGV Nord. Ne pouvant être présent, M. Djebbari m’a chargée de vous répondre.
Les ouvrages d’art de rétablissement dépendent non pas de l’infrastructure qu’ils évitent, mais bien de celle dont ils assurent la continuité. Ainsi, la loi n’a jamais sorti du réseau routier communal les ponts qui surplombent des voies ferrées ou navigables.
La loi Didier de 2014 encadre l’entretien de ces ouvrages. Elle a donné lieu au travail méticuleux que vous avez évoqué, à savoir le recensement des ouvrages d’art de rétablissement, dont les ponts-routes, en lien avec toutes les collectivités locales gestionnaires d’infrastructures. Cette liste a été publiée par arrêté ministériel le 22 juillet 2020.
Il s’agissait d’une enquête inédite : 9 480 ouvrages d’art ont été recensés, dont 4 000 au-dessus de voies ferrées. Ces ouvrages feront progressivement l’objet de conventions.
En complément de cette liste, le ministère des transports mettra très prochainement en place un formulaire de contact, afin que les collectivités puissent lui soumettre des ouvrages d’art de rétablissement dont elles n’avaient pas pu faire examiner la situation lors du recensement initial.
Ce recensement, travail de longue haleine, doit maintenant permettre de trouver des solutions pour chacune de ces infrastructures, qui sont la propriété de collectivités locales responsables auxquelles l’État, Voies navigables de France (VNF), ou SNCF Réseau apporteront un appui financier et technique pour les pérenniser.
Les directions interdépartementales des routes, VNF et SNCF Réseau vont ainsi se rapprocher des collectivités concernées pour établir, en fonction des capacités financières et des moyens d’ingénierie de ces collectivités, des conventions qui permettront d’entretenir ces ponts dans la durée. Cela demandera encore du temps, mais je veux vous rassurer : le travail s’engage.
Votre assemblée a produit un rapport d’information très riche sur la situation des ouvrages d’art, qui a conduit à un débat dans cet hémicycle. Celui-ci a permis à M. Djebbari de rappeler que, en matière d’infrastructures, la politique du Gouvernement était claire depuis 2017 et gravée dans la loi d’orientation des mobilités : nous accélérons les chantiers d’entretien et de rénovation des réseaux existants, notamment de leurs ouvrages d’art, qui ont plus récemment bénéficié de crédits spécifiques au titre du plan France Relance.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, qui ne peut naturellement me satisfaire totalement. J’attendrai avec vigilance la publication de ces propositions et leur application et y serai très attentif !
Je vous rappelle que les finances des communes rurales sont parfois exsangues, notamment en cette période de pandémie. Cela est tout particulièrement vrai dans le département du Nord, où des mouvements de terrain occasionnent forcément des dégradations sur les ponts, notamment sur les joints qui permettent de préserver un certain confort sur ces ponts-routes.
traversée de villecresnes
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, auteur de la question n° 1333, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports.
M. Laurent Lafon. Madame la ministre, j’appelle votre attention sur la situation de la route nationale 19 à la hauteur de Villecresnes, dans un département que nous connaissons bien tous les deux, le Val-de-Marne.
Chaque jour, 50 000 véhicules empruntent ce tronçon de la RN 19, notamment un grand nombre de camions. Ce flux déjà important est amené non pas à diminuer, mais au contraire à augmenter, du fait de la récente ouverture du tunnel de Boissy-Saint-Léger, qui entraînera une augmentation mécanique du nombre de Seine-et-Marnais empruntant cet axe.
Le caractère accidentogène de la RN 19 dans ce secteur est désormais avéré. Un fatal constat peut être fait : chaque mois, au moins un accident grave se produit. Je ne vous en dresserai pas la liste exhaustive, mais me contenterai de vous rappeler le dernier d’entre eux, qui a frappé les esprits : un camion de pompiers s’est encastré dans un camion-citerne ; trois pompiers blessés ont dû être évacués. Dès le lendemain, une voiture s’est retrouvée sur son toit au même emplacement !
Évidemment, face à ce constat et à l’inquiétude des riverains, les élus se mobilisent. Ainsi, le maire de Villecresnes, Patrick Farcy, a fait part à plusieurs reprises à la direction des routes d’Île-de-France, la Dirif, de solutions simples et concrètes.
Je ne vous ferai pas ce matin une présentation détaillée de ces solutions, mais, pour avoir même vu les plans demandés, je peux attester qu’il s’agit vraiment d’aménagements simples : bordures, séparateurs, plots le long de la voie ou encore entretien des feux tricolores. Leur simplicité les rend peu onéreux ; ils pourraient être mis en place rapidement pour sécuriser ce carrefour.
Or, malgré les demandes des élus et les réunions qui se sont tenues à plusieurs reprises, on constate que la Dirif ne bouge pas.
C’est bien sur ce constat que j’appelle votre attention, madame la ministre. Surtout, je vous demande d’intervenir pour que des actions concrètes soient enfin mises en œuvre de manière à sécuriser la RN 19 à la hauteur de Villecresnes.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement. Monsieur le sénateur Lafon, vous interrogez le Gouvernement sur la traversée de la commune de Villecresnes, dans un département qui nous est cher à tous deux, le Val-de-Marne, par la route nationale 19.
Je rappellerai d’abord la réglementation applicable. En agglomération, le maire détient les pouvoirs de police de la circulation, aux termes du code général des collectivités territoriales. Lorsqu’un accident se produit en agglomération, même sur une route nationale, c’est la commune qui est compétente pour intervenir et réaliser ensuite la remise en état sur son périmètre.
L’État n’a pas de mission d’intervention spécifique sur les accidents en agglomération, sauf si les éléments constitutifs du domaine public routier ressortant de sa compétence sont détériorés et nécessitent une remise en sécurité d’urgence.
En conséquence, les services de la commune de Villecresnes ont réalisé les opérations qui lui incombaient lors de l’accident de circulation que vous avez mentionné, qui a frappé les esprits à juste titre.
Cependant, afin d’améliorer la sécurité routière dans la traversée de Villecresnes, certaines mesures ont été proposées par le maire de cette commune. Elles sont actuellement analysées et instruites par les services de l’État.
Pour le réaménagement du carrefour de la RN 19 avec la rue du lieutenant Dagorno, carrefour situé en agglomération, une étude de sécurité est bien prévue par la direction des routes d’Île-de-France afin d’analyser les aménagements pertinents.
Quant à l’interdiction de tourner à droite depuis la route nationale vers la rue Jean Cavaillès, la décision municipale de Villecresnes a bien été réceptionnée par la Dirif, qui a indiqué qu’elle procéderait aux modifications réglementaires nécessaires à cet endroit situé en dehors de l’agglomération.
Pour la mise en place de dispositifs spécifiques en agglomération, comme la pose de séparateurs, la Dirif a proposé au maire une analyse conjointe des différents aménagements souhaités par la commune, de manière à déterminer ensuite comment répartir les responsabilités en matière de réalisation selon les différentes compétences réglementaires prévues.
L’ensemble de ces aménagements pourra par ailleurs faire l’objet d’une convention entre l’État et la commune afin de déterminer leurs modalités et la répartition des charges de mise en place, mais aussi d’entretien, de maintenance et de renouvellement des différents équipements.
Enfin, à plus long terme, dans la continuité de la déviation de Boissy-Saint-Léger, des études d’opportunité ont déjà été engagées pour la poursuite de l’aménagement de la RN 19. Elles visent à identifier et à comparer plusieurs partis d’aménagement possibles permettant à cette route nationale de mieux remplir son rôle d’axe structurant en toute sécurité.
Vous le voyez, monsieur le sénateur : l’État sera au rendez-vous du partenariat avec la commune de Villecresnes sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour la réplique.
M. Laurent Lafon. Madame la ministre, je vous remercie de ces éléments de réponse. Je ne vous cache pas qu’ils ne me satisfont pas complètement, car on sent tout de même un certain attentisme de la part de la Dirif, qui tend toujours à reporter, sur la base d’études ou de projets de conventions, des solutions qui, très honnêtement, pourraient être mises en place facilement.
Encore une fois, je tiens à exprimer l’inquiétude grandissante des riverains, notamment des parents d’élèves, puisque cette route est empruntée quotidiennement par des collégiens et des lycéens. Il est urgent d’agir !
M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.)
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Candidature à une commission
Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires européennes a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
4
Abrogation de lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit, présentée par M. Vincent Delahaye, Mme Valérie Létard et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 68, texte de la commission n° 627, rapport n° 626).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.
Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.
proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit
Article unique
Sont et demeurent abrogées sur tout le territoire de la République :
1° (Supprimé)
2° La loi du 27 septembre 1941 relative aux déclarations inexactes des créanciers de l’État ou des collectivités publiques ;
3° (Supprimé)
4° La loi du 22 décembre 1941 relative à la rémunération du personnel des journaux quotidiens ;
5° La loi du 28 juillet 1942 relative à l’organisation des services médicaux et sociaux du travail ;
6° La loi du 12 février 1943 modifiant le point de départ du délai de péremption de cinq ans prévu pour la validité des significations de cessions des allocations du crédit maritime ;
7° La loi du 12 avril 1943 relative à la publicité par panneaux-réclame, par affiches et aux enseignes ;
8° La loi du 18 janvier 1944 fixant la rémunération due aux officiers publics pour la rédaction des certificats de propriété en matière d’assurances sociales ;
9° La loi n° 44-206 du 22 avril 1944 relative au travail de nuit dans la boulangerie ;
10° La loi du 16 juin 1944 relative à la prescription opposable aux porteurs de représentation de fractions de billets gagnants de la loterie nationale ;
11° La loi n° 45-01 du 24 novembre 1945 relative aux attributions des ministres du Gouvernement provisoire de la République et à l’organisation des ministères ;
12° La loi n° 46-437 du 16 mars 1946 relative à la suppression des formalités de délivrance d’une commission et de prestation de serment imposées aux titulaires de débits de tabac ;
13° (Supprimé)
14° La loi n° 46-1650 du 19 juillet 1946 instituant une révision supplémentaire des listes électorales ;
15° La loi n° 46-1889 du 28 août 1946 relative au contrôle des inscriptions sur les listes électorales et à la procédure des inscriptions d’urgence ;
16° (Supprimé)
17° La loi n° 46-2173 du 1er octobre 1946 fixant à vingt-trois ans l’âge de l’éligibilité aux assemblées ou collèges électoraux élus au suffrage universel et direct ;
18° (Supprimé)
19° La loi n° 47-1733 du 5 septembre 1947 fixant le régime électoral pour les élections au conseil général de la Seine et au conseil municipal de Paris ;
20° La loi n° 48-178 du 2 février 1948 portant aménagement de certaines dispositions de la réglementation des changes et, corrélativement, de certaines dispositions fiscales ;
21° La loi n° 48-371 du 4 mars 1948 portant fixation des circonscriptions électorales pour la désignation des membres de l’assemblée algérienne ;
22° et 23° (Supprimés)
24° La loi n° 48-1306 du 23 août 1948 portant modification du régime de l’assurance vieillesse ;
25° La loi n° 48-1465 du 22 septembre 1948 relative à l’exercice de la médecine et de la chirurgie des animaux par des vétérinaires étrangers ;
26° La loi n° 48-1480 du 25 septembre 1948 relative au renouvellement des conseils généraux ;
27° (Supprimé)
28° La loi n° 50-275 du 6 mars 1950 relative aux élections aux conseils d’administration des organismes de sécurité sociale et d’allocations familiales ;
29° La loi n° 50-340 du 18 mars 1950 concernant l’appel en 1950 des jeunes gens sous les drapeaux ;
30° La loi n° 50-975 du 16 août 1950 adaptant la législation des assurances sociales agricoles à la situation des cadres des professions agricoles et forestières ;
31° La loi n° 50-1013 du 22 août 1950 portant réglementation de l’emploi de certains produits d’origine végétale dans les boissons non alcooliques, en vue de protéger la santé publique ;
32° La loi n° 51-144 du 11 février 1951 abrogeant les dispositions législatives qui en matière de droit commun suppriment ou limitent le droit qui appartient aux juges d’accorder le sursis aux peines qu’ils prononcent et de faire bénéficier le coupable de circonstances atténuantes ;
33° La loi n° 51-1115 du 21 septembre 1951 portant ouverture de crédits sur l’exercice 1951 (Éducation nationale) ;
33° bis (nouveau) La loi n° 52-377 du 9 avril 1952 portant modification des articles 48 à 58, 60 et 61 de la loi du 28 octobre 1946 sur les dommages de guerre ;
34° (Supprimé)
35° La loi n° 53-248 du 31 mars 1953 relative au règlement, en cas de décès de l’assuré en temps de guerre, des contrats d’assurance en cas de vie souscrits auprès de la caisse nationale des retraites pour la vieillesse ou de la caisse nationale d’assurances en cas de décès ;
36° La loi n° 53-1329 du 31 décembre 1953 relative au développement des crédits affectés aux dépenses du ministère des travaux publics, des transports et du tourisme pour l’exercice 1954 (III : Marine marchande) ;
37° La loi n° 53-1346 du 31 décembre 1953 modifiant certaines dispositions du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 réglant les rapports entre bailleurs et locataires, en ce qui concerne le renouvellement des baux à loyer d’immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal ;
38° La loi n° 54-740 du 19 juillet 1954 modifiant l’article 8 de la loi n° 48-1471 du 23 septembre 1948 relative à l’élection des conseillers de la République ;
39° (Supprimé)
40° La loi n° 55-20 du 4 janvier 1955 relative aux marques de fabrique et de commerce sous séquestre en France comme biens ennemis ;
41° et 42° (Supprimés)
43° La loi n° 56-425 du 28 avril 1956 modifiant l’article 11 du décret réglementaire du 2 février 1852 pour l’élection des députés ;
44° (Supprimé)
45° La loi n° 57-821 du 23 juillet 1957 accordant des congés non rémunérés aux travailleurs en vue de favoriser l’éducation ouvrière ;
46° La loi n° 57-834 du 26 juillet 1957 modifiant le statut des travailleurs à domicile ;
47° La loi n° 59-1483 du 28 décembre 1959 relative à la révision des loyers commerciaux ;
48° La loi n° 59-1511 du 30 décembre 1959 modifiant et complétant l’ordonnance n° 58-1341 du 27 décembre 1958 instituant une nouvelle unité monétaire ;
49° La loi n° 60-768 du 30 juillet 1960 relative à l’accession des travailleurs français non-salariés du Maroc, de la Tunisie, d’Égypte et d’Indochine aux régimes d’allocation vieillesse et d’assurance vieillesse ;
50° La loi n° 60-783 du 30 juillet 1960 modifiant les articles 1er, 7, 9, 11, 14 et 20 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 réglant les rapports entre bailleurs et locataires en ce qui concerne le renouvellement des baux à loyer d’immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal ;
51° La loi n° 60-793 du 2 août 1960 relative à l’accession des membres du cadre auxiliaire de l’enseignement français à l’étranger au régime de l’assurance volontaire pour le risque vieillesse ;
52° La loi n° 61-89 du 25 janvier 1961 relative aux assurances maladie, invalidité et maternité des exploitants agricoles et des membres non-salariés de leur famille ;
53° La loi n° 61-1312 du 6 décembre 1961 tendant à accorder le bénéfice de la législation sur les accidents du travail aux membres bénévoles des organismes sociaux ;
54° La loi n° 61-1413 du 22 décembre 1961 tendant à étendre la faculté d’accession au régime de l’assurance volontaire vieillesse aux salariés français résidant ou ayant résidé dans certains États et dans les territoires d’outre-mer ;
55° (Supprimé)
56° La loi n° 62-864 du 28 juillet 1962 relative à la suppression de la commission supérieure de cassation des dommages de guerre ;
57° La loi n° 63-558 du 10 juin 1963 étendant le bénéfice des dispositions de l’article L. 506 du Code de la santé publique relatif à l’exercice de la profession d’opticien lunetier détaillant ;
58° La loi n° 63-1329 du 30 décembre 1963 étendant aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle les dispositions législatives concernant les monuments historiques et relatives aux objets mobiliers ;
59° et 60° (Supprimés)
61° La loi n° 65-526 du 3 juillet 1965 relative à la francisation des noms et prénoms des personnes qui acquièrent ou se font reconnaître la nationalité française ;
62° (Supprimé)
63° La loi n° 66-360 du 9 juin 1966 étendant aux territoires d’outre-mer l’application des dispositions de l’article 23 du code pénal ;
64° La loi n° 66-380 du 16 juin 1966 relative à l’emploi de procédés non manuscrits pour apposer certaines signatures sur les effets de commerce et les chèques ;
65° La loi n° 66-381 du 16 juin 1966 complétant l’article 401 du Code pénal en matière de filouterie de carburants et de lubrifiants ;
66° à 68° (Supprimés)
69° La loi n° 66-1008 du 28 décembre 1966 relative aux relations financières avec l’étranger ;
70° La loi n° 66-1010 du 28 décembre 1966 relative à l’usure, aux prêts d’argent et à certaines opérations de démarchage et de publicité ;
71° La loi n° 67-556 du 12 juillet 1967 portant dérogation dans la région parisienne aux règles d’organisation judiciaire fixées par l’ordonnance n° 58-1273 du 22 décembre 1958 ;
72° La loi n° 68-696 du 31 juillet 1968 relative aux forclusions encourues du fait des événements de mai et juin 1968 ;
73° La loi n° 69-7 du 3 janvier 1969 relative aux voies rapides et complétant le régime de la voirie nationale et locale ;
74° La loi n° 69-12 du 6 janvier 1969 modifiant la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ;
75° La loi n° 70-6 du 2 janvier 1970 abrogeant les dispositions de l’article 2 de la loi n° 60-713 du 23 juillet 1960 relatives à la création de corps, civil et militaire, d’ingénieurs des travaux maritimes ;
76° La loi n° 70-480 du 8 juin 1970 tendant à réprimer certaines formes nouvelles de délinquance ;
77° La loi n° 70-594 du 9 juillet 1970 relative à la mise à parité des pensions des déportés politiques et des déportés résistants ;
78° à 80° (Supprimés)
81° La loi n° 70-1208 du 23 décembre 1970 portant modification de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales et de l’ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 instituant l’Autorité des marchés financiers et relative à l’information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité de certaines opérations de bourse ;
82° (Supprimé)
83° La loi n° 70-1284 du 31 décembre 1970 portant modification de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ;
84° (Supprimé)
85° La loi n° 70-1321 du 31 décembre 1970 relative aux actes de dispositions afférents à certains biens ayant appartenu à des contumax ;
86° à 90° (Supprimés)
91° La loi n° 71-583 du 16 juillet 1971 portant modifications du régime de l’exemption temporaire de contribution foncière prévue en faveur des locaux d’habitation ;
92° La loi n° 71-586 du 16 juillet 1971 relative à la prescription en matière salariale ;
93° (Supprimé)
94° La loi n° 71-1050 du 24 décembre 1971 modifiant les titres II et V du code de la famille et de l’aide sociale et relative au régime des établissements recevant des mineurs, des personnes âgées, des infirmes, des indigents valides et des personnes accueillies en vue de leur réadaptation sociale ;
95° La loi n° 71-1112 du 31 décembre 1971 relative à l’exercice de la profession d’infirmier ou d’infirmière dans les départements d’outre-mer ;
96° La loi n° 71-1132 du 31 décembre 1971 portant amélioration des pensions de vieillesse du régime général de sécurité sociale et du régime des travailleurs salariés agricoles ;
97° (Supprimé)
98° La loi n° 72-439 du 30 mai 1972 relative au contentieux des dommages de guerre ;
99° La loi n° 72-516 du 27 juin 1972 amendant l’ordonnance n° 67-813 du 26 septembre 1967 relative aux sociétés coopératives agricoles, à leurs unions, à leurs fédérations, aux sociétés d’intérêt collectif agricole et aux sociétés mixtes d’intérêt agricole ;
100° La loi n° 72-1153 du 23 décembre 1972 modifiant les articles L. 71 (3°) et L. 80 (1°) du code électoral ;
101° La loi n° 72-1201 du 23 décembre 1972 portant affiliation des maires et adjoints au régime de retraite complémentaire des agents non titulaires des collectivités publiques ;
102° La loi n° 72-1203 du 23 décembre 1972 prolongeant l’âge limite d’ouverture du droit aux prestations d’assurance maladie et aux prestations familiales en faveur des enfants à la recherche d’un emploi à l’issue de leur scolarité obligatoire ;
103° La loi n° 72-1221 du 29 décembre 1972 modifiant la loi n° 51-356 du 20 mars 1951 sur les ventes avec primes et améliorant les conditions de concurrence ;
104° (Supprimé)
105° La loi n° 73-10 du 4 janvier 1973 relative à la police des aérodromes, modifiant et complétant le code de l’aviation civile ;
106° La loi n° 73-550 du 28 juin 1973 relative au régime des eaux dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion ;
107° La loi n° 74-1027 du 4 décembre 1974 modifiant certaines dispositions du code de la sécurité sociale relatives aux rentes attribuées aux ayants droit de la victime d’un accident du travail suivi de mort ;
108° La loi n° 75-6 du 3 janvier 1975 portant diverses mesures de protection sociale de la mère et de la famille ;
109° La loi n° 75-574 du 4 juillet 1975 tendant à la généralisation de la sécurité sociale ;
110° La loi n° 75-603 du 10 juillet 1975 relative aux conventions entre les caisses d’assurance maladie du régime général de la sécurité sociale, du régime agricole et du régime des travailleurs non-salariés des professions non-agricoles et les praticiens et auxiliaires médicaux ;
111° La loi n° 75-619 du 11 juillet 1975 relative au taux de l’intérêt légal ;
112° (Supprimé)
113° La loi n° 75-626 du 11 juillet 1975 relative aux laboratoires d’analyses de biologie médicale et à leurs directeurs et directeurs adjoints ;
114° La loi n° 75-628 du 11 juillet 1975 relative au crédit maritime mutuel ;
115° (Supprimé)
116° La loi n° 75-1188 du 20 décembre 1975 portant dérogation, en ce qui concerne la cour d’appel de Versailles, aux règles d’organisation judiciaire ;
117° La loi n° 75-1220 du 26 décembre 1975 relative à la fixation du prix des baux commerciaux renouvelés en 1975 ;
118° à 120° (Supprimés)
121° La loi n° 76-394 du 6 mai 1976 portant création et organisation de la région d’Île-de-France ;
122° La loi n° 76-463 du 31 mai 1976 tendant à faciliter l’accession des salariés à la location des locaux d’habitation destinés à leur usage personnel ;
123° La loi n° 76-521 du 16 juin 1976 modifiant certaines dispositions du code des tribunaux administratifs et donnant force de loi à la partie législative de ce code ;
124° et 125° (Supprimés)
126° La loi n° 76-656 du 16 juillet 1976 modifiant l’article L. 950-2 du code du travail relatif à la participation des employeurs au financement des actions de formation en faveur des demandeurs d’emploi ;
127° La loi n° 76-657 du 16 juillet 1976 portant institution d’un repos compensateur en matière d’heures supplémentaires de travail ;
128° La loi n° 76-660 du 19 juillet 1976 portant imposition des plus-values et création d’une taxe forfaitaire sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d’art, de collection et d’antiquité ;
129° La loi n° 76-662 du 19 juillet 1976 relative à la nationalité française dans le territoire français des Afars et des Issas ;
130° La loi n° 76-1106 du 6 décembre 1976 relative au développement de la prévention des accidents du travail ;
131° (Supprimé)
132° La loi n° 77-486 du 13 mai 1977 autorisant le Gouvernement à émettre un emprunt bénéficiant d’avantages fiscaux ;
133° La loi n° 77-531 du 26 mai 1977 modifiant la loi n° 72-657 du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés ;
134° La loi n° 77-616 du 16 juin 1977 aménageant la taxe professionnelle ;
135° La loi n° 77-657 du 28 juin 1977 portant majoration des pensions de vieillesse de certains retraités ;
136° La loi n° 77-748 du 8 juillet 1977 relative aux sociétés anonymes à participation ouvrière ;
137° (Supprimé)
138° La loi n° 77-766 du 12 juillet 1977 instituant un congé parental d’éducation ;
139° La loi n° 77-769 du 12 juillet 1977 relative au bilan social de l’entreprise ;
140° La loi n° 77-773 du 12 juillet 1977 tendant à l’abaissement de l’âge de la retraite pour les anciens déportés ou internés ;
141° La loi n° 77-774 du 12 juillet 1977 tendant à accorder aux femmes assurées au régime général de sécurité sociale, atteignant l’âge de soixante ans, la pension de vieillesse au taux normalement applicable à soixante-cinq ans ;
142° La loi n° 77-825 du 22 juillet 1977 complétant les dispositions du code des communes relatives à la coopération intercommunale ;
143° La loi n° 77-1356 du 10 décembre 1977 relative au recrutement des membres des tribunaux administratifs ;
144° La loi n° 77-1409 du 23 décembre 1977 tendant à adapter les limites des circonscriptions électorales aux limites des départements ;
145° et 146° (Supprimés)
147° La loi n° 78-5 du 2 janvier 1978 tendant au développement de la concertation dans les entreprises avec le personnel d’encadrement ;
148° La loi n° 78-11 du 4 janvier 1978 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et de la loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière et portant dérogation, à titre temporaire, pour certains établissements hospitaliers publics ou participant au service public hospitalier, aux règles de tarification ainsi que, pour les soins donnés dans ces établissements, aux modalités de prise en charge ;
149° et 150° (Supprimés)
151° La loi n° 78-730 du 12 juillet 1978 portant diverses mesures en faveur de la maternité ;
152° (Supprimé)
153° La loi n° 78-1183 du 20 décembre 1978 complétant les dispositions du code des communes en vue d’instituer des comités d’hygiène et de sécurité ;
154° La loi n° 79-1129 du 28 décembre 1979 portant diverses mesures de financement de la sécurité sociale ;
155° (Supprimé)
156° La loi n° 79-1132 du 28 décembre 1979 tendant à augmenter l’effectif du conseil régional de la Corse ;
157° La loi n° 79-1140 du 29 décembre 1979 relative aux équipements sanitaires et modifiant certaines dispositions de la loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière ;
158° La loi n° 79-1149 du 29 décembre 1979 relative au renouvellement des baux commerciaux en 1980 ;
159° La loi n° 79-1150 du 29 décembre 1979 relative à la publicité, aux enseignes et préenseignes ;
160° (Supprimé)
161° La loi n° 80-511 du 7 juillet 1980 relative au recrutement des membres des tribunaux administratifs, et des cours administratives d’appel ;
162° La loi n° 80-545 du 17 juillet 1980 portant diverses dispositions en vue d’améliorer la situation des familles nombreuses ;
163° La loi n° 80-546 du 17 juillet 1980 instituant une assurance veuvage en faveur des conjoints survivants ayant ou ayant eu des charges de famille.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au rapporteur de la commission, pour sept minutes, au Gouvernement, puis à un représentant par groupe, pour cinq minutes.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons examiné la semaine dernière, selon la procédure de législation en commission, la proposition de loi de Vincent Delahaye, dite Balai II. Ce texte résulte des travaux de la mission de simplification législative, appelée « mission Balai », pour bureau d’annulation des lois anciennes et inutiles. Cette mission tend à identifier, puis à abroger via des propositions de loi les dispositions devenues obsolètes ou inutiles.
Cette proposition de loi vise ainsi à mettre en application les objectifs constitutionnels de clarté, d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. Elle permet en effet de réduire le stock de normes, d’éviter tout risque de confusion avec des lois ultérieures et d’améliorer la lisibilité de notre droit.
Pour rappel, au mois de décembre 2019, la loi Balai I a permis d’abroger une cinquantaine de lois adoptées entre 1819 et 1940. La rédaction initiale de la proposition de loi Balai II tendait à en abroger 163, adoptées entre 1941 et 1980.
Si l’objet de ce texte était bien de diminuer le stock de lois, la commission des lois a toutefois souhaité garantir une parfaite sécurité juridique. En effet, le droit français ne prévoit pas d’abrogation expresse par le seul écoulement du temps. Ainsi, le juge, l’administration ou les justiciables peuvent mobiliser des textes anciens, parfois antérieurs à la Révolution française, ou s’en prévaloir, sous réserve de leur compatibilité avec le droit postérieur.
Le risque d’une opération balai est donc d’abroger par erreur un texte d’apparence obsolète, qui constituerait toujours, en réalité, la base légale d’un acte ou d’une situation actuels. Ainsi, les conséquences d’une abrogation accidentelle pourraient être particulièrement lourdes et préjudiciables.
C’est la raison pour laquelle nous avons travaillé avec la plus grande rigueur et la plus grande prudence pour examiner les mesures d’abrogation prévues dans ce texte, le doute conduisant toujours à renoncer à l’abrogation d’un texte en cas d’incertitude sur ses conséquences juridiques concrètes.
Nous nous sommes appuyés sur l’avis du Conseil d’État, rendu le 11 février dernier, pour examiner dans le détail les 163 lois proposées à l’abrogation, afin de nous assurer que chaque abrogation ne se heurtait à aucun obstacle juridique et ne soulevait pas d’objection en matière de bonne législation.
In fine, avec l’accord de Vincent Delahaye, la commission des lois a écarté 49 des 163 lois inscrites dans cette proposition de loi. Ces retraits sont fondés sur quatre motifs, qui se sont parfois cumulés.
Le premier motif concerne les lois qui sont toujours utilisées ou qui pourraient l’être.
Il en est ainsi des lois dont l’abrogation pourrait avoir des conséquences dommageables ou risquées, dès lors que leurs dispositions produisent toujours des effets de manière certaine ou sont toujours susceptibles de fournir une base légale à des situations ou à des actes.
C’est le cas de la loi du 27 décembre 1975 portant réforme du régime d’indemnisation des sapeurs-pompiers communaux non professionnels victimes d’un accident ou d’une maladie survenus en service commandé, puisqu’elle constitue encore le fondement légal du versement de la pension de 22 anciens sapeurs-pompiers.
Il en est de même de la loi du 11 juillet 1978 de programme sur les musées, dont l’article 3 prévoit, au bénéfice du Parlement, des pouvoirs de contrôle spécifiques relatifs au musée d’Orsay.
Le deuxième motif de retrait d’une loi de la liste concerne des lois dont l’abrogation nuirait à l’intelligibilité du droit en vigueur.
Certaines lois comportent en effet des articles qui ont introduit ou modifié des dispositions toujours en vigueur au sein d’un code ou d’une autre loi. Quel effet juridique pourrait avoir l’abrogation d’une disposition introductrice ou modificatrice ? Comment cette abrogation pourrait-elle être interprétée par le public ? Il nous a semblé inutile de créer de la confusion là où cette proposition de loi cherche au contraire à introduire de la lisibilité.
Aussi, la commission des lois a décidé de ne pas abroger les lois ayant introduit ou modifié des dispositions toujours en vigueur afin de garantir l’intelligibilité du droit positif.
Le troisième motif a trait au fait que l’abrogation ne doit pas introduire de risque par ricochet.
Des renvois au sein d’autres textes ont pu être établis par le législateur et il est parfois difficile de mesurer la conséquence de l’abrogation d’une disposition à laquelle un autre article fait référence.
Aussi, afin d’évaluer les problèmes de coordination que pourraient induire les abrogations proposées, nos travaux ont porté sur la recherche de ces renvois. Lorsque les renvois détectés se sont révélés caducs ou sans risque, nous avons accepté sans difficulté l’abrogation proposée. À l’inverse, lorsque le problème de coordination soulevé s’est montré complexe ou incertain, il est apparu prudent de maintenir en vigueur la loi en cause.
Enfin, des motifs plus ponctuels ont conduit la commission des lois à ne pas accepter l’abrogation de certaines lois.
Ainsi, certains textes ayant une valeur symbolique ont été conservés. C’est notamment le cas de la loi du 20 mars 1948 permettant aux femmes l’accession à diverses professions d’auxiliaires de justice ou encore de la loi du 3 juillet 1971, qui a permis la libre installation des médecins.
Pour d’autres lois contenant des dispositions qui sont aujourd’hui de niveau organique, il conviendra d’envisager un autre support législatif. C’est le cas pour la loi du 11 avril 1946 ayant pour objet de permettre aux femmes d’accéder à la magistrature.
Enfin, le Conseil d’État a souligné que le législateur national n’était plus compétent pour modifier certaines dispositions applicables outre-mer et qu’il devait en conséquence renoncer à abroger les lois dans lesquelles elles sont inscrites.
Ainsi, la commission des lois a supprimé 49 lois de la liste des abrogations proposées. En revanche, elle a complété l’abrogation de la loi du 30 mai 1972 relative au contentieux des dommages de guerre par celle de la loi du 9 avril 1952 portant modification des articles 48 à 58, 60 et 61 de la loi du 28 octobre 1946 sur les dommages de guerre.
Madame la ministre, je souhaite une nouvelle fois souligner la qualité de notre collaboration avec les agents de vos services et avec ceux de la direction des affaires juridiques de Bercy. Dans un laps de temps très contraint, nos administrateurs respectifs ont réalisé un travail à la fois très vaste et particulièrement méticuleux ; je tiens à les en remercier.
En conclusion de mon propos, je remercie également Vincent Delahaye de son implication au sein de cette mission de simplification législative pour faire la chasse aux fossiles législatifs, mais aussi de la compréhension bienveillante dont il a fait preuve à l’égard de notre méthode de travail prudente, qui permet in fine de conserver 70 % des abrogations initialement prévues. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’emblée de saluer l’ampleur du travail réalisé par M. Vincent Delahaye, auteur de la proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit, et par votre rapporteure, Mme Catherine Di Folco.
Le texte que nous examinons aujourd’hui dépasse les clivages. Simplifier notre action publique et ainsi simplifier notre droit : voilà un objectif que nous partageons tous et qui doit tous nous mobiliser.
Une première proposition de loi tendant à améliorer la lisibilité du droit par l’abrogation de lois obsolètes promulguées entre 1880 et 1940 a déjà été adoptée avec le soutien du Gouvernement. Ce nouveau texte permet de balayer la période allant de 1940 à 1980.
Le texte qui vous est ici présenté est le résultat d’une collaboration fructueuse entre le Sénat et le Gouvernement. M. Delahaye et Mme la rapporteure ont en effet étroitement associé le Gouvernement et le Conseil d’État à leurs travaux, qui ont conduit à proposer la suppression d’environ 110 lois obsolètes à l’issue de la procédure de législation en commission qui a été suivie la semaine dernière.
Alors que nous disons souvent dans notre pays que nul n’est censé ignorer la loi, le volume des normes en vigueur aujourd’hui est devenu illisible pour la plupart de nos concitoyens, qu’ils soient usagers du service public, entrepreneurs ou simples citoyens. Cette inflation législative résulte d’une tendance à vouloir toujours plus répondre aux enjeux de l’action publique et aux problèmes de société par la norme et par la loi.
Avec cette proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous contribuez indéniablement à la qualité et à l’applicabilité du droit. Je sais que le Sénat est particulièrement sensible à cette exigence fondamentale.
Vous connaissez l’attachement que je manifestais déjà en tant que députée à la qualité et à la simplicité du droit ; aujourd’hui, en tant que ministre, je continue à exprimer cette préoccupation. En effet, dans ce chantier de simplification normative, le Gouvernement prend lui aussi sa part.
Ainsi, depuis 2017, nous avons imposé que la création d’une norme réglementaire autonome s’accompagne toujours de l’abrogation de deux normes de même niveau. Nous avons en parallèle réduit drastiquement le nombre de circulaires publiées et nouvelles. Le résultat est là : le nombre de pages publiées sur Légifrance n’a jamais été aussi bas depuis 2004. Nous sommes revenus près de vingt ans en arrière !
Les projets de loi que nous présentons portent dans leurs contenus mêmes ce même objectif de simplification. C’est le cas du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 4D, que vous examinerez dans les semaines à venir. C’était déjà le cas de la loi pour un État au service d’une société de confiance, dite Essoc, qui a instauré le droit à l’erreur, mais aussi de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte, et de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite ASAP, qui ont supprimé de nombreux comités Théodule, comme on les appelle parfois, et simplifié de nombreuses démarches pour nos concitoyens.
Je profite de cette intervention pour élargir mon propos.
Comme l’a souligné le Président de la République lors de son intervention à l’occasion de la Convention managériale de l’État, le 8 avril dernier, la complexité administrative est source d’injustice et d’inefficacité. C’est l’esprit qui préside à la réforme de la haute fonction publique que j’ai présentée hier en conseil des ministres : nous devons passer d’une culture de production de la norme à une culture du résultat sur le terrain, c’est-à-dire à une culture de l’impact concret de notre administration et de nos réformes, jusqu’au dernier kilomètre, pour chacun de nos concitoyens.
Cette efficacité implique et exige la proximité, l’accessibilité et la bienveillance des services publics, pour que chacun accède à ses droits et que les projets sortent de terre.
J’ai ainsi engagé des chantiers qui sont à mon sens plus porteurs de simplification qu’une loi ou qu’un plan. Nous avons établi un baromètre partagé, transparent et accessible à chacun sur le site du Gouvernement, de manière à connaître, département par département, les résultats de l’action publique. Ainsi, chaque élu, chaque citoyen, toute personne, peut avoir des outils d’évaluation de l’action publique.
Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous menons aussi un acte de déconcentration des moyens budgétaires, des moyens de ressources humaines et des pouvoirs de décision pour renforcer ceux qui sont sur le terrain, les préfets et les sous-préfets.
Nous cherchons à accroître encore les possibilités de différenciation du droit et d’expérimentation. Nous voulons renforcer notre culture du service et du guichet, avec un visage accessible aux usagers.
Enfin, nous sommes en train de relancer fortement le dispositif France Expérimentation, qui permet à tout projet économique ou social innovant de solliciter une dérogation à une règle de droit devenue inadaptée aux enjeux d’aujourd’hui. Le principe est simple : la loi d’hier ne doit pas empêcher le progrès d’aujourd’hui et de demain.
Je tiens enfin à saluer la méthode rigoureuse et l’esprit constructif qui ont guidé ces travaux, en bonne intelligence entre le Gouvernement et le Parlement.
Nous avons ainsi identifié, avec Mme la rapporteure, en commission des lois, dans le cadre de la procédure de législation en commission, plusieurs dispositions sur lesquelles un doute subsistait quant à la nécessité de leur abrogation.
Dans un souci de sécurité juridique, qui ne doit pas nuire à la démarche qui est la vôtre, vous avez donc supprimé plusieurs dispositions d’abrogation des lois, suppressions sur lesquelles j’ai émis un avis favorable.
Au total, vous l’aurez compris, parce que cette proposition de loi se fixe un objectif largement partagé par le Gouvernement, en particulier par mon ministère, je lui donnerai, comme je l’ai fait en commission des lois la semaine dernière, un avis favorable. Ce texte trouve pleinement sa place dans l’action que nous menons résolument pour une plus grande clarté et une plus grande efficacité de l’action publique au service de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « vous avez aimé Balai I, vous adorerez Balai II ». (Sourires.) Voilà ce que j’ai dit en sollicitant la cosignature de mes collègues sur cette proposition de loi qui vise à abroger un certain nombre de textes obsolètes et inutilisés.
Je tiens à remercier Valérie Létard, mais aussi l’ensemble des collègues des différents groupes, qui ont accepté en grand nombre de cosigner cette proposition de loi, laquelle me semble faire œuvre utile. Je remercie aussi le président Gérard Larcher, qui a inscrit dans son programme de mandature cette opération balai, qui porte bien son nom… Il est en effet justifié que l’on passe du temps à essayer d’alléger notre droit de textes qui l’encombrent et qui nuisent à sa lisibilité, donc à sa bonne application.
Balai I s’est soldé par la suppression de quarante à cinquante textes, Balai II s’attaque aux textes de 1940 à 1980 et entendait supprimer un peu plus de 160 lois. J’adresse des remerciements à Mme la rapporteure de la commission des lois, à Mme la ministre et au Conseil d’État, ayant eu l’occasion de participer à une session de son assemblée générale. Je me suis rallié à leur préoccupation au nom du principe de précaution, que nous connaissons bien, et du principe de prudence, cher aux experts-comptables. Il est en effet apparu que certains textes pouvaient avoir encore des applications et qu’il était préférable de s’abstenir. Dans le doute, nous nous sommes donc abstenus.
J’ai approuvé cette démarche de retrait de textes dont la suppression aurait pu porter à conséquences. Je citerai l’exemple du comité interprofessionnel du cassis de Dijon. Le Conseil d’État a relevé que, si ce comité interprofessionnel a été dissous en 2017, certaines décisions pourraient néanmoins s’appuyer sur son existence et pâtir de sa suppression.
Nous avons bien fait de nous abstenir, parce que ce travail se veut consensuel ; il s’inscrit non pas dans un débat d’opportunités, mais plutôt dans une démarche de long terme. Les textes qui ont été retirés de cette proposition de loi par voie d’amendements feront l’objet d’une étude approfondie par la commission, par le Gouvernement ou par le Conseil d’État, afin que soient levés les doutes les concernant.
Nous aurons donc l’occasion d’y revenir : sans livrer de scoop, je peux vous indiquer qu’un Balai III est en préparation, qui sera consacré aux collectivités territoriales, concernées par des normes dont le nombre atteint plus de 400 000 aujourd’hui.
À ce titre, je suis heureux d’entendre Mme la ministre nous rappeler sa démarche de simplification des normes et des circulaires visant à diminuer un peu ce qui encombre notre vie démocratique.
Comme candidat sénateur, je m’étais engagé à essayer de faire accepter l’idée qu’à chaque nouvelle loi nous en supprimions deux. Ce serait un bon principe à appliquer, madame la ministre, pour obliger les administrations qui préparent les textes de loi à en supprimer progressivement et à s’attaquer ainsi au stock de textes sans se concentrer uniquement sur le flux, quand bien même celui-ci est important.
Comme le relevait le Conseil d’État en 1991, « qui dit inflation dit dévalorisation : quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite ». Il faut se méfier, car trop de textes tuent le texte ! On dit aux citoyens que nul n’est censé ignorer la loi, mais, s’il y a trop de textes, ils finissent par s’y perdre.
Cette démarche de clarté et de lisibilité que nous cherchons à promouvoir est une action de long terme. Nous allons la poursuivre et nous saurons faire preuve de persévérance pour aller plus loin.
Madame la ministre, madame la rapporteure, je vous remercie de votre avis favorable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au 25 janvier 2019, le volume du droit français en vigueur s’élevait à 84 619 articles législatifs et 233 048 articles réglementaires.
Alors qu’un célèbre adage énonce que « nul n’est censé ignorer la loi », il semble aujourd’hui difficile, pour nombre d’entre nous, a fortiori pour nos concitoyens, de ne pas pâtir du manque de lisibilité du droit en vigueur.
Année après année, au gré d’une inflation législative constante, dont nous sommes parfois responsables, les productions normatives s’accumulent, quitte à parfois se contredire.
Une telle situation est regrettable ; elle met évidemment le législateur devant ses responsabilités, car, comme le disait Montesquieu en 1748, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Il est donc de notre devoir, en tant que parlementaires, d’édicter le droit, mais aussi de rendre la loi intelligible pour chacun de nos concitoyens.
Or la présence dans notre législation de véritables « fossiles juridiques » ne facilite aucunement sa compréhension par les Français. C’est afin de remédier à cette problématique qu’a été créée au mois de janvier 2018 la mission Balai, pour bureau d’annulation des lois anciennes et inutiles – je salue d’ailleurs les auteurs de cet acronyme ! (Sourires.) –, visant à améliorer la lisibilité du droit français en abrogeant les lois devenues obsolètes ou désuètes. Ce chantier, engagé sous la houlette de Vincent Delahaye et Valérie Létard, a abouti à l’adoption par le Sénat de la loi Balai I, au mois de mars 2019.
C’est dans la continuité de ces travaux que nous est aujourd’hui soumise cette nouvelle proposition de loi ayant pour objectif l’abrogation de 115 textes législatifs édictés entre 1940 et 1980.
Les catégories de lois visées rendent explicite la nécessité de cette démarche. Il s’agit, par exemple, de textes s’inscrivant dans le prolongement de la Seconde Guerre mondiale ou dont l’objet était tout simplement devenu obsolète, comme la loi du 30 décembre 1959 relative au passage au nouveau franc dans les départements d’outre-mer. Il peut encore s’agir de lois dont les effets juridiques étaient bornés dans le temps ou des textes législatifs au sein desquels ne subsistent que des dispositions d’abrogation, d’application ou d’entrée en vigueur, ainsi que l’a rappelé le Conseil d’État.
La volonté d’épurer notre droit de tous ses fossiles législatifs revêt un intérêt évident, particulièrement si les lois abrogées étaient susceptibles d’entrer en contradiction avec des législations aujourd’hui en vigueur, créant de fait une insécurité juridique pour les justiciables. C’est d’ailleurs la principale motivation de cette démarche. En ce sens, si, de prime abord, la portée de cette proposition de loi peut sembler cosmétique, elle permet néanmoins une déflation bienvenue de nos normes juridiques.
Il a fallu le travail méticuleux de nos collègues de ce bureau, dont nous partageons les objectifs, et de notre rapporteure Catherine Di Folco pour consolider la sécurité juridique de ce texte, car il ne fallait pas se laisser entraîner dans des abrogations allant au-delà du nécessaire.
Abroger les lois qui n’ont plus qu’un intérêt archéologique ou anecdotique ne peut que contribuer à faciliter l’accessibilité et la compréhension de la législation réellement applicable.
Pour cette raison, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se prononcera en faveur de l’adoption de cette proposition de loi dont il remercie les auteurs et la rapporteure. J’associe à cette explication de vote Hussein Bourgi, qui a particulièrement suivi ce texte, mais qui est retenu dans son département.
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Dany Wattebled. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans la suite logique de la mission de simplification législative dite Balai, créée par le bureau du Sénat au mois de janvier 2018. Elle marque la deuxième étape d’une opération qui, au nom de la crédibilité du droit et de sa lisibilité, a pour ambition de supprimer des textes adoptés entre 1940 et 1980.
Dans sa version initiale, ce texte proposait l’abrogation de 163 lois. Cette initiative apporte une simplification utile : nous constatons tous une inflation législative et normative.
Évidemment, bien des lois sont rendues nécessaires par la multiplication des sources du droit, tant externes, notamment en raison de la transposition de directives européennes, qu’internes. Cette prolifération normative s’explique également par l’émergence de nouveaux domaines et l’apparition de contraintes nouvelles.
Ainsi, en matière économique, de nombreux aspects du droit font l’objet d’adaptations à un environnement mondialisé. La libéralisation du secteur des transports ou de l’énergie requiert l’instauration de règles spécifiques. Dans le domaine scientifique, le développement des biotechnologies rend nécessaire la révision régulière des lois sur la bioéthique. L’essor des technologies de l’information et de la communication a notamment suscité la mise en place d’un cadre juridique adapté au développement de l’économie numérique et une autre approche de la propriété intellectuelle. La nécessité de la sauvegarde de l’environnement et du développement durable entraîne également l’intervention fréquente du législateur.
Néanmoins, le nombre de lois semble connaître une croissance exponentielle dont les causes sont très souvent liées à notre pratique législative, dénoncée par d’éminents juristes.
N’aurions-nous pas tendance à légiférer pour un oui ou pour un non ? Le professeur de droit Jean Carbonnier disait à ce propos : « À peine apercevons-nous le mal que nous exigeons le remède ; et la loi est, en apparence, le remède instantané. Qu’un scandale éclate, qu’un accident survienne, qu’un inconvénient se découvre : la faute en est aux lacunes de la législation. Il n’y a qu’à faire une loi de plus. Et on la fait. Il faudrait beaucoup de courage à un gouvernement pour refuser cette satisfaction de papier à son opinion publique. »
Pour le constitutionnaliste Guy Carcassonne, « tout sujet d’un “vingt heures” est virtuellement une loi », ajoutant : « Il faut, mais il suffit, que [ce sujet] soit suffisamment excitant, qu’il s’agisse d’exciter la compassion, la passion, ou l’indignation, pour qu’instantanément se mette à l’œuvre un processus, tantôt dans les rangs gouvernementaux, tantôt dans les rangs parlementaires, qui va immanquablement aboutir au dépôt d’un projet ou d’une proposition [de loi]. »
Si l’inflation est législative, elle est également réglementaire. À cet égard, un important travail de toilettage pourrait être entrepris, d’autant plus qu’il existe davantage de textes réglementaires que de textes législatifs. Cela a été rappelé, au 25 janvier 2019, le volume du droit consolidé en vigueur était de près de 85 000 articles législatifs et de 233 000 articles réglementaires.
La multiplication des normes et l’allongement des textes constituent des facteurs d’obscurité, de confusion et de complexité qui nuisent gravement à l’efficacité des politiques publiques, à la sécurité juridique et à l’attractivité économique de notre pays.
Dans De l’Esprit des lois, Montesquieu écrivait déjà que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Trois siècles plus tard, ce constat n’a rien perdu de sa pertinence. Si nous avons des difficultés à lutter contre l’inflation législative, nous pouvons, pour le moins, abroger ce qui n’a plus lieu d’être.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient donc très fortement cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il devient de plus en plus difficile de répéter que nul n’est censé ignorer la loi, quand la frénésie du législateur porte le nombre de normes à des niveaux qui ne permettent raisonnablement à personne de connaître l’ensemble des textes qui nous régissent : pas moins de soixante-quatorze codes et d’innombrables lois et ordonnances.
L’obsolescence programmée, contre laquelle nous avons voté une loi, ne concerne pas nos textes, malheureusement. Pourtant, comme certains produits naissent d’effets de mode exploités à but lucratif, certaines lois peuvent naître d’effets d’affichage exploités à des fins politiques.
Devant ce constat partagé et afin de permettre aux citoyens comme aux juges de mieux s’y retrouver, le bureau du Sénat a mis en place dès 2018 une mission Balai, dont le nom on ne peut plus explicite reflète l’ambition de se débarrasser des lois inutiles, que d’aucuns qualifient de « fossiles législatifs ».
De cette mission est née une première loi d’abrogation qui a porté sur une cinquantaine de textes adoptés entre 1800 et 1940. Le texte que nous nous apprêtons à voter porte sur plus du double de textes : plus d’une centaine de lois sur les 169 qui y étaient initialement inscrites.
Je salue le travail minutieux de notre rapporteure, de la commission et des administrateurs. Certaines lois, d’apparence obsolète, ont été conservées, à l’instar de la loi qui concerne les pensions de certains pompiers volontaires. Il faut saluer la prudence avec laquelle certaines lois ayant depuis été codifiées ont été conservées. En effet, la prudence est de mise lorsque les conséquences de la volonté de clarification du droit sont incertaines.
Cette retenue devrait aussi nous guider dans l’écriture du droit, l’inflation législative étant, hélas, un écueil que le Gouvernement, comme le Parlement, peine parfois à éviter pour des raisons bien trop politiciennes. « Un fait divers, une loi » : nous devons sortir de ce cycle infernal.
Certains ne verront dans ce nettoyage qu’une action cosmétique. Il n’en est rien. Il nous incite, voire nous oblige, à mieux appréhender note rôle de législateur et la retenue dont nous devons faire preuve dans la création normative qui reste notre rôle. Il invite aussi le Gouvernement à continuer, voire à amplifier le processus de codification permettant un accès facilité et lisible au droit applicable par l’ensemble des citoyens, notamment via le site legifrance.gouv.fr, récemment rénové.
Oserais-je dire qu’il oblige le Gouvernement à s’appliquer à lui-même le principe inscrit dans la circulaire du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact, selon lequel « toute nouvelle norme réglementaire doit être compensée par la suppression ou, en cas d’impossibilité avérée, la simplification d’au moins deux normes existantes » ?
Les attentes des citoyens et des collectivités locales sont réelles et les bafouillages des derniers mois, lors de la crise sanitaire, n’ont fait qu’empirer la perception d’un État kafkaïen qui norme à l’infini, sans cohérence. Nombre de citoyens, entrepreneurs et associations peinent à naviguer entre les injonctions juridiques et à percevoir de manière fiable le cadre juridique qui leur permet d’agir.
Pourtant, M. Dussopt, votre prédécesseur sur ce banc lors de la lecture de la première loi Balai, madame la ministre, a affirmé que « le Gouvernement [avait] décidé d’insérer, dans chaque projet de loi, un volet dédié à la simplification ».
Aussi, notre chambre des territoires, qui attend avec impatience l’examen du projet de loi 4D, pour déconcentration, décentralisation, différenciation, décomplexification, renommé 3DS, pour déconcentration, décentralisation, différenciation, simplification, reste très attentive aux difficultés des maires, qui n’arrivent pas toujours, sans un appui en ingénierie juridique, à naviguer dans les méandres des normes applicables. Parfois, construire un simple jardin d’enfants n’est pas un jeu d’enfant ! (Sourires.)
Enfin, par ces abrogations, nous sécurisons l’ensemble de notre système en facilitant le travail des juges et de tous les professionnels du droit. C’est pourquoi, au-delà des clivages politiques, nous serons sans doute unanimes pour voter la suppression de ces lois obsolètes et redonner tout leur sens, toute leur place, voire toute leur noblesse aux lois utiles.
Aussi, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme cela avait déjà été le cas lors de l’examen de la proposition de loi Balai I, la conférence des présidents a décidé de recourir, en application de la réforme du règlement du Sénat adoptée le 14 décembre 2017, à la procédure de législation en commission pour la discussion du texte qui nous réunit aujourd’hui.
Vous nous l’aviez annoncé à l’époque, cher Vincent Delahaye : l’initiative d’amélioration de la lisibilité du droit devait conduire au dépôt de nouveaux textes, tant la tâche en la matière est immense.
En effet, la subsistance de lois obsolètes dans l’ordre juridique présente deux inconvénients majeurs. D’une part, elle fragilise l’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » ; d’autre part, elle nuit aux principes constitutionnels de clarté, d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.
Le précédent texte, devenu depuis la loi du 11 décembre 2019 et traduisant les premiers travaux du bureau d’abrogation des lois anciennes et inutiles, créé par le Sénat au mois de janvier 2018, proposait d’abroger 44 lois. À l’issue des travaux de la commission et du travail de la rapporteure de l’époque, Mme Nathalie Delattre, 49 lois adoptées entre 1819 et 1940 ont finalement été totalement ou partiellement abrogées.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’attaquait initialement à l’abrogation de 163 lois manifestement obsolètes, promulguées sur une période comprise entre 1941 et 1980, dont les dispositions encore en vigueur ont épuisé leurs effets en raison de leur objet même.
Les travaux de Mme la rapporteure, conduits avec vigilance et une extrême prudence, ont mené à la suppression de l’abrogation de 49 lois visées par le texte initial, chaque fois qu’un doute sur les conséquences juridiques résultant de leur abrogation subsistait.
Il faut reconnaître que la complexité et la délicatesse de la manœuvre d’amélioration s’accroissent à mesure qu’avancent les travaux de la mission Balai. Les prochains textes qui en seront issus devraient d’ailleurs consister à abroger des dispositions que le juge a déclarées inconventionnelles ou des malfaçons législatives, ainsi que des contradictions entre plusieurs textes en vigueur. Je soumets cette idée ! (Sourires.)
En définitive, ce travail d’élagage de notre législation, s’il est nécessaire, relève de la responsabilité qui est la nôtre en tant que législateur. Le Président de la République s’est engagé en faveur de la maîtrise de la production législative lors de son discours devant le Parlement réuni en Congrès le 3 juillet 2017.
La circulaire du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact institue la règle dite du deux pour un, prévoyant la suppression ou, en cas d’impossibilité avérée, la simplification, de deux normes existantes pour toute nouvelle norme réglementaire.
Pour poursuivre ce mouvement de simplification des normes législatives, dans une communication du 12 janvier 2018, le Premier ministre a annoncé que chaque projet de loi devrait, à l’avenir, inclure un titre comportant des mesures de simplification législative. Par ailleurs, sur l’initiative du Conseil d’État, le secrétariat général du Gouvernement a élaboré un tableau de bord des indicateurs de suivi de l’activité normative, qui a été mis en ligne le 7 mars 2018.
Le Sénat a pris sa part dans ce travail colossal, puisqu’il est à l’origine de nombreuses initiatives de rationalisation de la production du droit. J’ai à l’esprit cette mission Balai, mais également le renforcement du contrôle des irrecevabilités sur la base des articles 41 et 45 de la Constitution, sur proposition d’Alain Richard et de Roger Karoutchi, ou encore la mission confiée en 2014 par le bureau à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation d’évaluer et de simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales.
Pour ne pas allonger davantage nos débats et dans la continuité de notre vote lors de l’examen de la précédente proposition de loi Balai et des travaux du Sénat, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants se prononcera en faveur de ce deuxième volet, ainsi modifié.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Bernard Fialaire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je dois me faire pardonner de vous priver de l’accent du Lot du président de notre groupe, Jean-Claude Requier, retenu par la visite du Président de la République dans son département. (Sourires.)
Dans maintenant moins d’un mois, le peloton du tour de France s’élancera depuis Brest avec l’espoir que nos champions français, comme Julian Alaphilippe ou Romain Bardet, viennent briller sur les routes de nos départements.
M. Michel Canévet. Très bien !
M. Bernard Fialaire. Derrière eux s’élancera également une camionnette blanche qui fera cauchemarder les compétiteurs. Sa mission est bien précise : ramasser les coureurs jetant l’éponge au cours de l’étape. Vous la reconnaîtrez facilement : elle est habillée d’un autocollant portant la mention « voiture-balai ». (Nouveaux sourires.)
Je me réjouis que notre Parlement ait aussi institué sa propre « voiture Balai » et que celle-ci fasse son œuvre pour la deuxième fois. Le travail législatif, comme le cyclisme, est un sport d’endurance et nos lois aussi doivent savoir jeter l’éponge lorsqu’elles cessent d’être normatives.
Ce projet a été initié dès 2018 via une mission ayant pour objectif d’améliorer la clarté et l’accessibilité de la loi et visant, dans un premier temps, à recenser les lois inappliquées et inapplicables et à élaborer des propositions de loi tendant à les abroger.
Par le biais d’un premier texte, dont Nathalie Delattre était rapporteure, un premier balayage des lois adoptées entre 1800 et 1940 a pu être réalisé. Avec ce nouveau texte, nous envisageons à présent les années allant de 1941 à 1980.
Je rejoins ceux qui ont souligné l’important travail accompli pour l’élaboration de cette proposition de loi. La liste des textes concernés est le fruit d’une fouille minutieuse, précise et patiente. Elle dit aussi quelque chose de notre histoire et des événements qui ont construit notre société.
Il en est ainsi de la loi du 11 avril 1946 ayant pour objet de permettre aux femmes d’accéder à la magistrature, que la commission a finalement désiré conserver symboliquement, de la loi du 12 juillet 1978 portant diverses mesures en faveur de la maternité ou encore de la loi du 31 juillet 1968 relative aux forclusions encourues du fait des événements de mai et juin 1968.
Cette proposition de loi nous offre aussi un rapide voyage à travers la diversité des métiers que connaît notre pays et qu’il faut soutenir : la loi du 22 avril 1944 relative au travail de nuit dans la boulangerie, celle du 31 décembre 1971 relative à l’exercice de la profession d’infirmier ou d’infirmière dans les départements d’outre-mer ou encore celle du 26 juillet 1957 modifiant le statut des travailleurs à domicile.
Ensuite, il me faut aussi saluer la prudence dont a su faire preuve la commission des lois, qui a scrupuleusement vérifié, pour chacun des textes, que son abrogation n’entraînerait pas la moindre conséquence juridique. L’effort de clarté ne doit pas être accompagné d’un risque d’imprévisibilité. En définitive, plus d’une centaine de lois seront abrogées si le texte est adopté en l’état.
Il nous reste, malgré tout, à nous interroger quant aux objectifs de cette proposition de loi : lutter contre la prolifération des lois, contre l’accroissement du volume législatif ou encore participer à la clarté, à l’intelligibilité, à l’accessibilité et à la normativité de la loi. Je ne doute pas que ce texte y participe. Toutefois, nous le savons bien, ce qui porte le plus atteinte à la lisibilité du droit, ce ne sont pas les lois obsolètes que nous abrogeons, mais davantage le flux et le reflux des réformes incessantes.
Ainsi, le projet de loi 3D, dont nous entamerons bientôt l’examen, en est une parfaite illustration. Depuis 1982, notre administration locale est maniée, remaniée et sans cesse réformée. Or c’est ici que se joue la question de l’intelligibilité du droit.
Nous avons salué, il y a presque quarante ans, l’entrée dans cette nouvelle ère de la décentralisation. Depuis, les actes décentralisateurs se succèdent, au point de jouer contre nos administrations, lesquelles espèrent aujourd’hui non seulement de la clarté et de la simplicité dans leur droit, mais également de la stabilité et davantage de continuité normative.
Assimiler chaque réforme, chaque changement, c’est faire usage d’une énergie qui n’est pas dépensée ailleurs, c’est-à-dire qui n’est pas consacrée à l’administration de nos territoires.
Le texte que nous examinons aujourd’hui doit nous rappeler qu’il nous revient d’endiguer cette tendance, hélas devenue durable, de l’inflation législative. À l’avenir, nous devrons nous efforcer de contenir notre désir de loi.
Cette dernière remarque n’enlève rien à la qualité du texte que nous discutons et que le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen soutiendra unanimement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la démarche vertueuse engagée avec la loi Balai I, qui a supprimé 49 lois obsolètes sur la période 1819-1940, se poursuit aujourd’hui avec l’abrogation de 115 lois également obsolètes, qui ont été adoptées entre 1940 et 1980.
Cette démarche est d’ailleurs appelée à se prolonger, puisqu’une troisième proposition de loi concernant les collectivités territoriales est déjà en cours de préparation.
Je tiens à remercier Vincent Delahaye et Valérie Létard, qui ont pris l’initiative non seulement de ces deux propositions de loi, mais aussi de la mission Balai, acronyme pour bureau d’annulation des lois anciennes et inutiles, dont les travaux ont abouti à l’élaboration de ces textes.
Il s’agit d’un travail législatif d’ampleur, marqué du sceau du Sénat, celui du sérieux de la Haute Assemblée qui, au-delà de la pluralité des expressions qu’elle autorise, sait prendre la hauteur de vue nécessaire pour servir le pouvoir législatif qu’elle incarne pour moitié.
Il s’agit en quelque sorte d’une « méta-loi », en d’autres termes d’une loi qui traite de la loi.
Réduire le stock des dispositions législatives permet d’éviter tout risque de confusion avec des lois ultérieures et d’améliorer la lisibilité de notre droit, comme l’expliquait Nathalie Delattre, alors rapporteure de la commission des lois sur la proposition de loi Balai I. Le groupe CRCE en est convaincu, comme il est convaincu que cette chasse aux « fossiles législatifs » permet d’atteindre les objectifs constitutionnels de clarté, d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.
Aussi cette proposition de loi très consensuelle pouvait-elle se prêter à la procédure de législation en commission – vous savez pourtant ce que j’en pense ! (Sourires.) –, d’autant que les amendements déposés et votés avec prudence par la commission des lois, après avis du Conseil d’État et des ministères concernés, n’appellent pas de commentaires particuliers.
Sur le fond, si je prolonge un peu la réflexion sur notre manière de faire ou de défaire la loi, je m’interroge : les conditions souvent difficiles dans lesquelles nous sommes amenés à légiférer ces dernières années – la situation empire sous ce quinquennat et au fil des réformes du règlement du Sénat – nous conduisent souvent à le faire dans l’urgence et, parfois, mal, il faut le reconnaître.
L’ordre du jour souvent encombré, le manque de visibilité sur le calendrier des travaux, la réduction des temps de parole, la procédure accélérée trop souvent engagée par le Gouvernement nuisent à une bonne élaboration de la loi. Tout cela a récemment conduit le Conseil constitutionnel à censurer de nombreuses dispositions, comme dans la loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine ou la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, ou à inciter le Parlement à légiférer, comme sur la question de la dignité en détention. Dans ce cadre, le Sénat est souvent amené à jouer le rôle de correcteur de la loi.
En outre, l’amoncellement de lois de circonstance ou de lois électoralistes, par exemple sur le thème de la laïcité ou sur celui de l’irresponsabilité pénale dernièrement, ne contribue pas non plus à la bonne lisibilité de notre droit, ni au sérieux de nos travaux.
Je ferai moi aussi référence à la fameuse mise en garde de Montesquieu : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Il y aurait en effet de quoi s’interroger sur l’utilité et la nécessité des lois que nous produisons. Pour chaque loi, nous ne devrions nous poser qu’une seule question : quelle utilité et quelle nécessité y a-t-il à légiférer en ce sens, à ce moment précis, pour servir l’intérêt général ?
Ces quelques réflexions que je vous livre n’entament évidemment en rien notre vote en faveur de ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Yves Bouloux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qu’il nous est donné d’examiner aujourd’hui tend à améliorer la lisibilité du droit par l’abrogation de lois obsolètes.
Je salue le travail remarquable accompli par les membres de cette mission, dont l’objet est de recenser les lois inappliquées ou obsolètes.
C’est un véritable travail d’orfèvre qui ne laisse aucune place à l’erreur. Les conséquences de l’abrogation d’un texte qui servirait encore de base légale à des actes réglementaires seraient en effet dramatiques en termes de sécurité juridique.
Les travaux menés par la mission Balai doivent être poursuivis sur le long terme. Ils garantissent l’effectivité des objectifs constitutionnels de clarté, d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.
Les propositions de loi qui en résultent contribuent non seulement à réduire le stock de normes et à éviter tout risque de confusion avec des lois ultérieures, mais aussi à améliorer la lisibilité de notre droit.
Si la première proposition de loi issue des travaux de cette mission prévoyait d’abroger une cinquantaine de lois, cette deuxième proposition de loi a pour ambition de supprimer 160 textes.
Cette montée en puissance des travaux de la mission va dans le bon sens. Trop de lois rendent en effet la société trop complexe. Plus encore qu’abroger des lois inapplicables ou inappliquées, il ne faudrait légiférer que lorsque cela est utile.
Depuis le début de cette XVe législature, 174 lois ont été promulguées, dont 47 pour la seule année 2020.
M. Arnaud Bazin. C’est trop !
M. Yves Bouloux. Seront-elles toutes utiles ?
Le projet de loi portant réforme du code pénal, déposé par Robert Badinter en 1986, ne comportait que 108 pages et environ 300 articles. Aujourd’hui, ce même code pénal compte 396 pages et plus d’un millier d’articles. Les Français ont-ils le sentiment d’être mieux protégés ? Assurément non ! En revanche, la tâche des officiers de police, de la gendarmerie et de la justice s’est complexifiée.
Le risque, amplifié par les réseaux sociaux, est que l’on traduise chaque fait divers en une loi qui, dans bien des cas, est inapplicable ou inappliquée, faute de disposer de moyens suffisants pour le faire.
Mieux légiférer, mieux évaluer, c’était le sujet d’un rapport d’information de l’Assemblée nationale publié en 2014. Plus que l’objectif d’intelligibilité, c’est bien celui de la qualité de la loi qui doit être visé.
L’exemple de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ÉLAN, doit nous interpeller : le texte initial ne comportait que 65 articles, quand la loi promulguée en comprend 634 ; 569 articles, introduits par le biais d’amendements qui ont parfois été déposés par le Gouvernement lui-même, n’ont donc donné lieu à aucune étude d’impact. Deux ans et demi après la promulgation de la loi, nous sommes toujours dans l’attente de la publication de mesures réglementaires.
La proposition de loi que nous examinons contribue à une importante clarification du droit, mais il est tout aussi important de mieux légiférer que d’abroger les textes obsolètes.
Vous l’aurez compris, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi tendant à abroger des lois obsolètes pour une meilleure lisibilité du droit.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures vingt, est reprise à quinze heures vingt-cinq, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
Régulation des Gafam
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la régulation des Gafam.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la simple évocation de leurs noms suffit à nous plonger dans l’univers de la démesure : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – les Gafam.
Au fur et à mesure qu’elles ont tracé leur chemin, ces cinq superstars de la technologie ont pratiquement changé tout ce qu’elles touchaient.
Elles ont aspiré tant de données, embauché tant d’ingénieurs de haut niveau et racheté tant de rivaux que l’étendue de leurs pouvoirs a totalement remodelé et redéfini l’univers technologique.
Le processus commence par les milliards de smartphones qui se trouvent dans nos poches. Ils sont tellement pratiques que nous nous sommes avidement jetés dessus : nous avons ainsi confié des pans entiers de notre vie quotidienne à ces mini-supercalculateurs équipés de puces GPS, offrant des débits rapides et des caméras puissantes. Ils sont, de fait, devenus des appendices, voire le troisième hémisphère de notre cerveau.
Cette révolution numérique, alliée à l’instinct humain, a permis à une poignée de géants de dominer le secteur et à leurs créateurs de s’enrichir déraisonnablement.
Première conséquence évidente, ces quelques géants abusent de leur domination. Les énormes capitaux qu’ils accumulent leur permettent en effet de racheter toutes les sociétés qui pourraient contrarier leur situation monopolistique, comme l’ont fait Facebook avec Instagram et WhatsApp ou Google avec YouTube.
À présent, les obstacles pour empêcher les nouveaux entrants d’intégrer le marché sont tels que l’on imagine mal que certains puissent percer aux États-Unis. Cela pose un évident problème, puisque c’est précisément la concurrence qui stimule l’innovation.
Bien sûr, les Gafam sont régulièrement mis à l’amende par la Commission européenne, que ce soit pour abus de position dominante ou pour pratiques fiscales illicites.
Le dernier exemple en date est celui de Google, à qui la Commission européenne a infligé, au mois de mars 2019, une amende de 1,5 milliard d’euros pour avoir biaisé la concurrence au profit de sa régie publicitaire, Google AdSense, en imposant des restrictions contractuelles anticoncurrentielles aux autres sites web.
Ce n’est là qu’une péripétie dans une longue suite de sanctions décidées par la Commission européenne ou par diverses autorités européennes, qui visaient tour à tour Google, Apple, Facebook, Amazon ou Microsoft. Ces dernières années, Facebook a ainsi été condamné par différentes autorités européennes à régler plusieurs amendes pour pistage illicite.
Nous-mêmes, mes chers collègues, cherchons à faire évoluer la loi de façon à mieux protéger les données personnelles et la propriété intellectuelle.
Avouons qu’il s’agit d’un exercice qui revêt parfois un caractère kafkaïen, tant nos sacro-saintes libertés individuelles s’accordent de moins en moins avec la survie collective de notre société où l’horreur le dispute à la cupidité.
Au pays de la loi antitrust, les Gafam ont tranquillement fait main basse sur les données du monde et concentrent aujourd’hui la rente technologique, précisément parce qu’elle profite à l’économie américaine.
D’où la faiblesse de la riposte antitrust, même si l’Oncle Sam semble comprendre qu’il a accouché d’un monstre lorsqu’il se remémore cette phrase de John Sherman, instigateur de la première loi antitrust aux États-Unis en 1890 : « Si nous refusons qu’un roi gouverne notre pays, nous ne pouvons accepter qu’un roi gouverne notre production, nos transports ou la vente de nos produits. »
Assurément, la régulation des Gafam et la lutte contre leurs pratiques anticoncurrentielles ne peuvent se concevoir que sur plusieurs fronts, en l’occurrence dans les domaines législatif et géopolitique.
Certes, la guérilla judiciaire et réglementaire européenne a sa part d’efficacité, mais elle est condamnée à demeurer insuffisante.
Elle bute d’abord sur la divergence des intérêts européens, notamment avec le jeu discordant du Danemark, de l’Irlande et de la Suède. Elle bute ensuite sur l’absence d’un engagement budgétaire coordonné, susceptible de favoriser l’émergence d’acteurs européens.
Aujourd’hui, si la situation de quasi-monopole des géants de l’internet inquiète les économistes, elle inquiète également le monde politique.
En contrôlant la circulation de l’information, les Gafam disposent désormais d’un pouvoir politique démesuré. C’est la raison pour laquelle on entend parler avec insistance d’un démantèlement partiel.
L’asymétrie du rapport de force actuel pourrait laisser croire que c’est une utopie. Selon moi, il n’en est rien : au contraire, il est de notre devoir d’envisager très sérieusement cette option.
Nous pourrions emprunter une voie relativement douce, qui consiste à mieux contrôler la croissance externe des Gafam et à limiter de la sorte l’extension de leurs pouvoirs à d’autres secteurs, comme lorsque Google a acheté Waze ou DoubleClick.
Nous pourrions aussi emprunter une voie plus dure en optant pour le démantèlement des géants du numérique, à l’instar de ce qui a été fait avec la Standard Oil au début du XXe siècle ou AT&T au début des années 1980.
Pour être efficace, le régulateur doit aussi remonter à la source du problème. Démanteler ne sert à rien si rien n’empêche la reconstitution des monopoles.
Dans cette optique, il faut non seulement renforcer les réglementations et les possibilités d’interconnexion, mais aussi agir au niveau des acteurs qui arment financièrement les stratégies de concentration.
Les mesures de confinement prises un peu partout sur la planète pour tenter d’endiguer le virus ont encore renforcé la place du numérique dans nos vies et, par conséquent, accru le poids des géants du secteur. C’est logique : quand on s’ennuie, confiné chez soi, on passe beaucoup plus de temps sur ses écrans et, lorsque les magasins sont fermés, on achète en ligne.
Non seulement les plateformes sont devenues aussi riches que bien des États, mais elles ont acquis un haut degré de contrôle sur la communication politique.
Les Gafam ne se contentent pas de fausser le marché, ils menacent la démocratie. C’est grâce aux géants du numérique que les complotistes les plus délirants trouvent désormais une large et pernicieuse audience et déstabilisent nos démocraties, en jetant la suspicion sur toute parole émise par une personne exerçant une autorité ou détenant une expertise.
Ce sont les réseaux sociaux qui, par leurs algorithmes, nous enferment dans des bulles cognitives où nous ne croisons bientôt plus que des gens qui pensent comme nous, créant ainsi l’illusion que tout le monde pense comme nous.
Plus grave encore peut-être, les plateformes se sont dotées de la capacité d’influencer le débat politique en favorisant tel ou tel courant d’opinion, selon les convictions de leurs dirigeants et de leur personnel.
Je conclus en évoquant le 10 décembre 1957, date à laquelle Albert Camus a reçu le prix Nobel de littérature. Dans un discours mémorable, il décrit déjà l’état du monde soumis à l’extension du libéralisme et à un progrès technique de plus en plus liberticide. Dans ce discours plein de lucidité, il nous rappelle en quoi consiste réellement l’engagement pour préserver un monde décent et vivable.
Soixante-quatre ans plus tard, alors que s’ouvre notre débat, permettez-moi, mes chers collègues, de rappeler ici la mission que se fixait Albert Camus et que nous pourrions faire nôtre, alors que nous réfléchissons à la régulation des Gafam : « [Notre] tâche […] consiste à empêcher que le monde ne se défasse. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Olivier Cigolotti, André Gattolin et Éric Bocquet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, embrasser l’ère du numérique, c’est embrasser les occasions qu’elle offre à notre économie et à notre société, mais c’est aussi regarder en face les défis inédits que cette révolution lance à notre économie et à notre démocratie.
Pour le régulateur, l’ère de la maturité numérique revient à se donner les moyens de garantir que ce nouveau paradigme ne soit pas celui de la fin de l’État de droit, de l’ordre public en ligne, de la concurrence loyale ou de la protection des consommateurs.
Les modèles des plateformes numériques offrent à nos entreprises de nouvelles occasions de développement, mais l’essor de ces acteurs en Europe a aussi suscité risques et défis.
De grands acteurs ont aujourd’hui acquis un pouvoir de marché tel qu’ils seraient devenus incontournables mondialement et qu’ils sembleraient en mesure d’échapper aux régulations étatiques. Cette position crée des effets économiques néfastes, comme l’illustrent les pratiques de verrouillage de marché, les situations de rente ou encore la confiscation de l’innovation.
Ces vingt dernières années, nous avons également assisté à l’avènement des réseaux sociaux, devenus de véritables espaces publics de l’information et de la communication.
Pour autant, ces acteurs privés n’assument pas encore suffisamment les responsabilités démocratiques et juridiques que leur rôle implique.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement se mobilise depuis plus de trois ans pour la mise en œuvre d’un nouveau cadre de régulation des plateformes numériques. Il a œuvré pour que l’Union européenne se saisisse de manière ambitieuse de ce sujet.
Lorsqu’une partie croissante de nos vies dépend du numérique, ceux qui en maîtrisent les codes détiennent le pouvoir. L’absence de transparence des grands réseaux sociaux doit être regardée comme une aberration démocratique. Il appartient donc au régulateur public de répondre présent.
Dans ce contexte, nous avons d’abord agi à l’échelon national, en premier lieu, contre la désinformation et les fake news, grâce à la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information adoptée en 2018, en second lieu, contre la haine en ligne via des initiatives, comme le dispositif figurant dans le projet de loi confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme.
Ces initiatives nationales sont bien entendu nécessaires, car elles répondent à des enjeux démocratiques et républicains immédiats. Néanmoins, face à des acteurs mondialisés dont les activités transcendent les frontières, la régulation ne peut prendre sa véritable mesure qu’à l’échelle de notre continent, voire de la planète.
C’est dans cet esprit que la France soutient à l’échelon européen le Digital Services Act (DSA), un texte grâce auquel le Gouvernement a l’ambition d’encadrer les plateformes et leur politique de modération.
Se demander qui décide des règles sur les réseaux sociaux, c’est appeler à un retour du régulateur public et à une relation plus horizontale entre utilisateurs et opérateurs pour permettre au marketplace of ideas, le fameux « marché des idées » cher à John Stuart Mill, de retrouver son point d’équilibre.
Le Digital Services Act fixe des objectifs ambitieux que partage le gouvernement français : une responsabilisation des acteurs à la hauteur de leur rôle dans la diffusion des contenus, des obligations graduées et proportionnées à la taille des plateformes, l’expression d’un besoin de transparence sur la modération des contenus, ainsi qu’une supervision efficace avec à la clé des sanctions dissuasives pouvant aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires.
Ce texte mettra en place un nouveau régime juridique applicable aux plateformes numériques, les assujettissant à un devoir de diligence quant à leur politique de modération, par lequel le régulateur contrôlera l’adéquation des moyens mis en place par les opérateurs. C’est ainsi que nous protégerons les utilisateurs contre toute modération arbitraire de la part des plateformes et que nous garantirons la liberté d’expression sur celles-ci.
La semaine dernière encore, la France a plaidé au sein du Conseil « Compétitivité » pour un cadre réglementaire inédit, qui dépasserait la logique actuelle de signalement et de retrait, et ce afin de poser les bases d’un véritable encadrement des réseaux sociaux en matière de modération. Ce cadre fixerait des obligations de transparence et de moyens, mais aussi une obligation de coopération pour permettre aux autorités judiciaires de jouer leur rôle en termes de poursuites et de sanctions. Je remercie ici Cédric O, malheureusement retenu aujourd’hui, qui défend avec détermination ces sujets à l’échelon de l’Union européenne.
Nous souhaitons également que le projet de DSA soit complété, afin de renforcer les obligations des plateformes en ligne au regard des problèmes spécifiques que ces acteurs soulèvent, comme la vente de produits dangereux et la contrefaçon, mais également en vue d’assurer une information satisfaisante des consommateurs. Là encore, l’articulation entre le droit national et le droit européen est la clé de voûte d’une régulation efficace.
L’adoption de la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, dite Ddadue, a été l’occasion de le rappeler : en permettant à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, de bloquer les sites contrevenant à leurs obligations de conformité et de sécurité, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez rappelé le primat de la protection du consommateur.
De la même manière, les obligations que comporte le Digital Services Act devraient permettre d’assurer la protection des consommateurs français et européens et de garantir une concurrence loyale entre les plateformes et les industriels, importateurs et distributeurs français et européens.
Évoquer la régulation des contenus ne suffit pas : il faut également parler des phénomènes économiques qui sous-tendent les dérives que l’on constate.
La place des plateformes dans le débat public est à la mesure du quasi-monopole que celles-ci ont construit au fil des années. Cette situation résulte des caractéristiques propres à l’économie numérique : la gratuité apparente, les effets de réseau et la capacité à monétiser les données personnelles. En matière de plateforme numérique, « the winner takes all » – le gagnant prend tout. Pour empêcher cela, le régulateur a un rôle particulier à jouer.
Parvenir à réguler les réseaux sociaux implique d’avoir un système de coopération interétatique capable d’imposer des sanctions fortes.
Sans contrainte économique, pour reprendre les mots de Thierry Breton, les plateformes sont « too big to care », trop grandes pour faire attention. C’est tout l’enjeu du Digital Markets Act (DMA) également soutenu par la France à l’échelon européen.
Alors que les amendes pour abus de position dominante sont insuffisamment dissuasives, le Digital Markets Act prévoit une régulation ex ante et asymétrique, qui vise à compléter les outils concurrentiels actuels par des règles d’application immédiate pour les acteurs numériques structurants. Il ne s’agit donc pas de tuer la concurrence de plus petites plateformes qui viendraient à se développer.
Ces plateformes structurantes, ce sont les Gafam – elles ont été citées –, mais aussi les géants chinois que sont les BATX – Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi – ou certains géants européens. Nous souhaitons que le champ des acteurs visés reste limité à ces très grands acteurs et que les outils de régulation du DMA offrent davantage de souplesse grâce à un mécanisme de remédiation sur mesure du régulateur.
Le nouveau cadre doit en effet être suffisamment flexible pour permettre au régulateur de s’adapter à des pratiques en constante évolution.
À l’instar du DSA, le DMA marque une approche européenne innovante en matière de régulation du numérique et pose les jalons d’un nouveau droit de la concurrence, à la hauteur des défis de notre temps.
Plus largement, c’est en étudiant les failles des régulateurs passés que le Gouvernement a souhaité influencer le débat sur la place des géants du numérique à travers le monde. Aujourd’hui, il propose des solutions novatrices et courageuses. Nous avons ainsi été parmi les premiers pays à proposer une politique fiscale ferme à l’égard de ces acteurs. Cette décision s’est matérialisée par l’adoption de la taxe sur les services numériques en France.
C’est conscients de la force du multilatéralisme que, au sein de l’OCDE, nous poursuivons les négociations pour mieux agir et faire en sorte que les géants du numérique participent à un système d’imposition plus juste et équitable.
Pour conclure, le numérique a longtemps constitué une sorte d’exception en matière de régulation. Nous sommes convaincus que, pour aborder les problématiques de notre siècle, il est désormais primordial de sortir de cette exception et de revenir à une rationalité, qui protège nos institutions démocratiques et forge une société dans laquelle l’innovation reste au service du progrès. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Thierry Cozic.
M. Thierry Cozic. Madame la ministre, dans un rapport sénatorial corédigé l’an dernier par mon collègue Jean-Michel Houllegatte, il ressortait que le numérique a émis 15 millions de tonnes d’équivalent carbone en 2019, soit 2 % du total des émissions de CO2 de la France, pour un coût collectif de 1 milliard d’euros.
En 2040, à politique publique constante, le numérique serait à l’origine de l’émission de 24 millions de tonnes d’équivalent carbone, soit environ 7 % des émissions de CO2 de notre pays, pour un coût collectif de 12 milliards d’euros.
Face à ces augmentations spectaculaires en besoins énergétiques, les Gafam s’organisent.
Ainsi, Amazon a annoncé en février dernier son projet d’acheter la moitié de ses besoins énergétiques via l’énergie éolienne. Depuis 2017, la société Google achète l’équivalent de 100 % de l’électricité qu’elle consomme sous la forme d’énergies renouvelables par le biais de sa filiale Google Energy.
Nous ne sommes pas dupes. Investir dans les énergies vertes offre à ces géants la possibilité de sécuriser sur le long terme leur approvisionnement énergétique, tout en leur permettant de ne pas être dépendants des acteurs traditionnels du secteur. Des moyens sont mis en œuvre pour garantir la stabilité du coût des matières énergétiques. L’enjeu économique est prédominant dans cette démarche. Je rappelle, en effet, qu’une énergie renouvelable n’est pas forcément écologique.
En plus de viser un objectif écologique, cette régulation est aussi sociale. La question du consentement à l’impôt se pose. En effet, comme vous l’avez évoqué, madame la ministre, la recette de la taxe Gafam, que le Gouvernement nous a vantée, est estimée à 400 millions d’euros en 2019. Ce montant est symbolique et semble bien peu de chose, rapporté aux 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires dégagé en France et délocalisé dans les paradis fiscaux, par les Gafam.
Au regard des conséquences environnementales importantes liées au fonctionnement de ces plateformes, ne pensez-vous pas qu’il serait pertinent d’instaurer une taxe Gafam verte, dont une partie significative serait fléchée vers des investissements d’avenir plus soucieux de notre environnement ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Cozic, vous avez raison, ce sujet est important, même s’il ne représente aujourd’hui, comme vous l’avez rappelé, que 2 % de nos émissions de CO2, ce qui peut paraître modeste.
Cependant, la dynamique d’augmentation d’émissions de CO2 liées au secteur du numérique mérite toute notre attention. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, par l’intermédiaire de Barbara Pompili et de Cédric O, a tracé une feuille de route environnementale pour le numérique. Celle-ci vise non seulement à aborder la question des devices, c’est-à-dire des outils qui sont la cause d’une grosse partie des émissions de CO2, mais également à prendre en compte celles qui sont liées à l’utilisation des réseaux. Le Gouvernement s’est fixé pour ambition que la France retrouve un niveau d’émissions de CO2 qui soit équivalent en 2025 à celui de 2020, pour l’ensemble des réseaux, y compris ceux qui sont fixes, notamment le réseau cuivre qui est paradoxalement très consommateur de CO2. Telle est donc notre stratégie.
S’agissant de l’outil fiscal, il nous faut privilégier la convergence et la lisibilité de notre fiscalité. Comme on l’a dit en introduction du débat, ces sujets sont d’envergure mondiale, de sorte qu’une législation nationale n’aura peut-être pas une portée pratique suffisante.
Vous mentionnez en effet la taxe sur les services numériques et vous posez la question de son niveau. Cependant, vous savez bien que la démarche du Gouvernement visait essentiellement à montrer que nous étions capables de taxer les grandes plateformes numériques, et que l’objectif politique que nous visions était évidemment d’embarquer l’ensemble des pays qui pouvaient avoir peur d’établir cette taxation, afin d’aboutir à un texte commun.
Je crois que nous avons accompli de grands progrès. Bruno Le Maire devrait, dans les prochains jours, obtenir de nouvelles avancées. Le sujet est donc important, mais il ne peut probablement pas être traité de manière pertinente à l’échelon national. En tout état de cause, nous devons, à notre niveau, mettre en œuvre une stratégie de maîtrise, si ce n’est de réduction, des émissions de CO2, pour l’ensemble du secteur numérique.
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour la réplique.
M. Thierry Cozic. Madame la ministre, j’entends l’ambition du Gouvernement. Néanmoins, je tiens à vous alerter sur un fait concret : le numérique consomme entre 5 % et 10 % de l’électricité mondiale. La réalité est simple, si Internet était un pays, ce serait le troisième plus gros consommateur d’électricité sur notre planète !
Les Gafam accumulent toutes nos données dans le cloud. Pour ce faire, il existe près de 500 data centers dans le monde, répartis dans 125 pays différents. Ils sont allumés sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. De fait, ils consomment énormément d’énergie.
Comme vous l’aurez compris, il y a urgence à agir si nous ne voulons pas atteindre la surchauffe.
M. le président. La parole est à M. Yves Bouloux.
M. Yves Bouloux. Madame la ministre, la question de la régulation des Gafam est cruciale et a déjà fait l’objet de nombreux travaux. Leur capitalisation correspond à plus de deux fois celle du CAC 40 et dépasse les 4 000 milliards de dollars. Leur chiffre d’affaires est comparable aux recettes fiscales de l’État français. Outre les menaces d’atteinte à la souveraineté des États, cette domination du marché du numérique comporte un risque important de pratiques anticoncurrentielles.
Lors de la réunion du Conseil des ministres européens consacrée à la compétitivité, la France a affiché un très fort soutien aux deux projets de règlement européen. Dans le même temps, le 27 mai dernier, elle a publié avec l’Allemagne et les Pays-Bas une déclaration commune appelant au renforcement des mesures, notamment à une meilleure implication des États membres.
En mars dernier, à l’occasion de son audition devant la commission des affaires économiques du Sénat, la présidente de l’Autorité de la concurrence a souligné la nécessité de revoir le rôle des autorités de la concurrence des États membres, afin que celles-ci puissent intervenir en soutien de la Commission européenne. Le tout n’est pas d’édicter des règles, mais d’en assurer le respect, rapidement et efficacement. Or certaines décisions de la Commission européenne ont été prises dans un délai allant jusqu’à six ans après le début de l’enquête.
Comment le Gouvernement compte-t-il poursuivre son action, à l’échelle européenne, pour impliquer davantage l’autorité de la concurrence de chaque État membre ? Dans un cadre national, envisage-t-il parallèlement de renforcer les moyens de l’Autorité de la concurrence sur les sujets liés aux plateformes ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Bouloux, vous avez raison de souligner les avancées qui sont en train de se matérialiser. Pour qu’elles deviennent effectives, il faut que les moyens de régulation et de contrôle soient au rendez-vous.
Nous souhaitons que la Commission européenne reste l’autorité centrale dans le déploiement de ces mesures, car c’est là ce qui fera sa force, mais qu’elle puisse articuler son action avec celle des autorités nationales. Ce type d’articulation se pratique déjà en tant que de besoin, dans d’autres domaines, notamment celui du droit de la concurrence.
À l’échelon national, l’objectif est de mettre en relation les missions et les moyens. Comme vous le savez, nous avons renforcé le pôle d’expertise de la régulation numérique qui offre des compétences très pointues sur les sujets liés au numérique. Le service a déjà recruté treize professionnels et devrait en recruter vingt d’ici à la fin de l’année. Ces personnes pourront travailler en tant que de besoin pour différentes autorités. Elles ne seront pas mises à 100 % de leur temps à la disposition de l’Autorité de la concurrence, de sorte qu’elles pourront faire bénéficier de leur regard d’autres instances.
Un travail d’adéquation entre les moyens et les missions est en cours au niveau de l’Autorité de la concurrence, dans lequel nous intégrons la croissance du potentiel contentieux numérique. En effet, l’économie évolue et l’on constate, au niveau de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), que la part des contrôles effectués sur les plateformes numériques est en forte augmentation et constitue d’ores et déjà une priorité.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la ministre, on ne compte plus les attaques, les injures et les appels à la violence publiés sur les réseaux sociaux, pour toujours plus de clics, plus d’audience, plus de publicité et donc plus de profits.
Les algorithmes de ces plateformes sont calculés afin de mettre en avant les contenus qui font le buzz. Il faut bien comprendre que derrière un contenu, un commentaire, ou une photo, il y a un outil mathématique qui fait que l’information est mise en avant sur les murs des uns et des autres.
Derrière de nombreux drames qui trouvent leur origine dans des conversations ou des publications sur les réseaux sociaux, il y a un modèle mathématique qui a été travaillé. Il y a donc aussi un modèle économique.
Comme cela a déjà été dit, malgré la démonstration de leur puissance, qui devient de plus en plus importante, notamment lors de scrutins électoraux et démocratiques, qu’il s’agisse du Brexit ou des élections présidentielles américaines, les plateformes numériques conservent un régime d’irresponsabilité qui les a jusqu’à présent protégées.
Le droit actuel considère en effet que lorsqu’elles assurent le partage des contenus, elles sont de simples hébergeurs, et qu’elles ne peuvent donc pas être responsables de ces contenus. La question de savoir s’il faut les considérer comme des hébergeurs, des éditeurs, ou bien des intermédiaires fait l’objet de débats. Au-delà de ce point, il reste surtout à savoir si, derrière les algorithmes qui ont été décidés et travaillés, une responsabilité peut être mise en cause.
Par conséquent, madame la ministre déléguée, lorsque certaines publications mises en avant finissent par provoquer des drames ou des troubles dans la société, pensez-vous que ces fameux hébergeurs, intermédiaires, ou éditeurs peuvent être responsables pénalement ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur, vous avez raison, un questionnement existe autour de la responsabilité des plateformes, comme je l’ai d’ailleurs indiqué dans mon propos liminaire.
Cependant, on ne peut pas dire que les plateformes sont irresponsables juridiquement. En effet, le régime qui leur est applicable, à savoir celui des hébergeurs, prévoit une responsabilité conditionnelle et limitée. Les plateformes ne peuvent être tenues pour civilement et pénalement responsables des contenus qu’elles hébergent que dans le cas où, après avoir eu connaissance effective du caractère illicite de ces contenus, elles ne sont pas intervenues pour les retirer. Le critère est donc celui d’un défaut d’action lorsque l’on porte à leur connaissance des contenus illicites.
Les autorités françaises n’entendent pas revenir sur ce régime de responsabilité civile et pénale. En revanche, nous pensons qu’il faut créer une nouvelle responsabilité pour les plateformes, à savoir celle d’un devoir de diligence. Il serait en effet trop facile qu’elles puissent dire ne pas être au courant, alors qu’elles n’auront fait que détourner le regard de la publication des contenus.
Le régulateur aurait donc vocation à contrôler de façon systémique l’adéquation des moyens mis en place par les opérateurs pour s’assurer qu’il n’y a pas de contenu illicite sur les plateformes. Ce contrôle doit se faire de manière proportionnée à la taille des plateformes et à leur vocation.
Nous ne souhaitons entrer ni dans une évaluation du choix des moyens ni dans un contrôle tatillon de chaque contenu mis en ligne. Cependant, tout comme un contrôle de conformité s’exerce dans les banques, il faudrait que s’applique un dispositif équivalent sur la nature licite des contenus qui sont mis en ligne.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Madame la ministre, dans le prolongement de la question de mon collègue, il me semble que les Gafam ont pris une place énorme dans notre quotidien et que ces plateformes se livrent parfois à des atteintes répétées et illégales contre notre vie privée.
Leur importance tient au rôle qu’elles jouent dans notre rapport au monde, aux idées et à la réalité. Elles nous mettent face à un vrai défi démocratique, grâce aux quantités astronomiques de données qu’elles traitent et à la manière dont elles les ordonnent grâce aux algorithmes, comme l’a expliqué mon collègue.
En effet, alors que ces algorithmes sont censés répondre aux attentes des utilisateurs, ils jouent le rôle de filtre de l’information et instaurent de nouvelles normes et de nouvelles règles. Il s’agit donc, par essence, d’un processus politique qui comporte des biais énormes.
Comme chacun peut le constater, au lieu d’encourager le débat, l’échange ou l’enrichissement mutuel, le traitement et la mise à disposition de l’information par les Gafam favorisent la segmentation et la radicalisation des blocs d’opinion. Ainsi, depuis un an, les fausses informations et les thèses les plus dangereuses pour la santé publique se sont diffusées, de façon parfois dramatique et à un rythme effréné.
Il est donc légitime de s’interroger sur le fonctionnement et la transparence de ces algorithmes. Dans la mesure où ils enferment les utilisateurs, cette question devient même une urgence démocratique absolue.
Lors d’un débat sur la haine en ligne, en novembre 2020, j’interrogeais M. le secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques, Cédric O, sur la possibilité d’exercer une responsabilité politique face aux plateformes. Il m’avait alors répondu qu’il ne savait pas comment ces algorithmes mettaient en avant certains types de contenus, et que même si les plateformes le lui disaient, il n’aurait aucun moyen de contrôler la véracité de leurs déclarations.
C’est un aveu de faiblesse et nous ne pouvons pas nous contenter de l’impuissance. Le renoncement des gouvernements occidentaux face aux stratégies d’influence des Gafam, la passivité invraisemblable du monde occidental face à ce secteur devenu gigantesque sont inquiétants.
Madame la ministre déléguée, il n’est pas possible de se résoudre à l’impuissance. Il n’est pas non plus possible de se défausser uniquement sur les discussions à venir au niveau européen. Il est temps de demander un droit de regard démocratique sur ces algorithmes, non pas pour censurer, mais pour garantir la transparence et la pluralité des débats.
Au-delà de la régulation des contenus, quelles démarches le Gouvernement compte-t-il engager pour s’assurer de la transparence démocratique des algorithmes et des grandes plateformes numériques ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur, ce sujet est précisément au cœur des discussions que nous avons sur le Digital Services Act. Nous souhaitons, en effet, demander aux plateformes numériques structurantes, c’est-à-dire celles qui ont un accès massif à la population et qui peuvent orienter des débats par l’utilisation d’algorithmes de ciblage, de faire la transparence sur ces algorithmes. Nous souhaitons également que des régulateurs puissent contrôler leur utilisation.
Telle est la position que nous défendons auprès du Conseil « Compétitivité » de l’Union européenne. Elle a d’ailleurs fait l’objet d’une discussion, la semaine dernière, où Cédric O et moi-même étions à Bruxelles. Nous continuerons de la défendre, avec pour ambition d’obtenir un accord du Conseil dans les prochains mois. Nous pourrons ensuite avancer sur la validation institutionnelle de ce texte.
Je voudrais signaler deux autres aspects liés à ce sujet. Tout d’abord, les pouvoirs publics doivent trouver les moyens de s’équiper pour savoir lire les algorithmes et avoir accès aux éléments de contrôle. C’est la raison pour laquelle nous avons créé, comme je l’ai déjà dit, le pôle d’expertise de la régulation numérique, en septembre dernier. On y recrute des personnes aux profils très particuliers qui viennent en appui des différents services amenés à faire des contrôles.
Ensuite, dans le cadre du travail que nous menons sur l’intelligence artificielle, le Fonds pour l’innovation et l’industrie a lancé un certain nombre d’appels à projets, dont l’un porte sur l’audit des algorithmes numériques.
Il faut premièrement savoir réguler, et l’acte que nous allons valider à l’échelon européen part de ce principe ; il faut deuxièmement disposer d’experts ; il faut troisièmement renforcer et améliorer notre maîtrise de l’audit des algorithmes d’intelligence artificielle. Celle-ci pourra d’ailleurs être exploitée à d’autres fins, puisque l’enjeu démocratique lié à l’intelligence artificielle va bien au-delà des seules plateformes de mise en ligne des contenus.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la ministre, le titre de ce débat « sur la régulation des Gafam » me pose un problème, car il n’y a pas qu’une seule régulation, mais au moins trois. Parmi les textes européens, l’un régule l’organisation des marchés économiques et l’autre régule les contenus. À ce niveau, il faut en réalité non seulement réguler l’économie, les profits et les ressources, mais aussi les contenus, et enfin l’usage des données personnelles et le respect de la vie privée des personnes.
L’acronyme Gafam me gêne aussi beaucoup, dans la mesure où il désigne des entreprises nord-américaines. Je sais bien que depuis les affaires liées à la NSA (National Security Agency), nous vivons sous la férule Big Brother ! L’acronyme entretient le sentiment que tout le problème vient de cinq entreprises américaines alors que, en réalité, il faudrait parler des « géants d’Internet ».
Or ceux-ci n’existent pas qu’aux États-Unis, même s’ils y sont nés. Mme la ministre a en effet rappelé l’existence des BATX chinois, qui prennent une importance croissante.
On a longtemps cru que ces entreprises se développaient sur la base du libéralisme économique et des nouvelles technologies. En réalité, aujourd’hui, un géant de l’Internet ne peut exister sans l’appui d’une grande puissance. C’est d’ailleurs peut-être le drame de l’Europe d’être incapable de produire des géants numériques.
L’entreprise chinoise TikTok, filiale de ByteDance, est devenue en quelques années le premier média auprès des jeunes. L’information y est contrôlée puisqu’un message en faveur des Ouïghours, posté depuis la France, a été censuré et le compte de son auteur, un universitaire, a été fermé. Cet exemple montre qu’il existe aussi un problème de régulation des libertés et de la démocratie, et que celui-ci ne se pose pas dans les mêmes termes en Chine, aux États-Unis ou en Europe.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur, vous avez tout à fait raison de souligner la nécessité d’élargir le débat et de ne surtout pas le limiter à des acteurs d’origine américaine.
Tout d’abord, par principe, les plateformes numériques dont nous parlons sont en perpétuelle mutation économique, puisqu’elles peuvent faire des opérations d’acquisition, ou bien perdre un certain nombre de leurs consommateurs et par voie de conséquence de la richesse.
Deux grands pays, a minima, ont des plateformes numériques structurantes, dont les États-Unis, mais également la Chine. Les BATX, que vous avez cités, ont acquis une puissance très importante grâce au nombre de personnes qui sont affiliées à leurs plateformes. Ils sont également puissants en matière de contenus puisque, en offrant la possibilité de faire des paiements directs en ligne, ils ont accès à un nombre de données personnelles extraordinairement important.
Vous avez également raison de rappeler qu’il faut bien distinguer ce qui relève du contenu et ce qui relève du modèle économique. En effet, tout le propos du Digital Markets Act est de montrer comment ces plateformes empêchent paradoxalement l’innovation en épuisant les petites start-up qui cherchent à émerger, avec parfois des innovations technologiques très intéressantes, une qualité de service meilleure, ou bien encore une meilleure protection des données du consommateur.
Il faut également prendre en compte comme troisième élément les données personnelles des consommateurs et leur caractère privé.
Notre objectif est d’apporter une réponse qui prenne en compte toutes les données du problème. Certaines plateformes européennes, d’ailleurs, n’échapperont pas à la régulation. Nous privilégions une approche matricielle qui tient compte du contenu et de la dimension économique des plateformes. Le DSA et le DMA y contribuent. Comme vous le savez, une remise à plat du règlement e-privacy est également en cours ; nous traitons donc également le sujet des données personnelles.
Nous veillons également à développer une approche totalement transversale qui s’appliquera à l’ensemble des plateformes mondiales. Un critère important sera de pouvoir distinguer la petite plateforme locale qui cherche à se développer, qui apporte de la valeur et qui n’a pas forcément les moyens de mettre en place toutes les régulations. En effet, nous avons constaté, lors de la mise en œuvre du règlement général sur la protection des données (RGPD),…
M. le président. Il faut conclure.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. … que celui-ci avait favorisé les plus grosses plateformes, parce que c’était elles qui pouvaient le mieux s’y adapter. C’est la raison pour laquelle il nous paraît très important d’établir cette différenciation.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Madame la ministre, ma question porte sur le versant fiscal. Les nouveaux géants du numérique atteignent une valorisation boursière supérieure à celle des entreprises traditionnelles, et pourtant, leur taux d’imposition est largement inférieur, en raison du caractère immatériel de leur création de valeur qui leur permet de mettre en place des stratégies d’optimisation fiscale.
En effet, la taxation de ces géants échappe au cadre fiscal traditionnel où les bénéfices sont taxés par les États dans lesquels les entreprises ont leur siège, plutôt que là où elles exercent leurs activités, sauf établissement stable qui suppose des locaux et du personnel.
Cette fiscalité des géants du numérique suscite, depuis plusieurs années, d’âpres débats au sein de l’Union européenne. En mai dernier, Amazon a remporté une victoire lorsque la justice européenne a validé les rabais fiscaux obtenus par le géant du commerce en ligne au Luxembourg. Cette validation a été un camouflet pour la Commission européenne, qui y voyait des aides d’État illégales dont elle exigeait le remboursement.
Bruxelles avait déjà perdu face à Apple, en juillet 2020, devant cette même juridiction. Les juges avaient alors annulé le remboursement à l’Irlande de 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux considérés comme indus par la Commission.
Face à l’enlisement de la situation, certains États ont tenté de faire cavalier seul. La France a ainsi adopté la taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires réalisé par les géants du numérique, qui n’a rapporté, comme cela a déjà été dit, que 400 millions d’euros en 2019.
Pourtant, la France s’est exposée aux représailles des États-Unis qui ont relevé des droits de douane sur certains produits, tels que le vin – vous comprendrez que pour un élu du Beaujolais ce soit douloureux. Elle a également subi la réaction des Gafam, tels que Google ou Amazon, qui ont augmenté le tarif des publicités des annonceurs.
Joe Biden a suggéré, en avril dernier, de taxer à 21 % les multinationales partout dans le monde, mais le Trésor américain a depuis revu ses ambitions à la baisse, en proposant un taux de 15 % à ses partenaires.
Une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur ces propositions a révélé qu’aucun pays, à part les paradis fiscaux, ne subirait de pertes de revenus au titre de l’impôt sur les sociétés. Encore mieux, les recettes fiscales de l’Union européenne pourraient gonfler de 13 % à 50 % selon l’ambition de la réforme en négociation. Nous voyons clairement se dessiner la perspective d’un accord historique lors du prochain G7,…
M. le président. Il faut conclure.
M. Bernard Fialaire. … ou à l’occasion du G20 de Venise, en juillet prochain.
M. le président. Cher collègue, vous avez dépassé votre temps de parole.
La parole est à Mme la ministre déléguée, qui aura certainement compris votre question.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Fialaire, je pense que votre question porte sur ce qu’on peut espérer des négociations qui sont en cours au niveau de l’OCDE. Le premier pilier, qui est relatif à la révision des règles d’allocation des droits d’imposer des bénéfices dégagés par les entreprises les plus profitables, a vocation à s’appliquer de manière transversale à tous les secteurs d’activité. Quant au deuxième pilier, il est relatif à l’institution d’une règle mondiale d’imposition minimale effective des entreprises multinationales.
Comme vous le savez, nous sommes favorables à une négociation qui permette d’aboutir sur ces deux piliers. Nous soutenons, parce que nous l’avons toujours fait, l’objectif d’obtenir soit au G7, soit au G20, soit au sein de l’OCDE, soit au niveau de la Commission européenne, un système qui permette de mettre en place une imposition plus équitable et plus juste entre entreprises. Celle-ci portera sur le surprofit que font certaines d’entre elles de par leur modèle économique – c’est le premier pilier – et s’appliquera de manière générale aux entreprises qui se positionneraient dans des pays à très faible fiscalité et qui utiliseraient cet avantage. Celui-ci s’apparente, suivant notre lecture, à une aide d’État, car que l’on apporte une subvention ou que l’on refuse de taxer un bénéfice évident, la circulation de l’argent est la même entre le budget de l’État et le compte de résultats de l’entreprise.
Bruno Le Maire défendra cette approche. Nous avons bon espoir de pouvoir, lors du prochain G20, arriver à des avancées historiques. Je tiens à vous le dire, car nous avons depuis trois ans et demi continuellement repris ce dossier dans toutes les instances internationales. Nous avons également été le premier pays à mettre en place une taxe nationale, pour montrer l’exemple, en prenant le risque de rétorsions, comme vous l’avez très bien dit, en citant le Beaujolais.
Aujourd’hui, grâce à la détermination constante du ministre de l’économie, des finances et de la relance et du Président de la République, nous sommes en passe d’obtenir cet accord historique. Je crois qu’il faut continuer à remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier et ne pas se réjouir trop tôt.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Je voudrais d’abord, madame la ministre déléguée, saluer l’excellente initiative de nos collègues du groupe Les Républicains d’avoir proposé ce débat sur la régulation des Gafam. Il aurait mérité, je crois, plus de temps encore.
M. Gérard Longuet. Merci !
M. Éric Bocquet. J’ai même applaudi les propos introductifs de notre collègue Jean-Raymond Hugonet.
En une génération, en effet, le numérique a complètement transformé le monde et nos sociétés. Chaque minute, sur la planète, l’être humain produit 300 000 tweets 15 millions de SMS, 204 millions de mails, et 2 millions de mots clés sont tapés dans le moteur de recherche de Google. Les technologies de l’information et de la communication sont plus répandues aujourd’hui que l’électricité sur la planète.
Toutes ces pratiques fournissent une matière première considérable, les données, que nous offrons gratuitement aux Gafam. Les entreprises du numérique ont atteint un poids financier et économique considérable. La valeur en bourse de l’entreprise Apple a dépassé le seuil des 2 000 milliards de dollars, soit la moitié du PIB du Royaume-Uni.
Mes chers collègues, le débat n’est pas aujourd’hui d’être pour ou contre le numérique ; la question est bien la nécessité évidente d’une régulation.
Pendant la récente campagne de l’élection présidentielle aux États-Unis, effectivement, le démantèlement de ces grands groupes fut évoqué.
En somme, l’objet de ces groupes est d’éliminer du monde toute marge d’incertitude, de rendre le monde et l’humanité prévisibles, de créer une sorte de marché de la certitude totale.
Je citerai pour conclure cette phrase d’une universitaire américaine, Mme Shoshana Zuboff : « Les capacités du numérique perfectionnent la prédiction et le contrôle comportemental, permettant à la connaissance parfaite de supplanter la politique comme moyen collectif de prise de décision. »
Facebook comptait en 2016, 1,6 milliard d’usagers ; ils sont désormais 2,8 milliards. Madame la ministre, n’y a-t-il pas un risque, selon vous, qu’une croissance illimitée des Gafam ne vienne défier un jour la souveraineté des États et la démocratie ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Bocquet, tout l’objet du débat de cet après-midi est de pointer du doigt l’empreinte extraordinaire des plateformes numériques sur nos vies, combien elles peuvent, éventuellement, représenter une concurrence déloyale en matière économique, mais également nuire au débat démocratique et à sa qualité.
Tout l’enjeu, pour nous, responsables politiques – et la question dépasse le cadre national ; cet enjeu est international et engage la responsabilité de l’Union européenne et des différentes instances du multilatéralisme –, est de savoir comment nous allons parvenir à mettre en place une régulation, sans tomber dans le piège de la censure – ce qui peut facilement arriver : on se souvient des questionnements qu’ont suscités la fermeture un peu emblématique, en tout début d’année, du compte d’un personnage exerçant une fonction très importante.
Inversement, il ne faut pas être naïf et il faut se doter d’outils nationaux et transnationaux de régulation. Le choix que nous avons fait consiste à agir à l’échelon national et européen, à nous doter de moyens de contrôle humains tout en permettant l’adoption de sanctions financières de manière à reprendre la main sur la régulation. C’est tout le sens de la politique que nous menons aujourd’hui.
Je constate un certain consensus sur les travées de cette assemblée, ce qui me semble être une très bonne chose. Cela indique que nous sommes parvenus à un point de maturité : l’enjeu, c’est de réussir à trouver ensemble les moyens de cette régulation en préservant un juste équilibre entre, d’une part, la liberté d’opinion, de publier des posts, de travailler et d’entreprendre, et, d’autre part, la régulation et la protection des consommateurs et des citoyens – j’insiste sur ce dernier mot.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour la réplique.
M. Éric Bocquet. L’outil numérique est une magnifique illustration de l’intelligence humaine ; il peut être un outil fantastique d’émancipation. Sans intervention politique, le risque existe qu’il se transforme en un outil de contrôle et d’asservissement de l’humanité.
Les Gafam imposent leur fiscalité – notre collègue l’a rappelé –, ils ont déjà imposé leur langue – on l’a entendu. Quoi d’autre demain ? Leur pensée ? Leur monnaie ? Leur vision du monde ? Je pose la question.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga.
M. Jean-Pierre Moga. D’une promesse de marché libre, ouvert et décentralisé, la réalité des Gafam s’est traduite par un mouvement de concentration, de pratiques anticoncurrentielles et d’optimisation fiscale, renouvelant les problématiques du droit de la concurrence.
Nous le savons, le modèle de cette économie de l’oligopole se caractérise notamment par des pratiques d’optimisation à l’origine de milliards d’euros de pertes fiscales au niveau européen, pertes estimées à 623 millions d’euros pour la France en 2017, et certainement beaucoup plus aujourd’hui.
Dès lors, si notre pays a mis en place une taxe sur les services numériques en 2019, qu’en est-il de la réflexion au niveau de l’Union européenne et de l’OCDE, l’échelon européen étant l’échelon pertinent pour contrer l’inadaptation du droit fiscal national à l’économie numérique ?
À ce titre, deux projets de règlement européen ont été présentés à la fin de 2020 afin de « mettre de l’ordre dans le chaos » : il s’agit du DMA ainsi que du DSA.
Alors que la France a proposé, la semaine dernière, des amendements afin de durcir certaines des mesures contenues dans ces deux règlements, espérant qu’un accord sera trouvé lors de sa présidence du Conseil de l’Union européenne, quelles sont les orientations de telles propositions ?
Si le démantèlement des Gafam américains n’est pas une solution en soi, car il conduirait à renforcer les BATX chinois, je n’ai qu’un seul regret : que notre continent assiste impuissant à l’émergence de plateformes numériques étrangères sans être capable de proposer une offre proprement européenne.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Moga, vous avez raison de souligner la position préoccupante de l’Europe dans la compétition internationale en matière de plateformes numériques.
Seules quelques plateformes européennes de vente en ligne ou de réseaux sociaux sont soumises à la taxation sur les services numériques ; en effet, peu d’entre elles dépassent les seuils de taxation, à savoir 750 millions d’euros de chiffre d’affaires global et 25 millions de chiffre d’affaires lié à la publicité ou aux services numériques en France.
Cela signifie qu’il faut maintenant investir. La partie qui se joue aujourd’hui porte sur la production de données : des données industrielles, des données logistiques, des données d’activité économique. Nous comptons un certain nombre d’acteurs dont la taille n’est pas ridicule – je pense par exemple à Dassault Systèmes, qui est présent dans un projet sur deux, à l’échelle mondiale, de traitement des données de santé ; je pense à des entreprises comme Schneider ou à certaines entreprises allemandes, qui travaillent au modèle d’affaires, aux contenus technologiques, à l’analyse des données et à l’intelligence artificielle des plateformes.
C’est très probablement là le combat que nous devons mener pour refaire surface ou créer une puissance économique. Nous en avons les moyens au niveau européen. La Commission européenne comme les États membres ont un plan très clair, qu’il s’agisse du cloud souverain, de l’intelligence artificielle, de la 5G ou de la nanoélectronique, c’est-à-dire les semi-conducteurs qui sont utilisés pour tous ces usages : le but est de redévelopper des capacités en recherche et développement et des capacités de production.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Moga. Madame la ministre, j’ai bien entendu ce que vous me disiez, mais il est grand temps que nous réagissions, que l’Europe réagisse. Ces situations de monopole constituent un vrai risque au niveau mondial et peuvent représenter des milliards d’euros de pertes pour notre pays et pour l’Union européenne.
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Le secteur culturel n’est pas épargné par l’appétit grandissant des Gafam. La presse, et en particulier les éditeurs et agences de presse, fait depuis de nombreuses années l’objet d’un véritable pillage par Google, qui refuse de rémunérer les contenus dont il tire pourtant un bénéfice financier.
Notre pays a toujours été à la tête du combat pour parvenir à une juste rémunération des différents acteurs : je pense notamment à la loi du 24 juillet 2019, rédigée par David Assouline, qui a créé un nouveau droit voisin en faveur des éditeurs et agences de presse. Ce droit soumet à autorisation préalable l’exploitation des contenus qui ouvre droit à une rémunération équitable.
Néanmoins, malgré l’adoption de cette loi, Google n’a pas cédé et s’affranchit à ce jour des droits voisins, pourtant reconnus au niveau européen et par la loi française. Cette attitude est inacceptable dans un État de droit, où la liberté de la presse et l’accès à la libre information sont des valeurs cardinales.
Madame la ministre, quelles sont les mesures que vous comptez prendre pour que Google respecte la loi ?
L’attitude hégémonique des Gafam touche également le sport puisque, pour la première fois cette année, Amazon diffuse en exclusivité des matchs du tournoi de tennis de Roland-Garros.
Presse, sport, cinéma : c’est en réalité l’ensemble du secteur culturel qui est menacé. À quand, madame la ministre, une réponse ferme de l’Europe, de l’État, pour contrer cette toute-puissance qui menace notre équilibre démocratique ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Madame la sénatrice, vous avez raison d’indiquer que la consécration des droits d’auteur et des droits voisins par notre droit national est un combat complexe, face à un acteur qui ne respecte pas notre loi.
La presse française, dans le cadre du contentieux qui a été engagé, a fait valoir un certain nombre d’éléments face à Google, qui avait décidé unilatéralement de moins bien référencer les journaux qui refusaient de laisser exploiter gratuitement leurs contenus, titres, extraits d’article et les vignettes. Elle a donc saisi l’Autorité de la concurrence, qui a ordonné en avril 2020 à Google de mener une négociation de bonne foi avec les éditeurs.
En janvier 2021, un accord global est intervenu entre Google et les principaux représentants de la presse française, sauf l’AFP et les autres agences de presse.
Le contentieux engagé devant l’Autorité de la concurrence se poursuit, l’enjeu étant de savoir si cet accord est équilibré, s’il a été conclu au terme d’une négociation loyale.
L’Autorité de la concurrence, qui est une autorité indépendante, continue à travailler sur ce sujet pour défendre le contenu intellectuel des éditeurs en ligne.
S’agissant plus généralement des autres éléments que vous avez mentionnés – la culture, le sport, etc. –, il faut essentiellement vérifier l’absence de tout abus de position dominante et, si nécessaire, activer les différents outils que nous offre le droit de la concurrence. Ce doit être là notre ligne rouge. Comme vous le savez, le Digital Markets Act nous permettra de compléter l’ensemble de cet arsenal pour mieux faire respecter l’équilibre des relations entre grandes plateformes et acteurs privés.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. La montée en puissance des entreprises mondiales du numérique que représentent Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft soulève des questions politiques majeures.
En effet, nous observons depuis quelques années une hausse considérable de l’activité numérique, celle-ci allant jusqu’à exercer un poids politique.
Nous l’avons vu lors de nombreuses élections, les Gafam transgressent totalement le champ d’application qui leur est normalement attribué, à savoir diffuser l’information. L’affaire Cambridge Analytica, qui a touché Facebook lors de la campagne présidentielle américaine de 2016, a mis en lumière ce rôle parfois opaque des réseaux sociaux dans le jeu politique outre-Atlantique.
Le fait que des élections aient pu être influencées par la manipulation de données collectées à l’insu même des utilisateurs met en lumière la fragilité de nos démocraties devant ces grandes firmes numériques.
Il s’agit d’un vrai problème démocratique : n’oublions pas nos combats pour les libertés fondamentales, notamment la liberté d’expression, qui ne sauraient être bafouées par des algorithmes.
Nous devons donc nous mobiliser et mettre des limites à ces plateformes numériques, qui exercent une influence sur la vie politique des États et portent atteinte à leur souveraineté.
La révision de la directive sur le droit d’auteur de 2019, qui prévoit une responsabilité des plateformes de stockage de données dans le contrôle des contenus qu’elles hébergent, a été déterminante en Europe, mais il faut aller plus loin.
Madame la ministre, l’élection présidentielle française se tiendra l’année prochaine. Le gouvernement français ainsi que l’Union européenne doivent renforcer leur politique de régulation des collectes de données, mais également éduquer les internautes, notamment les plus jeunes, qui lisent moins la presse écrite, consomment des réseaux sociaux et ne savent plus vraiment distinguer le vrai du faux.
Madame la ministre, comment sécuriser l’élection présidentielle française de 2022 ? Comment permettre que les électeurs votent en toute conscience et en toute liberté ? Quels sont les instruments ambitieux que vous comptez mettre en place ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Chevrollier, la question que vous posez est assez complexe dans la mesure où elle comporte différents aspects.
Premier élément : l’action que nous menons en matière de régulation et de modération des contenus au travers du Digital Services Act et, au niveau du droit national, pour faire en sorte que les contenus illicites soient retirés le plus rapidement possible des plateformes.
Deuxième élément : l’utilisation de moyens destinés à fragiliser la qualité des débats – du hacking, des montages faussés, etc. Vous le savez, le Gouvernement est fortement impliqué dans le renforcement de la cybersécurité, qu’il s’agisse des services publics ou de l’accompagnement des entreprises privées.
Troisième élément : comment fait-on vivre le débat démocratique ? Il faut mener un travail pédagogique collectif pour apprendre à lire le contenu des plateformes et poursuivre ce travail mené par la société civile et les journalistes de fact checking, comme l’on dit en mauvais français.
Je n’aurai pas l’outrecuidance de penser que l’État dispose de tous les moyens pour s’assurer que, à chaque moment, à chaque instant, des fake news ne sont pas diffusées, comme on l’a vu à l’occasion d’autres élections. Ce sera la responsabilité de chacun d’entre nous, en tant que citoyens, de prendre cette distance, de contribuer à la qualité du débat public et de minimiser la diffusion de toutes ces infox.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.
M. Guillaume Chevrollier. Effectivement, nous évoluons dans un monde complexe, mais l’Union européenne s’est fait dépasser par les Gafam américains et les BATX chinois. L’année prochaine, à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, il serait important de mettre à l’agenda la souveraineté technologique et numérique européenne pour disposer de davantage de moyens de régulation et de contrôle, ce qui permettrait un débat démocratique dans l’ensemble des pays de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. Le sujet de la régulation, c’est en fait celui de la souveraineté numérique. À cet égard, vous le savez, madame la ministre, nous sommes tous inquiets. Hier encore, ma collègue Catherine Morin-Desailly pointait la « gafamisation » grandissante des grands services de l’État et de nos fleurons, dont les données sont ainsi confiées à des opérateurs étrangers, essentiellement américains, et donc soumis à la loi FISA, ou Foreign Intelligence Surveillance Act, c’est-à-dire à l’interception de communications, y compris sans mandat et hors cadre légal, par les services de renseignement américains.
Nous pensons bien sûr au Health Data Hub, confié à Microsoft, à l’entreprise américaine Palantir, à laquelle on a confié des données de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), mais également d’Airbus – peut-être est-ce parce que l’actuel directeur général de Palantir est l’ancien directeur général d’Airbus…
Nous pensons aussi aux prêts garantis par l’État, les fameux PGE, confiés donc à Amazon Website, lequel dispose donc aujourd’hui de toutes les informations stratégiques sur les entreprises françaises pour cibler des acquisitions opportunes.
Certes, ces géants du numérique américains ont un savoir-faire technologique, mais cela signifie-t-il, madame la ministre, que le Gouvernement a rendu les armes et se soumet à la domination technologique américaine en livrant les données de la France et des Français ?
Vous parlez de reconquérir notre souveraineté numérique et de faire de l’achat public un levier majeur. Mais, dans la pratique, vous ne privilégiez pas nos offres souveraines sur les marchés d’intérêt général, alors que ces offres françaises ou européennes sont souvent équivalentes à leurs concurrentes étrangères et ont justement besoin de ces marchés pour monter en gamme dans la course technologique.
Pourquoi cette défiance à l’égard des acteurs français ?
Enfin, s’agissant du cloud européen Gaïa-X, sur lequel nous fondons de grands espoirs, il semblerait qu’il se construise en définitive comme une base de données unifiée et qu’il associe ces fameux Gafam. Cela n’aurait alors plus rien à voir avec ce fameux outil de souveraineté et de protection des données européennes que nous attendons.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Madame la sénatrice Loisier, en matière d’achat public, nous sommes évidemment extrêmement vigilants – tout comme l’est l’Union européenne – à la qualité des offres. Si les offres étaient équivalentes ou meilleures, il serait très simple de retenir celles qui émaneraient d’acteurs d’origine européenne. Objectivement, l’ensemble des briques technologiques des offres des entreprises européennes accusent un retard technologique, un retard dans les investissements et l’interopérabilité ou, à tout le moins, dans leur disponibilité.
La stratégie que mènent Bruno Le Maire et Cédric O – que je soutiens comme « cliente » en tant que ministre des entreprises industrielles – consiste à créer une offre de cloud souverain de confiance avec des briques technologiques soit européennes, soit fournies par des acteurs étrangers répondant à un cahier des charges extrêmement exigeant quant à l’utilisation des données, précisant en particulier qu’elles ne peuvent pas faire l’objet d’un traitement extraterritorial.
Cette démarche en faveur d’un cloud de confiance garantit une immunité maximale face aux lois extraterritoriales, mais également une protection maximale en matière de cybersécurité. L’enjeu est de créer les cas d’usage pour permettre à un maximum d’acteurs publics et privés d’y avoir accès, condition pour financer par la suite l’innovation des acteurs en question.
Le travail que mène Amélie de Montchalin avec sa stratégie Tech.gouv intègre évidemment cette dimension de souveraineté. Aussi, au-delà des administrations, j’invite les acteurs privés, notamment les grandes entreprises, à être particulièrement vigilants et à devenir clients de ces offres de confiance. C’est ainsi qu’un marché pourra ainsi être créé.
M. le président. La parole est à M. Rémi Cardon.
M. Rémi Cardon. On parle souvent de la volonté de créer des géants européens du numérique, mais on a vu la difficulté de développer le moteur de recherche européen Qwant.
Madame la ministre, que faites-vous pour aider ces entreprises européennes à se développer ? Surtout, que faites-vous pour protéger ces entreprises françaises qui réussissent déjà ?
Le Bon Coin, le leader de la vente de seconde main, se fait rattraper par Amazon Marketplace et Facebook Marketplace. Deezer, le leader du streaming musical, est concurrencé par Apple Music, Amazon Music et Youtube Music. Et que dire des acteurs de la vente en ligne comme Cdiscount ou fnac.com ?
Selon vous, la psychose française autour d’Amazon n’a pas beaucoup de sens. Mais quel sens donnez-vous aux chiffres quand le nombre de visiteurs mensuels uniques sur Amazon représentait presque la moitié de la population française, avec une avance importante sur ses concurrents ?
Ces chiffres nous indiquent clairement qu’Amazon est numéro un sur le marché et sera rapidement majoritaire face à ses concurrents dans l’Hexagone.
Allez-vous, comme avec cette crise sanitaire, attendre le dernier moment pour commencer à vous alarmer ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Cardon, je crois d’abord qu’il ne faut pas sous-estimer les acteurs français que vous avez mentionnés. Il se trouve que leurs parts de marché en France sont plutôt supérieures à celles d’acteurs équivalents dans d’autres pays européens.
Vous mentionnez Amazon qui représente, certes, 20 % de parts de marché en France, mais bien plus dans un certain nombre de pays, pas seulement européens.
En termes de dynamique, le sujet, c’est aussi le consommateur. Or il n’appartient pas à l’État régulateur de lui imposer le choix du service auquel il doit avoir accès.
En revanche, il appartient à l’État régulateur de faire en sorte que la protection du consommateur soit maximale, de faire en sorte que les conditions de concurrence soient les plus loyales possible. C’est là tout l’enjeu de la taxation minimale, d’une part, et du Digital Markets Act, d’autre part, le but étant de demander des comptes aux grandes plateformes structurantes qui peuvent utiliser leur position dominante pour écraser la concurrence.
C’est aussi l’enjeu du travail d’information du consommateur que nous menons et, plus largement, du travail tendant à rendre palpable l’intérêt économique de se rapprocher d’acteurs installés en France par rapport à des acteurs qui ne le seraient pas. Cette dimension est bien comprise par les Français, et même de plus en plus si l’on se réfère aux enquêtes d’opinion qui ont été menées notamment pendant le confinement.
S’agissant de la qualité des services, il faut aussi que, collectivement, nous nous y investissions, que nous fassions en sorte que les différents acteurs européens proposent la meilleure qualité de service, parce que c’est la meilleure façon de s’imposer sur le marché européen.
M. le président. La parole est à M. Rémi Cardon, pour la réplique.
M. Rémi Cardon. Madame la ministre, je répète ma question : allez-vous agir pour protéger nos entreprises nationales des Gafam américains et des BATX chinois, ou allez-vous tout simplement laisser nos entreprises être achetées ou décliner comme Alcatel et Dailymotion, en France, où Nokia et TomTom, ailleurs en Europe ? Cette question est très simple.
Vous rejetez la responsabilité partielle de cette situation sur les consommateurs, mais, du point de vue fiscal, il me semble que l’État français a des responsabilités à prendre.
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin.
M. Vincent Segouin. Madame la ministre, depuis des années, les Gafam défrayent malheureusement la chronique par leur manque de contribution à l’impôt dans notre pays et, plus largement, dans une Union européenne confrontée à des problématiques d’uniformisation fiscale.
Un simple exemple : une entreprise comme Google déclare aujourd’hui dans notre pays 411 millions d’euros de chiffre d’affaires, mais ne paye que 17 millions d’euros d’impôts, soit 4,13 %, bien loin donc des 28 % dont doivent s’acquitter toutes les entreprises présentes sur le territoire national, et, surtout, loin des 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires réellement réalisé.
L’inégalité fiscale que Bruno Le Maire s’était engagé à combattre par sa taxe Gafam est donc toujours une réalité et engendre une concurrence déloyale pour les entreprises françaises qui payent l’intégralité de leur impôt.
Il existe donc bel et bien en France une distorsion de marché qui pèse sur nos entreprises nationales, qui se font souvent racheter par ces grandes entreprises disposant d’un capital et d’une trésorerie suffisants du fait de ces exonérations fiscales.
Plus grave encore, la justice européenne a encore récemment validé les rabais fiscaux octroyés à ces entreprises destructrices d’emploi et peu contributives aux économies nationales et aux finances des États.
Alors, que faire ? On nous vante les mérites du système européen en la matière depuis des années, en nous disant que c’est le seul échelon qui peut nous prémunir contre ce risque. Mais force est de constater que rien n’est fait et que l’apathie européenne en matière de contrainte des géants, mais également d’harmonisation fiscale, est réelle.
La France taxe aujourd’hui ses entreprises à hauteur de 28 %, alors que l’Irlande, pays appartenant au même marché commun, ne les impose qu’à hauteur de 12,5 %. Le déséquilibre est donc immense. L’Europe peut-elle rétablir la justice ? Permettez-moi d’en douter…
On nous vante également, à présent, les mérites d’un taux minimal de taxation des entreprises à l’échelle internationale. Il est vrai que l’idée d’un impôt minimal mondial sur les multinationales paraît idéale, plus ambitieuse que le rêve européen, et que cet impôt permettrait de projeter la lutte contre l’évasion fiscale au-delà de toutes les frontières nationales.
Or ce projet idéaliste non seulement dépasserait le cadre qui lui était initialement conféré en affectant les plus grandes sociétés, mais ne résoudrait pas le problème de l’écart d’imposition.
Madame la ministre, ma question est la suivante : quelle stratégie comptez-vous adopter pour assurer la justice fiscale à nos entreprises françaises, et à quel échelon – national, européen ou international – pensez-vous la mettre en place ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Segouin, permettez-moi de vous faire observer que c’est précisément dans le cadre de l’Union européenne et dans un cadre multilatéral que l’on enregistre des avancées.
Si j’observe la situation qui prévaut sur d’autres continents ou dans d’autres pays, je constate l’absence de toute convergence fiscale ou même l’absence de toute discussion approfondie comparable à celle que l’on observe au sein de l’Union européenne. Il est important de le signaler.
Effectivement, d’ailleurs poussée en ce sens par le Président de la République et le ministre de l’économie, des finances et de la relance, qui défend depuis maintenant quatre ans la question de la taxation des services numériques, l’Union européenne s’est emparée de ce sujet. Certes, tous les pays n’ont pas encore basculé – la décision doit être adoptée à l’unanimité –, mais vingt-trois d’entre eux ont désormais rejoint le camp du soutien à la taxation des services numériques.
De même, c’est le gouvernement français qui a créé les conditions pour autoriser un certain nombre de pays européens à adopter des législations similaires à celle qu’a mise en place la France. Aujourd’hui, nous sommes en passe de parvenir à un accord au niveau de l’OCDE.
La détermination avec laquelle le gouvernement français a défendu ce dossier au niveau de l’OCDE, au niveau du G7, au niveau du G20 et au niveau de l’Union européenne paye aujourd’hui.
Est-ce suffisant ? On peut toujours considérer que le verre est à moitié vide. Je constate néanmoins que, en quatre ans, il a été beaucoup plus fait qu’au cours des dix dernières années. Il faut aussi savoir s’en réjouir.
M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne Ventalon. La crise sanitaire a révélé notre dépendance à l’égard des Gafam. Or, en nous appuyant massivement sur des technologies non européennes, nous risquons de perdre notre souveraineté et mettons en danger la survie de notre industrie.
Ma question portera sur le renforcement de l’expertise publique en matière numérique.
En effet, l’économie numérique repose sur la combinaison d’algorithmes et de données souvent complexes à analyser. La compréhension du fonctionnement des plateformes nécessite le recrutement de compétences adaptées : notamment des data scientists, des spécialistes des algorithmes et de l’intelligence artificielle.
Ces compétences seront particulièrement nécessaires au sein des autorités indépendantes appelées à intervenir dans la régulation des opérateurs de plateformes en ligne. Or ces profils sont quasiment absents de nos administrations tant nationales qu’européennes.
Face aux enjeux numériques, l’inspection générale des finances (IGF) préconise dans un rapport de faire monter en compétence la direction générale de la concurrence de la Commission européenne par le recrutement de spécialistes.
Au niveau national, à l’occasion de l’examen du projet de réforme de l’audiovisuel, le Gouvernement a dressé lui-même un constat sévère quant au manque de moyens d’expertise technique de l’État.
La rigidité des règles de recrutement public est l’un des facteurs expliquant ces difficultés. S’y ajoute la faible attractivité des emplois publics face aux grilles salariales proposées pour le même type de postes dans le secteur privé.
Il est aujourd’hui indispensable de construire une stratégie publique pour attirer et retenir les talents du numérique.
Madame la ministre, prévoyez-vous d’adapter la politique de recrutement des services de l’État et des autorités administratives pour répondre à cet enjeu ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Madame la sénatrice Ventalon, je vous remercie de cette question, qui met en lumière tout le travail que nous avons mené pour créer, en France, le pôle d’expertise de la régulation numérique.
Tout d’abord, de récentes lois et leurs textes d’application ont permis d’assouplir le recrutement de profils à forte expertise dans la fonction publique.
Ensuite, nous avons constitué cette force de frappe mutualisée, mobilisable par nos administrations, spécialisée sur les enjeux du numérique et, en particulier, des algorithmes.
Ce service a été créé en septembre 2020. Il s’agit d’une expérience unique au monde, qui suscite d’ailleurs un fort intérêt à l’étranger. Dans ce cadre, cinq projets ont d’ores et déjà été menés à bien et vingt autres sont en cours de réalisation, qu’il s’agisse de l’audit d’algorithmes d’intelligence artificielle, de l’évaluation de la modération des réseaux sociaux ou encore de la collecte d’indices permettant de s’assurer que les plateformes respectent leurs obligations. Chaque fois, ce travail est mené sous l’autorité des administrations compétentes.
En outre, des projets d’expérimentation sont en cours avec les grandes plateformes et avec l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), spécialisé dans le domaine de l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, nous disposons à ce titre d’une équipe de treize experts de haut niveau ; nous comptons porter cet effectif à vingt d’ici à la fin de l’année.
Bref, l’effort est en marche à l’échelle nationale et, selon nous, cette démarche a vocation à faire école à l’échelle de l’Union européenne !
M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, pour la réplique.
Mme Anne Ventalon. Madame la ministre, le renforcement de l’expertise publique est un défi de taille en matière de ressources humaines. Les autorités publiques doivent le relever rapidement pour être à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui et de demain.
La France, riche d’ingénieurs dont la formation est reconnue et convoitée, devrait être à l’avant-garde sur ce sujet et servir d’aiguillon à l’Europe !
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Madame la ministre, la lutte contre les contenus haineux sur le web constitue aujourd’hui un combat indispensable pour apaiser notre démocratie. Mais les armes efficaces nous font défaut, au regard de l’envolée du nombre de faits signalés.
Les Gafam ne peuvent ni ne souhaitent endiguer ces dérives incontrôlées du web. Chaque fois, les cyberdélinquants semblent avoir un temps d’avance par rapport aux dispositifs mis en place.
Certes, la loi Avia, en 2020, a représenté une première tentative de prendre à bras-le-corps cette problématique des contenus haineux en ligne. Néanmoins, comme vous le savez, le Conseil constitutionnel a censuré la majeure partie de ces dispositions, jugeant qu’elles portaient atteinte aux libertés individuelles et à la liberté d’expression.
Vous l’avez dit : la Commission européenne a quant à elle annoncé le déploiement du Digital Services Act à l’horizon de 2022 dans chaque pays membre de l’Union européenne. L’objectif est double : d’une part, protéger le consommateur en améliorant l’encadrement et la transparence des informations figurant sur les plateformes ; d’autre part, donner une plus grande responsabilité aux hébergeurs face aux contenus illicites, dangereux ou contrefaits.
En parallèle, le projet de loi confortant le respect des principes de la République, dont l’examen se poursuit, prévoit entre autres la création d’un délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle.
Dès lors, ma question est assez simple : les mesures proposées par ce texte de loi vous semblent-elles pertinentes, suffisantes et efficientes dans un contexte transitoire, à un an du déploiement du Digital Services Act à l’échelle européenne ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Monsieur le sénateur Le Rudulier, avant tout, je tiens à préciser que le Digital Services Act est en cours de négociation. Je serais ravie qu’il soit en cours de déploiement, mais je crains que nous ne devions franchir quelques étapes intermédiaires avant d’arriver à ce résultat.
C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons pris, à l’échelle nationale, un certain nombre de mesures dont certaines tirent les conclusions de la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi Avia. Nous déployons en quelque sorte des mesures de sauvegarde au sujet des contenus haineux dans le cadre du projet de loi confortant le respect des principes de la République en cours d’examen.
L’enjeu est d’obtenir des plateformes le retrait rapide des contenus illicites. Le temps laissé à ces plateformes pour agir a soulevé des interrogations : le Conseil constitutionnel l’a jugé insuffisant, eu égard à leurs capacités d’action. Nous en avons tiré les conséquences et j’invite la Haute Assemblée à soutenir les nouvelles dispositions que nous avons prises. Elles permettront d’agir très rapidement.
Le Digital Services Act va plus loin. Non seulement il constitue un règlement structurant, mais il présente l’intérêt de s’appliquer à l’ensemble des pays de l’Union européenne : il concerne aussi bien les autorités de régulation d’implantation des plateformes que les autorités de régulation des consommateurs, qui doivent travailler ensemble dans ce cadre.
La somme des deux dispositifs permettra de mieux protéger les citoyens et les consommateurs !
M. le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Madame la ministre, après une décennie d’extension du domaine de la lutte numérique au cœur de nos territoires, l’heure est bel et bien venue d’imposer un cadre à l’expansion des Gafam. Nous sommes mûrs pour cela : vous l’avez vous-même rappelé il y a quelques instants.
Actuellement, 70 % du marché de l’hébergement des données est détenu par Amazon, Microsoft et Google. Chaque fois que nous écrivons un mail, activons notre géolocalisation ou visionnons des publicités, nous envoyons des données qui sont stockées dans des serveurs américains.
Or une donnée n’est pas une simple information numérique : c’est un véritable trésor national. En fournissant nos données aux Gafam, nous leur permettons non seulement d’en tirer d’immenses bénéfices, mais aussi de développer leurs programmes d’intelligence artificielle. Nous accumulons ainsi un immense retard dans la révolution économique et industrielle en cours.
À la lueur de ces signaux d’alarme, un objectif clair s’impose à l’État français : organiser le rapatriement et le stockage des données dans des data centers implantés partout sur le territoire national.
Certes, le Gouvernement a présenté le 17 mai dernier sa stratégie nationale du cloud. Un nouveau cadre réglementaire imposera désormais à l’administration française de recourir à un cloud « protégé contre toute réglementation extracommunautaire », afin d’empêcher que la justice ou les services de renseignement américains n’accèdent aux données hébergées hors des États-Unis. Mais la stratégie cloud de l’État ne permettra pas de résoudre le problème de la souveraineté numérique du jour au lendemain.
En effet, la nouvelle réglementation ne s’applique pas au secteur privé, qui représente une part importante du marché de la donnée. De plus, les solutions hybrides, alliant par exemple actionnariat européen et technologie américaine, risquent de cantonner les entreprises françaises dans le seul hébergement de données. Dès lors, on abandonnerait aux Américains les couches logicielles les plus valorisées.
Quant au projet franco-européen Gaïa-X, il est destiné à faire émerger des services cloud conformes aux valeurs européennes. Mais on peut redouter que les entreprises américaines ou asiatiques qui comptent parmi ses membres ne l’utilisent comme un cheval de Troie.
Madame la ministre, quelle stratégie entendez-vous déployer pour permettre aux acteurs économiques du secteur privé de sécuriser leurs données personnelles et de les rapatrier sur le territoire national ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie. Madame la sénatrice Boulay-Espéronnier, vous le savez, toutes les données traitées par les Gafam – je pense notamment à Amazon Web Services (AWS) – ne sont pas nécessairement stockées aux États-Unis : un certain nombre d’entre elles sont stockées en Europe. D’ailleurs, il s’agit souvent d’une des conditions contractuelles que les entreprises négocient.
Ensuite, le RGPD demeure une réglementation protégeant les Européens quant à l’utilisation de leurs données privées. Quant au Digital Services Act, il a pour but de donner aux autorités de régulation les moyens de contrôler plus avant l’utilisation concrète de ces données et le recours aux algorithmes. Je pense notamment aux éventuels algorithmes biaisés.
Tout ce travail est en cours à l’échelle européenne, suivant un calendrier – on l’a dit et répété dans cet hémicycle – couvrant les douze à dix-huit prochains mois. Il est important de le souligner.
En outre, nous construisons des solutions européennes qui ne se limitent pas au cloud. Vous avez parfaitement raison, il ne faut pas se contenter de cet enjeu : il faut investir d’autres dimensions, comme le traitement des algorithmes et l’intelligence artificielle. Or, en la matière, nous disposons de grands acteurs que j’ai déjà cités, comme Dassault Systèmes : ils maîtrisent une couche logicielle que l’on retrouve partout, y compris dans les Gafam.
Ainsi, la réalité est plus intriquée qu’il n’y paraît : on ne peut, sans faire de raccourci, prétendre que tout se passe aux États-Unis et que les Européens sont privés de tout moyen, de toute brique technologique.
Bien sûr, il faut aller plus avant…
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. C’est tout l’enjeu, notamment, du programme d’investissements d’avenir (PIA) : faire de la cybersécurité, du cloud souverain ou encore de la 5G des éléments centraux d’investissements massifs. En parallèle, il convient de lancer, à l’échelle de l’Union européenne, des IPCEI (Important Project of Common European Interest) permettant de faire émerger ces briques technologiques d’une qualité équivalente à ce que font les Américains !
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Gérard Longuet, pour le groupe auteur de la demande.
M. Gérard Longuet, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Républicains m’a confié la responsabilité de conclure ce débat, organisé sur son initiative.
Je tiens à remercier l’ensemble des orateurs, au premier rang desquels Jean-Raymond Hugonet, qui a ouvert ces discussions. Ayant été, il y a un peu plus d’un an, le rapporteur d’une commission d’enquête sénatoriale relative à la souveraineté numérique, instance présidée par mon collègue Franck Montaugé, je puis témoigner de la pertinence des seize interventions et des seize réponses. Chacune a enrichi le débat et montre la forte implication de notre assemblée sur ce sujet absolument majeur : il y va des rapports de puissance entre, d’une part, les Gafam ainsi que les BATX, évoqués par André Gattolin, et, de l’autre, nos démocraties ouvertes.
Y a-t-il des éléments positifs ? Oui. J’insisterai sur le premier d’entre eux, même s’il est fragile : c’est la convergence des volontés, au-delà des divisions politiques, pour préserver un système qui respecte l’homme. Il y a d’autres points de convergence, comme la propriété intellectuelle : le temps qui m’est imparti ne me permet pas de les détailler.
Quoi qu’il en soit, cet élément est extrêmement positif. Est-il durable ? Oui, à condition que les réponses nationales, européennes et mondiales soient rapides et ambitieuses. En effet, nous sommes face à deux obstacles majeurs.
Premièrement, alors que la décision politique est lente, l’imagination des acteurs du numérique est à peu près sans limite, qu’il s’agisse de l’industrie ou des services. Le ressort technologique est inépuisable – on pense aux lois de Moore, à la fibre optique, aux algorithmes ou encore à l’imagination marketing : qui aurait pensé que TikTok séduirait des centaines de millions de jeunes gens en quelques mois, en entraînant – c’est rassurant ! – la disparition d’autres réseaux ?
Or, j’y insiste, les lois et les règlements exigent des négociations interminables aux différents niveaux, par exemple à l’échelle de l’Union européenne ou de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), s’agissant des dispositions fiscales évoquées par de très nombreux collègues.
Deuxièmement, le système s’installe et sa force d’inertie ne s’explique pas par la seule puissance de ces entreprises. Elle tient également à la présence des clients – ils ne sont pas très fidèles, mais il y en a et ils constituent un atout considérable. Il y a également des fournisseurs, qui finalement s’en sortent. Certes, ils sont exploités, mais les plateformes leur permettent d’accéder à une clientèle qu’ils n’auraient pas pu atteindre autrement. Et il y a évidemment les actionnaires, et des intérêts économiques considérables qui se construisent.
Bref, si la politique veut garder sa place, elle doit agir à un rythme soutenu. Ce débat, voulu par le groupe Les Républicains, est donc tout à fait justifié.
Madame la ministre, nous, parlementaires, avons un devoir : vous empoisonner l’existence. (Sourires.) Notre rôle, c’est de vous rappeler en permanence et vos engagements, que nous soutenons totalement, et les succès que l’on voit se profiler à l’horizon – horizon : ligne imaginaire qui recule au fur et à mesure que l’on avance. (Nouveaux sourires.) Je ne vous mets pas en cause personnellement : c’est la vitalité du système qui l’explique.
Reste une question majeure : que se passera-t-il aux États-Unis ? Si l’Europe adopte une attitude raisonnable et réfléchie – on a invoqué l’acte sur les marchés du numérique et l’acte sur les services du numérique : je le dis en français, cela me fait plaisir ! (Sourires.) –, aux États-Unis, cinquante-cinq procureurs ont lancé des actions.
Jean-Raymond Hugonet a évoqué les démantèlements doux et carrés : comme j’aime l’histoire, je pense aux compagnies de chemins de fer et aux compagnies pétrolières. J’évoquerai également le démantèlement d’AT&T, qui a eu lieu alors que j’étais ministre des postes et télécommunications – c’était au siècle dernier. (Sourires.)
Cet exemple prouve que les États-Unis savent limiter le pouvoir des grandes entreprises. À cet égard, ils appliquent la très belle formule citée par Jean-Raymond Hugonet : parce qu’ils n’ont pas choisi de roi, ils n’ont pas l’intention de subir l’autorité d’un monarque autodésigné par sa performance industrielle ou de marketing. Ces performances sont parfaitement respectables et elles garantissent le confort des actionnaires, mais elles ne confèrent aucune légitimité pour gouverner nos sociétés ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la régulation des Gafam.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trois, est reprise à dix-sept heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Rétablissement du contrôle aux frontières nationales depuis 2015 : bilan et perspectives
Débat organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, sur le thème : « Rétablissement du contrôle aux frontières nationales depuis 2015 : bilan et perspectives. »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Sophie Taillé-Polian, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au moment même où nous ouvrons ce débat, des hommes et des femmes risquent leur vie pour trouver refuge en France. S’ils quittent leur pays et leur famille au péril de leur vie, c’est certainement parce qu’ils n’ont pas d’autre choix.
Face à cela, nous agissons à rebours de notre histoire et de notre tradition. La France contrevient à ses valeurs et au droit de l’Union européenne en renouvelant tous les six mois le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures depuis 2015 : récemment encore, cette décision a été prolongée jusqu’au 31 octobre prochain. Invoquant la lutte contre le terrorisme, elle s’assoit sur ses obligations juridiques en inscrivant dans la durée une mesure censée être exceptionnelle.
Comment le Gouvernement justifie-t-il ce non-respect du délai prévu par un texte européen ?
La France se décharge de toute responsabilité quant à l’accueil des personnes exilées : elle se défausse sur ses voisins, quitte à se mettre en situation d’otage à l’égard d’autres pays, y compris des États n’appartenant pas à l’Union européenne.
De manière hypocrite, la France délègue aux organisations non gouvernementales (ONG) et aux associations de terrain qui viennent en aide tous les jours aux personnes exilées le soin et le devoir d’accueillir et de prendre en charge avec le moins de moyens possible, pour tenter de dissuader les bénévoles comme les exilés.
Dès lors, nous posons la question : où sont nos valeurs de solidarité lorsque nous laissons des personnes mourir dans la Méditerranée ou à la frontière franco-italienne ?
Où sont nos valeurs de solidarité lorsque le Gouvernement ordonne aux forces de police d’empêcher quasiment à tout prix les exilés d’entrer sur notre sol – c’est ce que nous avons observé –, en allant parfois jusqu’au harcèlement des individus qui souhaitent fuir leur pays, au point de les mettre en danger ?
Où sont nos valeurs de solidarité lorsque les femmes et les hommes engagés dans les réseaux solidaires sont criminalisés ?
Mes chers collègues, toutes ces questions sont à l’origine du débat que le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vous propose aujourd’hui.
Nous en appelons à l’état d’urgence humanitaire pour le respect de la dignité, pour un accueil respectueux des droits fondamentaux, pour la fraternité et pour la solidarité.
Depuis janvier dernier, dix-sept élus du Sénat et du Parlement européen se sont rendus à Montgenèvre aux côtés de l’Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita) pour observer l’action des associations de défense des droits des personnes exilées – Médecins du monde, l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), Tous Migrants, etc. – mobilisées depuis des années sur ce point de passage extrêmement dangereux.
C’est à leurs côtés que nous avons opposé la solidarité et la fraternité humaines aux politiques du Gouvernement, que je qualifierai de brutales et d’inefficaces.
Les réseaux solidaires qui œuvrent sur l’ensemble du territoire font notre fierté. Nous tenons à les remercier et à les soutenir dans leur action de solidarité.
Nous assumons un message clair : tout être humain, indépendamment de ses origines, mérite le respect et la dignité, mérite l’accès aux soins, l’accès à ses droits et le respect de son intégrité physique et psychique. Trop souvent, le push back, le refoulement à la frontière sont sources d’humiliations ou de mises en danger.
Il ne s’agit pas seulement de faire de la morale : nous refusons cette politique non seulement au nom de nos valeurs, mais aussi en raison de son inefficacité.
Le rétablissement des contrôles frontaliers à l’intérieur de l’espace Schengen met en danger les personnes qui tentent de traverser les frontières. Celles-ci empruntent des chemins de plus en plus dangereux : on déplore déjà cinq morts à la frontière entre Montgenèvre et Oulx et plus d’une vingtaine entre Vintimille et Menton, sans parler des amputations dues aux gelures.
Alors que la traversée de la montagne est source de nombreux risques pour la santé, en particulier l’hiver, les personnes arrivent dans un état de santé de plus en plus fragile.
On voit de plus en plus d’enfants en bas âge et de femmes enceintes. Le 13 février dernier, notre collègue eurodéputé Damien Carême a assisté au renvoi en Italie d’une femme qui était sur le point d’accoucher. Elle demandait à voir un médecin ; or la maternité la plus proche était du côté français.
L’arsenal politique et policier déployé aux frontières, censé dissuader l’arrivée des personnes exilées par l’intimidation et l’enfermement, conduit en fait à des situations périlleuses. Il bafoue le droit français et international en contrevenant à l’obligation de porter secours aux personnes en danger.
Ce qui se passe aujourd’hui à nos frontières est donc insupportable. Mais, depuis plusieurs mois, le Gouvernement continue sa politique de militarisation des frontières. Les exilés seraient dangereux, les militants solidaires complices des passeurs.
Si certains exilés sont dangereux, ne vaudrait-il pas mieux les accueillir et les surveiller comme il se doit, dans un cadre légal correct ? À l’inverse, la politique menée les conduits à multiplier les tentatives de franchir la frontière ; et, de l’aveu même des policiers, ils finissent toujours par passer !
Les solidaires, quant à eux, ne sont pas des coupables. Le 6 juillet 2019, le Conseil constitutionnel reconnaissait la fraternité comme principe à valeur constitutionnelle. La Cour de cassation l’a confirmé le 31 mars dernier en relaxant définitivement Cédric Herrou. La solidarité n’est pas un délit !
Le 22 avril s’est ouvert un nouveau procès en première instance à l’encontre des solidaires pour « aide à l’entrée illégale et à la circulation sur le territoire national de personnes en situation irrégulière ». Ce procès met en lumière la situation à la frontière franco-italienne, à Montgenèvre, où répression policière et protection des personnes exilées se confrontent.
Or, depuis près de cinq ans, à Briançon et ailleurs en France, des bénévoles soignent, accueillent et entourent, avec toute la chaleur qu’il leur est encore possible de rassembler, les femmes, les enfants et les hommes qui arrivent là faute d’autre choix et qui, quand ils sont refoulés, tentent de passer de nouveau.
J’y insiste, cette politique est totalement inefficace : des policiers et des policières nous l’ont dit eux-mêmes. D’ailleurs, ces moments ne sont guère agréables pour eux non plus : je doute qu’ils se soient engagés dans la fonction publique pour mettre en œuvre cette forme d’horreur banalisée.
J’ai moi-même observé ces chasses à l’homme, la nuit, dans le froid glacial de la montagne à Montgenèvre. Or les policiers et les policières nous le disent : « Nous les arrêtons une première, une deuxième fois, mais ils finissent toujours par passer. » Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas d’autre choix : c’est le choix de la vie qu’ils font.
À quoi bon déployer tant de moyens humains et financiers pour une politique totalement inefficace, qui met en danger les personnes essayant de passer ? C’est totalement absurde et inhumain : cela ne peut plus durer.
Les flux migratoires ne vont pas cesser : les conflits, les guerres, le réchauffement climatique sont bien là. Au lieu de persister dans cette politique de déni et d’hypocrisie, nous ferions mieux d’assumer le problème tel qu’il est.
Les renouvellements successifs des contrôles aux frontières nationales, décidés par ce gouvernement, ne font qu’empirer la situation : c’est la France qui se rend alors coupable de drames humains, sans résoudre en rien les difficultés rencontrées.
Cette politique assumée du déni des droits et de la dissuasion doit cesser. Il est urgent que ce gouvernement s’engage dans une démarche permettant d’accueillir dignement, d’accompagner et de protéger les mineurs isolés, de garantir leurs droits aux migrants tout en déployant les moyens de détecter d’éventuels exilés dangereux.
Aujourd’hui, les idées d’extrême droite progressent dans notre pays. Elles sont, selon moi, profondément antirépublicaines, mais elles s’imposent dans notre débat public. Dans le même temps, des milices identitaires s’estiment en droit de faire la chasse aux personnes exilées.
Nous souhaitons véritablement que le débat soit posé et qu’il s’inscrive dans le cadre républicain. Nous devons répondre à ces défis dans le respect de nos valeurs, de manière digne, efficace, intelligente et républicaine ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie les élus du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir souhaité provoquer ce débat devant la Haute Assemblée. J’y représente le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin.
Ce débat nous offre l’occasion de revenir sur la détermination du Gouvernement à agir sur tous les fronts de notre sécurité.
En effet, c’est bien de cela qu’il s’agit : notre sécurité. C’est elle qui a motivé, dès 2015, à la suite des attentats que nous avons subis, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures à Schengen. C’est elle encore qui a conduit au doublement des forces affectées à ces contrôles, en novembre 2020. C’est elle enfin qui sous-tend nos propositions d’amélioration des contrôles aux frontières extérieures de l’Europe, que nous défendons dans le cadre des négociations européennes.
Dans cette intervention liminaire, j’évoquerai trois points principaux.
Tout d’abord, il me semble qu’il nous faut faire preuve de réalisme : la menace terroriste est toujours présente. Les raisons qui nous ont conduits à rétablir des contrôles aux frontières intérieures en 2015 n’ont, hélas ! pas disparu, du fait d’une conjoncture internationale très perturbée.
Ensuite, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures apporte une réponse proportionnée et efficace à ces menaces, comme en témoignent les chiffres.
Enfin, cette politique doit être complétée par des initiatives fortes à l’échelon européen afin d’améliorer Schengen. Je reviendrai sur les axes que nous défendons à Bruxelles dans la perspective de la présidence française de l’Union européenne.
Le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures demeure d’actualité, dans un contexte international perturbé.
La France a réintroduit les contrôles aux frontières intérieures avec la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, la Confédération helvétique, l’Italie et l’Espagne, ainsi qu’aux frontières aériennes et maritimes, lors de la COP21, sur le fondement de l’article 25 § 1 du code frontières Schengen (CFS), qui prévoit une telle possibilité en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre – catégorie des événements dits prévisibles.
Cependant, à la suite des attentats de Paris et de Saint-Denis, l’état d’urgence a été décrété et cette réintroduction a été prolongée. Actuellement, la France est en prolongation de la réintroduction pour une durée de six mois.
Les raisons qui expliquent cette longue prolongation du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures sont doubles.
La principale raison est la menace terroriste. En trois ans, nos services spécialisés ont déjoué 32 attentats. Hélas, cela n’a pas empêché notre pays d’être frappé par trois attentats islamistes, y compris très récemment. L’un d’entre eux, celui de Nice, a été commis par un ressortissant tunisien entré illégalement en Italie avant d’arriver en France par la frontière de Menton-Vintimille.
Cette menace terroriste ne faiblit pas. Les groupes djihadistes restent actifs au Sahel, en Libye, ainsi que dans la zone syro-irakienne. Plusieurs d’entre eux ont des agendas internationaux et alimentent de multiples réseaux criminels qui utilisent le commerce de stupéfiants ou le trafic de migrants pour agir ou amplifier leurs actions.
La deuxième raison qui a conduit à la prolongation est conjoncturelle, mais s’impose à nous tous : c’est la lutte contre la propagation de la covid-19 et la nécessité d’harmoniser les pratiques entre les différents États européens. Ainsi, dans sa communication du 19 janvier 2021, intitulée Un front uni pour vaincre la COVID-19, la Commission européenne a souligné que tous les déplacements non essentiels devaient « être fortement découragés jusqu’à ce que la situation épidémiologique se soit considérablement améliorée ».
Au demeurant, la pression migratoire demeure et connaît une forte hausse : en 2020, les flux de migrants atteignant l’Europe ont connu une augmentation par rapport à 2019 sur les routes occidentales et centrales, ainsi que sur celle des Balkans. Seule la route orientale affiche une baisse.
Par ailleurs, au premier semestre 2021, on a décompté 36 076 entrées irrégulières au sein de l’Union européenne, soit une hausse de 32 % par rapport à la même période de 2020, principalement vers l’Italie et l’Espagne.
Ce sont surtout les flux secondaires, qui touchent la France depuis les autres pays européens, qui sont en augmentation. Ainsi, les non-admissions prononcées en 2020 sont en hausse de 55 % par rapport à l’année précédente, sur les frontières terrestres. La tendance se poursuit sur les trois premiers mois de l’année 2021, une augmentation de 221 % par rapport à 2020 ayant été constatée. Ce sont évidemment les frontières espagnoles et italiennes qui sont les plus concernées.
Ces flux migratoires secondaires pèsent lourdement sur nos dispositifs d’accueil. La France enregistre les chiffres parmi les plus élevés en matière de demandes d’asile : 152 000 demandes ont été déposées en 2019 et 93 000 en 2020.
À cet égard, la France n’est pas isolée et n’est pas la seule à avoir choisi le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures et à l’avoir renouvelé à plusieurs reprises. En effet, plusieurs autres États membres – l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Suède et la Norvège – ont également réintroduit ces dernières années les contrôles à certaines de leurs frontières intérieures.
Les résultats obtenus grâce au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures sont positifs, dans le cadre d’une coopération active avec les États riverains.
Le contrôle aux frontières repose, aux frontières belge, allemande et suisse, sur les effectifs de douane et de police en poste, soit un peu moins de 2 000 personnes. Aux frontières espagnoles et italiennes, les effectifs ont été portés, depuis les décisions du Président de la République de novembre 2020, de 2 400 à 4 800 policiers, gendarmes et militaires de l’opération Sentinelle.
Les contrôles aux frontières intérieures ont fait la preuve de leur utilité pour prévenir le terrorisme, la criminalité organisée et pour lutter contre l’immigration irrégulière et les filières. Outre leur caractère dissuasif, ils ont permis la surveillance d’individus signalés dans les bases de données européennes et nationales en raison de la menace terroriste qu’ils représentent pour notre territoire. Ils ont également révélé toute leur pertinence dans la lutte contre la fraude documentaire.
À titre d’illustration, permettez-moi de vous livrer quelques chiffres. Depuis novembre 2015, 274 millions de personnes ont franchi les frontières françaises, extérieures ou intérieures ; 102 millions ont fait l’objet de contrôles, 93 millions de passages fichiers, soit plus d’un tiers du total des passages aux frontières. Sur ce total, 121 000 fiches ont été découvertes et 300 000 personnes ont été non admises.
Ces résultats signifient deux choses. La première, c’est que les contrôles fonctionnent et entretiennent un flux réel de non-admissions : un nombre significatif de personnes, approximativement 50 000 par an, sont détectées comme n’ayant aucun droit de se rendre sur notre territoire. Au vu des volumes de circulation, ces contrôles n’entravent nullement la liberté de circulation, qui reste le principal acquis de Schengen.
Il est à noter que les droits des voyageurs et des migrants sont pleinement respectés. En cas de non-admission, notamment à la frontière franco-italienne, des locaux ont été mis à disposition des personnes à qui l’entrée est refusée, le temps qu’elles soient remises aux autorités italiennes.
Ces contrôles aux frontières s’effectuent dans le cadre d’une coopération solide avec les États voisins. L’intégralité des contrôles aux frontières est menée dans le respect du principe de proportionnalité et en étroite coopération avec les autorités des États membres voisins.
En matière de coopération, des analyses de risques sont régulièrement partagées et actualisées avec les États membres limitrophes, en fonction de la situation rencontrée et selon les services considérés – police nationale, douanes et gendarmerie nationale. C’est le cas, par exemple, entre la police et la gendarmerie françaises et les services italiens à la frontière. Ces analyses visent notamment à prévenir le développement d’organisations criminelles transfrontalières et sont diffusées à l’échelon départemental, régional et national.
Les contrôles aux frontières terrestres sont donc aménagés en fonction de ces échanges d’informations et réalisés par des patrouilles fixes et mobiles, qui effectuent une surveillance adaptée entre les différents points de passage.
Par ailleurs, sur le fondement de la convention d’application de l’accord de Schengen, des accords visant à renforcer la coopération policière et douanière ont été signés avec les États frontaliers. Ils prévoient notamment l’installation de centres de coopération policière et douanière (CCPD) facilitant l’échange d’informations entre les différentes parties prenantes.
À terme, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ne pouvant être maintenu indéfiniment, c’est vers la réforme de Schengen que nous devrons nous orienter.
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Très récemment, le ministre de l’intérieur a adressé à la Commission européenne, avec son homologue allemand, une lettre conjointe en ce sens. Hier, la Commission européenne a publié sa stratégie Schengen, soit les grands axes d’une réforme vers un espace Schengen rénové.
Bref, l’enjeu que nous traitons avec nos partenaires, c’est le contrôle des frontières extérieures et le rétablissement de la confiance et de la coopération entre États membres. Le but, vous l’avez bien compris, est bien de préserver cette avancée irremplaçable qu’est la libre circulation.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et que le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Tout État souverain a naturellement le droit de définir sa politique migratoire et les catégories de populations ayant le droit d’entrer sur son territoire. Aucun État n’est une page blanche. On ne peut y entrer ou en sortir comme dans un moulin ! Cela n’existe pas…
En France, le Gouvernement a rétabli le contrôle aux frontières depuis les attentats de 2015. Vous venez de rappeler un certain nombre de chiffres, madame la ministre, mais nous sentons bien que le contrôle aux frontières à l’intérieur de l’Europe n’a de sens que si nous réformons Schengen et si nous renforçons Frontex.
Si une course-poursuite s’engage entre les différents États à l’intérieur de l’Europe, mais qu’il est possible d’entrer très facilement ou clandestinement en Europe, alors c’est un jeu à somme nulle, pour ne pas dire un jeu de dupes.
Madame la ministre, vous avez évoqué le Schengen rénové envisagé par l’Union européenne à la fin de votre intervention. Comment comptez-vous coordonner la politique française et la politique européenne en matière de contrôle des frontières ? Comment renforcer les capacités de Frontex ? Une politique migratoire européenne commune soutenant Frontex et le contrôle aux frontières de l’Europe est-elle dans les tuyaux ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, je comprends bien sûr votre question et je vous assure que le Gouvernement partage votre volonté de mener une politique de contrôle aux frontières qui soit efficace, juste et bien évidemment coordonnée.
Vous l’avez dit, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures répond à des impératifs majeurs de sécurité, notamment de lutte contre le terrorisme. Cela étant, malgré l’excellent travail des agents de la lutte contre le terrorisme, qui ont déjoué 51 attentats depuis 2015 et que je tiens à saluer ici, la menace reste extrêmement forte. Nous ne pouvons pas baisser la garde.
Le rétablissement a porté ses fruits, bien qu’il ne constitue pas la seule solution. Vous le savez, monsieur le sénateur, le Gouvernement nourrit l’ambition forte d’un contrôle commun aux frontières extérieures de l’Union européenne.
Pour répondre très clairement à la question que vous me posez, et comme je l’ai dit brièvement dans mon propos liminaire, nous croyons en Schengen. Toutefois, comme l’a dit le Président de la République, pour sauver Schengen, il faut le transformer. La politique de la France en la matière ne peut bien évidemment se faire ni contre l’Union européenne ni différemment d’elle. Je vous confirme qu’un travail diplomatique est en cours avec nos partenaires, avec l’ensemble des ministres concernés à l’échelon européen, afin d’améliorer Schengen. Tel est le sens que nous souhaitons donner à la présidence française de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Madame la ministre, cela fait des années, cinq ou dix ans, que l’on dit qu’il faut réformer Schengen. Il est donc temps que soit mise en œuvre une politique d’immigration commune à l’ensemble de l’Europe, dotée de moyens de contrôle communs aux frontières, et que Frontex soit renforcée.
Cela étant, je ne rêve pas ! Chaque État membre conservera sa souveraineté à l’intérieur de ce Schengen 2, car il y a peu de chances que tous les États européens mènent strictement la même politique migratoire. La France doit donc impérativement conserver sa souveraineté sur son territoire et pouvoir décider qui a le droit d’entrer ou non sur son territoire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la ministre, les accords de Schengen permettent la libre circulation des personnes entre vingt-six États, qui ne sont d’ailleurs pas tous membres de l’Union européenne. Aux côtés de la libre circulation des marchandises et des capitaux, celle des personnes illustre la grande intégration des États membres.
Cette liberté est une chance pour le peuple européen. Comme le permettent les accords de Schengen, un certain nombre de restrictions à la libre circulation des personnes ont cependant été mises en œuvre ces dernières années. Différents motifs ont été invoqués, comme la lutte contre le terrorisme, le contrôle des flux migratoires ou encore la lutte contre la pandémie.
Depuis les attentats de Paris en 2015, la France a rétabli la possibilité d’effectuer des contrôles à ses frontières. Certains y voient la fin de l’espace Schengen. Nous pensons qu’il s’agit plutôt d’une mesure de sécurité, que chacun peut comprendre.
L’année 2015 a aussi été marquée par une crise migratoire majeure. Cela a été dit, Frontex disposait de moyens trop faibles pour assurer l’intégrité des frontières extérieures de l’Union. Ses compétences et ses moyens ont été renforcés après cet épisode, mais une réforme plus globale est nécessaire, notamment pour assurer l’interopérabilité des fichiers.
Pour se reposer sur les frontières extérieures, les États ont besoin de savoir que ces frontières sont fermement tenues. Ils ont également besoin de connaître qui les franchit.
Monsieur le ministre, ces objectifs sont-ils atteignables à vingt-six ? Ne faut-il pas prévoir un espace de libre circulation plus restreint, mais mieux maîtrisé ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, vous me posez une question fort intéressante, qui sera abordée lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Le Président de la République s’est d’ailleurs lui-même déjà exprimé dans votre sens. Il est vrai qu’il est extrêmement difficile à vingt-six ne serait-ce que de se mettre d’accord sur le partage d’un certain nombre de données et sur leur fiabilité.
Vous avez soulevé la question des moyens. Entre 2021 et 2027, le nombre de garde-frontières de Frontex augmentera de 10 000. Par ailleurs, le budget alloué à cette agence a considérablement augmenté. Nous appelons de nos vœux la mise en œuvre rapide de procédures efficaces aux frontières extérieures. Dans ce sens, nous soutenons la proposition de la Commission qui vise à rendre obligatoire le contrôle avant le passage de la frontière extérieure de l’Union européenne, notamment l’enregistrement dans Eurodac.
Les procédures d’asile à la frontière doivent aussi nous permettre d’identifier rapidement les personnes manifestement inéligibles à l’asile afin de favoriser leur éloignement, tout en respectant leurs droits fondamentaux. Cela nous permettra par ailleurs de réduire le délai de réponse aux demandes d’asile. Dans le même temps, nous devons définir un cadre de responsabilité plus efficace afin de réduire les demandes multiples et d’empêcher les abus.
Nous plaçons de grands espoirs dans le code de coopération policière annoncé par la Commission afin de renforcer la coopération policière transfrontalière. Il est essentiel de pratiquer davantage les contrôles autorisés dans les zones frontalières, tels qu’ils sont d’ailleurs prévus dans le code frontières Schengen, de permettre aux États membres d’y recourir plus largement et de faciliter les remises d’étrangers en situation irrégulière d’un État membre à l’autre.
Pour conclure, nous pensons que le rétablissement temporaire des contrôles aux frontières doit permettre aux États qui y recourent de réagir rapidement et efficacement à des menaces sur leur territoire, en coopération toujours plus étroite et améliorée avec la Commission et les autres États membres.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la ministre, durant plusieurs semaines, nous avons constaté que la police aux frontières refoulait systématiquement les personnes appréhendées, même en cas de demande d’asile. Malgré nos demandes, aucune justification légale de cette pratique ne nous a été fournie. Ces pratiques entrent pourtant en contradiction avec le droit et la jurisprudence, comme en attestent les recherches juridiques que nous avons effectuées.
En effet, de 2019 à 2021, le Conseil d’État ou la Cour de cassation ont clairement affirmé à au moins cinq reprises que le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, tel qu’il est prévu par le code frontières Schengen, ne permet pas de signifier des refus d’entrée sans avoir tenu compte du droit de demander l’asile à la frontière.
En 2019, la Cour de cassation a clairement considéré que « la seule réintroduction de contrôles aux frontières intérieures d’un État membre n’a pas pour conséquence qu’un ressortissant de pays tiers, en séjour irrégulier et appréhendé à l’occasion du franchissement de cette frontière […], puisse être éloigné plus rapidement » via un refus d’entrée sans prise en compte du droit d’asile. Le Conseil d’État est arrivé à la même conclusion à trois reprises.
Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne a indiqué que le « code Schengen s’oppose à ce qu’une frontière intérieure sur laquelle des contrôles ont été réintroduits soit assimilée à une frontière extérieure ». Les règles d’exception au droit d’asile ne s’appliquent donc pas.
De même, le règlement de Dublin prévoit que la demande d’asile doit être instruite par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).
Comment expliquer que nous ayons constaté à plusieurs reprises que les demandes d’asile n’étaient pas prises en compte à Montgenèvre ? Madame la ministre, vous avez rétabli les frontières, mais nous vous demandons de rétablir le droit !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Poncet-Monge, je sais que vous vous êtes rendue sur place et je salue votre engagement et le fait que votre question émane directement du terrain.
Très concrètement, même si un contrôle est exercé aux frontières intérieures de l’Union européenne, il n’en demeure pas moins que la frontière extérieure de l’Union européenne, c’est celle de l’Italie. Le règlement de Dublin prévoit que c’est le franchissement d’une frontière extérieure qui est pris en compte pour déterminer la responsabilité d’un État membre dans le traitement d’une demande d’asile. À cet égard, les procédures Dublin sont parfaitement claires et respectées par la France.
Il ne fait aucun doute pour nous que les étrangers interpellés lorsqu’ils franchissent la frontière italienne le sont dans le respect du droit. Les migrants conservent bien sûr la faculté juridique de demander l’asile. Ils relèvent alors soit de l’Italie, selon le critère de Dublin, soit de la France s’ils disposent d’éléments probants attestant d’un lien avec notre pays, par exemple la présence de membres de leur famille. Seuls ces éléments juridiques sont pris en compte dans ce cadre.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la réplique.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la ministre vos propos sont en contradiction avec la décision de la Cour de justice de l’Union européenne. Je vous le répète, le code frontières Schengen s’oppose à ce qu’une frontière intérieure rétablie – c’est ce que nous connaissons depuis cinq ans – sur laquelle des contrôles ont été réintroduits soit assimilée à une frontière extérieure.
Vous me dites que c’est la frontière extérieure qui prime. Je vous redis que les règles d’exception au droit d’asile ne s’appliquent pas ! Le règlement de Dublin ne justifie pas un renvoi immédiat, la demande d’asile devant au préalable être instruite par l’Ofpra.
Nous avons vu, de nos yeux vu, que les personnes appréhendées étaient directement renvoyées à la police italienne, sans que leur situation fasse l’objet d’une instruction préalable.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame la ministre, il y a trente-six ans, cinq États membres de l’Union européenne convenaient de supprimer entre eux les contrôles aux frontières. Aujourd’hui, 3,5 millions de personnes se déplacent chaque jour au sein de l’espace Schengen. La Commission européenne a présenté hier une proposition de révision du mécanisme de contrôle. Son bon fonctionnement repose sur trois piliers : une gouvernance solide, une gestion efficace des frontières extérieures et le renforcement des mesures policières pour compenser l’absence de contrôles intérieurs.
Or ces contrôles ont été réintroduits en France le 13 novembre 2015 en prévision de la tenue de la COP21. Comme le prévoit l’article 25 du code frontières Schengen, le contrôle aux frontières intérieures a été prolongé une cinquantaine de fois, pour cause de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure. Plusieurs autres États membres ont justifié une telle reconduction en raison de circonstances exceptionnelles. L’article 28 du code autorise également le rétablissement des contrôles intérieurs, pour une période limitée.
Ces rétablissements et prolongations successifs des contrôles aux frontières intérieures, décidés pour des motifs légitimes, posent toutefois la question de l’application de ce cadre et de son esprit initial.
Certes, les récents rétablissements des contrôles aux frontières sont parfois perçus comme des réactions de repli, un manque de confiance. Face à un état de crise quasiment permanent, qu’il soit migratoire, terroriste ou sanitaire, il faut s’interroger plus profondément sur l’adéquation du cadre en vigueur.
Nous nous accorderons sur ce point : les contrôles aux frontières nationales ne suffisent pas. Il existe d’autres façons d’assurer la sécurité de nos concitoyens et de réguler les flux de personnes, notamment la protection des frontières extérieures de l’Union par l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, dont les moyens doivent être renforcés.
La France va devoir défendre une position dans la perspective de la révision prochaine du code frontières Schengen. Madame la ministre, comment concilier la nécessité d’assurer la sécurité et le respect de l’esprit du code Schengen, qui confère un caractère exceptionnel au rétablissement des frontières intérieures ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Duranton, vous l’avez rappelé, les attentats de 2015 qui ont durement frappé notre pays, comme ceux de cette année, ont justifié, conformément aux dispositions du code frontières Schengen, le choix de la France de rétablir des contrôles aux frontières intérieures. Les gouvernements qui se sont succédé ont par la suite maintenu et prolongé ces contrôles.
Toutefois, vous avez parfaitement raison de rappeler qu’il nous faut veiller à ne pas dénaturer l’espace Schengen, qui est l’un des acquis les plus précieux de la construction européenne. La suppression des contrôles aux frontières intérieures a contribué à l’amélioration du marché unique et a permis aux citoyens de l’Union européenne de bénéficier des avantages d’une Europe unie.
Pour concilier l’esprit du code Schengen et les exigences impérieuses de sécurité, il nous faut faire du contrôle de la frontière extérieure la clé de voûte de la nouvelle stratégie Schengen qui est en cours de préparation. La France appelle donc de ses vœux la mise en œuvre rapide de procédures aux frontières extérieures efficaces et soutient, comme je l’ai déjà dit, la proposition de la Commission qui vise à rendre obligatoire le contrôle avant l’entrée à la frontière extérieure de l’Union européenne, notamment l’enregistrement dans Eurodac. Selon nous, c’est ce qui va véritablement permettre d’améliorer la situation.
Dans le même temps, nous devons définir un cadre plus efficace en matière d’asile. On voit bien les problèmes qui se posent en France et partout en Europe pour réduire les demandes multiples, empêcher les abus de l’actuel système de Dublin.
Nous pensons également que le code de coopération policière annoncé par la Commission pour renforcer la coopération transfrontalière est une bonne solution et qu’il est essentiel d’utiliser davantage les contrôles qui sont déjà autorisés dans les zones frontalières, dans le respect bien sûr du code frontières Schengen, en permettant aux États membres d’y recourir plus largement.
Pour conclure, la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures doit permettre aux États membres qui y recourent de réagir rapidement et efficacement à des menaces sur le territoire national, en coopération avec la Commission et les autres États membres. Cela, c’est pour le présent, mais cela ne doit pas nous empêcher de nous tourner vers l’avenir, de poursuivre ensemble la construction européenne et de franchir la nouvelle étape de Schengen, main dans la main avec nos partenaires européens.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Le contrôle aux frontières et le défi migratoire doivent nécessairement susciter une réflexion technique et pratique sur les démarches relatives aux droits au séjour et aux naturalisations auxquelles sont confrontées les personnes arrivant dans notre pays.
Comme nos concitoyens, les personnes qui demandent un titre de séjour sont confrontées à une nouvelle pratique administrative : la dématérialisation !
Notre assemblée a déjà montré sa sensibilité à la question de l’illectronisme, qui creuse certaines fractures et constitue un handicap majeur dans une société toujours plus numérisée.
Dans ces circonstances, nous imaginons facilement dans quelle précarité peuvent être plongées les personnes faisant une demande de titre de séjour lorsqu’il est nécessaire pour y parvenir de verser en ligne des pièces jointes au format PDF compressé, après avoir complété, via des portails numériques, des formulaires préalables à toute prise de rendez-vous. Encore faut-il qu’elles aient accès à internet dans des conditions convenables…
Une telle question avait été soulevée par un arrêt du Conseil d’État rendu le 11 novembre 2019, à la suite d’une requête formée par la Cimade, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), la Ligue des droits de l’Homme et le Syndicat des avocats de France. Le Conseil d’État souligna alors que les difficultés rencontrées par les ressortissants étrangers pour prendre rendez-vous dans les préfectures trouvaient leur origine dans les décisions rendant obligatoire la prise de ces rendez-vous sur internet.
Aussi, madame la ministre, quelles mesures comptez-vous prendre afin de vous assurer que les personnes immigrant en France puissent être en mesure d’effectuer dignement leurs démarches en vue de régulariser leur situation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, Fialaire, la dématérialisation des procédures ne saurait se traduire pas une baisse de la qualité du service rendu à l’usager. Les procédures relatives au droit des étrangers font partie de celles qui ont été le moins dématérialisées. Les guichets demeurent dans toutes les préfectures.
Pour répondre plus précisément à votre question, l’accès à des rendez-vous en ligne pour obtenir un titre de séjour a été mis en œuvre pour répondre aux contraintes sanitaires. Il ne doit pas être confondu avec la dématérialisation des demandes de titres en ligne. Pour l’instant, seuls sont concernés les titres étudiants, les autorisations de travail et les passeports talents. À ce stade, cela ne pose pas de difficultés majeures.
Pour l’accès à la nationalité, un plan est prévu pour accompagner les étrangers dans leurs démarches. Ainsi, les demandeurs d’accès à la nationalité française pourront bénéficier de la mission d’accompagnement numérique des usagers étrangers en préfecture. Par ailleurs, sur les sites des préfectures, des vidéos didactiques sont mises à disposition des usagers afin de leur permettre de bien se repérer dans le déroulé des grandes étapes administratives de leur dossier et d’être guidés dans la phase préparatoire du dépôt de leur demande. En outre, le Centre de contact citoyens de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) sera mobilisé pour répondre aux demandes des postulants à la nationalité française.
De manière générale, la dématérialisation des procédures « étrangers » s’est faite autour de l’usager : le numéro de dossier unique le suit désormais tout au long de son parcours, les délais d’instruction ont été réduits, tout comme le nombre de passages obligatoires en préfecture. Enfin, des moyens alternatifs d’accompagnement sont prévus pour les étrangers pour lesquels les moyens actuels ne seraient pas adaptés.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour la réplique.
M. Bernard Fialaire. Il semblerait que certaines administrations n’aient pas tenu compte de ces avertissements. Un certain nombre de recours juridictionnels ont en effet été introduits afin de contester des arrêtés de préfecture imposant aux personnes étrangères de déposer en ligne leur demande de titre de séjour. Je pense par exemple à la décision du tribunal administratif de Rouen en date du 18 février 2021.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la ministre, la tenue de la COP21 et les attentats de novembre 2015 qui ont endeuillé la France ont donné le coup d’envoi à de multiples dérogations au code frontières Schengen. En pratique, la libre circulation des personnes au sein de la zone ne s’applique plus dans la pratique.
Censés être transitoires, les contrôles aux frontières sont devenus permanents, malgré les rappels à l’ordre de l’Union européenne, la crise de la covid-19 fournissant une nouvelle occasion d’utiliser la clause de sauvegarde par les États membres.
Après ces six années de régime d’exception en matière de politique migratoire, le bilan est pour le moins déplorable : la politique sécuritaire en la matière, la criminalisation de la solidarité et la pénurie de moyens nous éloignent toujours plus d’une coopération réelle et du respect des droits fondamentaux des personnes migrantes.
Dans un avis rendu sur la situation à la frontière franco-italienne, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) déclarait avoir « été profondément choquée par les violations des droits des personnes migrantes constatées et par les pratiques alarmantes observées sur ces deux zones frontalières, où la République bafoue les droits fondamentaux, renonce au principe d’humanité et se rend même complice de parcours mortels ». Il semblerait que la situation se répète actuellement à la frontière espagnole.
Madame la ministre, à moins d’un an de la présidence française de l’Union européenne, n’est-il pas temps de rompre avec ces mauvaises pratiques et de renouer avec nos valeurs et nos principes républicains en la matière ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice Assassi, j’ai rappelé dans mon intervention liminaire que la politique de contrôle aux frontières s’effectuait dans le respect du droit et sous le contrôle du juge. À la frontière italienne, le Conseil d’État n’a pas jugé illégaux les dispositifs de mise à l’abri des migrants dans des décisions de 2017 puis de 2021, mais a enjoint à l’administration d’y apporter des améliorations, ce qui est d’ores et déjà en cours.
Le principe, c’est qu’un État doit savoir qui entre sur son territoire. Mieux contrôler les personnes qui tentent d’entrer irrégulièrement sur le territoire, ce n’est, somme toute, que les contrôler au moins aussi bien que les personnes qui franchissent les frontières régulièrement tous les jours par voie terrestre, maritime ou aéroportuaire, qui sont contrôlées et passées au fichier pour vérifier que la sécurité des Français n’est pas menacée.
Cette attention légitime à la sécurité de nos concitoyens n’est pas incompatible avec le réel effort de solidarité que nous assumons. La France est l’un des États qui accueillent le plus grand nombre de demandeurs d’asile – 133 000 enregistrements par l’Ofpra en 2019 – au sein de l’Union européenne.
Nous nous adaptons à cette réalité. Le parc d’hébergement des demandeurs d’asile a doublé en cinq ans, avec plus de 110 000 places aujourd’hui. La France, par solidarité avec les pays européens, a relocalisé plus de 5 000 personnes depuis la Grèce et l’Italie entre 2015 et 2018, 1 000 de plus depuis la Grèce pour la seule année 2020. Elle a aussi été à l’initiative du mécanisme dit de La Valette pour les secours en mer, qui représente 1 200 relocalisations dans ce cadre.
La France n’a donc pas à rougir des réels efforts de solidarité qu’elle mène à cet égard.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti.
M. Olivier Cigolotti. Madame la ministre, dans sa Lettre aux Européens publiée au printemps 2019, le Président de la République notait : « aucune communauté ne crée de sentiment d’appartenance si elle n’a pas des limites qu’elle protège », avant d’ajouter : « la frontière, c’est la liberté en sécurité ».
Même si je souscris à ce constat, il me paraît important de souligner que nous devons remettre à plat l’espace Schengen, déjà sérieusement remis en question depuis l’accentuation de la menace terroriste et, depuis peu, avec la crise de la covid.
Tous ceux qui veulent y participer doivent assumer leurs obligations, avec notamment un contrôle rigoureux aux frontières, mais aussi leurs responsabilités, avec le devoir de solidarité qui nous incombe via la politique d’asile qui gagnerait à être harmonisée.
Mon interrogation concerne le projet de réforme de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, appelée couramment Frontex. Depuis 2018, il est question de doter cette agence de ses propres navires, avions et véhicules, et d’un corps permanent de l0 000 agents. Selon le Parlement européen, cette réforme devrait être « pleinement opérationnelle d’ici à 2027 ».
Madame la ministre, le déploiement du premier contingent de garde-frontières Frontex était annoncé pour le 1er janvier 2021 : pouvez-vous nous confirmer si ce calendrier a bien été respecté et quelles sont les prochaines étapes ? Plus largement, dans le cadre des réflexions autour de l’évolution du système Schengen, devons-nous redouter une dépossession supplémentaire de notre souveraineté en matière de contrôle des frontières ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, la montée en puissance de l’agence européenne Frontex est fondamentale pour accompagner la nouvelle stratégie Schengen que nous évoquions précédemment, dont la clé de voûte doit être le contrôle des frontières extérieures.
Pour rappel, Frontex a été créée en 2004 et, depuis sa création, a vu ses moyens et ses compétences se renforcer considérablement. Sur la réorganisation administrative, l’agence est dans les délais ; elle est même en avance au regard de la feuille de route qui lui a été fixée. La réorganisation sera finalisée à la suite du recrutement des trois directeurs exécutifs adjoints qui prendront leur poste en septembre 2021, à l’issue de la procédure de recrutement dont est chargée la Commission européenne.
Cette réorganisation s’accompagne d’une augmentation considérable de ses moyens humains, avec la création d’un corps de garde-frontières et de garde-côtes européens de 10 000 effectifs à l’horizon de 2027. Le corps permanent sera composé, à cette échéance, de trois catégories de personnels : des agents statutaires que l’Agence engage, forme et rémunère directement, avec un objectif de 3 000 en 2027 ; des personnels qui continueront à être rémunérés par leur administration nationale et seront mis à disposition de l’Agence pour une période de deux ans renouvelable une fois, avec un objectif de 1 500 en 2027 ; des personnels mis à disposition par les États membres pour une courte durée, la capacité théorique de personnels pouvant être déployée en cinq jours.
J’ajoute que le budget sera porté à 5,6 milliards d’euros sur la période allant de 2021 à 2027.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour la réplique.
M. Olivier Cigolotti. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. Toutefois, si l’Europe veut éviter de se retrouver à la merci des politiques de certains États sans scrupules, elle doit impérativement imaginer et mettre en œuvre rapidement des mécanismes permanents et solidaires visant à assurer une véritable régulation des flux migratoires, certes respectueuse des valeurs d’accueil, mais stricte sur le contrôle des frontières extérieures.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, ce que nous avons vécu en 2015 en matière d’entrées illégales sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, mais aussi en matière de risque terroriste, a illustré les limites de la construction de l’espace Schengen. Cependant, tant le gouvernement de l’époque que la commission d’enquête conduite par le Sénat ont considéré que Schengen n’était pas le problème, mais la solution, qu’il était illusoire de reconstruire des frontières intérieures pour les surveiller et qu’il fallait au contraire renforcer la surveillance des frontières extérieures ainsi que la coopération et les fichiers interopérables.
C’est finalement sur cette base qu’un certain nombre de choses ont été réalisées. À partir de 2015, le gouvernement français a ainsi formulé des propositions et obtenu de nos partenaires que les négociations aboutissent sur le renforcement du mandat de Frontex et de ses moyens, sur des évaluations systématiques de la manière dont les États contrôlent leurs frontières extérieures, sur la mise en place du PNR (fichier des données des dossiers passagers), sur l’interopérabilité des fichiers, sur l’instauration d’un contrôle biométrique systématique à l’entrée et à la sortie de l’espace Schengen, et sur le système européen d’autorisation d’entrée dans la zone Schengen Etias (European Travel Information and Authorization System), qui sera opérationnel en 2022.
Alors, madame la ministre, ma question est simple : votre gouvernement s’inscrit-il dans cette continuité ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, nous pensons, dans la droite ligne de mon propos liminaire et de mes réponses précédentes, qu’il y a un véritable travail partenarial à mener. La présidence française de l’Union européenne sera l’occasion de mener cette discussion et d’agir de façon résolue.
J’ai déjà répondu sur les objectifs, la durée, les moyens, y compris humains, que nous voulons mettre en œuvre pour pouvoir atteindre cet objectif commun. Nous avons là une ligne de crête à trouver avec nos partenaires européens et avec les instances européennes pour répondre à ces grands enjeux, continuer à garantir la sécurité de chaque État membre, dans le respect de sa politique nationale, et bien sûr dans le calendrier que j’évoquais précédemment.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.
M. Jean-Yves Leconte. Le problème, madame la ministre, c’est que le Président de la République passe son temps à dire qu’il faut refonder Schengen, mais que la France ne gagne plus aucune négociation européenne sur ce sujet.
Pourquoi ? Parce qu’elle n’est plus crédible ! Force est de constater que, quoi qu’elle obtienne, elle maintient ses frontières fermées. De plus, elle ne veut rien entendre en matière de solidarité. Votre réponse à notre collègue Poncet Monge l’illustre parfaitement : rien sur Dublin ! On cherche à durcir le pacte migratoire de la Commission européenne. Enfin, la France parle d’Eurodac, mais lorsqu’elle est face à ses responsabilités et doit enregistrer des personnes en situation irrégulière, elle ne le fait pas parce qu’elle ne souhaite pas recevoir des « dublinés ».
Voilà la position de la France, voilà sa crédibilité aujourd’hui ! Le problème, ce n’est pas Schengen, qui est la solution, c’est le comportement du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Serge Babary.
M. Serge Babary. Madame la ministre, pensée sous le seul prisme économique, l’Europe s’est construite autour de la notion de libre circulation des personnes et des marchandises. La suppression des contrôles aux frontières intérieures devait alors être compensée par la mise en place d’un contrôle unique aux frontières extérieures de l’Europe. Inconscients des enjeux sécuritaires et dorénavant sanitaires, les États membres ont, inégalement, mis en œuvre ce contrôle.
L’Union européenne, ce sont 12 000 kilomètres de frontières extérieures terrestres, 32 000 kilomètres de frontières extérieures maritimes, avec au total près de 1 900 points de passages autorisés. Chaque année, plus de 700 millions de citoyens européens et de ressortissants de pays tiers franchissent les frontières extérieures de l’Union européenne. C’est dire l’ampleur de la tâche de surveillance et de contrôle à assurer !
La prise de conscience de la nécessité d’une protection efficace des frontières est née des attentats de 2015 et de la crise migratoire de 2017. La France n’a pas fermé ses frontières nationales, mais en a rétabli le contrôle le 13 novembre 2015. Cette mesure temporaire s’inscrit dans la durée.
Pourtant, dès 2017, les franchissements illégaux détectés aux frontières de l’Union avaient baissé de 60 %. Cela représentait cependant toujours 204 000 personnes !
L’Europe est-elle en mesure de mettre en place une politique de l’immigration, de doter Frontex de moyens financiers, matériels et humains, mais aussi d’une gouvernance énergique permettant d’assurer un contrôle efficace de ses frontières extérieures ? À défaut, l’État français est-il prêt à renforcer le contrôle de ses propres frontières ? (M. Yves Bouloux applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur les moyens concrets, humains et financiers, de Frontex et affirmez la nécessité d’une « gouvernance énergique ». Nul ne peut dire que le Président de la République n’a pas fait de l’Europe l’une des priorités de son agenda. Parmi les priorités fixées à son gouvernement figurent l’Europe, le travail européen et la manière dont nous pouvons améliorer les dispositifs existants. Cette gouvernance énergique, je ne peux donc que vous répondre, sans aucune objectivité, qu’elle est présente, que c’est le travail que nous menons avec nos partenaires.
Sur les moyens humains et financiers, j’ai répondu précédemment. Vous avez rappelé les enjeux multiples, y compris les chiffres colossaux illustrant l’immensité des frontières. La réorganisation administrative de Frontex, avec un corps permanent, de nouveaux moyens humains, ainsi que son budget, porté à 5,6 milliards d’euros sur la période 2021-2027, permettront d’avancer dans ce sens. C’est inédit, et cela nous montre comment la gouvernance énergique que vous évoquiez se traduit concrètement dans les moyens et dans les actes.
Enfin, un travail de diplomatie est mené par Jean-Yves Le Drian et Clément Beaune, qui préparent assidûment la présidence française de l’Union européenne. Je puis vous assurer que Gérald Darmanin et moi-même avons la volonté d’inscrire ce sujet en haut de l’agenda.
M. le président. La parole est à M. Serge Babary, pour la réplique.
M. Serge Babary. Madame la ministre, la lenteur de la mise en place des moyens que vous évoquez nous fait forcément douter d’une volonté énergique : douze ans séparent 2015 de 2027…
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Madame la ministre, la question de l’immigration clandestine et de la protection des groupes vulnérables est devenue un sujet de préoccupation majeur dans l’Union européenne, notamment depuis 2015 et le début de la crise migratoire. L’incendie qui a ravagé le plus grand camp de réfugiés d’Europe sur l’île de Lesbos est venu rappeler à tous la nécessité urgente de réformer le système d’asile et de migration.
Alors que le dossier était au point mort, la Commission européenne a présenté, en septembre dernier, son « Pacte sur la migration et l’asile », un premier pas pour une évolution de la politique européenne en la matière.
Comme par le passé, celle-ci se heurte à de nombreux défis. Parmi eux, on compte notamment une asymétrie marquée du nombre de demandes d’asile, sollicitant surtout les États frontaliers de l’Union européenne et certains États cibles, dont l’Allemagne. L’actuel système, fondé sur le règlement de Dublin, ne compense pas ces asymétries, à cause du manque partiel d’homogénéité entre les différents États membres dans la mise en œuvre du régime d’asile européen commun (RAEC).
Si l’Europe a toujours été une terre d’immigration en raison de sa relative prospérité économique et de sa stabilité politique, les suites de la crise sanitaire font désormais douter de sa capacité à faire face à une augmentation du nombre des demandeurs d’asile.
Au total, la réforme en profondeur de l’espace Schengen, engagée en 2015, reste un chantier inachevé. Les négociations se focalisent sur le mécanisme de répartition des demandeurs d’asile en cas de crise : doit-il être obligatoire ou non ? La solidarité peut-elle prendre d’autres formes, financières notamment, que l’accueil ? Quelle sera la position de la France dans le débat à venir sur une harmonisation des pratiques nationales en matière d’asile ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, je ne reviens pas sur les orientations générales de la réforme de l’espace Schengen, précédemment évoquées.
S’agissant plus précisément de la gestion des demandeurs d’asile, la Commission européenne, en septembre 2020, a présenté son nouveau Pacte sur la migration et l’asile. Beaucoup d’approximations voire de fausses informations ont circulé à ce sujet, je veux donc rappeler ici qu’il s’agit d’un ensemble de textes dont l’objet est bien de réformer en profondeur la politique migratoire européenne.
Dans ce cadre, la Commission a réalisé un exercice de simulation – il s’agit bien d’un simple exercice – sur l’un des aspects du Pacte, l’effort de solidarité, afin d’évaluer l’impact sur les États membres d’un mécanisme de répartition obligatoire visant à assurer la solidarité entre ces derniers.
À ce stade, les simulations de la Commission omettent de prendre en compte des éléments fondamentaux de la pression migratoire que nous subissons. Je pense à l’absence de considération des flux secondaires, que la France, comme d’autres pays de destination, subit particulièrement, ou encore à l’absence de prise en compte de la pression sur la demande d’asile. Nous défendons par ailleurs l’idée qu’il faudrait y ajouter la question de ceux qui auraient pu faire l’objet d’un « transfert Dublin » et qui, faute de coopération de la part d’autres États membres, ont abouti à des requalifications, concernant environ 40 000 personnes en 2019.
Sous ces hypothèses, la France et l’Allemagne totaliseraient à elles seules plus de 55 % du volume de relocalisations et des prises en charge de retour. C’est un chiffre équivalant à celui des engagements franco-allemands dans le cadre du mécanisme de La Valette : nous sommes évidemment opposés à cette solution.
Les échanges au niveau technique vont se poursuivre et la France, soutenue par plusieurs États membres d’importance, y contribuera activement, afin que soient pris en compte les nouveaux paramètres. Si nous prônons la solidarité, nous n’acceptons pas que celle-ci mette en péril nos dispositifs d’accueil et notre politique migratoire en la matière.
Enfin, en matière de compensations financières, la question reste ouverte, puisque le Pacte prévoit que les contributions de solidarité dépendront des négociations en cours sur le mécanisme de relocalisation.
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Madame la ministre, depuis 2015, la question des frontières et de leur contrôle a envahi de nouveau le débat public en France et en Europe, à la suite notamment des attentats de novembre 2015, des conséquences migratoires de la guerre en Syrie, mais également de la pandémie de la covid-19. Pour ma génération qui a connu la construction européenne, avec en point d’orgue la chute du mur de Berlin, le retour à la frontière marque, c’est certain, un net retour en arrière.
Ces dernières années, la vision humaniste d’accueil de notre pays, mais également du continent européen, a été sérieusement écornée par une gestion uniquement sécuritaire des migrations. Cette gestion a occasionné et occasionne toujours de terribles drames humains. Nous avons pu le voir encore récemment avec ces images de réfugiés, pour la plupart marocains, tentant de rejoindre l’enclave de Ceuta ; et nous pouvons malheureusement l’observer, chaque mois, chaque semaine, en Méditerranée, où des dizaines de milliers de réfugiés ont péri noyés depuis 2015.
Ces drames à répétition montrent bien qu’une gestion uniquement sécuritaire n’a que peu de conséquences sur la venue des réfugiés, qui préféreront toujours prendre tous les risques pour rejoindre l’Europe plutôt que de rester dans leur pays d’origine.
Cette déshumanisation de la question migratoire s’illustre également dans la gestion des centres de rétention administratifs, en Europe, mais également en France : je pense notamment au centre du Mesnil-Amelot, que j’ai visité plusieurs fois et où les conditions de rétention sont plus que difficiles, pour employer un euphémisme…
Madame la ministre, la réponse à la crise migratoire sera européenne, mais la position française restera-t-elle uniquement sécuritaire ? À quand, enfin, une dimension solidaire et humaniste ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Madame la sénatrice, la France reste une terre d’accueil pour ceux qui sont menacés dans leur pays. L’attention que nous portons à la sécurité de nos concitoyens n’est évidemment pas incompatible avec les efforts de solidarité consentis par la France, dans la grande tradition de notre pays. La France est l’un des États membres qui accueillent le plus grand nombre de demandeurs d’asile, avec, je l’ai dit, 133 000 enregistrements par l’Ofpra en 2019. La France est ainsi positionnée haut dans ces classements, si l’on peut le dire de cette manière arithmétique, au sein de l’Union européenne.
D’ailleurs, nous avons renforcé considérablement les moyens correspondants, et nous nous y attelons régulièrement : j’ai lancé la semaine dernière le plan « vulnérabilité » pour augmenter les dispositifs d’hébergement destinés aux demandeurs d’asile souffrant de persécutions LGBTphobes dans leur pays, aux femmes persécutées ou victimes de violences conjugales. Plus largement, le parc d’hébergement des demandeurs d’asile a doublé en cinq ans, avec plus de 110 000 places aujourd’hui.
On ne peut donc pas dire que la France est absente de la solidarité, bien au contraire. La France a d’ailleurs, par solidarité avec les pays européens, relocalisé plus de 5 000 personnes depuis la Grèce et l’Italie entre 2015 et 2018, 1 000 de plus depuis la Grèce pour la seule année 2020. Le Président de la République a été à l’initiative du mécanisme dit de La Valette sur les secours en mer, vous le savez. Nous sommes évidemment aussi bouleversés par les images que vous avez mentionnées concernant ce qui se passe entre le Maroc et l’Espagne. La France, chaque fois, prend sa part, et toute sa part.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Madame la ministre, la libre circulation, oui, les flux migratoires incontrôlés, non ! L’Europe ne peut être un ventre mou, un espace ouvert à tous les vents. Or force est de constater que les flux migratoires, ces dernières années, malgré le rétablissement des frontières, demeurent à un seuil préoccupant.
Je vous rappelle que, si la France avait choisi de partager dans ce domaine sa souveraineté avec l’Europe, c’était pour promouvoir une culture, une civilisation et ses valeurs ; c’était pour être mieux protégée. Si la France avait accepté la libre circulation à l’intérieur de l’Europe, c’était pour que les frontières de l’Europe soient mieux défendues. Car, quand il y a des frontières, celui qui vient d’ailleurs est toujours reçu en ami. Quand il n’y a plus de frontières, celui qui vient d’ailleurs peut malheureusement être perçu comme une menace.
Je reste convaincu que l’Europe doit refonder en profondeur sa politique migratoire. En effet, si elle ne le fait pas, la France ne pourra plus accueillir dignement ceux qui arrivent ; elle ne pourra plus répondre à l’exigence d’intégration, d’assimilation de ceux qui ont tant de mal à trouver leur place dans la société ; et elle ne pourra plus financer sa protection sociale. Je pense que cette vérité peut être partagée, car c’est la réalité.
Alors, madame la ministre, ma question est la suivante : l’Europe peut-elle continuer à être la seule région du monde à si mal faire respecter ses frontières, à si peu défendre ses intérêts, à tant ignorer les angoisses de ses citoyens sur le devenir de leur civilisation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur Le Rudulier, vous avez raison de souligner l’importance de la gestion des flux migratoires pour demeurer en mesure d’intégrer les réfugiés ou les étrangers qui ont vocation à s’installer durablement en France.
De manière générale, l’immigration irrégulière est déterminée par trois facteurs : l’asymétrie politique, économique et sociale entre le pays d’origine et le pays de destination, qui motive des comportements dits individuels de migration ; la porosité des frontières en sortie du pays d’origine ou en entrée dans le pays de destination ; l’exigence d’un système de traitement de l’immigration irrégulière et de retour performant dans les pays de destination pour dissuader les flux entrants.
Sur ces trois piliers, les leçons respectives sont les suivantes.
La question de la lutte contre les causes profondes de la migration, dans un contexte de croissance démographique des pays de départ, doit être une priorité. C’était le sens du récent déplacement en Afrique du Président de la République. Comme l’a démontré le succès de la stratégie de la feuille de route des pays prioritaires déployée par la France, l’approche globale des questions de développement, de mobilité légale, de lutte contre l’immigration irrégulière nous semble être la méthode pertinente, à 360 degrés. Il en est de même avec l’élaboration de plans de lutte contre l’immigration irrégulière associant le pays d’origine, dont le contenu « cousu main » permet d’obtenir de bons résultats.
S’agissant de la porosité des frontières en sortie du pays d’origine ou en entrée dans le pays de destination, le soutien des institutions internationales, régionales ou des pays de destination à l’élaboration d’une stratégie dite frontière avec le pays d’origine est essentiel. C’est l’exemple des actions que nous conduisons dans un cadre bilatéral avec le Sénégal dans le cadre de la feuille de route des pays prioritaires et la création d’une direction centrale de la police aux frontières (DCPAF).
L’autre élément est notre action commune pour renforcer nos frontières. C’est le sens du Pacte sur la migration et l’asile, qui tend à construire une procédure uniforme de filtrage lors du franchissement des frontières extérieures de l’espace Schengen, pour vérifier les conditions d’entrée et, le cas échéant, orienter vers une procédure de retour. C’est le sens du rétablissement des contrôles aux frontières internationales au niveau national.
Enfin, l’existence d’un système de retour efficace nous semble essentielle dans la gestion de l’immigration. Cela implique notamment une bonne coopération avec les pays d’origine, et c’est le sens de la tournée menée par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, au moment de sa nomination. Le défi s’est d’ailleurs renforcé à la faveur de la crise sanitaire, les États tiers méconnaissant leur obligation internationale de réadmission sans condition en affichant diverses exigences sanitaires, ce que nous déplorons.
Nous devons maintenant nous montrer exigeants envers les pays tiers pour qu’ils puissent définir et mettre en œuvre des procédures claires, y compris avec notre soutien, pour identifier et réadmettre leurs nationaux.
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Pour conclure, monsieur le président, le seul système de retour forcé ne suffit pas. Il importe de créer les conditions d’un retour durable : c’est l’action résolue menée par la France en matière de retour volontaire et de réinsertion.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, pour la réplique.
M. Stéphane Le Rudulier. Madame la ministre, le phénomène de l’explosion démographique de certains continents, notamment du continent africain, n’a pas été suffisamment souligné dans ce débat.
Au-delà de la politique migratoire, il faut engager une politique de codéveloppement avec ces pays pour maîtriser les flux migratoires. À défaut, notre ascenseur social étant déjà en panne, je crains une déflagration dans notre société.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Pour faire face à l’épidémie de covid-19, le Premier ministre a pris des mesures de limitation de déplacements, notamment en provenance de l’étranger : la circulaire du 22 février 2021 visait en particulier le droit des futurs conjoints de Français à venir en France pour se marier.
Le 9 avril, le juge des référés du Conseil d’État a considéré que, compte tenu du faible effet de ces déplacements – seul un faible nombre de couples sont concernés – et du maintien de l’obligation de présentation d’un test PCR négatif, ces mesures de limitation constituaient une atteinte disproportionnée au droit ou à la liberté du mariage. Il a donc décidé de suspendre l’exécution de la circulaire du Premier ministre et d’enjoindre au ministère de l’intérieur d’ordonner aux autorités consulaires de procéder systématiquement à l’enregistrement et à l’instruction des demandes de visa en vue de se marier en France avec un Français.
Madame la ministre, avez-vous effectivement donné ces instructions ? Des visas ont-ils été délivrés ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le sénateur, la réponse est « oui ». Il va de soi que le Gouvernement va appliquer la décision du Conseil d’État sur la délivrance de visas pour les étrangers souhaitant se marier avec un Français ou une Française. Une note donnant pour instruction de la mettre en œuvre a été adressée à nos postes diplomatiques le 22 avril dernier par le ministère de l’intérieur.
Pour rappel, le 9 avril 2021, le Conseil d’État a enjoint, d’une part, au Premier ministre de prendre les mesures réglementaires strictement proportionnées aux risques sanitaires liés à l’entrée en France des personnes titulaires d’un visa délivré en vue de se marier en France avec un Français ou une Française et, d’autre part, au ministère de l’intérieur d’ordonner aux autorités consulaires de procéder systématiquement à l’enregistrement et l’instruction des demandes de visa en vue de se marier en France avec un Français ou une Française. M. le ministre de l’intérieur a donc demandé à nos postes à l’étranger de recevoir systématiquement toutes ces demandes de visa sans condition.
Alors, oui, conformément à la décision du Conseil d’État, nous délivrons systématiquement les laissez-passer sur ces dossiers en vue de mariage, sur la base, bien entendu, du certificat de publication des bans et de non-opposition.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse.
Cela étant, vous voyez bien le problème. On nous dit qu’il faut fermer nos frontières pour nous protéger des autres. Dont acte. Mais à force de ne pas respecter les droits fondamentaux, on les laisse se faire grignoter petit à petit. C’est ce qui s’est passé, en l’occurrence sur le droit des Français à la vie privée et familiale. Heureusement, le Conseil d’État était là pour arrêter une telle dérive. Faisons très attention : si nous ne sommes pas vigilants, ce que l’on observe aujourd’hui sur les droits des étrangers se vérifiera demain sur les droits de tous.
Il est donc indispensable d’être extrêmement attentifs à l’alerte que nos collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ont lancée en sollicitant ce débat.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Je remercie les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires d’avoir pris l’initiative de ce débat interactif, qui nous permet d’évoquer des problèmes humains prioritaires.
Mon département, les Ardennes, est frontalier de la Belgique. Dans les années 1960 et 1970, il y avait de nombreux points frontière, parfois assez petits, entre nos deux pays, avec des accès multiples. Ces points de passage étaient tantôt ferroviaires tantôt routiers.
Depuis 2015, nous avons connu des drames, avec des victimes innocentes. Ils ont nécessité l’intervention de policiers, de gendarmes, de militaires, dans le cadre de l’opération Sentinelle, et, plus généralement, de l’ensemble des services de sécurité civile et de sécurité intérieure, qui relèvent de différents ministères.
Je centrerai mon propos sur l’administration des douanes, qui est placée sous l’autorité du ministère de l’économie et des finances. Les douaniers ont un rôle complémentaire à celui des personnels que je viens d’évoquer. Les moyens humains, qui sont si importants pour la sécurité, seront-ils maintenus, voire renforcés ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. La France compte 122 points de passage frontaliers (PPF) – il s’agit de frontières extra-Schengen –, dont 78 points sont aériens, 33 sont maritimes et 11 sont terrestres.
Le contrôle aux frontières extérieures sur ces PPF se répartit entre la police aux frontières et la direction générale des douanes et droits indirects, qui constituent des corps de garde-frontières. La police aux frontières est compétente sur 44 PPF, ceux dont les flux de passages sont les plus denses, et la douane sur les 78 autres.
La douane compte 17 000 agents, qui sont implantés sur 156 postes douaniers en France métropolitaine et en outre-mer, au sein de 200 unités de surveillance terrestre et maritime. La police aux frontières est composée de 12 290 agents, dont 3 645 garde-frontières.
Sur les frontières intérieures, ces deux mêmes administrations se répartissent la compétence des contrôles sur les points de passage autorisés (PPA), dont la dernière liste notifiée par la France à la Commission européenne date du 7 avril 2021 et détaille précisément l’implantation des 173 points de passage terrestres, qui sont restés ouverts.
À date du 1er juin 2021, le différentiel avec les 190 points mentionnés plus haut s’explique par une fermeture de 17 PPA en frontière franco-espagnole exclusivement. Les dispositifs opérationnels de contrôle sont déployés sur ces points, afin de faire respecter les conditions d’entrée sur notre territoire et de veiller au respect des obligations sanitaires. Les entrées en France en provenance de l’Union européenne sont toujours conditionnées aux obligations sanitaires, dont la présentation du test covid négatif de moins de soixante-douze heures.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.
M. Marc Laménie. Madame la ministre, je vous remercie de ces informations chiffrées, mais je me permets d’insister sur la pérennité des moyens humains consacrés à notre protection. Le sujet est particulièrement important pour la sécurité des personnes et des biens, la libre circulation et le respect de tous.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Thomas Dossus, pour le groupe auteur de la demande.
M. Thomas Dossus, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà quelques semaines, j’étais au poste-frontière de Montgenèvre, entre l’Italie et la France. Pour quelqu’un comme moi, né en pleine construction du projet européen, un projet de paix bâti sur la fin d’un certain nombre de barrières et de frontières, ce fut une grande tristesse de constater ce terrible revirement, qui dure depuis cinq ans.
Oui, le rétablissement des contrôles aux frontières nationales depuis 2015 remet en cause les fondements du projet européen : un projet de libre circulation, de solidarité et de respect des droits humains qui vole en éclat face à nos peurs et à nos renoncements !
Ce contrôle aux frontières, rétabli à l’origine pour faire face à la menace terroriste, a été constamment reconduit depuis 2015, comme outil de maîtrise de l’immigration illégale.
Mais, en réalité, c’est un outil qui ne maîtrise rien. J’invite tous les parlementaires à aller constater l’absurdité de la situation franco-italienne. Des familles, des femmes, des hommes, des enfants tentent de passer au péril de leur vie dans la neige, dans la nuit noire. Ils sont parfois attrapés, renvoyés en Italie, d’où ils retentent leur chance. Chaque soir. Tout le temps. Ils finissent par passer.
Entre-temps, ils ont servi à remplir des tableaux statistiques absurdes qui permettent aux différents ministres de fanfaronner au mépris des vies humaines.
Pérenniser des outils d’exception taillés pour le terrorisme et les faire entrer dans le droit commun est, hélas ! une constante française. C’est une pente glissante pour notre État de droit.
À cette politique nationale s’ajoute aussi et surtout une politique globale européenne scandaleuse : une politique qui combine le rejet de la responsabilité et le manque de courage politique ; une politique qui, à l’échelle de l’Europe, divise les États membres au lieu de les rassembler. Un poison pour notre puissance européenne !
La responsabilité de la France en tant que pays moteur de l’Union est pleine et entière. Notre pays est responsable des conditions de vie intolérables dans les hotspots. Notre pays est responsable de ce qui se passe en Turquie, en Libye. Notre pays est responsable des morts en Méditerranée. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Comment s’incarne cette politique européenne ? Elle passe par les funestes accords de Dublin. Avec ces accords, la responsabilité du traitement des migrants repose presque uniquement sur les pays d’entrée dans l’Union européenne, c’est-à-dire la Grèce et l’Italie. Cette pression et le délaissement de ces États nourrissent la montée de l’extrême droite ; nous le voyons en Italie.
À cet abandon de responsabilité au sein de l’Union européenne s’ajoute celui, encore plus scandaleux, que l’on constate à l’extérieur de ses frontières. Je parle ainsi des régimes autoritaires, comme la Turquie, que nous payons en espèces sonnantes et trébuchantes, près de 6 milliards d’euros, pour gérer à notre place les migrations, loin de nos regards. Résultat ? Des prestataires de la honte ! Des despotes qui n’hésitent pas à utiliser par la suite ce levier migratoire si notre politique étrangère ne va pas dans leur sens !
Puisqu’il s’agit toujours d’argent, évoquons également le fonds fiduciaire pour l’Afrique, doté de 3,9 milliards d’euros entre 2015 et 2019. Initialement pensé comme un outil d’aide au développement, il a glissé peu à peu vers un outil financier destiné à donner une carotte aux pays qui maîtriseraient les flux migratoires en direction de l’Europe.
Et que dire de Frontex, qui a vu son budget passer de 3 millions d’euros en 2003 à 544 millions en 2021 ? Cette structure, fidèle à la doctrine de l’Europe forteresse, reste passive face aux drames et aux morts par milliers qui font de la Méditerranée une fosse commune mondiale.
Écoutez les témoignages des exilés qui arrivent sur nos côtes ! Écoutez comment les garde-côtes libyens financés par l’argent européen retiennent, dans des conditions épouvantables, les personnes migrantes, réduites à l’esclavage, violées, torturées ! Ces actes de barbarie sont commis avec l’aval implicite de l’Europe, donc de la France.
Jusqu’ici, nous pouvions nous voiler la face, nous dire que tout cela se passait loin de chez nous, que nous ne pouvions rien faire. Or, depuis 2015, l’Europe forteresse déploie ses barbelés jusqu’à notre frontière avec l’Italie.
Lors de nos déplacements à la frontière franco-italienne, avec d’autres parlementaires, nous avons vu aussi comment la fraternité du peuple français reste vivace. Nous avons vu des montagnards, des habitants de Briançon, des bénévoles, des humanitaires qui arpentent les routes, les cols, les chemins, toutes les nuits, quelle que soit la température, pour porter secours et assistance aux exilés. Je souhaite rendre hommage à leur dignité et à leur sens de la fraternité.
Nous avons aussi été témoins du harcèlement inacceptable exercé par certains agents de police qui utilisaient les restrictions sanitaires pour verbaliser des médecins et des soignants bénévoles.
Madame la ministre, mes chers collègues, ici, nous débattons, mais partout à nos frontières, des gens meurent. Ils meurent à cause de vos politiques. Ils meurent à cause de nos peurs. Ils meurent à cause de l’abandon de nos valeurs.
Nous demandons ici, collectivement, solennellement, la fin de ces contrôles à nos frontières intérieures, après la pandémie évidemment, l’accueil de ceux qui sont en route et l’amorce d’une politique d’accueil, de développement réel et humaniste, seule solution durable à la question migratoire.
Il s’agit aujourd’hui de faire vivre le principe républicain de fraternité. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Rétablissement du contrôle aux frontières nationales depuis 2015 : bilan et perspectives. »
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 8 juin 2021 :
À quatorze heures trente et le soir :
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 24 et 25 juin 2021 ;
Proposition de loi visant à améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs, présentée par Mme Laure Darcos (procédure accélérée ; texte de la commission n° 663, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures vingt-cinq.)
nomination d’un membre d’une commission
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a présenté une candidature pour la commission des affaires européennes.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : M. Jean-Michel Houllegatte est proclamé membre de la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Gilbert-Luc Devinaz, démissionnaire.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER